The Project Gutenberg EBook of Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle, by François Génin This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle Author: François Génin Release Date: October 21, 2016 [EBook #53331] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LEXIQUE COMPARÉ DE LA LANGUE *** Produced by Anna Tuinman, Hugo Voisard, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Au lecteur. Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original, et l’orthographe d’origine a été conservée. Seules quelques erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. La liste de ces corrections se trouve à la fin du texte. Également les corrections de l'Errata on été effectuées, la ponctuation a été corrigée par endroits, et les accents manquants sur les E majuscules ont été rétablis. Les notes ont été renumérotées de 1 à 104 et placées après le paragraphe auquel elles se rapportent. LEXIQUE COMPARÉ DE LA LANGUE DE MOLIÈRE. PARIS.--TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, RUE JACOB, 56. LEXIQUE COMPARÉ DE LA LANGUE DE MOLIÈRE ET DES ÉCRIVAINS DU XVIIe SIÈCLE, SUIVI D’UNE LETTRE A M. A. F. DIDOT, SUR QUELQUES POINTS DE PHILOLOGIE FRANÇAISE, PAR F. GÉNIN, PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE STRASBOURG. PARIS, LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, IMPRIMEURS DE L’INSTITUT, RUE JACOB, 56. 1846. A J.P. DE BÉRANGER. Voici un livre sur la langue du plus admirable écrivain qui jamais ait fait parler la raison et l’esprit en français. On vit chez lui, de niveau, le caractère de l’homme et le génie du poëte. La dédicace de cet ouvrage revenait de droit au dernier et plus proche parent de celui qui en a fourni la matière. Recevez-la donc, mon cher Béranger, comme l’hommage d’une sincère admiration et de l’affection la plus dévouée. F. GÉNIN. Du Bignon, 1er Octobre 1846. PRÉFACE. Notre langue française présente une particularité curieuse, que je doute qui se rencontre dans aucune autre langue moderne: c’est qu’elle a été formée deux fois sur le même type, en suivant chaque fois un procédé différent. Depuis sa naissance, vers le Xe siècle, jusqu’à la fin du XVe, le français se transforma lentement du latin, par des règles constantes que j’ai essayé d’entrevoir ailleurs, et qui sans doute finiront par être saisies et mises complétement à découvert. Au XVIe siècle, la ferveur de la renaissance méconnut, rejeta dédaigneusement tout ce qui s’était produit jusqu’alors; et l’esprit d’érudition, pour ne rien dire de pis, recommença la langue, mais sans garder aucune des règles et des lois qui avaient présidé jadis à sa naissance. Les savants renversèrent brusquement toutes les digues, pour laisser le latin et le grec faire irruption chez nous. Le déluge, à leur gré, ne pouvait jamais être assez prompt ni assez considérable. Ce flot turbulent jeta le désordre dans notre langue jusque-là si calme et si reposée; et elle éprouva de cette secousse un dérangement si profond, que jamais elle ne put reprendre son cours dans la direction précise où elle l’avait commencé. Mais le peuple, qui n’a point l’impétuosité des savants; le peuple, qui s’était fabriqué, à force de sens et d’expérience, un langage excellent, plein d’unité, de logique, approprié surtout aux délicatesses de l’oreille et rompu à celles de la pensée, le peuple demeura fidèle à ses habitudes: il continua de parler comme par le passé, et laissa les savants écrire à leur guise; de là deux espèces de langue française. Celle du peuple était la meilleure et la mieux faite, je n’en doute pas; mais celle des savants était la plus complète: et comme après tout c’est la classe lettrée qui fait marcher les idées, il fallut bien, en recevant l’idée, recevoir aussi l’expression. Mais la résistance aux nouveautés ne cède chez le peuple qu’à la dernière extrémité, et tout ce qu’il a pu soustraire à l’influence moderne, il le retient, et refuse encore à cette heure de s’en dessaisir. Les lettrés eux-mêmes ont été, sur bien des points, obligés de plier à l’obstination du peuple, et de laisser debout, au milieu de leur langue reconstruite, une foule de vestiges de l’ancien usage. Ces débris isolés, ruinés, noircis par l’âge, n’offrent plus de sens aux générations modernes, qui passent et repassent sans y faire attention, ou n’y prennent garde que pour en rire et les mépriser: la sagesse des pères est devenue folie aux yeux de leurs enfants. Cette espèce d’impiété filiale traîne avec soi son châtiment: l’ignorance orgueilleuse de notre propre idiome. Et le mal n’est pas près de cesser: la tradition, qui perpétue les expressions de la première langue française, créée uniquement par ceux qui parlaient, tend chaque jour à s’affaiblir par l’influence de ceux qui écrivent. C’est un vrai malheur, car le génie natif du français est avec le peuple, et non avec les lettrés. Le XVIIe siècle, comme plus voisin que nous de la vieille et saine tradition, la laisse aussi paraître davantage dans ses œuvres, indépendamment du talent individuel des auteurs. Cela est si vrai, que, même les écrivains de second et de troisième ordre, portent dans leur style je ne sais quelle saveur particulière qui en révèle tout de suite la date. C’est ce que prétendait Courier lorsqu’il soutenait, avec une hyperbole évidente, que la cuisinière de madame de Sévigné écrivait mieux que pas un académicien de nos jours. Mais on ne saurait le nier: ce que, par une heureuse expression, M. Nisard appelle l’excès de l’esprit académique, appauvrit notre langue sous prétexte d’élégance, l’enchaîne sous prétexte de correction, et l’enroidit sous prétexte de dignité. Les grammairiens se mêlant de l’affaire, ont achevé de tout gâter avec leurs décisions arbitraires, leurs distinctions, leurs finesses, et, s’il faut tout dire, en appelant sans cesse leur triste imagination au secours de leur ignorance, pour expliquer, définir, motiver ce qu’ils ne soupçonnent pas. Il est donc urgent de retremper notre langue à ses sources antiques et populaires, si nous voulons sauver son génie agonisant. Pour nous y préparer, le premier soin à prendre, c’est de substituer à l’autorité usurpée des puristes qui ne sont pas autre chose, l’autorité des grands écrivains qui n’étaient pas puristes. Avec le même zèle que le XVIIe siècle mettait à réclamer les libertés gallicanes, réclamons les libertés de style du XVIIe siècle: les unes comme les autres sont fondées sur le droit et la raison. C’est la pensée qui a inspiré ce Lexique: l’auteur s’y est proposé de recueillir toutes les expressions et les tournures qui constituent la langue de Molière; de les relever, non pas une seule fois, mais autant de fois qu’elles se rencontrent. Cette méthode a paru nécessaire pour constater l’habitude ou l’intention du grand écrivain, et pour déterminer la portée réelle de son exemple. L’autorité étant l’esprit de ce travail, j’ai cru devoir fortifier à l’occasion celle de Molière par celle de ses plus illustres contemporains, la Fontaine, Pascal, Racine, Bossuet, la Bruyère; et je n’ai pas craint de les appuyer tous sur Montaigne, Rabelais, et les poëtes du moyen âge. _Obsequium vestrum sit rationabile._ C’est pour me conformer à ce précepte de saint Paul, que je n’ai point négligé la discussion de l’autorité; car l’autorité ne mérite la confiance, mère de la soumission, qu’autant qu’elle représente la raison et la justice. C’est pourquoi, aussi souvent que je l’ai pu, j’ai tâché de lui procurer ces deux bases solides dans les origines de notre langue et jusqu’au sein de la langue latine. J’ai poursuivi dans cet ouvrage le développement et la preuve des idées émises dans mon essai sur _les Variations du langage français_. J’aurais pu borner mon travail à une simple nomenclature; mais la discussion critique de divers points de philologie obscurs ou mal connus m’a semblé indispensable pour donner à ce livre toute son utilité. La question n’est pas seulement de savoir comment a parlé Molière, mais pourquoi il a parlé de la sorte, et quel droit il en avait. Le résultat doit montrer qu’il nous faut reprendre certaines tournures, certaines expressions; en bannir certaines autres ou les corriger, conformément à l’usage primitif. Le but de cet ouvrage est de seconder ceux qui déplorent de voir se resserrer chaque jour le domaine de notre langue et voudraient lui restituer ses anciennes limites. En un mot, de Molière comme d’un point central et culminant, j’essaye de porter le regard sur toute l’étendue de la langue française. Cette contemplation attentive ne saurait, je m’assure, produire que d’heureux effets. Ce travail, fruit d’une admiration bien vive pour l’auteur de _Tartufe_ et du _Misanthrope_, pourrait cependant devenir une arme offensive aux mains d’un ennemi de Molière; j’entends un ennemi de mauvaise foi (Molière en peut-il avoir d’autres?). En effet, je n’éclaire que la partie de son style ou défectueuse ou douteuse: ce sont des archaïsmes, des négligences, des expressions risquées, de mauvaises métaphores, des fautes à lui particulières, ou communes à toute son époque, etc., etc. Mais tant de sublimes beautés dont il foisonne n’obtiennent ici aucune mention; la raison en est bien simple: le premier mérite de ces beautés, c’est d’être parfaitement correctes; dès lors elles ne sont plus de mon domaine: la rhétorique peut les faire admirer, la grammaire n’a rien à y voir. Ce qu’il y a de beau dans Molière frappe d’abord tous les regards; au contraire, il faut un commentateur pour vous arrêter, sur les endroits qui prêtent à l’épilogue. Mais il serait injuste d’en rien conclure ni contre Molière ni contre ce commentateur, de ne supposer dans l’un que des fautes, et dans l’autre que le sentiment de ces fautes. Je me suis servi, pour mon travail, de plusieurs éditions, en ayant soin de les conférer avec les éditions originales des pièces séparées qui existent soit à la bibliothèque du Roi, soit dans celle de M. Ambroise-Firmin Didot, à qui j’en offre ici mes remercîments. Aussi ne devra-t-on pas s’étonner que certaines leçons données comme variantes n’aient pas été consignées dans ce recueil. Ce n’est point omission, ou qu’on ait méconnu l’importance de ces variantes: c’est qu’elles ne sont pas authentiques. Deux exemples suffiront. Dans la fameuse scène du second acte des _Fourberies de Scapin_, M. Auger a reçu partout dans son texte cette leçon: «Que diable allait-il faire A _cette galère_?» et il met au bas de la page: «Variante: DANS _cette galère_,» sans indiquer d’où est prise la nouvelle leçon qu’il adopte. Mais on doit la supposer certaine, puisque, dans sa préface, M. Auger assure qu’il a donné partout le texte vrai, _le texte des éditions originales_[1]. [1] «Un point sur lequel je m’exprimerai avec une entière assurance, parce qu’il est un pur objet de patience et d’exactitude, c’est la correction du texte.......... J’ai suivi ces éditions originales avec une exactitude scrupuleuse.» (_Avertissement_, p. XVIII et XXII.) _Les Fourberies de Scapin_ furent représentées pour la première fois en 1671, le 24 mai. L’édition originale donnée par l’auteur est de la même année, chez Pierre Lemonnier. On lit à la suite du privilége: «Achevé d’imprimer le 18 aoust 1671.» On ne peut douter que ce ne soit bien là la première édition. Eh bien! dans la scène dont il s’agit, il y a partout, DANS _cette galère_[2]. [2] Cette pièce est fort rare; la bibliothèque du Roi ne la possède pas. Je dois à l’obligeance de M. A. F. Didot d’avoir pu faire cette vérification, et beaucoup d’autres non moins importantes. Dans _Tartufe_, acte V, scène 1re: ORGON. Quoi! _sur_ un beau semblant de ferveur si touchante, Cacher un cœur si double, une âme si méchante! «Toutes les éditions, dit M. Auger, toutes les éditions _sans exception_ portent _sur un beau semblant_. Cependant, _cacher un cœur double_ SUR _un beau semblant_ est une figure si peu exacte dans les termes, et il était si naturel d’écrire SOUS _un beau semblant_, qu’il est impossible de ne pas supposer une faute d’impression.» La première édition de _l’Imposteur_ est de 1669, et le titre porte cette note: _Imprimé aux despens de l’autheur_[3]. Ainsi, pour le remarquer en passant, ce chef-d’œuvre du génie humain, qui devait faire la gloire éternelle de la France et la fortune de tant de libraires, _Tartufe_, à son apparition, ne put trouver un éditeur! l’auteur fut obligé de l’imprimer à ses dépens. Le trait m’a semblé digne d’être recueilli, ne fût-ce que pour la consolation de tant d’auteurs contemporains, qui, ayant déjà ce point de commun avec Molière, pourront rêver le reste, et se promettre dans la postérité l’achèvement de la ressemblance. [3] De la bibliothèque de M. A. F. Didot. Je n’ai point examiné toutes les autres éditions de _Tartufe_; sur le témoignage de M. Auger, je crois volontiers qu’elles portent _sur un beau semblant_; mais je puis affirmer que l’édition de 1669, l’édition originale, donne sous _un beau semblant_. Si j’ai relevé ces deux erreurs, ce n’est pas pour accuser mon prochain, mais plutôt pour me faire un droit à l’indulgence, en montrant combien, dans le travail même le plus soigné et le plus consciencieux, il est difficile de se garantir de toute inexactitude. Les exemples ont été disposés dans l’ordre chronologique des pièces, afin qu’on puisse remarquer les progrès du style de Molière. J’ai pris soin d’indiquer le nom du personnage qui parle, toutes les fois que son caractère ou sa condition pouvait suggérer quelque doute sur la pureté de son langage, par exemple, si c’est un valet, un pédant, une précieuse, etc. Pour faciliter les vérifications, je dois prévenir que lorsque je cite les œuvres de Voltaire, tel volume, telle page, il s’agit de l’édition de M. Beuchot; Les _Pensées_ de Pascal, c’est le texte donné par M. Cousin, et suivi d’un petit lexique qui m’a servi d’un utile auxiliaire; Les fabliaux de Barbazan, c’est l’édition originale, en trois volumes in-12, et non celle de M. Meon, en quatre volumes in-8°; Montaigne, c’est l’édition _Variorum_ du Panthéon littéraire. J’ai rencontré souvent l’occasion de toucher à des théories exposées dans mes _Variations du langage français_, soit pour m’en appuyer, soit pour les fortifier. Ces théories ne se trouvant point ailleurs, on me pardonnera, j’espère, comme une nécessité de position, d’y renvoyer quelquefois. Ce n’est pas pour la satisfaction puérile de me citer moi-même; c’est pour épargner le temps du lecteur. VIE DE MOLIÈRE. CHAPITRE PREMIER. Naissance de Molière.--Ses études.--Il se fait comédien ambulant.--Il débute à Paris par _les Précieuses ridicules_. L’histoire des grands écrivains est l’histoire de leurs ouvrages. C’est là que viennent se refléter, comme en un miroir, leur cœur et leur esprit, tout ce qu’il importe de connaître d’un homme. Jean-Baptiste Poquelin, qui prit plus tard le nom de Molière, fut baptisé à Paris, dans l’église de Saint-Eustache, le 15 janvier 1622[4]. Le public, qui attache un grand prix aux circonstances matérielles de la vie des hommes illustres, a longtemps répété que Molière naquit sous les piliers des Halles. Des découvertes récentes constatent qu’en 1622 le père de Molière, tapissier, habitait, au coin de la rue des Vieilles-Étuves et de la rue Saint-Honoré, une maison appelée la maison ou le pavillon des Singes, à cause d’un poteau sculpté placé à l’encoignure, et représentant des singes grimpés sur un pommier. Les amateurs de rapprochements et de présages ne perdront rien à transporter le berceau de notre poëte comique de la maison des Halles à la maison des Singes. Au reste, cette maison est aujourd’hui démolie, et une partie de l’emplacement a servi à élargir la voie publique. Cela n’empêche pas qu’une inscription officielle ne désigne comme maison natale de Molière une maison de la rue de la Tonnellerie. De même, dans le cimetière de l’Est, vous verrez un sarcophage décoré du nom de Molière, et un autre du nom de la Fontaine, bien que depuis longtemps les cendres de Molière et celles de la Fontaine aient été égarées ou dispersées. Ces monuments trompeurs sont destinés à amuser la curiosité publique; c’est, si l’on veut, une sorte d’hommage à d’illustres mémoires: mais, si l’on prend les choses au sérieux, il ne faut chercher à Paris ni le berceau ni la tombe de Molière. [4] On n’a point la date positive de la naissance de Molière, mais on a l’acte de mariage de ses père et mère, du 27 avril 1621. Tous les anciens biographes de Molière le font naître, par une erreur manifeste, en 1620 ou 1621. Il est probable qu’il fut baptisé le jour même de sa naissance; s’il en était autrement, l’acte de baptême l’indiquerait, selon l’usage constant du dix-septième siècle. Les Poquelin étaient tapissiers de père en fils, et même, depuis Louis XIII, tapissiers valets de chambre du roi. Jean-Baptiste, comme l’aîné de dix enfants, était réservé à ce glorieux héritage; il s’en créa par son génie un plus glorieux encore. Cependant, comme on ne peut, quelque chemin qu’on prenne, éviter complétement sa destinée, Molière porta plus tard le titre de valet de chambre du roi; seulement il n’en fut pas tapissier. A cette époque, l’instruction était l’apanage exclusif de la noblesse et du clergé; les bourgeois, voués au commerce, n’étudiaient point. Le génie de Molière ne s’accommoda pas de l’ignorance traditionnelle; le besoin impérieux d’apprendre ne tarda pas à se révéler en lui, et M. Poquelin le père vit avec horreur, comme la famille Boileau, dans la poussière de sa boutique, _un poëte naissant_. Il fallut céder toutefois, et Jean Poquelin consentit à ce que son fils Jean-Baptiste fréquentât comme externe le collége de Clermont. Autre sujet de rapprochement: l’auteur futur de _Tartufe_ étudiant chez les jésuites! Molière à dix ans était orphelin de mère, et n’avait pour le _gâter_ que son aïeul Nicolas Poquelin. De fortune, il se trouva que ce grand-père aimait le théâtre, et conduisait volontiers son petit-fils à la comédie. On la jouait à l’hôtel de Bourgogne, et les grands acteurs comiques de ce temps-là étaient Gautier-Garguille, Gros-Guillaume, et Turlupin. Les poëtes en renom s’appelaient Monchrétien, Hardy, Baro, Scudéry, Desmarets; et à leur suite, fort éloigné de pouvoir lutter contre de tels maîtres, un jeune homme, natif de Rouen, nommé Pierre Corneille: mais celui-ci ne comptait pas. Ce fut l’école où Molière allait étudier l’art dramatique, et qui, sans doute, éveilla dans son sein les premières ardeurs du génie. Il terminait en même temps de solides études. Son cours de philosophie, qu’il fit sous Gassendi avec Bernier, Hénault, Chapelle et Cyrano de Bergerac, eut cet avantage, observe Voltaire, que les élèves du bon prêtre de Digne échappèrent du moins à la barbarie scolastique. Molière étudia ensuite le droit et même la théologie, si l’on en croit le témoignage de Tallemant des Réaux. Tallemant veut que Molière, destiné par sa famille à l’état ecclésiastique, ait déserté la Sorbonne, et se soit fait comédien de campagne pour suivre la Béjart, dont il était amoureux. Mais c’est là une _historiette_ au moins suspecte, comme bon nombre d’autres recueillies par le même auteur. Le cardinal de Richelieu, passionné pour le théâtre, en avait généralement répandu le goût: la comédie bourgeoise était à la mode. Au commencement de la régence, nous retrouvons Molière à la tête d’un théâtre de société qui avait pris le nom pompeux de l’_Illustre Théâtre_. Bientôt les troubles politiques obligèrent les acteurs de cet _illustre théâtre_ à quitter Paris, et à courir la province. Molière mena quelques années cette vie nomade et aventureuse, si plaisamment dépeinte par Scarron. A Bordeaux, il fait jouer une tragédie de sa façon, _la Thébaïde_, dont plus tard il donnera le sujet au petit Racine; à Nantes, il lutte avec désavantage contre les marionnettes d’un Vénitien; Vienne le console par des applaudissements fructueux; puis il revient à Paris, et va faire la révérence au prince de Conti, son ancien camarade du collége de Clermont, désormais son fidèle protecteur; puis il repart pour Lyon, auteur, acteur, directeur, et, par-dessus le marché, amant tantôt heureux, tantôt rebuté, de Madeleine Béjart, de mademoiselle du Parc, et de mademoiselle de Brie. Il visite Avignon, Béziers, Pézénas, Narbonne, Montpellier, où il a l’honneur de divertir les états de Languedoc, tenus par le prince de Conti. Il échappe au poste éminent de secrétaire de son altesse, il garde son indépendance, qu’il promène d’Avignon à Rouen avec des fortunes diverses, sifflé dans un endroit, accueilli dans un autre, souvent malaisé, et toujours honnête homme. Contre les écueils dont une pareille vie est semée, combien eussent fait naufrage! Molière en sortit sain et sauf, parce que le ciel lui avait départi une droiture et une probité aussi extraordinaires que son génie. Grâce à cette libéralité peu commune de la nature, Molière se donna impunément la meilleure éducation que puisse recevoir un poëte comique: il eut de bonne heure l’expérience de la vie, et à peu près gratis, puisqu’il n’en coûta rien à son caractère, ni à ses mœurs. Dans cette pratique de la philosophie qu’il avait apprise chez Gassendi, il atteignait la quarantaine. C’est alors qu’il rentra à Paris pour s’y fixer, pour utiliser son abondante récolte d’observations, et commencer cette éclatante carrière qui aurait pu se prolonger un demi-siècle, et qui se ferma au bout de treize ans! Molière, arrivé à trente-huit ans, n’avait encore produit que quelques canevas informes, _le Docteur amoureux_, _la Jalousie de Barbouillé_, _le Grand benêt de fils_, et deux comédies régulières, _l’Étourdi_ et _le Dépit amoureux_, toutes deux calquées sur les _imbroglios_ italiens, mais où se font déjà remarquer des traits précieux de vérité qui décèlent Molière. La comédie moderne n’existait pas, ou n’existait que comme une imitation de la comédie antique, soit que cette imitation fût directe, soit qu’elle passât par l’intermédiaire de l’Espagne ou de l’Italie. Les poëtes, depuis la renaissance, avaient toujours tenu les yeux attachés sur les Romains et les Grecs; personne ne s’était encore avisé de regarder ses contemporains. Le poëte doué de l’originalité la plus puissante, Molière, à son début, suivit la route commune: il imita. _Les Précieuses ridicules_ (1659) ouvrirent une ère nouvelle. A partir de ce moment, Molière sentit qu’il avait trouvé sa voie. «Je n’ai plus que faire, dit-il, d’étudier Aristophane, Térence, ni Plaute.» Il n’avait, sans porter si loin ses regards, qu’à copier les ridicules qui vivaient et se mouvaient autour de lui. Désormais les anciens lui fourniront encore quelques détails accessoires, quelques procédés dramatiques, mais ils ne seront plus ses modèles. Ses modèles seront pris dans la société contemporaine. Il est certain, quoi qu’en aient dit Voltaire et M. Rœderer après lui, que _les Précieuses_ furent composées à Paris, et représentées pour la première fois à Paris. Il ne s’agit point là d’un ridicule de province, mais du ridicule de l’hôtel de Rambouillet. M. Rœderer, dans son _Histoire de la société polie_, a beaucoup insisté sur l’injustice prétendue de Molière, et sur les éminents services rendus au langage par la coterie de madame de Rambouillet. Cette thèse a fait fortune, par un air piquant et paradoxal. Que l’hôtel de Rambouillet ait exercé une grande influence sur la langue française, je ne prétends pas le nier; mais que cette influence ait été salutaire, c’est ce qui est très-contestable. Pour moi, je suis d’un avis opposé. Ce n’est pas ici le lieu de discuter ce point: je me contenterai de dire en bref que les précieuses ont réformé ce que, les trois quarts du temps, elles ne comprenaient pas; et qu’à la franche allure, à l’ampleur native de notre langue, elles ont substitué un esprit de circonspection étroite, des habitudes guindées, maniérées, en un mot, une _préciosité_ qui est devenue son caractère essentiel, et dont il est à craindre qu’elle ne puisse jamais se débarrasser. C’est payer bien cher une douzaine de mots dont les précieuses ont enrichi le dictionnaire. Molière en écrivant s’est constamment affranchi de leur joug; autant en a fait la Fontaine: mais qui oserait aujourd’hui écrire la langue de la Fontaine et de Molière? Celle de Rabelais ou de Montaigne, il n’en faut point parler: ce sont trésors à jamais fermés; nous sommes condamnés à les admirer de loin sans en pouvoir approcher, condamnés à écrire et à parler _précieux_. Molière, dans son instinct de vieux Gaulois, avait parfaitement senti la portée de cette _société polie_ et de son œuvre. Il l’attaqua dès son premier pas dans la lice; et lorsque la mort vint le surprendre, elle le trouva encore occupé à combattre les précieuses ou les femmes savantes[5]. [5] _Les Précieuses ridicules_ sont de 1659; _les Femmes savantes_, de 1672. Molière mourut au commencement de 1673. CHAPITRE II. Mariage de Molière.--Molière se brouille avec Racine.--Il est accusé d’inceste.--Louis XIV le protége. Le 20 février 1662, qui était le jour du lundi gras de cette année, à la paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois, Molière épousa Armande-Gresinde-Claire-Élisabeth Béjart, sœur et non pas fille de Madeleine Béjart, avec qui il avait entretenu une longue et intime liaison. Molière avait quarante ans, et sa femme dix-sept! Elle était charmante, remplie de grâces et de talents, chantant à merveille le français et l’italien; excellente actrice, et sachant animer la scène lors même qu’elle ne faisait qu’écouter; mais d’une coquetterie indomptable, qui fit le désespoir et le malheur de Molière, car il en fut, jusqu’à la fin de sa vie, éperdument amoureux. Madame ou plutôt mademoiselle Molière, comme l’on disait alors, n’était pas cependant une beauté accomplie: mademoiselle Poisson nous la représente petite, avec une très-grande bouche et de très-petits yeux[6]. Il est vrai que mademoiselle Poisson était la camarade de mademoiselle Molière; mais Molière a tracé de sa femme le même portrait, dans une scène du _Bourgeois gentilhomme_: «COVIELLE. Vous trouverez cent personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux petits.--CLÉONTE. Cela est vrai, elle a les yeux petits; mais elle les a pleins de feu, les plus brillants, les plus perçants du monde, et les plus touchants qu’on puisse voir.--Elle a la bouche grande.--Oui; mais on y voit des grâces qu’on ne voit point aux autres bouches; et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs; elle est la plus attrayante, la plus amoureuse du monde.--Pour sa taille, elle n’est pas grande.--Non, mais elle est aisée et bien prise[7], etc., etc.» C’est ainsi qu’un amant dont l’ardeur est extrême Aime jusqu’aux défauts des personnes qu’il aime. [6] _Lettre sur la vie et les ouvrages de Molière_, dans le _Mercure_ de mai 1740. [7] Acte III, scène 9. Molière, comme l’on voit, avait pour l’objet de son amour d’aussi bons yeux qu’Alceste en a pour Célimène. Son malheur était de voir sa faiblesse, d’en rougir, et de ne pouvoir la surmonter. Toutes les fois qu’il peint des scènes de tendresse, de jalousie, de brouille et de raccommodement, c’est sa femme qu’il regarde, c’est sa propre histoire qu’il retrace. Il ne faut donc pas s’étonner de la vérité du tableau, mais plaindre le malheureux artiste. Les torts d’Armande Béjart furent si répétés et ses infidélités si publiques, qu’après trois ans de mariage et la naissance de leur second enfant, il fallut en venir à une séparation. Seulement, par égard pour les bienséances, Molière exigea que sa femme n’allât point demeurer dans un autre logis que le sien; mais ils ne se voyaient plus qu’au théâtre. Molière avait une petite maison à Auteuil, où il se réfugiait, au milieu de ses amis, contre le bruit de la ville et les chagrins domestiques. C’est dans une de ces réunions qu’eut lieu l’anecdote si connue du souper, attestée par Racine fils, qui la tenait de son père. Nous voyons qu’à cette époque déjà la santé de Molière était altérée, puisqu’il était au régime du lait pour sa poitrine, et dut à cette circonstance d’échapper à l’ivresse générale de ses convives. _L’École des maris_, _les Fâcheux_, _l’École des femmes_, qui se succédèrent rapidement, avaient placé Molière très-haut dans l’estime du public, et commencé de lui donner part dans l’amitié du roi, cette amitié qui lui fut si utile, et lui servit de bouclier contre la rage envenimée de ses ennemis. Molière, bien venu à la cour, bien venu du surintendant Fouquet, lié avec Racine, Boileau, Chapelle et la Fontaine; Molière, admiré, fêté, il n’en fallait pas la moitié tant pour déchaîner l’envie. Molière jouait au Palais-Royal: Montfleury, l’homme important de la troupe rivale, qui jouait à l’hôtel de Bourgogne, osa présenter au roi une requête dans laquelle il accusait Molière d’avoir _épousé sa propre fille_! Molière n’eut pas de peine à repousser cette infâme calomnie, à laquelle personne n’ajouta foi un seul instant. Racine, pour qui Molière avait été un bienfaiteur, Racine, brouillé avec Molière pour un intérêt d’amour-propre, une misérable querelle de coulisses, Racine, écrivant cette indignité à son fils, ajoute froidement: _Mais Montfleury n’est pas écouté à la cour_. Il est triste d’être obligé de le dire, Racine n’avait pas une de ces âmes énergiquement trempées à la façon de Corneille ou de Molière; il n’était pas susceptible d’éprouver ..... ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux âmes vertueuses. On sait comment il se retourna contre ses maîtres de Port-Royal. Racine était dévot et courtisan: dévot sincère, je le veux croire; et courtisan malhabile, cela est évident. En cette occasion, il ne devina pas la pensée du roi. Louis XIV ferma la bouche aux calomniateurs, en tenant sur les fonts de baptême le premier enfant de Molière; madame Henriette fut la marraine[8]. [8] Le roi fut représenté par le duc de Créquy, premier gentilhomme de la chambre, ambassadeur à Rome; madame de Choiseul, maréchale du Plessis, représenta madame Henriette. L’acte est du 28 février 1664; il est rapporté dans l’_Histoire de la vie et des ouvrages de Molière_, par M. J. Taschereau, 3e édit., p. 237. Louis XIV ne manqua jamais l’occasion de témoigner l’estime qu’il faisait de Molière. Il l’honorait d’une familiarité publique; il lui avait accordé les petites entrées; un jour il le fit manger dans sa chambre, et dit aux courtisans survenus: «Vous me voyez occupé de faire manger Molière, que mes officiers ne trouvent pas assez bonne compagnie pour eux.» On sait que le roi avait dansé un rôle d’Égyptien dans le ballet du _Mariage forcé_. Une autre fois il tança vertement le duc de la Feuillade, son impertinent favori, qui s’était permis envers Molière un outrage brutal. Enfin, Louis XIV aimait Molière, cela soit dit à l’éternel honneur de l’un et de l’autre; il l’aimait non par égoïsme, comme on l’a voulu dire, et pour le plaisir d’en être flatté. Si la vanité du monarque eût seule inspiré son affection, on l’eût vu en montrer une pareille à Lulli, à Racine, à tant d’autres, plus empressés courtisans que Molière; et il est certain que de tous les grands hommes de ce règne aucun ne posséda au même degré que Molière l’amitié de Louis XIV. Ne cherchons pas à rabaisser par une interprétation malveillante le prix d’un noble sentiment: Louis XIV aimait Molière en vertu de cette sympathie qui rapproche invinciblement les grandes âmes. Le roi s’est honoré en protégeant le poëte; aujourd’hui qu’ils sont entrés l’un et l’autre dans la postérité, les rôles sont intervertis, et c’est la mémoire du grand poëte qui protége à son tour la mémoire du grand roi. Le moment est arrivé où Molière va le plus avoir besoin de l’appui de Louis XIV. Tourner en ridicule les petits marquis, c’était déjà passablement audacieux; mais attaquer les hypocrites!... Nous allons voir Molière préluder au coup terrible qu’il leur porta dans _Tartufe_. CHAPITRE III. Le _Don Juan_ de Tirso de Molina et celui de Molière.--Fureur des hypocrites en voyant les _Provinciales_ transportées sur le théâtre. On jouait alors sur tous les théâtres de Paris, sans en excepter celui des Marionnettes, _le Festin de Pierre_, traduit ou imité de l’espagnol, de Tirso de Molina. Le héros de cette pièce, don Juan Tenorio, a véritablement existé. Les chroniques de Séville en font mention; il siégeait parmi ces magistrats ou administrateurs publics qu’on appelait les vingt-quatre; il enleva réellement doña Anna, et lui tua son père, sans qu’il fût possible à la famille outragée d’obtenir justice. Les franciscains résolurent de délivrer Séville d’un homme qui était l’effroi général. Ils trouvèrent moyen, par l’appât d’un rendez-vous, d’attirer don Juan, le soir, dans leur église, où était enterré le commandeur. Don Juan ne reparut jamais. Les moines répandirent sur son compte cette terrible et merveilleuse légende, qui est devenue la source de tant de poésie. Un religieux de la Merci, Fray-Gabriel Tellez, qui, sous le nom de Tirso de Molina, a enrichi la scène espagnole de plusieurs chefs-d’œuvre, envisagea le sujet de don Juan avec l’œil du génie. Son drame est profondément empreint d’une horreur religieuse. Les scènes de la statue avec le débauché, le souper dans le sépulcre du commandeur, sont de nature à faire frissonner un auditoire populaire, surtout un auditoire espagnol. Çà et là étincellent de grands traits, des mots sublimes; je n’en citerai qu’un. Dans la première scène entre don Juan et la statue du commandeur, le meurtrier demande à sa victime en quel état la mort l’a surpris, quel est son sort dans l’autre vie, en un mot s’il est sauvé ou damné. Le spectre ne répond pas à cette question; mais à la fin de cette terrible scène, lorsque don Juan prend une bougie pour reconduire le commandeur, celui-ci l’arrête, et dit solennellement: «Ne m’éclaire pas; JE SUIS EN ÉTAT DE GRACE!» Quel mot! et comme, après cette longue anxiété, l’auditoire catholique devait respirer! Dans Molière la statue dit aussi: «On n’a pas besoin de lumière quand on est conduit par le ciel.» Mais ici la révélation est indifférente et la phrase sans portée, parce qu’elle ne répond à rien. C’est une froide équivoque sur le mot _lumière_, une maxime aussi convenable dans la bouche d’un philosophe que dans celle d’un revenant. Le don Juan espagnol n’a donc que les semblants de l’incrédulité; c’est un fanfaron d’athéisme, et il n’en est que plus dramatique. Molière, pressé par sa troupe, qui voulait avoir aussi son _Festin de Pierre_, ne pouvait accepter complétement la donnée de Tirso. L’imagination n’était pas le caractère du XVIIe siècle, encore moins l’imagination fantastique: c’est la raison, tantôt austère, tantôt embellie, par les charmes du langage, mais toujours la raison. Molière refit donc le caractère de don Juan; c’est Molière qui a créé le don Juan adopté par les arts, sceptique universel, railleur de toutes choses, incrédule en amour comme en religion et en médecine; type du vice élégant et spirituel, qui cependant intéresse et s’élève à force d’orgueil et d’énergie, comme le Satan de Milton. Il répandit ainsi une couleur philosophique sur sa pièce, et y intercala deux scènes excellentes: celle du pauvre et celle de M. Dimanche. La première fut jugée trop hardie, et supprimée à la seconde représentation; l’autre est d’un comique si parfait et si vrai, qu’on n’a pas le courage d’observer qu’elle est tout à fait hors des mœurs espagnoles, hors surtout du caractère altier de don Juan. Don Juan se transforme tout à coup ici en un marquis de la cour de Louis XIV, contraint de ruser et de s’assouplir devant un créancier importun. Mais M. Dimanche et son petit chien Brusquet sont demeurés proverbes. Malheureusement cette philosophie et ces peintures de la société ne font que mettre mieux en relief l’absurdité de la fantasmagorie finale. Au moins dans le monde de Tirso tout est poétique, tout est impossible depuis le commencement jusqu’à la fin, actions et personnages: il y a unité. Le poëte ne demande à son spectateur que la foi, la foi aveugle. Molière demande au sien la foi et la raison tout ensemble. Il passe brusquement du monde réel et prosaïque, dans le domaine de l’imagination et de la poésie. C’est là le vice radical de sa pièce: aussi son malaise est-il sensible, et s’empresse-t-il de tourner court, lorsqu’après quatre actes d’une portée toute morale et philosophique, il lui faut se servir d’un dénoûment qui ne va qu’aux idées religieuses de Tirso. On a hasardé ces remarques pour montrer que les plus admirables natures ne sauraient s’affranchir de certaines règles dictées par le bon sens vulgaire et l’expérience. Cela n’empêche pas que le _don Juan_ ne soit une des plus fortes conceptions de Molière, et de celles qui font le plus d’honneur à son génie. Ce don Juan a tous les vices. Remarquez la progression: il est débauché, esprit fort, impie, enfin hypocrite. Lisez, dans la seconde scène du cinquième acte, cette longue tirade de don Juan en faveur de l’hypocrisie: «Il n’y a plus de honte maintenant à cela: l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. La profession d’hypocrite a de merveilleux avantages, etc....» Quelle vigueur de coloris! quelle verve! quelle éloquence! Cléante n’en a pas davantage. «O ciel! s’écrie le bonhomme Sganarelle, qu’entends-je ici? Il ne vous manquait plus que d’être hypocrite pour vous achever de tout point; et voilà le comble des abominations!» Maintenant, si vous voulez savoir à qui tout cela s’adresse, tournez le feuillet: voyez dans la scène suivante don Juan, pressé par don Carlos, lui alléguer, pour toute réponse et toute explication, le ciel, l’intérêt du ciel! puis, lorsque don Carlos poussé à bout fait entendre quelques paroles de menaces, voyez de quel style don Juan le provoque en duel:--«Vous ferez ce que vous voudrez. Vous savez que je ne manque pas de cœur, et que je sais me servir de mon épée quand il le faut. Je m’en vais passer tout à l’heure dans cette petite rue écartée qui mène au grand couvent; mais je vous déclare, pour moi, que ce n’est point moi qui me veux battre: le ciel m’en défend la pensée! et si vous m’attaquez, nous verrons ce qui en arrivera.»--N’y êtes-vous pas encore? Eh bien! voyez donc dans la septième _Provinciale_ en quels termes, et par quels artifices de direction d’intention, le grand Hurtado de Mendoza autorise l’acceptation du duel, «en se promenant armé dans un champ en attendant un homme, sauf à se défendre si l’on est attaqué... Et ainsi l’on ne pèche en aucune manière, puisque ce n’est point du tout accepter un duel, ayant l’intention dirigée à d’autres circonstances. Car l’acceptation du duel consiste en l’intention expresse de se battre, laquelle celui-ci n’a pas.» Il est évident que Molière, en écrivant la scène de don Juan avec don Carlos, avait présent à la mémoire ce passage de Pascal. L’allusion ne pouvait échapper à personne. On ne sera donc pas étonné, connaissant ceux dont il s’agit, que des clameurs furibondes aient accueilli _le Festin de Pierre_. Un libelliste du parti osa implorer hautement l’autorité du roi contre _un farceur qui fait plaisanterie de la religion, et tient école de libertinage, contre ce monstre de Molière, qui est l’original de don Juan_. Leur rage s’augmentait encore de la rumeur occasionnée par _le Tartufe_. Molière n’en avait encore composé que trois actes, qui avaient été joués au Raincy, chez le duc d’Orléans. Louis XIV, assailli de toutes parts, s’était vu forcé d’interdire ces représentations jusqu’à plus ample informé; mais il s’empressa de dédommager Molière en accordant à sa troupe le titre de comédiens du roi, avec une pension de sept mille livres. Molière avait d’ailleurs la permission de lire tant qu’il voulait _Tartufe_ dans les sociétés, et, dit Boileau dans une note de ses Satires, tout le monde le voulait avoir. La guerre était déclarée entre Molière et les hypocrites. Les hostilités furent suspendues (de son côté, non du leur) par les représentations du _Misanthrope_, joué le 4 juin 1666. Molière avait alors quarante-quatre ans; son génie était dans toute sa vigueur, les chefs-d’œuvre se succédaient à de courts intervalles: on vit paraître en 1665 _Don Juan_; en 1666, _le Misanthrope_; en 1667, _Tartufe_; en 1668, _l’Avare_; sans compter les petites pièces d’un ordre inférieur, _l’Amour médecin_, _le Médecin malgré lui_, _la Princesse d’Élide_, _le Sicilien_, _Mélicerte_, et _la Pastorale comique_. CHAPITRE IV. _Le Misanthrope_;--critiqué par J. J. Rousseau.--Le _Timon_ de Shakspeare. La chute du _Misanthrope_ à la première représentation est une anecdote reproduite par tous les commentateurs. Ce n’en est pas moins une erreur. Il paraît avéré que le public fut en effet la dupe du sonnet d’Oronte; mais que son dépit soit allé jusqu’à faire tomber la pièce, c’est une de ces fables dont les anciens biographes de Molière se sont plu à embellir leur récit. Les registres de la Comédie constatent que _le Misanthrope_, seul, sans petite pièce qui l’accompagnât, fut représenté vingt et une fois de suite, succès extraordinaire pour le temps, et procura d’excellentes recettes. J. J. Rousseau, dans sa _Lettre à d’Alembert_, veut établir que le théâtre corrompt les mœurs. Prenons, dit-il, la meilleure de toutes les comédies, la plus morale; je vous prouverai qu’elle attaque la vertu, et il s’ensuivra _à fortiori_ que toutes les autres sont également ou plus dangereuses, corruptrices et perverses. Il choisit pour cette expérience _le Misanthrope_. Pourquoi pas _Tartufe_? C’est qu’il eût fallu prendre le parti des hypocrites contre la piété sincère; et, avec tout son talent pour le paradoxe, le citoyen de Genève aurait pu s’y trouver embarrassé. Au contraire, _le Misanthrope_ lui fournit l’occasion d’entretenir le public de lui-même. Il s’identifie avec Alceste, et peu s’en faut qu’il ne regarde la pièce de Molière comme une personnalité contre Jean-Jacques. Sa longue argumentation n’est qu’un tissu de sophismes, de contradictions et de puérilités. Molière a composé _le Misanthrope_ «pour faire rire aux dépens de la vertu,--pour avilir la vertu;» et cette intention, Molière ne l’a pas eue seulement dans _le Misanthrope_, mais _le Misanthrope_ «nous découvre la véritable vue dans laquelle Molière a composé _tout son théâtre_.»--«On ne peut nier, dit-il, que le théâtre de Molière ne soit _une école de vices et de mauvaises mœurs_, plus dangereuse que les livres mêmes où l’on fait profession de les enseigner.» Peut-être, en écrivant ces dernières paroles, la pensée de Rousseau se reportait à _la Nouvelle Héloïse_. Qu’il y pensât ou non, la flétrissure est plus applicable à ce roman qu’au _Misanthrope_ et à tout le théâtre de Molière. Deux pages plus loin, vous lisez:--«Dans toutes les autres pièces de Molière,..... _on sent pour lui au fond du cœur un respect_..., etc.» Du respect pour un professeur de vices et de mauvaises mœurs! pour celui qui tâche constamment d’_avilir la vertu_! Jean-Jacques n’y pensait pas! Si Molière a voulu, dans le personnage d’Alceste, avilir la vertu, il a bien mal réussi; car il n’est pas d’honnête homme qui, comme, le duc de Montausier, ne fût charmé de ressembler au Misanthrope. Le portrait que Rousseau se complaît à tracer du véritable Misanthrope est évidemment, dans son intention, le portrait de Jean-Jacques, c’est-à-dire, de l’homme parfait. «Le tort de Molière est d’avoir donné au Misanthrope des fureurs puériles sur des sujets qui ne devraient pas même l’émouvoir.» Eh! Jean-Jacques, rappelez-vous un peu la scène ridicule que vous-même vous jouâtes dans le salon du baron d’Holbach, lorsque le curé de Montchauvet y vint lire sa tragédie de _Balthazar_! Vous n’auriez pas dû vous émouvoir non plus des éloges perfides donnés à cet autre Oronte: cependant vous vous mîtes en fureur comme Alceste, et plus que lui; car, à partir de ce jour, vous rompîtes avec vos anciens amis, et ne voulûtes jamais les revoir. Avouez qu’Alceste est moins extrême et plus raisonnable. Mais c’est justement en quoi il vous déplaît. Vous vous plaignez de ses ménagements envers Oronte; vous voudriez qu’il lui parlât comme vous fîtes à l’auteur de _Balthazar_: «Votre pièce ne vaut rien, votre discours est une extravagance; tous ces messieurs se moquent de vous. Sortez d’ici, et retournez vicarier dans votre village[9].» En un mot, il aurait fallu que Molière devinât Rousseau, et fît son apologie anticipée en cinq actes; qu’au lieu d’Alceste et de Célimène, il peignît Jean-Jacques et Thérèse. C’est peut-être exiger beaucoup. [9] _Mémoires_ de l’abbé Morellet, II, 271. Shakspeare a fait, dans _Timon d’Athènes_, un misanthrope selon le cœur et le goût de Rousseau. Il nous montre d’abord Timon dans son palais, environné de luxe et d’un peuple de faux amis. Timon, ayant fini par les apprécier, les invite à un grand festin. On sert sur la table quantité de plats, tous remplis d’eau et de fumée. Tout à coup Timon se lève, les convives croient que c’est pour découper; point du tout! il leur jette les plats à la tête, en criant: «Fatale maison, que le feu te consume! Péris, Athènes, péris; et que désormais l’homme et tout ce qui a la figure humaine soit haï de Timon!» Ce disant, il se sauve au fond des bois, et plante là ses convives, fort mal édifiés. Dans la forêt, Timon rencontre un philosophe de son espèce. Ils ont ensemble une longue scène. Timon dit à Apémantus: «Tu es trop sale pour qu’on te crache au visage; que la peste t’étouffe!--APÉMANTUS. Tu es trop vil pour qu’on te maudisse.--TIMON. Hors d’ici; enfant d’un chien galeux. La colère me transporte de te voir vivant. Ta vue me soulève le cœur.--APÉMANTUS. Je voudrais te voir crever.--TIMON. Hors d’ici, ennuyeux importun. Je ne veux pas perdre une pierre après toi.--APÉMANTUS. Bête sauvage!--TIMON. Esclave!--APÉMANTUS. Crapaud!