The Project Gutenberg eBook of Le Jardin de Marrès, by Victor Snell This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Le Jardin de Marrès par Bérénice Author: Victor Snell Release Date: March 10, 2021 [eBook #64776] Language: French Character set encoding: UTF-8 Produced by: Clarity, Pierre Lacaze and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE JARDIN DE MARRÈS *** LE JARDIN DE MARRÈS Le Jardin de MARRÈS PAR BÉRÉNICE LIBRAIRIE OLLENDORFF 50, Chaussée d'Antin, 50 PARIS Tous droits réservés LE JARDIN DE MARRÈS CHAPITRE PREMIER D'UNE PAROLE PRONONCÉE CERTAIN JOUR DANS UN TRAMWAY Pensez-vous que j'eusse consenti à être compris de tout le monde? M. M. (Préface d'_Un homme vibre_.) Comment nous nous retrouvâmes, Marrès et moi, après une séparation de plus de dix ans et quelques jours avant la déclaration de guerre, la chose vaut d'être contée en tête de ces pages. Aussi bien, par les paroles qui en furent l'occasion et par les événements qui la suivirent, a-t-elle pour moi un caractère presque symbolique. Nous étions au 5 juillet. J'ai remarqué que ce mois me fut toujours propice: c'est en juillet que j'avais fait la connaissance de Marrès, alors que je n'étais encore qu'une gosse, et en juillet encore que je l'avais revu à Aigues-Mortes plusieurs années après. Il me semblait ainsi qu'en juillet rien ne pouvait plus m'arriver que d'heureux. --J'ai gardé le culte du mois, aimais-je à lui redire... du mois que je vous ai connu... Il trouvait la phrase amusante et il souriait en ramenant en arrière d'un geste familier la belle mèche noire qu'il avait habituée à tomber sur son front. Donc, cet après-midi de juillet, vers cinq heures, je me trouvais dans le tramway Vincennes-Louvre. J'avais été à Saint-Mandé porter quelque secours à une pauvre femme, mère de sept enfants et dont le mari gagnait quatre francs par jour dans je ne sais quelle usine. Il faisait très chaud et l'air était lourd. Je me souviens que je lisais dans l'_Écho de Bordeaux_ un article admirable de Frédéric Basson sur les cure-dents de Napoléon et sur le Beauharnais, frère de Joséphine. Après avoir reçu mes six sous, le conducteur avait passé au voyageur qui était assis en face de moi, mais un peu sur la droite. Puis, s'adressant au voisin de celui-ci, il avait demandé: --Jusqu'où, monsieur? Alors une voix un peu lasse, mais énergique, répondit: --Jusqu'au bout. Il y avait dans ces simples mots tant de volonté concentrée, et l'accent dont ils étaient marqués était tel que, par un phénomène singulier, ils me parurent avoir une importance formidable, gigantesque, et sous laquelle je me sentis écrasée. A ce «jusqu'au bout», simple réponse à une simple question, les railleurs feindront de s'étonner que quelqu'un n'ait pas répliqué par un «Déjà?» anticipé autant qu'irrévérencieux, et les sceptiques affirmeront qu'il serait bien miraculeux que la prescience me fût venue à cet instant des événements ultérieurs dans lesquels ces mêmes mots devaient revêtir un sens supérieur. Je dédaignerai les railleurs, et je dirai aux sceptiques que je n'eus pas à ce moment l'idée, moi petite, que nous pouvions être à quelques jours de la Grande Secousse. J'avoue au contraire que mes pensées étaient bien loin de la guerre. Mais cette concession faite, ou plutôt cet hommage rendu à la vérité, je n'en maintiens que plus énergiquement mon affirmation: ces mots tout simples m'emplirent d'un trouble inexprimable, d'une émotion confuse, comparable à celle que j'éprouvais à Aigues-Mortes lorsque Maurice me disait: «J'ai soif» ou: «Nous aurons de l'orage.» Ce fut toujours, en effet, une caractéristique des paroles de mon ami d'avoir, outre leur signification immédiate, un sens profond qui subsiste alors qu'elles-mêmes ont passé avec la circonstance qui les a fait naître. Chose étrange, je n'avais pas reconnu la voix de Maurice! Mais sa parole me l'avait fait deviner. Je levai les yeux et je l'aperçus de profil. A-t-on déjà remarqué que les hommes peuvent être divisés en deux catégories: ceux qu'il faut voir de face, c'est-à-dire ceux dont la physionomie n'a sa signification complète que lorsqu'elle est considérée dans son plein, et ceux dont tout le caractère réside dans le profil? Marrès est de ceux-ci. Je voyais donc le profil de Marrès se détacher en bistre sur le fond clair de la vitre qui l'encadrait exactement. Il me parut très peu changé, et à son avantage. Encore une fois, ma pensée était fort loin de la guerre, mais je fis malgré moi cette réflexion: Comme il serait bien en sergent de chasseurs!... Je revenais, on s'en souvient, de Saint-Mandé-Vincennes et j'avais rencontré là-bas quelques sous-officiers dont la vue m'avait laissée rêveuse. Avant même que la réflexion eût ratifié mon geste spontané, je m'élançai à côté de lui sur la banquette. Il eut une exclamation de bonne surprise et me tendit joyeusement ses deux mains: --Ma vieille amie... Puis aussitôt, songeant que ce mot de vieille amie pouvait légitimement m'offenser (dame!), avec sa délicatesse toute féminine, il ajouta: --Vous n'avez pas changé. --Bon! m'écriai-je, je faisais la même réflexion à votre sujet. Je vis qu'il était fort content de mon affirmation. D'un geste rapide il assura son col, tâta sa cravate et rectifia son gilet. Et soudain une brève et involontaire évocation me ramena à plus de quinze ans en arrière, dans le cher jardin d'Aigues-Mortes où, la main dans la main, nous suivions le caprice odorant des chemins... Je me ressouvins de ces minutes exquises où les fleurs qu'il jetait dans mon esprit étaient plus belles et plus parfumées que celles dont je dépouillais le parterre pour lui en faire hommage. Certes, je n'ignore pas que dans le livre qui m'est consacré, il m'a traitée en simple volatile, qu'il m'a représentée comme une gamine sans cervelle dont l'ignorance le reposait, et mes bonnes camarades m'ont prouvé qu'il s'était, comme on dit, payé ma physionomie, en même temps peut-être que celle de ses lecteurs. Mais ce n'en est pas moins une fortune singulière pour moi que d'avoir été l'occasion d'une œuvre comme celle à laquelle il a donné mon nom. Ce que je lui pardonnerais le moins, c'est d'avoir tenté de me faire passer pour morte, au lieu d'avouer carrément que j'avais levé le pied avec le petit Max. Mais ceci est une tout autre affaire... Si je ne craignais d'employer une image désastreuse, je dirais que la gloire présente de Marrès me couvre de son ombre--mais comment une gloire aussi brillante aurait-elle une ombre? Au surplus, je m'égare et je dois terminer cette trop longue préface. Au Louvre, nous descendîmes et il m'emmena prendre un bock à la brasserie Marengo. --J'aime beaucoup cet endroit, me dit-il. --A cause du veau? demandai-je étourdiment. Il eut un haussement d'épaules: --Mais non... à cause de la bataille! tonna-t-il. Honteuse, je me fis toute petite et nous restâmes sans parler. Mais son silence même, on le sait, dit toujours quelque chose... Et soudain il l'interrompit pour me demander: --Penses-tu qu'on aura la guerre? Je le regardai, comme si j'avais mal entendu. Il répéta: --Penses-tu qu'on aura la guerre? En toute occasion et venant d'un autre que lui, la question m'eût paru absurde: et je n'ai jamais aimé à être prise pour une bécasse. Mais je compris que c'était sérieux, et c'est sérieusement que je répondis: --Non. Et vous? Maurice fit alors un grand geste circulaire. Le garçon, s'imaginant que cela signifiait: «Remettez-nous ça», se précipita pour enlever nos bocks vides et en rapporta deux autres. Maurice m'expliquait son geste: --Le cercle se resserre, et je crois que le centre s'obscurcit... De quel cercle parlait-il? et comment un centre peut-il s'obscurcir, je ne sais. Je crus discerner dans cette parole une menace grave et je ressentis le même trouble qu'une demi-heure plus tôt, quand il avait dit: Jusqu'au bout. Je le regardai. Et de nouveau il m'apparut de profil. Involontairement je pensai à l'une des belles médailles romaines qui sont au Musée du roi René. Mais j'étais trop troublée pour poursuivre ce parallèle numismatique. J'avais soif de savoir, de comprendre... Aussi est-ce avec avidité que je bus mon bock: --Alors, demandai-je en m'essuyant les lèvres, vous allez rester à Paris, en prévision des événements? --Cette bière est détestable, me dit-il. On voit bien que c'est de la Munich... Puis, répondant à ma question: --Non. Je ne resterai pas à Paris. Je m'en vais en Palestine... --Comme Guillaume II? demandai-je étourdiment. Il eut une voix sifflante pour me répondre: --Non!... Comme Chateaubriand! * * * * * Quatre semaines après, c'était la Grande Secousse: la