--TIMON. Coquin! coquin! coquin[10]!...» M. W. A. Schlegel appelle cela _une scène incomparable_[11]; mais il trouve _le Misanthrope_ de Molière, sinon tout à fait mauvais, au moins bien médiocre! [10] Acte IV, scène 3. [11] _Cours de littérature dramatique_, tome III, page 90. Il est clair que le Timon de Shakspeare a le cerveau dérangé; dès lors ce qu’il dit comme ce qu’il fait est sans portée morale. Alceste, au contraire, est assez sage pour se juger lui-même intérieurement: la preuve, c’est qu’avec Oronte, comme dans la scène des portraits, il fait des efforts inouïs pour se contenir, et ne s’échappe que poussé à bout. Tout l’effet comique et l’effet moral du rôle consistent dans ce tempérament de caractère. Mais le coup de maître est d’avoir fait Alceste amoureux, d’avoir courbé cette âme indomptée sous le joug de la passion, et montré par là surtout que le plus sage ne peut être complétement sage, Et que dans tous les cœurs il est toujours de l’homme. Ce vers renferme toute la pièce. Avant Molière, on n’avait présenté l’amour sur la scène qu’à l’espagnole, c’est-à-dire, comme une vertu héroïque qui grandit les personnages. C’est ainsi que Corneille l’a employé dans _le Cid_, dans _Cinna_, partout. Molière le premier, d’après sa triste expérience, a peint l’amour comme une faiblesse d’un grand cœur. De là des luttes qui peuvent s’élever jusqu’au tragique; et Molière y touche dans la scène du billet: _Ah! ne plaisantez pas; il n’est pas temps de rire_, etc. Racine tira de cette admirable scène une importante leçon. Il n’avait encore donné que _la Thébaïde_ et _Alexandre_, et, dans ces deux pièces, il avait traité l’amour suivant le procédé de Corneille; mais, après avoir vu _le Misanthrope_, il rompit sans retour avec l’amour romanesque, et abandonna la convention pour la nature, que Molière lui avait fait sentir. Un an juste après _le Misanthrope_ parut _Andromaque_, qui commence l’ère véritable du génie de Racine. Il y a plus: la position de Pyrrhus et d’Hermione n’est pas sans analogie avec celle d’Alceste et de Célimène. Quand Voltaire dit, «C’est peut-être à Molière que nous devons Racine,» il ne songeait qu’aux encouragements pécuniaires[12] et aux conseils dont le premier aida le second; mais ce mot peut encore être vrai dans un sens plus étendu. [12] Racine, arrivant d’Uzès, vint soumettre à Molière son premier essai de tragédie, _Théagène et Chariclée_; Molière lui donna cent louis, et le sujet de _la Thébaïde_. CHAPITRE V. _Tartufe._ Beaucoup de critiques d’une autorité imposante ont proclamé _le Misanthrope_ le chef-d’œuvre de la scène française: on prend ici la liberté de n’être pas de leur avis. Quelque prodigieuse que soit cette œuvre, où Molière s’était fait comme à plaisir un sujet stérile et dénué d’action pour triompher ensuite des obstacles, _Tartufe_, soit que l’on considère le mérite de la difficulté vaincue, la perfection du style, ou la hauteur du but et l’importance du résultat, me paraît l’emporter sur _le Misanthrope_. Prenez-le philosophiquement, prenez-le au point de vue dramatique ou au point de vue purement littéraire, _Tartufe_ est le dernier effort du génie. Quelle admirable combinaison de caractères! Deux morales sont mises en présence: la vraie piété se personnifie dans Cléante, l’hypocrisie dans Tartufe. Cléante est la ligne inflexible tendue à travers la pièce pour séparer le bien du mal, le faux du vrai. Orgon, c’est la multitude de bonne foi, faible et crédule, livrée au premier charlatan venu, extrême et emportée dans ses résolutions comme dans ses préjugés. Le fond du drame repose sur ces trois personnages. A côté d’eux paraissent les aimables figures de Marianne et de Valère; la piquante et malicieuse Dorine, chargée de représenter le bon sens du peuple, comme madame Pernelle en représente l’entêtement; Damis, l’ardeur juvénile qui, s’élançant vers le bien et la justice avec une impétuosité aveugle, se brise contre l’impassibilité calculée de l’imposteur; Elmire enfin, toute charmante de décence, quoiqu’elle aille _vêtue ainsi qu’une princesse_. Quelle habileté dans cette demi-teinte du caractère d’Elmire, de la jeune femme unie à un vieillard! Si Molière l’eût faite passionnée, tout le reste devenait à l’instant impossible ou invraisemblable: la résistance d’Elmire perdait de son mérite; Elmire était obligée de s’offenser, de se récrier, de se plaindre à Orgon. Point: Une femme se rit de sottises pareilles, Et jamais d’un mari n’en trouble les oreilles. Elle n’éprouve pour Tartufe pas plus de haine que de sympathie; elle le méprise, c’est tout. Ce sang-froid était indispensable pour arriver à démasquer l’imposteur. Elmire nous prouve quels sont les avantages d’une honnête femme qui demeure insensible sur la passion du plus rusé des hommes, de Tartufe. _Amour, Amour, quand tu nous tiens!....._ s’écrie le fabuliste. Il n’est pas jusqu’à M. Loyal qui ne soit utile au tableau. M. Loyal, tout confit en patelinage, en bénignité doucereuse et dévote, est un reflet de ce bon M. Tartufe. Gageons que M. Tartufe a été son directeur? Derrière M. Loyal, j’aperçois Laurent: _Laurent, serrez ma haire avec ma discipline_. C’est une perspective d’hypocrisie à perte de vue. Molière fait entrevoir à quelle profondeur s’étendent les ramifications de la _société_, comme dit Pascal, de la _cabale_, comme l’appelle Cléante. _Tartufe_ parut dans un moment de crise. Aux guerres de la Fronde avaient succédé les querelles religieuses. Deux sectes célèbres étaient en lutte: Jansénius, accusé de schisme et d’hérésie; Molina, de relâchement et d’ambition. La morale de Port-Royal était austère avec sincérité, peut-être même avec excès; la morale des jésuites, au fond relâchée et sophistiquée, n’avait de la sévérité que les apparences. De quel côté pencherait un jeune roi, emporté par le goût des voluptés? L’éducation qu’il avait reçue de Mazarin n’était pas rassurante. Par les soins d’une politique corrompue, Louis XIV avait été élevé dans un oubli complet de ses devoirs, mais dans l’habitude de toutes les pratiques extérieures de la religion. Livré à l’ignorance et à ses passions, un moyen naturel s’offrait à lui de tout concilier, de satisfaire à la fois la vieille cour et la nouvelle: l’hypocrisie lui tendait les bras, il n’avait qu’à s’y jeter. En ce péril, Molière se dévoua pour sauver le roi et la nation. Le comédien entreprit de démasquer publiquement l’hypocrisie, à la veille peut-être de monter sur le trône; il résolut d’éclairer cette hideuse figure d’une telle lumière, qu’elle fît naître en même temps l’effroi, le dégoût, et l’envie de rire. Quel problème d’art! Car il n’est peut-être pas, l’ingrat excepté, un seul caractère plus opposé que celui de l’hypocrite aux mœurs de la comédie; et l’ingrat et l’hypocrite sont réunis dans le Tartufe. L’audace vertueuse de Molière n’eut peur de rien, ne déguisa rien. Lorsque Cléante presse Tartufe de remettre en grâce Damis avec son père, et lui rappelle que la religion prescrit le pardon des injures, Tartufe échappe à l’argument par la direction d’intention: _Hélas! je le voudrais, quant à moi, de bon cœur_, etc. La même théorie lui fournit un prétexte pour enlever à un fils son héritage: c’est de peur _que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains_. Vous retrouvez la maxime favorite de Loyola: La fin justifie les moyens. Quand Elmire oppose le ciel aux vœux de Tartufe: _Si ce n’est que le ciel!_ répond-il. Et tout de suite il lui développe cette précieuse doctrine de la direction d’intention: Selon divers besoins, il est une science D’étendre les liens de notre conscience, Et de rectifier le mal de l’action Avec la pureté de notre intention. Il semble qu’on lise la neuvième Provinciale, fortifiée du charme d’une versification nerveuse et facile. Et pourquoi Orgon a-t-il confié aux mains de Tartufe la cassette compromettante d’Argas? Il vous le dit: c’est par suite de la doctrine des restrictions mentales, Afin que pour nier, en cas de quelque enquête, J’eusse d’un faux-fuyant la faveur toute prête, Par où ma conscience eût pleine sûreté A faire des serments contre la vérité. Orgon n’a point à se plaindre: il est puni par où il a péché. La société humaine ne subsiste que par la bonne foi: donc l’hypocrisie attaque la société dans sa base. C’est la moralité évidente de la pièce. Ensuite Molière fait appel à tous les nobles instincts de la grande âme de Louis XIV; il sollicite son amour de la gloire et de la louange. Au dénoûment, cet éloge du roi, que Voltaire a blâmé comme un hors-d’œuvre[13], est tout ce qu’il y a de plus adroit et de plus équitable. Adroit, en ce que le conseil se glisse sous la forme de la louange, et que le poëte, par de fines allusions, lie, pour ainsi dire, le monarque, et lui fait contracter l’obligation de réprimer l’hypocrisie et de châtier les hypocrites. Équitable; sans Louis XIV est-ce que _Tartufe_ eût jamais été représenté? Et qui sauva Molière en butte aux saintes fureurs de ceux qu’il dévoilait? Contre ce torrent d’injures, d’anathèmes, d’intrigues, de libelles, quel autre bras s’opposa que le bras de Louis XIV? quel autre s’y fût opposé efficacement? Une reconnaissance légitime, une affection réciproque excuserait encore Molière, s’il se fût avancé trop loin; mais Molière n’a pas besoin d’excuse: il n’a jamais loué dans Louis XIV que ce qui était louable. [13] Voyez dans _le Lexique_ l’article IL. Aujourd’hui que le retour des mêmes intérêts nous fait assister aux mêmes violences, il est encore impossible de se figurer jusqu’où fut porté le déchaînement contre l’auteur du _Tartufe_. Un curé de Paris publia un libelle où il appelle Molière «un démon vêtu de chair, habillé en homme; un libertin, un impie _digne d’être brûlé publiquement_.» Il serait dommage que la postérité ne sût pas le nom de ce bon prêtre; elle en aura l’obligation à M. J. Taschereau, qui a découvert qu’il se nommait Pierre Roullès, curé de Saint-Barthélemy; digne, comme on voit, de desservir l’autel placé sous cette invocation sinistre. L’archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, prêtre indigne, dont les mœurs dissolues déshonoraient publiquement le sacerdoce, donna un mandement dans lequel il _excommunie_ quiconque lirait ou verrait jouer _Tartufe_; en quoi il faut avouer qu’il agit moins par ressentiment personnel que par esprit de corps, car il ne se donnait même pas la peine d’être hypocrite. C’est de lui que Fénelon écrivait à Louis XIV: «Vous avez un archevêque corrompu, scandaleux, incorrigible, faux, malin, artificieux, ennemi de toute vertu, et qui fait gémir tous les gens de bien. Vous vous en accommodez, parce qu’il ne songe qu’à vous plaire par ses flatteries. Il y a plus de vingt ans qu’en prostituant son honneur, il jouit de votre confiance. Vous lui livrez les gens de bien, et lui laissez tyranniser l’Église[14].» Voilà le saint personnage qui lance l’anathème contre Molière, parce que sa comédie, «sous prétexte de condamner la fausse dévotion et l’hypocrisie, donne lieu d’en accuser ceux qui font profession de la plus solide piété, et les expose aux railleries des libertins.» Le père Bourdaloue ne rougit pas de prêcher en chaire contre Molière, ce qui revient à prendre en main la cause de Tartufe et de ses pareils. L’argument du jésuite est celui de l’archevêque: «Comme la véritable et la fausse dévotion ont un grand nombre d’actions qui leur sont communes, et comme les dehors de l’une et de l’autre sont presque tout semblables, les traits dont on peint celle-ci _défigurent celle-là_[15].» [14] Lettre de Fénelon à Louis XIV, p. 32, éd. de M. Renouard. [15] _Sermon_ pour le septième dimanche après Pâques. Nullement. Molière, qui avait prévu et ce danger et ce reproche, s’est appliqué à les éviter, en traçant avec un soin religieux la ligne de démarcation entre le vrai et le faux zèle. C’est là, je le répète, le but principal de ce rôle éloquent de Cléante. Mais on veut l’ignorer, pour se ménager un prétexte de déclamations, et se livrer à son aise à des alarmes affectées. Ainsi voilà, par le raisonnement de Bourdaloue, la plus cruelle ennemie de la piété, l’hypocrisie, rendue inviolable au nom de la religion! Il faudra, suivant Bourdaloue, ne toucher à aucun abus, de peur de nuire à l’usage, et respecter le mensonge par égard pour la vérité! Désormais le sanctuaire abritera au même titre les saints confondus avec les impies, ou plutôt les impies seront ceux qui tâchent de discerner les boucs des brebis, le crime de la vertu, l’hypocrisie de la piété! Parce qu’il y a des hommes qui aiment Dieu et veulent faire prospérer son culte, il faut assurer, non-seulement l’impunité, mais les honneurs de la vertu à ceux dont la conduite ferait détester la religion, et tend à la ruine du culte! C’est pourtant là l’argument unique que, depuis un siècle et demi, l’on veut faire prévaloir contre la comédie de Molière et les adversaires de la _tartuferie_! Combien plus sensé et plus judicieux est celui qui écrit:--«L’hypocrite est le plus dangereux des méchants, la fausse piété étant cause que les hommes n’osent plus se fier à la véritable. Les hypocrites souffrent dans les enfers des peines plus cruelles que les enfants qui ont égorgé leurs pères et leurs mères, que les épouses qui ont trempé leurs mains dans le sang de leurs époux, que les traîtres qui ont livré leur patrie après avoir violé tous leurs serments.»--Je reconnais le langage d’un honnête homme et d’un chrétien: c’est celui de Fénelon[16]. [16] _Télémaque_, livre XVIII. Aussi Fénelon prit-il ouvertement le parti de Molière et de sa comédie. Il n’hésita point à blâmer tout haut la sortie de Bourdaloue: «Bourdaloue, disait-il, n’est point Tartufe; mais ses ennemis diront qu’il est jésuite[17].» Le mot est dur pour les jésuites. [17] D’ALEMBERT, _Eloge de Fénelon_. On vit alors ce qui s’est renouvelé depuis, la violence avec les dévots agresseurs, et la modération avec les laïques offensés. Molière ne répondit que par ses _Placets_ au roi, et peut-être par la _Lettre sur l’Imposteur_, où brille une si profonde entente de la scène, qu’il est permis de la lui attribuer, malgré les incorrections probablement préméditées d’un style qui se déguise. _Tartufe_ obtint un succès immense. Il est humiliant pour l’esprit humain que _la Femme juge et partie_ l’ait contre-balancé par un succès égal, et que Montfleury ait brillé un instant au niveau de Molière. Ces égarements de l’opinion publique ne durent pas. L’unique suffrage littéraire qui ait manqué au _Tartufe_, est celui de la Bruyère; mais, tandis que Tartufe soulève encore d’implacables ressentiments, l’Onuphre de la Bruyère n’a jamais offensé personne. Qui ne connaît l’anecdote de Molière notifiant au public la défense qu’il venait de recevoir de représenter _Tartufe_? _M. le premier président ne veut pas qu’on le joue._ Le fait est aussi faux qu’il est accrédité. Sous un roi comme Louis XIV, une plaisanterie si déplacée, un si grossier outrage lancé publiquement par un comédien contre un magistrat, contre l’illustre Lamoignon, ne fût certainement pas resté impuni: Molière, aimé de Louis XIV, était d’ailleurs l’homme de France le plus incapable de blesser à ce point les convenances, sans parler des égards qu’il devait à Boileau, honoré de l’intimité de M. de Lamoignon. Ce conte, beaucoup plus vieux que Molière, a été ramassé dans les _Anas_ espagnols, qui attribuent ce mot à Lope ou à Calderon, au sujet d’une comédie de _l’Alcade_: _L’alcade ne veut pas qu’on le joue_. Quelqu’un a trouvé spirituel de transporter cette facétie à Molière, et l’invention a fait fortune. La biographie des grands hommes est remplie de ces impertinences: c’est le devoir de la critique de les signaler, et d’en obtenir justice. CHAPITRE VI. _Amphitryon_, _George Dandin_, _l’Avare_.--Les farces de Molière.--Ses derniers ouvrages. _Amphitryon_, _George Dandin_, _l’Avare_, parurent l’année suivante. De ces trois comédies, les deux premières ont encouru le reproche d’immoralité, et, toujours emporté par son amour du paradoxe, Jean-Jacques ne l’a pas épargné même à la troisième, à cause d’un mot: «_Je n’ai que faire de vos dons_.» Cette ironie de Cléante est criminelle, d’accord; Molière l’entend bien ainsi: il veut montrer comment un père avare amène son fils à lui manquer de respect. Personne ne peut s’y méprendre. S’il était dit sérieusement, c’est alors que le mot serait immoral. C’est ce que M. Saint-Marc Girardin fait toucher avec autant de bon sens que de finesse, en traduisant _je n’ai que faire de vos dons_ en style du drame moderne: «HARPAGON. Je te maudis! CLÉANTE (_gravement_). Vous n’en avez plus le droit. Maudire, cela est d’un père; vous êtes mon rival. Maudire, cela est d’un prêtre; mais où sont en vous les signes du prêtre, la colère vaincue et les passions domptées? Vous n’êtes ni père ni prêtre: (_avec solennité et intention_) JE N’ACCEPTE PAS VOTRE MALÉDICTION!» «Quel est, demande ensuite M. Saint-Marc Girardin, quel est de ces deux mots le plus corrupteur? Lequel met le plus en discussion le mystère de l’autorité paternelle?» (_Cours de littérature dramatique_, page 325.) Dans _Amphitryon_, l’éloignement des temps, des lieux, la différence des mœurs grecques avec les nôtres, l’intervention des personnages mythologiques, la banalité d’une légende connue même des enfants, mille circonstances, écartent le danger. _Amphitryon_ est une étude d’après l’antique, et n’est pas plus immoral que la Diane chasseresse ou l’Apollon du Belvédère ne sont indécents. _George Dandin_, c’est autre chose: «La coquetterie de la femme, dit Voltaire, n’est que la punition de la sottise que fait George Dandin d’épouser la fille d’un gentilhomme ridicule.» Soit; mais, en attendant, le vice d’Angélique joue le rôle avantageux, il triomphe, et les conséquences de ce vice sont plus funestes à la société que celles de la sottise de George Dandin. Toutefois, ce n’est pas à Rousseau à se plaindre et à déclamer si haut; car la récrimination serait facile contre lui. L’adultère de madame de Wolmar est d’un pire exemple que celui d’Angélique. Le vice d’Angélique n’est que spirituel; dans Julie, il est intéressant, ennobli par la passion; il emprunte les dehors de la vertu, tout au plus est-il présenté comme une faiblesse rachetable. On ne peut s’empêcher de mépriser Angélique; mais Rousseau prétend faire estimer Julie, Julie qui n’a pas, comme Angélique, l’excuse d’un mari sot, d’un George Dandin. Enfin, quand on a ri à la comédie de Molière, toutes les conséquences, ou à peu près, en sont épuisées, il n’en reste guère de trace; au contraire, _la Nouvelle Héloïse_ a fondé cette école de l’adultère sentimental, qui, de nos jours, a envahi le roman, le théâtre, et jusqu’à certaines théories philosophiques. Mais _George Dandin_ offre aussi son côté moral. Les bourgeois, en 1668, sont pris d’une manie qui va devenir épidémique: ils veulent sortir de leur sphère, monter, contracter de grandes alliances et de grandes amitiés; ils se hissent sur leur coffre-fort pour atteindre jusqu’à l’aristocratie et s’y mêler. De son côté, l’aristocratie est fort disposée à se baisser, à descendre, à se mêler familièrement aux bourgeois pour puiser dans leur caisse, tout en raillant et en méprisant ceux qu’elle pressure. La roture opulente passant un marché avec la noblesse besoigneuse, cette donnée qui a défrayé tout le théâtre de Dancourt et quelques-unes des meilleures comédies du dix-huitième siècle, c’est Molière qui le premier l’a trouvée. Molière, avant le Sage et d’Allainval, a châtié la sotte vanité des uns et la cupidité avilissante des autres. George Dandin et M. Jourdain sont les types du ridicule des bourgeois, et le marquis Dorante personnifie la bassesse de certains gentilshommes d’alors. Seulement M. Jourdain possède un travers de plus que le rustique Dandin: à l’ambition de la noblesse, il joint celle des belles manières et du savoir. Molière semble l’avoir créé tout exprès pour servir de preuve et de commentaire à la pensée de Montaigne: «La sotte chose qu’un vieillard abecedaire! on peut continuer en tout temps l’estude, mais non pas l’escholage.» Les trois premiers actes du _Bourgeois gentilhomme_ égalent ce que Molière a produit de meilleur: quel dommage que l’impatience et les ordres de Louis XIV aient précipité les deux derniers dans la farce! Au reste, cette farce joyeuse n’est pas si loin de la vérité qu’elle le paraît. L’abbé de Saint-Martin, célèbre dans ce temps-là, justifie la réception du Mamamouchi: on lui fit accroire que le roi de Siam l’avait créé mandarin et marquis de Miskou, et il apposa sa signature à ces deux diplômes[18]. Molière n’est jamais sorti de la nature; ce n’est pas sa faute si le vrai n’est pas toujours vraisemblable. [18] On publia en trois volumes le récit de cette plaisanterie, sous le titre d’_Histoire comique du mandarinat de l’abbé de Saint-Martin_. Ceux qui cultivent les lettres ou les arts ont souvent à lutter contre des préjugés et des obstacles dont la postérité ne peut se faire d’idée. Croirait-on, par exemple, que l’emploi de la prose, dans une comédie de caractère en cinq actes, compromit gravement le succès de _l’Avare_? Le témoignage des contemporains, en particulier de Grimarest, confirmé par Voltaire, ne permet pas d’en douter. Quant aux inculpations plus graves de Rousseau, Marmontel y a répondu; et un sens droit, à défaut de Marmontel, en eût fait justice. J’aime mieux invoquer en faveur de la comédie de Molière le mot connu d’un confrère d’Harpagon: «Il y a beaucoup à profiter dans cette pièce: on y peut prendre d’_excellentes leçons d’économie_[19].» [19] Grandménil, qui jouait Harpagon au naturel, trouvait aussi la pièce fort bonne: il y avait pourtant remarqué une faute.--Laquelle? C’est au sujet du diamant qu’au nom de son père Éraste fait accepter à Élise. Plus tard, au dénoûment, le mariage d’Harpagon est rompu, c’est Éraste qui épouse Élise, et il n’est plus question de ce diamant! Harpagon devrait le réclamer.--L’art a beau être habile, la nature garde toujours sa supériorité. Diderot, avec son exagération habituelle, dit quelque part: «Si l’on croit qu’il y ait beaucoup plus d’hommes capables de faire _Pourceaugnac_ que de faire _Tartufe_ ou _le Misanthrope_, on se trompe.» Sans aller si loin, on peut dire que _Monsieur de Pourceaugnac_, _les Fourberies de Scapin_ et _le Malade imaginaire_ sont des farces où abondent des scènes de haute comédie, des farces remplies de verve, de sel, d’une intarissable gaieté, telles enfin qu’un génie supérieur pouvait seul les composer. Il faut se rappeler que Molière était directeur de spectacle, obligé, comme il le disait, de donner du pain à tant de pauvres gens, et que les connaisseurs au goût pur et austère ne forment, dans tous les temps, qu’une très-petite minorité. Molière termina sa carrière comme il l’avait commencée, en immolant les précieuses, les pédants et les pédantes. _Les Femmes savantes_ furent son dernier chef-d’œuvre, comparable au _Misanthrope_ et au _Tartufe_, sinon par l’élévation du but, au moins par le style, par les détails, et l’art de féconder, d’étendre un sujet ingrat, stérile et borné. On a reproché à Molière d’avoir joué l’abbé Cotin en plein théâtre; Cotin, dit-on, en mourut de chagrin. On a prétendu de même que les satires de Boileau avaient rendu fou l’abbé Cassagne. Ces rumeurs ont été accueillies par Voltaire mal à propos. Il est prouvé que Cassagne mourut en pleine jouissance de son bon sens, tel que Dieu le lui avait départi, et que l’abbé Cotin survécut dix ans aux _Femmes savantes_. Il n’est pas moins prouvé que ces deux hommes avaient fait tout leur possible pour nuire à Despréaux et à Molière, et s’étaient attiré le rude châtiment auquel ils doivent d’être immortels. CHAPITRE VII. Caractère privé de Molière.--Sa mort.--Son talent comme auteur. Qui jugerait du caractère des auteurs par celui de leurs ouvrages s’exposerait à des erreurs étranges. Les plus folles comédies de Molière furent composées à la fin de sa vie, lorsqu’il était tourmenté de souffrances morales. Molière réunissait deux dispositions d’esprit en apparence contradictoires, et que néanmoins on trouve souvent associées, l’enjouement des paroles et la mélancolie de l’âme: l’un résulte de la vivacité de l’esprit, l’autre de la tendresse du cœur. Personne ne fut meilleur que Molière, personne peut-être ne fut plus malheureux intérieurement. Il était très-porté à l’amour: sa passion pour Armande Béjart, passion qui sembla s’accroître par le mariage, empoisonna son existence. Les galanteries de mademoiselle Molière étaient publiques, tantôt avec Lauzun, tantôt avec le duc de Guiche, tantôt, avec un autre grand seigneur; car du moins elle n’_encanaillait_ pas ses amours. Sa coquetterie ne se contint pas même devant le fils adoptif de Molière, le jeune Baron, que Molière chérissait paternellement, et se plaisait à former. Les bienfaits de cet infortuné grand homme tournaient contre lui: c’est ainsi qu’il s’était vu trahi par Racine, mais d’une façon pourtant moins sensible et cruelle. _La Fameuse comédienne_, biographie satirique de mademoiselle Molière, rapporte une longue conversation entre Molière et Chapelle, dans laquelle le premier expose à son ami la vivacité et la tyrannie de ce funeste amour. Les traits en sont désespérés, et cette peinture est à la fois si naïve et si véhémente, qu’il n’est guère possible qu’elle ne soit vraie.--«Mes bontés, dit le pauvre Molière, ne l’ont point changée. Je me suis donc déterminé à vivre avec elle comme si elle n’était point ma femme; mais si vous saviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi! Ma passion est venue à un tel point, qu’elle va jusqu’à entrer avec compassion dans ses intérêts; et quand je considère combien il m’est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en même temps qu’elle a peut-être la même difficulté à détruire le penchant qu’elle a d’être coquette, et je me trouve plus de disposition à la plaindre qu’à la blâmer. Vous me direz sans doute qu’il faut être poëte pour aimer de cette manière; mais, pour moi, je crois qu’il n’y a qu’une sorte d’amour, et que les gens qui n’ont point senti de semblables délicatesses n’ont jamais aimé véritablement... Quand je la vois, une émotion qu’on peut sentir, mais qu’on ne saurait exprimer, m’ôte l’usage de la réflexion. Je n’ai plus d’yeux pour ses défauts: il m’en reste seulement pour ce qu’elle a d’aimable.» C’est exactement l’amour d’Alceste pour Célimène. Molière, devant ce même public qu’il avait tant réjoui aux dépens des maris trompés, voulut une fois épancher noblement la douleur qui navrait son âme. De là vient que _le Misanthrope_, sans action, est si intéressant: c’est le cœur du poëte qui s’ouvre, c’est dans le cœur de Molière que vous lisez, sans vous en douter; tout cet esprit si fin, cette délicatesse élevée, cette jalousie vigilante et confuse d’elle-même, cette fière vertu rebelle à la passion qui la dompte, c’est Molière, c’est lui qui se plaint, qui se débat, qui s’indigne; c’est lui que vous aimez, que vous admirez, de qui vous riez d’un rire si plein de bienveillance et de respect. Quel homme que celui qui, pour créer un tel chef-d’œuvre, n’a eu besoin que de se peindre au naturel! Et quel spectacle quand Molière jouait Alceste, et mademoiselle Molière Célimène! Ce n’était plus l’illusion, c’était la réalité. Lorsque vous verrez _le Misanthrope_, songez à Molière, à son infortune profonde; persuadez-vous bien que, sous le nom d’Alceste, c’est lui-même que vous avez devant les yeux, et vous sentirez quelle douleur amère se cache au fond de ce charmant plaisir. Le cœur se serre de tristesse quand on entend Molière dire à son ami Rohault, le célèbre physicien: «Oui, mon cher monsieur Rohault, je suis le plus malheureux des hommes, et je n’ai que ce que je mérite[20].» [20] Grimarest, _Vie de Molière_. On lit toujours avec plaisir deux traits qui peignent la générosité du cœur de Molière. Un pauvre comédien de campagne appelé Mondorge, qui avait jadis fait partie de la troupe de Molière, n’osant, à cause de son extrême misère, se présenter devant lui, fit solliciter par Baron quelques secours, afin de pouvoir rejoindre sa troupe. Molière, qui ne perdait pas une occasion d’exercer son élève, lui demande combien il fallait donner. Baron répond au hasard: «Quatre pistoles.--Donnez-lui, dit Molière, ces quatre pistoles pour moi; mais en voilà vingt qu’il faut que vous lui donniez pour vous, car je veux qu’il vous ait l’obligation de ce service.» Ce qui fut exécuté. Molière ne s’en tint pas là: il voulut voir son ancien camarade; il le consola et l’embrassa, dit Laserre[21], et mit le comble à ce bon accueil par le cadeau d’un magnifique habit de théâtre. [21] _Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière._ Une autre fois, un mendiant lui demanda l’aumône. Molière, qui était fort charitable, lui jette une pièce de monnaie; le mendiant court après la voiture où Molière s’entretenait avec Charpentier, qui composa la musique du _Malade imaginaire_: «Monsieur, dit le pauvre, vous n’aviez probablement pas dessein de me donner un louis d’or; je viens vous le rendre.--Tiens, mon ami, dit Molière, en voilà un autre.» Et comme son génie était continuellement en sentinelle, il s’écria: «Où la vertu va-t-elle se nicher!» Molière était taciturne, comme Corneille; Boileau l’avait surnommé _le contemplateur_. Avec cette humeur sérieuse, il était obligé de représenter les personnages comiques ou ridicules, où il était, dit-on, incomparable. Ses rôles habituels étaient Mascarille, George Dandin, Scapin, Sganarelle, Pourceaugnac: il se dédommageait par des rôles d’un comique plus relevé, dans Arnolphe, Orgon, Harpagon, surtout dans Alceste et le bonhomme Chrysale; mais peignez-vous le grave Molière jouant Sosie dans _Amphitryon_, Zéphire dans _Psyché_, ou Moron de _la Princesse d’Élide_! Encore s’il n’eût joué que ses ouvrages! mais il était obligé de faire valoir en conscience toutes les platitudes, soit en vers, soit en prose, dont les auteurs ses rivaux voulaient bien gratifier son théâtre. Il est plus que probable que lorsqu’on représentait _Don Japhet_, _l’Héritier ridicule_ et les _Jodelet_ de Scarron, Molière remplissait le principal rôle de ces ignobles comédies, qui avaient encore l’honneur d’être jouées à la cour devant le roi. Apparemment aussi ces rôles donnèrent lieu à une foule de particularités concernant Molière, qui nous sembleraient bien piquantes si nous pouvions les savoir. Une seule anecdote, conservée par Grimarest, servira d’échantillon. Molière jouait Sancho dans le _Don Quichotte_ de Guérin du Bouscal, et se tenait dans la coulisse, monté sur son âne, guettant le moment d’entrer. «Mais l’âne, qui ne savait pas son rôle par cœur, n’observa point ce moment, et dès qu’il fut dans la coulisse il voulut entrer en scène, quelques efforts que Molière employât pour qu’il n’en fît rien. Molière tirait le licou de toute sa force; l’âne n’obéissait point, et voulait paraître. Molière appelait: _Baron! Laforêt! à moi!... ce maudit âne veut entrer!_ Cette femme était dans la coulisse opposée, d’où elle ne pouvait passer par-dessus le théâtre pour arrêter l’âne; et elle riait de tout son cœur de voir son maître renversé sur le derrière de cet animal, tant il mettait de force à tirer le licou pour le retenir. Enfin, destitué de tout secours et désespérant de vaincre l’opiniâtreté de son âne, il prit le parti de se retenir aux ailes du théâtre, et de laisser glisser l’animal entre ses jambes, pour aller faire telle scène qu’il jugerait à propos. Quand on fait réflexion au caractère d’esprit de Molière, à la gravité de sa conversation, il est risible que ce philosophe fût exposé à de pareilles aventures, et prît sur lui les personnages les plus comiques.» Ce genre de vie, qui avait été la vocation de sa jeunesse, était devenu l’affliction de son âge mûr. Grimarest rapporte qu’un jour, s’en expliquant à un de ses amis: «Ne me plaignez-vous pas, lui dit-il, d’être d’une profession si opposée à l’humeur et aux sentiments que j’ai maintenant? J’aime la vie tranquille, et la mienne est agitée par une infinité de détails communs et turbulents sur lesquels je n’avais pas compté, et auxquels il faut que je me livre tout entier.» Et comme cet ami cherchait à lui faire envisager certains côtés moins tristes de sa condition, Molière ajouta: «Vous croyez peut-être qu’elle a ses agréments? vous vous trompez. Il est vrai que nous sommes en apparence recherchés des grands seigneurs; mais ils nous assujettissent à leurs plaisirs, et c’est la plus triste de toutes les situations que d’être l’esclave de leurs fantaisies. Le reste du monde nous regarde comme des gens perdus, et nous méprise!» Mais puisque Molière était si désenchanté de la comédie, que ne la quittait-il? Il l’aurait pu: sa fortune, sans être considérable, le lui aurait permis; sa santé délabrée se joignait à son goût pour l’engager au repos. L’Académie offrait même un fauteuil à l’auteur du _Misanthrope_, s’il voulait renoncer au métier de comédien. Boileau insistant sur cette nécessité, Molière lui objecta le point d’honneur: «Plaisant point d’honneur! s’écria le satirique, qui consiste à se barbouiller d’une moustache de Sganarelle, et à recevoir des coups de bâton!» Molière avait un motif plus sérieux, qu’il ne dit pas cette fois-là; mais, le jour de la quatrième représentation du _Malade imaginaire_, Molière, qui faisait Argan, se trouvait si véritablement malade, que Baron et quelques autres personnes le pressaient de ne point jouer. «Et comment voulez-vous que je fasse? répondit Molière. Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n’ont que leur journée pour vivre: que feront-ils, si on ne joue pas? Je me reprocherais d’avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument.» Voilà ce qui le retenait au théâtre: l’humanité. Il joua donc, non sans de grandes douleurs et de grands efforts pour achever son rôle. Dans la cérémonie, en prononçant le _Juro_, il éprouva une convulsion qu’il parvint à déguiser. Rentré chez lui, sa toux le prit si violemment qu’il se vit en danger, et réclama les secours de la religion. Deux prêtres de Saint-Eustache refusèrent de venir; un troisième ecclésiastique, mieux instruit de ses devoirs, arriva lorsque Molière avait perdu l’usage de la parole. Il s’était rompu un vaisseau dans la poitrine, et il expira suffoqué par le sang, à dix heures du soir, le 17 février 1673, anniversaire de la mort de Madeleine Béjart, sa belle-sœur et son premier amour; il avait cinquante et un ans. Le pieux Harlay de Champvallon ne manqua pas de s’opposer à ce que Molière fût inhumé en terre sainte. Un comédien! La veuve du comédien présenta humblement requête au prélat _ennemi de toute vertu_, à qui Louis XIV _livrait les gens de bien, et laissait tyranniser l’Église_. Il ne fallut rien de moins qu’un ordre du roi; Louis XIV donna cet ordre, et l’archevêque voulut bien y consentir, à condition que la cérémonie aurait lieu de nuit, et que le convoi ne serait pas escorté de plus de deux prêtres. Il s’y joignit une centaine de personnes, amis ou connaissances du défunt, chacune portant une torche. Molière fut enterré au coin de la rue Montmartre et de la rue Saint-Joseph, où est à présent le marché; c’était alors un cimetière. Quant à l’archevêque, lorsque son tour vint, «il fut enterré pompeusement au son de toutes les cloches, avec toutes les belles cérémonies qui conduisent infailliblement l’âme d’un archevêque dans l’Empyrée[22].». Il est vrai qu’il avait béni le mariage clandestin de Louis XIV avec madame de Maintenon; cela valait mieux que d’avoir fait _le Misanthrope_ et _les Femmes savantes_. [22] Voltaire, lettre à Chamfort, du 27 septembre 1769. Harlay de Champvallon mourut à Conflans en août 1695, _assisté_ de Mme de Lesdiguières, comme plus tard le régent, de la duchesse de Phalaris. L’histoire et les arts ont consacré le souvenir des deux sœurs de charité qui assistèrent Molière au moment suprême. Ces bonnes religieuses venaient tous les ans quêter à Paris à la même époque, et l’hospitalité leur était assurée chez l’auteur de _Tartufe_; mais, dans cette scène touchante et solennelle, il n’est pas question de sa femme. Bussy-Rabutin nous apprend que cette indigne épouse reparut sur le théâtre _treize jours après la mort de son mari_! Molière avait eu d’elle trois enfants: deux garçons et une fille[23]. Les garçons moururent en bas âge; la fille, après la mort de son père, épousa M. de Montalant, par qui elle avait été enlevée. Ils ne laissèrent point de postérité. [23] Louis, filleul du roi, né en 1664, l’année de la première apparition de _Tartufe_;--Esprit-Madeleine, née le 4 août 1665, qui fut madame de Montalant;--et Jean-Baptiste-Armand, né en septembre 1672, l’année des _Femmes savantes_, cinq mois avant la mort de son père. Cet enfant, fruit d’un raccommodement tardif, ne vécut qu’un mois. A la mort de Molière, son théâtre ferma pendant _six jours_: on rouvrit par _le Misanthrope_; Baron remplaça Molière dans le rôle d’Alceste. On sera bien aise de connaître le portrait de Molière tracé dans le _Mercure de France_ par une actrice de sa troupe, mademoiselle Poisson:--«Il n’était ni trop gras, ni trop maigre; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle. Il marchait gravement, avait l’air très-sérieux, le nez gros; la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu’il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique.» _Le Mercure galant_, appréciant le jeu de Molière, le met au-dessus de Roscius:--«Il méritait le premier rang: il était tout comédien depuis les pieds jusqu’à la tête. Il semblait qu’il eût plusieurs voix: tout parlait en lui, et d’un pas, d’un sourire, d’un clin d’œil et d’un remuement de tête, il faisait plus concevoir de choses que le plus grand parleur n’aurait pu en dire une heure.» Ce témoignage, rendu sur la tombe récente de Molière, ne doit s’entendre sans doute que de l’acteur comique. Mais Molière jouait aussi la tragédie, pour laquelle il eut toute sa vie une singulière affection: cependant il n’y réussit jamais. Il jouait lui-même son _Don Garcie_, et y fut sifflé; il faisait Nicomède; César, dans _la Mort de Pompée_. Montfleury le fils l’a peint en caricature dans ce rôle: il le compare à ces héros qu’on voit dans les tapisseries: Il est fait tout de même! il vient, le nez au vent, Les pieds en parenthèse et l’épaule en avant; Sa perruque qui suit le côté qu’il avance, Plus pleine de lauriers qu’un jambon de Mayence; Les mains sur les côtés, d’un air peu négligé; La tête sur le dos, comme un mulet chargé; Les yeux fort égarés; puis, débitant ses rôles, D’un hoquet éternel sépare ses paroles. (_L’Impromptu de l’hôtel Condé._) On sent la main d’un ennemi; cependant il peut y avoir du vrai dans ces détails. Le hoquet, par exemple, est mentionné par tous les historiens du théâtre. Molière, dit Grimarest, avait contracté ce tic en s’efforçant de maîtriser une excessive volubilité de prononciation; mais, dans la comédie, il dissimulait ce défaut à force d’art[24]. Molière, en récitant des vers, n’employait pas cette espèce de mélopée si fort en honneur dans le XVIIIe siècle; son débit était simple, sans affectation, et devait offrir beaucoup d’analogie avec la manière de Talma, autant du moins qu’on en peut juger par celle de Baron, élève de Molière. «Baron, dit Collé, ne déclamait jamais, même dans le plus grand tragique; et il rompait la mesure de telle sorte que l’on ne sentait pas l’insupportable monotonie du vers alexandrin.» Sans doute Baron tenait ce système de Molière, et c’est peut-être ce passage de Collé qui l’a transmis à Talma. [24] Voyez M. J. Taschereau, _Histoire de la vie et des ouvrages de Molière_, page 55, 3e édition. Molière, dans sa jeunesse, avait traduit en vers le poëme de Lucrèce, _De la nature des choses_. Il est certain que cette traduction existait encore, en 1664; elle est aujourd’hui perdue. Les papiers de Molière, parmi lesquels devaient se trouver des esquisses et des fragments de comédies inachevées, ont été vendus et dispersés avec la bibliothèque du comédien Lagrange, héritier des manuscrits de son illustre camarade. On assure pourtant qu’en 1799, la Comédie française possédait encore quelques-uns de ces cahiers, mais qu’ils ont péri dans l’incendie de l’Odéon; en sorte que l’on ne connaît aujourd’hui de la main de Molière que sa signature au bas d’un acte. CHAPITRE VIII. Du génie dramatique de Molière.--Du style de Molière. Les comédies de Molière sont à présent, et, tout en réservant les chances de l’avenir, on peut croire qu’elles resteront le plus grand monument de la littérature française, l’éternel honneur du siècle et du pays qui les a vues naître. Personne n’est descendu plus avant que Molière dans le cœur humain. Il n’y a point de vices, de travers, de ridicules, auxquels il n’ait au moins touché, sur lesquels il n’ait laissé l’empreinte de sa main puissante; en sorte qu’il semble avoir confisqué par anticipation l’originalité de tous ses successeurs. On a tenté d’amoindrir la sienne en recherchant les sources où il avait puisé, en faisant voir qu’il avait emprunté une idée tantôt à Térence, tantôt à Aristophane; un caractère ou un bon mot à Plaute; à Cyrano le fond de deux scènes; _le Médecin malgré lui_ à un fabliau du XIIIe siècle; _la Princesse d’Élide_ à Augustin Moreto (il eût mieux fait de la lui laisser); un trait de _Tartufe_ à Scarron. Et qu’importe? tout cela était enfoui, inconnu, méprisé, sans valeur. Reprocheriez-vous à un alchimiste d’avoir ramassé dans la rue un morceau de plomb, pour le changer en or? Ce que Molière a pris à tout le monde, personne ne le reprendra sur lui, et l’on ne lui arrachera pas davantage ce qu’il n’a pris à personne. Il était toujours à la piste de la vérité, et, dans l’ardente recherche qu’il en faisait, il ne dédaignait pas d’aller s’asseoir au théâtre de Polichinelle, ni de s’arrêter devant les tréteaux de Tabarin; il en rapporta un jour la fameuse scène du sac, que Boileau lui a tant reprochée. Il furetait également les livres italiens et espagnols, romans, recueils de bons mots, facéties, etc. «Il n’est, dit l’auteur de _la Guerre comique_, _point de bouquin qui se sauve de ses mains_; mais le bon usage qu’il fait de ces choses le rend encore plus louable.» Et de Visé, dans sa rapsodie de _Zélinde_, dirigée cependant contre Molière: «Pour réussir, il faut prendre la manière de Molière: lire tous les livres satiriques, prendre dans l’espagnol, prendre dans l’italien, et _lire tous les vieux bouquins_. Il faut avouer que c’est un galant homme, et qu’il est louable de se servir de tout ce qu’il lit de bon[25].» [25] _Zélinde_, ou _la véritable critique de l’École des femmes_, acte Ier, scène 7.--_La Guerre comique_ ou _la Défense de l’École des femmes_, par le sieur de Lacroix (1664), se compose d’un dialogue entre Apollon et Momus, suivi de quatre _Disputes_. Dans la dernière dispute on voit figurer le personnage de la Rancune, du _Roman comique_. Le génie de Molière était si éminemment dramatique, qu’il a employé toutes les formes du drame, y compris celles que l’on croirait plus modernes; tous les tons et toutes les nuances de la comédie, cela va sans dire; la tragédie et le drame héroïque dans _Don Garcie de Navarre_, dont les meilleures scènes ont enrichi _le Misanthrope_; la tragédie lyrique dans _Psyché_; l’opéra-ballet dans _Mélicerte_, dans _la Princesse d’Élide_, et dans les nombreux intermèdes de ses autres pièces; et jusqu’à l’opéra-comique dans _le Sicilien_, qui peut à bon droit passer pour le premier essai du genre. Voltaire a reproché à Molière des dénoûments postiches et peu naturels, et cette opinion a trouvé de nombreux échos. Cette question, examinée de près, atteste, je crois, l’étude profonde que Molière avait faite de la nature et de l’art. En effet, il n’y a point de dénoûments dans la nature: j’entends de ces péripéties qui tout d’un coup placent un nombre donné de personnages, tous en même temps, dans une situation arrêtée, définitive, et qui ne laisse plus à s’enquérir de rien sur leur compte. Par rapport à l’art, une pièce de théâtre n’est point faite pour le dénoûment; au contraire, le dénoûment n’est qu’un prétexte pour faire la pièce. Quand vous sortez pour vous promener, est-ce le terme de la promenade qui en est l’objet véritable? Nullement: le vrai but, c’est de parcourir lentement, curieusement, le chemin. L’art consiste à vous faire avancer par des sentiers dont les sinuosités et les retours ont été savamment calculés, embellis à droite et à gauche de toutes sortes de fleurs et d’agréments qui vous attirent: c’est là votre plaisir, et l’artifice du jardinier ou du poëte. Mais ce que vous trouverez à la fin, vous le savez d’avance, et c’est votre moindre souci. La preuve que la curiosité n’est ici pour rien, c’est que l’on reverra cent fois la même pièce. Il n’y a au théâtre que deux dénoûments: la mort dans la tragédie, dans la comédie le mariage. Le talent du poëte est d’accumuler au-devant des obstacles en apparence invincibles; et quand il les a fait disparaître un à un, ce qu’il a de mieux à faire, c’est de tourner court, et de disparaître lui-même. Il vous a donné ce que vous lui demandiez: le plaisir de la promenade. Quelles sont donc les conditions rigoureuses d’un bon dénoûment? C’est de satisfaire la raison, le jugement, les sympathies ou les antipathies excitées dans le cours de l’ouvrage; l’imagination n’a rien à y réclamer, elle a eu sa part. Considérés de ce point de vue, les dénoûments de Molière n’offrent plus rien à reprendre. L’arrêt porté par Boileau est d’une sévérité qui va jusqu’à l’injustice: C’est par là que Molière, illustrant ses écrits, Peut-être de son art eût remporté le prix, Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures, Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin, Et sans honte à Térence allié Tabarin. Dans ce sac ridicule où Scapin l’enveloppe, Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope. Que vous le reconnaissiez ou non, il n’en est pas moins cet auteur. Quand il s’agit d’apprécier et de classer définitivement un écrivain, on doit considérer non le point où il est descendu, mais le point où il s’est élevé. La raison en est simple: les bons ouvrages avancent l’art; les mauvais ne le font pas reculer. La postérité ne voit de Corneille que _le Cid_, _Horace_, _Cinna_, _Polyeucte_; quant à _Théodore_, _Agésilas_, _Attila_, _Suréna_, elle les ignore ou les oublie. Boileau était le maître de choisir son public; il ne s’embarrassa de plaire qu’à Louis XIV, à un duc de Beauvilliers, à un duc de Montausier, à Guilleragues, à Seignelay, aux esprits d’élite. C’est pour eux qu’il écrit, pour eux seuls. Molière subissait des conditions tout à fait différentes: il a travaillé tantôt pour la cour, tantôt pour le peuple, et il est arrivé que ses ouvrages ont été goûtés universellement. Est-il juste de lui en faire un crime? Mais, au contraire, cette austérité inflexible, ce puritanisme de goût qui bannit une certaine variété, sera toujours, aux yeux de beaucoup de gens, un titre d’exclusion contre Boileau. Enfin, si Molière n’emporte pas le prix dans son art, qui l’emportera? à qui réserve-t-on ce prix? A Shakspeare, à Caldéron, répond Schlegel. Nous n’opposerons à l’adoption de cette sentence qu’une petite difficulté: Schlegel, qui condamne Racine et méprise Molière, ne les entend pas assez; et il entend trop Caldéron et Shakspeare. Saint-Évremond, cet esprit si fin, si juste, et en même temps si sobre dans l’expression, me paraît avoir, en deux lignes, jugé Molière mieux et plus complétement que personne: «Molière a pris les anciens pour modèles, inimitable à ceux qu’il a imités, s’ils vivaient encore.» Le style de Molière a été déprécié par deux juges d’une autorité imposante: la Bruyère et Fénelon. Voici d’abord l’opinion de l’auteur du _Télémaque_, qui, fidèle à son caractère de mansuétude, s’exprime avec moins de dureté que l’auteur des _Caractères_. «En pensant bien, il parle souvent mal. Il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Térence dit en quatre mots, avec la plus grande simplicité, ce que celui-ci ne dit qu’avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias. J’aime bien mieux sa prose que ses vers. _L’Avare_, par exemple, est moins mal écrit que les pièces qui sont en vers. Il est vrai que la versification française l’a gêné... Mais, en général, il me paraît jusque dans sa prose ne point parler assez simplement pour exprimer toutes les passions.» (_Lettre sur l’Éloquence._) La Bruyère ne fait que résumer ce jugement, en exagérant les termes presque jusqu’à l’injure: «Il n’a manqué à Molière que d’éviter _le jargon et le barbarisme_, et d’écrire purement.» (_Des ouvrages de l’esprit._) Incorrection, jargon, et barbarisme, voilà, suivant la Bruyère, les caractères du style de notre grand comique. Il ne laisse, lui, aucun refuge à Molière; il ne distingue pas entre la prose et les vers, et ne s’avise pas de demander aux difficultés de la versification une circonstance atténuante; il est impitoyable et brutal: _La mort, sans phrases_! Sur cette distinction entre la prose et les vers de Molière, laissons parler d’abord un troisième juge, dont la compétence en matière de goût et de style est irrécusable: «On s’est piqué à l’envi, dans quelques dictionnaires nouveaux, de décrier les vers de Molière en faveur de sa prose, sur la parole de l’archevêque de Cambrai, Fénelon, qui semble en effet donner la préférence à la prose de ce grand comique, et qui avait ses raisons pour n’aimer que la prose poétique: mais Boileau ne pensait pas ainsi. Il faut convenir que, à quelques négligences près, négligences que la comédie tolère, Molière est plein de vers admirables, qui s’impriment facilement dans la mémoire. _Le Misanthrope_, _les Femmes savantes_, _le Tartufe_, sont écrits comme les satires de Boileau; _l’Amphitryon_ est un recueil d’épigrammes et de madrigaux faits avec un art qu’on n’a point imité depuis. La poésie est à la bonne prose ce que la danse est à une simple démarche noble, ce que la musique est au récit ordinaire, ce que les couleurs sont à des dessins au crayon.» (VOLTAIRE, _Siècle de Louis XIV_.) A cette réponse sans réplique, on pourrait ajouter une autre observation, à quoi Fénelon ni Voltaire n’ont pris garde: c’est que _l’Avare_, comme plusieurs autres comédies en prose de Molière, est presque tout entier en vers blancs[26]. Le rhythme et la mesure y sont déjà; il n’y manque plus que la rime. Une telle prose assurément ne peut se dire affranchie des contraintes de la versification, auxquelles Fénelon attribue le méchant style des vers de Molière. Ainsi l’exemple de _l’Avare_ est très-malheureusement choisi; ce qu’il aurait fallu citer comme modèle de belle et franche prose, c’était le _Don Juan_, _la Critique de l’École des femmes_, ou _le Malade imaginaire_. [26] Voyez l’article _VERS BLANCS_, du Lexique. J’espère montrer, contre l’opinion de Fénelon et même de Voltaire, que beaucoup d’expressions des vers de Molière, qu’on regarde comme suggérées par le besoin de la rime ou de la mesure, parce qu’elles sont aujourd’hui hors d’usage, étaient alors du langage commun; et l’on n’en doutera point, lorsqu’on les retrouvera dans la prose de Pascal et dans celle de Bossuet. Il ne s’agit point de comparer Molière à Térence, et de décider si le français de l’un est moins élégant et moins pur que le latin de l’autre. Térence, quand Fénelon lui donnait le prix, avait l’avantage d’être mort depuis longtemps, et aussi sa langue. Il est à craindre que l’heureux imitateur d’Homère n’ait trop cédé à ses préoccupations en faveur des anciens. Nous devons croire à l’élégance et à la pureté de Térence, dont il y a tant de bons témoins; mais y croire d’une manière absolue, et sans nous mêler de faire concourir le poëte latin avec les écrivains d’un autre idiome. Nous avons un mémorable exemple du danger où nous nous exposerions, puisque le sentiment excessif des mérites de Térence a pu faire paraître _le Misanthrope_, _Tartufe_, et _les Femmes savantes_, des pièces _mal écrites_: «_L’Avare est moins mal écrit_ que les pièces qui sont en vers.» Il faut ranger cette proposition de l’archevêque de Cambrai parmi les _Maximes des saints_, qui ne sont point orthodoxes. Je ne sais si la simplicité des termes, et l’absence ou l’humilité des figures, est le caractère essentiel du langage des passions. J’en doute fort quand je lis Eschyle, Sophocle, et Homère lui-même. Je demanderai quelles passions Molière a mal exprimées, pour leur avoir prêté un langage trop chargé de figures: est-ce l’avarice, l’amour, la jalousie? Sortons un peu des accusations vagues et des termes généraux. Molière, dit Fénelon, pense bien, mais il parle mal. C’est quelque chose déjà que de bien penser; et j’ajoute qu’il est rare, quand la pensée est juste, que l’expression soit fausse. Mais enfin, depuis Fénelon et la Bruyère, on a souvent fait à Molière ce reproche de ne pas écrire purement. Il ne faut qu’une délicatesse de goût médiocre et une attention superficielle pour sentir, dans le style de Molière, une différence avec les autres grands écrivains du XVIIe siècle, Racine, Boileau, Fénelon, la Bruyère, etc. Mais cette différence est-elle de l’incorrection? Nous sommes accoutumés, nous qui regardons déjà de loin cette époque, à confondre un peu les plans du tableau, et à mêler les personnages: sous prétexte qu’ils ont vécu ensemble, nous faisons Molière absolument contemporain de Boileau, de Racine, de Bossuet et de Fénelon; et ce que nous donnent les uns, nous pensons avoir le droit de l’exiger aussi de l’autre. C’est mal à propos. Molière enseigna tout ce monde, et les seuls vraiment grands écrivains dont l’exemple put lui servir furent Corneille et Pascal. Songez que Molière écrivit de 1653 à 1672, de l’âge de vingt et un ans à celui de cinquante. Durant cette période de vingt-neuf années, que se produisit-il? Corneille était fini: _l’Étourdi_ naquit la même année que _Pertharite_; _Œdipe_ en tombant vit le succès des _Précieuses_. Molière s’avança dans la carrière tout seul, ou à peu près, jusqu’en 1667, que Racine fit son véritable début dans _Andromaque_. La Fontaine venait de publier le premier recueil de ses contes; on avait de Boileau son _Discours au roi_, plusieurs satires, et de la Rochefoucauld, le livre des _Maximes_. Voilà tout. Et Molière, où en était-il, lui? Il avait déjà donné à la littérature française _Don Juan_, _le Misanthrope_, et _Tartufe_! De ce point jusqu’au moment où la tombe l’engloutit dans toute la force de son génie, Racine donna _les Plaideurs_, _Britannicus_, _Bérénice_, et _Bajazet_; la Fontaine, un second volume de contes et les premiers livres de ses fables; Boileau, trois épîtres; Bossuet, deux oraisons funèbres: celle de la reine d’Angleterre, et celle de la duchesse d’Orléans. La Bruyère, Fénelon, madame de Sévigné, Fontenelle, n’avaient point encore paru. C’est seulement après la mort de Molière que nous voyons éclore tous ces illustres chefs-d’œuvre du XVIIe siècle: _Mithridate_, _Iphigénie_, _Phèdre_, _Esther_, et _Athalie_; les six derniers livres des fables de la Fontaine; les épîtres de Boileau, ses deux meilleures satires (X et XI), _l’Art poétique_, et _le Lutrin_; dans un autre genre, l’oraison funèbre du prince de Condé, l’_Histoire des Variations_, et le _Discours sur l’histoire universelle_. Entre la mort de Molière et _Télémaque_, il y a neuf ans; et, pour aller jusqu’aux _Caractères_ de la Bruyère, il y en a quatorze. Durant cet intervalle, la langue française changea beaucoup. Je ne vois, dans le XVIIe siècle, que quatre hommes qui aient parlé la même langue: Pascal, la Fontaine, Molière, et Bossuet. Le caractère essentiel de cette langue, c’est une indépendance complète, un esprit d’initiative très-hardi, sous la surveillance d’une logique rigoureuse. Le premier devoir de cette langue, c’est de traduire la pensée; le second, de satisfaire la grammaire: aujourd’hui la grammaire passe devant, et souvent contraint la pensée à plier. Du temps de Molière, l’esprit géométrique ne s’était pas encore rendu maître de la langue: elle ne souffrait d’être gouvernée que par son génie natif, reconnaissant les engagements pris à l’origine, mais aussi leur laissant leur plein effet. On écrivait le français alors avec la liberté de Rabelais et de Montaigne. Mais bientôt cette liberté reçut des entraves, qui chaque jour allèrent se resserrant; on accepta des lois tyranniques et des distinctions arbitraires: l’emploi de telle construction fut admis avec tel mot et proscrit avec tel autre, sans qu’on sût pourquoi: la langue tendait à se mettre en formules. On n’examina point si une locution était juste et utile; on dit: Elle est vieille, nous la rejetons! Quantité de détails, dont on ne comprenait plus l’usage, eurent le même sort. Il fallut aux femmes et aux beaux esprits des modes nouvelles, où le caprice remplaçait la raison. Je ne dis pas qu’à ces épurations le style n’ait absolument rien gagné, mais je suis persuadé qu’en somme la langue y a perdu. Eh! que peut-on gagner qui vaille l’indépendance? quels galons, fussent-ils d’or, compensent la perte de la liberté? Cependant la Bruyère félicite la langue de ses progrès. Le passage vaut d’être cité: «On écrit régulièrement _depuis vingt années_; on est esclave de la construction; on a enrichi la langue de nouveaux mots, secoué le joug du latinisme, et réduit le style à la phrase purement française. On a _presque_ retrouvé le nombre que Malherbe et Balzac avaient les premiers rencontré, et que tant d’auteurs depuis eux ont laissé perdre; on a mis enfin dans le discours tout l’ordre et toute la netteté dont il est capable: cela conduit insensiblement à y mettre de l’esprit.» On sent au fond de cette apologie la satisfaction d’une bonne conscience; mais la sincérité n’exclut pas l’erreur. Il paraît un peu dur de prétendre qu’on n’écrivait pas régulièrement avant 1667, et de reléguer ainsi, parmi les ouvrages d’un style irrégulier, les _Lettres provinciales_, _l’École des maris_, _l’École des femmes_, _Don Juan_, et même _Tartufe_, dont les trois premiers actes furent joués en 1664. La langue française étant une transformation de la latine, ne peut abjurer le génie de sa mère sans anéantir le sien. Ces mots, _réduire le style à la phrase purement française_[27], n’offrent donc point de sens; et cela est si vrai, que Bossuet, Fénelon et Racine sont remplis de latinismes. _On est esclave de la construction_, cela signifie qu’on emploie des constructions beaucoup moins variées; que l’inversion, par exemple, a été supprimée, dont nos vieux écrivains savaient tirer de si grands avantages. C’est ce que la Bruyère appelle l’ordre et la netteté du discours, qui conduisent insensiblement à y mettre _de l’esprit_. Ce dernier trait est vraiment admirable! Avant 1667, il n’y avait dans le discours ni ordre, ni netteté, ni par conséquent d’esprit; les écrivains n’ont commencé d’avoir de l’esprit que depuis 1667. [27] Cette expression semble bizarre, surtout au moment où la Bruyère se glorifie de la _netteté_ de son discours. Comment peut-on réduire le _style_, qui est un terme général, à _la phrase_, qui est un terme particulier? Le contraire se comprendrait mieux: on ramena la phrase au style français. C’est ce qu’a voulu dire la Bruyère. Relisez maintenant cet éloge, et vous verrez qu’il ne s’applique exactement qu’au style d’un seul écrivain: c’est la Bruyère. Il n’en est pas un trait qui convienne aux quatre grands modèles, Pascal, Molière, la Fontaine et Bossuet. Il semble plutôt que ce soit une attaque voilée contre leur manière. Tout en paraissant louer son époque, la Bruyère ne loue en effet que les allures sèches et uniformes du style de la Bruyère. On donne trop d’autorité aux décisions de cet écrivain. Si le livre était lu davantage, l’auteur n’eût pas joui sans trouble, jusqu’à présent, d’une réputation consacrée par l’habitude, et protégée par l’indifférence. Pourquoi a-t-on crié tant et si fort contre Boileau? C’est que Boileau est dans toutes les mémoires. Je suis contraint de reconnaître avec ses ennemis, qu’il n’a point mis de sensibilité dans ses satires; et c’est une grande lacune sans doute. Mais je ne pense pas que le cœur se montre davantage dans la Bruyère, que personne pourtant n’a jamais inquiété pour ce fait. Fénelon reproche à Molière des métaphores voisines du galimatias; la Bruyère, enchérissant sur Fénelon, l’accuse de jargon et de barbarisme. Il serait bien étrange que celui qui a passé sa vie à poursuivre le galimatias des pédants et le jargon des précieuses, eût été, à l’insu de tout le monde, atteint de la même maladie! Comment tant d’ennemis de Molière n’ont-ils pas su relever, dans ses œuvres, un ridicule qu’il relevait si bien dans les leurs? C’est que rien n’est plus opposé que le jargon et le galimatias au génie franc et naïf de Molière. Je ne prétends pas nier qu’on ne rencontre çà et là chez lui de mauvaises métaphores, quelque expression obscure ou peu naturelle. Moi-même j’ai pris soin de les signaler[28], car, malgré son divin génie, Molière après tout n’était qu’un homme: il a pu quelquefois se tromper au choix de ses sujets; et quand, par exemple, il se mit à _Don Garcie_, il n’eut pas le don d’habiller d’expressions vraies des sentiments faux et des aventures romanesques[29]. Quand un ordre du roi l’attachait à des arguments tels que _Psyché_ ou _Mélicerte_, ou bien lui faisait brusquer les deux derniers actes du _Bourgeois gentilhomme_, le désir de plaire à Louis XIV ne parvint pas toujours à suppléer au manque de temps, ni à l’ingratitude de la donnée. Mais il est souverainement injuste d’aller rechercher quelques détails perdus, pour en faire un caractère général de l’ensemble. La Bruyère n’a pas été plus heureux à juger le style de Molière qu’à refaire _Tartufe_ sous le nom d’_Onuphre_. Un peintre de mœurs qui estime Tartufe un caractère manqué, où Molière a pris justement le contre-pied de la vérité, et qui entreprend de le rétablir au naturel, je ne veux pas affirmer que ce peintre-là soit aveuglé par la jalousie; mais que ce soit par la jalousie ou autrement, il m’est désormais impossible de croire à la justesse de sa vue, ni à l’infaillibilité de ses oracles. [28] Voyez les articles MÉTAPHORES VICIEUSES; IL; ON. [29] Mais aussi voyez, au milieu de ses erreurs, quand il rencontre un filon de vérité, comment il en tire parti! La scène de jalousie de _Don Garcie_ a passé dans _le Misanthrope_, où elle brille. Qu’entend-il, lorsqu’il regrette que Molière n’ait pas évité le barbarisme? Est-ce à dire qu’il y a des barbarismes dans Molière, ou que Molière écrit d’un style barbare? Ni l’un ni l’autre n’est soutenable. La Bruyère se sauve ici par le laconisme. Quand le chartreux dom Bonaventure d’Argonne l’accusa lui-même de néologisme et de solécismes, à l’appui de ses assertions il cita des exemples qui permirent de vérifier sa critique, et d’en reconnaître, sinon la justesse constante, au moins la bonne foi. C’est tout ce qu’on peut exiger. J’espère que je sens comme un autre le mérite des _Caractères_, et que l’injustice de la Bruyère envers Molière ne me rend point à mon tour injuste envers la Bruyère. Je rends pleine justice à la finesse des vues, et à la parfaite convenance du style avec les pensées. Tout cela ne m’empêchera point de dire que ce style est plus remarquable par l’absence des défauts que par la présence de grandes qualités; tandis que c’est précisément l’inverse dans Molière. En pareil cas, le choix n’est pas douteux: le style de la Bruyère est le beau idéal de la réforme accomplie par les précieuses de l’hôtel de Rambouillet[30]; réforme étroite et mesquine, ayant pour point de départ le mépris, c’est-à-dire, l’ignorance de la vieille langue, et qui résume et absorbe toutes les qualités en une misérable et vétilleuse correction. C’est dans cette école qu’on supprime une bonne pensée, quand on ne lui trouve pas une brillante vêture; mais, au contraire, on n’hésite pas à lancer une pensée fausse, quand elle s’enveloppe d’une phrase coquette et bien tirée; en sorte que ce qu’on peut souhaiter de mieux, c’est que la phrase soit vide. De l’abondance autre que celle des mots, de l’élévation, du mouvement, de l’originalité, n’en demandez pas à cette école: ce sont choses qui troublent et risqueraient de déranger l’équilibre et la symétrie; voyez plutôt Bossuet! quel écrivain incorrect! Molière n’est pas pire, ni Pascal, ni Montaigne, ni Rabelais. Or, figurez-vous par plaisir ces esprits vifs, soudains, énergiques, obligés de se révéler dans cette belle langue perfectionnée, qui est esclave de la correction, qui a secoué le joug du latinisme, et qui réduit le style à la phrase purement française; figurez-vous Rabelais, Montaigne, Pascal et Molière, n’ayant à leur service d’autre instrument que cette langue effacée, délavée, cette langue de bégueule et de pédante: croyez-vous, avec la Bruyère, qu’elle les eût conduits _insensiblement_ à mettre plus d’esprit dans leurs ouvrages? [30] Aussi l’historien de la société, c’est-à-dire, le panégyriste des _Précieuses_, met-il sans hésiter la Bruyère fort au-dessus de Molière: «Supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire; et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédien pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages.» (_Hist. de la soc. pol._ p. 414, 415.) On ne discute pas de tels jugements, encore moins les combat-on; il suffit de les exposer. Pour avoir osé écrire celui-là, il faut que M. R. ait trouvé de grands rapports entre son propre talent et celui de la Bruyère. Nous avions autrefois une langue riche et souple, diverse et ondoyante, docile à recevoir l’empreinte de chaque génie, et fidèle à la conserver. Mais depuis que les grammairiens, progéniture de l’hôtel de Rambouillet, nous ont mis cette langue en équations, tous les styles se ressemblent. On croit assister à cet ancien bal de l’Opéra, célèbre pour sa monotonie, où tous les masques étaient affublés du même domino noir; moyennant quoi Thersite ne se distinguait pas de l’Apollon du Belvédère. La langue des précieuses est meilleure pour l’étiquette; celle de Molière est meilleure pour les passions. La première a été une réaction contre la seconde: n’est-il pas temps que la seconde rentre dans ses droits, pour n’en plus être dépossédée? n’est-il pas temps que ce qu’on appelle _la langue française_, ce soit la langue des grands écrivains de la France? Je demande pardon de la témérité de cette idée. CHAPITRE IX. De la moralité des comédies de Molière.--Attaques de Bossuet.--Sentiment de Fléchier sur la comédie et les comédiens. La portée morale des comédies de Molière a été diversement estimée. J. J. Rousseau écrit en termes formels: «Les comédies de Molière sont l’école des «mauvaises mœurs;» mais comme, un peu avant ou un peu après, il affirme qu’on ne peut les lire sans se sentir «pénétré de respect pour l’auteur,» ces deux propositions se neutralisent réciproquement, et ce n’est pas la peine de s’y arrêter. Mais il est une opinion trop importante pour qu’il soit permis de la passer sous silence: c’est celle de Bossuet. En 1686, treize ans après la mort de Molière, le père Caffaro, théatin, publia une dissertation en faveur de la comédie. Il déclarait ce plaisir innocent, d’autant que jamais, par la confession, il n’y avait reconnu aucun danger. Le scandale fut grand parmi les théologiens. On retira les pouvoirs au père Caffaro; Bossuet saisit sa redoutable plume, et s’en servit contre le théatin avec plus d’éloquence que de charité. Le pauvre père Caffaro se hâta de donner une rétractation empreinte de terreur. «J’assure Votre Grandeur, devant Dieu, dit-il à Bossuet, que je n’ai jamais lu aucune comédie ni de Racine, ni de Molière, ni de Corneille; _ou au moins je n’en ai jamais lu une tout entière_. J’en ai lu quelques-unes de Boursault, de celles qui sont plaisantes, etc.» Peut-être le bon théatin croyait-il ingénument la lecture de Boursault une expiation suffisante de la lecture de Molière. L’évêque de Meaux étendit la substance de sa lettre, et en fit ses _Maximes et réflexions sur la comédie_. Rarement Bossuet a porté plus loin l’éloquence et la vigueur; mais être fort ne dispense pas d’être juste, et souvent rien n’est plus éloquent que la passion aveuglée par son propre excès. Ce traité, qu’on lira toujours pour admirer la puissance et l’énergie de l’auteur, offre partout une virulence de langage, une intolérance extraordinaire chez un homme de soixante et un ans, chez un prélat. S’il parle de la profession de comédien, il dit _leur infâme métier_; il déclare Corneille et Racine _dangereux à la pudeur_; leurs ouvrages sont «_des infamies_, qui, selon saint Paul, ne doivent pas même être nommées parmi les chrétiens.» Si saint Paul avait pu lire _Athalie_, _Esther_, _Polyeucte_, et même _Iphigénie_, il est permis de douter qu’il leur eût appliqué de telles expressions. Bossuet se révolte et s’indigne contre l’emploi de l’amour dans les ouvrages dramatiques. Dites-moi, s’écrie le fougueux prélat, que veut UN _Corneille_ dans son _Cid_? etc.; il ne tolère pas même «l’inclination pour la beauté, qui se termine au nœud conjugal;» et voici son motif, sur lequel il insiste, et qu’il reproduit sous vingt formes: «La passion ne saisit que son objet, et la sensualité est seule excitée.» Le mariage final n’atténue pas le danger, parce que «le mariage présuppose la concupiscence, etc., etc.» Après ces rigoureuses maximes, rien n’est plus fait pour surprendre que la correspondance de Bossuet avec la sœur Cornuau de Saint-Bénigne, où elles sont continuellement mises de côté. Ces lettres sont pleines d’un mysticisme aussi exalté que celui de Fénelon et de madame Guyon; il y est question sans cesse de l’époux, de s’abandonner aux désirs de l’époux, de baisers, d’embrassements, de caresses de l’époux, de pâmoisons amoureuses, etc. Bossuet conseille à sa pénitente de lire _le Cantique des cantiques_, et il lui écrit: «Ma chère sœur, laissez vaguer votre imagination.» La recommandation était superflue; sœur Cornuau la suivit si bien, qu’elle commença à avoir des extases, des visions. Elle rédigea par écrit celle de l’_Amour divin_[31], et l’adressa à Bossuet: ce n’est pas autre chose qu’une série d’images excessivement passionnées et voluptueuses, car rien ne ressemble à l’amour impur comme cet amour pur, rien n’est sensuel comme ce mysticisme. Cependant nous voyons Bossuet approuver l’écrit de la sœur Cornuau, et, peu de temps après, fulminer l’anathème contre le théâtre et les auteurs de comédies. Veut-on dire que ces écarts d’imagination soient excusés par le nom de Jésus-Christ? Le père Caffaro essayait aussi de justifier l’emploi de l’_amour épuré_ dans la comédie; mais Bossuet lui répondait: «Croyez-vous que la subtile contagion d’un mal dangereux demande toujours un objet grossier?... Vous vous trompez..., la représentation des passions agréables porte naturellement au péché, puisqu’elle nourrit la concupiscence, qui en est le principe.» Ces réflexions ne peuvent frapper Corneille, Racine et Molière, sans frapper en même temps Bossuet et la sœur Cornuau; et plus fortement, j’ose le dire, car on voit tout de suite combien le danger est plus grand d’une passion traitée dans une correspondance secrète, mystérieuse, que d’un amour banal, exposé en théâtre public aux regards de plusieurs milliers de spectateurs. [31] Voyez ce curieux morceau dans le tome XI des _Œuvres de Bossuet_, in-quarto. Bossuet ne peut donc échapper au reproche d’inconséquence. Il invoque contre la comédie l’autorité de Platon, qui bannit de sa république tous les poëtes, sans en excepter le divin Homère. Je ne sais si Platon y aurait souffert des mystiques comme la sœur Cornuau; en tout cas, l’autorité de Platon ne conclut rien, parce qu’on fait dire à Platon, comme à Aristote, tout ce qu’on veut. Platon fournira cent arguments en faveur de la comédie, quand on voudra les lui demander; par exemple, ce passage des _Lois_.--«On ne peut connaître les choses honnêtes et sérieuses, si l’on ne connaît les choses malhonnêtes et risibles; et, pour acquérir la prudence et la sagesse, il faut connaître les contraires, etc.» Il est malheureusement trop clair que la rigueur de Bossuet contre le théâtre prend sa source dans les comédies de Molière. Sans Molière, Corneille et Racine seraient moins coupables; on ne pouvait séparer leurs causes: _Tartufe_ a fait condamner le _Cid_. C’est surtout contre Molière que se déploie l’animosité de l’évêque de Meaux; c’est surtout à Molière qu’il en revient.--«Il faudra donc que nous passions pour honnêtes _les infamies et les impiétés_ dont sont pleines les comédies de Molière!» Était-ce à Bossuet à tomber dans ces exagérations, qui, si elles n’étaient de la passion, seraient de la mauvaise foi? était-ce à lui à voir dans _Tartufe_, dans la censure de l’hypocrisie, une impiété?--«Il faudra bannir du milieu des chrétiens les _prostitutions_ qu’on voit encore toutes crues dans les pièces de Molière; on réprouvera les discours où ce rigoureux censeur des grands canons, ce grave réformateur des mines et des expressions de nos précieuses, étale cependant au plus grand jour les avantages d’une infâme tolérance dans les maris, et sollicite les femmes à de honteuses vengeances contre leurs jaloux.» Cela passe les bornes du zèle légitime. On doit supposer que Bossuet, avant de condamner Molière si impitoyablement, avait pris la peine de le lire: où a-t-il vu Molière exposer les avantages d’une infâme tolérance de la part des maris, et provoquer les femmes à se venger de leurs jaloux? Ce n’est pas dans _George Dandin_, car George Dandin est si loin de se prêter à son déshonneur, que c’est, au contraire, son désespoir et ses combats qui font le sujet de la pièce; ce n’est pas dans _l’École des maris_, ni dans _l’École des femmes_, puisque Isabelle non plus qu’Agnès n’est mariée à son jaloux. Ce n’est ni là, ni ailleurs. J’ai regret de le dire, mais les dignités ecclésiastiques ne doivent pas offusquer la vérité: Bossuet a calomnié Molière. Les canons des marquis, les mines des précieuses, dignes objets de l’aigreur et de l’ironie du dernier Père de l’Église! Mais, la haine se prend à tout ce qu’elle rencontre. Celle de Bossuet, longtemps mal contenue, éclate enfin dans ces paroles odieuses et antichrétiennes:--«La postérité saura peut-être la fin de ce poëte comédien, qui, en jouant son _Malade imaginaire_ ou son _Médecin par force_[32], reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d’heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit: _Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez!_» Oui, Monseigneur, la postérité saura la fin déplorable de Molière, de ce poëte comédien, comme l’appelle Votre Grandeur; et elle saura aussi que l’évêque de Meaux, ce grand Bossuet, pouvait haïr jusqu’à souhaiter l’enfer au malheureux objet de sa haine, ou du moins triompher, du haut de la chaire évangélique, à l’idée de le voir éternellement damné. [32] L’incertitude de Bossuet était-elle sincère? Était-il si mal instruit de ce qui concernait la personne et les œuvres de Molière? Molière n’a point fait de _Médecin par force_; Bossuet ignorait-il le titre du _Médecin malgré lui_? Au langage fanatique de l’évêque de Meaux opposons celui d’un homme qui fut aussi un prélat célèbre, et l’égal de Bossuet en vertu, sinon en génie. «Je ne suis point de ceux qui sont ennemis jurés de la comédie, et s’emportent contre un divertissement qui peut être indifférent lorsqu’il est dans la bienséance. Je n’ai pas la même ardeur que les Pères de l’Église ont témoignée contre les comédies anciennes, qui, selon saint Augustin, faisaient une partie de la religion des païens, et qui étaient accompagnées de certains spectacles qui offensaient la pureté chrétienne. Aussi je ne crois pas qu’il faille mesurer les comédiens comme nos ancêtres et les Romains, qui les méprisèrent, en les privant de toute sorte d’honneurs, et en les séparant même du rang des tribus.... Je leur pardonne même de n’être pas trop bons acteurs, pourvu qu’ils ne jouent pas indifféremment tout ce qui leur tombe entre les mains, et qu’ils n’offensent ni la société, ni l’honnêteté civile[33].» [33] FLÉCHIER, _Mémoires sur les Grands Jours_ de 1665. Voilà mes gens! voilà comme il faut en user! Il n’est personne qui ne voie combien l’opinion de Fléchier est non-seulement plus humaine et plus sensée, mais même plus chrétienne que celle de Bossuet. Une seule façon d’agir eût été plus chrétienne encore: c’était de prier Dieu pour celui qu’on supposait en avoir tant besoin. C’est ce que fit sans doute Fénelon, sans orgueil et sans bruit. Saint-Évremond, après une longue vie passée tout entière dans le plus dur scepticisme, Saint-Évremond mourant écrit à un de ses amis:--«Je ne sais comment on a pu empêcher si longtemps la représentation de _Tartufe_. _Si je me sauve, je lui devrai mon salut._ La dévotion est si raisonnable dans la bouche de Cléante, qu’elle me fait renoncer à toute ma philosophie; et les faux dévots sont si bien dépeints, que la honte de leur peinture les fera renoncer à toute leur hypocrisie. Sainte piété, que de bien vous allez apporter au monde[34]!» [34] Voyez _le Conservateur_, avril 1758. Ne semble-t-il pas que ce langage soit celui du prélat, et que les violences de Bossuet sortent de la bouche du vieil incrédule? Molière a répondu d’avance à Bossuet dans cette admirable préface de _Tartufe_, où la question morale du théâtre est traitée solidement, complétement, et qui suffirait seule pour mettre Molière au premier rang de nos écrivains. La réfutation est si exacte, qu’on dirait que l’auteur avait sous les yeux le plan de son adversaire. Entendons-le à son tour: «Je sais qu’il y a des esprits dont la délicatesse ne peut souffrir aucune comédie; qui disent que les plus honnêtes sont les plus dangereuses, que les passions qu’on y dépeint sont d’autant plus touchantes qu’elles sont pleines de vertu, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations. Je ne vois pas quel grand crime c’est que de s’attendrir à la vue d’une passion honnête. C’est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. Je doute qu’une si grande perfection soit dans les forces de la nature humaine, et je ne sais s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions des hommes, que de vouloir les retrancher entièrement.» Voilà, en dix lignes, toute la question. Le génie impétueux de Bossuet poursuit, en foulant aux pieds tous les obstacles, un résultat chimérique: la perfection absolue de l’homme par la religion. Molière ne demande aux hommes qu’une perfection relative, et tâche à tirer d’eux le meilleur parti possible par les leçons du théâtre. CHAPITRE X. D’une opinion très-particulière de l’historien de la société polie. Qui croirait que, parmi nos contemporains, Molière a rencontré en France un censeur plus sévère, un adversaire à lui seul plus rigoureux que Bossuet, Bourdaloue et Jean-Jacques réunis? Dans un livre où les faits et les personnages du XVIIe siècle sont violentés, torturés de la manière la plus étrange, sous prétexte de faire l’histoire de la société polie, M. Rœderer n’a pas entrepris moins que la réhabilitation complète des _précieuses_ et de l’hôtel de Rambouillet. Il fausse librement toutes les vues, toutes les données de l’histoire, pour les faire cadrer à son bizarre système. En voici un aperçu: Selon M. Rœderer, la société polie ce sont les précieuses; la préciosité, la morale et la vertu, c’est tout un. Or M. Rœderer imagine un complot de quatre poëtes, ou plutôt quatre scélérats, ligués contre la morale publique et la vertu: ce sont Molière, Boileau, Racine, et la Fontaine. Dans quel intérêt, direz-vous? Dans l’intérêt, répond M. Rœderer, de plaire à Louis XIV en flattant ses penchants vicieux. Ces quatre poëtes travaillant sous la protection du roi, c’est ce que M. Rœderer appelle «_le quatrumvirat placé sous les créneaux de Louis XIV_.» Je ne m’étonne plus de la sympathie de M. Rœderer pour les précieuses. M. Rœderer nous peint les membres du _quatrumvirat_ réunis, et de concert «pour favoriser les mœurs de la cour, célébrer les maîtresses, exalter sous le nom de munificence royale des profusions ruineuses, au grand préjudice des mœurs générales. On faisait tomber des ridicules, mais on les immolait au vice; et l’honnêteté des femmes était traitée d’hypocrisie, comme si le désordre eût été une règle sans exception.» (_Société polie_, p. 206.) Je ne voudrais pas jurer que M. Rœderer n’ait retrouvé le contrat d’association, tant il paraît sûr de son fait. Vainement lui ferait-on observer que Molière et Racine sont restés brouillés depuis la représentation d’_Andromaque_; c’est-à-dire, depuis le véritable début de Racine; que Louis XIV, loin de protéger la Fontaine, témoigna toujours contre le fabuliste et contre ses ouvrages une invincible antipathie; M. Rœderer ne s’arrête pas à si peu: «Le quatrumvirat placé sous les créneaux de Louis XIV obtint une victoire facile sur le ridicule; mais il succomba devant l’honnêteté, parce qu’elle était appuyée sur la haute société, qui joignait le bon goût à la délicatesse des mœurs. Cette société faisait cause commune avec la cour contre le mauvais langage et les mauvaises manières, et eut peut-être la plus grande part à _leur réprobation_; mais elle faisait cause commune avec les bonnes mœurs de la préciosité contre la licence de la cour et contre celle des écrivains nouveaux, et elle eut la plus grande part à leur défaite.» (P. 24.) Certes, avant M. Rœderer personne n’avait soupçonné ni cette association de Molière, Boileau, la Fontaine et Racine contre les bonnes mœurs et l’honnêteté, ni surtout la défaite du _quatrumvirat_. Molière et Boileau défaits par les précieuses! Ceux qui aiment le nouveau, quoi qu’il coûte, auront ici lieu d’être satisfaits. Et quel but pensez-vous que se proposât Molière dans _le Misanthrope_? Peindre la vertu, et la faire estimer et chérir jusque dans les excès comiques où elle peut s’emporter? Point du tout! La véritable intention de Molière était de servir les maîtresses de Louis XIV; et en cela il était soufflé par Louis XIV lui-même. Préparer le triomphe du vice, tel est le sens mystérieux du caractère d’Alceste: «En considérant la position de Molière et le plaisir que le roi prenait à diriger son talent, on se persuaderait sans peine qu’en approchant l’oreille des rideaux du roi, on surprendrait quelques paroles dites à demi-voix pour désigner à Molière ce caractère qui, bien que respecté au fond du cœur, avait quelque chose d’importun pour les maîtresses, et pour les femmes qui aspiraient à le devenir.» (P. 219.) Vous en seriez-vous douté? Non. C’est que vous n’avez pas, comme M. Rœderer, approché l’oreille des rideaux de Louis XIV. Et _Amphitryon_? Vous croyez bonnement que c’est une imitation de Plaute; que les personnages de cette comédie sont Jupiter, Alcmène et Amphitryon? Pauvres gens! vues bornées! détrompez-vous: apprenez de M. Rœderer qu’il faut entendre sous ces noms Louis XIV, madame de Montespan, et M. de Montespan; dès lors vous comprenez la malice de ces vers: Un partage avec Jupiter N’a rien du tout qui déshonore. C’est ingénieux, n’est-ce pas? M. Rœderer fait des découvertes admirables dans les pièces de Molière! Mais ce n’est pas tout, et voyez jusqu’où va son talent: cet Amphitryon si gai, si comique, M. Rœderer trouve le moyen de le tourner à la tragédie; il mêle là-dedans la mort de madame de Montausier, et veut en rendre Molière responsable. Comment? madame de Montausier serait-elle morte de rire à _Amphitryon_? Nullement; elle mourut des suites d’une frayeur causée par une vision, une apparition en plein jour. Saint-Simon et mademoiselle de Montpensier s’accordent sur cette histoire: «Madame de Montausier étant dans un passage, derrière la chambre de la reine, où l’on met ordinairement un flambeau en plein jour, elle vit une grande femme qui venait droit à elle, et qui, lorsqu’elle en fut proche, disparut à ses yeux; ce qui lui fit une si grande impression dans la tête et une si grande crainte, qu’elle en tomba malade.» (_Mémoires de Mademoiselle._) Saint-Simon ajoute que la grande femme était mal mise, qu’elle parla à l’oreille de madame de Montausier; et que celle-ci étant sujette à certains dérangements de cerveau, l’on ne sut jamais ce qu’il y avait de réel ou de fantastique dans cette scène. Vous n’apercevez, je gage, aucun rapport entre cette aventure lugubre et _Amphitryon_? C’est que vous n’avez pas les yeux de lynx de M. Rœderer. M. Rœderer, avec une sagacité nonpareille, devine et affirme sans hésiter que le fantôme inconnu n’était autre que M. de Montespan, déguisé en grande femme mal mise, pour, à l’aide de ce costume, pénétrer plus facilement dans les appartements de la reine, et faire à madame de Montausier de sanglants reproches sur sa complaisance pour les amours adultères du roi et de la marquise. Or, comme madame de Montausier mourut de cette affaire, c’est-à-dire de l’effroi d’avoir vu M. de Montespan en grande femme mal mise; et d’autre part Molière ayant composé _Amphitryon_ dans une vue favorable à l’adultère du roi, tout cela donne à M. Rœderer le droit de s’écrier: «Combien cette mort fait perdre de son esprit et de sa gaieté à l’_Amphitryon_ de Molière! et quelle condamnation la pure vertu dont la société de Rambouillet avait été l’école prononça par cette mort sur la conduite de Louis XIV!» (P. 135.) La beauté de l’expression répond à la justesse des pensées. Mais voici le chef-d’œuvre de l’immoralité de Molière, l’ouvrage où se montre en plein son intention perverse de protéger le vice et de faire triompher les mauvaises mœurs, toujours sous les créneaux de Louis XIV, bien entendu. Vous vous hasardez à nommer _Tartufe_: point! vous n’y êtes pas. C’est _les Femmes savantes_; _Tartufe_ n’attaque pas les précieuses. Il n’y avait point de précieuses ridicules, point de pédantes; il n’y en a jamais eu; Philaminte et Bélise n’ont jamais existé. Mais il y avait des femmes d’une éclatante vertu, dont la conduite immaculée protestait contre la conduite scandaleuse de madame de Montespan. «C’étaient là les femmes dont les mœurs inquiétaient Molière et offensaient la cour; c’étaient ces femmes-là que le poëte voulait attaquer sous le nom de femmes savantes.» (P. 306-307.) Pour en venir à bout, Molière profita perfidement d’une circonstance favorable à son dessein. C’est que ces femmes vertueuses «s’appliquaient à l’étude du grec et du latin, à la métaphysique de Descartes, aux sciences physiques et mathématiques; quelques-unes particulièrement à l’astronomie.» (P. 306.) Molière eut la méchanceté noire d’employer ce hasard pour faire illusion au public et masquer son but affreux; mais il n’a pu tromper l’œil vigilant de M. Rœderer. «Cependant Molière, qui voyait le train de la cour continuer, l’amour du roi et de madame de Montespan braver le scandale, _imagina d’infliger un surcroît de ridicule aux femmes dont les mœurs chastes et l’esprit délicat étaient la censure muette, mais profonde et continue, de la dissolution de la cour_. Il ne doutait pas que ce ne fût un moyen de plaire au roi et à madame de Montespan..... La pièce des _Femmes savantes_ est une dernière malice de Molière à double fin: d’abord pour se défendre de la réprobation de quelques mots de son langage et de quelques erreurs de sa morale; ensuite _pour servir les amours du roi et de madame de Montespan_, qui blessaient tous les gens de bien, et dont la mort récente de madame de Montausier était une éclatante condamnation.» (P. 305-306.) Que de révélations inattendues coup sur coup! Molière défendant son propre langage et les erreurs de sa morale, Molière sapant les bonnes mœurs dans _les Femmes savantes_! Le voilà donc connu ce secret plein d’horreur! «Il est _évident_ par le travail de cette comédie qu’elle n’a été inspirée ni par le spectacle de la société, ni avouée par l’art: c’est une œuvre de combinaison politique, _invita Minerva_.» (P. 309.) Quoi! _les Femmes savantes_ ont été faites _malgré Minerve_? Ah! M. Rœderer, je n’y tiens plus; et, comme dit Sganarelle à don Juan: «Cette dernière m’emporte!» Il faut que la défense des précieuses soit une entreprise bien difficile, puisqu’elle réduit à de telles extrémités! Le zèle de M. Rœderer pour les précieuses et les précieux ne recule devant aucune tâche, ne s’effraye d’aucun obstacle: il va jusqu’à embrasser l’apologie de l’abbé Cotin! On sait que l’abbé Cotin avait insulté Molière et Boileau dans un libelle rimé, où, parmi cent platitudes atroces, il leur reprochait de ne reconnaître ni Dieu, ni foi, ni loi; d’être des bateleurs, des turlupins, mendiant un dîner qu’ils payaient en grimaces, après s’y être enivrés jusqu’à tomber sous la table[35]. La scène de Vadius et de Trissotin s’était passée chez Mademoiselle, entre Cotin et Ménage, justement à l’occasion du fameux sonnet à la princesse Uranie; et, pour preuve, Saint-Évremond avant Molière avait reproduit cette scène dans sa comédie des _Académistes_. Ce sonnet à Uranie, et le madrigal sur un carrosse de couleur amarante, sont imprimés dans le recueil de Cotin; Trissotin s’appela _Tricotin_, c’est-à-dire, triple Cotin, jusqu’à la douzième représentation. Ménage même ajoute que Molière, pour rendre son intention encore plus sensible, avait songé d’affubler l’acteur d’un vieil habit de Cotin. Ce sont là des raisons de quelque poids sans doute, mais non pas pour M. Rœderer. M. Rœderer s’indigne de l’idée qu’on ait pu voir Cotin dans Trissotin. Cette fois, le crime lui paraît si énorme qu’il refuse d’en charger même Molière! Il s’en prend aux commentateurs: «De nos jours, des commentateurs ont osé (quelle audace!) ce dont les écrits du temps de Molière se sont abstenus, ce à quoi _la volonté de Molière a été de ne donner ni occasion, ni prétexte_..... Ils veulent que le Trissotin des _Femmes savantes_ soit précisément l’abbé Cotin!..... Mais Trissotin est un homme à marier qui veut attraper une honnête famille, et Cotin était ecclésiastique; Trissotin est un malhonnête homme, et l’abbé Cotin avait une réputation intacte. Un coquin ne prêche pas _dix-sept carêmes de suite à Notre-Dame_!» Voilà ce qui s’appelle un argument! L’abbé Cotin a prêché dix-sept carêmes de suite à Notre-Dame, donc il ne pouvait être un poëte ridicule, et Molière n’a pu le jouer en cette qualité. J’ose dire que le livre de M. Rœderer est raisonné d’un bout à l’autre avec la même puissance de logique. [35] Despréaux sans argent, crotté jusqu’à l’échine, S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine; Son Turlupin l’assiste, et, jouant de son nez, Chez le sot campagnard gagne de bons dîners, etc..... Ce même Cotin fit contre son ancien ami Ménage une satire intitulée _la Ménagerie_. On voit qu’il ne se contentait pas d’être un méchant poëte; il était encore un méchant homme. A l’occasion de Trissotin, M. Rœderer s’élève contre l’impertinence des faiseurs de _clefs_. Je suis de son avis; mais pourquoi nous a-t-il donné tout à l’heure une _clef_ de l’_Amphitryon_? pourquoi prend-il sur lui d’affirmer que, sous le nom de _Madelon_, Molière a voulu jouer mademoiselle de Scudéry, qui s’appelait _Madeleine_? Il s’appuie d’un passage du discours de réception de la Bruyère à l’Académie; il aurait dû s’en souvenir plus tôt. La clef du _Gargantua_ et du _Pantagruel_, celle des _Caractères_, sont beaucoup plus innocentes que celle qu’il forge pour _Amphitryon_; c’est l’histoire de la poutre et du fétu de l’Évangile. Enfin Molière mourut! Dès ce moment le _quatrumvirat_ dont il était l’âme fut considérablement affaibli. A la vérité, Racine, tout faible qu’il était, fit encore _Iphigénie_, _Phèdre_, _Esther_, et _Athalie_; la Fontaine publia ses meilleures fables, et ses derniers contes; Boileau, ses _Épîtres_, _le Lutrin_, et _l’Art poétique_; mais il n’importe: _le parti honorable_, _la société d’élite_, comme l’appelle M. Rœderer (p. 215), commença dès lors à respirer. Le parti honorable, ce sont les précieuses, par opposition au parti déshonorant ou déshonoré, représenté par Molière, Boileau, Racine et la Fontaine, Louis XIV en tête. Peu s’en faut que M. Rœderer ne se réjouisse de la mort de Molière; et, à tout prendre, on ne saurait lui en vouloir, puisque la morale est plus nécessaire que l’esprit, et que «la mort de Molière marqua un terme à la protection que les lettres donnaient à la société licencieuse contre la société d’élite.» (P. 329.) Cette mort fit un bien infini, car avec Molière disparurent _les mots grossiers qu’il protégeait_, et tout rentra dans l’ordre: les rois n’eurent plus de maîtresses; il n’y eut plus de profusions ruineuses, sous le nom de munificence royale; les mœurs publiques se purifièrent, et devinrent aussi irréprochables que celles même de l’hôtel de Rambouillet; en un mot, le temps de la régence fut l’âge d’or de la morale et de la vertu. Évidemment tout le mal tenait à Molière et aux mots grossiers. S’arrêter une seule minute à combattre les assertions de M. Rœderer, ce serait insulter à la fois la mémoire de Molière et le bon sens du lecteur. Il a suffi d’exposer ces rêveries; encore ne l’eût-on pas fait si longuement, si le livre qui les contient eût été publié comme les autres livres; mais l’auteur a pris la précaution de ne le pas laisser vendre: il s’est contenté d’en prodiguer de tous côtés les exemplaires en pur don. Par cet ingénieux moyen, il a échappé à l’examen de la critique, ou bien, si quelqu’un en a parlé quelque part, ç’a été pour acquitter en éloges la dette de la reconnaissance ou de l’amitié; en sorte que, depuis tantôt dix ans, les accusations les plus graves, et, disons le mot, les plus calomnieuses, circulent en France, au sein de la _société polie_, sur le compte des plus nobles caractères et du plus beau génie dont notre nation s’honore. Celui qui a répandu la gloire de notre littérature dans tous les coins du monde civilisé, et l’y maintiendra encore après que la langue française aura cessé d’être une langue vivante, c’est celui-là que M. Rœderer a choisi pour en faire le chef de je ne sais quelle officine ténébreuse, où, sous l’espoir d’un salaire, les quatre premiers poëtes du dix-septième siècle deviendraient les courtisans des courtisanes, les adversaires de l’honnêteté, et les destructeurs de la morale! Tant de frais pour réhabiliter les précieuses ridicules et l’abbé Cotin[36]! [36] M. Rœderer met toujours _Cottin_ par deux _t_. Il défigure le nom de son héros, comme ceux de _la Fare_ et de _Roberval_, qu’il écrit _Lafarre_, et _Robervalle_. Ce sont de petits détails, mais non pas sans importance dans un livre qui prétend surtout tirer sa valeur de l’exactitude parfaite des petits détails. En voici de plus essentiels: M. Rœderer (p. 195) fait la Fontaine plus jeune que Molière, dont il place la naissance en 1620. L’acte de naissance authentique de Molière, publié en 1821, prouve que Molière est né en 1622, et donne raison à Bret, qui avait indiqué cette date. Ainsi Molière était d’un an plus jeune que la Fontaine. (P. 28.) Il ne devrait plus être permis de répéter le conte du génie de la Fontaine, éveillé en sursaut à vingt-six ans par la lecture d’une ode de Malherbe. L’ouvrage de M. Walckenaer, fort antérieur à celui de M. Rœderer, a démontré la fausseté de cette historiette. M. Rœderer donne comme un fait notoire et au-dessus de tout examen la représentation des _Précieuses ridicules_ en province en 1654, c’est-à-dire, cinq ans avant la représentation à Paris. Il affirme, sans aucune preuve, que cette comédie fut jouée à Béziers, durant les états de Provence. C’est là, dit-il, un fait _indubitable_ que personne n’a jamais contredit. Il a été contredit par Somaise, par de Visé, par les frères Parfaict, et après eux par Bret et par M. Taschereau. Il est surtout démenti de la manière la plus formelle par le registre de la Comédie, écrit de la main de la Grange, où il est dit, page 3, que _l’Étourdi_ et _le Dépit_ avaient été joués en province, et, page 12, que _les Précieuses_ étaient _une pièce nouvelle_; et la Grange, qui y créa le rôle de Jodelet, a répété ce témoignage dans son édition des œuvres de Molière: «En 1659, M. de Molière FIT _les Précieuses ridicules_.» Ces preuves avaient été rassemblées dans l’estimable travail de M. Taschereau, que M. Rœderer qualifie d’_absurde_ et d’_odieux_, parce qu’il contrarie son système sur _les Précieuses_. Il eût mieux fait de le lire que de l’injurier. Enfin, M. Rœderer (p. 10) combat l’opinion de ceux qui attribuent à Molière, à Racine, à Boileau, et aux écrivains de leur temps, le perfectionnement de la langue française; et, parmi les auteurs à qui il attribue réellement ce mérite, et qui écrivaient, dit-il, longtemps avant le siècle de Louis XIV, il cite madame de Sévigné entre Regnier, Corneille et Malherbe. D’abord, ni la langue de Malherbe et de Regnier, ni même la langue de Corneille, n’est celle de Racine et de Boileau. Ensuite le recueil des lettres de madame de Sévigné ne commence qu’en 1671. Il est vrai que nous n’avons pas toute sa correspondance; mais il faut être aussi prévenu et aussi intrépide que M. Rœderer pour se faire un argument de ces lettres perdues, dont on ignore et le nombre et la date: «_Une multitude d’autres_ sont perdues. On pourrait assurer, _sans les connaître_, que ce sont les plus curieuses, les plus variées, les plus charmantes.» Tout est possible à M. Rœderer, hormis de dissimuler sa passion. A chaque page de son livre on reconnaît l’homme qui discute avec un parti pris, et ne se fait aucun scrupule d’altérer, de mutiler l’histoire, pour la plier à ses idées. Quant à dire que Cathos et Madelon sont «des bourgeoises _presque canailles_;» que Tallemant parle de madame de Sablé «comme d’une intrigante fieffée et d’une _insigne catin_ (p. 240); ces expressions et beaucoup d’autres pareilles, semblent indiquer que l’auteur n’était pas né pour être l’historien de la société polie. Au reste, cette prétendue histoire de la société polie se résume en trois points: éloge de l’hôtel de Rambouillet; invectives contre Molière; amours de Louis XIV avec Mlle de la Vallière, Mme de Montespan, Mme de Maintenon, Mme de Ludre, Mme de Gramont et Mlle de Fontanges. Sur trente-sept chapitres, les intrigues galantes de Louis XIV en remplissent treize, qui font plus de la moitié du volume. L’auteur prétend que «le triomphe de Mme de Maintenon est celui de la société polie.»--«On sait, dit-il, que le mariage de Mme de Maintenon fut une longue partie d’échecs, où la veuve Scarron fit son adversaire mat en avançant opiniâtrement la religion.» M. Rœderer disserte là-dessus en docteur qui aurait pris ses degrés dans les cours d’amour, et son style cette fois est tout à fait digne de l’hôtel de Rambouillet: «La main du roi fut sollicitée par la religion en faveur de l’amour; l’amour l’aurait peut-être donnée sans elle, et elle ne l’aurait pas donnée sans lui.» (P. 464.) L’abbé Cotin ou l’abbé de Pure n’eût pas rencontré mieux. Aujourd’hui ces orages sont passés, ces flots de haine, ces torrents d’injures sont écoulés, et Molière est debout. Vivant, il fut vilipendé par les fanatiques et les hypocrites; on se fût scandalisé de l’idée seule de l’admettre à l’Académie française: un comédien! A sa mort le peuple fut ameuté devant sa maison, et sa veuve se vit obligée de jeter de l’argent par les fenêtres, pour qu’on le laissât prendre possession de ce petit coin de terre _obtenu par prière_. Cent ans après, l’Académie française mettait l’éloge de Molière au concours; il fallut cent autres années pour qu’on osât saisir l’occasion d’élever la première statue de Molière, sur une fontaine, contre un pignon, à l’angle de deux rues fangeuses. Encore un siècle de patience, et Molière obtiendra peut-être sur une place publique de Paris un monument sans partage, digne de lui et de nous. La justice de la postérité est lente, mais elle est sûre, et d’autant plus complète qu’elle s’est fait davantage attendre. Sachons gré à Louis XIV de l’avoir devancée. Elle a commencé enfin pour Molière, celui de tous les génies français qui représente le mieux la France. Ce que Cicéron promettait à Auguste, on peut le promettre bien plus sûrement à Molière: _Nulla unquam ætas de laudibus suis conticescet_, Aucune époque ne tarira jamais sur tes louanges[37]. [37] La vie de Molière a été souvent écrite. Parmi ses historiens, les plus célèbres sont Grimarest et Voltaire; c’est la source où sont allés puiser tous les autres. Le livre de Grimarest a l’avantage d’être le plus rapproché des faits qu’il expose; mais il manque de critique et de style. L’écrit de Voltaire fourmille d’inexactitudes et de négligences; il n’est digne ni de Voltaire ni de Molière. L’auteur, travaillant pour obliger un libraire, attachait à son œuvre une importance fort médiocre: il comptait en rejeter la responsabilité, et s’évader par l’anonyme. Mais Voltaire aurait dû se rendre plus de justice, et sentir que tout lui serait possible en littérature, hormis de se cacher. Dans ces derniers temps, des découvertes importantes, dues en partie à M. de Beffara, ont révélé des faits jusqu’ici inconnus, et mis à même de rectifier des erreurs graves. En sorte que, pour l’abondance des renseignements comme pour la sûreté de la critique, rien n’approche du travail de M. Jules Taschereau, _Histoire de la vie et des ouvrages de Molière_, souvent cité dans cette notice. C’est un monument durable, élevé par une main habile et pieuse à la gloire du père de la comédie française. TABLE. Pages. Préface. III CHAPITRE Ier. Naissance de Molière.