guerre déclarée, et le commencement de cette période terrible et magnifique qui n'est point encore terminée à l'heure où j'écris. CHAPITRE II DE CE QUE SONT AU VRAI CES COURTES NOTES ET DE L'IMPORTANCE QU'IL SIED DE LEUR ACCORDER. Ah! ces langoustes si difficiles à digérer! Combien nous en souffrîmes, moi et Simon, dans ces longues après-midi. _Un Homme vibre._ Ch. II. Malgré l'ordre que je me propose de leur donner, je sens bien que ces notes vont sembler incohérentes même aux lecteurs bienveillants. --Pourquoi cette poule se mêle-t-elle d'écrire? demanderont certains. D'abord, «poule», c'est bien vite dit. Et à notre époque où tant de chapons voudraient se faire passer pour des coqs, est-il bien certain que «poule» soit une injure? Au surplus, je tiens à m'expliquer, puisqu'aussi bien je dirai du même coup comment, à supposer qu'on m'en veuille faire l'honneur, il importe de lire cet essai. J'étais en Bretagne au moment où l'ordre de mobilisation générale fut donné. Je me ressouvins aussitôt de notre conversation de la brasserie Marengo: --Comme _il_ avait vu juste! m'écriai-je. Mais j'étais seule, et personne ne me demanda de qui je parlais. Je ne pus rentrer à Paris que cinq jours après, et tout aussitôt une pensée me traversa l'esprit: Je le connais: il s'est engagé... J'en suis sûre!... On n'aura pas pu le retenir... N'écoutant pour ainsi dire que mon manque de courage, je sautai dans un taxi-auto et je me fis conduire chez lui. --Monsieur est déjà parti? demandai-je au valet de chambre, pressentant la réponse. Dites-moi la vérité... toute la vérité... --Parti pour où? demanda ce stupide mercenaire. Je le bousculai, car une porte s'était ouverte et, dans l'encadrement, j'avais vu Marrès qui venait à moi la main tendue: --Ah!... cher Maître!... Je craignais d'arriver trop tard!... Il me rassura en me tapotant paternellement la joue. Ordinairement je déteste ce geste auquel sont trop enclins les vieux messieurs. Mais je le laissai faire parce que, dans ma hâte à accourir, j'avais oublié de mettre de la poudre. --Je suis si contente, m'écriai-je, si contente... Au moins je vous aurai revu avant... --Avant quoi?... J'eus ce petit frisson spécial qu'on a dans la colonne vertébrale quand on s'aperçoit qu'on a commis la forte gaffe. Toutefois il était trop tard pour reculer. Et c'est en bafouillant que je tentai d'expliquer: --J'avais cru... vous comprenez... mais c'est bien sûr que... vous rendrez beaucoup plus de services... D'ailleurs, chacun à sa place... Seulement, je vais vous dire, je pensais... à ce bon Déroulède... --Déroulède!... Ah! Déroulède!... Maurice releva sa mèche, d'un geste prompt, et, me conduisant à un petit fauteuil, bien en face de sa table de travail, il me fit asseoir: --Je te remercie d'avoir évoqué ce nom, me dit-il. Car il contient, si je puis dire, toute la réponse que j'ai à faire à ta question... Car je te comprends bien, petite: tu t'étonnes de me voir ici, et tu te dis que Déroulède fût déjà parti... Je ne le nie point. Mais considère ceci: en partant, Déroulède m'eût laissé pour lui succéder, tandis que moi partant, qui donc me succéderait?... As-tu songé à cela? C'était péremptoire en effet, et je fus toute honteuse de n'y avoir pas pensé. Je sautai au cou de mon maître en lui demandant pardon. Il se montra indulgent: --Tu vois, gamine? un peu de réflexion et tu n'aurais pas commis cette faute contre la justice et contre Moi... J'eus un silence pour lui dire toute ma pensée. Il me remercia du regard. Puis, dans un soupir de regret et de résignation, il conclut: --Il faut bien, comprends-tu, qu'il y en ait qui restent... Cette nouvelle parole, si juste, si profonde fut, je puis le dire, le point de départ de ce petit cahier. Il me sembla désolant que cette parole pût être perdue pour la pensée française, et je me sentis toute pleine du besoin généreux de la répandre. Or, si je cédais à ce plaisir, pourquoi donc l'offrir isolément aux méditations reconnaissantes de mes amis? Puisque le bienheureux hasard d'une rencontre en tramway m'avait fait retrouver mon ami, puisque j'allais désormais profiter de ses leçons, pourquoi eussé-je gardé pour moi toute seule les fleurs qu'il allait me permettre de cueillir en son jardin? L'idée n'était-elle pas séduisante d'en faire un bouquet pour l'offrir au contraire à mes contemporains? Les brèves notes qui suivent sont nées de cette idée. Si on daigne les lire, qu'on veuille bien ne les prendre que pour ce qu'elles sont: tout le monde ne peut pas être Eckermann s'entretenant avec Gœthe, ni Marrès lui-même avec Renan ou le général Boulanger. Qu'on néglige donc ce qui est de moi pour ne s'arrêter qu'à ce qui est de Lui. CHAPITRE III AFIN QUE SOIT LIQUIDÉE UNE FOIS POUR TOUTES LA QUESTION DE LA «RACINE» Cette petite Bérénice me sert à étudier la psychologie. _Le Parterre de Bérénice._ Ch. VIII. Encore un mot, cependant. Et qui servira d'introduction à une utile parenthèse. Marrès m'a toujours représentée comme un petit animal curieux, sensible, mais sans importance, et dont il aimait à faire fonctionner l'âme simple comme il l'eût fait des rouages d'un lapin mécanique. Il a dit de moi ce qu'il a voulu et je ne proteste point. Mais si je lui fus jadis un amusant sujet d'études, mon bon Maître ne se doute pas que fort souvent je l'ai comme on dit «fait poser», et que c'est lui qui, au rebours, en était un pour moi! Messieurs les «psychologues» regardent les autres sans se rendre compte qu'ils sont regardés eux-mêmes, et rien ne me semblait plus drôle, à moi, petite femme ignorante, que quand Marrès croyait «se pencher sur mon âme» et employait avec Simon de grands mots abstraits pour m'épater. On sait l'admiration déférente que j'ai pour Maurice et le respect que je professe pour son talent, mais ils ne m'empêchaient point, de temps en temps, de le faire, comme on dit, «monter à l'arbre». Oh! comme il y montait bien! Et comme alors mon petit carnet s'enrichissait de notations pittoresques autant que maladroites, et de caricatures innocentes! Quand il me surprenait dans quelque coin en train d'écrire, Marrès se moquait, en abusant contre moi d'une supériorité que je suis la première à proclamer, mais de laquelle j'aurais voulu le voir moins sûr lui-même, et dont la conscience évidente qu'il en avait ne laissait pas, parfois, d'être assez agaçante: --Ah! ah! raillait-il, Madame fait son article?... Et dans quel journal paraîtra-t-il, cet article?... Un article! Un article!... Il y a des gens qui, lorsqu'ils prononcent ce mot-là, semblent en avoir plein la bouche. Comme si un article était une chose si difficile et si importante! J'en ferais, moi, des articles, si on voulait. Ce ne sont pas les idées qui me manquent... Sans doute, il y a l'orthographe: mais, comme dit René Bazin, les typos et les correcteurs sont là pour la mettre! Quant au style... Est-ce que M. Henry Bordeaux en a? Alors... Mais je m'égare et j'en reviens à mon bon Maître que, disais-je, je m'amusais parfois à taquiner. La chose était facile: il me suffisait lorsque je le voulais, de faire allusion à ses origines auvergnates... Et si je touche incidemment à ce sujet, ce n'est point par goût pour les digressions, mais dans le but, au contraire, de fixer définitivement un point important. Certain jour qu'il était d'assez méchante humeur--à cause d'un de ces sacrés homards qui ne voulait pas passer--il m'avait dit: --Petite, tu raisonnes comme une Auvergnate! Moi qui suis d'Aigues-Mortes, m'entendre appeler dérisoirement «Auvergnate» par quelqu'un dont le père est de Saint-Flour, cela me parut intolérable! Je répliquai donc hargneusement: --Auvergnate? C'est bien mieux vous... A peine avais-je proféré cette insolence que je la regrettai. Je vis une flamme passer dans son regard: --Petite, me dit-il sur un ton de fraternel mais ferme reproche, je vais t'expliquer... Il se peut que ma famille soit Auvergnate. Et même, puisque René Gillouin l'a dit, je veux bien l'admettre... Mais moi, je suis Lorrain... comme un autre, par exemple, serait militaire. --Par profession? --Non, petite, par vocation!... Je suis «devenu» Lorrain, comprends-tu? J'ai connu un homme que ses malheurs avaient rendu Polonais. De même, suis-je devenu, moi, Lorrain par ma volonté et mes efforts soutenus. Et plus j'ai eu de mal à acquérir cette qualité, moins on a de raison de me la contester... --Mais... à ce compte, vous eussiez pu aussi bien devenir Breton... --Il y avait déjà Botrel... --Je n'y pensais pas... --Il y a des déracinés... Moi, je suis, si tu veux bien, un «enraciné»... --Oui... Mais quand vous dites: «Mes pères» s'agit-il de vos