--Ses études.--Il se fait comédien ambulant.--Il débute à Paris par _les Précieuses ridicules_. XI ---- II. Mariage de Molière.--Molière se brouille avec Racine.--Il est accusé d’inceste.--Louis XIV le protége. XVII ---- III. Le _Don Juan_ de Tirso de Molina et celui de Molière.--Fureur des hypocrites en voyant _les Provinciales_ sur le théâtre. XXI ---- IV. _Le Misanthrope_;--critiqué par J. J. Rousseau. Le _Timon_ de Shakspeare. XXVI ---- V. _Tartufe_;--attaqué par Bourdaloue, défendu par Fénelon. XXXI ---- VI. _Amphitryon_, _George Dandin_, _l’Avare._--Les farces de Molière.--Ses derniers ouvrages. XXXVIII ---- VII. Caractère privé de Molière.--Sa mort.--Son talent comme auteur. XLIII ---- VIII. Du génie dramatique de Molière.--Du style de Molière. LII ---- IX. De la moralité des comédies de Molière. Attaques de Bossuet.--Sentiment de Fléchier sur la comédie et les comédiens. LXVII ---- X. D’une opinion très-particulière de l’historien de la société polie. LXXIV Errata. LXXXIX Lexique de la langue de Molière. 1 Lettre à M. A. F. Didot, sur quelques points de philologie française. 425 ERRATA. Page 51, lig. 14: on se contente du simple _c_ devant _o_ et _n_; lisez: devant _o_ et _a_. Page 134, lig. 21: Nel puet nommer et _ne porquant_ Balbié l’a en souglotant. lisez en seul mot _neporquant_, ou en trois mots _ne por quant_ (neque per quantum, non pas même pour autant, nonobstant cela). Il n’y a point de motif de séparer une des trois racines. Pag. 166, lig. 9: le sepulchre u li _bom_ huem fud enseveliz; lisez: u li _bons_ huem. LEXIQUE DE LA LANGUE DE MOLIÈRE. A, devant un infinitif, propre à, capable de, de force ou de nature à.... Cherchons une maison _à vous mettre_ en repos. (_L’Ét._ V. 3.) Je me sens un cœur _à aimer_ toute la terre. (_D. Juan._ I. 2.) Je n’ai point un courroux _à s’exhaler_ en paroles vaines. (_Ibid._ I. 3.) Pour de l’esprit, j’en ai sans doute, et du bon goût _A juger_ sans étude et raisonner de tout, _A faire_ aux nouveautés, dont je suis idolâtre, Figure de savant sur les bancs d’un théâtre. (_Mis._ III. 1.) Et la cour et la ville Ne m’offrent rien qu’objets _à m’échauffer_ la bile. (_Ibid._ I. 1.) Monsieur n’est point une personne _à faire rire_. (_Pourc._ I. 5.) Des ennuis _à ne finir_ que par la mort. (_Am. Magn._ I. 1.) --A, devant un infinitif, pour _en_ suivi d’un participe présent: On ne devient guère si riche _à être_ honnêtes gens. (_B. Gent._ III. 12.) En étant honnêtes gens. L’allégresse du cœur s’augmente _à la répandre_. (_Éc. des fem._ IV. 6.) En la répandant, lorsqu’on la répand. Cette tournure correspond au gérondif en _do_, ou au supin en _u_ des Latins, qui n’est lui-même qu’un datif ou un ablatif, l’un et l’autre marqués en français par _à_: _vires acquirit eundo_; _diffunditur auditu_. Il faut avec vigueur ranger les jeunes gens, Et nous faisons contre eux _à leur être indulgents_. (_Éc. des f._ V. 7.) En leur étant indulgents. Votre choix est tel, Qu’_à_ vous rien _reprocher_ je serois criminel. (_Sgan._ 20.) En vous reprochant rien, si je vous reprochais rien. --A, devant un infinitif, marque le but: ... Un cœur qui jamais n’a fait la moindre chose _A mériter_ l’affront où ton mépris l’expose. (_Sgan._ 16.) Pour mériter, tendant à mériter. Si c’étoit une paysanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches _à vous en faire la justice_ à bons coups de bâton. (_G. D. I._ 3.) Lorsque si généreusement on vous vit prêter votre témoignage _à faire pendre_ ces deux personnes qui ne l’avoient pas mérité. (_Pourc._ I. 3.) Ah! c’est ici le coup le plus cruel de tous, Et dont _à s’assurer_ trembloit mon feu jaloux. (_Amph._ II. 2.) La chose quelquefois est fâcheuse à connoître, Et _je tremble à la demander_. (_Ibid._ II. 2.) --A, devant un infinitif, au point de, jusqu’à: La curiosité qui vous presse est bien forte, M’amie, _à nous venir écouter_ de la sorte! (_Tart._ II. 2.) --A, devant un infinitif, par le moyen de: Et que deviendra lors cette publique estime Qui te vante partout pour un fourbe sublime, Et que tu t’es acquise en tant d’occasions, _A ne t’être_ jamais vu court d’inventions! (_L’Ét._ III. 1.) --A _supprimé_. Voyez PRÉPOSITION supprimée. --A datif, redoublé surabondamment: Et je le donnerois _à_ bien d’autres qu’_à_ moi, De se voir sans chagrin au point où je me voi. (_Sgan._ 16.) Que de son cuisinier il s’est fait un mérite, Et que c’est _à_ sa table _à qui_ l’on rend visite. (_Mis._ II. 5.) L’on prescrit aujourd’hui de dire _à bien d’autres que moi.... C’est à sa table que l’on rend visite_, sous prétexte que les deux datifs font double emploi; mais cette façon de parler est originelle dans notre langue, et nous vient du latin, où cette symétrie des cas est rigoureusement observée entre le substantif et son pronom relatif. Boileau a dit de même: «C’est _à vous_, mon esprit, _à qui_ je veux parler.» (_Sat._ IX.) Vers qu’il lui eût été facile de changer, et qu’il voulut maintenir, avec raison; car ce pléonasme est dans le génie et la tradition de la langue: LE DRAPIER. «Par la croix où Dieu s’estendy, «C’est _à vous à qui_ je vendy «Six aulnes de drap, maistre Pierre.» (_Pathelin._) Voyez DE redoublé surabondamment. --A VOUS, où nous ne mettons plus que _vous_. Voilà un homme qui veut _parler à vous_. (_Mal. im._ II. 2.) --A datif, marquant la perte ou le profit. ÊTRE AMI A QUELQU’UN: Mais, quelque ami que vous _lui_ soyez... (_D. Juan._ III. 4.) Cette tournure vient des Latins, qui l’avaient empruntée aux Grecs. --A (un substantif) devant, en présence de... _A l’orgueil_ de ce traître, De mes ressentiments je n’ai pas été maître. (_Tart._ V. 3.) _A cette audace_ étrange, J’ai peine à me tenir, et la main me démange. (_Ibid._ V. 4.) --A pour _de_; _essayer à_, _manquer à_, _tâcher à_... _Essayez_, un peu, par plaisir, _à_ m’envoyer des ambassades, _à_ m’écrire secrètement de petits billets doux, _à_ épier les moments que mon mari n’y sera pas.... (_G. D._ I. 6.) Manquez un peu, _manquez à_ le bien recevoir. (_Sgan._ 1.) Depuis assez longtemps _je tâche à_ le comprendre. (_Ibid._ III. 5.) --A pour _en_, _dans_: SE METTRE QUELQUE CHOSE A LA TÊTE: Pensez-vous..... Et, quand _nous nous mettons quelque chose à la tête_, Que l’homme le plus fin ne soit pas une bête? (_Éc. des Mar._ I, 2.) --A pour _contre_; CHANGER UNE CHOSE A UNE AUTRE: Et, des rois les plus grands m’offrît-on le pouvoir, Je n’y _changerois pas_ le bonheur de vous voir. (_Mélicerte._ II. 2.) «Ce jour même, ce jour, l’heureuse Bérénice «_Change le nom de reine au nom_ d’impératrice.» (RACINE, _Bérén._) --A pour _sur_, _d’après_; A MON SERMENT: Je n’en serai point cru _à mon serment_, et l’on dira que je rêve. (_G. D._ II. 8.) _A mon serment_ l’on peut m’en croire. (_Amph._ II. 1.) --A dans le sens de _par_, SE LAISSER SÉDUIRE A....: Et ne vous laissez point _séduire à vos bontés_. (_Fem. sav._ V. 2.) .... Et que j’aurois cette faiblesse d’âme De me laisser mener par le nez _à_ ma femme? (_Ibid._ V. 2.) Il est clair que Molière a voulu éviter la répétition de _par_. _A_ se construit avec _laisser_; _par_ se construirait avec _mener_. Voyez A CAUSE QUE,--A CE COUP,--A CETTE FOIS,--A CRÉDIT,--A LA CONSIDÉRATION,--A L’ENTOUR DE,--A L’HEURE,--A MA SUPPRESSION,--A PLEIN,--A SAVOIR,--AU ET AUX. ABANDONNER. ABANDONNER SON CŒUR A..., suivi d’un infinitif: Aussi n’aurois-je pas _Abandonné mon cœur à suivre_ ses appas.... (_Éc. des Mar._ II. 9.) ABOYER, métaphoriquement; ABOYER APRÈS QUELQU’UN, en parlant des créanciers: Nous avons de tous côtés des gens qui _aboient après nous_. (_Scap._ I. 7.) ABSENT. ABSENT DE QUELQU’UN: Et qu’un rival, _absent de vos divins appas_..... (_D. Garcie._ I. 3.) «Nul heur, nul bien ne me contente, «Absent de ma divinité.» (FRANÇOIS Ier.) C’est un latinisme: _abesse ab_. A CAUSE QUE. Vous ne lui voulez mal, et ne le rebutez Qu’_à cause qu_’il vous dit à tous vos vérités. (_Tart._ I. 1.) Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas, _A cause qu_’elle manque à parler Vaugelas. (_Fem. sav._ II. 7.) «Ceux qu’on nomme chercheurs, _à cause que_, dix-sept cents ans après J. C., ils cherchent encore la religion.» (BOSSUET. _Or. fun. de la R. d’A._) ACCESSOIRE. EN UN TEL ACCESSOIRE, en pareille circonstance: Et tout ce qu’elle a pu, _dans un tel accessoire_, C’est de me renfermer dans une grande armoire. (_Éc. des f._ IV. 6.) _Accessoire_ paraît un mot impropre, suggéré par le besoin de rimer. On voit, à la plénitude du sens et à la fermeté habituelle de l’expression, que Molière avait, comme Boileau, l’usage de s’assurer d’abord de son second vers. De là vient que souvent le second hémistiche du premier tient de la cheville, comme en cette occasion. (Voyez CHEVILLES.) ACCOISER, calmer: Ier MÉDECIN. Adoucissons, lénifions et _accoisons_ l’aigreur de ses esprits. (_Pourc._ I. 2.) L’orthographe primitive est _quoi_, _quoie_, de _quietus_: on devrait donc écrire aussi _aquoiser_; mais l’écriture s’applique à saisir les sons plutôt qu’à garder les étymologies. C’est une des causes qui transforment les mots. _Accoiser_ était du langage usuel; Bossuet s’en est servi dans sa _Connaissance de Dieu_; les éditeurs modernes ont changé mal à propos cette expression. Voici le passage tel qu’on le lit dans l’édition originale donnée par l’auteur: «Si les couleurs semblent vaguer au milieu de l’air, si elles s’affoiblissent peu à peu, si enfin elles se dissipent, c’est que le coup que donnoit l’objet présent ayant cessé, le mouvement qui reste dans le nerf est moins fixe, qu’il se ralentit, et enfin s’_accoise_ tout à fait.» On a substitué _qu’il cesse tout à fait_. (P. 93, éd. de 1846.) ACCOMMODÉ pour _à l’aise_, _opulent_: J’ai découvert sous main qu’elles ne sont pas fort _accommodées_. (_L’Av._ I. 2.) Le seigneur Anselme est....... un gentilhomme qui est noble, doux, posé, sage, et _fort accommodé_. (_Ibid._ I. 7.) «Mon pere estoit des premiers et des plus _accommodez_ de son village.» (SCARRON, _Rom. com._, 1e p., ch. XIII.) Trévoux dit: «Un homme riche et _accommodé_, _dives_.» «Un homme assez _accommodé des biens de la fortune_.» (MASCARON.) Cette locution _accommodé des biens de la fortune_ paraissant trop longue, on a fini par dire simplement _accommodé_. Mais ce qui est plus singulier, c’est de trouver _incommodé_ aussi absolument et sans régime, pour signifier _pauvre, dans la gêne ou la misère_. «Revenons donc aux personnes _incommodées_, pour le soulagement desquelles nos pères... assurent qu’il est permis de dérober, non-seulement dans une extrême nécessité....» (PASCAL, 8e _Prov._) (Voyez INCOMMODÉ.) --ACCOMMODÉ DE TOUTES PIÈCES: Est-ce qu’on n’en voit pas de toutes les espèces, Qui sont _accommodés_ chez eux _de toutes pièces_? (_Éc. des fem._ I. 1.) On ne sauroit aller nulle part, où l’on ne vous entende _accommoder de toutes pièces_. (_L’Av._ III. 5.) L’on vous _accommode de toutes pièces_, sans que vous puissiez vous venger. (_G. D._ I. 3.) Cette métaphore, _de toutes pièces_, nous reporte au temps de la chevalerie. Un chevalier, accommodé de toutes les pièces de son armure, était accommodé aussi complétement que possible; il n’y manquait rien. J’ai en main de quoi vous faire voir comme elle _m’accommode_. (_G. D._ II. 9.) --ACCOMMODER A LA COMPOTE: Il me prend des tentations d’_accommoder tout son visage à la compote_... (_G. D._ II. 4.) ACCORD. ÊTRE D’ACCORD DE, convenir, reconnaître: Autant qu’_il est d’accord de vous avoir aimé_. (_Amph._ II. 6.) Qu’aux pressantes clartés de ce que je puis être, Lui-même _soit d’accord du sang_ qui m’a fait naître. (_Ib._ III. 5.) --ALLER AUX ACCORDS, être conciliant; accommoder les choses: Argatiphontidas _ne va point aux accords_. (_Amph._ III. 8.) ACCOUTUMÉ; AVOIR ACCOUTUMÉ, avoir coutume: Allez, monsieur, on voit bien que _vous n’avez pas accoutumé_ de parler à des visages. (_Mal. im._ III. 6.) ACCROCHÉ, ACCROCHÉ A QUELQU’UN: Mais aux hommes par trop _vous êtes accrochées_. (_Amph._ II. 5.) Sur cette locution _par trop_, je ferai observer que c’est un des plus anciens débris de la langue française primitive. _Par_ s’y construit, non avec _trop_, mais avec l’adjectif ou le participe qui le suit, et qui se trouve ainsi élevé à la puissance du superlatif. C’est une imitation de l’emploi de _per_ chez les Latins: _pergrandis_, _pergratus_. Cette formule se pratiquait en français avec la tmèse de _par_; c’était comme si l’on eût dit sans tmèse: Vous êtes _trop paraccrochées_ aux hommes. _Par_ se construisait de même avec les verbes: _parfaire_, _parachever_, _parcourir_, _parbouillir_, _pargagner_: Pourtant, et s’il eust barguigné Plus fort, il eust _par_ bien _gaigné_ Un escu d’or. (_Le nouveau Pathelin._) S’il eût marchandé, il eût bien pargagné un écu d’or. (Voyez _Des Variations du langage français_, p. 236.) A CE COUP: Voyons si votre diable aura bien le pouvoir De détruire, _à ce coup_, un si solide espoir. (_L’Ét._ V. 16.) (Voyez A CETTE FOIS.) A CETTE FOIS: Mais _à cette fois_, Dieu merci! les choses vont être éclaircies. (_G. D._ III. 8.) Racine a dit pareillement: «La frayeur les emporte, et, sourds _à cette fois_, «Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix.» (_Phèdre._ V. 6.) _A cette fois_ était la seule façon de parler admise originairement: «Je ne say plus que vous mander «_A cette fois_, ne mes que tant «Que je di: a Dieu vous commant.» (_Rom. de Coucy._ v. 3184.) A se mettait pour marquer le temps, où nous mettons aujourd’hui sans prépositions un véritable ablatif absolu; cependant nous disons encore _à toujours_, _à jamais_, comme dans le Roman du _Châtelain de Coucy_: «Vostre serois _à tousjours mais_...» (_Coucy._ v. 5357.) «_A une aultre fois_, ils (les Espagnols) meirent brusler pour un coup, en mesme feu, quatre cents soixante hommes touts vifs.» (MONT. III. 6.) Nous dirions: _une autre fois_. «En quoy (à bien employer les richesses de l’État) le pape Gregoire treizieme laissa sa memoire recommandable _à long temps_; et en quoy nostre royne Catherine tesmoigneroit _à longues années_ sa liberalité naturelle et munificence, si les moyens suffisoient à son affection.» (MONT. _Ibid._) Bossuet dit toujours _à cette fois_: «Mais, _à cette dernière fois_, la valeur et le grand nom de Cyrus fit que..... etc.» (_Hist. Un._ IIIe p. § 4.) ACHEMINER QUELQU’UN A UNE JOIE: Ah! Frosine, la joie _où vous m’acheminez_..... (_Dép. am._ V. 5.) ACOQUINER QUELQU’UN A QUELQUE CHOSE: Et je crois, tout de bon, que nous les verrions (les femmes) nous courir, sans tous ces respects et ces soumissions _où les hommes les acoquinent_. (_Pr. d’Él._ III. 3.) Mon Dieu, qu’_à tes appas je suis acoquiné_! (_Dép. am._ IV. 4.) «.... tant les hommes sont _accoquinez à leur estre miserable_!» (MONTAIGNE. II. 37.) COQUIN, au moyen âge, signifiait un mendiant paresseux; d’où l’on est passé à l’idée de malfaiteur ou de voleur dissimulé. «Lesquels jeunes hommes, venant de la ville de Roches en la ville de Rueil, ou chemin trouvèrent un homme en habit de _quoquin_.....» (_Lettres de rémission_ de 1375.) «Un homme querant et demandant l’aumosne, qui estoit vestu d’un manteau tout plain de paletaux, comme un _coquin_ ou caimant[38].» (_Lettres_ de 1392.) «Pierre Perreau, homme plain d’oisiveté... alant _mendiant et coquinant_ par le pays.» (_Lettres_ de 1460.) [38] De _caimant_ il nous reste _quémander_. Dans les Actes de la vie de saint Jean, il est question d’un jeune homme qui insultait le saint: «Vocando ipsum _coquinum_ et truantem.» (DUCANGE, _in Coquinus_.) _S’acoquiner_ est donc s’attacher comme fait un mendiant importun à celui qu’il sollicite. L’étymologie la plus probable dérive _coquin_ de _coquina_, cuisine, lieu que les coquins hantent volontiers. On voit déjà dans Plaute que _cuisinier_ était synonyme de voleur: Mihi omnis angulos Furum implevisti in ædibus misero mihi, Qui intromisisti in ædes quingentos _coquos_. (_Aulul._) Forum coquinum qui vocant stulte vocant; Nam non _coquinum_, verum _furinum_ est forum. (_Pseudol._) Voyez Du Cange, aux mots _coquinus_ et _cociones_. Nicot, au mot _accoquiner_, dit sans autorité que _coquin_ signifiait _privé_, _familier_. A CRÉDIT, gratuitement: MISÉRABLE A CRÉDIT: C’est jouer en amour un mauvais personnage, Et se rendre, après tout, _misérable à crédit_. (_Dép. am._ I. 2.) ADIEU VOUS DIS, sorte d’adverbe composé: Adieu vous dis mes soins pour l’espoir qui vous flatte. (_L’Ét._ II. 1.) Il faut considérer _adieu vous dis_, ancienne formule, comme _adieu_ tout simplement, sans tenir compte du _vous_ ni du verbe _dire_: _Adieu mes soins_ pour l’espoir qui vous flatte. L’édition de P. Didot ponctue, d’après celle de 1770: Adieu, vous dis, mes soins pour l’espoir qui vous flatte. Où l’on voit que l’éditeur prend _vous dis_ pour _vous dis-je_:--Adieu mes soins, _vous dis-je_... Ce n’est pas le sens. _Vous dis_ ne s’adresse point à l’interlocuteur de Mascarille, pas plus que ce n’est une apostrophe: _adieu vous dis_, ô mes soins! C’est tout simplement: _Adieu mes soins_. A DIRE VÉRITÉ, _pour dire la vérité_: Mais il vaut beaucoup mieux, _à dire vérité_, Que la femme qu’on a pèche de ce côté. (_Éc. des fem._ III. 3.) ADMETTRE CHEZ QUELQU’UN, introduire: En vous le produisant, je ne crains point le blâme D’avoir _admis chez vous_ un profane, madame. (_Fem. sav._ III. 5.) ADMIRER DE (un infinitif): _J’admire de le voir_ au point où le voilà. (_Éc. des fem._ I. 6.) Et _j’admire de voir_ cette lettre ajustée Avec le sens des mots et la pierre jetée. (_Ibid._ III. 4.) --ADMIRER COMME....: J’_admire comme_ le ciel a pu former deux âmes aussi semblables en tout que les nôtres..... (_Pr. d’Él._ IV. 1.) Pascal a dit _j’admire que_: «Car qui n’_admirera que_ notre corps.... soit à présent un colosse, un monde, etc.» (_Pensées_, p. 282.) «Vous _admirerez que_ la dévotion qui étonnoit tout le monde ait pu être traitée par nos pères avec une telle prudence, que....., etc.» (9e. _Prov._) «Il faudroit _admirer qu’elle_ (cette doctrine) ne produisît pas cette licence.» (14e _Prov._) ADRESSES, au pluriel: Enfin, j’ai vu le monde et j’en sais les finesses: Il faudra que mon homme ait de _grandes adresses_, Si message ou poulet de sa part peut entrer. (_Éc. des fem._ IV. 5.) ADRESSER, diriger, faire arriver: Mon esprit, il est vrai, trouve une étrange voie Pour _adresser mes vœux_ au comble de leur joie. (_L’Ét._ IV. 2.) AFFECTER, affectionner; rechercher avec affection. --MONTRER D’AFFECTER, étaler de l’affection ou la laisser paraître: Vous buviez sur son reste, et _montriez d’affecter_ Le côté qu’à sa bouche elle avoit su porter. (_L’Ét._ IV. 5.) --AFFECTER L’EXEMPLE DE QUELQU’UN: Diane même, _dont vous affectez tant l’exemple_, n’a pas rougi de pousser des soupirs d’amour. (_Pr. d’Él._ II. 1.) AFFOLER, v. a. ÊTRE AFFOLÉ DE QUELQU’UN, figurément en être épris: Vous ne sauriez croire comme elle est _affolée de ce Léandre_. (_Méd. malgré lui._ III. 7.) _Affoler_ ne signifie pas rendre fou, comme l’explique le Suppl. au. Dict. de l’Acad., mais _blesser_, au propre et au figuré. C’est le verbe _fouler_ composé avec a, marquant le progrès d’une action, comme dans _alentir_, _apetisser_, _agrandir_, _amaladir_. _Elle en est affolée_, elle en est férue. «Ha! le brigand! il m’a tout _affolée_.» (LA FONT. _Le diable de Pap._) Rendre fou se disait _affolir_ (racines, _fol_, _folle_, et _a_). Montaigne a bien gardé la différence de ces deux mots: «Et leur sembloit que c’estoit affoler les mystères de Venus, que de les oster du retiré sacraire de son temple.» (II, 12.) _Lædere mysteria Veneris._ «Il y a non-seulement du plaisir, mais de la gloire encores, d’affolir ceste molle doulceur et ceste pudeur enfantine.» (MONT. II. 15.) On avait composé aussi de _foler_ (_fouler_) _gourfoler_ ou _gourfouler_. (Voyez DU CANGE, au mot _affolare_.) Ce qui aura conduit à confondre les deux formes de l’infinitif, c’est qu’en effet le présent de l’indicatif est le même: le berger Aignelet, à qui son avocat recommande de ne répondre à toutes les questions autre chose sinon _bée_, s’y engage: «Dites hardiment que j’_affole_, «Si je dis huy autre parole.» (_Pathelin._) On remarque de plus, dans cet exemple, _affolir_ employé au sens neutre, pour _devenir fou_. De même, un peu plus loin, quand le drapier brouille son drap et ses moutons, Pathelin s’écrie vers le juge: «Je regny sainct Pierre de Rome, «S’il n’est fin fol, ou il _affole_.» Il est fou, ou il le devient. AFFRONTER QUELQU’UN, le tromper effrontément, jusqu’à l’outrager et s’exposer à sa vengeance: Ah! vous me faites tort! S’il faut qu’on vous _affronte_, Croyez qu’il m’a trompé le premier à ce conte. (_L’Ét._ IV. 7.) Courons-le donc chercher, ce pendant qui m’_affronte_. (_Sgan._ 17.) Si j’y retombe plus, je veux bien qu’on m’_affronte_. (_Éc. des fem._ II. 6.) «A votre avis, le Mogol est-il homme Que l’on osât de la sorte _affronter_?» (LA FONT., _la Mandr._) --AFFRONTER UN CŒUR: _Un cœur_ ne pèse rien, alors que l’on l’_affronte_. (_Dép. am._ II. 4.) AGRÉER QUE...: _Agréez_, monsieur, _que je vous félicite_ de votre mariage. (_Mar. for. 12._) AGROUPÉ: Les contrastes savants des membres _agroupés_, Grands, nobles, étendus, et bien développés. (_La Gloire du Val de Grâce._) Trévoux le donne comme un terme technique en peinture, et cite cette phrase de Félibien: «Il faut que les membres soient _agroupés_ aussi bien que les corps.» Sur l’_a_ initial des verbes composés, voyez ASSAVOIR. AHEURTÉ A QUELQUE CHOSE: De tout temps elle a été _aheurtée à cela_. (_Mal. im._ I. 5.) Nicot donne pour exemple: «Un aheurté plaideur, un homme confit en procès, un plaidereau.» Selon Trévoux, il se dit aussi absolument: c’est un homme qui s’_aheurte_, un homme _aheurté_. AIENT en deux syllabes: Ils ne vous ôtent rien, en m’ôtant à vos yeux, Dont ils n’_aient_ pris soin de réparer la perte. (_Psyché._ II. 1.) AIGREUR, ressentiment: El l’_aigreur_ de la dame, à ces sortes d’outrages Dont la plaint doucement le complaisant témoin, Est un champ à pousser les choses assez loin. (_Éc. des m._ I. 6.) On a peine à concevoir une _aigreur_ qui est un _champ_. AIMER (S’) QUELQUE PART, s’y plaire: Pourquoi me chasses-tu?--Pourquoi fuis-tu mes pas? --Tu me plais loin de moi.--_Je m’aime où tu n’es pas._ (_Mélicerte._ I. 1.) AIR, façon, manière, AGIR D’UN AIR..... TRAITER D’UN AIR....: Au contraire, j’_agis d’un air tout différent_. (_L’Ét._ V. 13.) Et _traitent du même air_ l’honnête homme et le fat. (_Mis._ I. 1.) Et je me vis contrainte à demeurer d’accord Que l’_air_ dont vous viviez vous faisoit un peu tort. (_Ibid._ III. 5.) Parlez, don Juan, et voyons _de quel air_ vous saurez vous justifier. (_D. Juan._ I. 3.) --AVOIR DE L’AIR DE.... ressembler à....: Et ses effets soudains[39] _ont de l’air des miracles_. (_Éc. des fem._ III. 4.) [39] Les effets de l’amour. AJUSTER (S’) A: Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n’est fait que pour _nous ajuster aux visions_ de votre mari......? (_B. gent._ V. 7.) --AU TEMPS: Suivons, suivons l’exemple, _ajustons-nous au temps_. (_Psyché._ I. 1.) On remarquera dans ce verbe, _s’ajuster à_..., le pléonasme du datif qui s’y montre à l’état libre et dans la composition, preuve que le datif redoublé n’est pas plus contraire au génie de la langue française que ne l’est en latin, le redoublement analogue de la préposition _adspirar ad_, _addere ad_. On trouve dans la version des _Rois_, _se juster à_ et _s’ajuster à_. La même observation s’applique à l’expression _s’amuser à_, qui renferme deux fois le même datif. Le verbe simple est _muser_; _muser à quelque chose_, _s’amuser_. AJUSTER L’ÉCHINE; voyez ÉCHINE. A LA CONSIDÉRATION DE... voyez CONSIDÉRATION. ALAMBIQUER (S’), être ingénieux à se tourmenter: Pour moi, j’ai déjà vu cent contes de la sorte. Sans _nous alambiquer_, servons-nous-en: qu’importe? (_L’Ét._ IV. 1.) ALENTIR, ralentir: Et notre passion, _alentissant_ son cours, Après ces bonnes nuits donne de mauvais jours. (_L’Ét._ IV. 4.) Je veux de son rival _alentir_ les transports. (_Ibid._ III. 4.) (Voyez ASSAVOIR.) A L’ENTOUR DE: MORON. Les voilà tous _à l’entour de lui_; courage! ferme! (_La Pr. d’Él. Intermède 1er_; sc. 4.) On ne voit pas pourquoi cette locution a été proscrite, ni sur quelle autorité suffisante. _Entour_ est un substantif, puisqu’il a un pluriel: les _entours_ de quelqu’un. _A l’entour_, soit qu’on l’écrive en deux mots ou en un, n’est pas plus un adverbe que _à la hauteur_, _à la veille_, etc. «Le malheureux lion se déchire lui-même, «Fait résonner sa queue _à l’entour de ses flancs_.» (LA FONTAINE.) Mais M. Boniface interdit ce complément. (_Gramm. fr._, n° 674.) A L’HEURE, pour _tout à l’heure_: _A l’heure_ même encor, nous avons eu querelle Sur l’hymen d’Hippolyte, où je le vois rebelle. (_L’Ét._ I. 9.) --A L’HEURE QUE: _A l’heure que je parle_, un jeune Égyptien.... (_L’Ét._ IV. 9.) --A L’HEURE, sur l’heure, à l’instant même: Et je souhaite fort, pour ne rien reculer, Qu’_à l’heure_, de ma part, tu l’ailles appeler. (_Fâcheux._ I. 10.) ALLÉGEANCE: Et quand ses déplaisirs auront quelque _allégeance_, J’aurai soin de tirer de lui votre assurance. (_L’Ét._ II. 4.) ALLER, construit avec un participe: Il _va vêtu_ d’une façon extravagante. (_Méd. malgré lui._ I. 5.) Ici _il va_ signifie _il sort_, _il se montre_. _Aller_, construit avec le participe présent, marque d’ordinaire une action en progrès, comme dans cette phrase de Pascal: «Les opinions probables _vont toujours en mûrissant_.» (_12e Prov._) --ALLER, lié à un autre verbe à l’infinitif: Molière en fait toujours un verbe réfléchi construit avec _en_: Je m’_en vais la traiter_ du mieux qu’il me sera possible. (_Sicilien._ 19.) La voici qui _s’en va venir_. (_Ibid._ 18.) Le jour s’_en va paraître_. (_Éc. des fem._ V. 1.) --ALLER A, au sens moral, aspirer à, tendre vers...: Il ne faut mettre ici nulle force en usage, Messieurs; et si vos vœux _ne vont qu’au mariage_, Vos transports en ce lieu se peuvent apaiser. (_Éc. des mar._ III. 6.) Tous mes vœux les plus doux _Vont à m’en rendre maître_ en dépit du jaloux. (_Éc. des fem._ I. 6.) Et, comme je vous dis, toute l’habileté Ne _va qu’à_ le savoir tourner du bon côté[40]. (_Éc. des fem._ IV. 8.) [40] Le cocuage. Je gagerois presque que l’affaire _va là_. (_D. Juan._ I. 1.) Notre honneur _ne va point à_ vouloir cacher notre honte. (_Ibid._ III. 4.) Il _ne va pas à moins_ qu’à vous déshonorer. (_Tart._ III. 5.) Et toute mon inquiétude Ne doit _aller qu’à_ me venger. (_Amph._ III. 3.) Argatiphontidas _ne va point_ aux accords. (_Ibid._ III. 8.) Ce n’est qu’_à l’esprit_ seul que _vont_ tous les transports. (_Fem. sav._ IV. 2.) «De quelque manière qu’il pallie ses maximes, celles que j’ai à vous dire _ne vont_ en effet _qu’à_ favoriser les juges corrompus, les usuriers, les banqueroutiers, les larrons, les femmes perdues, etc.» (PASCAL. _8e Prov._) --ALLER DANS LA DOUCEUR, voy. DANS LA DOUCEUR. ALTÉRÉ, troublé, ému: Un tel discours n’a rien dont je sois _altéré_. (_Fem. sav._ V. 1.) AMBIGU, substantif, UN AMBIGU: C’est _un ambigu_ de précieuse et de coquette que leur personne. (_Préc. rid._ I.) AME QUI FLOTTE SUR DES SOUPÇONS: Et je veux qu’un amant, pour me prouver sa flamme, _Sur d’éternels soupçons laisse flotter son âme_. (_Fâcheux_, II. 4.) AMI, ÊTRE AMI A QUELQU’UN: Mais, quelque _ami que vous lui soyez_. (_Don Juan._ III. 4) --AMIS D’ÉPÉE: Vous êtes de l’humeur de ces _amis d’épée_, Que l’on trouve toujours plus prompts à dégaîner Qu’à tirer un teston s’il le falloit donner. (_L’Ét._ III. 5.) AMITIÉ TUANTE: Leur _tuante amitié_ de tous côtés m’arrête. (_Amph._ III. 1.) A MOINS QUE, suivi d’un infinitif, sans _de_: Le moyen d’en rien croire, _à moins qu’être insensé_? (_Amph._ II. 1.) A MOINS QUE DE: _A moins que de cela_, l’eussé-je soupçonné? (_L’Ét._ I. 10.) AMOUR, féminin: Il disait qu’il m’aimoit d’une amour sans _seconde_. (_Éc. des fem._ II. 6.) Vous ne pouvez aimer que _d’une amour grossière_. (_Fem. sav._ IV. 2.) Pourquoi _amour_ est-il aujourd’hui du masculin au singulier, et du féminin au pluriel? Cette inconséquence est toute moderne, et l’on n’en voit pas le prétexte. _Un amour_ est un petit Cupidon; _une amour_ est une affection de l’âme; on aurait dû y maintenir la même différence qu’entre _un satyre_ et _une satire_. _Amour_ est demeuré féminin depuis l’origine de la langue jusqu’à la fin du XVIIe siècle. «Qu’une _première amour est belle_! «Qu’on a peine à s’en dégager! «Et qu’on doit plaindre un cœur fidèle «Quand il est réduit à changer!» (QUINAULT. _Atys._) C’est comme le mot _orgue_, qui est aussi masculin au singulier et féminin au pluriel. Qu’y a-t-on gagné? d’être obligé de dire: C’est _un_ des plus _belles_ orgues du monde. AMOUREUSEMENT, en parlant de la tendresse filiale: Elle faisoit fondre chacun en larmes, en se jetant _amoureusement_ sur le corps de cette mourante, qu’elle appeloit sa chère mère. (_Scapin._ I. 2.) Pascal, parlant d’un enfant que veulent ravir des voleurs, et que sa mère s’efforce de retenir: «Il ne doit pas accuser de la violence qu’il souffre la mère qui le retient _amoureusement_, mais ses injustes ravisseurs.» (8e _Prov._) _AMPHIBOLOGIE:_ Et de même qu’à vous je ne lui suis pas chère. (_Mélicerte._ II. 3.) Il semble que Mélicerte veuille dire: Je ne suis chère ni à lui, ni à vous; et sa pensée est au contraire: Je ne suis pas chère à votre père comme _je le suis_ à vous. L’ellipse combinée avec l’inversion produit cette équivoque, car sans l’inversion la phrase serait encore assez claire: Je ne lui suis pas chère comme à vous, ou de même qu’à vous. AMPLEMENT AJUSTÉ, paré fastueusement: Quand un carrosse fait de superbe manière, Et comblé de laquais et devant et derrière, S’est avec grand fracas devant nous arrêté, D’où sortant un jeune homme _amplement ajusté_...... (_Les Fâcheux_, I. 1.) AMUSEMENT, dans le sens où l’on dit _amuser quelqu’un_, _s’amuser à_: Tu prends d’un feint courroux le vain _amusement_. (_Sgan._ 6.) --Perte de temps, retard: Moi, je l’attends ici, pour moins d’_amusement_. (_Tart._ I. 3.) Pour m’arrêter moins longtemps. Le moindre _amusement_ vous peut être fatal. (_Ibid._ V. 6.) N’est-il point là quelqu’un?--Ah que d’_amusement_! Veux-tu parler? (_Mis._ IV. 4.) Mais plus d’_amusement_ et plus d’incertitude. (_Ibid._ V. 2.) Amphitryon, c’est trop pousser l’_amusement_! Finissons cette raillerie. (_Amph._ II. 2.) Henriette, entre, nous est un _amusement_, Un voilé ingénieux, un prétexte, mon frère, A couvrir d’autres feux dont je sais le mystère. (_Fem. sav._ II. 3.) La Fontaine a dit _amusette_ dans le sens de _joujou_: «Le fermier vient, le prend, l’encage bien et beau, «Le donne à ses enfants pour servir d’_amusette_.» (_Le Corbeau voulant imiter l’Aigle._) ANCRER (S’) CHEZ QUELQU’UN, se mettre avant dans sa faveur: A ma suppression _il s’est ancré chez elle_. (_Éc. des fem._ III. 5.) ANES BIEN FAITS, bien véritables, ânes de tout point: Ma foi, de tels savants sont _des ânes bien faits_! (_Fâcheux._ III. 2.) ANGER, verbe actif: Votre père se moque-t-il de vouloir vous _anger_ de son avocat de Limoges? (_M. de Pourc._ I. 1.) Ce mot vient du latin _augere_, par la confusion, autrefois très-fréquente de l’_n_ et de l’_u_. De l’italien _montone_ est venu _mouton_; de _monasterium_, par syncope _monstier_ et _moustier_, de _conventus_, _convent_ et _couvent_, etc. «Il les _angea_ de petits Mazillons, «Desquels on fit de petits moinillons.» (LA FONTAINE, _Mazet_.) _Auxit eas._ De l’idée d’augmentation à l’idée d’embarras il n’y a presque pas de distance. Mais M. Auger se trompe trois fois quand il dit que _anger_ n’est pas dans Nicot, qu’il vient du latin _angere_, et qu’il signifie _incommoder_. _Anger_ est dans Nicot, mais écrit par un _e_: _enger_. Cette orthographe vicieuse a prévalu, et persiste encore dans _engeance_, dont le sens prouve bien l’étymologie _augere_. C’est _angoisse_ qui vient d’_angere_. Trévoux se trompe encore plus gravement quand il fait venir _enger_ du latin _ingignere_. _Anger_ était à la fois verbe actif et verbe neutre, absolument comme _augere_ en latin. Voici les exemples cités par Nicot: «L’ambassadeur Nicot _a engé la France_ de l’herbe nicotiane,» où l’on voit que _enger_ n’implique pas une idée de blâme. «La peste _enge_ fort;...... ceste dartre _enge_ grandement, c’est-à-dire, croist, se dilate, se multiplie.» _Auget._ ANGUILLE SOUS ROCHE: NICOLE. Je crois qu’il y a quelque _anguille sous roche_. (_B. gent._ III. 7.) Quelque mystère caché. ANIMALES, au féminin: Quelques provinciales, Aux personnes de cour fâcheuses _animales_. (_Fâcheux._ II. 3.) A PLEIN, VOIR A PLEIN, pleinement: Au travers de son masque on _voit à plein_ le traître. (_Mis._ I. 1.) «Qui voudra connoître _à plein_ la vanité de l’homme.» (PASCAL. _Pensées_, p. 195.) --A PLEINS TRANSPORTS: Goûter _à pleins transports_ ce bonheur éclatant. (_D. Garc._ III. 4.) APPAS, D’INDIGNES APPAS, au figuré: Mais l’argent, dont on voit tant de gens faire cas, Pour un vrai philosophe a _d’indignes appas_. (_Fem. sav._ V. 1.) --APPAS, au singulier, appât: Qui dort en sûreté sur un _pareil appas_, Et le plaint, ce galant, des soins qu’il ne perd pas. (_Éc. des fem._ I. 1.) Bossuet écrit de même: «Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l’_appas_ de sa liberté...» (_Or. fun. de la R. d’Angl._) APPAT, SOUS L’APPAT DE...: Ce marchand déguisé, Introduit _sous l’appât d’un conte supposé_. (_L’Ét._ IV. 7.) APPLICATION, FAIRE UNE APPLICATION, appliquer un soufflet ou un coup de poing: Chien d’homme! oh! que je suis tenté d’étrange sorte De _faire_ sur ce mufle _une application_! (_Dép. am._ II. 7.) APPRÊTER A RIRE: _N’apprêtons point à rire_ aux hommes, En nous disant nos vérités. (_Amph._ prol.) APPROCHE, proximité, rapprochement: Et quelle force il faut aux objets mis en place, Que l’_approche_ distingue, et le lointain efface. (_La Gloire du Val de Grâce._) --APPROCHE D’UN AIR: L’_approche de l’air de la cour_ a donné à son ridicule de nouveaux agréments. (_Comtesse d’Esc._) APRÈS, préposition, recevant un complément direct: Attaché dessus vous comme un joueur de boule _Après le mouvement_ de la sienne qui roule. (_L’Ét._ IV. 5.) Si bien donc que done Elvire..... s’est mise en campagne _après nous_? (_D. Juan._ I. 1.) Plusieurs médecins ont déjà épuisé leur science _après elle_. (_Méd. m. lui._ I. 5.) La pendarde s’est retirée, voyant qu’elle ne gagnoit rien _après moi_, ni par prières, ni par menaces. (_G. D._ III. 10.) Ils _étoient_ une douzaine de possédés _après mes chausses_. (_Pourc._ II. 4.) J’ai mis vingt garçons _après votre habit_. (_B. g._ II. 8.) Il veut envoyer la justice en mer _après la galère du Turc_. (_Scapin._ III. 3.) APRÈS-DINÉE, féminin: _L’après-dînée_ m’a semblé fort _longue_.--Et moi je l’ai trouvée fort _courte_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ I.) La Fontaine emploie _la dînée_ sans _après_: «Mais dès la _dînée_ le panier fut entamé.» (_Vie d’Ésope._) Ce mot, _la dînée_, se rapporte au lieu et à l’heure où l’on mange _le dîner_, plutôt qu’au dîner lui-même. --APRÈS-SOUPÉE, par deux _e_, comme _après-dînée_: Si je ne vous croyois l’âme trop occupée, J’irois parfois chez vous passer l’_après-soupée_. (_Éc. des mar._ I. 5.) Et ce sera tantôt, n’étant plus occupée, Le divertissement de notre _après-soupée_. (_Ibid._ II. 9.) ARDEURS, vif désir: J’avois _toutes les ardeurs du monde_ d’entrer dans votre alliance. (_Pourc._ III. 9.) ARDEZ, par apocope, regardez: MARINETTE. _Ardez_ le beau museau, Pour nous donner envie encore de sa peau! (_Dép. am._ IV. 4.) ARRÊTER, neutre, pour _s’arrêter_: Mais, moi, mon jugement, sans qu’aux marques j’_arrête_, Fut qu’il n’étoit que cerf à sa seconde tête. (_Fâcheux._ II. 7.) Autant qu’il vous plaira vous pouvez _arrêter_, Madame, et là-dessus rien ne doit vous hâter. (_Mis._ III. 5.) Nos aïeux paraissent avoir exprimé ou supprimé arbitrairement le pronom des verbes réfléchis. Dans la version des _Rois_, on lit presque toujours _en aller_ pour s’en aller: «Goliath ki _en vint_ de l’ost as Philistiens.» (P. 64.) --«Samuel od Saul _en alad_.» (P. 57.) _Plaindre_ pour _se plaindre_: «Cume deus dameiseles vinrent _plaindre_ ad rei Salomum.» (P. 235.) «Pur ço _en va_ e destruis Amalech.» (P. 53.) _Arrêter_ était dans les mêmes conditions; et même aujourd’hui l’on ne dit pas _arrête-toi_, _arrêtez-vous_, mais _arrête! arrêtez!_ Cette faculté de prendre ou de laisser le pronom a été cause que beaucoup de verbes sont devenus exclusivement neutres ou actifs, qui dans l’origine étaient réfléchis. Car cette forme réfléchie plaisait à nos pères, pour les verbes exprimant une action dont l’auteur pouvait être aussi l’objet. Ainsi ils disaient _se dormir_, _se disner_, _se combattre à quelqu’un_, _se fuir_ (d’où reste _s’enfuir_), _se mourir_, _se jouer_, etc.; quelques verbes sont restés dans l’indécision, comme _arrêter_ ou _s’arrêter_. «Car pour moi j’ai certaine affaire «Qui ne me permet pas d’_arrêter_ en chemin.» (LA FONTAINE. _Le Renard et le Bouc._) --ARRÊTER AVEC SOI: Si tu veux me servir, je t’_arrête avec moi_. (_L’Ét._ II. 9.) Nous dirions aujourd’hui simplement: _Je t’arrête_. ARTICLE mis où nous avons coutume de l’omettre, FAIRE LA JUSTICE: Si c’étoit une paysanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches à vous en faire _la_ justice à bons coups de bâton. (_G. D._ I. 3.) Nous serons les premiers, sa mère et moi, à vous en faire _la_ justice. (_Ibid._ I. 4.) --Mis en correspondance de _un_, _une_: George Dandin, George Dandin, vous avez fait _une_ sottise _la_ plus grande du monde. (_Ibid._ I. 1.) Elle se prend d’_un_ air _le_ plus charmant du monde aux choses qu’elle fait. (_L’Av._ I. 2.) --Article supprimé où nous le répétons: Dis si _les_ plus cruels _et plus durs_ sentiments Ont rien d’impénétrable à des traits si charmants. (_L’Ét._ I. 2.) Il nous faut _le_ mener en quelque hôtellerie, _Et faire_ sur les pots décharger sa furie. (_Ibid._ I. 11.) Le mener.... le faire décharger sa furie. Les querelles, _procès, faim, soif et maladie_, Troublent-ils pas assez le repos de la vie? (_Sgan._ 17.) Les quatre derniers substantifs sont embrassés dans l’article pluriel, placé une fois pour toutes devant le premier. Cet emploi de l’article était une tradition du XVIe siècle. Au XVIe siècle, on n’exprimait qu’une fois l’article devant plusieurs substantifs, même de genres différents, pourvu qu’ils fussent au même nombre, c’est-à-dire, tous au pluriel ou tous au singulier: «Quant à _la hardiesse et courage_, quant à _la fermeté, constance et resolution_ contre les douleurs, etc.» (MONTAIGNE. III. 6.) «Qui ne participe _au hasard et difficulté_ ne peult pretendre interest _à l’honneur et plaisir_ qui suit les actions hasardeuses.» (_Id._ III. 7.) La même règle s’appliquait au pronom possessif: «Nostre royne Catherine tesmoigneroist _sa liberalité et munificence_.» (_Id._ III. 6.) «Madame Katerine, ma sœur......, est partie avecques _ma litiere et cheval_.......» (LA REINE DE NAVARRE. _Lettres._ I. p. 290.) Notre vieille langue avait si fort le goût de l’ellipse, qu’elle s’empressait de l’admettre dès qu’il n’en résultait pas le danger d’être obscur ou équivoque. _Le plus_, marque du superlatif, ne se répétait pas aussi devant plusieurs adjectifs. La première fois servait pour toute la suite: «...... Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’espée, et _la plus riche et belle_ partie du monde bouleversée pour la negociation des perles et du poivre.» (MONTAIGNE. III. 6.) Que gagnons-nous à répéter toujours l’article? ce n’est ni de la clarté, ni de la rapidité. A SAVOIR, voy. ASSAVOIR. AS DE PIQUE, langue piquante, mauvaise langue: O la fine pratique, Un mari confident! MARINETTE. Taisez-vous, _as de pique_! (_Dép. am._ V. 9.) Jeu de mots sur le sens figuré du verbe _piquer_. ASSASSINANT, adjectif; RIGUEUR ASSASSINANTE: Et dans le procédé des dieux, Dont tu veux que je me contente, Une _rigueur assassinante_ Ne paroît-elle pas aux yeux? (_Psyché._ II. 1.) (Voyez AMITIÉ TUANTE.) ASSAVOIR: Le bal et la grand’bande, _assavoir_ deux musettes. (_Tart._ II. 3.) Toutes les éditions portent mal à propos _à savoir_ en deux mots. Il ne faut point d’_à_; c’est l’ancien infinitif _assavoir_. L’usage permet aussi bien de dire: _savoir_, _deux musettes_, non qu’alors on supprime l’_à_, mais on substitue à l’ancienne forme la nouvelle. _Faire à savoir_ n’a point de sens. Dans l’origine, l’_a_ était employé comme affixe au-devant de certains verbes: _asavoir_, _alogier_, _apetisser_, _asasier_, _alentir_, etc.; on ne sait pourquoi les trois derniers ont pris l’_r_: _rapetisser_, _rassasier_, _ralentir_: «Dame, je vos fais _asavoir_ «Que j’ai esté et main et soir «Vos homs, vo serfs, vo chevaliers.» (_Roman de Coucy._) «Israel se fud _alogied_ sur une fontaine.» (_Rois_, p. 112.) Se logea sur une fontaine. «Li sages est cil qui met en bones gens ce qu’il pot soufrir, sans _apetisser_ et sans acquerre malvaisement.» (_Beaumanoir._ I. 22.) «Li cueur avariscieus ne pot estre _assasiez_ d’avoir.» (_Ibid._ p. 21.) Pascal, dans la première _Provinciale_: «Si j’avois du crédit en France, je ferois publier à son de trompe: _On fait à savoir_ (_sic_) que quand les jacobins disent que la grâce suffisante est donnée à tous, ils entendent que tous n’ont pas la grâce qui suffit effectivement.» Cette formule de publication s’est transmise, par la tradition orale, du fond du moyen âge; je l’ai encore entendue dans quelques villes de province. Mais quand on l’écrit, il faut mettre _assavoir_. ASSEZ BONNE HEURE, de bonne heure: Ah! pour cela toujours il est _assez bonne heure_. (_Dép. am._ IV. 1.) Si Molière eût jugé cette expression incorrecte, il lui était aisé de mettre: _Il est d’assez bonne heure_. ASSIGNER SUR: Les dettes que vous avez _assignées sur_ le mariage de ma fille. (_Pourc._ II. 7.) On dirait aujourd’hui: _hypothéquées_ sur le mariage de ma fille. ASSOUVIR (S’), absolument comme _se satisfaire_: Laissez-moi _m’assouvir_ dans mon couroux extrême. (_Amph._ III. 5.) ASSURANCE SUR (PRENDRE): Ne m’abusez-vous point d’un faux espoir, et puis-je _prendre quelque assurance sur_ la nouveauté surprenante d’une telle conversion? (_D. Juan._ V. 1.) ASSURÉ, absolument, hardi, intrépide: Est-il possible qu’un homme si _assuré_ dans la guerre soit si timide en amour? (_Am. Magn._ I. 1.) --ASSURER QUELQUE CHOSE A QUELQU’UN: Pour moi, contre chacun je pris votre défense, Et _leur assurai_ fort que c’étoit médisance. (_Mis._ III. 5.) --ASSURER QUELQU’UN DE SES SERVICES: Dites-lui un peu que monsieur et madame sont des personnes de grande qualité qui lui viennent faire la révérence comme mes amis, et l’_assurer de leurs services_. (_B. gent._ V. 5.) --ASSURER (S’), absolument, prendre sécurité, confiance; se rassurer: A moins que Valère se pende, Bagatelle! son cœur _ne s’assurera point_. (_Dép. am._ I. 2.) Moins on mérite un bien qu’on nous fait espérer, Plus notre âme a de peine à pouvoir _s’assurer_. (_D. Garcie._ II. 6.) Quelque chien enragé l’a mordu, _je m’assure_. (_Éc. des fem._ II. 2.) Ce n’est pas assez pour _m’assurer_, entièrement, que ce qu’il vient de faire. (_Scapin._ III. 1.) «On ne peut _s’assurer_, et l’on est toujours dans la défiance.» (PASCAL. _Pensées_, p. 406.) «Voyant trop pour nier et trop peu pour _m’assurer_.» (_Ibid._ p. 210.) «_Je m’assure_, mes pères, que ces exemples sacrés suffisent pour vous faire entendre... etc.» (PASCAL. 11e _Prov._) «On lui a envoyé les dix premières lettres (à Escobar): vous pouviez aussi lui envoyer votre objection, et _je m’assure_ qu’il y eût bien répondu.» (_Id._ 12e _Prov._) --ASSURER (S’) A...: Faut-il que _je m’assure au rapport_ de mes yeux? (_D. Garcie._ IV. 7.) Et n’est-il pas coupable en ne _s’assurant pas A_ ce qu’on ne dit point qu’après de grands combats? (_Mis._ IV. 3.) --ASSURER (S’) DE.... prendre sécurité, compter certitude sur....: Pour mon cœur, vous pouvez _vous assurer de lui_. (_Fem. sav._ IV. 7.) --ASSURER (S’) EN QUELQU’UN, EN QUELQUE CHOSE: Du sort dont vous parlez je le garantis, moi, S’il faut que par l’hymen il reçoive ma foi: Il _s’en peut assurer_. (_Éc. des mar._ I. 3.) C’est conscience à ceux qui _s’assurent en nous_. (_Ibid._) --ASSURER (S’) SUR: C’est en quoi je trouve la condition d’un gentilhomme malheureuse, de ne pouvoir point _s’assurer sur_ toute la prudence et toute l’honnêteté de sa conduite. (_D. Juan._ III. 4.) Nos vœux _sur des discours_ ont peine à _s’assurer_. (_Tart._ IV. 5.) ATTACHE, subst. fém., attachement, ATTACHE A...: Et sa puissante _attache aux choses éternelles_. (_Tart._ II. 2.) «Pour moi, je n’ai pu y prendre d’_attache_.» (PASCAL. _Pensées._ p. 115.) ATTAQUER QUELQU’UN D’AMITIÉ, D’AMOUR: ZERBINETTE. Je ne suis point personne à reculer lorsqu’on _m’attaque d’amitié_. SCAPIN. Et lorsque c’est _d’amour_ qu’on _vous attaque_? (_Scapin._ III. 1.) Zerbinette veut dire: Lorsqu’on me prévient en m’offrant son amitié, comme vient de le faire Hyacinthe. AU, AUX, dans le, dans les, relativement à: Je ne me trompe guère _aux_ choses que je pense. (_Dép. am._ I. 2.) Je ne sais si quelqu’un blâmera ma conduite _Au_ secret que j’ai fait d’une telle visite; Mais je sais qu’_aux_ projets qui veulent la clarté, Prince, je n’ai jamais cherché l’obscurité. (_D. Garcie._ III. 3.) L’endurcissement _au péché_ traîne une mort funeste. (_D. Juan._ V. 6.) Comment?--Je vois ma faute _aux_ choses qu’il me dit. (_Tart._ IV. 8.) Et qu’_au dû de ma charge_ on ne me trouble en rien. (_Ibid._ V. 4.) Je trouve dans votre personne de quoi avoir raison _aux choses_ que je fais pour vous. (_L’Av._ I. 1.) Elle se prend d’un air le plus charmant du monde _aux_ choses qu’elle fait. (_L’Av._ I. 2.) Et laver mon affront _au_ sang d’un scélérat. (_Amph._ III. 5.) On souffre _aux entretiens_ ces sortes de combats. (_Fem. sav._ IV. 3.) Je ne m’étonne pas, _au combat_ que j’essuie, De voir prendre à monsieur la thèse qu’il appuie. (_Ibid._) Molière emploie volontiers _aux_ dans la première partie de la phrase, et _dans les_ dans la seconde. Nous saurons toutes deux imiter notre mère .......................................... .......................................... Vous, _aux productions_ d’esprit et de lumière, Moi, _dans celles_, ma sœur, qui sont de la matière. (_Fem. sav._ I. 1.) _Aux ballades_ surtout vous êtes admirable. --Et _dans les bouts-rimés_ je vous trouve adorable. (_Ibid._ III. 5.) Cet emploi du datif, qui communique au discours tant de rapidité, était régulier dans le XVIe et le XVIIe siècle. «De toutes les absurdités la plus absurde _aux epicuriens_ est desadvouer la force et l’effect des sens.» (MONTAIGNE. II. ch. 12.) «C’est à l’adventure quelque sens particulier qui..... advertit les poulets de la qualité hostile qui est _au chat_ contre eux.» (_Id._ I. 1.) «Il n’est rien qui nous jecte tant _aux dangiers_ qu’une faim inconsiderée de nous en mettre hors.» (_Id._ III. 6.) «Je ne craindray point d’opposer les exemples que je trouveray parmi eulx (les sauvages américains), aux plus fameux exemples anciens que nous ayons _aux mémoires_ de nostre monde par deçà.» (_Id. ibid._) L’origine et la justification de cet emploi du datif se voient toutes seules: c’est un latinisme. Le datif représente ici l’ablatif avec ou sans préposition. Pascal a dit, par un latinisme analogue: «Il étoit naturel à Adam et _juste à son innocence_...» (_Pensées._ p. 323.) Mais ici le datif dépend plutôt de l’adjectif. Cette expression revient très-souvent dans les _Provinciales_: _au sens de_, c’est-à-dire, _dans le sens de_: «.... Je lui dis au hasard: Je l’entends _au sens des molinistes_.» (1re _Prov._) --AUX, sur les; FAIRE UNE ÉPREUVE A QUELQU’UN: J’approuve la pensée, et nous avons matière D’en _faire l’épreuve_ première _Aux deux princes_ qui sont les derniers arrivés. (_Psyché._ I. 1.) (Voyez DATIF.) AUCUN, quelque, le moindre: Sans me nommer pourtant en _aucune_ manière, Ni faire _aucun_ semblant que je serai derrière. (_Éc. des fem._ IV. 9.) AUDIENCE AVIDE: Et je vois sa raison D’une _audience avide_ avaler ce poison. (_D. Garcie._ II. 1.) _Avaler d’une audience_ est une expression inadmissible, et qui touche au galimatias. Les Latins, plus hardis que nous, disaient bien _densum humeris bibit aure vulgus_; mais le français ne souffre pas l’image d’un homme qui avale par l’oreille. AUNE, TOUT DU LONG DE L’AUNE: Mme PERNELLE. C’est véritablement la tour de Babylone, Car chacun y babille, et _tout du long de l’aune_. (_Tart._ I. 1.) Jusqu’au bout, sans omettre un seul point. Il est superflu sans doute d’avertir que cette locution est triviale; on est assez prévenu par le caractère de celle qui l’emploie. AUPARAVANT QUE DE, archaïsme: JEANNOT. C’est M. le conseiller, madame, qui vous souhaite le bonjour, et, _auparavant que de_ venir, vous envoie des poires de son jardin. (_C{sse} d’Esc._ 13.) _Par avant_ est une expression composée, que l’on traitait comme un substantif: _le par-avant_, _du par-avant_, _au par-avant_; c’est le datif, ou plutôt l’ablatif absolu des Latins, et l’on construisait comme _avant_. (Voyez AVANT QUE DE.) AUPRÈS, adverbe: Monsieur, si vous n’êtes _auprès_, Nous aurons de la peine à retenir Agnès. (_Éc. des fem._ V. 8.) AUQUEL pour _où_: Et c’est assez, je crois, pour remettre ton cœur Dans l’état _auquel_ il doit être. (_Amph._ III. 11.) AU PRIX DE, en comparaison de: Tout ce qu’il a touché jusqu’ici n’est que bagatelle, _au prix de_ ce qui reste. (_Impromptu._ 3. 