pères auvergnats ou des autres?... --Tiens, va-t'en, tu es trop bête!... me dit-il. Il était vexé, et je crus voir s'élever entre nous le nuage noir d'un dissentiment auquel ma folle imagination donna aussitôt forme d'un bougnat marchand de marrons... Depuis, je me suis cent fois remémoré cet entretien, et j'ai connu combien j'avais été sotte et combien Maurice avait été profond. J'ai cru devoir le relater ici, bien qu'il remonte à près de quinze ans, par esprit de contrition d'abord, et surtout pour fixer définitivement ce point si opiniâtrement controversé par la malignité contemporaine: Oui, Marrès est Lorrain, et il le sait mieux que personne, puisque c'est lui-même qui s'est choisi cette carrière. CHAPITRE IV D'UN NOM JETÉ DANS LA CONVERSATION Attention! m'écriai-je, car il me semble que je vais avoir une idée!... _Un Homme vibre._ Ch. I. A peine en étions-nous aux hors-d'œuvre que je commis l'impertinence d'employer des termes abstraits. _Le Parterre de Bérénice._ Ch. VIII. Ce n'est pas pour évoquer des souvenirs anciens que j'ai ouvert ce cahier. Ce que je veux brièvement relater, ce sont les points importants de nos entretiens pendant la guerre. Ce que je désire c'est parcourir à nouveau, en compagnie de mes lecteurs, les allées exquisement fleuries du jardin délicieux de mon grand ami. Dès la seconde visite que je fis à mon Maître, nous nous retrouvâmes sur le pied de la chère intimité d'autrefois. Il ne se penchait plus sur mon âme, mais me permettait de m'incliner vers la sienne. Et c'était très bon et très réconfortant. Par ce qui suit, on jugera de la familiarité charmante qui s'était établie entre nous. Un matin, comme j'arrivai chez lui, je me permis de dire un peu étourdiment: --Devinez, cher Maître, comment on vous appelle dans une feuille que je lisais tout à l'heure en métro?... Je me hâte de vous dire que c'est stupide.... --Alors, comment veux-tu que je devine?... --En effet, vous ne pouvez pas... Mais je ne sais si j'ose... --Dis toujours. --Eh bien, on vous appelle «Guère-à-la-Guerre». C'est idiot? --Mais non... Cela prouve que ces gens-là ne comprennent pas mon rôle. Voilà tout. Il répéta en secouant la tête: --Ils ne comprennent pas mon rôle. D'un geste énergique il releva la mèche noire qui ombrage son front. Malgré moi je songeai à l'ironie tout accidentelle de ces mots: «la mèche sur le front» appliqués au cas particulier. Involontairement je dus avoir un sourire, car mon bon Maître me rudoya quelque peu: --Ah! ah!... tu ris? Comme les autres?... Petite dinde, va!... Très évidemment il se méprenait. Mais le moyen de lui expliquer que si j'avais souri ce n'était point de l'évocation qu'il avait faite de son rôle, et que seule «la mèche sur le front» en était cause? Il reprit: --On se trompe sur moi dans les deux sens, et on colporte à mon sujet des balivernes qui me font le plus grand tort. J'ai à me défendre de certains de mes amis autant que de mes ennemis. Un de ces journalistes qui, selon la forte expression de Mürger, voudraient «se fourrer dans mes poches pour arriver en même temps que moi au débarcadère de la renommée» et qui ne reculent devant aucune flatterie, un de ces journalistes a imprimé ceci: «Nous ne nions pas l'intervention de sainte Geneviève dans la défense de Paris, mais qui donc affirmerait que sans Marrès la victoire de la Marne eût été possible?» --Mais, c'est la vérité! m'écriai-je. Sans vous... Je vis que cette explosion de ma sincérité lui faisait plaisir. Il me remercia d'un geste de la main, et modestement: --Mieux que personne je sais quelle est ma part dans le triomphe de la Marne, mais _il ne faut pas le dire_... Je veux que mon rôle soit compris de tous en étant à lui-même sa propre explication!... Puis, répondant à sa pensée intérieure, il reprit: --Parbleu, tout comme un autre, j'aurais rêvé, moi aussi, de m'élancer à l'assaut, à la tête de mes braves alpins... --Ah! fis-je. Ç'aurait été des alpins?... --Des alpins ou des chasseurs... De m'élancer à l'assaut, disais-je, à la tête de mes poilus... Mais, j'ai su comprendre les nécessités supérieures. Tu n'es pas sans avoir entendu parler de l'utilisation rationnelle de toutes les forces de la nation... C'est ce que les Anglais expriment par: «The right man in the...» --Sans doute, mais si de Mun avait vécu?... Mon bon Maître leva les bras au ciel comme pour le prendre à témoin de ma bêtise. Puis il ajouta (sans répondre cependant à ma question): --Je t'aurais fait lire mon article de demain si tu étais venue plus tôt... --J'ai été retardée par ma blanchisseuse. Et puis je n'ai trouvé qu'un méchant fiacre..., un cheval impossible... et un Collignon... J'eus la perception très nette que ce nom de Collignon sonnait désagréablement à l'oreille de mon Maître. Il déteste les frivolités, et j'ai trop souvent le tort de me laisser entraîner à parler mon argot de jadis. Et bien sûr que «Collignon» n'est pas un mot à employer dans un milieu académique. Toutefois cette incorrection légère ne méritait pas certainement le coup d'œil dont Marrès me foudroya. Car aucun doute n'était possible: sans le vouloir j'avais offensé mon Maître! il ne dissimula pas: --J'ai à travailler. Va-t'en... Il n'y avait qu'à obéir, et je m'en fus. Dans le métro, il y avait un amour de petit sous-officier blond qui, je crois, essaya de me faire du pied, mais j'y fis à peine attention, obsédée que j'étais par cette angoissante question: pourquoi ce nom de Collignon a-t-il si fort indisposé mon Maître? Plus tard, en réponse à une question timide que je fis, on m'apprit qu'une des plus belles figures qui aient traversé l'histoire de cette guerre répondait précisément à ce nom: il s'agit d'un homme de haute situation mondaine et de fortune qui, à cinquante-huit ans, s'était engagé volontairement et avait trouvé la mort glorieuse après quelques mois de campagne... Comme on le pense, cet éclaircissement ne dissipa point mon trouble, et aujourd'hui encore je ne m'explique pas l'attitude singulière de mon Maître. Marrès s'est-il trompé sur mon intention? Je l'ignore, et, sans doute, ne se souvient-il plus de l'incident dont il sourira avec son indulgence coutumière à mon endroit. CHAPITRE V UNE STATION DE PSYCHOPHYSIOLOGIE Simon s'écarta un moment derrière une haie et je fus horriblement jaloux de lui: car tous nos laxatifs demeuraient impuissants. _Un Homme vibre._ Ch. 1. Il faut relire la phrase qu'avec un pieux respect j'ai épinglée comme épigraphe à ce bref chapitre. D'abord, c'est un modèle d'euphémisme, qui montre qu'on peut dire les choses les plus délicates à condition de vouloir bien se donner la peine de choisir ses termes. Ensuite, elle est comme une lumière volontairement projetée par mon Maître sur son œuvre! Tout le monde se souvient de cet admirable premier chapitre de _Un homme vibre_ de quoi elle est extraite: l'auteur expose que son ami Simon et lui sont allés passer ensemble les mois d'été à Jersey; ils mangent de ces homards qu'ils trouvent «de digestion si lente» et ils absorbent force thé pour combattre l'âpre dyspepsie. Il semblerait que cette situation soit entachée de mesquine vulgarité? Elle a, au contraire, une ampleur philosophique admirable! Elle résume et synthétise en effet de façon saisissante la dépendance étroite en laquelle peuvent être la psychologie et la physiologie d'un individu donné. Les «digestions difficiles» de Marrès et de son ami Simon au bord de l'Océan ne sont point un symbole: elles sont une réalité de fait dont il importe de tirer l'enseignement. Le homard est échauffant, c'est connu... Aussi quelle joie lorsque Simon, premier libéré des suites du déjeuner, trouve en lui-même un motif suffisant de s'éloigner derrière une haie. Son ami alors le félicite _en l'enviant_. Mesure-t-on la délicatesse apportée par notre auteur en--dirais-je--la matière? D'autres eussent fait de maladroites allusions à de prosaïques Janos (d'ailleurs boches) ou à des Jubol réclamiers. Mais c'eût été d'une trivialité inconciliable avec la noblesse du sujet. Le grand mérite d'une phrase semblable émanant d'un penseur comme lui, c'est de souligner ainsi qu'il sied l'importance des fonctions digestives dans la vie sociale. La révolution anglaise, on le sait, est moins due aux calculs ambitieux de Cromwell qu'à ceux qui tourmentaient sa vessie. Supposez Napoléon dyspeptique: du même coup vous supprimez la campagne d'Italie et il n'y a plus de 18 brumaire! Rousseau, que mon bon Maître aimait tant avant d'avoir reconnu qu'il était plus expédient de le détester, était gastralgique, c'est certain: et c'est l'explication des _Promenades d'un Solitaire_ et des _Lettres de la Montagne_ d'un individualisme si agressif. De même, _Un Homme vibre_ et _Sous l'œil des Tartares_ n'existent, si je puis dire, qu'en fonction opposée au bicarbonate de soude et aux lithinés Gustin. Une meilleure digestion ou une pharmacopée fâcheusement opérante eussent pu nous priver de ces œuvres étonnantes. Lorsque Marrès dit: «Mon esprit», cela signifie aussi: mon suc gastrique. Le Foie, l'Espérance et la Charité sont les trois fondements vrais de l'intellectualisme supérieur et intégral! Quand donc, Marrès voyant Simon s'écarter derrière une haie, avoue qu'il l'_envie_, ce n'est pas seulement l'expression d'un état physiologique: c'est en même temps une aspiration éperdue vers l'idéal. Voilà ce dont il faut se pénétrer pour bien entendre l'œuvre marrésienne. Quand mon Maître écrit: «Tant il est difficultueux de tromper la malignité des digestions...»; et quand il dit: «Et la viande, surtout, me faisait horreur», soyez assuré que ce ne sont point là des détails destinés par vanité à de futurs biographes, mais que ces phrases constituent une nécessaire introduction à l'étude de son œuvre propre. Il n'est pas jusqu'à cette admirable remarque: «D'ailleurs, nos néo-catholiques ne sont que des esprits vagues auxquels il ne convient pas de prêter plus d'importance qu'à la tasse de thé où ils se noieront» qui ne soit le reflet et la conséquence de l'état physiologique spécial de mon ami, dans lequel toute notion se lie à une situation gastrologique donnée ou au geste qui peut la déterminer. ... Au milieu de la route qu'ils veulent bien parcourir avec moi, j'ai pensé devoir proposer à mes lecteurs cette «station» psychophysiologique que je me suis imposée à moi-même--comme une sorte de repos nécessaire avant la marche et de coup d'œil jeté sur la carte avant de poursuivre l'inspection. Si donc, faisant allusion à son attitude militaire, ses détracteurs habituels expriment volontiers cette idée que «Marrès manque d'estomac», il faut leur répondre qu'ils ont raison plus même qu'ils ne le croient, et que c'est précisément l'explication de ce qu'ils s'inquiètent obscurément de ne pas comprendre. CHAPITRE VI D'UNE CONVERSATION DONT LES BATONS POURRONT PARAITRE, MAIS A TORT, SINGULIÈREMENT ROMPUS. Je M'aime trop pour manquer une occasion de M'être agréable. _Le Parterre de Bérénice._ Ch. VII. --J'aurais pu, moi aussi, tirer l'épée, me dit un jour le Maître, en prévenant une question qu'il sentait sur mes lèvres, mais qui donc eût tenu ma plume? Je n'entends pas revenir sur une discussion vingt fois rouverte... --Ce qui veut dire qu'elle n'est jamais close? --Tes interruptions, Bérénice, sont celles d'une oie... --D'une... --Ne te fâche pas, petite: j'entends par là qu'elles sont oiseuses... Je te disais donc que, m'appliquant à moi-même une sorte de loi Dalbiez morale et purement volontaire, j'aurais pu, pour mettre mes actes en concordance avec mes écrits, tirer moi aussi l'épée... et devenir ainsi une sorte de La Tour... --D'Auvergne? --Encore ton Auvergne?... Une sorte de La Tour de Lorraine! Mais la condition première pour une notoriété de ce genre est d'être mort: or, je te le demande, petite, pouvais-je, sans trahir, m'exposer à pareille extrémité? Je ne m'appartiens pas!... Tu sais qu'on a joué _Bolette Caudoche_ au Français... --Ah! oui... la reprise des affaires... --Ça marche très bien, et nous n'arrêterons qu'en plein succès... pour reprendre en automne. Je t'inviterai au souper de douzième... Eh bien, ne penses-tu pas que _Bolette_ représentée dans chaque ville de France par des troupes fraîches et bien exercées... je veux dire par des tournées de passage, ne soit de nature à entretenir dans le pays ce qu'on appelle si justement le cœur au ventre? --Évidemment... --Eh bien, petite, comprends ce que je vais te dire: _Je suis l'homme que m'a fait mon succès_ et je suis prisonnier de ce succès. Si je m'avisais d'être autre que ce qu'on veut que je sois, on ne me reconnaîtrait plus. C'est en cela que j'avais raison de te dire que je ne m'appartiens pas... L'engagement que j'ai contracté pour la durée de la guerre... --Non? interrompis-je. Pas de blagues?... --... L'engagement que j'ai contracté à l'égard de moi-même est formel et péremptoire... Écoute, Bérénice, je suis allé l'autre jour à l'Académie, tout seul... tout seul... C'est là que j'ai composé la «_Prière sous la Coupole_»... --Je croyais qu'elle était de Renan?... --Bérénice, si tu te moques, je ne t'aimerai plus... C'est là que j'ai composé la «_Prière sous la Coupole_» et je vais te la lire... Et je murmurai: --_Prière que je fis sous la coupole quand je fus arrivé..._ A la vérité, je n'avais aucun mérite à faire cette citation parodique. C'est par Marrès lui-même que je connaissais ce titre célèbre et je confesse que--comme tant de gens!--j'avais trop entendu parler de la _Prière sur l'Acropole_ pour songer à la lire jamais. Mais mon Maître, dont la bienveillance pour moi était écrasante, interpréta ma parole comme la manifestation du désir de ne pas entendre sa lecture. --Je n'insisterai pas, me dit-il en dissimulant la peine que je venais peut-être de lui causer. Mais avant que tu ne me quittes aujourd'hui, et pour clore cet entretien, je veux protester devant toi contre cette sorte de déconsidération dont certains pamphlétaires, d'ailleurs méprisables, tentent de frapper ceux qui luttent comme moi sur ce que j'appellerai le _front intérieur_... J'étais redevenue fort attentive. Et il poursuivit, comme s'approuvant lui-même: --Oui, c'est bien cela: le front intérieur... dont l'_Écho de Bordeaux_ m'a constitué en quelque sorte le généralissime. Penses-tu, Bérénice, que ce soit une mince affaire que de tenir en haleine nos troupes civiles et de les ravitailler moralement? Ignore-t-on que chaque jour Basson, Pichepin et d'autres poilus... --De quel régiment? --De ma compagnie... L'Académie, tu devrais le savoir, est une Compagnie... Chaque jour, dis-je, nous tenons de véritables conseils de guerre... Nous préparons, si je puis dire, les possibilités intellectuelles de la victoire. A l'extérieur comme à l'intérieur. Qu'aurait fait, veux-tu me le dire, qu'aurait fait M. Delcassé dans les Balkans si nous ne l'avions entouré de nos conseils et constamment soutenu de notre approbation? --Je me le demande... --C'est un grand tourment, Bérénice, que la recherche de la vérité... Non pas de la simple vérité matérielle, mais de la vérité utile au peuple que nous avons mission de diriger. Lorsque le _Matin_ annonça que les Russes n'étaient plus qu'à cinq étapes de Berlin--ce dont on le blâma beaucoup dans la suite--j'estime qu'il formulait là une idée très soutenable, nécessaire, indépendamment du fait même qui pouvait être controuvé. Il n'y a pas que la vérité tangible: il y a la vérité essentielle. Lorsque j'étais boulangiste... --Hélas! --Pourquoi ce stupide: hélas?... Je n'en rougis point... Et d'ailleurs c'était sous le pontificat de Léon XIII... Lorsque j'étais boulangiste et que, pour mieux entrer au Parlement, je me présentais comme antiparlementaire aux électeurs de Lunéville, je caressais déjà le projet de forger une âme à la nation... Tu entends, Bérénice?... De forger une âme à la nation. Et si j'ai changé d'enclume... Tu m'écoutes, Bérénice?... Oui, j'écoutais... J'écoutais même avec avidité. Seulement, on ne se refait pas, et mes amis connaissent bien cette manie que j'ai de fredonner, même dans les cas les plus sérieux, et en raison même, pourrais-je dire, de l'attention que je porte aux choses... Aussi est-ce sans la moindre intention ironique, et comme mécaniquement, du fait d'une association d'idées légitime autant qu'involontaire, qu'entendant Marrès évoquer ce rôle magnifique de forgeron de vérités sur une enclume nouvelle, je m'étais mise, cédant à mon démon familier, à sifflotter entre mes dents: C'est pour la paix que mon marteau travaille... Marrès eut un sursaut. Et j'en eus un autre lorsque je me rendis compte de l'impair que je venais de commettre. Il y eut un petit silence angoissant, puis mon Maître, me regardant dans le blanc des yeux, prononça en se citant lui-même: --«La vulgarité ne m'atteint pas, car je couvre le scandaleux murmure qui monte des autres vers moi par des airs variés, que mon âme me fournit à volonté». Nous nous quittâmes alors sur un mot bref. CHAPITRE VII DES PLUS BELLES FLEURS QU'IL ME FUT DONNÉ DE CUEILLIR Lorsqu'un homme excelle dans l'art de penser à quoi servirait-il en voulant se mêler d'agir? _Tout amour sauf contre la licence._ 2. Quelque dédain qu'il affectât de l'opinion d'autrui, je vis bien que le désir subsistait en Maurice de s'expliquer sur les divers points où s'était si brutalement déconcertée ma logique trop terre-à-terre de petite femme ignorante: --Aux heures tragiques que nous vivons, me disais-je, il n'y a que deux attitudes possibles: se battre--ou admirer! Mais qui donc accepterait de sembler admettre à son profit une définition de ce genre: «La guerre, c'est la mort des autres.»