1663.) Comparé à la valeur de ce qui reste. «Elles filoient si bien, que les sœurs filandières «Ne faisoient que brouiller _au prix de celles-ci_.» (LA FONT. _La Vieille et ses Servantes._) «..... Il n’étoit _au prix d’elle_ «Qu’un franc dissipateur, un parfait débauché.» (BOILEAU. _Sat._ X.) AU RETOUR DE, en retour de...: Et j’en ai refusé cent pistoles, crois-moi, _Au retour d’un cheval_ amené pour le roi. (_Fâcheux._ II. 7.) AUSSI, pour _non plus_, dans une phrase négative: Ma foi, je n’irai pas. --Je n’irai pas _aussi_. (_Éc. des fem._ I. 1.) Si je n’approuve pas ces amis des galants, Je ne suis pas _aussi_ pour ces gens turbulents.... (_Ibid._ IV. 8.) L’action que vous avez faite n’est pas d’un gentilhomme, et ce n’est pas en gentilhomme _aussi_ que je veux vous traiter. (_G. D._ II. 10.) La tournure moderne pour employer _aussi_, serait: _aussi_ n’est-ce pas en gentilhomme, etc.... Mais le XVIIe siècle conservait _aussi_ même après la négation exprimée, qui aujourd’hui commande _non plus_. --«Ragotin fit entendre à la Rancune qu’une des comédiennes luy plaisoit infiniment. Et laquelle? dit la Rancune. Le petit homme estoit si troublé d’en avoir tant dit, qu’il respondit: Je ne sçay.--_Ny moy aussy_, dit la Rancune.» (SCARRON. _Rom. com._ 1re p. ch. XI.) «Ces paroles ne peuvent donc servir qu’à vous convaincre vous-même d’imposture, et elles _ne_ servent pas _aussi_ davantage pour justifier Vasquez.» (PASCAL. 12e _provinc._) L’étymologie d’_aussi_ est _etiam_. On disait dans l’origine _essi_, d’où l’on fit aisément _ossi_, et l’on écrivit par corruption _aussi_. Sylvius, dans sa grammaire imprimée chez Robert Estienne, en 1531, dit: «_Etiam_, _eci_ vel _oci_; corrupte _aussi_.» (P. 145.) AUTANT; IL N’EN FAUT PLUS QU’AUTANT, pour dire _il ne s’en faut guère_: On la croyoit morte, et ce n’étoit rien. _Il n’en faut plus qu’autant_, elle se porte bien. (_Sgan._ 6.) AVALER L’USAGE DE QUELQUE CHOSE, s’y soumettre bon gré malgré: De ces femmes aux beaux et louables talents, Qui savent accabler leurs maris de tendresses, Pour leur faire _avaler l’usage des galants_! (_Amph._ I. 4.) AVANCÉ: PAROLE AVANCÉE, donnée: Me tiendrez-vous au moins la _parole avancée_? (_Mélicerte._ II. 5.) AVANT, adverbe, pour _auparavant_: Mais _avant_, pour pouvoir mieux feindre ce trépas, J’ai fait que vers sa grange il a porté ses pas. (_L’Ét._ II. 1.) --AVANT JOUR, préposition, avant le jour: Je veux savoir de toi, traître, Ce que tu fais, d’où tu viens _avant jour_. (_Amph._ I. 2.) --AVANT QUE (un infinitif), sans _de_: Ne me demandez rien _avant que regarder_ Ce qu’à mes sentiments vous devez demander. (_D. Garcie._ III. 2.) Il faut, _avant que voir_ ma femme, Que je débrouille ici cette confusion. (_Amph._ II. 1.) Molière emploie indifféremment ces trois formes: _avant de_, _avant que_, _avant que de_, suivis d’un verbe à l’infinitif. --AVANT QUE, sans _ne_: Allons, courons _avant que_ d’avec eux _il sorte_. (_Amph._ III. 5.) «_Avant qu’on l’ouvrît_ (la cédule), les amis du prince soutinrent que, _etc._...» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) «Toutes vos fables pouvoient vous servir _avant qu’on sût_ vos principes.» (PASCAL. 15e _Prov._) La question de _ne_, exprimé ou supprimé après _avant que_, a été fort controversée. M. François de Neufchâteau, dans une lettre au _Mercure de France_ du 26 août 1809, admet la négation _quelquefois_. On lui répondit par une lettre signée VALANT, où quantité d’exemples sont accumulés, ensuite d’une longue discussion théorique, pour démontrer qu’il ne faut _jamais_ de négation entre _avant que_ et le verbe subséquent; et c’est aussi l’opinion de l’Académie, fondée sur l’usage invariable du XVIIe siècle. Pascal, la Bruyère, la Fontaine, Boileau, Racine, Molière, Regnard, etc., etc., n’emploient pas la négation. Marmontel l’a employée, mais c’est Marmontel. --AVANT QUE DE....: Si l’auteur lui eût montré sa comédie _avant que de_ la faire voir au public, il l’eût trouvée la plus belle du monde. (_Crit. de l’Éc. des f._ 6.) _Avant que de_ passer plus avant, je voudrois bien agiter à fond cette matière. (_Mar. for._ 5.) Je les conjure de tout mon cœur de ne point condamner les choses _avant que de les voir_. (_Préf. de Tartufe_.) «_Avant que de les mener_ sur la place, il fit habiller les deux premiers le plus proprement qu’il put.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) (Voyez DE _supprimé_ après _avant que_.) «_Avant que de répondre_ aux reproches que vous me faites, je commencerai par l’éclaircissement de votre doctrine à ce sujet.» (PASCAL. 12e _Prov._) AVECQUE, archaïsme: Vous êtes romanesque _avecque_ vos chimères. (_Ibid._ I. 2.) Les dettes aujourd’hui, quelque soin qu’on emploie, Sont comme les enfants, que l’on conçoit en joie, Et dont _avecque_ peine on fait l’accouchement. (_Ibid._ I. 6.) Si je pouvois parler _avecque_ hardiesse. (_Ibid._ 9.) Et m’en vais tout mon soûl pleurer _avecque_ lui. (_Ibid._ II. 4.) L’union de Valère _avecque_ Marianne. (_Tart._ III. 1.) Et qu’_avecque_ le cœur d’un perfide vaurien Vous confondiez les cœurs de tous les gens de bien. (_Ibid._ V. 1.) Cette forme est si fréquente dans Molière, qu’il a paru inutile d’en rapporter plus d’exemples. AVENANT QUE, participe absolu, c’est-à-dire, dans le cas où....: Quelque bien de mon père et le fruit de mes peines, Dont, _avenant que Dieu de ce monde m’ôtât_, J’entendois tout de bon que lui seul héritât. (_L’Ét._ IV. 2.) AVIOMMES; patois; pour _avions_: PIERROT. Tout gros monsieur qu’il est, il seroit par ma fiqué nayé, si je _n’aviomme_ été là. (_D. Juan._ II. 1.) Cette forme est primitive. L’_m_ à la terminaison caractérise en latin les premières personnes du pluriel, _habemus_, _amamus_; _vidissemus_, _audivimus_, etc. Aussi les plus anciens textes, par exemple le livre des Rois, ne manquent jamais d’écrire _nous attendrum_, _nous manderum_, _nous renderum_. Quand le mot suivant avait pour initiale une voyelle, l’_m_ finale s’y détachait: «.... Salvez seiez de Deu «Li glorius que _devum aurer_.» (_Roland._ st. 32.) «Que devome aourer» (_adorer_). Mais s’il suivait une consonne, il fallait bien, pour n’en pas articuler deux consécutives (ce qui ne se faisait jamais), éteindre l’_m_ et la changer en _n_. Par exemple: «Le matin à vos _vendrum_, e en vostre merci nus _mettrum_.» (_Rois._ p. 37.) On prononçait _vendrome_ et _mettrons_. La dernière forme a supplanté l’autre, et s’est établie exclusivement pour tous les cas. Mais auparavant l’autre avait régné, et avait été sur le point de triompher aussi; car, pour la fixer, on écrivit longtemps les premières personnes en _omes_. Marsile parlant de Roland: «Seit ki l’ocie, tute pais puis _auriomes_.» (_Roland._ st. 28.) «Qu’en avez fait, ce dit fromons li viez? «--Sire, en ce bois _l’avoumes_ nous laissie.» (_Garin._ t. II. p. 243.) --«Se nous _demenomes_ ensi li uns les aultres, et _alomes_ rancunant, bien voi que nous _reperdrons_ toute la tiere, et nous meismes _seromes_ perdu.» (VILLEHARDHOIN. p. 199. éd. P. Paris.) On remarquera dans ce passage la forme moderne _nous reperdrons_ au milieu des formes primitives en _omes_, qui sont celles que Villehardhoin affectionne. Qui pourra dire ce qui a déterminé le triomphe définitif de l’une plutôt que de l’autre? Le langage est plein de ces mystères insondables, pareils à ceux de la conception et de la génération humaine: on les suit jusqu’à une certaine limite, où soudain la nature se cache, et disparaît derrière un voile que tous les efforts de la philosophie, aidée de la science, ne parviendront pas à soulever. Sur l’union du pronom singulier au verbe pluriel, _je n’aviomme_, voyez à JE. AVIS FAISABLE, exécutable: Enfin c’est un _avis_ d’un gain inconcevable, Et que du premier mot on trouvera _faisable_. (_Fâcheux._ III. 3.) AVISER, actif; AVISER QUELQU’UN DE, le faire songer à...: _De ta femme_ il fallut moi-même _t’aviser_. (_Amph._ II. 3.) --Neutre, pour _s’aviser_: Sans aller de surcroît _aviser_ sottement De se faire un chagrin qui n’a nul fondement. (_Coc. im._ 17.) Selon la coutume de certains impertinents de laquais qui viennent provoquer les gens, _et les faire aviser_ de boire lorsqu’ils n’y songent pas. (_L’Av._ III. 2.) Je vais vite consulter un avocat, _et aviser_ des biais que j’ai à prendre. (_Scapin._ II. 1.) Réfléchir ou prendre avis touchant les biais que, etc. AVOIR, auxiliaire, pour _être_: Et _j’ai_ pour vous trouver _rentré_ par l’autre porte. (_Fâcheux._ I. 1.) _J’ai monté_ pour vous dire, et d’un cœur véritable... (_Mis._ I. 2.) Au reste, vous saurez Que _je n’ai demeuré_ qu’un quart d’heure à le faire. (_Ibid._) Pareillement dans la Fontaine: «Si le ciel t’eût, dit-il, donné par excellence «Autant de jugement que de barbe au menton, «Tu _n’aurois_ pas à la légère «_Descendu_ dans ce puits.» (_Le Renard et le Bouc._) --AVOIR, N’AVOIR PAS POUR UN.... voyez POUR. --AVOIR DE COUTUME: Oui, monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l’envie de nous faire courir toutes les nuits, comme vous _aviez de coutume_. (_Scapin._ II. 5.) --AVOIR DES CONJECTURES DE QUELQUE CHOSE: La cabale s’est réveillée aux simples _conjectures_ qu’ils ont pu _avoir de la chose_. (2e _Placet au R._) --AVOIR EN MAIN: _J’avois_ pour de tels coups certaine vieille _en main_. (_Éc. des f._ III. 4.) --AVOIR FAMILIARITÉ AVEC QUELQU’UN: _Tu as donc familiarité_, Moron, _avec le prince_ d’Ithaque? (_Pr. d’Él._ III. 3.) --AVOIR PEINE DE (un infinitif), avoir peine à....: J’ai peur, si le logis du roi fait ma demeure, De m’y trouver si bien dès le premier quart d’heure, Que _j’aie peine_ aussi _d’en sortir_ par après. (_L’Ét._ III. 5.) Cet amas d’actions indignes dont _on a peine.... d’adoucir_ le mauvais visage. (_D. Juan._ IV. 6.) On ne dirait plus aujourd’hui le visage d’une action; mais le Dictionnaire de l’Académie (1694) cite comme exemple: _Cette affaire a deux visages_; et l’on dira bien encore: _envisager une affaire_ sous tel ou tel aspect. --AVOIR POUR AGRÉABLE: Et je vous supplierai d’_avoir pour agréable_ Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt. (_Mis._ I. 1.) Cette façon de parler est très-fréquente dans _Gil Blas_. --AVOIR QUELQU’UN QUI... QUE...: Et quand _on a quelqu’un qu’_on hait ou _qui_ déplaît, Lui doit-on déclarer la chose comme elle est? (_Mis._ I. 1.) Cette façon de parler paraît embarrassée et pénible; cependant elle n’a pas été suggérée à Molière par la difficulté de la mesure, car il l’emploie en prose: _Vous avez_, monsieur, _un certain monsieur de Pourceaugnac qui_ doit épouser votre fille. (_Pourc._ II. 2.) AVOUER LA DETTE, figurément, ne pas dissimuler: Ma foi, madame, _avouons la dette_: vous voudriez qu’il fût à vous. (_ Pr. d’Él._ IV. 6.) Regnard, dans le _Distrait_: «Parlons à cœur ouvert, et _confessons la dette_: «Je suis un peu coquet, tu n’es pas mal coquette.» (IV. 3.) AYE, ou AY, monosyllabe: Dans cette joie...--_Aye, ay!_ doucement, je vous prie. (_L’Ét._ V. 15.) AÏE, par l’introduction du _d_, _aïde_ ou _aide_, selon la prononciation moderne, syncope d’_adjutorium_. _Aye, aye!_ c’est-à-dire, à l’aide, à l’aide! «Certes, nous ne vous faudrons mie: «Tous jours serons en vostre _aïe_.» (_R. de Coucy._ v. 766.) «... Quant ele vit Arabis si cunfundre, «A halte voix s’escrie: _Aïez_ nous, mahum!» (_Roland._ st. 266.) BABYLONE; LA TOUR DE BABYLONE, comme qui dirait la tour du babil: C’est véritablement _la tour de Babylone_, Car chacun y babille, et tout du long de l’aune. (_Tart._ I. 1.) «Le Père Caussin, jésuite, dit, dans sa _Cour sainte_, que _les hommes ont fondé la tour de Babel, et les femmes la tour de babil_. Ce quolibet du jésuite n’aurait-il pas donné l’idée de celui que Molière met dans la bouche de madame Pernelle? et le père Caussin ne serait-il pas le docteur dont parle la vieille dévote?» (M. AUGER.) BAIE: C’est une _baie_ Qui sert sans doute aux feux dont l’ingrate _le paie_. (_Dép. am._ I. 5.) Cette expression, _payer d’une baie_, nous reporte à la farce de Pathelin, dont la première édition est de 1490. Le prodigieux succès de ce _Pathelin_ fit passer en proverbe plusieurs mots de cette pièce; nous disons encore: _revenir à ses moutons_. _Payer d’une baie_ est une allusion à cette autre scène excellente, où le berger, acquitté du meurtre des moutons, paye son avocat en lui disant _Bée_, comme il a fait au juge; et la fourberie retombe sur son auteur. _Messire_ JEHAN. «Et comme quoi? PATHELIN. «Pour ce qu’_en bée_ «_Il me paya_ subtilement.» (_Le Testament de Pathelin._) --BAIE (DONNER LA): Le sort a bien _donné la baie_ à mon espoir. (_L’Ét._ II. 13.) BAILLER, archaïsme, donner: Un sergent _baillera_ de faux exploits, sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez. (_Scapin._ II. 8.) _Bailler un exploit_ était le terme consacré en style d’huissier; Molière n’avait garde de changer le mot technique. BAISSEMENT DE TÊTE: Quelque _baissement de tête_, un soupir mortifié, deux roulements d’yeux, rajustent dans le monde tout ce qu’ils (les scélérats) peuvent faire. (_D. Juan._ V. 2.) BALANCER QUELQUE CHOSE: Un homme qui..... et _ne balance aucune chose_. (_Mal. im._ III. 3.) Qui ne pèse rien. BALLE, RIMEUR DE BALLE: Allez, _rimeur de balle_, opprobre du métier. (_Fem. sav._ III. 5.) «_Balle_, en termes d’agriculture, est une petite paille, capsule ou gousse, qui sert d’enveloppe au grain dans l’épi.» (TRÉVOUX.) Si _balle_ est ici dans ce sens, _rimeur de balle_ serait une métaphore prise d’un objet qui, devant être rembourré de plume ou de crin, ne l’est que de _balle_, et ainsi d’une valeur réelle très-inférieure à l’apparence; mais cela paraît forcé. Trévoux explique _rimeur de balle_, par allusion à la _balle_ des marchands forains: «On appelle _rimeur de balle_ un poëte dont les vers sont si mauvais, qu’ils ne servent qu’à envelopper des marchandises.» C’est ainsi qu’on dit _poëte des halles_. BARBARISMES DE BON GOUT, en matière de bon goût: Des incongruités de bonne chère et des _barbarismes de bon goût_. (_B. gent._ IV. 1.) (Voyez SOLÉCISMES EN CONDUITE.) BARGUIGNER: A quoi bon tant _barguigner_ et tant tourner autour du pot? (_Pourc._ I. 7.) _Barguigner_ signifie _marchander_ en vieux français; racine _bargain_, que les Anglais nous ont pris et conservent encore. «Estagiers de Paris puent _barguignier_ et achater bled, ou marchié de Paris.» (_Livre des mestiers._ p. 17.) Le sire de Coucy, déguisé en mercier ambulant, ouvre sa balle; toute la maison y accourt, et la châtelaine de Fayel elle-même: «Iluec trouverent le mercier, «E lor dame qui remuoit «Les joiaus, et les _bargignoit_. «Aulcuns aussy de la mesnie «Ont mainte chose _bargignie_.... «Et quant rien plus ne _bargigna_, «Sa marchandise appareilla, «Et prist son fardel à trousser..... (_Roman de Coucy._) «La dame dist à son valet: «Faites demourer sans long plait «Ce povre home, marchand estragne. «Cilz respont, sans faire _bargagne_: «Gentilz dame, Dieus le vous mire.» (_Ibid._) Elle _marchandait_ les joyaux;--et quand on ne _marchanda_ plus rien...;--il répond _sans marchander_. _Barguigner_ n’a plus aujourd’hui que le sens figuré de _marchander_. BASTE, de l’italien _basta_, suffit: _Baste!_ songez à vous dans ce nouveau dessein. (_L’Ét._ IV. 1.) _Baste!_ laissons là ce chapitre. (_Méd. m. lui._ I. 1.) BATIR SUR DES ATTRAITS....: Mon cœur aura _bâti sur ses attraits naissants_. (_Éc. des fem._ IV. 1.) C’est l’abrégé d’une expression métaphorique: bâtir, fonder un espoir sur..... BATTEUR: Oui, je te ferai voir, _batteur_ que Dieu confonde, Que ce n’est pas pour rien qu’il faut rouer le monde. (_L’Ét._ II. 9.) BEAU, au sens métaphorique de _pur_: SGANARELLE. Vous vous taisez exprès, et me laissez parler _par belle malice_! (_D. Juan._ III. 1.) BEAUCOUP devant un adjectif ou un partic. passé: Je vous suis _beaucoup obligé_. (_Pourc._ III. 9.) Leur savoir à la France est _beaucoup nécessaire_! (_Fem. sav._ IV. 3.) BÉCARRE; DU BÉCARRE, terme technique, aujourd’hui inusité: Ah! monsieur, _c’est du beau bécarre_! (_Le Sicilien._ 2.) Et là-dessus vient un berger, berger joyeux, avec _un bécarre admirable_, qui se moque de leur foiblesse. (_Ibid._) Cela veut dire que la musique passe du mode mineur au majeur. BÉCASSE BRIDÉE: Ma foi, monsieur, _la bécasse est bridée_; et vous avez cru faire un jeu qui demeure une vérité. (_Am. méd._ III. 9.) «Cela se dit figurément, à cause d’une chasse que les paysans font aux bécasses avec des lacets et collets qu’ils tendent, où elles se brident elles-mêmes.» (TRÉVOUX.) BEC CORNU, ou mieux BECQUE CORNU: Et sans doute il faut bien qu’à ce _becque cornu_ Du trait qu’elle a joué quelque jour soit venu. (_Éc. des fem._ IV. 6.) Que maudit soit le _bec cornu_ de notaire qui m’a fait signer ma ruine! (_Méd. m. lui._ I. 2.) _Becque_ est formé de l’italien _becco_, _un bouc_, mot qui reçoit deux sens métaphoriques, injurieux l’un et l’autre. _Becco_ est un lourdaud, ou un homme que déshonore l’inconduite de sa femme ou de sa sœur (_Trésor des trois langues_). L’épithète _cornu_ s’explique d’elle-même. BÉJAUNE, erreur grossière: C’est fort bien fait d’apprendre à vivre aux gens, et de leur montrer leur _béjaune_. (_Am. méd._ II. 3.) Monsieur, souffrez que je lui montre son _béjaune_, et le tire d’erreur. (_Mal. im._ III. 16.) Les jeunes oiseaux ont le bec garni d’une sorte de frange jaune. Ainsi, par métaphore, avoir le bec jaune, c’est manquer d’expérience, être dupe. Molière a écrit aussi _bec jaune_; conformément à l’étymologie: Oui, Mathurine, je veux que monsieur vous montre votre _bec jaune_. (_D. Juan._ II. 5.) «Ce sont six aulnes.... ne sont mie? «Et non sont; que je suis _bec jaulne_!» (_Pathelin._) Dans l’origine, les consonnes finales étant muettes lorsque suivait une consonne; on prononçait pour _bec_, _mer_, _fer_, _bé_, _mé_, _fé_. (_Des variations du langage français_, p. 44.) BESOIN, FAIRE BESOIN, être nécessaire: Aussi bien _nous fera-t-il ici besoin_ pour apprêter le souper. (_L’Av._ III. 5.) BIAIS, dissyllabe: Nous n’aurions pas besoin maintenant de rêver A chercher les _biais_ que nous devons trouver. (_L’Ét._ I. 2.) Des _biais_ qu’on doit prendre à terminer vos feux. (_Ibid._ IV. 1.) Il faut voir maintenant quel _biais_ je prendrai. (_Ibid._ IV. 8.) Pour tâcher de trouver un _biais_ salutaire. (_Ibid._ V. 12.) Et du _biais_ qu’il faut vous prenez cette affaire. (_Sgan._ 21.) Le pousser est encor grande imprudence à vous, Et vous deviez chercher quelque _biais_ plus doux. (_Tart._ V. I.) --Monosyllabe: J’ai donc cherché longtemps _un biais_ de vous donner La beauté que les ans ne peuvent moissonner. (_Fem. sav._ III. 6.) --SAVOIR LE BIAIS DE FAIRE QUELQUE CHOSE: Mais, encore une fois, madame, _je ne sais point le biais de faire entrer_ ici des vérités si éclatantes. (_Ép. dédic. de la Critique de l’Éc. des fem._) BICÊTRE, voyez BISSÊTRE. BIEN; AVOIR LE BIEN DE... le plaisir, l’avantage de...: ... _J’ai le bien d’être_ de vos voisins. (_Éc. des mar._ I. 5.) Il s’est dit grand chasseur, et nous a prié tous Qu’il pût _avoir le bien de courir_ avec nous. (_Fâcheux._ II. 7.) BIEN ET BEAU: Cependant arrivé, vous sortez _bien et beau_, Sans prendre de repos ni manger un morceau. (_Sgan._ 7.) Remarquez _beau_, employé comme adverbe. C’était originairement le privilége de tous les adjectifs. Il nous en reste encore de nombreux exemples: voir _clair_, frapper _ferme_, parler _haut_, partir _soudain_, parler _net_, etc., etc., pour _clairement_, _fermement_, _hautement_, _soudainement_, _nettement_. «Le fermier vient, le prend, l’encage _bien et beau_, «Le donne à ses enfants pour servir d’amusette.» (LA FONTAINE. _Le Corbeau voulant imiter l’Aigle._) BIENSÉANCE; ÊTRE EN LA BIENSÉANCE DE QUELQU’UN, c’est-à-dire, à sa disposition: Cette maison meublée _est en ma bienséance_; Je puis en disposer avec grande licence. (_L’Ét._ V. 2.) BISSÊTRE; malheur résultant d’une fatalité. FAIRE UN BISSÊTRE: Eh bien! ne voilà pas mon enragé de maître? Il nous va _faire_ encor _quelque nouveau bissêtre_. (_L’Ét._ V. 7.) L’orthographe est _bissêtre_, et non _bicêtre_; le mot primitif est _bissexte_. Du Cange, au mot _Bissextus_, l’explique _infortunium_, _malum superveniens_. La mauvaise influence de l’an et du jour bissextile était proverbiale au moyen âge: «Cette année-là étoit bissextile, et le _bissexte_ tomba de fait sur les traistres.» (_Orderic Vital._ lib. XIII. p. 882.) «Cette tumultueuse année fut bissextile.... et le _bissexte_ tomba sur le roi et sur son peuple, tant en Angleterre qu’en Normandie.» (_Id._ lib. XIII. p. 905.) C’était une locution populaire: le _bissexte_ est tombé sur telle affaire, pour dire qu’elle avait mal tourné. Nous voyons déjà paraître la forme corrompue _bissextre_ dans Molinet: «Pour ce que bissextre eschiet, «L’an en sera tout desbauchiet.» (_Le Calendrier._) L’_x_ s’éteignait dans la prononciation, et laissait prévaloir le _t_, par la règle des consonnes consécutives. On prononçait donc _bissête_, et, par l’intercalation euphonique de l’_r_, _bissêtre_. La superstition du jour bissextile remontait aux Romains. Voyez là-dessus le témoignage de Macrobe, au livre Ier, chapitre 13, des _Saturnales_. Molière rappelle donc ici, par l’emploi du mot _bicêtre_, une expression et une superstition du moyen âge. Le vice d’orthographe tendrait à confondre le _bissêtre_ avec le château de _Bicestre_ ou de _Bicêtre_. Celui-ci a une tout autre origine: la grange aux Gueux, qui appartenait, en 1290, à l’évêque de Paris, passa plus tard à Jean, évêque de _Wincestre_, dont le nom, transformé en _Bicestre_, est resté attaché à cette demeure. Le peuple dit d’un enfant méchant et tapageur: C’est un _bicêtre_; ah! le petit _bicêtre_! Trévoux veut que ce soit par allusion à la prison de _Bicêtre_; mais ne serait-ce pas plutôt un vestige de la superstition du _bissêtre_? Ah! le maudit enfant! le petit malheureux! né le jour du _bissêtre_, sur qui est tombé le _bissêtre_! On lit dans le _Roman bourgeois_, de Furetière: «Si j’ai _fait_ ici _quelque bissêtre_;» Et dans la _Noce de village_, de Brécourt: «Avant, je veux _faire bissêtre_.» BLANCHIR, NE FAIRE QUE BLANCHIR; au sens métaphorique: Les douceurs _ne feront que blanchir_ contre moi. (_Dép. am._ V. 9.) Et nos enseignements _ne font là que blanchir_. (_Éc. des fem._ III. 3.) LE MARQUIS.--Voilà des raisons qui ne valent rien. CLIMÈNE.--Tout cela _ne fait que blanchir_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) Bien que cette expression se trouve dans la bouche de Climène, il ne s’ensuit pas que Molière ait prétendu la blâmer. Voici comment Furetière expose l’origine de cette métaphore: «BLANCHIR se dit aussi des coups de canon qui ne font qu’effleurer une muraille, et y laissent une marque blanche. En ce sens, on dit, au figuré, de ceux qui entreprennent d’attaquer ou de persuader quelqu’un, et dont tous les efforts sont inutiles, que tout ce qu’ils ont fait, tout ce qu’ils ont dit, n’a fait que _blanchir_ devant cet homme ferme et opiniâtre.» BOIRE LA CHOSE; métaphoriquement, se résigner: Mon frère, doucement il faut _boire la chose_. (_Éc. des mar._ III. 10.) Molière a dit, par la même figure: _Avaler l’usage des galants_. --BOIRE SUR LE RESTE DE QUELQU’UN: Vous _buviez sur son reste_, et montriez d’affecter Le côté qu’à sa bouche elle avoit su porter. (_L’Ét._ IV. 5.) BON, BONNE, ironiquement: Hé, _la bonne effrontée_! (_Sgan._ 6.) Parbleu! _le voilà bon_, avec son habit d’empereur romain! (_D. Juan._ III. 6.) D’où viens-tu, _bon pendard_? (_G. D._ III. 11.) Taisez-vous, _bonne pièce_! (_Ibid._ I. 6.) Oses-tu bien paroître devant mes yeux, après tes _bons déportements_? (_Scapin._ I. 4.) --BON A FAIRE A....: Refuser ce qu’on donne est _bon à faire aux fous_. (_Dép. am._ I. 2.) --BON ARGENT (PRENDRE POUR DE), prendre au sérieux: Quoi! _tu prends pour de bon argent_ ce que je viens de dire? (_D. Juan._ V. 2.) Métaphore tirée de la fausse monnaie. --AVOIR LE CŒUR BON, c’est-à-dire, en style moderne, _bien placé_: Sachez que j’ai _le cœur trop bon_ pour me parer de quelque chose qui ne soit point à moi. (_L’Av._ V. 5.) --LE BON DU CŒUR, substantivement: Et _du bon de mon cœur_ à cela je m’engage. (_Mis._ III. 1.) Du meilleur de mon cœur. --BONS JOURS, jours de fête, jours solennels: Que d’une serge honnête elle ait son vêtement, Et ne porte le noir qu’aux _bons jours_ seulement. (_Éc. des mar._ I. 2.) BOUCHE. BOUCHE COUSUE, adverbialement, pour recommander la discrétion: Adieu. _Bouche cousue_, au moins! Gardez bien le secret, que le mari ne le sache pas! (_G. D._ I. 2.) --LAISSER SUR LA BONNE BOUCHE: Vous n’en tâterez plus, et _je vous laisse sur la bonne bouche_. (_Ib._ II. 7.) --DANS MA BOUCHE, DANS LEURS BOUCHES, c’est-à-dire d’après mes paroles, à les entendre: _Dans ma bouche_, une nuit, cet amant trop aimable Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable. (_Dép. am._ II. 1.) Il n’y a pas moyen d’approuver cette façon de parler. Ascagne veut dire qu’elle se fit passer pour Lucile, parla comme si elle eût été Lucile. Cette expression étrange paraît tenir à l’inexpérience de Molière, quand il fit le _Dépit_; mais on est surpris de la retrouver, mieux construite, il est vrai, dans la préface du _Tartufe_. Il s’agit des hypocrites: Le _Tartufe_, _dans leur bouche_, est une pièce qui offense la piété. Molière s’exprimerait-il autrement s’il voulait dire que les hypocrites, par leur manière de réciter _Tartufe_, d’en accentuer les vers, dénaturent la pensée de l’auteur, et font d’un ouvrage innocent un ouvrage impie? (Voyez MÉTAPHORES VICIEUSES.) BOUCHON ET BOUCHONNER: Hai, hai, mon petit nez, pauvre petit _bouchon_! (_Éc. des m._ II. 14.) Je te _bouchonnerai_, baiserai, mangerai. (_Éc. des fem._ V. 4.) _Bouchon_ est ici le diminutif de _bouche_. Il ne faut pas s’arrêter à ce que cette terminaison _on_, _one_, est en italien la marque d’un augmentatif; il est certain qu’en français elle a reçu un emploi opposé, comme de _Pierre_, _Pierron_ ou _Pierrot_; de _Charles_, _Charlon_ ou _Charlot_, de _Gothe_, _Gothon_; de _Marie_, _Marion_, etc. Et dans les noms communs, _bestion_ (de beste), _valeton_ (valet), _luiton_ (lutin), _tetton_ (tette), _peton_ (pied), _chaton_ (chat), _poupon_ (poupe, poupée, etc.) Voici l’article de Furetière: «BOUCHON est aussi un nom de cajollerie qu’on donne aux petits enfants, aux jeunes filles de basse condition: Mon petit cœur, mon petit _bouchon_.» BOUGER (SE), verbe réfléchi, pour _bouger_, neutre: Et personne, monsieur, qui _se_ veuille _bouger_ Pour retenir des gens qui se vont égorger! (_Dép. am._ V. 7.) BOURLE, de l’italien _burla_, _moquerie_, FAIRE UNE BOURLE: Une certaine mascarade..... que je prétends faire entrer dans une _bourle_ que je veux faire à notre ridicule. (_Bourg. gent._ III. 14.) C’est la leçon de l’édition de 1670, qui est la première. Les éditions modernes mettent _bourde_, qui est la forme corrompue, aujourd’hui adoptée. _Bourle_ n’est dans aucun dictionnaire; ils donnent tous _bourde_. BRANLER LE MENTON, manger: MASCARILLE. Oh! tu seras ainsi tenu pour un poltron. --Soit, pourvu que toujours _je branle le menton_. (_Dép. am._ V. 1.) BRAS, SE METTRE...... SUR LES BRAS: Voudriez-vous, madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j’allasse, en vous retenant, _me mettre le ciel sur les bras_? (_D. Juan._ I. 5.) Qui en touche un (hypocrite), _se les attire tous sur les bras_. (_Ib._ V. 2.) --SE JETER.... SUR LES BRAS, même sens; Et je _me jetterois_ cent choses _sur les bras_. (_Mis._ V. 1.) BRAVADE, FAIRE BRAVADE A QUELQU’UN: Moi, je serois cocu?--Vous voilà bien malade! Mille gens le sont bien, _sans vous faire bravade_, Qui, de mine, de cœur, de biens et de maison, Ne feroient avec vous nulle comparaison. (_Éc. des fem._ IV. 8.) Sans vous insulter. --BRAVADE D’UN DISCOURS: Je ne sais qui me tient qu’avec une gourmade Ma main _de ce discours_ ne venge la _bravade_. (_Éc. des fem._ V. 4.) BRAVE en ajustements: Ta forte passion est d’être _brave_ et leste. (_Éc. des fem._ V. 4.) Est-ce que tu es jalouse de quelqu’une de tes compagnes que tu voies plus _brave_ que toi? (_Am. méd._ I. 2.) BRAVERIE, parure: LA GRANGE.--Vite, qu’on les dépouille sur-le-champ. JODELET.--Adieu, notre _braverie_! (_Préc. rid._ 16.) Pour moi, je tiens que _la braverie_, que l’ajustement est la chose qui réjouit le plus les filles. (_Am. méd._ I. 1.) BRIDER D’UN ZÈLE: _D’un zèle simulé j’ai bridé_ le bon sire. (_L’Ét._ IV. 1.) BRILLANTS; qualités brillantes: Comme par son esprit et ses autres _brillants_ Il rompt l’ordre commun et devance le temps.... (_Mélicerte._ I. 4.) --LES BRILLANTS DES YEUX: Mais, voyant _de ses yeux tous les brillants baisser_. (_Tart._ I. 1.) Et si je rends hommage _aux brillants de leurs yeux_, De leur esprit aussi j’honore les lumières. (_Fem sav._ III. 2.) --LES BRILLANTS D’UNE VICTOIRE: Ne vous enflez donc point d’une si grande gloire, Pour les petits _brillants_ d’une faible victoire. (_Mis._ III. 5.) BROUILLER: Que nous _brouilles-tu_ ici de ma fille? (_L’Av._ V. 3.) --DESTIN BROUILLÉ, embrouillé: Fut-il jamais destin plus _brouillé_ que le nôtre? (_L’Ét._ IV. 9.) BRUIRE. FAIRE BRUIRE SES FUSEAUX, métaphoriquement, faire tapage: Le vin émétique _fait bruire ses fuseaux_. (_D. Juan._ III. 1.) BRUIT. Bruit répandu, ouï-dire: J’ai rencontré un orfévre qui, sur le _bruit_ que vous cherchiez quelque beau diamant en bague.... (_Mar. for._ 5.) --AVOIR UN BRUIT DE, avoir la réputation de: Hé! là, là, madame la Nuit, Un peu doucement, je vous prie; _Vous avez_ dans le monde _un bruit_ De n’être pas si renchérie. (_Amph._ prol.) «Elle _eut le bruit_, à la cour, de n’avoir pas sa pareille.» (LA REINE DE NAV. _Hept._ nouv. 15.) On disait de même, _donner un bruit à quelqu’un_. Bonnivet, au témoignage de la reine de Navarre, «Estoit des dames mieulx voulu que ne feut oncques François, tant par sa beauté, bonne grace et parole, que pour _le bruit que chacun luy donnoit_ d’estre l’un des plus adroits et hardis aux armes qui feust de son tems.» (_Heptaméron._ nouvelle 14e.) «Elle connoissoit le contraire du _faux bruit que l’on donnoit aux François_, car ils estoient plus sages, etc.» (_Ibidem._) (Voyez la note au mot DONNER UN CRIME.) --A PETIT BRUIT: Je me divertirai _à petit bruit_. (_D. Juan._ V. 2.) BRULER SES LIVRES A QUELQUE CHOSE: J’_y brûlerai mes livres_, ou je romprai ce mariage. (_Pourc._ I. 3.) Chicaneau dit pareillement: CHICANEAU. «Vous plaidez? LA COMTESSE. Plût à Dieu! CHICANEAU. _J’y brûlerai mes livres!_» (_Les Plaideurs._ I. 7.) BRUTALITÉ DE SENS COMMUN ET DE RAISON: Un homme qui, avec une impétuosité de prévention, une roideur de confiance, une _brutalité de sens commun et de raison_, donne au travers des purgations et des saignées. (_Mal. im._ III. 3.) BUTER A QUELQUE CHOSE, prendre cette chose pour but: Toutes mes volontés _ne butent qu’à vous plaire_. (_L’Ét._ V. 3.) BUTIN, au lieu de _proie_, dans le sens métaphorique: D. ELVIRE. On ne me verra point _le butin_ de vos feux. (_D. Garcie._ III. 3.) Je ne crois pas qu’on trouve en français un second exemple de cette façon de parler bizarre. Dans une métaphore consacrée, on n’a pas le droit de substituer un synonyme au mot qui fait la figure; autrement cet Anglais aurait bien parlé, qui écrivait à Fénelon: «Monseigneur, vous avez pour moi _des boyaux de père_,» car _entrailles_ et _boyaux_ sont synonymes, comme _proie_ et _butin_. CABALE, pour signifier le parti des faux dévots: Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute _la cabale_. (_D. Juan._ V. 2.) Pascal, dans les _Provinciales_, emploie ce mot dans le même sens. CACHE, cachette: On n’est pas peu embarrassé à inventer dans toute une maison une _cache_ fidèle. (_L’Av._ I. 4.) «Et qui vous a cette _cache_ montrée?» (LA FONTAINE.) CACHEMENT DE VISAGE: Leurs détournements de tête et leurs _cachements de visage_ firent dire cent sottises de leur conduite. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) CADEAU, dîner en partie de campagne, dont on régale quelqu’un. Molière l’explique lui-même dans ce passage: Des promenades du temps, Ou dîners qu’on donne aux champs, Il ne faut point qu’elle essaye: Selon les prudents cerveaux, Le mari, dans ces _cadeaux_, Est toujours celui qui paye. (_Éc. des fem._ III. 2.) Des maris benins qui: De leurs femmes toujours vont citant les galants, ................................................ Témoignent avec eux d’étroites sympathies, Sont de tous leurs _cadeaux_, de toutes leurs parties. (_Ib._ IV. 8.) J’aime le jeu, les visites, les assemblées, _les cadeaux_, et les promenades.... (_Mar. forc._ 4.) Le diamant qu’elle a reçu de votre part, et le _cadeau_ que vous lui préparez.... (_Bourg. g._ III. 6.) Les déclarations ont entraîné les sérénades et les _cadeaux_, que les présents ont suivis. (_Ibid._ III. 18.) «_Cadeau_ se dit aussi des repas qu’on donne hors de chez soi, et particulièrement à la campagne. Les femmes coquettes ruinent leurs galants à force de leur faire faire des _cadeaux_. En ce sens il vieillit.» (FURETIÈRE.) --DONNER UN CADEAU: Nous mènerions promener ces dames hors des portes, et _leur donnerions un cadeau_. (_Préc. rid._ 10.) Je l’ai fait consentir enfin au _cadeau_ que vous lui voulez _donner_. (_B. gent._ III. 6.) --CADEAU DE MUSIQUE, DE DANSE: Elles y ont reçu _des cadeaux_ merveilleux _de musique et de danse_. (_Am. magn._ I. 1.) CAJOLER, verbe neutre: Tudieu! comme avec lui votre langue _cajole_! (_Éc. des fem._ V. 4.) CALOMNIER A QUELQU’UN, c’est-à-dire, DANS QUELQU’UN, sa vertu: Vous osez sur Célie attacher vos morsures, Et _lui calomnier_ la plus rare vertu Qui puisse faire éclat sous un sort abattu? (_L’Ét._ III. 4.) Et calomnier en elle. Cet exemple se rapporte au datif de perte ou de profit. (Voyez DATIF.) ÇAMON: _Çamon_ vraiment! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles. (_B. gent._ III. 3.) _Çamon_, ma foi! j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait. (_Mal. im._ I. 2.) On ne trouve indiqués nulle part le sens précis ni l’origine de cette expression, qui est évidemment une sorte d’exclamation affirmative. Elle est formée de trois racines, _ce a mon_, que l’on trouve ainsi divisées dans les plus anciens textes. La reine de Navarre parlant d’un prêcheur: «Si l’on disoit, en oyant un sermon, «Il a bien dit; je répondrois: _Ce a mon_.» (_Le Miroir de l’âme péch._) Il _a ce_, c’est-à-dire, bien dit. On sous-entend dans la réponse le verbe exprimé dans la demande. Quand ce verbe dans la demande est accompagné d’une négation, la négation se glisse dans la formule de la réponse, ce qui achève d’en découvrir le sens. «Or, n’i a fors que del huchier «Nos voisins.--Certes, _ce n’a mon_.» (_De sire Hains et dame Anieuse._ BARBAZ. III. 45.) Il n’y a que d’appeler nos voisins.--Certes, _il n’y a que ce_ (à faire). _Ce_, c’est-à-dire, appeler nos voisins. Reste à expliquer le mot _mon_. Il se présente souvent séparé de la formule que j’analyse, et joint au verbe _savoir_, mis pour _chose_ à _savoir_. Par exemple, dans Montaigne: «Sçavoir _mon_ si Ptolémée s’y est aussy trompé aultre foys.» (MONTAIGNE. _Essais._ II. 12.) _Mon_ paraît une transformation de _num_. Du grec μῶν, _est-ce que_, les Latins avaient fait _num_: pourquoi, par une disposition d’organe réciproque, du latin _num_ les Français, à leur tour, n’auraient-ils pas refait _mon_? _Cum_, _numerus_, changent de même leur _u_ en _o_: _comme_, _nombre_. _Mon_ garde la valeur de _num_ et de μῶν, et répond à _n’est-ce pas_, _pas vrai_, qui s’emploient familièrement dans un sens moitié interrogatif, moitié affirmatif: savoir, _n’est-ce pas_, si Ptolémée jadis ne s’y est pas trompé?--Je répondrais: Il a bien prêché, _pas vrai_? Par suite de l’usage, les trois racines se sont fondues en un seul mot, qui a pris pour acception la valeur affirmative de la dernière racine: Il y a tant à gagner avec votre noblesse, _n’est-ce pas_!--J’en suis d’avis, _n’est-ce pas_, ou _en vérité_, après ce que je me suis fait! A l’appui de l’étymologie que je propose, je ne dois pas omettre de faire observer que _um_, en latin, au moyen âge, se prononçait _on_. Voyez ce point développé au mot MATRIMONION. CAMUS (RENDRE), métaphoriquement, _casser le nez_, rendre confus: MATHURINE. Oui, Charlotte; je veux que monsieur _vous rende un peu camuse_. (_D. Juan._ II. 5.) Vous remarquerez que l’on emploie à rendre la même pensée deux images contraires: _être camus_ et _avoir un pied de nez_. CAPRIOLER, cabrioler: Parbleu! si grande joie à l’heure me transporte, Que mes jambes sur l’heure en _caprioleroient_, Si nous n’étions point vus de gens qui s’en riroient. (_Sgan._ 18.) CARACTÈRE, talisman: Oui, c’est un enchanteur qui porte un _caractère_ Pour ressembler aux maîtres des maisons. (_Amph._ III. 5.) On dit qu’il a _un caractère_ pour se faire aimer de toutes les femmes. (_Pourc._ III. 8.) Le Crispin des _Folies amoureuses_ se dit grand chimiste, qui passait même pour un peu sorcier: «On m’a même accusé d’avoir _un caractère_.» (_Fol. am._ I. 5.) «_Caractère_ se dit aussi de certains billets que donnent des charlatans ou sorciers, et qui sont marqués de figures talismaniques ou de simples cachets.» (TRÉVOUX.) CARÊME-PRENANT, mardi gras, qui touche au mercredi des cendres, jour où prend le carême: On diroit qu’il est céans _carême-prenant_ tous les jours. (_B. gent._ III. 2.) _Un carême-prenant_ est un masque du mardi gras: On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à _un carême-prenant_? (_Ibid._ V. 7.) CARESSE, UN PEU DE CARESSE, au singulier: Cela se passera avec _un peu de caresse_ que vous lui ferez. (_G. D._ II. 12.) CARNE, angle d’une table, d’un volet, etc.: Je me suis donné un grand coup à la tête contre _la carne d’un volet_. (_Mal. im._ I. 2.) _Carne_ est le mot simple, dont on rencontre souvent au moyen âge le diminutif _carenon_ (on écrivait _carreignon_ ou _quarreignon_); la racine est _carré_, _quarré_, _quarre_, qui existe encore dans _bécarre_, c’est-à-dire _B carré_. Dans les Vosges on dit: _à la carre du bois_; c’est _à l’angle_. _L’équerre_, instrument qui fait _la carre_. Le _quarreignon_ était une mesure d’une _quarte_; c’était aussi un coin, un cachet de lettre. «Blanchandrin fist un brief escrire, Puis mist le _carregnon_ en cire.» (DU CANGE, _in Ceraculum_.) CAROGNE, c’est-à-dire _charogne_; la grossièreté du mot étant un peu dissimulée par la différence de prononciation: Voilà nos _carognes_ de femmes! (_G. D._ III. 5.) Ce mot est fréquent dans Molière comme imprécation: _ah, carogne!_ Primitivement le _ch_ sonnait dur, comme le _k_. De _carnem_ on fit _carn_, _karn_ ou _charn_, et dans la forme moderne _chair_. _Carogne_ témoigne de l’ancienne prononciation. J’observe que le CH est entré dans l’orthographe pour un service diamétralement opposé à celui qu’il y fait aujourd’hui. L’_h_, signe d’aspiration, empêchait le _c_ de s’adoucir, de se briser sur la voyelle suivante, et le maintenait dur. Car le _c_ tout seul faisait devant chacune des cinq voyelles le rôle du _ch_ moderne (qu’il conserve dans l’italien devant _e_ et _i_). On lit dans les plus vieux textes, _ceval_, _bouce_, _ceminée_, _fresce_; cela faisait, comme aujourd’hui, cheval, bouche, cheminée, fraîche. Au contraire, la notation moderne eût représenté _keval_, _bouke_, _keminée_, _fraîke_.... ce qui est la prononciation picarde. Et pourquoi les Picards prononcent-ils ainsi? pourquoi semblent-ils avoir pris le contre-pied des autres en prononçant un _kien_, un _kat_, une _mouke_, un _kemin_, un _pékeur_; et au contraire par _ch_, _chela_, _chel homme_, _chelle femme_, _merchi_, _chest boin_, etc. Est-ce purement et simplement par esprit de contradiction? Nullement. C’est par fidélité à la langue latine, dont le Belgium de César paraît avoir été plus fortement imprimé que les autres provinces de la conquête romaine. En effet, les Picards maintiennent le son du _k_ partout où les Latins sonnaient le _c_ dur: _vacca_, _vaque_; _bucca_, _bouque_; _caballus_, _keval_; _caro_, _karn_ et _carogne_; _catus_, _carrus_, _piscator_, _kat_, _kar_ et _karrette_, _péqueur_; _canis_, _kien_; _cacare_, _kier_, _etc._ Vous voyez qu’ils se reportent toujours à l’étymologie pour maintenir le _c_ dur, sans égard à la nature de la voyelle qui suit en français. Que cette voyelle soit devenue un _i_, comme dans _chien_, ou un _e_, comme dans _cheval_, n’importe; ils ne s’arrêtent point à la métamorphose; leur oreille se souvient de plus haut: c’était un _a_ en latin, et le _c_ y était dur; ils le garderont dur. Mais dans _ce_, _ci_, _merci_, et autres pareils, qui ne viennent pas du latin, ou n’y avaient pas le _c_ dur, ils lui laissent la valeur du _ch_ moderne; ils disent _merchi_, comme les Italiens disent _mercè_. Les autres provinces se sont réglées depuis sur la nature des voyelles françaises pour modifier la valeur du _c_; mais, dans l’origine, elles semblent lui avoir attribué partout, et sans distinction, l’effet du _ch_ moderne. Comment expliquer autrement que de _carrus_, on ait dit _chat_, _char_? En italien, le _ch_ conserve sa valeur primitive: _chiamare_, _chiave_, _chiuso_. Aujourd’hui l’on se contente du simple _c_ devant _o_ et _a_: _comminciare_, _decamerone_; mais autrefois on y écrivait aussi le _ch_, comme cela se voit par un manuscrit du XVe siècle, dont voici le titre exact: --«In_ch_omincia il libro _ch_iamato de_ch_ameron, _ch_ognominato principe _Gh_aleotto[41], nel quale si _ch_ontengono cento novelle..... etc.» (_Cité dans_ P. PARIS, _mss._ III. 327.) Ce qui semble indiquer que, dans l’origine, les Italiens aussi prêtaient au _c_ une action uniforme sur les cinq voyelles. Et en effet, il est plus naturel, quand on pose une règle, de la poser générale; les exceptions viennent ensuite, amenées par le temps, et avec elles les inconséquences. Le _cahot_ de la voiture et le _chaos_ de Démogorgon sonnent à l’oreille comme la dernière moitié de _cacao_. Concluez donc la prononciation d’après l’orthographe! [41] La règle relative au _c_ s’appliquait au _g_, qui n’est qu’un adoucissement du _c_. Apparemment, sans l’aspiration interposée, le _g_ de _Galeatto_ se fût prononcé comme celui de _girare_, _gelare_, au lieu d’être tenu dur comme dans _ghiaccia_. CAS, GRAND CAS, chose considérable: Ce que de plus que vous on en pourroit avoir (_d’âge_) N’est pas _un si grand cas_ pour s’en tant prévaloir. (_Mis._ III. 5.) «Quoi payer?--La dîme aux bons pères. «--Quelle dîme?--Savez-vous pas? «--Moi, je le sais?