? Bien vite pourtant je m'étais rendu compte de ma sottise. Et gagnée tout entière à sa philosophie qu'avant même de l'avoir comprise et malgré l'apparence je sentais bien être une philosophie _de sacrifice_, j'étais heureuse de lui fournir occasion d'en disserter avec cet abandon généreux qu'il me témoigna toujours et dont je suis si légitimement fière. Avec prévenance, je provoquais ses réponses énergiques et péremptoires, et le spectacle du merveilleux parterre intellectuel aux allées rectilignes, bordées des fleurs précieuses de son esprit, effaçait peu à peu dans mon cœur le souvenir charmant et endolori de mon pauvre jardinet d'Aigues-Mortes... Croyant aller au-devant d'une réponse qu'il désirait me faire, je posai un matin à mon Maître une question: --Étiez-vous, lui demandai-je, étiez-vous de ceux qui, aux heures troubles où von Kluck menaça Paris, délaissèrent la capitale et s'enfuirent à Bordeaux? --De ceux, répéta-t-il en corrigeant légèrement un des termes que je venais d'employer, de ceux qui s'en furent à Bordeaux?... Non, je n'en étais pas... --Ah!... c'est bien, cela! C'est très bien... J'en étais sûre.... --Je n'en étais pas parce que... j'étais parti avant eux... Je dus montrer à Maurice une mine fort désappointée, car aussitôt il me prit le menton: --Attends, dit-il. Ne te hâte point... En détachant chaque mot, en parlant, je le compris bien, beaucoup moins pour moi-même que pour ceux auxquels je pouvais être appelée à rapporter ses paroles, il déclara: --J'ai quitté Paris parce qu'il fallait qu'à ce moment l'exemple fût donné. Ne pas m'y résoudre eût été infliger au gouvernement une sorte de désaveu qui ne pouvait pas être dans mon intention et que l'union sacrée m'interdisait. De tous ceux qui furent pendant quelques mois Bordelais, j'étais un des chefs reconnus; il fallait donc que je les précédasse, à la manière d'un officier d'intendance intellectuelle... C'est donc de façon raisonnée, volontaire que je pris part à ce mouvement stratégique nécessaire. Je le raconterai d'ailleurs quelque jour dans son détail. --Ce sera une belle page à ajouter à la série des «Romans de l'Énergie nationale». --Ou plutôt au «Culte du Moi»... Car, encore qu'il y puisse paraître, je n'ai rien renié de ce que j'écrivais jadis. Comment, de l'exacerbation des sentiments personnels, peut naître l'esprit de dévouement et de sacrifice, et comment de ce qui fut un bréviaire d'égotisme on peut tirer (pour autrui) des leçons de patriotisme, tu le comprendras plus tard, Bérénice: car on écrira, je l'espère, des articles et des livres pour fixer ce point... --Pourquoi ne les écririez-vous pas vous-même? --Parce qu'assurément, et quoi que tu en penses, je le ferais moins bien que d'autres le pourront faire. Je t'ai montré déjà que les hommes comme moi doivent être avant tout les champions des idées qu'on découvre en leur œuvre. De malveillants imbéciles pourront extraire de mes livres vingt textes, cent textes contraires à mon attitude présente et les placer en épigraphes à je ne sais quelles libelles; qu'est-ce que cela prouverait contre l'idée que j'incarne aujourd'hui? Mon ami Simon... --De l'_Echo de Bordeaux?_ --Mais non!... Mon ami Simon qui nous invita à dîner (souviens-toi...) aux Champs Élysées... J'ai conté dans le _Parterre_ comment, exaspéré par les raisonnements qu'il tenait certain soir, je commis l'inconvenance de m'exprimer dès le potage en termes abstraits... --Eh bien? --Eh bien, mon ami Simon, qui s'y montrait rétif, a fini par fort bien comprendre l'indépendance nécessaire de l'acte et du propos... --Il est à la guerre? --Non!... D'ailleurs, que ferait Simon aux tranchées? Tel que je le connais, il serait mort au bout de trois mois... --On peut toujours se faire tuer au bout du premier? --Ah! Bérénice, voilà une belle parole! Tu ne t'en rends peut-être pas compte toi-même, mais c'est une belle, une noble parole! Et combien elle est vraie! Comme elle résume tout le patriotisme agissant qui doit être le nôtre. Il faudra... --Quoi donc? Vous engager?... --Il faudra... que je la mette dans un de mes prochains articles... --Ah! ça c'est gentil!... --Voyez-vous la petite vaniteuse! Comme elle est prompte à s'enorgueillir!... Mais tout doux, Bérénice. Cette parole qui est parfaite au point de vue relatif et que je ne saurais trop exalter comme précepte militaire, ne peut pas être prise comme règle générale et ne vaut rien appliquée à ce que j'appelle le régime de l'intérieur. Philosophiquement et matériellement, le trépas des héros ne prend sa signification que par rapport à ceux qui subsistent. La formule: «Je meurs pour ma patrie» n'existe qu'en fonction de cette autre: «Je demeure pour mon pays.» Ainsi s'explique et prend son sens supérieur la division des citoyens en combattants et non-combattants... --Évidemment. Le tout est d'être du bon côté? --Je n'ai pas dit cela... Mais bien certainement si tous les Lacédémoniens étaient morts aux Thermopyles, ils eussent ainsi causé le plus grave tort à la mémoire de Léonidas dont le sacrifice devenait, dès lors, inutile. De même pour notre d'Assas. Lorsqu'il jeta son cri sublime: «A moi, Lorraine!», il... --Pardon! Ne fût-ce pas: «A moi, Auvergne»? Il me semblait qu'à l'école... Maurice parut frappé de ma remarque. Il hésita un instant, jeta un coup d'œil à son propre portrait accroché au fond de la pièce, et comme s'il y eût puisé l'inspiration et l'approbation de son propos, il répliqua délicieusement: --Autrefois, peut-être... Mais _plus maintenant_!... Tel était le ton général, tour à tour sévère ou plaisant, grave ou familier, de nos entretiens. Je m'excuse de rapporter, avec une exactitude qui peut paraître immodeste, mes paroles propres et mes observations, mais l'ombre n'est-elle pas nécessaire à la lumière qui doit triompher d'elle? On remarquera que toujours, sous une forme ou sous une autre, revenait entre nous la question de l'apparente contradiction entre les actes de Marrès et ses paroles écrites. Et on voit avec quelle facilité péremptoire il triomphait des objections que, le plus souvent par complaisance et pour lui donner occasion de les réfuter, je prenais la liberté de lui opposer. CHAPITRE VIII DE QUELQUES REMARQUES SUR LE STYLE ET LA QUESTION D'ARGENT Chercher une position sociale?... Bon pour tous nos «Jérôme Paturot» cela!. Préface d'_Un Homme vibre_. Je n'avais pas vu Maurice depuis plus de trois semaines, lorsqu'un matin j'eus la joyeuse surprise de recevoir sa visite. Il me parut en santé parfaite. --J'ai été au front... me dit-il. J'eus envie de m'écrier: «Ah! je le savais bien!...» Mais l'expérience m'avait rendue circonspecte. Et je vis que j'avais bien fait de me contraindre, car il ajouta: --Oui... Avec un conseiller d'État de mes amis, en automobile... Notre excursion a été très réussie. On m'a photographié pour l'_Illustration_... Il y avait des croix sur le côté... ça fera très bien... Ensuite nous avons eu un déjeuner très chic avec le général. Nous avons bu à la victoire et j'ai prononcé un discours... Tout cela était très triste, mais je crois que les photographies seront bonnes... Il y en aura aussi pour les _Annales_ et pour _Je sais tout_... Mais je viens te chercher pour déjeuner. Que faisais-tu? Ma parole, tu écrivais?... Il se pencha sur la page commencée et lut cette phrase écrite de ma main: «Soldats, nous montrerons aux gens simples, la stupidité de la plupart d'entre vous...» --Qu'est-ce que ces sottises? tonna-t-il. Où as-tu trouvé cela? J'étais abasourdie, et c'est en tremblant que je répondis: --Mais... c'est... dans votre livre... _Sous l'Œil des Tartares_... dans la préface de l'édition de 1911... Alors j'ai pensé... Je vis bien qu'il ne me croyait pas, et je crus devoir préciser: --Oui, oui, c'est dans les _Tartares_... D'ailleurs tenez... Je ne fis qu'un bond à ma bibliothèque--ma bibliothèque si petite et si pauvre, mais si grande et si riche, puisqu'elle contient tous les «Marrès», y compris les brochures. Je saisis _Sous l'Œil des Tartares_ et le lui apportai triomphante: --Là... voyez... page 37... dans le préambule... intitulé «Examen». Et je relus: «La stupidité de la plupart d'entre vous...» Ah! vous ne mettez pas de mitaines pour parler aux soldats et aux magistrats, aux moralistes et aux éducateurs!... Et cette phrase qui suit immédiatement: «Ne vous flattez pas que nous prenions au sérieux ces fameux devoirs dont vous parlez, et ces sentiments qui ne vous ont jamais rien coûté...» J'avais lu tout d'un trait et j'étais tout essoufflée. Je remarquai néanmoins: --Comme vous avez raison!... Jamais il ne faut manquer au devoir de dénoncer les hypocrites!... Marrès ne répondit pas. Avec ces gestes un peu «en dedans» qui lui sont particuliers et que j'aime tant, il avait pris le volume--son volume--et, avec une modestie et un détachement rares, il vérifiait la date d'impression, 1911, tout comme s'il n'eût pas été l'auteur. Il relut aussi les deux phrases, et parut plongé dans un abîme de réflexions. Un instant je craignis qu'il n'eût l'idée que j'avais noté plus spécialement ce passage dans une intention ironique ou de contradiction. Or, si je m'amuse parfois à le «mener en bateau» (comme il dit plaisamment), je ne redoute rien tant que de faire de la peine à mon Maître. Je fus donc toute contente lorsque, sa méditation terminée, Maurice releva la tête et, suivant son propos intérieur, me dit: --Elles seront très bien, tu verras... --Qui donc? --Les photos... pour le _Journal Illustré_ et pour le _Miroir_... Il y en a une avec l'évêque à côté de moi, le champ de bataille derrière... Je pense que ce sera très impressionnant... Après un petit silence il ajouta: --Tu penses bien que, personnellement, je n'en ai pas souci... Mais c'est très important pour la propagande de nos idées. Le peuple est ainsi fait, je n'y puis rien... Et maintenant, allons déjeuner... Ce fut véritablement exquis, et dussé-je parvenir à l'âge de Mme Gyp elle-même, je crois que je me souviendrai toujours de ce délicieux repas. Je dis délicieux, non point certes à cause du menu, mais en raison des choses rares qu'il me fut donné d'entendre--et de cette intimité renaissante dont le charme pénétrant me reportait à tant d'années en arrière. Marrès mange du bout des dents, et prudemment. Chez lui, ce sont les incisives qui fonctionnent. Il doit, je pense, se méfier de ses molaires. Mais parce que sa mastication est lente et qu'il a petit appétit, il cause volontiers--et il est étincelant. Ce jour-là il fut particulièrement en verve. A propos d'un conte de Mme Lucie-Delarue-Mardrus paru le matin même dans un journal, il eut des mots qui furent pour moi le régal le plus délicat. Je ne me souviens ni de l'alose grillée, ni de la selle d'agneau, ni des pointes d'asperges Lucullus, ni surtout des pêches Melba auxquelles je fis honneur en face de mon Maître, mais je me souviens de ses remarques finement épicées que je dégustai avec un plaisir inexprimable. Je pourrais les redire ici, mais je ne veux point être accusée de malveillance et préfère relater un incident amusant dont fut marquée notre causerie. Laissant là Mme Delarue-Mardrus, nous en étions venus, en opposant tout naturellement les contraires, à parler du bon style: --Ce qu'on ne sait pas comprendre, me dit-il, c'est que la première correction du style français réside dans la clarté. La grammaire ne vient qu'après. Ainsi, les bulletins de Cherfils dans l'_Echo de Bordeaux_... Quantité de gens en font des gorges chaudes et l'appellent l'Alphonse Allais de la critique militaire... Je n'irai pas jusqu'à dire que ce sont de mauvais Français, mais je puis affirmer et j'affirme qu'ils n'y entendent rien! Patience d'ailleurs... Cherfils sera de l'Académie, et le jour de sa réception je t'assure que les rieurs ne riront pas... Mais j'en reviens à ce que je disais: la clarté, c'est la politesse de l'auteur envers ses lecteurs. Tiens, je vais te donner un exemple... As-tu un journal, un volume sous la main?... --Je... je n'ai que ceci, répondis-je en rougissant. Et de mon réticule je sortis un livre élégamment relié que je lui tendis. C'était _Sous l'Œil des Tartares_. Il vit bien que ce n'était nullement préparé et j'eus l'impression qu'il était au fond très flatté, bien qu'il n'en laissât rien paraître. --Tentons quand même l'expérience, dit-il avec modestie. Ouvre ce livre au hasard et lis-moi la première phrase que tes yeux rencontreront. Je fis ce qui m'était ordonné. Mon index plongea entre les feuillets et le volume s'ouvrit à la page 110. Aussitôt, je lus: «_Le soleil chassait les longueurs de l'horizon quand le jeune homme releva son front rafraîchi par l'ombre du temple et le frisson des hymnes._ _Ces éternelles sacrifiées, les mères et les amoureuses, et les blêmes enfants un peu morts, de qui les pères escomptèrent la vie pour animer une formule, toutes les victimes des égoïsmes supérieurs, transverbérées de ces flèches qui sont les pensées des sages, gisaient sur les parvis du lieu que nous rêvons..._» Pendant que je lisais, Maurice avait eu un petit tressaillement d'impatience. Mais quand j'eus terminé la phrase il frappa la table d'un coup sec et s'écria: --Pas possible! tu te fous de moi?... --Oh! Maître... Jamais Maurice n'avait usé d'un semblable langage avec moi! J'étais tout à fait interloquée, car c'était, sous une autre forme, l'aventure du matin qui recommençait. Il semblait que je prisse un malin plaisir à embrouiller mon Maître de citations chicanières! Pendant que je m'efforçais de me remettre il avait pris le livre et relu la phrase. Il s'appuya le front dans les mains et, le regard fixé sur les lignes d'imprimerie, je l'entendis murmurer: --Nom de D..., qu'est-ce que j'ai bien pu vouloir dire? Il leva les yeux sur moi, puis: --Et toi, Bérénice, sais-tu ce que cette phrase signifie? Je compris qu'il était inutile de ruser et, avec la hardiesse de l'innocence, je répondis: --Non, Maître, je ne le sais pas... J'ai toujours pensé qu'elle était au-dessus de moi... --Il se peut, ajouta-t-il avec bienveillance. Après un court silence il reprit: --Tout de même, j'aurais bien aimé savoir ce que j'ai voulu dire. Et il relut à haute voix: «_... Les mères et les amoureuses et les blêmes enfants un peu morts..._ Il s'interrompit pour remarquer: --Qu'est-ce que ça peut bien être que des enfants _un peu morts_?... --Ah! dame, moi... Il poursuivit... _... Et les blêmes enfants un peu morts de qui les pères escomptèrent la vie pour animer une formule, toutes les victimes des égoïsmes supérieurs, transverbérées..._ --Qu'est-ce que tu penses de ça, Bérénice? --Mon Dieu... vous savez... certainement... c'est admirable... --Sans doute, sans doute... Mais tu as là, ma petite, un moyen excellent d'éprouver ce que vaut à l'ordinaire le jugement du commun... _Sous l'Œil des Tartares_ a eu, tu le sais, des milliers de lecteurs. Aucun d'eux n'a fait remarquer que cette phrase ne signifie rien pour la raison bien simple que _tous l'ont comprise..._ --Ils en ont, une santé!... --Comment dis-tu? --Je veux dire... qu'ils sont plus malins que moi... --Non, Bérénice, non. Mais leur confiance en moi est assez grande pour qu'ils aient cru que cette phrase signifiait précisément _ce qu'ils désiraient qu'elle signifiât_. Tu trouveras dix critiques nationalistes pour te l'expliquer... J'irai même jusqu'à te confier ceci... je suis convaincu qu'elle signifie quelque chose! J'ai beau m'être moqué du monde... --Ah?... --Autrefois, autrefois... Maintenant, c'est devenu sérieux... J'ai beau, dis-je, m'être moqué du monde autrefois, je n'ai jamais été jusqu'à écrire _volontairement_ des non-sens... Et cette petite expérience littéraire illustre encore, et de façon très nette, ce que je t'ai dit sur moi-même et sur mon rôle... à savoir qu'il me faut être obligatoirement l'homme que mes disciples m'ont fait! Et c'est pour cela que je ne m'appartiens plus... Combien, pourtant, j'aimerais mieux, ô Bérénice, garder d'autres oies dans quelque coin paisible de ma Lorraine natale... --Oh! Maître!... des oies!... --Tu serais avec moi, Bérénice! Nous les garderions ensemble... Et tu verrais à quel point l'oie et le canard sont des animaux philosophiques. --Oui, oui, je me souviens: «Canards, mystères dédaignés...» comme vous avez dit adorablement dans le _Parterre_, dans mon cher _Parterre_... Maurice est évidemment au-dessus de certaines vanités... Mais il aime fort que je le cite incidemment au cours de nos entretiens. Lorsque je me donne ce plaisir, il y ajoute encore en me remerciant d'un petit clignement d'yeux approbateur. Je me souviens de la joie que je lui procurai certain jour lorsque, faisant allusion au retentissant et admirable discours à la Chambre dans lequel il avait appelé J.