--_C’est un grand cas_, «Que toujours femme aux moines donne.» (LA FONT. _Les Cordeliers de Catalogne._) CAUSER, parler au hasard: Le monde, chère Agnès, est une étrange chose! Voyez la médisance, et comme chacun _cause_! (_Éc. des fem._ II. 6.) Le sens primitif de _causer_ est, en effet, _blâmer_, _gronder_, _médire_. C’était un verbe actif, _causer quelqu’un_: «Sa femme l’ot, moult fort le _cose_.» (_Vie de J. C._ dans DUC.) Sa femme l’entend, et le gronde fort. «Moult de sa gent parler n’en osent, «Mais par derrière moult l’en _chosent_.» (BARBAZ. _Fabliaux._ I. p. 160.) Voyez Du Cange, au mot _Causare_. CAUTION BOURGEOISE, garantie suffisante: Je m’en vais gagner au pied, ou je veux _caution bourgeoise_ qu’ils ne me feront pas de mal. (Les yeux de Cathos et ceux de Madelon.) (_Préc. rid._ 10.) Allusion à l’ancienne coutume de livrer en otage au vainqueur un certain nombre des principaux bourgeois. Eustache de Saint-Pierre faisait partie de la caution bourgeoise fournie par la ville de Calais. LE MARQUIS. Je la garantis détestable! DORANTE. _La caution_ n’est pas _bourgeoise_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) «On appelle _caution bourgeoise_, dit Furetière, une caution valable et facile à discuter, comme serait celle d’un bourgeois bien connu dans sa ville.» Au mot _caution_, Furetière met cet exemple: «On ne veut point prêter aux grands seigneurs sans _caution bourgeoise_.» CE interrogatif, lié au verbe _pouvoir_: Qui _peut-ce_ être? (_L’Av._ IV. 7.) --CE, suivi du verbe au pluriel: Il faut que, dans l’obscurité, je tâche à découvrir quelles gens _ce peuvent être_. (_Sicilien._ 5.) Tous les discours sont des sottises, Partant d’un homme sans éclat; _Ce seroient_ paroles exquises, Si c’étoit un grand qui parlât. (_Amph._ II. 1.) _Ce que_ je vous dis là _ne sont pas_ des chansons. (_Éc. des fem._ III. 2.) (Voyez CE QUE et CE SONT.) CÉANS: Qu’est-ce qu’on fait _céans_? comme est-ce qu’on s’y porte? (_Tart._ I. 5.) Dénichons de _céans_, et sans cérémonie. (_Ibid._ IV. 7.) Ce vieux mot est employé dans _Tartufe_ avec une sorte de prédilection. Madame Pernelle, comme aussi madame Jourdain, affectionnent _céans_. Et je parle d’un vieux Sosie Qui fut jadis de mes parents, Qu’avec très-grande barbarie A l’heure du dîner l’on chassa de _céans_. (_Amph._ III. 7.) _Céans_, racines _ci ens_, ici dedans; comme _léans_ est pour _là ens_, là dedans. Fayel, surprenant le châtelain de Coucy chez sa femme, le chasse avec la suivante Isabelle: «Or, chastelains, vous en irez, «Isabelle o vous enmenrez; «Car _ci ens_ jamais ne girra.» (_R. de Coucy_, V. 4744.) Car elle ne couchera jamais plus _céans_. «Un frère Jean, novice de _léans_.» (LA FONTAINE, _Féronde_.) Novice de là-dedans. _En_ prenait autrefois l’_s_ finale euphonique. Cette _s_ s’est conservée aussi dans cette autre forme _dedans_, où le second _d_ est une euphonique intercalaire. (_Des Var. du lang. fr._, 93 et 339.) CEPENDANT QUE...: _Cependant que_ chacun, après cette tempête, Songe à cacher aux yeux la honte de sa tête... (_L’Ét._ V. 14.) Pendant cela (savoir), que chacune, etc., _hoc pendente_ (seu _durante_) _quod_.... _Cependant que_, fréquent dans la prose de Froissart, est un archaïsme cher à la Fontaine. CE QUE LE CIEL NOUS A FAIT NAÎTRE, notre origine: Il y a de la lâcheté à déguiser _ce que le ciel nous a fait naître_. (_B. gent._ III. 12.) --CE QUE C’EST QUE DE.... pour _ce que c’est que le_...: Moi! voyez _ce que c’est que du_ monde aujourd’hui! (_L’Ét._ I. 9.) Quid sit _de_ mundo hodie. (Voyez DE, représentant _que le_.) CE QUE... SONT: _Ce que_ je vous dis là _ne sont pas_ des chansons. (_Éc. des fem._ III. 2.) On m’a montré la pièce, et comme _tout ce qu’il y a_ d’agréable _sont_ effectivement les idées qui ont été prises de Molière, etc. (_Impr._ 3.) «Son droit? _tout ce qu’_il dit _sont_ autant d’impostures.» (RACINE. _Les Plaideurs._ II. 9.) L’idée réveillée ici par le singulier _ce que_, représente des détails, et non pas un ensemble. Le verbe au singulier y serait déplacé; qu’on l’essaye: Monsieur, tout ce qu’il dit _est_ autant d’impostures. Tout ce qu’il y a d’agréable _est_ effectivement les idées, etc. Cela n’est pas acceptable. Avant de s’accorder entre eux, les mots sont tenus de s’accorder avec la pensée; et quand il y a conflit, c’est la pensée qui doit l’emporter. Aussi, quand une suite de substantifs, même au pluriel, ne réveillent qu’une idée simple, l’idée d’un ensemble, le verbe se met au singulier. Quatre ou cinq mille écus _est_ un denier considérable! (_Pour._ III. 9.) Voyez la contre-partie de cet article à C’EST. CE QUI.... CE SONT: _Ce sont_ charmes pour moi que _ce qui_ part de vous. (_Fem. sav._ III. 1.) Il est permis de supposer que, sans la nécessité de la mesure, Molière n’eût pas donné à l’usage la satisfaction de cette étrange alliance d’un singulier avec un verbe au pluriel. Ce _qui part... ce sont_ charmes. Je dois observer cependant que Montaigne a écrit: «_Cela, ce sont_ des effects particuliers.» (_II. ch._ 12) (Voyez des exemples du contraire à l’article C’EST.) CERVELLE, figurément, la cause pour l’effet; impétuosité, extravagance: ESSUYER LA CERVELLE DE QUELQU’UN: On n’a point à louer les vers de messieurs tels, A donner de l’encens à madame une telle, Et de nos francs marquis _essuyer la cervelle_. (_Mis._ III. 7.) CE SONT, SONT-CE: C’est comme parle le plus souvent Molière, quand il suit un pluriel; et non pas _c’est_, _est-ce_, à la manière de Bossuet: Comment, ces noms étranges _ne sont-ce pas_ vos noms de baptême? (_Précieuses ridic._ 5.) _Ce sont_ vingt mille francs qu’il m’en pourra coûter. (_Mis._ V. 1.) Il est probable qu’en prose Molière eût dit _c’est vingt mille francs_, comme dans la phrase de _Pourceaugnac_ citée plus haut; car l’idée ne se porte pas à considérer les francs isolément, mais sur une somme de 20,000 francs. _Ce ne sont_ plus rien que des fantômes ou des façons de chevaux. (_L’Avare._ III. 5.) C’EST ou EST, en rapport avec un substantif au pluriel: Et _deux ans_, dans son sexe, _est_ une grande avance. (_Mélicerte._ I. 4.) Il est clair qu’il n’y a point là de faute, parce que la pensée porte non pas sur le nombre des années, mais sur l’unité de temps représentée par deux ans. Deux ans, c’est une grande avance. Quatre ou cinq mille écus _est_ un denier considérable! (_Pourc._ III. 9.) Tous les hommes sont semblables par les paroles, et _ce n’est_ que _les actions_ qui les découvrent différents. (_L’Av._ I. 1.) Il est certain que cette façon de parler paraît la plus conforme à la logique habituelle de la langue française, qui gouverne toujours la phrase, non sur les mots à venir, mais sur les mots déjà passés, en sorte qu’une inversion change la règle: J’ai _vu_ maints chapitres; j’ai maints chapitres _vus_. _Ce_ est au singulier, représentant _cela_. Pourquoi mettre le verbe au pluriel? On ne dirait plus aujourd’hui, comme du temps de Montaigne, _cela sont_. Mais _ce_ peut être un mot collectif enfermant une idée de pluriel; et quand ce pluriel touche immédiatement au verbe qui le suit, il n’y a point d’inconvénient à mettre _ce sont_, au lieu de _ce est_. Nos pères paraissent en avoir jugé ainsi, car la forme _ce sont_ se retrouve dans le berceau de la langue. Elle prédomine dans le livre des _Rois_: «_Ço sunt les deus_ ki flaelerent e tuerent ces d’Égypte el désert.» (_Rois._ p. 15.) Le tort des grammairiens est d’avoir rendu cette forme obligatoire; elle n’est que facultative, et il est toujours loisible d’employer _c’est_ devant un nom pluriel. Les grammairiens, qui nous imposent rigoureusement _ce sont eux_, prescrivent aussi _c’est nous_, _c’est vous_, locutions absurdes! Puisqu’on gardait la tradition du moyen âge, il fallait du moins la garder tout entière, et dire, _ce sommes nous_, _c’êtes vous_. Mais on n’a obéi qu’à une routine aveugle et inconséquente. Dans _Pathelin_, Guillemette recommande à M. Jousseaume de parler bas, par égard pour le pauvre malade; et elle-même s’oublie jusqu’à élever fort la voix. Le drapier ne manque pas d’en faire la remarque: «Vous me disiez que je parlasse «Si bas, saincte benoiste dame: «Vous criez! GUILLEMETTE. _C’estes vous_, par mame!» _C’est vous_, par mon âme! A la fin, le drapier reconnaît son voleur dans l’avocat: «Je puisse Dieu desadvouer «Se _ce n’estes vous_, vous, sans faulte...» Je renie Dieu si ce n’est vous! Et dans la scène où Pathelin subtilise le drap: L’honnête homme que feu votre père! «Vrayment, _c’estes vous_ tout craché!» _C’est vous_ tout craché. «On trouve douze rois choisis par le peuple, qui partagèrent entre eux le gouvernement du royaume. _C’est eux_ qui ont bâti les douze palais qui composoient le labyrinthe.» (BOSSUET. _Disc. sur l’hist. un._ 3e p.) «_Ce n’est_ pas seulement _des hommes_ à combattre, _c’est des montagnes_ inaccessibles, _c’est des ravines et des précipices_ d’un côté; _c’est_ partout _des_ forts élevés....» (_Or. fun. du pr. de Condé._) On voit que Bossuet veut présenter une idée d’ensemble: les rois qui ont bâti le labyrinthe, et ce qu’il y a à combattre; et non pas attirer la pensée, la divertir sur les détails, sur les éléments qui forment cette unité. Il ne veut pas nous faire compter les rois égyptiens ni les sommets des montagnes, mais nous frapper par un tableau; il emploie le singulier. Cependant, après avoir rapporté ce passage, l’auteur des _Remarques sur la langue française et le style_ déclare avec dureté: «Il faut partout _ce sont_.» «Il est certain, ajoute-t-il par forme d’atténuation, que les Latins disaient poétiquement _animalia currit_.» Les Latins n’ont jamais parlé de la sorte, ni en vers ni en prose; l’auteur confond la grammaire latine avec la grecque. Au surplus, la locution ζῶα τρέχει n’a pas le moindre rapport à ce dont il s’agit. On aimerait mieux trouver dans ce livre moins d’érudition, et un peu plus d’égards pour les grandes gloires littéraires de la France. C’est à l’instant même où il vient d’inventer cet _animalia currit_, que l’auteur reproche à Bossuet des _solécismes_: «Bossuet a commis cette faute à outrance.... _Le solécisme_ est commis avec une telle insistance, qu’il est permis de croire que Bossuet n’était pas bien fixé sur cette règle d’usage, _qu’il rencontre néanmoins quelquefois_.» (I. p. 445.) Non, Bossuet n’a pas fait ici de solécisme, et il parlait français autrement que par rencontre et par hasard. «_Ce n’est plus ces promptes saillies_ qu’il savoit si vite et si agréablement réparer.» (_Or. f. du pr. de Condé._) Substituez _ce ne sont_, vous déchirez l’oreille: _ce ne sont plus ces_.... Voltaire dit pareillement: «Les saints ont eu des foiblesses; _ce n’est pas leurs foiblesses_ qu’on révère.» (_Canonis. de s. Cucufin._) L’idée porte sur _ce qu’on révère_, et non sur les faiblesses des saints. Et Racine: «Ce _n’est_ pas _les Troyens_, c’est Hector qu’on poursuit.» (_Androm._) L’idée porte de même ici non pas sur _les Troyens_, mais sur _ce qu’on poursuit_. Et comme après un nom collectif au singulier on peut mettre le verbe au pluriel, par rapport à la pensée que ce singulier réveille, de même on peut mettre le verbe au singulier à côté d’un substantif au pluriel, quand il y a unité dans l’idée. Ainsi, dans Pourceaugnac, Molière a pu dire, et devait dire en effet: _Quatre ou cinq mille écus_ EST un denier considérable. (III. 9.) _Sont_ un denier eût été impropre. Par la même raison, M. de Chateaubriand a dû écrire: «Qui racontera ces détails, si je ne les révèle? _Ce n’est pas les journaux._» (_De la censure._) Concluons qu’il y a un art, une délicatesse de style à choisir l’une ou l’autre forme, selon le besoin de la pensée ou de l’harmonie; et c’est à l’usage qu’il fait de cette liberté qu’on reconnaît le bon écrivain. C’EST A.... A (un infinitif), et non pas _de_: C’est _aux_ gens mal tournés, aux mérites vulgaires, _A_ brûler constamment pour des beautés sévères. (_Mis._ III. 1.) C’EST POUR (un infinitif), cela mérite que....: Certes _c’est pour en rire_, et tu peux me le rendre. (_Mélic._ I. 2.) --C’EST POUR (un infinitif) QUE....: Et _c’est pour essuyer_ de très-fâcheux moments, _Que_ les soudains retours de son âme inégale. (_Psyché._ I. 2.) Cela est fait pour.... Cela, savoir que.... C’EST (un infinitif) DE (un infinitif); et non _que de_: _C’est m’honorer_ beaucoup _de vouloir_ que je sois témoin d’une entrevue si agréable. (_Mal. im._ II. 5.) C’EST QUE, par syllepse, sans relation grammaticale avec ce qui précède: Et afin, madame Jourdain, que vous puissiez avoir l’esprit tout à fait content, et que vous perdiez aujourd’hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de monsieur votre mari, _c’est que_ nous nous servirons du même notaire pour nous marier, madame et moi. (_B. gent._ V. 7.) Je vais vous dire une chose, c’est que nous nous servirons, etc. C’EST TOUT DIT, adverbe; c’est tout dire, tout est dit quand on a dit cela: Il est fort enfoncé dans la cour, _c’est tout dit_: La cour, comme l’on sait, ne tient pas pour l’esprit. (_Fem. sav._ IV. 3.) CE QUI EST DE BON, pour _ce qu’il y a de bon_: Le mari ne se doute point de la manigance, voilà _ce qui est de bon_. (_G. D._ I. 2.) CE VOUS EST, CE NOUS EST: En un mot, _ce vous est_ une attente assez belle Que la sévérité du tuteur d’Isabelle. (_Éc. des mar._ I. 6.) _Ce nous est_ une douce rente que ce M. Jourdain. (_Bourg. gent._ I. 1.) C’est ici le datif de profit: c’est _à vous_, _à nous_.... CHAGRIN DÉLICAT, délicatesse chagrine: S’il faut que cela soit, ce sera seulement pour venger le public du _chagrin délicat_ de certaines gens. (_Préf. de la Crit. de l’Éc. des fem._) CHAISE pour _chaire_: Les savants ne sont bons que pour prêcher en _chaise_. (_Fem. sav._ V. 3.) «_Chaise_ n’est point une erreur de Martine. Autrefois, on appelait ainsi ce que nous nommons aujourd’hui _chaire_; on disait: _une chaise de prédicateur, de régent_. Vaugelas préférait en ce sens le mot _chaise_, mais il n’excluait pas le mot _chaire_. Ce dernier ne se dit plus que des siéges ordinaires.» (M. AUGER.) La note de M. Auger est fort juste; mais il y faut ajouter quelques développements, car ce point touche à l’une des circonstances les plus singulières de l’ancienne langue; c’est l’habitude de grasseyer et de zézayer. Jacques Dubois (Sylvius) et Charles Bouille en font le caractère du parler parisien au XVIe siècle; mais je suis persuadé que la chose est beaucoup plus ancienne et plus générale, au moins en ce qui touche le grasseyement. En effet, les preuves de l’_r_ supprimée, ou transformée en _l_, se rencontrent partout dans les manuscrits du moyen âge. L’_amure_ pour l’_armure_, dans la chanson de Roland; _quatier_, _mabre_, _paller_, _bone_, pour _quartier_, _marbre_, _parler_, _borne_, dans le Roman de la Rose; _asi_ pour _arsi_ (brûlé), dans _les Rois_; _coupe_ pour _coulpe_, dans le Roman du châtelain de Coucy; _mellan_, _huller_, _supellatif_, etc., etc., dans des auteurs de toutes provinces et des plus anciennes époques. «Item, un estuy à corporaulx, tout ouvré de _pelles_.» (_Invent. de la Ste.-Chapelle_, de 1363.) «Les entrechamps de grosses _pelles_ fines.» (_Texte de_ 1336.) (Voyez Du Cange, au mot _Chaste_.) Bouille et Dubois se trompent donc en prenant un abus contemporain pour un abus moderne. C’est une erreur, du reste, assez commune. Cette précaution prise, voici leur témoignage: «Je ne veux point oublier ici un autre vice de la prononciation parisienne: c’est la confusion des lettres _R_ et _S_. Les exemples en sont innombrables, tant en latin qu’en vulgaire. Ils disent _Jeru Masia_, pour _Jesu Maria_; _misesese_, pour _miserere_; _cosona_, pour _corona_. _Ma mèse_, _mon frèse_, pour _mère_, _frère_; et au rebours, _courin_, pour _cousin_; _de l’oreille_, pour de _l’oseille_. Et ils ne se contentent pas de pécher de la sorte en parlant, mais c’est qu’ils écrivent comme ils prononcent; et les doctes même ont toutes les peines du monde à se préserver de cette mauvaise habitude, dont les enseignes des rues de Paris rendent témoignage à tous les passants, car on y lit: Au gril _cousonné_; à l’estelle (l’étoile) _cousonnée_, au bœuf _cousonné_.» (_De vitiis vulg. ling._, p. 36.) J. Dubois est aussi explicite; il ajoute seulement cette remarque, que les Latins pratiquaient la même confusion, disant indifféremment: _Fusius_, _Valesius_, ou _Furius_, _Valerius_; _arbos_, _labos_, ou _arbor, _labor_; comme les Grecs, θαῤῥέιν et θαρσέιν. (_Isagoge in ling. gall._, p. 52.) De _cathedram_, la première forme française a été _chayère_ ou _kayère_, d’où par resserrement _chaire_. Les Picards d’aujourd’hui disent encore une _kayelle_. Et _chaire_, par le zézayement, est devenu _chaise_, comme _hure_ était devenu _huse_. «En la mesme feuille ont mis aussi la figure de la divine infante, couronnée en royne de France, comme vous, vous regardants _huze à huze_ l’un l’autre[42].» (_Sat. Ménippée_, p. 104, éd. Charp.) [42] Sur les anciennes monnaies d’Espagne, Ferdinand et Isabelle sont représentés face à face. Nous avons repris la forme _hure_, mais nous avons gardé la forme _chaise_, créée par un abus, tout en retenant aussi la forme primitive et légitime _chaire_; mais comme il est convenu qu’il ne peut y avoir dans une langue deux mots synonymes, on s’est empressé d’attacher à chacune de ces formes une nuance de valeur différente. Combien de mots subsistent honorablement au cœur de notre langue, qui ne sont, comme le mot _chaise_, que des parvenus sans titres? Par exemple, _fauxbourg_, _chambellan_, qui devraient être _forsbourg_, _chamberlan_; et bien d’autres! (Voyez SUS.) CHALEUR DE, empressement à: Et que, par _la chaleur de montrer ses ouvrages_, On s’expose à jouer de mauvais personnages. (_Mis._ I. 2.) --CHALEUR POUR QUELQUE CHOSE: _La chaleur_ qu’ils ont _pour les intérêts du ciel_. (_Préf. de Tartufe._) CHAMAILLER et SE CHAMAILLER: Nous irons bien armés; et si quelqu’un nous gronde, _Nous nous chamaillerons_... Moi, _chamailler_! bon Dieu, suis-je un Roland, mon maître? (_Dép. am._ V. 1.) Sur les verbes réfléchis qui prennent ou laissent le pronom, Voyez ARRÊTER et PRONOM RÉFLÉCHI. CHAMP, par métaphore pour _occasion_: Et l’aigreur de la dame, à ces sortes d’outrages Dont la plaint doucement le complaisant témoin, Est un _champ_ à pousser les choses assez loin. (_Éc. des mar._ I. 6.) Le ressentiment fournit l’occasion de pousser les choses assez loin; l’idée est claire, mais la métaphore est incohérente: une aigreur ne peut être un champ. --ALLER AUX CHAMPS, aller à la campagne: Votre maître de musique est _allé aux champs_, et voilà une personne qu’il envoie à sa place pour vous montrer. (_Mal. im._ II. 4.) CHAMPIONNES, féminin de _champion_: Tous viennent sur mes pas, hors les deux _championnes_. (_L’Ét._ V. 15.) CHANGE; DONNER POUR CHANGE A, c’est-à-dire, _en échange de_: C’est ce qu’on peut _donner pour change Au songe_ dont vous me parlez. (_Amph._ II. 2.) CHANGÉ DE: Vous me voyez _bien changé de ce que j’étois ce matin_. (_D. Juan._ IV. 9.) Quantum mutatus _ab illo_. --CHANGER DE NOTE: Je te ferai _changer de note_, chien de philosophe enragé! (_Mar. for._ 8.) Changer de langage, changer de ton. La Fontaine a dit _changer de note_ pour _changer de tactique_: «Leur ennemi _changea de note_, «Sur la robe du dieu fit tomber une crotte: «Le dieu, la secouant, jeta les œufs à bas.» (_L’Aigle et l’Escarbot._) --CHANGER UNE CHOSE A UNE AUTRE: Et, des rois les plus grands m’offrît-on le pouvoir, Je _n’y changerois pas_ le bien de vous avoir. (_Mélicerte._ II. 3.) «Cependant l’humble toit devient temple, et ses murs «_Changent_ leur frêle enduit _aux marbres_ les plus durs.» (LA FONT. _Philémon et Baucis._) «Peut-être avant la nuit l’heureuse Bérénice «_Change_ le nom de reine _au nom_ d’impératrice.» (RACINE. _Bér._ I. 3.) CHANSONS, REPAÎTRE QUELQU’UN DE CHANSONS: Il faut être, je le confesse, D’un esprit bien posé, bien tranquille, bien doux, Pour souffrir qu’un valet _de chansons me repaisse_. (_Amph._ II. 1.) CHANTER DES PROPOS: Au nom de Jupiter, laissez-nous en repos, Et ne nous _chantez_ plus _d’impertinents propos_. (_L’Ét._ I. 8.) --CHANTER MERVEILLE, promettre monts et merveilles: Nous en tenons, madame; et puis prêtons l’oreille Aux bons chiens de pendards qui nous _chantent merveille_! (_Dép. am._ II. 4.) CHARGER; CHARGER UN COURROUX, y donner de nouveaux motifs: Mon courroux n’a déjà que trop de violence, Sans _le charger_ encor d’une nouvelle offense. (_Sgan._ 6.) --CHARGER, métaphoriquement, en bonne part: L’honneur de cet acte héroïque Dont mon nom est _chargé_ par la rumeur publique. (_D. Garcie._ V. 5.) La figure en ce sens ne paraît pas heureuse. On dit cependant _le poids d’un grand nom_; et Regnard a dit aussi, ironiquement, il est vrai: «C’est un pesant fardeau qu’avoir un gros mérite.» (_Le Joueur._ II. 8.) --CHARGER LE DOS à quelqu’un, le battre: Vous n’avez pas _chargé son dos_ avec outrance? (_L’Ét._ III. 4.) --CHARGER QUELQU’UN, courir sur lui pour le battre: ALAIN. ... Si quelque affamé venoit pour en manger, Tu serois en colère et voudrois _le charger_. (_Éc. des fem._ II. 3.) Je veux..... ......................................................... Que tous deux à l’envi vous me _chargiez ce traître_. (_Ibid._ IV. 9.) --CHARGER SUR QUELQU’UN: D’abord il a si bien _chargé sur les recors_... (_L’Ét._ V. 1.) Molière s’en est servi pareillement au sens figuré: _Sur mon inquiétude_ ils viennent tous _charger_. (_Amph._ III. 1.) CHARITÉS, par antiphrase, imputations médisantes ou calomnieuses; PRÊTER DES CHARITÉS A QUELQU’UN: Une de ces personnes qui _prêtent doucement des charités_ à tout le monde, de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant. (_Impromptu._ I.) --CHARITÉ SOPHISTIQUÉE: Ces faux monnoyeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une _charité sophistiquée_. (1er _Placet au roi_.) CHAT, ACHETER CHAT EN POCHE: Vous êtes-vous mis en tête que Léonard de Pourceaugnac soit homme à _acheter chat en poche_....? (_Pourc._ II. 7.) Acheter un chat dans la poche du marchand, acquérir un objet sans l’examiner. «Elles (les filles qui se marient) _acheptent chat en sac_.» (MONT. III. 5.) CHATOUILLANT (adj. verbal), au sens figuré: ... Par de _chatouillantes approbations_ vous régaler de votre travail. (_B. gent._ I. 1.) --CHATOUILLER UNE AME: J’aime à te voir presser cet aveu de ma flamme: Combattant mes raisons, _tu chatouilles mon âme_. (_Pr. d’Él._ I. 1.) Racine a dit dans le style noble _chatouiller un cœur_: «Ces noms de roi des rois et de chef de la Grèce «_Chatouilloient de mon cœur_ l’orgueilleuse foiblesse.» (_Iphigénie._ I. 1.) La Fontaine emploie _chatouiller_ sans complément: «Sa sœur se croyant déjà entre les bras de l’amour, _chatouillée_ de ce témoignage de son mérite....» (_Psyché_, livre II.) CHAUDE, L’AVOIR CHAUDE, avec l’ellipse du mot _alerte_ ou _alarme_: Mon front _l’a_, sur mon âme, _eu bien chaude_ pourtant. (_Sgan._ 22.) CHAUSSÉ D’UNE OPINION (ÊTRE): Chose étrange de voir comme avec passion Un chacun est _chaussé de son opinion_. (_Éc. des fem._ I. 1.) CHER, précieux: Et la plus glorieuse (estime) a des régals _peu chers_. (_Mis._ I. 1.) Otez-moi votre amour, et portez à quelque autre Les hommages d’un cœur aussi _cher_ que le vôtre. (_Fem. sav._ V. 1.) Ce n’est pas à dire un cœur _si chéri_, mais _de si haut prix_. Comme on chérit ce qui est précieux, il est clair que, dans bien des cas, les deux nuances se confondent; mais il en est d’autres aussi où elles sont bien distinctes. Par exemple: _des régals peu chers_, un cœur _aussi cher que le vôtre_. _Cher_ ici ne signifie que _précieux_; car Henriette ne _chérit_ pas le cœur de Trissotin, non plus que Phèdre ne chérit la tête de Thésée. _Tenir cher_, dans la vieille langue, apprécier, estimer à haut prix. Les gens de Nevers, quand leur duc Gérard les a quittés, _ne tiendront plus rien cher_, ni le son de la musique, ni le ramage des oiseaux: «Son de note, ne cri d’oisiel, «N’ierent mais chaiens _chier tenu_.» (_La Violette._ p. 71.) L’italien emploie de même _caro_: _questo m’è caro!_ _quanto m’è caro!_ CHERCHER DE (un infinitif), chercher à: Vous ne trouverez pas étrange que nous _cherchions d’en prendre vengeance_. (_D. Juan._ III. 4.) Molière, conformément au génie de la vieille langue, évite l’hiatus avec un soin extrême; c’est pourquoi il remplace souvent _à_ par _de_: _commencer de_ pour _commencer à_; _chercher de_, _obliger de_, etc.... _A en prendre_ révolterait l’oreille. (Voyez DE, remplaçant _à_ entre deux verbes.) CHÈRE, FAIRE BONNE CHÈRE, dans le sens d’un traiteur qui fait une bonne cuisine, chez qui l’on fait bonne chère: Comment appelez-vous ce traiteur de Limoges qui _fait si bonne chère_? (_Pourc._ I. 6.) _Chère_ est l’italien _ciera_, _visage_. Il s’est pris par extension pour une nourriture abondante et recherchée, parce qu’une telle nourriture procure un bon visage. C’est dans ce sens que le traiteur de Limoges _faisait une bonne chère_ à ses habitués; mais il est important de retenir l’étymologie du mot _chère_, pour comprendre l’ancienne acception figurée qui se trouve dans la Fontaine: _faire bonne chère à quelqu’un_, lui faire bon accueil, bonne mine. _Chère_ d’homme fait vertu, dit un vieux proverbe; c’est _face_ d’homme. CHEVILLES: Je ne vous parle point, _pour devoir en distraire_, Du don de tout son bien, qu’il venoit de vous faire. (_Tart._ V. 7.) _Pour devoir en distraire_, signifie probablement pour avoir dû vous détourner d’une telle action. Il serait difficile d’être plus obscur. Ce passage, et bien d’autres, font voir que Molière suivait en versifiant la méthode de Boileau, de commencer par le second vers, et d’y renfermer toute l’énergie de la pensée dans les termes les plus propres. Le premier se faisait ensuite du mieux qu’on pouvait, ajusté sur le second. Molière a dû, comme Virgile, laisser souvent des hémistiches vides, qu’il remplissait à la hâte au dernier moment. Quoi! vous ne pouvez pas, _voyant comme on vous nomme_, Vous résoudre une fois à vouloir être un homme? (_Fem. sav._ II. 8.) Le second vers, ferme, compacte, énergique, était certainement fait avant le premier. _Voyant comme on vous nomme_ n’est que la paraphrase affaiblie et peu claire du mot _être un homme_. Pour moi, je ne tiens pas........... Que la science soit pour gâter quelque chose. (_Ibid._ IV. 3.) Voilà la pensée complète, comme elle s’est présentée à Molière. Mais il a fallu remplir l’hémistiche: Pour moi, je ne tiens pas, _quelque effet qu’on suppose_, etc. Plus loin: Et c’est mon sentiment que.......... La science est sujette à faire de grands sots! Quelle petite phrase incidente remplira le premier hémistiche _en faits comme en propos_? Et c’est mon sentiment qu’_en faits comme en propos_, La science est sujette à faire de grands sots. (_Ibid._ IV. 3.) CHEVIR DE....: M. DIMANCHE.--Nous ne saurions _en chevir_. (_D. Juan._ IV. 3.) La racine de ce vieux mot est _chef_, que l’on prononçait _ché_, comme _clef_ se prononce encore _clé_[43]; ainsi _chevir de..._, c’est être chef ou maître de.... [43] _Des variations du lang. fr._, p. 46, 47. La même racine est celle du vieux mot _chevestre_, licou, _capistrum_; d’où il nous reste _enchevêtré_, qui a le chef pris. CHÈVRE; PRENDRE LA CHÈVRE, pour _s’alarmer_; _se fâcher_: D’un mari sur ce point j’approuve le souci; Mais c’est _prendre la chèvre_ un peu bien vite aussi. (_Sgan._ 12.) NICOLE. Notre accueil de ce matin l’a fait _prendre la chèvre_. (_B. gent._ III. 10.) On dit, par une figure analogue, _prendre la mouche_. (Voyez MOUCHE.) CHOISIR DE... (un infinitif): _Choisis d’épouser_, dans quatre jours, ou monsieur ou un couvent. (_Mal. im._ II. 8.) CHOIX (LE) DE..., le choix entre: _Le choix d’elle et de nous_ est assez inégal. (_Mélicerte._ I. 5.) Le choix entre elle et nous. CHOQUER, v. act., avec un nom de chose, contrarier, contredire: Vous prétendez _choquer_ ce que j’ai résolu? (_Sgan._ I.) Ce dessein, don Juan, _ne choque point_ ce que _je dis_. (_Don Juan._ V. 3.) CHOSE ÉTRANGE DE (un infinitif): _Chose étrange de voir_ comme avec passion Un chacun est chaussé de son opinion! (_Éc. des fem._ I. 1.) _De_ est pour _que de_: Chose étrange que de voir..... _Chose étrange d’aimer!..._ (_Ibid._ V. 4.) CHRÉTIEN, PARLER CHRÉTIEN: Il faut _parler chrétien_, si vous voulez que je vous entende. (_Préc. rid._ 7.) _Parler chrétien_, c’est _parler le chrétien_, comme _parler turc_, _parler français_, c’est _parler le français_, _le turc_. Parler chrétiennement, c’est tout autre chose: on peut parler chrétien, c’est-à-dire la langue des chrétiens; sans parler chrétiennement, en chrétien, avec des sentiments chrétiens. CHROMATIQUE, substantif féminin: Il y a _de la chromatique_ là-dedans. (_Préc. rid._ 10.) Il paraît très-raisonnable de dire _la_ chromatique, comme on dit _la rhétorique_ au féminin. On disait autrefois _la mathématique_, et les Italiens le disent encore: _la matematica_. Ce sont autant d’adjectifs devant lesquels on sous-entend, comme en grec, d’où ils sont tirés, le mot _science_, τέχνη. CLARTÉ, flambeau: Monsieur le commissaire, Votre présence en robe est ici nécessaire: Suivez-moi, s’il vous plaît, avec votre _clarté_. (_Éc. des mar._ III. 5.) --RECEVOIR LA CLARTÉ, naître: Mais où vous a-t-il dit qu’il _reçut la clarté_? (_L’Ét._ IV. 3.) --CLARTÉS, renseignements, éclaircissements: Et j’ai vécu depuis, sans que de ma maison J’eusse d’autres _clartés_ que d’en savoir le nom. (_Ibid._ V. 14.) Et je prétends me faire à tous si bien connoître, Qu’aux pressantes _clartés_ de ce que je puis être Lui-même soit d’accord du sang qui m’a fait naître. (_Amph._ III. 5.) Le voici, Pour donner devant tous _les clartés_ qu’on désire. (_Ibid._ III. 9.) Don Louis du secret a toutes les _clartés_. (_D. Garcie._ V. 5.) Mais ces douces _clartés_ d’un secret favorable Vers l’objet adoré me découvrent coupable. (_Ibid._ V. 6.) --CLARTÉS, lumières, au sens moral: Aspirez aux _clartés_ qui sont dans la famille. (_Fem. sav._ I. 1.) Je consens qu’une femme ait _des clartés_ de tout. (_Ibid._ I. 3.) On en attend beaucoup de vos vives _clartés_, Et pour vous la nature a peu d’obscurités. (_Ibid._ III. 2.) CŒUR BON, AVOIR LE CŒUR BON. Voy. BON. COIFFER (SE) LE CERVEAU, s’enivrer: Quel est le cabaret honnête Où _tu t’es coiffé le cerveau_? (_Amph._ III. 2.) --COIFFER (SE) DE, au sens figuré, s’entêter de: Faut-il de ses appas _m’être si fort coiffé_! (_Éc. des fem._ III. 5.) COIN, TENIR SON COIN PARMI....: Il peut _tenir son coin parmi_ les beaux esprits. (_Fem. sav._ III. 5.) COLLET-MONTÉ, antique, suranné comme la mode des collets montés: Il est vrai que le mot est bien _collet-monté_. (_Fem. sav._ II. 7.) Molière souligne cette façon de parler, pour en faire sentir l’affectation ridicule. COLORÉ, EXCUSES COLORÉES: Vous nous payez ici d’_excuses colorées_. (_Tart._ IV. 1.) (Voyez COULEUR, métaphoriquement.) COMBLÉ; UN CARROSSE COMBLÉ DE LAQUAIS: Quand un carrosse, fait de superbe manière, _Et comblé de laquais_ et devant et derrière... (_Fâcheux._ I. 1.) COMÉDIE, dans le sens général de représentation dramatique: Et j’ai maudit cent fois cette innocente envie Qui m’a pris, à dîner, de voir la _comédie_. (_Fâcheux._ I. 1.) Le père Bouhours fait une _remarque_ pour établir le sens général de ce mot, et qu’on doit dire _aller à la comédie_, _les comédies de M. Corneille_, _les comédies de M. Racine_; après quoi il introduit cette exception assez singulière: «Il n’y a qu’une occasion où l’on doit se servir du mot _tragédie_, c’est quand on parle des pièces de théâtre qui se représentent dans les colléges. Ce seroit mal dit: _J’ai esté à la comédie du collége de Clermont_; il faut dire _à la tragédie_.» (_Remarques nouvelles_, p. 93.) Le collége de Clermont était dirigé par les jésuites; c’est probablement l’unique motif de l’exception du père Bouhours, jésuite. COMME, lié à un adjectif, en qualité de; COMME CURIEUX: ... Ce gentilhomme françois qui, _comme curieux_ d’obliger les honnêtes gens, a bien voulu, etc... (_Sicilien._ II.) Latinisme: _Utpote curiosus_. --COMME SAGE: _Comme sage_, J’ai pesé mûrement toutes choses. (_Tart._ II. 2.) Comme un homme sage, en homme sage que je suis. --COMME, pour _comment_: Les auteurs de _traités des synonymes_, s’engageant à découvrir partout des différences ou des nuances de valeur, n’ont pas manqué d’en signaler entre _comme_ et _comment_: «L’un est objectif ou relatif à l’effet; l’autre est subjectif ou relatif à l’action.... Dans les _Provinciales_, Pascal, ayant rapporté en propres termes certaines opinions de Jansénius, ajoute: «Voilà _comme_ il parle sur tous ces chefs,» c’est-à-dire, voilà de quelle sorte sont ses paroles. Et, quelques lignes plus loin, il écrit: «Voilà _comment_ agissent ceux qui n’en veulent qu’aux erreurs.» _Comment_ et non pas _comme_, parce qu’il s’agit ici d’un fait, et non d’une chose[44].» Je ne comprends rien, je l’avoue, à cette distinction subtile. Ce qui paraît beaucoup plus clair, c’est que ni Molière, ni Pascal, ne mettaient aucune différence entre _comme_ et _comment_[45]. Sans davantage m’arrêter à discuter la théorie de M. Lafaye, je vais rapporter les exemples de Molière, laissant à d’autres le soin d’y reconnaître le subjectif ou l’objectif: Qui sait _comme_ en ses mains ce portrait est venu? (_Sgan._ 6.) Non, mais vous a-t-on dit _comme_ on le nomme?--Enrique. (_Éc. des fem._ I. 6.) _Comme_ est-ce que chez moi s’est introduit cet homme? (_Ibid._ II. 2.) Je ne comprends point _comme_, après tant d’amour et tant d’impatience témoignée, il auroit le cœur de pouvoir manquer à sa parole. (_D. Juan._ I. 1.) Cela se peut-il souffrir à un homme comme vous, qui savez _comme_ il faut vivre? (_Ibid._ IV. 7.) DUBOIS. ... Attendez!... _comme_ est-ce qu’il s’appelle? (_Mis._ IV. 4.) J’ai peine à concevoir, tant ma surprise est forte, _Comme_ un tel fils est né d’un père de la sorte. (_Mélicerte._ I. 2.) Qu’est-ce qu’on fait céans? _comme_ est-ce qu’on s’y porte? (_Tart._ I. 5.) Oui, il faut qu’une fille obéisse à son père; il ne faut point qu’elle regarde _comme_ un mari est fait. (_L’Av._ I. 9.) Je suis bien aise d’apprendre _comme_ on parle de moi. (_L’Av._ III. 5.) Voilà, mon gendre, _comme_ il faut pousser les choses. (_G. D._ I. 8.) J’ai en main de quoi vous faire voir _comme_ elle m’accommode. (_Ibid._ II. 9.) Voilà un de mes étonnements, _comme_ il est possible qu’il y ait des fourbes comme cela dans le monde. (_Pourc._ II. 4.) Qu’importe _comme ils parlent_, pourvu qu’ils me disent ce que je veux savoir? (_Ibid._ II. 12.) Là, voyons un peu _comme_ vous ferez. (_Ibid._ III. 2.) Jamais il n’a été en ma puissance de concevoir _comme_ on trouve écrit dans le ciel jusqu’aux plus petites particularités de la fortune du moindre des hommes. (_Am. mag._ III. 1.) [44] _Synonymes français_, par M. B. Lafaye, p. 600. [45] La forme _comme_ (_cume_) se rencontre seule dans les _Rois_. _Comment_ est postérieur, et aura été formé pour l’euphonie. --ÊTRE EN PEINE COMME IL FAUT FAIRE, en peine de savoir comment il faut faire: On _n’est pas en peine_ sans doute _comme il faut faire_ pour vous louer. (_Ép. dédic. de l’École des fem._) (Voyez COMMENT.) --COMME, combien: Vous ne sauriez croire _comme_ elle est affolée de ce Léandre! (_Méd. m. lui._ III. 7.) --COMME.... ET QUE...: _Comme_ vous êtes un fort galant homme, _et que_ vous savez comme il faut vivre..... (_Mar. for._ 4.) Prince, _comme_ jusqu’ici nous avons fait paroître une conformité de sentiments, _et que_ le ciel a semblé mettre en nous, etc. (_Pr. d’Él._ IV. 1.) «_Comme_ elle possédoit son affection.... _et que_ son heureuse fécondité redoubloit tous les jours les sacrés liens...» (BOSSUET. _Or. fun. d’Henr. d’A._) «_Comme_ c’est la vocation qui nous inspire la foi, _et que_ c’est la persévérance qui nous transmet à la gloire....» (Id. _Or. fun. de la duch. d’Orl._) «_Comme_ il fut sorti de Delphes, _et que_ il eut pris le chemin de la Phocide.....» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) --COMME pour _que_; S’ÉTONNER COMME...: _Je m’étonne comme_ le ciel les a pu souffrir si longtemps. (_D. Juan._ V. 1.) (Voyez ADMIRER COMME.) --TOUT COMME, adverbialement: C’est justement _tout comme_: La femme est en effet le potage de l’homme. (_Éc. des fem._ II. 3.) COMMENCER DE: Et déjà mon rival _commence de_ paroître. (_D. Garcie._ V. 3.) ............................................. Et veuille que ce frère, où l’on va m’exposer, _Commence d’être roi_ par me tyranniser. (_Ibid._ V. 5.) L’amour a _commencé d’en déchirer_ le voile. (_Éc. des fem._ III. 4.) _Commencer à_ paraît avoir été la forme primitive; c’est celle qu’emploie le plus ancien monument connu de notre langue: «Saul estoit fis d’un an, quand il _comencad a_ regner.» (_Rois._ p. 41.) Mais plus tard, quand le _d_ euphonique fut tombé, par l’influence de la langue écrite sur la langue parlée, le soin de l’euphonie suggéra d’éviter l’hiatus, en construisant aussi avec _de_ tous ces verbes qui se construisaient déjà avec _à_. (Voyez DE remplaçant _à_ entre deux verbes.) COMMENT, comme, à quel point: Vous ne sauriez croire _comment_ l’erreur s’est répandue, et de quelle façon chacun s’est endiablé à me croire médecin! (_Méd. m. lui._ III. 1.) _Comment_, c’est-à-dire, _à quel point_ l’erreur s’est répandue. (Voyez COMME.) COMMERCE, AVOIR COMMERCE CHEZ QUELQU’UN: .... Cette marquise agréable _chez qui j’avois commerce_. (_B. Gent._ III. 6.) COMMETTRE A QUELQU’UN, lui confier: Ce pauvre maître Albert a beaucoup de mérite D’avoir depuis Bologne accompagné ce fils, Qu’à sa discrétion vos soins avoient _commis_. (_L’Ét._ IV. 3.) Allons, sans crainte aucune, _A la foi_ d’un amant _commettre_ ma fortune. (_Éc. des mar._ III. 1.) «Un voleur se hasarde «D’enlever le dépôt _commis aux soins_ du garde.» (LA FONT. _La Matrone d’Éphèse._) --COMMETTRE QUELQU’UN A UN SOIN: _Je vous commets au soin_ de nettoyer partout. (_L’Av._ III. 1.) Allons _commettre un autre au soin que l’on me donne_. (_Fem. sav._ I. 5.) Le substantif _commis_ n’est autre chose que le participe passé de ce verbe, et se construit de même avec le datif: un commis aux aides, commis à la douane. --COMMETTRE (SE) DE.... se confier relativement à: Agnès, dit Horace, N’a plus voulu songer à retourner chez soi, Et _de tout son destin s’est commise_ à ma foi. (_Éc. des fem._ V. 2.) _De_ est ici le _de_ latin. COMPAGNONS, pour _confrères_: LE NOTAIRE. Moi! si j’allois, madame, accorder vos demandes, Je me ferois siffler de tous mes _compagnons_. (_Fem. sav._ V. 3.) COMPAS; RÉGLÉ PAR COMPAS: Si le chef n’est pas bien d’accord avec la tête, Que tout ne soit pas bien _réglé par ses compas_. (_Dép. am._ IV. 2.) COMPASSER, verbe actif, mesurer au compas, c’est-à-dire, examiner à la rigueur: Et quant à moi je trouve, ayant tout _compassé_, Qu’il vaut mieux être encor cocu que trépassé. (_Sgan._ 11.) COMPATIR AVEC, être compatible avec: L’engagement ne _compatit point avec mon humeur_. (_D. Juan._ III. 6.) COMPÉTITER: GROS-RENÉ. On voit une tempête, en forme de bourrasque, Qui veut _compétiter_ par de certains... propos... (_Dép. am._ IV. 2.) Furetière et Trévoux ne donnent que _compétiteur_. Il y a grande apparence que _compétiter_ est forgé par Gros-René d’après ce substantif. On dit, en termes de droit, _compéter_, mais dans une autre acception que _compétiter_. COMPLAISANT A....: .... Vos désirs _lui_ seront complaisants Jusques à lui laisser et mouches et rubans? (_Éc. des mar._ I. 2.) Mais, au moins, sois _complaisante aux civilités_ qu’on te rend. (_Pr. d’Él._ II. 4.) COMPLEXION; ÊTRE DE COMPLEXION AMOUREUSE...: Ah, ah! _vous êtes donc de complexion amoureuse_? (_Pourc._ II. 4.) COMPLIMENT; ÊTRE SANS COMPLIMENT, sans façon: Non, m’a-t-il répondu, _je suis sans compliment_, Et j’y vais pour causer avec toi seulement. (_Fâcheux._ I. 1.) --Devoir à quelqu’un un compliment de quelque chose, c’est-à-dire, la politesse de lui en donner avis: On _vous en devoit_ bien au moins _un compliment_. (_Fem. sav._ IV. 1.) COMPOSER (SE) PAR ÉTUDE: Là, tâchez de _vous composer par étude_; un peu de hardiesse, et songez à répondre résolument sur tout ce qu’il pourra vous dire. (_Scapin._ I. 4.) CONCERT DE MUSIQUE: Il faut qu’une personne comme vous... ait un _concert de musique_ chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis. (_B. gent._ II. 1.) M. Auger blâme cette expression, comme redondante. Il est vrai qu’aujourd’hui l’on a restreint le mot _concert_ à signifier _concert de musique_, mais ce n’est pas l’acception essentielle du mot; la preuve en est qu’on dit également bien un concert de louanges, un concert d’intrigues. _Concerter_ ne s’applique pas exclusivement à la musique, et _déconcerter_ ne s’y applique pas du tout. Tout le XVIIe siècle a dit _concert de musique_. CONCERTÉ, en parlant d’un seul, par exemple, du ciel: Une aventure, par _le ciel concertée_, me fit voir la charmante Élise. (_L’Av._ V. 5.) _Concertée_ veut dire simplement ici _préparée_. CONCLURE DE, suivi d’un infinitif: Et nous _conclûmes_ tous _d’attacher_ nos efforts Sur un cerf que chacun nous disoit cerf dix cors. (_Fâcheux._ II. 7.) (Voyez DE remplaçant _à_ entre deux verbes.) CONCURRENCE; BONHEUR QUI EST EN CONCURRENCE: Grâce à Dieu, _mon bonheur n’est plus en concurrence_. (_Éc. des fem._ V. 38.) En effet, l’amour d’Horace n’a plus à craindre de concurrent, puisque Agnès s’est enfuie du logis d’Arnolphe, pour se mettre sous sa protection. CONDAMNER D’UN CRIME, c’est-à-dire, pour un crime, à cause d’un crime; latinisme, _damnare de..._: Ne me _condamnez point d’_un deuil hors de saison. (_Sgan._ 10.) Je veux que vous puissiez un peu l’examiner, Et voir si _de mon choix_ l’on peut me _condamner_. (_Éc. des fem._ I. 1.) L’erreur trop longtemps dure, Et c’est trop _condamner ma bouche d’imposture_. (_Tart._ II. 3) C’est trop me pousser là-dessus, Et d’_infidélité_ me voir trop _condamnée_. (_Amph._ II. 2.) Loin de te _condamner d’un si perfide trait_, Tu m’en fais éclater la joie en ton visage. (_Ibid._ II. 3.) Pascal a dit de même _blâmer de_: «_Ne blâmez donc pas de fausseté_ ceux qui ont pris un choix, car vous n’en savez rien.» (_Pensées._ p. 262.) (Voyez DE dans tous les sens du latin _de_.) CONDITIONNELS: deux conditionnels, le second commandé par le premier: Pour moi, _j’aurois_ toutes les hontes du monde, s’il falloit qu’on vînt à me demander _si j’aurois_ vu quelque chose de nouveau que je n’aurois pas vu. (_Préc. rid._ 10.) Nous dirions aujourd’hui, _si j’ai vu_; mais on suivait alors pour les conditionnels une certaine loi de symétrie qui s’appliquait aussi aux futurs. (Voyez FUTURS.) S’il falloit qu’il en vînt quelque chose à ses oreilles, je _dirois_ hautement que _tu en aurois menti_. (_D. Juan._ I. 1.) Je leur disois que si quelqu’un leur venoit dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et _ne manquassent_ pas de lui dire qu’_il en auroit_ menti. (_Ibid._ II. 7.) _Je croirois_ que la conquête d’un tel cœur ne _seroit_ pas une victoire à dédaigner. (_Pr. d’Él._ IV. 3.) Si je n’étois sûre que ma mère étoit honnête femme, _je dirois_ que _ce seroit_ quelque petit frère qu’elle m’_auroit_ donné depuis le trépas de mon père. (_Mal. im._ III. 8.) L’usage actuel mettrait: Je _dirais_ que _c’est_ quelque petit frère qu’elle _m’a_ donné, etc. La Fortune dit à l’enfant qu’elle trouve endormi sur le rebord d’un puits: «Sus, badin, levez-vous. Si vous tombiez dedans, «De douleur, vos parents, comme vous imprudents, «Croyant en leur esprit que de tout je dispose, «_Diroient_, en me blâmant, que j’en _serois_ la cause.» (REGNIER. sat. XIV.) Cette symétrie, empruntée du latin, était, dans l’ancienne langue, une règle inflexible. Guillemette dit à Patelin, son mari, dans la scène de la folie feinte: «Par ceste pecheresse lasse, «Si j’_eusse_ aide, je vous _liasse_[46].» [46] _Si_ gouvernait le subjonctif devant l’imparfait, comme en latin. Si adjutorium _haberem_, te _ligarem_. Et Patelin, moqué par Aignelet: «Par saint Jaques, se je _trouvasse_ «Un bon sergent, te _feisse_ prendre.» (_Pathelin._) Pascal ne manque jamais à cette loi: «Si vous ne m’aviez dit que c’est le père le Moine qui est l’auteur de cette peinture, _j’aurois dit_ que _c’eût été_ quelque impie qui l’_auroit_ faite, à dessein de tourner les saints en ridicule.» (9e _Provinciale_.) «S’il s’en trouvoit qui _crussent_ que j’_aurois_ blessé la charité que je vous dois en décriant votre morale...» (11e _Prov._) --CONDITIONNEL construit avec un indicatif: Si _je me dispense_ ici de m’étendre sur les belles et glorieuses vérités qu’on pourroit dire d’elle, c’est par la juste appréhension que ces grandes idées _ne fissent éclater_ encore davantage la bassesse de mon offrande. (_Ép. dédic. de l’École des maris._) Racine a dit de même, dans _Andromaque_: «On _craint_ qu’il _n’essuyât_ les larmes de sa mère.» Sur quoi d’Olivet élève une chicane grammaticale aussi pédante qu’elle est injuste. Rien n’est plus logique, ni plus irréprochable que cette alliance de temps, puisqu’il existe entre les deux l’ellipse bien claire d’une condition:--on craint (_si l’on me laissait mon fils_) qu’il _n’essuyât_ un jour, _etc._.....--Je me dispense de cet éloge, de peur que (_si je l’essayais_) le contraste des idées _ne fît_ ressortir la bassesse de mon offrande. De peur qu’elle _revînt_, fermons à clef la porte. (_Éc. des mar._ III. 2.) De peur que (_si je laissais la porte ouverte_) elle ne _revînt_. (Voyez SUBJONCTIF.) CONDUITE, direction: Et nous verrons ensuite Si je dois de vos feux reprendre la _conduite_. (_L’Ét._ III. 5.) --CONDUITE, celui qui conduit, comme _sentinelle_, _garde_, celui qui fait sentinelle, celui qui garde: A vous mettre en lieu sûr je m’offre pour _conduite_. (_Tart._ V. 6.) CONFIRMER QUELQU’UN A (un infinitif), le fortifier dans la résolution de...: L’air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre ............................................... _Me confirme_ encor mieux _à ne pas différer_ Les noces, où j’ai dit qu’il vous faut préparer. (_Éc. des fem._ III. 1.) CONFORME, absolument, et en sous-entendant le complément: Son cœur, qui vous estime, est solide et sincère, Et ce choix plus _conforme_ étoit mieux votre affaire. (_Mis._ I. 1.) Philinte veut dire que le caractère d’Éliante se rapproche du caractère d’Alceste, et qu’ainsi Alceste, choisissant Éliante au lieu de Célimène, eût fait un choix plus conforme à ses goûts et à ses principes. Cette absence du complément paraît rendre l’expression trop vague, et laisser la pensée incertaine. CONGÉ, permission: Et si dans quelque chose ils vous ont outragé, Je puis vous assurer que c’est sans mon _congé_. (_L’Ét._ I. 3.) Nous n’oserons plus trouver rien de bon sans _le congé_ de messieurs les experts. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) Et je pense, seigneur, entendre ce langage. Mais sans votre _congé_, de peur de trop risquer, Je n’ose m’enhardir jusques à l’expliquer. (_Princ. d’Él._ I. 1.) Je lui donne à présent _congé_ d’être Sosie. (_Amph._ III. 10.) CONGRATULANT, adjectif verbal, comme _chatouillant_: Ne vous embarquez nullement Dans ces _douceurs congratulantes_. (_Amph._ III. 11.) CONSCIENCE; C’EST UNE CONSCIENCE, c’est-à-dire, un cas de conscience: _C’est une conscience_ Que de vous laisser faire une telle alliance. (_Tart._ II. 2.) _C’est une conscience_ de voir une pauvre jeune femme mariée de la façon. (_G. D._ III. 12.) CONSEILLER; (SE) CONSEILLER A QUELQU’UN, prendre le conseil de quelqu’un: _Je me suis_ même encore aujourd’hui _conseillé au ciel_ pour cela. (_D. Juan._ V. 3.) Mais si _je me conseillois à vous_ pour ce choix?--Si _vous vous conseilliez à moi_, je serois fort embarrassé. (_Am. magn._ II. 4.) «Il est droit que _je me conseille_!» (RUTEBEUF. _Le Testam. de l’asne._) «Comment Panurge _se conseille à_ Her Trippa.--Comment Panurge _se conseille à_ Pantagruel.» (RABELAIS.) Sur le fréquent emploi des verbes réfléchis au commencement de la langue, voyez au mot ARRÊTER. CONSENTIR, verb. act., CONSENTIR QUELQUE CHOSE: Mais je mourrai plutôt que de _consentir rien_. (_D. Garcie._ I. 5.) --CONSENTIR QUE, accorder que: Mais je veux _consentir qu’_elle soit pour une autre. (_Mis._ IV. 3.) _Consentir à ce que_ rendrait une pensée différente. Alceste ne consent pas _à ce que_ la lettre de Célimène soit pour un autre; il consent, c’est-à-dire, il accorde par hypothèse qu’elle soit pour un autre que lui. Si _consentir que_ eût été une expression fautive ou seulement insolite, il était facile à Molière de mettre: Mais je veux _accorder_ qu’elle soit pour un autre. Pascal, Montaigne et Molière lui-même disent, _consentir que_ pour _à ce que_: «Elle (la société de Jésus) _consent qu’_ils gardent leur opinion, pourvu que la sienne soit libre.» (PASCAL. 1re _Prov._) «Homere a esté contrainct de _consentir que_ Venus feust blecée au combat de Troie.» (MONTAIGNE. III. 7.) _Je consens qu’_une femme ait des clartés de tout. (_Fem. sav._ I. 3.) CONSÉQUENCE; CHOSE DE CONSÉQUENCE: Je sais bien qu’un bienfait de cette _conséquence_ Ne sauroit demander trop de reconnoissance. (_Don Garcie._ V. 5.) Que ne me dites-vous que des affaires _de la dernière conséquence_ vous ont obligé à partir sans m’en donner avis? (_D. Juan._ I. 3.) En vérité, monsieur, ce procès _m’est d’une conséquence_ tout à fait grande. (_L’Av._ II. 7.) «Je laisserai beaucoup de petites choses où il fit paroître la vivacité de son esprit.........; elles _sont de trop peu de conséquence_ pour en informer la postérité.» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) «J’ai pensé que le sujet des disputes de Sorbonne étoit........ _d’une extrême conséquence_ pour la religion.» (PASCAL. 1re _Prov._) --CONSÉQUENCE (FAIRE OU NE FAIRE POINT DE): Un homme mort n’est qu’un homme mort, et _ne fait point de conséquence_. (_Am. méd._ II. 3.) Ne produit pas de suites. --HOMME DE CONSÉQUENCE: Prépare-toi désormais à vivre dans un grand respect avec _un homme de ma conséquence_. (_Méd. m. lui._ III. 11.) CONSIDÉRABLE, digne d’être considéré, en parlant des personnes et des choses: Comme je sais que vous êtes une personne _considérable_, je voudrois vous prier..... (_Sicilien._ 8.) Je vous tiens préférable A tout ce que j’y vois de plus _considérable_. (_Mis._ I. 2.) Ah! mon père, le bien n’est pas _considérable_ lorsqu’il est question d’épouser une honnête personne. (_L’Av._ I. 5.) Le bien n’est pas à considérer. La noblesse, de soi, est bonne; c’est une chose _considérable_ assurément. (_Georges D._ I. 1.) --CONSIDÉRABLE A QUELQU’UN: Mais si jamais mon bien _te fut considérable_, Répare mon malheur, et me sois secourable. (_L’Ét._ II. 7.) Monsieur, votre vertu _m’est_ tout à fait _considérable_. (_Méd. m. l._ III. 11.) «Ces raisons ont..... rendu leur condition (des hommes) si _considérable à l’Eglise_, qu’elle a toujours puni l’homicide qui les détruit....» (PASCAL. 1re _Prov._) CONSIDÉRATION; A LA CONSIDÉRATION DE, c’est-à-dire, en considération de: Je vous donne ma parole, don Pèdre, qu’_à votre considération_, je vais la traiter du mieux qu’il me sera possible. (_Sicilien._ 19.) CONSOLATIF: Je suis homme _consolatif_, homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens. (_Scapin._ I. 2.) Pascal a dit _consolatif à....._ et _consolatif pour...._: «Discours bien _consolatif à_ ceux qui ont assez de liberté d’esprit..., etc.»