-J. Rousseau un «étonnant musicien», je m'étais écriée: --Rousseau? Peuh!... A peine un joueur d'orgue!... Marrès avait été si content et si flatté de cette citation discipulaire (c'est lui-même qui la qualifia ainsi) qu'il m'embrassa devant tout le monde! ... Cette fin de déjeuner eût été sans l'ombre d'un nuage si, avec une hardiesse dont j'eus un instant à me repentir, je n'avais effleuré une question que certes il eût mieux valu que je laissasse dans l'ombre. Une allusion aux quarante-cinq francs d'allocation mensuelle que l'on sert à une vieille femme de mon quartier dont trois fils sur quatre ont été tués m'amena à parler de la question d'argent: --Tout le monde ne peut pas être à la guerre, c'est bien évident, avais-je dit. Mais, mon cher Maître, ne trouvez-vous pas tout à fait injuste que ceux-là mêmes qui jouissent déjà du privilège de n'y pas être augmentent encore leurs profits de son fait? De sorte que cette calamité nationale devient au contraire pour eux une source d'avantages? J'avais posé cette question en toute innocence et sans penser, ma foi, à _Bolette Caudoche_ qu'on jouait à la Comédie-Française et que des tournées allaient emmener fructueusement dans les départements et à l'étranger. Maurice y vit cependant une allusion qui n'était pas dans mon esprit. --Je te devine, me dit-il. Tu additionnes mon traitement de député, le prix de mes articles et les droits d'auteur de _Bolette_, et tu te dis qu'à ce régime, la guerre non seulement peut durer pour moi, mais encore que je n'aurais pas à souffrir si elle était prolongée jusqu'à sa fin extrême et logique? C'est exact... mais pourquoi considérer l'argent en soi alors qu'il n'est qu'une conséquence inévitable et nécessaire? J'ai écrit quelque part que je n'entendais rien à la mathématique des banquiers: c'est la vérité pure. Je ne payerais pas pour être député, mais s'il fallait payer pour écrire à _L'Écho_ ou faire représenter _Bolette_, je n'hésiterais pas... Tu vois bien que je suis au-dessus de ça? J'avoue que le discours me parut faible et le raisonnement d'une indigence extrême. Je me permis de remarquer: --Toujours est-il qu'en attendant... Et je complétai ma phrase par ce geste qui, dans toutes les langues, et spécialement en montmartrois, signifie: «A nous la galette!» Mais Maurice était d'excellente humeur et il se contenta de sourire. Le sujet me semblant délicat, je crus convenable de ne pas le creuser plus avant. D'autant que vers la fin du déjeuner Maurice parut s'assombrir un peu. Il revint avec insistance sur ceci que ce qu'on pouvait prendre chez lui pour de l'égotisme trop bien entendu ou trop pratique était au fond du dévouement et qu'il avait à mener à bien une dure, une très dure tâche. --Il y a des soirs où je suis très accablé... --Faites-vous verser dans l'auxiliaire? dis-je étourdiment. Mais il était écrit que ce jour-là je ne fâcherais pas mon bon Maître! Il se contenta de me menacer du doigt en m'appelant petite moqueuse. CHAPITRE DERNIER AVANT DE PRENDRE CONGÉ A l'heure où la lune s'allume, où naguère _s'embuscadaient_ nos pères... M. B. _Sous l'œil des Tartares_. Faut-il dire _s'embusquer_ ou _s'embuscader_? Avant la guerre Marrès a écrit: «s'embuscader». Néologisme qui n'avait rien, certes, de choquant mais qui n'avait pas l'excuse de la nécessité, «s'embusquer» ou «se mettre en embuscade» ayant le sens exact qu'il donne à «s'embuscader» et suffisant parfaitement. Pourquoi donc l'avoir employé? Par la raison, je pense, qu'avec cette extraordinaire prescience des choses qui est une de ses caractéristiques principales, Marrès avait instinctivement entrevu que l'usage et les nécessités de cette guerre opposeraient ces termes l'un à l'autre. Le poilu s'«embuscade». L'embusqué s'«embusque». On voit la différence. Tous les amis de Marrès, tous ses parents, sont des héros qui s'embuscadent pour attendre et tuer le Prussien. Tandis que les instituteurs républicains, les socialistes, les francs-maçons et les «accroupis» de Vendôme, s'embusquent en attendant que M. Dalbiez vienne y apporter bon ordre. Telle est la justification du néologisme. On voit qu'elle est péremptoire, et il faut retenir qu'elle ne s'est produite que des années après la création de celui-ci... Ainsi en est-il pour nombreuses parties de l'œuvre de Marrès! Sous cet angle spécial, on peut le considérer comme un auteur futuriste: il écrit dans le présent, mais s'épanouit dans l'avenir. Chaque jour le révèle. Aussi bien suis-je certaine que des phrases comme celle des «blêmes enfants un peu morts de qui les pères escomptèrent la vie pour animer une formule», inintelligibles peut-être pour nous, semblent claires comme la vérité même aux jeunes générations intellectuelles qui nous suivent et, avec une intuition admirable de leur intérêt supérieur, l'ont élu pour Maître. Il me faut à regret fermer bientôt ce petit cahier, car il y a des patiences dont on ne saurait abuser sans méfaire. Et si de ne pas parler plus avant de mon ami me cause quelque regret, je m'en console en songeant que le temps même qu'il vous eût plu de m'accorder pour m'entendre, vous l'emploierez plus utilement à le lire lui-même! Les sots--qui sont toujours susceptibles--lui gardent rancune d'avoir jadis été traités par lui de «Tartares»: --S'il appelle ainsi des Français, que reste-t-il pour les Allemands? s'écrient-ils plaisamment. Il n'est pas douteux, en effet, que les «Tartares» dont il est parlé dans _Sous l'Œil_ ne sont autres que ses contemporains _de France_. Mais il s'en est expliqué nettement dans son livre même: «_J'appelle Tartares ceux qui ne pensent pas comme moi_ ou qui, pensant comme moi, ne le font pas pour les mêmes raisons que moi. Ainsi suis-je dans la pure tradition latine, les Latins appelant «tartares» tous ceux qui n'étaient pas eux-mêmes...» a-t-il écrit magistralement. Opinion certainement hautaine et qui serait ridicule émise par un couturier, une manucure ou un tondeur de chiens, mais combien acceptable et respectable lorsque professée par un esprit comme le sien! Ces pages, trop courtes à mon gré et trop longues sans doute à celui de mes lecteurs, n'auront point été inutiles si elles ont, comme je le crois et comme le désirerait certainement mon Ami lui-même, résolu la contradiction _apparente_ qui existe entre sa théorie de jadis et le sens qu'il lui donne aujourd'hui, entre l'œuvre littérale et l'idée qu'on s'en fait, entre les conseils qu'il donne et l'attitude qu'il garde. Quel est l'écrivain qu'on ne peut mettre, superficiellement tout au moins, en contradiction avec lui-même ou prendre comme à un piège à ses propres déclarations? Un soir, Maurice m'avait dit amicalement: --Il est six heures, ma petite Bérénice, permets-moi de te chasser... Je m'en vais rejoindre René Razin et d'autres collègues de l'Académie, pour dîner... --Ah! lui dis-je, tous mes compliments. Je vous envie. C'est vrai, j'ai un faible pour René Razin qui est exquis, exquis... --Tu m'envies de dîner avec eux? reprit mon Maître. Pourquoi donc aujourd'hui ne te livres-tu pas au jeu facile de me jeter une citation dans les jambes? Je ne compris pas ce qu'il voulait dire et j'eus sans doute, pour regarder Maurice, des yeux comme j'en eusse fait s'il avait été un train, car il me dit: --Ne me regarde pas ainsi, tu me fais de la peine... Prends les _Tartares_, page 213, cinquième et sixième lignes... Je pris le volume et à ma grande stupéfaction je lus: _... En fait, il faut diner avec des imbéciles; on entretient ses relations..._ Maurice eut un rire bon enfant: --Ah! ah! Bérénice... tu t'en voudras toute ta vie de n'avoir pas trouvé celle-là, pas vrai?... Puis, montrant ainsi combien il a l'âme franche, il ajouta: --Il faudra que je raconte ça tout à l'heure à mes bons amis... Ça leur fera certainement plaisir!... Anecdote charmante et simple, qui indique avec quelle aimable facilité Maurice consent à se discuter lui-même en même temps que les griefs qu'on peut lui vouloir adresser. Comme je le plaisantais respectueusement un jour sur la mèche qu'il a, si je puis employer ces deux termes contradictoires, dressée à tomber sur ses yeux, je me permis de lui demander: --Ne craignez-vous pas qu'un jour quelque stupide caricaturiste ne s'empare de ce détail, et ne cherche à l'exploiter en dérision contre vous? --Bérénice, me dit-il, tu raisonnes comme une brosse à dents. Et je croyais à la vérité que tu connaissais mieux ma pensée! N'ai-je pas toujours dit qu'il faut, lorsqu'on en a, soigner ses manies, ses partis pris et ses ridicules, et lorsqu'on n'en a pas, s'efforcer d'en acquérir: c'est l'appareil où se révèle un spécialiste. De là sera déduit son caractère... Tu parles de ma mèche et tu crains qu'on n'en sourie? Innocente brebis! Ne t'ai-je