--«Un beau mot de saint Augustin est bien _consolatif pour_ de certaines personnes.» (_Pensées._ p. 51, 310 et 359.) CONSOLATIF paraît formé de _consoler_, aussi légitimement que _récréatif_ de _récréer_, _portatif_ de _porter_, etc. CONSOMMER, consumer: Et, quoi que l’on reproche au feu qui vous _consomme_. (_Dép. am._ III. 9.) --SE CONSOMMER DANS QUELQUE CHOSE: La vertu fait ses soins, et son cœur _s’y consomme_ Jusques à s’offenser des seuls regards d’un homme. (_Éc. des m._ II. 4.) On dit encore, au participe, _il est consommé dans son art_; on disait autrefois _se consommer dans_ un art, dans une science, dans la pratique de la vertu, etc., etc. Puisqu’_en raisonnements_ votre esprit _se consomme_. (_Éc. des fem._ V. 4.) _Dans l’amour du prochain_ sa vertu _se consomme_. (_Tart._ V. 5.) C’est-à-dire _éclate au plus haut degré_. Qui se donne à la cour se dérobe à son art; Un esprit partagé rarement _s’y consomme_, Et les emplois de feu demandent tout un homme. (_La Gloire du Val de Grâce._) La confusion entre _consommer_ et _consumer_ a été signalée par Vaugelas comme une faute, à la vérité commune chez de bons écrivains, mais enfin comme une faute. Ménage, sans en donner une bonne raison, n’a pas voulu se rendre à la décision de Vaugelas; mais l’Académie l’a adoptée, et le sens des racines commanderait en effet la distinction, si _consommer_ venait de _summa_, et _consumer_ de _sumere_. Je n’en crois rien: _consumere_ est la seule racine des deux formes. L’usage de prononcer le _um_ latin par _on_ (voyez MATRIMONION) a conduit tout d’abord à traduire _consumere_ par _consommer_. «Ceste qualité estouffe et _consomme_ les aultres qualités vrayes et essentielles.» (MONTAIGNE. III. 7.) Alors la forme _consumer_ n’existait pas; _consommer_ était seul; car il faut toujours se rappeler que notre langue a été soumise à deux systèmes de formation très-différents. _Consommer_ est le mot de première époque, et _consumer_ le mot de seconde époque. L’archaïsme luttait encore du temps de Molière. CONSTAMMENT, avec constance: Instruire ainsi les gens A porter _constamment_ de pareils accidents. (_Fem. sav._ V. 1.) CONSTITUER A, c’est-à-dire, préposer à....: Je vous _constitue_ pendant le souper _au gouvernement des bouteilles_. (_L’Av._ III. 1.) _CONSTRUCTIONS IRRÉGULIÈRES:_ Du meilleur de mon cœur _je donnerois_ sur l’heure Les vingt plus beaux louis de ce qui me demeure, _Et pouvoir_ à plaisir sur ce mufle asséner Le plus grand coup de poing qui se puisse donner! (_Tart._ V. 4.) La passion légitime qui trouble Orgon excuse le dérangement grammatical de sa phrase. On le comprend d’ailleurs très-bien. C’est comme s’il disait: _Je voudrois donner... et pouvoir_, etc... C’est bien la moindre chose que _je vous doive_, après _m’avoir sauvé la vie_. (_D. Juan._ III. 4.) Après que vous m’avez sauvé la vie;--mais l’autre façon est incomparablement plus rapide. .... _Qui_ pourra montrer une marque certaine D’avoir meilleure part au cœur de Célimène, _L’autre ici fera place_ au vainqueur prétendu, Et le délivrera d’un rival assidu. (_Mis._ III. 1.) C’est-à-dire: Si l’un de nous peut montrer..., l’autre lui fera place. Aussi ne trouverois-je aucun sujet de plainte, Si pour moi votre bouche avoit parlé sans feinte; _Et, rejetant mes vœux_ dès le premier abord, Mon cœur n’auroit eu droit de s’en plaindre qu’au sort. (_Mis._ IV. 3.) J’oserais blâmer cette construction, à cause de l’ambiguïté. _Rejetant mes vœux_ se rapporte à _votre bouche_; la construction grammaticale semble le rapporter à _mon cœur_, qui est le sujet de ce second membre de phrase. C’est prendre peu de part à mes cuisants soucis, Que de _rire, et me voir_ en l’état où je suis. (_Dép. am._ IV. 1.) Dans l’ordre naturel, l’action de voir a précédé celle de rire. Virgile a dit pareillement: _Moriamur, in arma ruamus._ Si l’on commençait par mourir, il ne serait plus temps ensuite de se jeter au milieu des ennemis. Les grammairiens, habiles à couvrir de beaux noms les fautes échappées aux grands poëtes, ont trouvé pour celle-là le terme imposant d’hystérologie, c’est-à-dire renversement de l’ordre, qui met devant ce qui devait être derrière. La faute de Virgile, en bonne foi, n’est pas justifiable; celle de Molière le serait peut-être davantage, en ce qu’on peut dire que l’action de rire et celle de voir sont simultanées. (Voyez PARTICIPE PRÉSENT.) CONSULTER, absolument et sans régime, comme _délibérer_: Le jour s’en va paroître, et je vais _consulter_ Comment dans ce malheur je dois me comporter. (_Éc. des fem._ V. 1.) Ah! faut-il _consulter_ dans un affront si rude! (_Amph._ III. 3.) Laissez-moi _consulter_ un peu si je le puis faire en conscience. (_Pourc._ II. 4.) --CONSULTER, verb. act.: _consulter quelque chose_: une maladie, un procès, c’est-à-dire, délibérer là-dessus: Si Lélie a pour lui l’amour et sa puissance, Andrès pour son partage a la reconnoissance, Qui ne souffrira point que mes pensers secrets _Consultent_ jamais _rien_ contre ses intérêts. (_L’Ét._ V. 12.) Il me semble Que l’on doit commencer par _consulter_ ensemble _Les choses_ qu’on peut faire en cet événement. (_Tart._ V. 1.) J’ai ici un ancien de mes amis, avec qui je serai bien aise de _consulter sa maladie_. (_Pourc._ I. 9.) Voici un habile homme, mon confrère, avec lequel je vais _consulter la manière_ dont nous vous traiterons. (_Ibid._ I. 11.) Je vous prie de me mener chez quelque avocat, pour _consulter mon affaire_. (_Ibid._ II. sc. 12.) CONTE; DONNER D’UN CONTE PAR LE NEZ. Voy. NEZ. CONTENTÉ DE (ÊTRE), être payé, récompensé de: Vous serez pleinement _contentés de vos soins_. (_Éc. des mar._ III. 5.) CONTENTEMENT, construit avec le verbe _être_: Elle dit que _ce n’est pas contentement_ pour elle que d’avoir cinquante-six ans. (_L’Av._ II. 7.) «Mais vivre sans plaider, _est-ce contentement_?» (_Les Plaid._ I. 7.) _Ce n’est pas contentement_ pour l’injure que j’ai reçue. (_Méd. m. l._ I. 4.) Ce n’est pas satisfaction pour l’injure que j’ai reçue. CONTESTE: La maison à présent, comme savez de reste, Au bon monsieur Tartufe appartient sans _conteste_. (_Tart._ V. 4.) _Conteste_ est le substantif de _contester_, dont la forme primitive est _contrester_ (_contra stare_). Les Italiens disent _contrastar_, et nous avons formé, à une époque relativement récente, _contraste_, qui est au fond le même mot que _conteste_. On a oublié la loi qui changeait l’_a_ des Latins en _e_ français: «Li marescaus de nostre ost esgarda devant un casal, et pierchut la gent Barile qui venoient huant et glatissant, et menant li grand tempieste, que bien cuidoient _contrester_ à nos fourriers.» (VILLEHARDHOIN, p. 178, éd. de Mr Paris.) Nicot écrit _contr’ester_, et cite pour exemple cette phrase:--«Onc n’avoit trouvé homme qui luy peust _contr’ester_ en champ de bataille Guy de Warwich.» M. B. Lafaye fait cette distinction chimérique:--«Le _conteste_ est une simple difficulté; la _contestation_ en est la manifestation.» (Synon., p. 391). L’un est le mot ancien, et l’autre le moderne: le sens est identique. CONTRADICTOIRE A: Ho, ho! qui des deux croire? Ce discours _au premier_ est fort _contradictoire_. (_L’Ét._ I. 4) CONTRAIRE PARTI: ... Il se venge hautement en prenant le _contraire parti_. (_Crit. de L’Éc. des fem._ 6.) Corneille avait dit, dans _Cinna_: «Et l’inclination n’a jamais démenti Le sang qui t’avoit fait du _contraire parti_.» (V. 1.) La prose de Molière nous montre que la locution était ainsi faite, et non _parti contraire_. «Et chacun s’est rangé du _contraire parti_.» (REGNIER. sat. 17.) CONTRARIÉTÉS, taquineries par représailles: Laissons ces _contrariétés_, Et demeurons ce que nous sommes. (_Amph._ Prol.) Il faut noter dans ce mot un exemple de la substitution des liquides _l_ et _r_. Les racines sont _contra_ et _alium_; la forme primitive du verbe était _contralier_.--Dans Partonopeus: «Ce sont clergastes qui en mesdient (des femmes), «Qui lor meschines _contralient_. «Ils sont vilains, et eles foles. (V. 5489.) «Grant pechie fait qui _contralie_ «Dame qui est d’amors marrie. (V. 6660.) «Ahi mon! com ies desdaignouse! «Ahi! com ies _contraliouse_! (V. 5423.) Nous disons _armoire_ (d’_armarium_, racine, _arma_), et nous avons raison; nos aïeux écrivaient _almarie_, _almoire_, qu’ils prononçaient par _au_, _aumarie_, _aumoire_. (Voyez les _Rois_, _passim_.) C’était l’inverse de la faute que nous commettons en disant _contrarier_, pour _contralier_. CONTREFAISEUR DE GENS: Point de quartier à ce _contrefaiseur de gens_. (_Impromptu._ 3.) CONTREFAIT, simulé; UN ZÈLE CONTREFAIT: .... Attraper les hommes avec _un zèle contrefait_ et une charité sophistiquée. (1er _Placet au Roi_.) CONVULSIONS DE CIVILITÉS: Et, tandis que tous deux étoient précipités Dans les _convulsions de leurs civilités_.... (_Fâcheux._ I. 1.) COQUIN ASSURÉ, effronté coquin: Que me vient donc conter cet _assuré coquin_? (_Dép. am._ III. 8.) Marot, dans son _Épistre au Roi_, _pour avoir esté desrobé_: «J’avois un jour ung valet de Gascogne, «Gourmand, yvrogne, et _assuré menteur_.» CORDE: SI LA CORDE NE ROMPT, formule empruntée au métier du danseur de corde: Nous allons voir beau jeu, _si la corde ne rompt_. (_L’Ét._ III. 10.) CORRESPONDANCE; DE LA CORRESPONDANCE, du retour: Quoi! écouter impudemment l’amour d’un damoiseau, et y promettre en même temps _de la correspondance_! (_G. D._ I. 3.) On dit bien, dans ce sens, _correspondre à l’amour de quelqu’un_; pourquoi pas _correspondance à l’amour_? COTE DE SAINT LOUIS; ÊTRE DE LA CÔTE DE SAINT LOUIS, d’une antique noblesse: Est-ce que nous sommes, nous autres, _de la côte de saint Louis_? (_B. gent._ III. 12.) Comme Ève était de la côte d’Adam. COUCHER DE, mettre au jeu; figurément: Tu _couches d’imposture_, et tu m’en as donné. (_L’Ét._ I. 10.) _Coucher de_ signifie être au jeu pour une somme de: «parce qu’en effet on _couche_, on étend l’argent sur une table, sur une carte..... On le dit figurément des paroles: Ce garçon ne demande pas moins qu’une fille de 100,000 écus; il _couche_ trop gros.--Il ne _couche_ pas moins que de faire employer pour lui toutes les puissances.......» (TRÉVOUX.) «Vous _couchez d’imposture_, et vous osez jurer!» (CORN. _Le Ment._) «J’aurai mille beaux mots chaque jour à te dire; «Je _coucherai de feux, de sanglots, de martyre_.» (Id. _La suite du Menteur._) Sur quoi Voltaire remarque qu’on disait, en termes de jeu, _couché de 20 pistoles_, _de 30 pistoles_; _couché belle_. Les éditions modernes ont _tu payes_. Ce n’était pas la peine de changer, pour prêter à Molière une faute de versification. COULEUR, métaphoriquement, faux prétexte, mensonge: _Sous couleur_ de changer de l’or que l’on doutoit. (_Étourdi._ II. 7.) (Voyez DOUTER.) Ils ont l’art de _donner de belles couleurs à toutes leurs intentions_. (2me _Placet au Roi_.) Molière a dit, par la même métaphore, _excuses colorées_. Vous nous payez ici d’_excuses colorées_. (_Tart._ IV. 1.) «Des peuples surprins _soubs couleur_ d’amitié et de bonne foy.» (MONTAIGNE. III. 6.) Cette métaphore est restée en usage parmi le peuple: C’est _une couleur_; on lui a donné _une couleur_. «Au reste, leurs injustices (des Romains) étoient d’autant plus dangereuses, qu’ils savoient mieux les couvrir du prétexte spécieux de l’équité, et qu’ils mettoient sous le joug insensiblement les rois et les nations, _sous couleur_ de les protéger et de les défendre.» (BOSSUET. _Hist. univ._, IIIe p.) --COULEUR DE FEU, subst. masc.; UN COULEUR DE FEU: Je vous trouve les lèvres _d’un couleur de feu surprenant_. (_Impromptu._ 3.) _Couleur de feu_ est ici un terme composé, dans lequel le mot _couleur_, pas plus que le mot _feu_, ne fait prédominer son genre. L’ensemble est au neutre, dont, en français, la forme ne se distingue pas de celle du masculin. COUPER A, couper court à: Tout cela va le mieux du monde; Mais enfin _coupons aux discours_. (_Amph._ III. 11.) --COUPER CHEMIN A: _A tous nos démêlés coupons chemin_, de grâce. (_Mis._ II. 1.) COURIR A, recourir: Et je suis en suspens si, pour me l’acquérir, _Aux extrêmes moyens_ je ne dois point _courir_. (_L’Ét._ III. 2.) COURAGE, non pas dans le sens restreint de _valeur_, mais dans le sens large du latin _animus_, disposition morale qu’une épithète détermine en bien ou en mal: O la lâche personne!--ô _le foible courage_! (_Dép. am._ IV. 4.) COURRE; COURRE UN LIÈVRE: Quand il vous plaira, je vous donnerai le divertissement de _courre un lièvre_. (_G. D._ I. 8.) C’est la forme primitive dérivée de _currere_, comme _ponre_ (_pondre_) de _ponere_. Il est demeuré comme terme de chasse. Des vocabulaires techniques seraient de précieux répertoires de notre vieille langue. COURT, pris adverbialement: Et moi, pour _trancher court_ toute cette dispute.... (_Fem. sav._ V. 3.) --DEMEURER COURT A QUELQUE CHOSE: N’as-tu point de honte, toi, de _demeurer court à si peu de chose_? (_Scapin._ I. 2.) --COURT, adjectif; COURT DE, pour à court de....: Et que tu t’es acquise (la gloire) en tant d’occasions, A ne t’être jamais vu _court d’inventions_. (_L’Ét._ III. 1.) Sur l’emploi de _à_ dans ce passage, voyez: A, par le moyen de. --COURT JOINTÉ (court est ici adverbe), terme de manége; cheval court jointé, comme celui du chasseur dans les _Fâcheux_: Point d’épaules non plus qu’un lièvre; _court jointé_. (_Fâcheux._ II. 7.) «_Court jointé_, c’est le nom qu’on donne au cheval qui a le paturon court, qui a les jambes droites depuis le genou, jusqu’à la couronne.» (TRÉVOUX.) COUSU DE PISTOLES: On viendra me couper la gorge, dans la pensée que je suis _tout cousu de pistoles_! (_L’Av._ I. 5.) La Fontaine: «Son voisin, au contraire, étoit _tout cousu d’or_.» (_Le Savetier et le Financier._) COUVRIR, au figuré, excuser, autoriser, dissimuler: Ciel, faut-il que le rang dont on veut tout _couvrir_, De cent sots tous les jours nous oblige à souffrir! (_Fâcheux_, I. 6.) Je veux changer de batterie, _couvrir le zèle que j’ai pour vous_, et feindre d’entrer, etc. (_Mal. im._ I. 10.) «Nostre religion est faite pour extirper les vices: elle les _couvre_, les nourrit, les incite.» (MONTAIGNE.) CRACHÉ, TOUT CRACHÉ, c’est-à-dire _ressemblant_: LUCAS. Le v’là _tout craché_ comme on nous l’a défiguré. (_Méd. m. l._ I. 6.) Cette métaphore, aujourd’hui reléguée parmi le bas peuple, était, au XVIe siècle, du langage ordinaire. Pathelin, qui, comme avocat, s’exprime toujours bien, l’emploie sans difficulté. Il loue le drapier, monsieur Jousseaume, de ressembler à défunt son père: «Vrayment c’estes vous tout poché. Car quoy? qui vous auroit _craché_ Tous deux encontre la paroy D’une maniere et d’un arroy, Si seriez vous sans difference.» Plus loin, faisant à sa femme le récit de cette scène: «Et puis, fais-je, saincte Marie! Comment prestoit il doucement Ses denrées si humblement? _C’estes_, fais-je, _vous tout craché_.» (_Pathelin._) Observez que nos pères disaient _c’êtes vous_, et non _c’est vous_. Ils gardaient au moins l’accord des personnes, en quoi ils se montrent meilleurs logiciens que leur postérité. CRAINTE, adverbialement; CRAINTE DE....: _Crainte_ pourtant _de sinistre aventure_, Allons chez nous achever l’entretien. (_Amph._ I. 2.) Pascal emploie de la même façon _manque_: «_Manque de loisir_; _manque_ d’avoir contemplé ces infinis.» (PASC. _Pensées_, p. 367, 120, 124.) Et l’usage commun a consacré _faute de...._, c’est-à-dire _de_ ou _par crainte_, _manque_, _faute_. Le peuple dit _peur de...._ Le caprice de l’usage n’a point admis cette expression. CRAYON, un dessin, une esquisse: Ce n’est ici qu’un simple _crayon_, un petit impromptu, dont le roi a voulu faire un divertissement. (_Préf. de l’Amour médecin._) CRÉDIT, PRENDRE CRÉDIT SUR: Et voir si ce n’est point une vaine chimère Qui _sur ses sens troublés_ ait su _prendre crédit_. (_Amph._ III. 1.) CRIER QUELQU’UN, LE GRONDER: Tu ne me diras plus, toi qui toujours _me cries_, Que je gâte en brouillon toutes tes fourberies. (_L’Ét._ II. 14) Pourquoi _me criez-vous_?--J’ai grand tort, en effet! (_Éc. des fem._ V. 4.) Cet archaïsme rappelle le petit pays où Agnès a été élevée _loin de toute pratique_, comme dit Arnolphe. --CRIER APRÈS QUELQU’UN: ... de zèles indiscrets qui... _crieront_ en public _après eux_, qui les accableront d’injures. (_D. Juan._ V. 2.) Ses plus célèbres philosophes (de l’antiquité) ont donné des louanges à la comédie, eux qui.... _crioient_ sans cesse _après les vices de leur siècle_. (_Préf. de Tartufe._) --CRIER VENGEANCE AU CIEL: Voilà qui _crie_ vengeance _au ciel_. (_L’Av._ I. 5.) CRINS-CRINS, de méchants violons, par onomatopée: Monsieur, ce sont des masques, Qui portent des _crins-crins_ et des tambours de basques. (_Fâcheux_, III. 5.) CROIRE, actif; CROIRE QUELQUE CHOSE, croire à quelque chose: Un Turc, un hérétique, qui _ne croit ni ciel, ni saint, ni Dieu, ni loup-garou_...... (_D. Juan._ I. 1.) Mais encore faut-il _croire quelque chose_ dans le monde. _Qu’est-ce donc que vous croyez?_ (_Ibid._ II. 1.) Molière emploie _croire quelque chose_ et _croire à quelque chose_: Un homme qui _croit à ses règles_ plus qu’_à_ toutes les démonstrations des mathématiques. (_Mal. im._ III. 3.) --CROIRE A QUELQU’UN: Allez, _ne croyez point à monsieur votre père_. (_Tart._ II. 2.) _A qui croire_ des deux? (_Am. méd._ II. 5.) Et, au contraire, dans l’_Étourdi_: Oh! oh! _qui_ des deux _croire_? Ce discours au premier est fort contradictoire. (_L’Ét._ I. 4.) --CROIRE DU CRIME A QUELQUE CHOSE: Un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui _croiroit du crime à les vouloir examiner_. (_Mal. im._ III. 3.) Qui croiroit qu’il y a du crime. La forme elliptique de Molière est cent fois préférable. CUL-DE-COUVENT, comme _cul-de-basse-fosse_, _cul-de-sac_, c’est-à-dire sac, fosse, et couvent sans issue par l’extrémité opposée à l’entrée: Vous rebutez mes vœux et me poussez à bout; Mais un _cul-de-couvent_ me vengera de tout! (_Éc. des fem._ V. 4.) Voltaire a beaucoup raillé cette expression, _cul-de-sac_: la métaphore peut manquer de noblesse (quoique, après tout, l’habitude efface le relief de ces locutions), mais elle ne manque pas de justesse, puisque le sac se tient assis sur son fond, et qu’une personne obstinée à traverser une impasse n’en viendrait non plus à bout qu’une obstinée à sortir d’un sac par le fond. _Cul-de-couvent_ est par analogie. Ce terme énergique est arraché à Arnolphe par la fureur. On voit qu’il est, comme au reste il le dit lui-même, poussé à bout. CURIOSITÉS au pluriel, dans la même acception qu’au singulier: Pour les nouveautés On peut avoir parfois _des curiosités_. (_Éc. des mar._ I. 5.) La faiblesse humaine est d’avoir _Des curiosités_ d’apprendre Ce qu’on ne voudroit pas savoir. (_Amph._ II. 3.) Molière, en ce passage, s’est rencontré avec un poëte du XIIIe siècle, Gibert de Montreuil, qui introduit Gérard de Nevers chantant, dans un couplet: «Si s’en doit on bien garder D’enquerre par jalousie Chou qu’on ne vouroit trouver.» (_La Violette_, p. 68.) _D_ EUPHONIQUE: Il porte une jaquette à grands basques plissées, Avec _du dor dessus_. (_Mis._ II. 6.) Il a _du dor_ à son habit tout depis le haut jusqu’en bas. (_D. Juan._ II. 1.) Dans l’origine du langage, tous les mots étaient armés d’une consonne finale, pour préserver la voyelle précédente du choc et de l’élision contre une voyelle initiale du mot suivant. Quelquefois cette voyelle est demeurée attachée au commencement du mot auquel elle n’appartenait pas. Ainsi le substantif _or_ avait fait le verbe _orer_, comme _argent_, _argenter_; mais, par suite de quelque locution, comme _c’est oré_, on aura écrit _c’est doré_, et le mot _dorer_ est resté. _Ma(t) ante_ (_mea amita_) est, par la même façon, devenu _ma tante_. (Voyez au mot D’AUCUNS). Le _d_ euphonique jouait un grand rôle dans l’ancienne prononciation; on le trouve écrit à chaque page du _Livre des Rois_, de la _Chanson de Roland_, des _Sermons de saint Bernard_, etc. «Cument Semeï ki maldist nostre seignur le rei _escaperad il_ de mort?» (_Rois_, p. 193.) Nous écrivons aujourd’hui entre deux tirets _échappera-t-il_; il est certain cependant que ce _t_ final appartient au verbe, dont il caractérise la troisième personne. «Il y en a _d’aucunes_ qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents.» (_Mal. imag._ II. 7.) Le _d_ appartient au verbe: _il y en ad_, comme dans ce vers du Roland: «En l’oret punt i _ad_ asez reliques.» «Dans la poignée dorée de Durandal il y a beaucoup de reliques.» Il serait donc mieux d’imprimer _avec dud or_..... _Il y en ad aucunes._ Mais comme le sens des traditions se perd souvent, on a cru que ce _d_ était l’initiale du second mot, et on l’a si bien cru, que l’usage s’en est établi, et que l’Académie le ratifie en permettant de commencer une phrase par _d’aucuns_: _d’aucuns_ ont dit, _d’aucuns_ ont pensé..... _d’aucuns_ croiront que j’en suis amoureux..... On voit ici l’origine de cette méprise. C’est justement comme si l’on disait un jour: Mes souliers sont _pétroits_, sous prétexte qu’on fait sonner le _p_ dans _trop étroits_. (Voyez sur le D euphonique: _Des Variations du langage français_, p. 92 et 339). D’ABORD QUE: Je n’en ai point douté _d’abord que_ je l’ai vue. (_Éc. des fem._ V. 9.) DADAIS. Voy. MALITORNE. DAME! exclamation: _Oh! dame_, interrompez-moi donc!... (_D. Juan._ III. 1.) _Dame_ est la traduction primitive de _dominum_, par syncope _domnum_, et, par une prononciation altérée, _damne_, _dame_, _damp_. Ce mot s’appliquait au masculin: «_Il_ est _sire et dame_ du nostre.» (BARBAZAN, _Fabliaux_. III, p. 44.) _Dame Dieu_, _damp abbé_. «Respond Roland: ne place _dame Deu_...» (_Ch. de Roland_, _passim_.) _Dam-Martin_, _damp-Pierre_, et autres noms propres, déposent encore du sens et de l’étymologie de _dame_. Ainsi, cette exclamation signifie simplement _Seigneur!_ DANS pour _à_: N’allez point pousser les choses _dans_ les dernières violences du pouvoir paternel. (_L’Av._ V. 4.) Ne l’examinons point _dans_ la grande rigueur. (_Mis._ I. 1.) --DESCENDRE DANS DES HUMILITÉS: Non, ne _descendez point dans ces humilités_. (_Mélicerte._ I. 5.) --S’INTÉRESSER DANS QUELQUE CHOSE: Et _dans l’événement_ mon âme _s’intéresse_. (_Éc. des fem._ III. 4.) --DANS L’ABORD, au commencement, dès l’abord: Elle m’a _dans l’abord_ servi de bonne sorte. (_Ibid._ III. 4.) --DANS LA DOUCEUR, en douceur: Pour moi, je ne le cèle point, je souhaite fort que les choses aillent _dans la douceur_. (_D. Juan._ V. 3.) --DANS UNE HUMEUR (ÊTRE): Vous êtes aujourd’hui _dans une humeur_ désobligeante. (_Sicilien._ 7.) --ASSASSINER QUELQU’UN DANS SON BIEN, SON HONNEUR: On _m’assassine dans le bien_, on _m’assassine dans l’honneur_. (_L’Av._ V. 5.) --COMPRENDRE QUELQU’UN DANS SES CHAGRINS: _Dans vos_ brusques _chagrins_ je ne puis _vous comprendre_. (_Mis._ I. 1.) _DATIF, de perte ou de profit_: A qui la bourse?--Ah, dieux, elle _m’_étoit tombée! (_L’Av._ I. 7.) _Exciderat mihi._ Rien ne _me_ peut _chasser_ cette image cruelle. (_Psyché._ I. 1.) Je veux jusqu’au trépas incessamment pleurer Ce que tout l’univers ne peut _me réparer_. (_Ibid._ II. 1.) _Me chasser_, _me réparer_, pour _chasser_, _réparer à moi_, _à mon bénéfice_, ne sont pas conformes à l’usage et ne paraissent pas désirables, à cause de l’équivoque qui peut en résulter. Vous ne voulez pas, vous, _me_ la faire sortir? (_Fem. sav._ II. 6.) --DEUX PRONOMS AU DATIF placés consécutivement: Allons, monsieur, faites le dû de votre charge, et _dressez-lui-moi_ son procès comme larron et comme suborneur. (_L’Av._ V. 4.) --DATIF marquant la cause, l’occasion: Un scrupule me gêne _Aux tendres sentiments_ que vous me faites voir. (_Amph._ I. 3.) Dans les tendres sentiments, à l’occasion des tendres sentiments. L’emploi du datif ou de l’ablatif, car c’est tout un, pour exprimer ce qu’on rend aujourd’hui avec la préposition _dans_, est un latinisme qui remonte à l’origine de la langue. Je me contenterai de deux exemples pris chez Montaigne: «De toutes les absurdités, la plus absurde _aux epicuriens_ est desadvouer la force et l’effet des sens.» (_Essais._ II. ch. 12.) «C’est à l’adventure quelque sens particulier qui.... advertit les poulets de la qualité hostile qui est _au chat_ contre eux.» (_Ibid._ II. ch. 1.) _Absurdum est epicureis;--inest feli._ Cette tournure, qui va se perdant chaque jour, était encore en pleine vigueur du temps de Molière. (Voyez AU, AUX, pour _dans_). --DATIF REDOUBLÉ, ou non redoublé: Non redoublé: Il vient avec mon père achever ma ruine, Et _c’est sa fille unique à qui_ l’on me destine. (_Éc. des fem._ V. 6.) Redoublé: Que de son cuisinier il s’est fait un mérite, Et que _c’est à sa table à qui_ l’on rend visite. (_Mis._ III.) (Voyez A, _datif redoublé surabondamment_.) DAUBER QUELQU’UN, QUELQUE CHOSE, au figuré: Je _les dauberai_ tant en toutes rencontres, qu’à la fin ils se rendront sages. (_Crit. de L’Éc. des fem._ 6.) On m’a dit qu’on va le _dauber, lui et toutes ses comédies_, de la belle manière. (_Impromptu._ 3.) «_Daube_ au coucher du roi Son camarade absent.» (LA FONT. _Les Obsèques de la lionne._) --DAUBER SUR QUELQU’UN: Comme _sur les maris_ accusés de souffrance Votre langue en tout temps a _daubé_ d’importance. (_Éc. des fem._ I. 1.) D’AUCUNS, D’AUCUNES: _Il y en a d’aucunes_ qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents. (_Mal. im._ II. 7.) Cette façon de parler n’est explicable que comme un reste de l’ancien langage français, et par le _d_ euphonique. L’écriture a mal figuré l’expression en attachant le _d_ à aucuns; c’est au verbe qu’il appartient: il y en a_d_ aucunes. Ensuite de cette méprise, dont l’œil seulement, et non l’oreille, pouvait s’apercevoir, s’est établi l’usage de commencer une phrase par _d’aucuns_: _d’aucuns ont pensé..._ (Voyez D _euphonique_, et DE devant _certains_.) DAVANTAGE QUE: Oui, vous ne pourriez pas lui dire _davantage Que_ ce que je lui dis pour le faire être sage. (_L’Ét._ I. 9.) JACQUELINE. Pour un quarquié de vaigne qu’il avoit _davantage que_ le jeune Robin. (_Méd. m. lui._ II. 2.) Il n’y a rien assurément qui chatouille _davantage que_ les approbations que vous dites. (_B. gent._ I. 1.) Tous les grammairiens condamnent hautement cette façon de parler; et tous nos plus habiles écrivains l’ont employée: Amyot, la Bruyère, Sarrasin, Molière, Bouhours, Bossuet, J. J. Rousseau. (_Des variations du langage français_, p. 425.) Le substantif _avantage_ se construit avec _sur_. _Davantage_ (_de_ ou _par avantage_) marque une comparaison, et se construit comme _plus_, avec la marque du comparatif _que_. L’idée de l’adjectif au comparatif prévaut sur la forme du substantif. Dire, comme font les grammairiens, que _davantage_ est adverbe, par conséquent incapable d’un régime, c’est ne rien dire; c’est mettre en fait le point en question. Au reste, deux autorités sont en présence, on n’a qu’à choisir. «La foiblesse de l’homme paroît bien _davantage_ en ceux qui ne la connoissent pas _qu’_en ceux qui la connoissent.» (PASCAL. _Pensées._) «Il est impossible que cette surprise ne fasse rire, parce que rien n’y porte _davantage qu’_une disproportion surprenante entre ce qu’on attend et ce qu’on voit.» (_Id._ 11e _Prov._) «Je puis dire devant Dieu qu’il n’y a rien que je déteste _davantage que_ de blesser la vérité.» (PASCAL, _Ibidem_.) «L’une en prisant _davantage_ le temporel _que_ le spirituel.» (_Id._ 12e _Prov._) «Voulez-vous être rare? Rendez service à ceux qui dépendent de vous. Vous le serez _davantage_ par cette conduite _que_ par ne pas vous laisser voir.» (LA BRUYÈRE. _Des biens de la fortune._) «Quel astre brille _davantage_ dans le firmament _que_ le prince de Condé n’a fait en Europe?» (BOSSUET.) «Une tuile qui tombe d’un toit peut nous blesser _davantage_, mais ne nous navre pas tant _que_ une pierre lancée à dessein par une main malveillante.» (_J. J. Rousseau._ 8e _Promenade_.) Mais voici l’oracle qui abat toutes autorités: «_Davantage_ NE PEUT PAS être suivi d’un complément, comme dans: J’aime _davantage_ la campagne _que_ la ville. Il faut, dans ce cas, employer l’adverbe _plus_.» (M. BONIFACE.) _Il faut_, paraît bien dur en présence de telles autorités! DE, dans tous les sens du latin _de_, touchant, par, à cause de, pour: Ne me condamnez point _d’un_ deuil hors de saison. (_Sgan._ 16.) Noli damnare me _de_ luctu. Il me faudroit des journées entières pour me bien expliquer à vous _de_ tout ce que je sens. (_G. D._ III. 5.) Mais je hais vos messieurs _de_ leurs honteux délais. (_Amph._ III. 8.) Ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et _dont_ je sens fort bien que je ne pourrai me taire quelque jour. (_Ép. dédic. de l’Éc. des fem._) «Romains, j’aime la gloire, et ne veux point _m’en taire_.» (VOLTAIRE. _Rome sauvée._) _Silere de aliqua re._ Molière dit de même;--_se découvrir de_ quelque chose;--_désavouer de_ quelque chose;--_éluder de_... (Voyez ces mots.) Hélas! si l’on n’aimoit pas, _Que seroit-ce de la vie_? (_Pourc._ III. 10.) _Quid esset de vita?_ «J’ai veu un gentilhomme de bonne maison aveugle nay, au moins aveugle de tel aage qu’il ne sçait _que c’est de veue_.» (MONTAIGNE. II. ch. 12.) Mille gens le sont bien[47], sans vous faire bravade, Qui _de_ mine, _de_ cœur, _de_ biens et _de_ maison, Ne feroient avec vous nulle comparaison. (_Éc. des fem._ IV. 8.) [47] Cocus. _De_ n’est pas ici marque du génitif: _comparaison de mine_, _de cœur_, _etc._; c’est le latin _de_, comme dans ces formules _de moi_, _de soi_, pour _quant à moi_, _quant à soi_; et dans celles-ci, _de l’Allemagne_;--_de la prière_;--_de la grâce_;--_de l’amitié_. Comparaison _quant_ à la mine, au cœur, etc. Le même emploi de _de_ paraît dans cet autre passage: Agnès, dit Horace, N’a plus voulu songer à retourner chez soi, Et _de_ tout son destin s’est _commise_ à ma foi. (_Éc. des fem._ IV. 8.) C’est un pur latinisme:--Confidere alicui _de_ aliqua re.--Et ce latinisme remonte à l’origine de la langue: «E tut li poples oïd cume li Reis fist sun cumandement _de_ Absalon.» (_Rois_, p. 186.) _De_ remplit encore l’office du _de_ latin dans cette locution _de rien_; cela ne sert _de rien_: .... se dépouiller de l’un et de l’autre (sa fille et sa fortune) entre les mains d’un homme qui ne nous touche _de rien_. (_Amour méd._ I. 5.) C’est-à-dire en rien; _de (nulla) re_; _de nihilo_, _nullatenus_. --DE exprimant la cause, la manière, et répondant à _par_, _avec_, _pour_: Mais suis-je pas bien fou, de vouloir raisonner Où, _de droit absolu_, j’ai pouvoir d’ordonner? (_Sgan._ I.) Après quelques paroles _dont_ je tâchai d’adoucir la douleur de cette charmante affligée. (_Scapin._ I. 2.) C’est une dame Qui _de_ quelque espérance avoit flatté mon âme. (_Mis._ I. 2.) Nous faisons maintenant la médecine _d’une_ façon toute nouvelle. (_Méd. m. lui._ II. 6.) Et tâchons d’ébranler, _de force_ ou _d’industrie_, Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés. (_Tart._ IV. 2.) On dit tous les jours, par la même tournure, _de gré ou de force_; c’est-à-dire, par gré ou par force. Vous les voulez _traiter d’un semblable langage_? (_Tart._ I. 6.) Et, _traitant de mépris_ les sens et la matière, A l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière. (_Fem. sav._ I. 1.) Et _traitent du même air_ l’honnête homme et le fat. (_Mis._ I. 1.) Avec mépris, avec le même air, le même langage. Je ne vois pas d’autre explication possible à cette locution, _traiter du haut en bas_, qu’en traduisant _du_ par _avec_: _avec le haut en bas_, en mettant en bas ce qui est en haut; c’est-à-dire, en renversant, bouleversant cette personne, en lui mettant la tête aux pieds. Quel sort ont nos yeux en partage, Et qu’est-ce qu’ils ont fait aux dieux, _De_ ne jouir d’aucun hommage.... (_Psyché._ I. 1.) _Pour_ s’emploie plus communément à cet usage: Qu’ont-ils fait _pour_ ne jouir d’aucun hommage? --DE, entre deux verbes, le second à l’infinitif: _Je croyois_ tout perdu _de crier_ de la sorte. (_Sgan._ 3.) Et je _le donnerois_ à bien d’autres qu’à moi, _De se voir_ sans chagrin au point où je me voi. (_Ibid._ 16.) Ah! voilà qui _me plaît de parler_ de la sorte! (_Ibid._ 18.) _Ai-je fait_ quelque mal _de_ coucher avec vous? (_Amph._ II. 2.) Il n’est aucune horreur que mon forfait _ne passe D’avoir_ offensé vos beaux yeux. (_Ibid._ II. 6.) Dans ce dernier passage, on pourrait peut-être construire _de_ avec _forfait_: le forfait d’avoir offensé vos beaux yeux. Ils _se mêlent_ de trop d’affaires, _De prétendre_ tenir nos chastes feux gênés. (_Amph._ II. 3) Est-ce pour rire, ou si tous deux _vous extravaguez, de vouloir_ que je sois médecin? (_Méd. m. lui._ I. 6.) --DE, _entre deux substantifs_, où il ne marque pas le génitif du second, mais en fait la qualification du premier: Réglez-vous, regardez _l’honnête homme de père_ Que vous avez du ciel. (_L’Ét._ I. 9.) D’Olivet essaye d’expliquer le tour par un latinisme, parce que Plaute a dit: _Scelus viri, monstrum mulieris._ Vaugelas trouve ce _de_ «bien étrange, mais bien françois.» «Et puis, à l’aide d’une échelle «Qu’un _maraud de valet_ lui tint.» (VERGIER. _Le Rossignol._) «_Un saint homme de chat_, bien fourré, gros et gras.» (LA FONT. _Fables._ VII. 16.) --DE, représentant _que le_: C’est un étrange fait _du_ soin que vous prenez A me venir toujours jeter mon âge au nez. (_Éc. des mar._ I. 1.) Chose étrange _d’_aimer! (_Éc. des fem._ V. 4.) Chose étrange _que le_ soin... _que_ l’aimer! l’infinitif pris substantivement. _Chose étrange de voir_ comme avec passion Un chacun est coiffé de son opinion! (_Éc. des fem._ I. 1.) La construction grammaticale est: la chose d’aimer,... la chose de voir,... le fait du soin... est étrange. Les infinitifs _voir_, _aimer_, sont ici de véritables substantifs; et cette façon d’employer _de_ rentre dans l’article précédent, où l’on voit _de_ entre deux substantifs, servant à qualifier le premier par le second. (Voyez DU.) --DE, remplaçant _à_ entre deux verbes: La crainte fait en moi l’office du zèle..., et me _réduit d’applaudir_ bien souvent à ce que mon âme déteste. (_D. J._ I. 1.) Ah! _je vous apprendrai de me traiter_ ainsi! (_Amph._ III. 4.) Molière prend cette tournure pour fuir l’hiatus: me réduit _à app_laudir.--Je vous _apprendrai à_... Il dit de même _commencer de_... _obliger de_... _chercher de_. (Voyez ces mots.) Une galère turque où on les avoit _invités d’entrer_. (_Scapin._ III. 3.) Cet amas d’actions indignes dont on a peine _d’adoucir_ le mauvais visage. (_D. J._ IV. 6.) _Peine à adoucir_ serait insupportable. «Il exhorta le poëte _de_ ne plus faire de vers la nuit.» (SCARRON. _Rom. com._, 1re part., ch. 12.) Le XVIIe siècle employait sans difficulté _de_ pour _à_, comme aussi _devant_ pour _avant_. Voyez CHERCHER DE,--COMMENCER DE,--CONCLURE DE,--FEINDRE DE et FEINDRE A. --DE, et non _des_, devant un adjectif que l’on traite aujourd’hui comme incorporé au substantif: Et dans tous ses propos On voit qu’il se travaille à dire _de bons mots_. (_Mis._ II. 5.) On dirait aujourd’hui, sans scrupule, _des bons mots_.--_Bon mot_ n’étant considéré que pour un substantif, comme _jeune homme_. --DE, entre deux substantifs, marquant le sens actif du premier sur le second: Chez les Latins, _amor patris_ signifiait aussi bien la tendresse du père au fils que celle du fils au père; c’était au reste de la phrase à déterminer l’acception active ou passive. Molière a dit de même, _la contrainte des parents_, pour exprimer, non la contrainte qu’ils subissent, mais celle qu’ils imposent: Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de _la contrainte de leurs parents_. (_Mal. im._ II. 7.) (Voyez aux mots CHOIX, CHOSE, HYMEN.) --DE; _supprimé_ après _aimer mieux...._ suivi d’un infinitif: Et j’ai bien _mieux aimé_ me voir aux mains d’un autre, _Que ne pas mériter_ un cœur comme le vôtre. (_Éc. des mar._ III. 10.) _J’aimerois mieux_ mourir _que la voir_ abusée. (_Éc. des fem._ V. 2) --Après _à moins que_, suivi d’un infinitif: Et l’on ne doit jamais souffrir, sans dire un mot, De semblables affronts, _à moins qu’être_ un vrai sot. (_Sgan._ 17.) --Après _avant que_, suivi d’un infinitif: Laisse-m’en rire encore _avant que te le dire_. (_L’Ét._ II. 13.) Mais _avant que passer_, Frosine, à ce discours.... (_Dép. am._ II. 1.) J’ai voulu qu’il sortît _avant que vous parler_. (_Fâcheux._ III. 3.) _Avant que nous lier_, il faut nous mieux connoître. (_Mis._ I. 2.) Pour la forme, il faudra, s’il vous plaît, qu’on m’apporte, _Avant que se coucher_, les clefs de votre porte. (_Tart._ V. 4.) --Après _plutôt que_, suivi d’un infinitif: ................................................... Que son cœur tout à moi d’un tel projet s’offense, Qu’elle mourroit _plutôt qu’en souffrir l’insolence_. (_Éc. des mar._ II. 13.) Cela paraît une concession à la mesure, car ailleurs Molière exprime le _de_: Sinon faites état de m’arracher le jour, _Plutôt que de m’ôter_ l’objet de mon amour. (_Éc. des mar._ III. 8.) --Après _valoir mieux que_, suivi d’un infinitif: _Il vaut mieux_, quand on craint ces malheurs éclatants, En mourir tout d’un coup _que traîner_ si longtemps. (_Mélicerte._ II. 5.) --Après _quelque chose_: Je crains fort pour mon fait _quelque chose approchant_. (_Amph._ II. 1.) --Dans cette locution, _rien de tel_: Il n’est _rien tel_ en ce monde que de se contenter. (_D. J._ I. 2.) «Il n’est _rien tel_ que les jésuites.» (PASCAL. 3e _Prov._) --Après _vous plaît-il_, suivi d’un infinitif: _Vous plaît-il_, don Juan, _nous éclaircir_ ces beaux mystères. (_D. J._ I. 3.) --DE, _surabondant_, après _valoir mieux_: Il leur _vaudroit bien mieux_, les pauvres animaux, _de_ travailler beaucoup et _de_ manger de même. (_L’Av._ III. 5.) _Il vaut bien mieux_ pour vous _de_ prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. (_Ibid._ III. 8.) _Il me vaudroit bien mieux d’être_ au diable que d’être à lui. (_D. J._ I. 1.) Après _prétendre_: C’est en vain que tu _prétendrois de_ me le déguiser. (_Ibid._ V. 3.) --Surabondant avec _dont_ et _en_: Ce n’est pas _de_ ces sortes de respects _dont_ je vous parle. (_G. D._ II. 3.) Ce n’est pas _de vous_, madame, _dont_ il est amoureux. (_Am. magn._ II. 3.) Mais _de vous_, cher compère, il _en_ est autrement! (_Éc. des fem._ I. 1.) (Voyez A _répété surabondamment_.) --Devant _besoin_; IL EST DE BESOIN: MARTINE. Laissez-moi: j’aurai soin De vous encourager, s’_il en est de besoin_. (_Fem. sav._ V. 2.) --Devant _certains_: Il y a _de certains_ impertinents au monde qui viennent prendre les gens pour ce qu’ils ne sont pas. (_Méd. m. lui_ II. 9.) --Devant _aucuns_: Il y en a d’_aucunes_ qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents. (_Mal. im._ II. 7.) (Voyez D euphonique.) --Devant _coutume_ dans cette locution, _avoir de coutume_: ... Pour vous ôter l’envie de nous faire courir toutes les nuits, comme vous _aviez de coutume_. (_Scapin._ II. 5.) --Après _à quoi bon_, suivi d’un infinitif: Ah j’enrage!--_A quoi bon de te cacher_ de moi? (_Fâch._ III. 4.) _A quoi bon de dissimuler?_ (_Le Sicilien._ 7.) --DÉ, particule inséparable en composition: Et l’on me _désosie_ enfin, Comme on vous _désamphitryonne_. (_Amph._ III. 8.) _De_ avait en latin la même valeur, et Lucile, par le même procédé que Molière, avait forgé _deargenture_, _depeculare_ et _depoculare_, voler de l’argent, des coupes: «Depeculassere[48] aliqua, sperans me ac deargentassere.» (LUCIL. ap NON. 2. 218.) [48] Ou _depoculassere_. «Me impune irrisum depeculatumque eis.» (PLAUT. _Epidic._ IV. 1. 18.) (Voyez DÉSATTRISTER, DÉSENAMOURER, DÉSUISSER.) DÉ, TENIR LE DÉ, par métaphore empruntée au jeu, où le dé passe de main en main: _A vous le dé_, monsieur. (_Mis._ V. 4.) --TENIR LE DÉ A (un infinitif): Car madame _à jaser tient le dé tout le jour_. (_Tart._ I. 1.) DÉBATTU, pour _contesté_: Ce titre par aucun ne leur est _débattu_. (_Tartufe._ I. 6.) DE BOUT EN BOUT, d’un bout à l’autre, complétement: Vous saurez tout cela tantôt _de bout en bout_. (_Mélicerte._ II. 7.) DÉBUTER A QUELQU’UN, avec quelqu’un: Par où _lui débuter_? (_Dép. am._ III. 4.) _Par où lui débuter_, signifie _que lui dire d’abord_. _Lui_ est donc aussi recevable dans une locution que dans l’autre; il n’y a que la différence de l’usage. DE CE QUE, dans le sens de _parce que_: Ce n’est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir, que _de ce qu’il_ est fâcheux à un gentilhomme d’être pendu. (_Pourc._ III. 2.) DÉCHANTER; FAIRE DÉCHANTER; métaphoriquement troubler, déranger dans ses entreprises: Tu vois qu’à chaque instant _il te fait déchanter_. (_L’Ét._ III. 1.) Il te fait sortir du ton et perdre la mesure. DÉCHARPIR, séparer des combattants acharnés l’un contre l’autre: Andrès et Trufaldin, à l’éclat du murmure, Ainsi que force monde accourus d’aventure, Ont à les _décharpir_ eu de la peine assez; Tant leurs esprits étoient par la fureur poussés. (_L’Ét._ V. 14.) Nicot, et Trévoux après lui, donnent le verbe _charpir_; _charpir de la laine_, _carpere lanam_; et par composition, _décharpir_, _charpir_ entièrement, comme _définir_, de _finir_. Il nous reste encore le substantif _charpie_. _Décharpir_ les combattants, est regrettable comme terme expressif; _séparer_ est loin d’atteindre à la même énergie. DÉCORUM (GARDER LE) DE: Non, mais il faut sans cesse _Garder le décorum de la divinité_. (_Amph._ prol.) DÉCOUCHER (SE), se lever: MORON. Car en chasseur fameux j’étois enharnaché, Et dès le point du jour _je m’étois découché_. (_Pr. d’Él._ I. 2.) C’est un archaïsme: «Quand ce vint à l’endemain, toutes les mesnies de l’ostel s’assemblerent, et vinrent au seigneur à l’heure qu’il fut _descouché_.» (FROISSART, _Chron._ III. 22.) Dans le récit de l’assassinat du connétable de Clisson par Pierre de Craon: «Duquel coup il (Clisson) versa jus de son cheval, droit à l’encontre de l’huis d’un fournier, qui jà estoit _descouché_ pour ordonner ses besognes et faire son pain et cuire.» (Id. IV. ch. 28.) DÉCOUVRIR (SE) DE...: Souffrez pour vous parler, madame, qu’un amant Prenne l’occasion de cet heureux instant, Et _se découvre à vous de la sincère flamme_.... (_Fem. sav._ I. 4.) (Voyez DE dans tous les sens du latin _de_.) --DÉCOUVRIR QUELQU’UN (un adjectif), démontrer qu’il est ce que marque l’adjectif: Tous les hommes sont semblables par les paroles; ce n’est que _les actions qui les découvrent différents_. (_L’Avare_, I. 1.) DE FORCE OU D’INDUSTRIE, par force ou par adresse: Et tâchons d’ébranler, _de force ou d’industrie_, Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés. (_Tart._ IV. 2.) (Voyez DE exprimant la cause, la manière.) DE LA FAÇON, ainsi, de cette sorte: Est-ce _de la façon_ que l’on doit me parler? (_Mélicerte._ II. 5.) On se riroit de vous, Alceste, tout de bon, Si l’on vous entendoit parler _de la façon_. (_Mis._ I. 1.) DÉCRIS au pluriel: Oh! que je sais au roi bon gré de ces _décris_! (_Éc. des mar._ II. 9.) Le _décri_ est une défense faite à _cri_ public. _Cri_ et _crier_ ont fait _décri_ et _décrier_: c’est revenir sur la permission ou l’ordonnance proclamée par le _cri_. De là l’expression figurée, _tomber dans le décri_. DEDANS, préposition: Et je crois que le ciel, _dedans un rang si bas_, Cache son origine, et ne l’en tire pas. (_L’Ét._ I. 2.) Il est vrai: c’est tomber d’un mal _dedans un pire_. (_Ibidem._) Mon argent bien-aimé, rentrez _dedans ma poche_. (_L’Ét._ II. 6.) La vieille Égyptienne à l’heure même...--Hé bien? --Passoit _dedans la place_, et ne songeoit à rien. (_L’Ét._ V. 14.) Je lis _dedans son âme_, et vois ce qui le presse. (_Dép. am._ III. 5.) Las! il vit comme un saint, et _dedans la maison_ Du matin jusqu’au soir il est en oraison. (_Ibid._ III. 6.) Et je tremble à présent _dedans la Canicule_. (_Sganarelle._ 2.) Puis-je obtenir de vous de savoir l’aventure Qui fait _dedans vos mains_ trouver cette peinture? (_Ibid._ 9.) _Dedans_, _dessus_, _dessous_, _devers_, suivis d’un complément, sont aussi vieux que la langue française. Je ne vois pas sur quelle autorité l’on a prétendu, depuis un demi-siècle, les restreindre au rôle d’adverbes. C’est apparemment pour leur inventer une valeur différente de celle de la forme simple _dans_, _sur_, _sous_, _vers_, dont ils ne sont qu’une variante. Mais après avoir proclamé, d’une manière absolue, qu’il n’y avait dans aucune langue deux mots parfaitement synonymes, il fallait nécessairement reviser la nôtre, constituer à chacun de ses mots un apanage, et le circonscrire, sans égard pour les anciennes limites; autrement cette profonde maxime eût été bien vite renversée. C’est ce qui fait que Molière, Pascal et Bossuet sont remplis de solécismes posthumes. «Le sultan dormoit lors, et _dedans son domaine_ «Chacun dormoit aussi.» (LA FONT. _Fables._ XI. 1.) «Ceux qui ont la foi vive _dedans le cœur_ voient...» (PASCAL. _Pensées_, p. 173.) Le dictionnaire de Nicot (1606) donne encore pour exemples: «Il est _dedans la maison_;--_dedans vingt jours_;--_dedans l’an et jour_ de la spoliation et du trouble.» (Voyez DESSUS, DESSOUS, DEVANT, DEVERS.) DÉDITES, pour _dédisez_: Puisque je l’ai promis, ne m’en _dédisez_ pas. (_Tart._ III. 4.) C’est la leçon donnée par l’édition de P. Didot, 1821. L’édition de 1710 et toutes les modernes ont _ne m’en dédites pas_. J’ai vérifié sur l’édition originale, imprimée sous les yeux et aux frais de Molière, par Jean Ribou, le 23 juin 1669, il y a bien _dédites_. «Ne m’en _desdites_ pas.» Trévoux: «_Nous desdisons, vous desdisez_, et, selon quelques-uns, _vous desdites_.» Et il cite, en exemple de cette seconde forme, le vers de Molière. Je n’hésite pas à penser que Molière a ici péché contre la langue, et même contre le bon usage de son temps. L’Académie a raison, qui prescrit _vous dédisez_ et _dédisez-vous_, comme _vous élisez_, _cuisez_, _lisez_, _vous disez_ et _vous contredisez_. Vous _dictes_, contraction de _dic(i)tis_, est une forme isolée, bizarre, dont il serait très-curieux de signaler les premiers exemples, car la forme primitive doit avoir été _vous disez_; la preuve en demeure dans tous les composés de _dire_, _médire_, _prédire_, _maudire_, _contredire_, _interdire_. Mais cette forme _vous dites_ remonte à une bien haute antiquité: Palsgrave, en 1530, la donne, et ne fait de l’autre aucune mention. A ce qu’il paraît, Molière s’est laissé entraîner à former le composé comme le simple, et P. Didot à rectifier la faute de Molière. L’un et l’autre a eu tort. DÉFAIRE (SE), perdre contenance, se démonter: MORON. Courage, seigneur...., _ne vous défaites pas_. (_Pr. d’Él._ IV. 1.) Le participe passé est encore en usage: l’air défait, le visage défait. DÉFENDRE, verbe actif, interdire: Ah! monsieur, qu’est ceci? _je défends la surprise_! (_Dép. am._ III. 7.) DÉFÉRER A..., consulter, s’en rapporter à....: Ce n’est pas _à mon cœur_ qu’il faut que _je défère_, Pour entrer sous de tels liens. (_Psyché._ I. 3.) DÉFIGURÉ, porteur d’une laide figure: Alors qu’une autre vieille assez _défigurée_ L’ayant de près, au nez, longtemps considérée... (_L’Ét._ V. 14.) DÉFIGURER (patois), peindre la figure: LUCAS. Le v’là tout craché, comme on nous l’a _défiguré_. (_Méd. m. l._ I. 6.) _Défiguré_ est une faute de langage comme la peut faire Lucas; il devait dire simplement _figuré_; c’est comme parle Célimène: Voici monsieur Dubois plaisamment _figuré_. (_Mis._ IV. 3.) DÉGOISER, babiller: Peste! madame la nourrice, comme _vous dégoisez_! (_Méd. m. lui._ II. 2.) Racines _dé_ et _gosier_, comme qui dirait _dégosier_. _S’égosiller_ est composé d’une manière analogue avec _é_, répondant au latin _ex_. On disait autrefois _dégoiser_, neutre, et _se dégoiser_, réfléchi, comme _s’égosiller_: «Les oiseaux _se dégoisent_; oiseaux qui _se dégoisent_. Les oiseaux _dégoisent leurs chansonnettes_ et ramages.» Nicot, après ces exemples, donne le substantif _dégoisement_, que nous n’avons plus. DE LA FAÇON QUE, de la façon dont: Hélas! _de la façon qu’il parle_, serait-il bien possible qu’il ne dît pas vrai? (_Mal. im._ I. 4.) _Que_ représente en français les neutres _quid_, _quod_, et les cas obliques de _qui_:--eo modo _quo_ loquitur. (Voyez QUE répondant à l’ablatif du _qui_ relatif des Latins.) «_De la manière_ enfin _qu’_avec toi j’ai vécu, «Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.» (CORNEILLE, _Cinna_. V. 1.) DÉLIBÉRÉS, substantif; UN DÉLIBÉRÉ, un homme délibéré: Je sais des officiers de justice altérés, Qui sont pour de tels coups _de vrais délibérés_. (_L’Ét._ IV. 9.) DÉLICATESSE D’HONNEUR, susceptibilité de vertu ou de pruderie: Je ne vois rien de si ridicule que cette _délicatesse d’honneur_ qui prend tout en mauvaise part. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) Molière a dit aussi, par une expression analogue, _un chagrin délicat._ DÉLIÉ, pour _mince_, _transparent_: Cette coiffe est un peu trop _déliée_; j’en vais quérir une plus épaisse. (_Pourc._ III. 2.) Pascal l’a employé au figuré: «Cette _erreur_ est si _déliée_, que, pour peu qu’on s’en éloigne, on se trouve dans la vérité.» (3e _Prov._) DEMAIN JOUR, comme _demain matin_: Et tu m’avois prié même que mon retour T’y souffrît en repos jusques à _demain jour_. (_Éc. des mar._ III. 2.) DE MA PART, pour ma part, quant à moi: Je saurai, _de ma part_, expliquer ce silence. (_Mis._ V. 2.) DÉMÊLÉ, substantif; AVOIR DÉMÊLÉ AVEC QUELQU’UN: Il en a bien usé, et j’ai regret _d’avoir démêlé avec lui_. (_D. Juan._ III. 6.) DE MÊME, adverbe employé pour _pareil_, _égal_: C’est un transport si grand qu’il n’en est point _de même_. (_Éc. des mar._ III. 2.) Jamais il ne s’est vu de surprise _de même_. (_Tart._ IV. 5.) DÉMENTIR, désavouer, DÉMENTIR UN BILLET: Ce _billet démenti_ pour n’avoir point de seing.... --Pourquoi le _démentir_, puisqu’il est de ma main? (_Don Garcie._ II. 5.) Mais Molière jugea lui-même cette expression inexacte; et cinq ans plus tard, lorsqu’il transporta dans le _Misanthrope_ une partie de cette scène de _Don Garcie_, il corrigea ces vers de la manière suivante: Le _désavouerez-vous_ pour n’avoir point de seing? --Pourquoi _désavouer_ un billet de ma main? (_Mis._ IV. 3.) --DÉMENTIR QUELQU’UN DE: A quoi bon se montrer, et, comme un étourdi, _Me_ venir _démentir de tout ce que je di_? (_L’Ét._ I. 5.) (Voyez MENTIR DE QUELQUE CHOSE.) --SE DÉMENTIR DE: _Tu te démens_ bientôt _de tes bons sentiments_. (_Sgan._ 23.) DEMI; SANS (un substantif) NI DEMI: Cette infâme, Dont le coupable feu, trop bien vérifié, _Sans respect ni demi_ nous a cocufié. (_Sgan._ 16.) Sans respect ni demi-respect, sans le moindre respect. DÉMORDRE DES RÈGLES: C’est un homme qui.... _ne démordroit pas_ d’un _iota_ des règles des anciens. (_Pourc._ I. 7.) DENIER, pour exprimer l’ensemble d’une somme d’argent: Quatre ou cinq mille écus _est un denier_ considérable, et qui vaut bien la peine qu’un homme manque à sa parole. (_Pourc._ III. 9.) _Est_ un denier, et non pas _sont_ un denier. (Voyez cet exemple, discuté au mot CE SONT.) DENT, AVOIR UNE DENT DE LAIT CONTRE QUELQU’UN: C’est que vous avez, mon frère, _une dent de lait contre lui_. (_Mal. im._ III. 3.) Une rancune qui date d’aussi loin que possible, du temps où l’on était en nourrice. --EN DÉPIT DE NOS DENTS: N’avons-nous pas assez des autres accidents Qui nous viennent frapper, _en dépit de nos dents_? (_Sgan._ 17.) (Voyez DÉPIT.) --MALGRÉ MES DENTS: Ils m’ont fait médecin _malgré mes dents_. (_Méd. m. lui._ III. 1.) Quoi que je fisse pour m’en défendre. Et, pour la mieux braver, voilà, _malgré ses dents_, Martine que j’amène et rétablis céans. (_Fem. sav._ V. 2.) --AVOIR LES DENTS LONGUES, _avoir faim_; on suppose que la faim aiguise les dents: On a le temps _d’avoir les dents longues_, lorsqu’on attend pour vivre le trépas de quelqu’un. (_Méd. m. lui._ II. 2.) --ÊTRE SUR LES DENTS: La pauvre Françoise _est presque sur les dents_, à frotter les planchers que.... etc. (_B. Gent._ III. 3.) DÉPARTIR; SE DÉPARTIR DE (un infinitif): Tu ne _t’es pas départi d’y prétendre_? (_L’Av._ IV. 5.) La préposition, ici, figure deux fois: à l’état libre et à l’état composé, comme en latin _de_cedere _de_; _de_ducere _de_; _de_trahere _de_; _de_cidere _de_, _etc._, _etc._ (Voyez AMUSER (S’) A.) DÉPIT, EN DÉPIT QUE J’EN AIE: Il faut que je lui sois fidèle, _en dépit que j’en aie_. (_D. Juan._ I. 1.) Je me sens pour vous de la tendresse, _en dépit que j’en aie_. (_L’Av._ III. 5.) Je prétends le guérir, _en dépit qu’il en ait_. (_Pourc._ II. 1.) Il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net, D’épouser une fille _en dépit qu’elle en ait_. (_Fem. sav._ V. 1.) Cette locution, _en dépit que j’en aie_, est l’analogue de cette autre, _malgré que j’en aie_, qui s’analyse très-facilement. Il faut partir, mal gré, c’est-à-dire, tel mauvais gré que j’en aie. C’est une sorte d’accusatif absolu. (Voyez MALGRÉ QUE J’EN AIE.) Mais dans l’autre expression on rencontre, de plus, la préposition _en_, dont rien ne justifie la présence. On ne dirait pas: _en mal gré que j’en aie_. Il semble que l’on aurait dû dire, avec une exacte parité: _dépit que j’en aye_, sans _en_. C’est que cet _en_ n’est pas une préposition, mais une partie mal à propos séparée de l’ancien mot _endépit_: _endépit_, comme _encharge_, _encommencement_, et les verbes _engarder_, _enrouiller_, _enseller_ un cheval, s’_engeler_, s’_endemener_, _etc._, qui sont les anciennes formes. La vraie orthographe serait donc _endépit qu’on en ait_, et la locution redevient parfaitement claire et logique. Ici, comme en une foule de cas, l’oreille entend juste, mais l’œil voit faux, parce que la main s’est trompée. DÉPOUILLER (SE) ENTRE LES MAINS DE QUELQU’UN: Amasser du bien avec de grands travaux, élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse, pour _se dépouiller_ de l’un et de l’autre _entre les mains_ d’un homme qui ne nous touche de rien. (_Am. méd._ I. 5.) DEPUIS, suivi d’un infinitif, comme _après_: _Depuis avoir connu_ feu monsieur votre père... j’ai voyagé par tout le monde. (_B. Gent._ IV. 5.) DE QUI, pour _dont_ ou _duquel_: Au mérite souvent _de qui_ l’éclat vous blesse Vos chagrins font ouvrir les yeux d’une maîtresse. (_Dép. am._ I. 2.) Depuis huit jours entiers, avec vos longues traites, Nous sommes à piquer deux chiennes de mazettes, _De qui_ le train maudit nous a tant secoués, Que je me sens, pour moi, tous les membres roués. (_Sgan._ 7.) Quoi! me soupçonnez-vous d’avoir une pensée _De qui_ son âme ait lieu de se croire offensée? (_Ibid._ III. 4.) Il court parmi le monde un livre abominable, Et _de qui_ la lecture est même condamnable. (_Mis._ V. 1.) Il était bien facile à Molière de mettre _duquel_; mais il paraît avoir eu, ainsi que tous ses contemporains, une répugnance décidée à se servir de ce mot, si prodigué de nos jours. De même: Tous deux m’ont rencontrée, et se sont plaints à moi D’un trait _à qui_ mon cœur ne sauroit prêter foi. (_Mis._ V. 4.) Il était bien aisé de mettre _auquel_, si _à qui_ eût été une faute. (Voyez LEQUEL _évité_.) DE QUOI, d’où? comment? _De quoi_ donc connaissez-vous monsieur? (_Am. méd._ II. 2.) --VOILA BIEN DE QUOI!.... Hé bien? qu’est-ce que cela, soixante ans? _voilà bien de quoi!