pas confié cependant que cette mèche était, non point la conséquence d'un vœu, mais le résultat d'une volonté esthétique préconçue et ferme? Crois-tu qu'il soit indifférent pour un philosophe, pour un littérateur, de ressembler à son marchand de cravates? A Paris, il faut avoir un type: de là, ma mèche. Originalité, mais non point futilité. Si tu m'as observé, Bérénice, tu dois savoir que, le plus naturellement du monde et sans que je n'y sois plus moi-même pour rien, ma mèche participe extérieurement aux émotions de mon âme? Que je sois agressif ou placide, abattu ou alerte, joyeux ou inquiet, ma mèche n'est pas la même: elle provoque ou apaise, elle se plaint ou encourage, elle s'amuse ou se lamente! Quand, à la Chambre j'ai dit son fait à Rousseau, ma mèche n'était pas la même que lorsque j'ai dit la grande pitié des églises de France! Regarde mes photographies dans les journaux illustrés et dis-moi si ma mèche de champ de bataille n'est pas une trouvaille? --Certes... --Alors, ne me pose plus de questions aussi sottes que celle qui vient de motiver mes paroles... J'ai tenu à noter ce petit discours, auquel je n'ai pu malheureusement conserver toute sa grâce légère, parce que j'y vois et qu'on y trouvera la plus fine des leçons de psychologie sociale et parisienne: il faut cultiver ses particularités! Enlevez ses cheveux à M. Pichepin, et c'est à peine s'il restera un poète; ôtez à Mme Dieulafayt son pantalon... je veux dire: habillez-la comme les autres femmes, et elle passera inaperçue! Montesquieu dans ses _Lettres persanes_ avait entrevu cette théorie si délicieusement déduite par mon Maître. Guérissons-nous donc de nos défauts, mais gardons nos particularités si, du moins, nous aspirons à quelque notoriété. Ceux qui ont approché Maurice savent qu'il a l'air toujours de sucer une pastille. On croit volontiers qu'il a dans la bouche une tablette de chlorate de potasse. Vingt fois j'eusse pu attirer son attention sur ce tic: je me suis gardée de le faire, car il y eût vu certainement le signe que je méconnaissais une de ses plus charmantes leçons. ... Malgré moi, on le voit, c'est au moment d'abandonner mon sujet que je semble m'y attacher avec le plus de ferveur. Ainsi, souvent, au moment des adieux se sent-on plus proche que jamais de ceux qu'on va quitter! Mais quelle que puisse être mon inclination, la raison doit l'emporter. Adieu donc! ô cher jardin intellectuel où j'ai passé des heures si délicieuses! Adieu, les belles allées droites des raisonnements péremptoires! Adieu, les petits chemins sinueux et capricieux fleuris de paradoxes imprévus! Adieu, les gerbes magnifiques et les bouquets subtils dont je revenais exquisement chargée! Il me faut vous quitter! Si j'eus, jadis, une joie de petite fille vaniteuse, lorsque Maurice voulut bien donner mon nom à un de ses livres les plus étonnants, quelle volupté saine pour la femme que je suis devenue d'avoir pu évoquer à mon tour la personnalité de mon Ami, de mon grand Ami, que les événements rendent plus grand encore! Sans compter d'ailleurs qu'ayant sur la plupart des fidèles de Marrès cette supériorité d'avoir été mêlée si intimement à sa vie, c'est en quelque sorte me hausser moi-même qu'exalter son mérite! En sortant de la messe de Sainte-Clotilde, il m'arriva d'entendre un commandant de dragons dire tout haut: «Marrès?... c'est un de Mun pour petits bourgeois... mais en temps de guerre, il ne faut pas se montrer trop difficile.» Ah! mon officier, si vous n'aviez pas été en compagnie d'une si belle dame, comme je vous aurais demandé la permission de vous montrer votre erreur! Que pareille opinion soit professée par ceux qui ne le connaissent point, je l'admets; mais vous, mon commandant, seriez-vous de ceux-là? Ne liriez-vous point l'_Écho de Bordeaux_, et, dans ce cas, quel officier êtes-vous donc?... Gardez, mon commandant, gardez qu'un propos inconsidéré comme le vôtre, bienveillant peut-être dans son fond, mais dont la forme peut prêter à équivoque, ne soit recueilli par des détracteurs vigilants de Marrès, trop enclins à ne voir en lui que l'homme qui parle de la guerre avec d'autant plus d'abondance et d'autorité qu'il se garde de la faire. Dans une des plus belles méditations de l'_Homme vibre_, il a enseigné: «Soyez convaincus que les actes n'ont aucune importance.» Sans doute, cette parole peut paraître disconvenir aux terribles réalités de l'heure présente, mais sa vérité philosophique subsiste, et on remarquera combien il a dû, pour y demeurer fidèle, violenter les tendances instinctives qui sont au dedans de nous tous. L'attrait du danger l'eût précipité, mais la conscience de sa valeur et le service de l'idée l'ont retenu. Assez de deuils à l'Académie! Ce que j'en dis là est sans la moindre ironie. Car c'est précisément le but même de ces notes de montrer comment j'ai été, par Marrès lui-même, amenée à me faire un avis raisonné sur ce point délicat et à changer du tout au tout l'opinion préconçue que je m'étais faite sur des apparences. Au reste, comme il l'a si justement dit lui-même l'ironie métaphysique est une excellente attitude en face d'un homme qui manque décidément d'imprévu: mais tel n'est point, au contraire, le cas de Marrès, jardinier délicat du plus adorable des jardins! APPENDICE POUR PRENDRE DÉFINITIVEMENT CONGÉ Mais c'est assez de bêtises pour aujourd'hui. _Sous l'œil des Tartares._ Ch. 1. On ne peut pas trouver des torts à celui qu'on aime. _Le Parterre de Bérénice._ Ces pages, qui seront, je l'espère, accueillies avec faveur par les lettrés délicats et prudents, risquent de n'être pas comprises de tous dans l'entourage de Marrès. Un de ses amis politiques--qu'il connut par Syveton, à la «_Patrie Française_»,--auquel j'en ai fait lecture partielle, a cru devoir protester contre elles. Son discours m'a étonnée. Comme me voilà méconnue par ceux-là mêmes dont précisément j'ambitionne le suffrage! Les épigraphes, cependant, toutes empruntées à mon Maître, et l'atmosphère de chaque phrase, indiquent nettement mon idée? Au surplus, je m'en suis tenue à la vérité, sans essayer même de ces dialogues dans la manière qu'a imaginée Platon pour peindre mieux, chez son maître Socrate, l'attache des idées et de l'homme, et que Marrès lui-même a si délicieusement suivie dans sa brochure _Une semaine chez M. Renan_. Dernièrement, je causais avec son ami Simon: «Ces susceptibilités, m'a-t-il dit, je les crois excessives, mais leur sincérité les fait trop légitimes pour que vous n'en teniez pas compte.» Sur son avis, j'ai donc effacé quelques passages de cette œuvre sans prétention, que tous deux d'ailleurs, nous trouvons respectueuse pour ce Maître, sans qui plusieurs façons de se conduire et de raisonner en temps de guerre ne seraient pas. --Vous parlez de Maurice, me disait encore Simon, avec le constant souci de servir sa pensée. A mon avis, vous n'avez dépassé aucun de vos droits. Mais ce ton, fort reçu envers les morts, sied-il avec les vivants? Or, grâce à Dieu, et peut-être aussi, je pense, à sainte Geneviève--encore qu'elle réserve, m'a dit Cherfils, plus volontiers sa protection à ceux qui sont tout à fait militaires--notre ami Marrès est bien vivant, et la guerre peut durer encore dans les conditions où elle se développe sans qu'il en soit atteint... --C'est affaire d'éthique personnelle, ai-je répondu. Mais je suis sûre que, si je consultais Maurice, il serait le premier à donner son approbation à mon petit cahier. FIN Saint-Denis.--Imp. V. Bouillant et J. Dardaillon. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE JARDIN DE MARRÈS *** Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. Project Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is unprotected by copyright law in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country other than the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. 1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg-tm License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg-tm website (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided that: * You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." * You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm works. * You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. * You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg-tm works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread works not protected by U.S. copyright law in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our website which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This website includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.