_... (_L’Av._ II. 6.) Il y a ici réticence d’un verbe, comme _s’étonner_, _se récrier_. DÉRACINER LES CARREAUX: NICOLE.--Et d’un grand maître tireur d’armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous _déraciner tous les carriaux_ de notre salle. (_B. Gent._ III. 3.) DERNIER, extrême, _summus_: Je vous vois accabler un homme de caresses, Et témoigner pour lui _les dernières tendresses_. (_Mis._ I. 1.) On dit qu’avec Bélise il est _du dernier bien_. (_Ibid._ II. 5.) Les _dernières violences_ du pouvoir paternel. (_L’Av._ V. 4.) .... C’est pour une affaire _de la dernière conséquence_. (_G. D._ III. 4.) C’est la locution favorite des précieuses: _du dernier beau_, _du dernier galant_; _je vous aurois la dernière obligation_; etc. Mais Molière n’en prétend blâmer que l’abus, car lui-même en fait un usage fréquent, ainsi que Pascal: «C’est là où vous verrez _la dernière bénignité_ de la conduite de nos pères.» (PASCAL, 9e _prov._) DÉROBER, verbe actif, comme _voler_; DÉROBER QUELQU’UN: Pour aller ainsi vêtu, il faut bien que _vous me dérobiez_. (_L’Av._ I. 5.) --DÉROBER (SE) D’AUPRÈS DE....: Il vous dira... que... _je me suis dérobée d’auprès de lui_. (_G. D._ III. 12.) DÉSATTRISTER: Donnez-lui le loisir de se _désattrister_. (_L’Ét._ II. 4.) (Voyez DÉ, particule inséparable en composition.) DÉSAVOUER QUELQU’UN DE: Et vous avez eu peur de _le désavouer Du trait_ qu’à ce pauvre homme il a voulu jouer. (_Tart._ IV. 3.) DÈS DEVANT, dès avant: --Moi je vins hier?--Sans doute; et _dès devant_ l’aurore Vous vous en êtes retourné. (_Amph._ II. 2.) DÉSENAMOURÉ: Mais est-ce un coup bien sûr que votre seigneurie Soit _désenamourée_, ou si c’est raillerie? (_Dép. am._ I. 4.) L’absence de ce mot ou d’un équivalent est une lacune sensible dans la langue. Nous sommes réduits à une circonlocution, comme: soit revenu de son amour. _Enamouré_ est aussi une perte, mal dissimulée par _amoureux_. On remarquera dans ce mot la présence de l’_s_ euphonique, qui sert à lier sans hiatus les racines: _dé (s) enamourer_, comme _dé (s) enfler_, _dé (s) habiller_, _dé (s) honorer_, _etc._ Cette particule inséparable en composition n’est autre que le _de_ latin, qui n’a droit par lui-même à aucune consonne finale. Aussi n’en voit-on pas dans _détromper_, _dédire_, _défaire_, _démentir_, _etc._, où elle n’était point nécessaire. On écrivait à la vérité _desdire_, _desfaire_; mais c’était pour donner à l’_e_ suivi d’une double consonne le son aigu, que nous obtenons aujourd’hui par l’accent. DÉSESPÉRER, verbe neutre, se désespérer: GEORGES DANDIN.--_Je désespère!_ (_G. D._ III. 12.) Les Anglais ont gardé cet emploi du même verbe: «_Despair_ and Die!» (SHAKSPEARE. _Rich. III._) Palsgrave (1530), dans sa table des verbes, le donne comme verbe neutre et verbe réfléchi. Voici son article: «_I Despayre, I am in wan hope._--_Je despère_ (_sic_) primæ conjugat.--Dispayre nat man: God is there he was wonte to be: _ne te despère pas_; Dieu est là où il souloyt estre.» Par où l’on voit que _désespérer_ est une forme moderne et allongée. On fit d’abord de _desperare_, _despérer_; puis, par l’insertion de l’_s_ euphonique (voy. DÉSENAMOURER), _dé(s)espérer_. La première forme est calquée sur le mot latin; La seconde est ajustée sur le latin, d’après les habitudes françaises. --DÉSESPÉRÉ CONTRE QUELQU’UN: J’étois aigri, fâché, _désespéré contre elle_! (_Éc. des fem._ IV. 1.) DES MIEUX, comme ceux qui (ici le verbe) le mieux: ..... Enfermez-vous _des mieux_. (_Éc. des fem._ V. 4.) Soyez des mieux enfermés. Voilà qui va _des mieux_. Mais parlons du sujet qui m’amène en ces lieux. (_Fem. sav._ II. 1.) DE SOI, en soi, par soi-même: Cet accident, _de soi_, doit être indifférent. (_Éc. des fem._ IV. 8.) Le choix du fils d’Oronte est glorieux, _de soi_. (_Ibid._ V. 7.) La noblesse, _de soi_, est bonne. (_G. D._ I. 1.) _De_, dans cette locution, se rapporte au sens du latin _de_, c’est-à-dire, par rapport à soi, en ce qui la touche. Il faut observer que ce mot _moi_ est entré dans la langue pour traduire _meus_, et qu’à l’origine on ne le rencontre pas comme pronom de la première personne; c’est l’adjectif _moi_, _moie_; _meus_, _mea_. Par conséquent, _de moi_ correspond exactement à la locution latine _de meo_, employée par Plaute, Térence et Cicéron, dans un sens à la vérité un peu différent; puisqu’il signifie _à mes frais_; mais mon observation porte surtout sur la forme matérielle. Les Latins disaient aussi, _de me_, _de te_, pour _de meo_, _de tuo_: _De te largitor_ (TER.): donne _de toi_. Sois généreux à tes propres dépens. DÉSOSIER et DÉSAMPHITRYONNER. Voyez DÉ, particule inséparable en composition. DESSALÉE; UNE DESSALÉE, une matoise, une rusée: Vous faites la sournoise; mais je vous connois il y a longtemps, et vous êtes _une dessalée_. (_G. D._ I. 6.) DESSOUS, substantivement; AVOIR DU DESSOUS: Est-il possible que toujours _j’aurai du dessous avec elle_? (_G. D._ II. 13.) «Nous _avons_ toujours _du dessus_ et _du dessous_, de plus habiles et de moins habiles, de plus élevés et de plus misérables, pour abaisser notre orgueil et relever notre abjection.» (PASCAL. _Pensées._ p. 229.) Il est fâcheux qu’on ait laissé perdre cette expression utile, car on peut _avoir du dessous_ sans avoir complétement _le dessous_. C’est pour avoir eu trop souvent _du dessous_ dans ses querelles de ménage, que George Dandin finit par _avoir le dessous_. --DESSOUS, préposition avec un complément: Je sais qu’il est rangé _dessous les lois_ d’une autre. (_Dép. am._ II. 3.) Voyez DEDANS, DESSUS, DEVANT, DEVERS. DESSUISSER (SE), quitter le rôle de Suisse: Si vous êtes d’accord, par un bonheur extrême, Je me _dessuisse_ donc; et redeviens moi-même, (_L’Ét._ V. 7.) DESSUS, préposition: Le bonhomme tout vieux chérit fort la lumière, Et ne veut point de jeu _dessus cette matière_. (_L’Ét._ III. 5.) Vous étendiez la patte Plus brusquement qu’un chat _dessus une souris_. (_Ibid._ IV. 5.) Attaché _dessus vous_ comme un joueur de boule Après le mouvement de la sienne qui roule. (_L’Ét._ IV. 5.) Je veux, quoi qu’il en soit, le servir malgré lui, Et _dessus_ son lutin obtenir la victoire. (_Ibid._ V. 11.) Faites parler les droits qu’on a _dessus mon cœur_. (_Dép. am._ I. 2.) Il pourroit bien, mettant _affront dessus affront_, Charger de bois mon dos comme il a fait mon front. (_Sgan._ 17.) _Dessus ses grands chevaux_ est monté mon courage. (_Ibid._ 21.) _Dessus quel fondement_ venez-vous donc, mon frère.... (_Éc. des mar._ III. 9.) Si j’avois _dessus moi_ ces paroles nouvelles, Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles. (_Fâch._ I. 5.) Pour moi, venant _dessus le lieu_, J’ai trouvé l’action tellement hors d’usage.... (_Ibid._ II. 7.) _Dessus_ et _dessous_ étaient originairement prépositions, comme leurs formes plus simples, _sur_ et _sous_. «_Dessus mes piez_ charrunt.» (_Rois._ p. 209.) «Abaissez as _dessuz mei_ ces ki esturent (_steterunt_) encuntre mei.» (_Ibid._) C’est la subtilité des grammairiens modernes qui a inventé de partager la puissance entre _sur_, _sous_, et _dessus_, _dessous_, et de réduire les seconds au rôle exclusif d’adverbes. Malherbe et Racan disaient sans scrupule: _dessus mes volontés_;--_dedans la misère_;--_ce sera dessous cette égide_, et Port-Royal s’y accorde; mais l’oracle Vaugelas n’avait pas encore parlé! Il parle, et Ménage déclare, d’après lui, que ces mots, comme prépositions, «_ne sont plus du bel usage_.» Toutefois Vaugelas veut bien, par grâce, excepter de sa règle trois façons de parler: 1° «Quand on met de suite les deux contraires. Exemple: Il n’y a pas assez d’or ni _dessus_ ni _dessous la terre_. 2° «Quand il y a deux prépositions de suite, quoique non contraires:--Elle n’est ni _dedans ni dessus le coffre_. 3° «Lorsqu’il y a une autre préposition devant:--_Par-dessus la tête_, _par-dessous le bras_, _par dehors la ville_,» _etc._ L’usage, en rejetant les deux premiers articles de cette loi, a confirmé le dernier, qui n’est pas plus justifié que les deux autres. Que de caprice et d’arbitraire dans tout cela! En vérité, quand on examine les actes de ces tyrans de notre langue, on est honteux d’être soumis à leur autorité. J’oubliais de dire que Vaugelas reçoit comme légitime dans les vers ce qu’il condamne comme solécisme dans la prose. (Voyez DEDANS, DESSOUS, DEVANT, DEVERS.) DÉTACHER (SE) CONTRE QUELQU’UN, se déchaîner: Et son jaloux dépit, qu’avec peine elle cache, En tous endroits sous main _contre moi se détache_. (_Mis._ III. 3.) DÉTERMINER A, dans le sens _d’ordonner de_: Et cet homme est monsieur, que _je vous détermine A_ voir comme l’époux que mon choix vous destine. (_Fem. sav._ III. 6.) DÉTOUR, angle formé par une rue ou quelque saillie de maison; COIN D’UN DÉTOUR: Un de mes gens la garde _au coin de ce détour_. (_Éc. des fem._ V. 2.) DÉTOURNEMENT DE TÊTE: Leurs _détournements de tête_ et leurs cachements de visage firent dire cent sottises de leur conduite. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) DÉTRUIRE QUELQU’UN, ruiner son crédit: Quel mal vous ai-je fait, madame, et quelle offense, Pour armer contre moi toute votre éloquence, Pour _me_ vouloir _détruire_, et prendre tant de soin De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin? (_Fem. sav._ IV. 2.) DEVANT, préposition, pour _avant_: Je crie toujours, Voilà qui est beau! _devant_ que les chandelles soient allumées. (_Préc. rid._ 10.) Et, _devant qu’il_ vous pût ôter à mon ardeur, Mon bras de mille coups lui perceroit le cœur. (_Éc. des mar._ III. 3.) «Celle-ci prévoyoit jusqu’aux moindres orages, Et _devant_ qu’ils fussent éclos Les annonçoit aux matelots.» (LA FONT. _Fables._ I. 8.) Pascal fixe l’âge viril à vingt ans: «_Devant ce temps_ l’on est enfant.» (_Sur l’amour_, p. 396.) «Mais si les Égyptiens n’ont pas inventé l’agriculture, ni les autres arts que nous voyons _devant le déluge_...» (BOSSUET. _Hist. univ._ 3e part.) «A vous parler franchement, l’intérêt du directeur va presque toujours _devant le salut_ de celui qui est sous la direction.» (ST.-ÉVREMONT. _Conv. du P. Canaye._) «Il lui demanda, _devant_ que de l’acheter, à quoi il lui seroit propre.» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) Les grammairiens n’ont pas manqué d’exercer sur _avant_ et _devant_ la sagacité de leur esprit subtil. Ils signalent entre _avant_ et _devant_ une différence essentielle, et dont il importe de se bien pénétrer: c’est que «_avant_ est plus abstrait, et _devant_ plus concret[49].» C’est la raison qui fait que, suivant le même auteur, «on n’emploie plus _devant_ par rapport au temps.» L’argument ne paraît pas concluant. [49] _Des Synonymes français_, par M. B. Lafaye. Un autre assure que «le génie de notre langue établit une différence entre les _déterminatifs avant_ et _devant_[50].» Ce que je puis à mon tour assurer, c’est que _devant_ se trouve comme synonyme d’_avant_, dans le berceau de notre langue. La traduction des _Rois_, faite au XIe siècle, s’en sert sans scrupule:--«E pis que nuls qui _devant lui_ out ested envers N. S. uverad (p. 309),» Asa ouvra envers N. S. pis que nul qui eût été _devant lui_. [50] _Résumé de toutes les grammaires_, par N. Landais. M. Nap. Landais peut-il se flatter de connaître le génie de la langue française mieux que ceux qui l’ont créée; mieux que Bossuet, Pascal, Corneille, Molière, et la Fontaine? _Avant_, _devant_, sont deux formes du même mot inventées pour les besoins de l’euphonie et de la versification, comme _dans_ et _dedans_, _sur_ et _dessus_, _sous_ et _dessous_. La perte de ces doubles formes a été préjudiciable surtout à la poésie, et la suppression de ces petites ressources a contribué, plus qu’on ne pense, à la décadence de l’art. Comme en certains cas donnés l’on employait indifféremment _à_ et _de_ (voyez DE remplaçant _à_ devant un verbe), de même on substituait l’un à l’autre _avant_ et _devant_. _Dedans_, _dessus_, _dessous_, _devers_, sont dans le même cas. (Voyez ces mots.) DEVERS, préposition comme _vers_: LUCAS.--Tourne un peu ton visage _devers moi_. (_G. D._ II. 1.) C’est un paysan qui parle, à qui Molière prête des locutions surannées. _Devers_ et _envers_ ont été jadis employés pour _vers_, comme on en voit un exemple dans une vieille chanson introduite par Beaumarchais dans le _Mariage de Figaro_: «Tournez-vous donc _envers ici_, «Jean de Lyra, mon bel ami.» «Enfin la Rancune l’ayant tourné dans sa chaise _devers le feu_ dont l’on avoit chauffé les draps, il ouvrit les yeux.» (SCARRON. _Rom. com._ Ire p., ch. XI.) Mais Molière a mis aussi _devers_ dans la bouche des personnages qui s’expriment avec le plus d’élégance et de correction: ÉRASTE. Il a poussé sa chance, Et s’est _devers_ la fin levé longtemps d’avance. (_Fâch._ I. 1.) «C’est ainsi _devers Caen_ que tout Normand raisonne.» (BOILEAU.) «J’ai des cavales en Égypte, qui conçoivent au hennissement des chevaux qui sont _devers Babylone_.» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) _Devers_ et _envers_ sont des formes variées de _vers_. _Vers_ a été la première forme usitée: «Si hom peche _vers_ altre, a Deu se purrad acorder; e s’il peche _vers_ Deu, ki purrad pur lui preier?» (_Rois._ p. 8.) «Pur ço que la guerre _vers_ les ennemis Deu mantenist.» (_Ibid._ p. 71.) Beaumanoir n’emploie que _vers_: «Li baillis qui est debonaires _vers_ les malfesans... qui _vers_ toz est fel et cruels...» (T. Ier. p. 18, 19.) Cependant la version des _Rois_, qui paraît de la fin du XIe siècle, connaît déjà _envers_ et _devers_. «Ore t’aparceif que felenie n’ad en mei ne crimne _envers tei_.» (P. 95.) «E pis que nuls ki devant lui out ested _devers_ Nostre Seignur uverad.» (P. 309.) (Voyez DEDANS, DESSOUS, DEVANT.) DEVOIR; NE DEVOIR QU’A, avec l’ellipse de _rien_: Hors d’ici _je ne dois plus qu’à_ mon honneur. (_D. Juan._ III. 5.) DÉVORER DU CŒUR, figur., recevoir avidement: Et vous devez _du cœur dévorer ces leçons_. (_Éc. des fem._ III. 2.) DÉVOTS DE PLACE: Que ces francs charlatans, que ces _dévots de place_. (_Tart._ I. 6.) Comme les _valets de place_, qui se tiennent en vue sur les places publiques. DE VRAI: véritablement, _de vero_: Je ne sais pas, _de vrai_, quel homme il peut être. (_D. Juan._ I. 1.) Nous verrons, _de vrai_, nous verrons! (_Ibid._ V. 3.) Ma foi, c’est promptement, _de vrai_, que j’achèverai. (_Am. magn._ V. 1.) Cette locution était jadis très-usitée; les exemples en sont fréquents. On disait aussi _au vrai_: «Je ne sais pas _au vrai_ si vous les lui devez; «Mais, il me les a, lui, mille fois demandés.» (REGNARD. _Le Légataire._ V. 7.) DEXTÉRITÉS, au pluriel, adresse: Oui, _vos dextérités_ veulent me détourner D’un éclaircissement qui vous doit condamner. (_D. Garcie._ IV. 8.) Je sais les tours rusés et les subtiles trames Dont pour nous en planter savent user les femmes; Et comme on est dupé par leurs _dextérités_, Contre cet accident j’ai pris mes sûretés. (_Éc. des fem._ I. 1.) D’HOMME D’HONNEUR; ellipse: foi d’homme d’honneur: _D’homme d’honneur_, il est ainsi que je le dis. (_Dép. am._ III. 8.) DIABLE; DIABLE EMPORTE SI...: _Diable emporte si_ je le suis! (médecin.) (_Méd. mal. lui._ I. 6.) _Diable emporte si_ j’entends rien en médecine! (_Ibid._ III. 1.) C’est une sorte d’atténuation du blasphème complet: Que le diable m’emporte si... On en retranche le pronom personnel, pour moins d’horreur. --EN DIABLE; COMME TOUS LES DIABLES: La justice, en ce pays-ci, est rigoureuse _en diable_ contre cette sorte de crime. (_Pourc._ II. 12.) Elle est sévère _comme tous les diables_, particulièrement sur ces sortes de crimes. (_Pourc._ III. 2.) (Voyez QUE DIABLE!) DIANTRE, modification de _diable_; DIANTRE SOIT: _Diantre soit_ la coquine! (_B. gent._ III. 3.) --DIANTRE, adjectif; comme _diable_, _diablesse_: Qu’on est aisément amadoué par ces _diantres_ d’animaux-là! (_Ibid._ III. 10.) --DIANTRE SOIT DE...: _Diantre soit de la folle_, avec ses visions! (_Fem. sav._ I. 5.) --DIANTRE SOIT FAIT DE...: Encore! _diantre soit fait de vous!_ Si... je le veux. (_Tart._ II. 4.) DIE, dise: Veux-tu que je te _die_? une atteinte secrète Ne laisse point mon âme en une bonne assiette. (_Dép. am._ I. 1.) Ah! souffrez que je _die_, Valère, que le cœur qui vous est engagé..... (_Ibid._ V. 9.) _Die_ n’est pas une forme suggérée par le besoin de la rime; elle est aussi fréquente que _dise_ chez les vieux prosateurs. Malherbe, dans ses lettres, n’en emploie pas d’autre. Voulez-vous que je vous _die_? (_Impromptu de Versailles._ 3.) Ainsi cette forme était encore usuelle dans la conversation en 1663. Cependant, neuf ans après, en 1672, dans les _Femmes savantes_, Molière tourne en ridicule le _quoi qu’on die_ de Trissotin: Faites-la sortir, _quoi qu’on die_, De votre riche appartement. Cette forme alors était donc déjà surannée. «Il faut toujours, en prose, écrire et prononcer _dise_ et jamais _die_, ni avec _quoi que_, ni dans aucune autre phrase.» C’est la décision de _Trévoux_, d’après Th. Corneille. DIFFAMER: MORON. Je vous croyois la bête Dont à me _diffamer_ j’ai vu la gueule prête. (_Pr. d’Él._ I. 2.) L’emploi de _diffamer_ pour _dévorer_, _déchirer_, en parlant d’un sanglier, pourrait sembler une bouffonnerie de ce fou de cour; mais Furetière nous apprend que «_diffamer_ signifie aussi _salir_, _gâter_, _défigurer_. Il a renversé cette sauce sur mon habit: il l’a tout _diffamé_. Il lui a donné du taillant de son épée, et lui a tout _diffamé_ le visage. En ce sens il est bas.» Ainsi Moron parle sérieusement et correctement. _Diffamer_, aujourd’hui, ne se prend plus qu’au sens moral. On observera que _diffamer_, au sens moral, n’emporte pas nécessairement l’idée de calomnie, ni même aucune idée de blâme, puisque Boileau a dit, en parlant des précieuses: «Reste de ces esprits jadis si renommés, Que d’un coup de son art Molière a _diffamés_.» C’est-à-dire, tout simplement: a perdus de réputation. _Fame_ (_fama_) a été français dans l’origine: «E vint la _fame_ a tuz ces de Israel, que desconfiz furent li Philistien.» (_Rois._ p. 42) Héli dit à ses fils: «Votre _fame_ n’est mie saine.» (_Ibid._ p. 8.) Vous n’avez pas bonne réputation. DIGNE, en mauvaise part: Et toutes les hauteurs de sa folle fierté Sont _dignes_ tout au moins _de ma sincérité_. (_Fem. sav._ I. 3.) «Mais il (Vasquez) _n’est pas digne de ce reproche_.» (PASCAL. 11e _Prov._) DINER: AVOIR DINÉ, métaphoriquement: Mme JOURDAIN.--Il me semble que _j’ai dîné_ quand _je le vois_! (_B. gent._ III. 3.) On dirait, par la même métaphore: Je suis _rassasiée_ de le voir. DIRE, actif avec un complément direct, désirer; TROUVER QUELQU’UN A DIRE: Mettez-vous donc bien en tête..... que _je vous trouve à dire_ plus que je ne voudrois dans toutes les parties où l’on m’entraîne.» (_Mis._ V. 4.) Ce verbe _dire_ vient, par une suite de syncopes, non pas de _dicere_, mais de _desiderare_, dont on ne retient que les syllabes extrêmes, _desiderare_, _desirare_ (d’où l’on a fait à la seconde époque _désirer_), et _dere_, dont le premier _e_ se change en _i_, par la règle accoutumée. (V. _Des Var. du langage fr._, p. 208). Ce verbe _dire_ était très-usité au XVIe siècle: Montaigne, la reine de Navarre, et les autres, en font constamment usage: «Que sait-on, si...... plusieurs effects des animaux qui excedent nostre capacité sont produits par la faculté de quelque sens que nous ayons à _dire_?» (MONTAIGNE. II. 12.) A désirer, à regretter; qui nous manque. «Si nous avions à _dire_ l’intelligence des sons de l’harmonie et de la voix, cela apporteroit une confusion inimaginable à tout le reste de nostre science.» (Id. _Ibid._) «Ce desfault (une taille trop petite) n’a pas seulement de la laideur, mais encores de l’incommodité, à ceulx mesmement qui ont des commandements et des charges; car l’auctorité que donne une belle presence et majesté corporelle en est à _dire_.» (Id. II. 17.) L’autorité, par suite de ce défaut, se fait désirer, ne s’obtient pas. La reine de Navarre écrit à chaque instant dans ses lettres: Le roi et madame vous trouvent bien à _dire_; nous vous trouvons bien à _dire_. C’est dans ce sens que l’employait encore Célimène en 1666. Ce mot a disparu, peut-être banni pour laisser régner, sans équivoque possible, _dire_, venu de _dicere_. --DIRE de quelque chose TOUS LES MAUX DU MONDE: Tous les autres comédiens..... en ont dit _tous les maux du monde_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) (Voyez ON DIRAIT DE.) --DIRE pour _redire_: Ayant eu la bonté de déclarer qu’elle (Votre Majesté) ne trouvoit rien à _dire_ dans cette comédie, qu’elle me défendoit de produire en public. (1er _Placet au roi_.) --DIRE construit avec _en_ et _à_; EN DIRE A, pour _être favorable à_: Si le sort _nous en dit_, tout sera bien réglé. (_L’Ét._ V. 2.) Si le sort nous est propice, nous seconde. Cette bizarre expression est évidemment calquée sur cette façon de parler usuelle: Le cœur m’en dit; le cœur vous en dit-il? Molière n’a pu s’en servir que dans un ouvrage de sa jeunesse. --DIRE VÉRITÉ, dire _la_ vérité: Et s’il avoit mon cœur, _à dire vérité_.... (_Mis._ IV. 1.) DISPENSER (SE) A...., se disposer à: Et c’est aussi pourquoi ma bouche _se dispense_ A vous ouvrir mon cœur avec plus d’assurance. (_Dép. am._ II. 1.) Autrefois, _dispenser_ se disait en pharmacie, pour _disposer_, _préparer_. «Plusieurs auteurs ont écrit en détail la préparation des remèdes que les apothicaires doivent _dispenser_. _Dispenser_ la thériaque, c’est-à-dire, la préparer. Les statuts des espiciers portent que les aspirants à la maistrise _dispenseront_ leur chef-d’œuvre en présence de tous les maistres.» (FURETIÈRE.) Cette ancienne valeur du mot _dispenser_ est encore attestée par le mot anglais _dispensary_, pharmacie, dont nous avons refait, à notre tour, _dispensaire_. DISPUTER A FAIRE QUELQUE CHOSE: Je suis un pauvre pâtre; et ce m’est trop de gloire Que deux nymphes d’un rang le plus haut du pays _Disputent à se faire un époux_ de mon fils. (_Mélicerte._ I. 4.) DIVERTIR, du latin _divertere_, détourner, distraire, tourner d’un autre côté: Après de si beaux coups qu’il a su _divertir_. (_L’Ét._ III. 1.) Votre feinte douceur forge un amusement, Pour _divertir_ l’effet de mon ressentiment. (_D. Garcie._ IV. 8.) Bonjour.--Hé quoi, toujours ma flamme _divertie_! (_Fâcheux._ II. 2.) Viendra-t-il point quelqu’un encor me _divertir_? (_Ibid._ III. 3.) Et, cherchant à _divertir cette tristesse_, nous sommes allés nous promener sur le port. (_Scapin._ II. 11.) «C’est un artifice du diable, de _divertir ailleurs_ les armes dont ces gens-là combattoient les hérésies.» (PASCAL. _Pensées._ p. 237.) «Si l’homme étoit heureux, il le seroit d’autant plus qu’il seroit moins _diverti_, comme les saints et Dieu.» (Id. _Ibid._ p. 219.) DONCQUES, archaïsme: _Doncques_ si le pouvoir de parler m’est ôté, Pour moi, j’aime autant perdre aussi l’humanité. (_Dép. am._ II. 7.) On écrivit originairement avec une _s_ finale, _doncques_, _avecques_, _ores_, _illecques_, _mesmes_. DONNER; DONNER A PLEINE TÊTE DANS....: Il ne faut point douter qu’elle ne _donne à pleine tête dans cette tromperie_. (_Am. magn._ IV. 4.) --DONNER AU TRAVERS DE: Un homme...... _qui donne au travers des purgations et des saignées_. (_Mal. im._ III. 3.) _Donner_, dans cette locution, et dans celles qui vont suivre jusqu’à _se donner de garde_, est pris au sens de _tomber_ ou _se lancer avec impétuosité_, et il est verbe neutre, ou plutôt réfléchi, mais dépourvu de son pronom. Les Latins disaient de même _dare se_:--_dare se in viam_ (CIC.); _dare se præcipitem_: _dabit me præcipitem in pistrinum_ (PLAUT.); _dare se fugæ_ (CIC.) Molière aussi construit _donner_ avec le datif et avec l’accusatif, c’est-à-dire, avec _à_ et _dans_. --DONNER CHEZ QUELQU’UN: _Nous donnions chez les dames romaines_, Et tout le monde là parloit de nos fredaines. (_Fem. sav._ II. 4.) --DONNER DANS: _Vous donnez_ furieusement _dans le marquis_! (_L’Av._ I. 5.) ..... les riches bijoux, les meubles somptueux _où donnent_ ses pareilles avec tant de chaleur. (_Ibid._ II. 6.) --DONNER DANS LA VUE, éblouir: Ce monsieur le comte qui va chez elle _lui donne peut-être dans la vue_? (_B. gent._ III. 9.) --DONNER A UN BRUIT, c’est-à-dire, croire à ce bruit: Enfin il est constant que l’on n’a point _donné Au bruit_ que contre vous sa malice a tourné. (_Mis._ V. 1.) On n’a point donné créance au bruit, _etc._ Mais, sans recourir à cette ellipse violente, _donner au bruit_ est dit comme _donner au piége_, c’est-à-dire, _dans le piége_. --DONNER DE GARDE (SE), prendre ses précautions: Je venois l’avertir de _se donner de garde_. (_L’Ét._ IV. 1.) Il y a deux manières d’expliquer cette locution: en y considérant _de_ comme surabondant, ce qui ne me plaît guère; ou bien en expliquant _se donner_, par _se faire_, _se mettre_. _Se donner de garde_, _se faire de garde_, se tenir à l’erte, au guet. On disait aussi, avec un complément indirect, _se donner de garde de quelque chose_: MORON.--_Donnez-vous-en bien de garde_, seigneur, si vous voulez m’en croire. (_Pr. d’Él._ III. 2.) _Se donner de garde_ est une ancienne façon de dire _s’apercevoir de quelque chose_, _s’en mettre en garde_: «Et fut tout ce fait si soubdainement, que les gens de la ville _ne s’en donnerent de garde_.» (FROISSART.) --DONNER DES REVERS, renverser d’un soufflet, métaphoriquement: Toutefois n’allez pas, sur cette sûreté, _Donner de vos revers_ au projet que je tente. (_L’Ét._ II. 1.) --EN DONNER A QUELQU’UN, lui en donner à garder, le tromper: Tu couches d’imposture, et _tu m’en as donné_. (_L’Ét._ I. 10.) (Voyez COUCHER DE.) Ah, ah! l’homme de bien, _vous m’en vouliez donner_! (_Tart._ IV. 7.) Cet _en_ ne se rapporte grammaticalement à rien, comme dans plusieurs expressions analogues: _en tenir_, _en faire_, etc. --EN DONNER DU LONG ET DU LARGE: _Donnons-en_ à ce fourbe _et du long et du large_. (_L’Ét._ IV. 7.) Donnons-lui-en dans tous les sens, accommodons-le de toutes les façons possibles, de toutes pièces. --DONNER LA BAIE....: Le sort a bien _donné la baie_ à mon espoir. (_L’Ét._ II. 13.) (Voyez BAIE.) --DONNER LA MAIN ou LES MAINS A..., métaphoriquement, soutenir: _Donne la main à mon dépit_, et soutiens ma résolution..... (_B. gent._ III. 9.) Pourvu que votre cœur veuille _donner les mains_ Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains. (_Mis._ V. sc. dernière.) Un cœur qui donne les mains est une image fausse, et une expression forcée. La Fontaine a dit absolument _donner les mains_, dans le sens où le vulgaire dit aujourd’hui _mettre les pouces_: «De façon que le philosophe fut obligé de _donner les mains_.» (_Vie d’Ésope._) --DONNER UN CRIME, UNE RÉPUTATION: J’ignore le détail du _crime qu’on vous donne_. (_Tart._ V. 6.) C’est le latin _dare crimen alicui_. Je me souviens toujours du soir qu’elle eut envie de voir Damon, sur _la réputation qu’on lui donne_, et les choses que le public a vues de lui. (_Critique de l’École des fem._ sc. 2.) On disait de même, au XVIe siècle, _donner un bruit à quelqu’un_: c’était lui attribuer une réputation. Bonnivet était «Des dames mieux voulu que ne feut oncques François, tant pour sa beauté, bonne grace et parole, que pour _le bruit que chacun luy donnoit_ d’estre l’un des plus adroits et hardis aux armes qui feust de son temps.» (La R. DE NAV. _Heptaméron_, nouvelle 14.) «Elle connoissoit le contraire du faux _bruit que l’on donnoit aux François_.» (_Ibid._) (Voyez BRUIT.) DONT, au sens de _par qui_, _de qui_: C’est moi, vous dis-je, moi, _dont_ le patron le sait. (_Dép. am._ III. 7.) Cette expression pèche par l’équivoque: il semble que Mascarille veuille dire: _ego_, CUJUS _dominus id rescivit_,--et il veut dire: A QUO OU _per quem dominus id rescivit_. L’ancienne orthographe eût évité cette confusion (aux yeux du moins), en écrivant: _dond_ le patron le sait.--_Unde id rescivit._ --DONT, pour _de qui_, avec un nom de personne: Messieurs les maréchaux, _dont_ j’ai commandement. (_Mis._ II. 7.) Mon fils, _dont_ votre fille acceptoit l’hyménée..... (_Sgan._ 7.) Et principalement ma mère étant morte, _dont_ on ne peut m’ôter le bien. (_L’Av._ II. 1.) Comme ami de son maître de musique, _dont_ j’ai obtenu le pouvoir de dire qu’il m’envoie à sa place. (_Mal. im._ II. 1.) --DONT, par laquelle: La beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence _dont_ elle nous entraîne. (_D. Juan._ I. 2.) La bassesse de ma fortune, _dont_ il plaît au ciel de rabattre l’ambition de mon amour..... (_Am. magn._ I. 1.) --DONT A LA MAISON, pour _à la maison de qui_: L’objet de votre amour, lui, _dont à la maison_ Votre imposture enlève un brillant héritage. (_Dép. am._ II. 1.) Molière ne s’est permis qu’une seule fois cette tournure entortillée, et c’est dans son premier ouvrage; car, malgré la chronologie reçue, je tiens le _Dépit amoureux_ aîné de l’_Étourdi_. Bossuet fournit un exemple d’une construction aussi bizarre: «On a peine à placer Osymanduas, _dont_ nous voyons de si magnifiques monuments dans Diodore, et de si belles marques _de ses combats_. (_Hist. un._ IIIe p. § 3.) _Dont nous voyons de si belles marques de ses combats!_ pour _des combats de qui nous voyons de si belles marques_. Il n’y a point de doute que ce ne soit là une construction très-vicieuse. Les saints ont eu leurs faiblesses, dit Voltaire; ce n’est point leurs faiblesses qu’il faut imiter. --DONT, au neutre, pour _de quoi_: Ah! poltron, _dont_ j’enrage! Lâche! vrai cœur de poule! (_Sgan._ 21.) Ah! poltron que je suis, de quoi j’enrage; c’est-à-dire, d’être poltron. _Unde venit mihi rabies._ --DONT relatif, séparé de son sujet: Comme _le mal_ fut prompt, _dont_ on la vit mourir. (_Dép. am._ II. 1.) (Voyez QUI RELATIF, séparé de son sujet.) D’ORES-EN-AVANT: THOMAS DIAFOIRUS. Aussi mon cœur, _d’ores-en-avant_ tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables. (_Mal. im._ II. 6.) Archaïsme, comme _ne plus_, _ne moins_. On voit que Thomas Diafoirus est issu de vieille bourgeoisie. On a dit, en ôtant l’_s d’ore_, _dorenavant_, et l’on met aujourd’hui un accent sur l’_é_, _dorénavant_; en sorte que les racines de ce mot sembleraient être _doré_ et _navant_. C’est _d’ora in avanti_, _d’ore en avant_. Il est fâcheux que l’Académie consacre l’orthographe et la prononciation vicieuses. DORMIR SA RÉFECTION, ce qu’il faut pour se refaire. Le sommeil est nécessaire à l’homme; et lorsqu’on ne _dort pas sa réfection_, il arrive que..... (_Prol. de la Pr. d’Él._, 2.) DOS; TOMBER SUR LE DOS A QUELQU’UN, en parlant d’un événement fâcheux: Il faut que tout le mal _tombe sur notre dos_. (_Sgan._ 17.) DOT, substantif masculin, archaïsme: L’ordre est que le futur doit doter la future Du tiers _du dot_ qu’il a. (_Éc. des fem._ IV. 2.) Les éditeurs modernes ont substitué «du tiers _de_ dot.»--Il faudrait au moins du tiers _de la_ dot. C’est une raillerie que de vouloir me constituer _son dot_ de toutes les dépenses qu’elle ne fera point. (_L’Av._ II. 6.) Montaigne fait toujours _dot_ masculin. Ménage: «Il faut dire _la dot_ et non pas _le dot_, comme dit M. de Vaugelas dans sa traduction de Quinte-Curce, et M. d’Ablancourt dans tous ses livres. Nicot dit _le dost_, qui est encore plus mauvais que _le dot_.» (_Obs. sur la lang. fr._ p. 126.) L’_Avare_ est de 1668, et Ménage écrivait ses observations en 1672, un an avant la mort de Molière. C’est donc vers cette seconde date que le genre du mot _dot_ a été fixé au féminin. M. Auger cite ce vers du _Riche vilain_: «_Un grand dot_ est suivi d’une grande arrogance.» Le moyen âge disait _dos_ fém., et _dotum_, neutre. (Voyez DU CANGE, au mot _dotum_.) DOUBLE, substantif, pièce de monnaie: Vous ne les auriez pas, s’il s’en falloit _un double_. (_Méd. m. lui._ I. 6.) Il n’y a point de monsieur maître Jacques _pour un double_! (_L’Av._ III. 6.) C’est-à-dire qu’il se tient plus cher, à plus haut prix. Le double était une petite monnaie de billon. _Il n’y en a point pour un double_, espèce d’adage pour exprimer un refus formel, une dénégation. DOUBLE FILS DE PUTAIN: _Double fils de putain_, de trop d’orgueil enflé. (_Amph._ III. 7.) _Put_, _pute_, du latin _putidus_, par apocope, ancien adjectif qui signifiait à peu près _vilain_, _vilaine_. Il est encore d’usage dans les Vosges et la Franche-Comté. Un vieux noël en patois lorrain, sur l’Épiphanie, dit, en parlant du roi d’Éthiopie: «Qui ot ce _put_ chabrouillé?» Qui est ce vilain barbouillé? La terminaison _ain_ s’ajoutait volontiers, dans les premiers temps de la langue, aux noms de femme ou de femelle. Ève, Èvain; Berte, Bertain. Dans le roman de Renard, la poule s’appelle _Pinte_ et _Pintain_. M. Ampère pense que c’est un vestige d’anciennes déclinaisons, et la marque du cas oblique; je suis plus porté à y voir simplement une forme de diminutif. DOUCEUR DE CŒUR, tendresse, amour: Il se rend complaisant à tout ce qu’elle dit, Et pourroit bien avoir _douceur de cœur_ pour elle. (_Tart._ III. 1.) DOUTER, verbe actif, DOUTER QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire, le redouter, le tenir suspect: Sous couleur de changer de l’or _que l’on doutoit_. (_L’Ét._ II. 7.) De l’or que l’on craignait qui ne fût faux. _Douter_, se disait jadis en la forme simple; _redouter_ marquait la répétition, l’augmentation de la crainte. Nicot dit: «DOUBTER, _hesitare_, _dubitare_, _vereri_, _timere_.» «Il n’y a homme tant hardi qui ne _doubte_ trop d’en aller cueillir.» (_Amadis._ livre II.) CLOVIS _à saint Remi_. «Sire arcevesque, nous lavez «Corps et ame dedans ces fons, «Pour nous garder d’aller à fons «D’enfer, qui tant fait à _doubter_.» (_Mystère de Ste Clotilde._) Froissart ne connaît que le verbe _douter_ ou _se douter_, pour signifier _redouter_: «Le clerc _se doubta_ du chevalier, car Il estoit crueux.... il vint en presence du sire de Corasse, et luy dit:.... Je ne suis pas si fort en ce pays comme vous estes; mais sachez que, au plustost que je pourrai, je vous envoierai tel champion que vous _doubterez_ plus que vous ne faictes moi. Le sire de Corasse..... luy dict: Va à Dieu, va; fais ce que tu peux: _je te doubte_ autant mort que vif.». (FROISSART. _Chron._ III. ch. 22.) _Se douter_ avait le même sens. Pathelin confie à sa femme son plan pour duper le drapier: Bon, dit Guillemette: «Mais se vous renchéez arrière, «Que justice vous en repreigne, «_Je me doute_ qu’il ne vous preigne «Pis la moitié qu’à l’autre fois.» (_Pathelin._) «Mais si vous ne réussissez pas, et que la justice s’en mêle, j’ai peur qu’il ne vous en arrive la moitié pis que la dernière fois.» DOUZE, dans une espèce de rébus ou de calembour trivial: JACQUELINE. Je vous _dis et vous douze_ (10 et 12) que tous ces médecins n’y feront rian que de l’iau claire. (_Méd. m. lui._ II. 2.) DRAPS BLANCS; METTRE QUELQU’UN DANS DE BEAUX DRAPS BLANCS, par ironie: Ah! coquines, vous nous mettez _dans de beaux draps blancs_! (_Préc. rid._ 18.) DRESSER; DRESSER UN ARTIFICE: Et s’il faut par hasard qu’un ami vous trahisse, Que pour avoir vos biens on _dresse un artifice_? (_Mis._ I. 1.) Mais pour lequel des deux princes au moins _dressez-vous tout cet artifice_? (_Am. magn._ IV. 4.) --DRESSER SA PROMENADE VERS...., la diriger: _Dressons notre promenade_, ma fille, _vers_ cette belle grotte où j’ai promis d’aller. (_Ibid._ III. 1.) «Elle _dressa_ donc _ses pas_ vers le lieu où elle avoit vu cette fumée.» (LA FONT. _Psyché._ II.) DU, pour _que le_: C’est un étrange fait _du_ soin que vous prenez A me venir toujours jeter mon âge au nez. (_Éc. des mar._ I. 1.) «C’est dommage _du_ gentilhomme, quand il est ainsi mort.» (FROISSART. _Chron._ II. ch. 30.) «Voyez que c’est _du_ monde et _des_ choses humaines!» (REGNIER, _le mauvais Giste_.) (Voyez DE remplaçant _que le_.) DULCIFIÉ, au sens métaphorique: GROS-RENÉ. .... Voilà tout mon courroux Déjà _dulcifié_; qu’en dis-tu, romprons-nous? (_Dép. am._ IV. 4.) --DULCIFIANT, adjectif: SGANARELLE. Quelque petit clystère _dulcifiant_. (_Méd. m. lui._ II. 7.) DU MATIN, dès le matin: Mais demain, _du matin_, il vous faut être habile A vider de céans jusqu’au moindre ustensile. (_Tart._ V. 4.) --DU GRAND MATIN, dès le grand matin: Aujourd’hui il est trop tard; mais demain, _du grand matin_, je l’enverrai querir. (_Mal. im._ I. 10.) DU MIEUX QUE: Allez; si elle meurt, ne manquez pas de la faire enterrer _du mieux que_ vous pourrez. (_Méd. m. lui._ III. 2.) (Voyez DE exprimant la cause, la manière.) DU MOINS, pour _au moins_: Je vais gager qu’en perruques et rubans il y a _du moins_ vingt pistoles. (_L’Av._ I. 5.) C’est pour éviter l’hiatus _a_ au. DUPE A (un infinitif): Et moi, la bonne _dupe à trop croire_ un vaurien.... (_L’Ét._ II. 5.) Et moi, qui en croyant un tel vaurien suis une trop bonne dupe. (Voyez A (un infinitif), capable de, de nature à.) DURANT QUE: Je vous dirai..... que, _durant qu’il dormoit_, je me suis dérobée d’auprès de lui.... (_G. D._ III. 12.) C’est le participe ablatif absolu des Latins: _durante quod_, comme _pendant que_, _pendente quod_. DURER CONTRE QUELQU’UN, DURER A QUELQUE CHOSE: CLAUDINE. Il a tant bu, que je ne pense pas qu’on puisse _durer contre lui_. (_G. D._ III. 12.) Il faut observer que ce _durer_ est devenu du style de servante, mais que cette servante parle comme Tite-Live: «Nec poterat _durari_ extra tecta.» On ne pouvait _durer_ hors des maisons; et comme Plaute: «Nequeo _durare_ in ædibus.» Je ne puis _durer_ chez nous. «....... _durate_, atque exspectate cicadas.» (JUVEN. IX. 69.) Au surplus, Molière a relevé cette expression, en la mettant dans la bouche de l’aimable et spirituelle Élise: Pensez-vous que je puisse _durer à ses turlupinades_ perpétuelles? (_Crit. de l’Éc. des fem._ 1.) DU TOUT: ..... Mon fils, je ne puis _du tout_ croire Qu’il ait voulu commettre une action si noire. (_Tart._ V. 3.) Je relève ces vers, uniquement pour avoir occasion d’observer que _du tout_ ne s’emploie plus aujourd’hui qu’en des formules négatives, mais qu’il entrait aussi originairement dans des phrases affirmatives. Par exemple: «Nostre Seignur Deu _del tut_ siwez et de tut vostre quer servez.» (_Rois._ p. 41.) Suivez _du tout_, c’est-à-dire, absolument, sans restriction, Notre Seigneur Dieu.--Nous sommes appauvris de la moitié de cette locution. «Pensez, amis, que je faz moult «Quant je me mets en vous _du tout_ «Et de ma mort et de ma vie.» (_Partonopeus._ v. 7730.) Quand je me confie entièrement en vous, quand je vous livre ma mort et ma vie. _E muet_ étouffé pour la mesure: Les flots contre les flots font un _remue-ménage_. (_Dép. am._ IV. 2.) L’édition de P. Didot écrit _remû-ménage_; l’édition faite sous les yeux de Molière, _remue-ménage_. Je pousse, et je me trouve en un fort à l’écart, A la _queue_ de nos chiens, moi seul avec Drécart. (_Fâcheux._ II. 7.) La locution étant ainsi faite, il n’y avait pas moyen de l’employer autrement en vers. Au reste, il est bon d’observer que dans l’ancienne versification l’_e_ muet ne comptait pas plus à l’hémistiche qu’il ne fait aujourd’hui à la fin d’un vers. Et tout atteste que nos pères avaient l’oreille aussi délicate que nous, pour le moins. Il se passe quelque chose d’analogue en musique. C’est l’altération de la septième dans la gamme mineure; on n’en avait pas l’idée jadis, et nous ne saurions nous en passer. Ce sont des effets de l’éducation, qu’on prend pour des lois naturelles: Tant de nos premiers ans l’habitude a de force! --_E muet_ de la seconde ou de la troisième personne, comptant pour une syllabe: Anselme, mon mignon, _crie_-t-elle à toute heure. (_L’Ét._ I. 6.) Ah! _n’aie_ pas pour moi si grande indifférence! (_Ibid._ II. 7.) Ils ne vous ôtent rien, en m’ôtant à vos yeux, Dont ils n’_aient_ pris soin de réparer la perte. (_Psyché._ II. 1.) Mais _Psyché_ est écrite avec une précipitation extrême. Molière, depuis ses premiers ouvrages, ne se permettait plus cette négligence. ÉBAUBI: Je suis tout _ébaubie_, et je tombe des nues! (_Tart._ V. 5.) Trévoux dit que c’est une forme populaire et corrompue du mot _ébahi_. Il se trompe. La forme première est _abaubi_, et nos pères distinguaient bien _esbahi_ et _abaubi_: «Lors le voit morne et _abaubit_.» (_Rom. de Coucy._ v. 185.) «Li chastelains fut _esbahis_.» (_Ibid._ v. 223.) La châtelaine de Fayel, voyant dans sa chambre son époux et son amant, demeure stupéfaite: «Quant ele andeus leans les vist, «Le cuer a tristre et _abaubit_. «Dont dist come _esbahie_ fame: «Sire diex! quel gent sont cecy?» (_Ibid._ v. 4546.) _Esbahi_ est celui qui reste la bouche béante, comme s’il bâillait. La racine est _hiare_. _Abaubi_ a pour racine _balbus_, dont on fit _baube_. Louis le Bègue était _Loys li Baube_: «Looys, le fil Challe le Chauf, qui _Loys li Baubes_ fut apelez.» (_Chron. de St.-Denys_, ad ann. 877.) Et Philippe de Mouskes: «Loeys ki _Baubes_ ot nom.» Louis, surnommé le Bègue. En composant cet adjectif avec _a_, qui marquait une action en progrès, on fit _abaubir_, comme _alentir_, _apetisser_, _agrandir_, et, par la corruption de l’âge, _ébaubi_. Un homme _ébahi_ est muet de surprise; l’_ébaubi_ est celui que la surprise fait bégayer, balbutier. Trévoux dérive _esbahir_ de l’hébreu _schebasch_, et _ébaubi_, d’_ébahir_. Le verbe était _bauboier_ ou _baubier_, qui s’écrivait _balbier_. Il y a dans Partonopeus un exemple naïf d’une femme ébaubie, ou abaubie: c’est quand la fée Mélior, en s’éveillant, ne trouve plus Partonopeus à ses côtés; elle veut l’appeler par son nom: «Nel puet nomer, et neporquant «_Balbié_ l’a en souglotant: «_Parto, Parto_, a dit souvent, «Puis dit _nopeu_, moult feblement; «Et quant a _Partonopeu_ dit «Pasmee ciet desor son lit.» (_Partonopeus._ v. 7245.) (Voyez Du Cange aux mots _Balbire_ et _Balbuzare_.) _Balbier_ (_baubier_), est la forme primitive, tirée de _balbus_. _Balbutier_ est de seconde formation, calqué sur _balbutire_. ÉBULLITIONS DE CERVEAU: Je suis pour le bon sens, et ne saurois souffrir les _ébullitions de cerveau_ de nos marquis de Mascarille. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) ÉCHAPPER (L’) BELLE: Je viens de l’_échapper bien belle_, je vous jure! (_Éc. des fem._ IV. 6.) Le substantif de l’ellipse paraît être _occasion_, comme dans _vous nous la donnez belle_! On comprend que, dans ces formules, l’absence du mot précis a permis à l’usage d’étendre un peu le sens et les applications. Nous l’avons en dormant, madame, _échappé belle_! (_Fem. sav._ IV. 3.) L’usage a consacré cette forme avec cette orthographe, parce qu’elle date d’une époque où l’on n’était pas bien rigoureux sur l’accord des participes, et que d’ailleurs l’ellipse du substantif féminin dissimule un peu la faute. Il est certain que, à la rigueur, il faudrait _échappée belle_. Cependant, en prose même, personne n’a jamais écrit le participe au féminin: «Ma foi, mon ami, _je l’ai échappé belle_ depuis que je ne t’ai vu!» (LESAGE, _Gil Blas_.) L’italien possède beaucoup de locutions faites, où l’adjectif est ainsi au féminin par rapport à un substantif sous-entendu:--_come la passate?_--_questa non l’intendo_;--_ei me l’ha fatta_;--_questa non mi calza_, etc., etc., où l’on peut supposer dans l’ellipse les mots _vita_, _cosa_, _burla_, _scarpa_. ÉCHELLE; TIRER L’ÉCHELLE APRÈS QUELQU’UN: LUCAS. Oh, morguenne! il faut _tirer l’échelle après ceti-là_. (_Méd. m. lui._ II. 1.) Cette figure s’entend assez: quand on tire l’échelle, c’est qu’on n’a plus à laisser monter personne, étant satisfait de ce qui est monté. ÉCHINE; AJUSTER L’ÉCHINE, bâtonner: Ah! vous y retournez! Je _vous ajusterai l’échine_. (_Amph._ III. 7.) ÉCLAIRÉ EN HONNÊTES GENS: L’âge le rendra plus _éclairé en honnêtes gens_. (_Crit. de l’Éc. des f._ 5.) C’est-à-dire, lui apprendra à les mieux reconnaître. ÉCLAIRER QUELQU’UN, l’espionner, éclairer ses démarches: Au diable le fâcheux qui toujours _nous éclaire_! (_L’Ét._ I. 4.) Dites-lui qu’il s’avance, ............................................... Et qu’il ne se verra d’aucuns yeux _éclairé_. (_D. Garcie._ IV. 3.) J’ai voulu vous parler en secret d’une affaire, Et suis bien aise ici qu’aucun ne nous _éclaire_. (_Tart._ III. 3.) Il nous reste en ce sens le substantif _éclaireur_; _aller en éclaireur_. On disait _éclairer à quelqu’un_, pour signifier lui éclairer son chemin. Nicot fait soigneusement la distinction entre _éclairer quelqu’un_ et _à quelqu’un_; il explique le second: «_Prælucere alicui; lucem facere alicui; lustrare lampade._» Ainsi quand on lit dans _Don Juan_, act. IV, scène 3,--Allons, monsieur Dimanche, je vais _vous éclairer_,--il faut entendre ce _vous_ au datif, pour _à vous_, et non pas à l’accusatif, comme aujourd’hui nous disons, _Éclairez monsieur_. C’est une politesse très-impolie: monsieur n’a pas besoin qu’on _l’éclaire_, mais qu’on _lui éclaire_ sa route. Ce vice du langage moderne paraît né de l’équivoque des formes _vous_, _moi_, _me_, qui servent aussi pour _à vous_, _à moi_. ÉCLATS DE RISÉE, éclats de rire: A tous les _éclats de risée_, il haussoit les épaules, et regardoit le parterre en pitié. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) «Ces paroles à quoi Gélaste ne s’attendoit point, et qui firent faire un petit _éclat de risée_, l’interdirent un peu.» (LA FONTAINE. _Psyché._ I.) ÉCOT; PARLER A SON ÉCOT: Mais quoi...?--Taisez-vous, vous; _parlez à votre écot_. Je vous défends tout net d’oser dire un seul mot. (_Tart._ IV. 3.) C’est-à-dire parlez à votre tour, en proportion de votre droit et de votre dû, comme chacun mange à son écot. ÉCOUTER UN CHOIX, y entendre, l’examiner: _Le choix_ est glorieux, et vaut bien qu’on l’_écoute_. (_Tart._ II. 4.) ÉCU; LE RESTE DE NOTRE ÉCU: Mme JOURDAIN (_apercevant Dorimène et Dorante_). Ah, ah! voici justement _le reste de notre écu_! Je ne vois que chagrins de tous côtés. (_B. gent._ V. 1.) Expression figurée, prise du change des monnaies. Voici le reste de notre écu! c’est-à-dire, voici qui complète notre infortune. EFFICACE, substantif féminin: On n’ignore pas qu’une louange, en grec, est d’_une merveilleuse efficace_ à la tête d’un livre. (_Préf. des Précieuses ridicules._) Il est trop heureux d’être fou, pour éprouver l’_efficace_ et la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement ordonnés. (_Pourc._ I. 11.) _L’efficace_, pour _l’efficacité_, commençait déjà, en 1669, à devenir un terme suranné; mais il a d’autant meilleure grâce dans la bouche d’un personnage grave et doctoral. Il faut observer qu’il y a dix ans entre les _Précieuses ridicules_ et _Monsieur de Pourceaugnac_ (1659-1669.) EFFRÉNÉ: PROPOS EFFRÉNÉS: Comment! il vient d’avoir l’audace De me fermer la porte au nez, Et de joindre encor la menace A mille _propos effrénés_! (_Amph._ III. 4.) Puisqu’on dit bien _une langue sans frein_, pourquoi ne dirait-on pas aussi _des propos effrénés_? La métaphore est la même. Mais on ne saurait approuver _des traits effrontés_ (_Tartufe_, II. 2); des épigrammes, des coups de langue, peuvent s’appeler des _traits_, parce que l’effet de l’un comme de l’autre est de blesser, de piquer; mais des _traits_ n’ont pas de _front_. Il y a incohérence, incompatibilité d’images. C’est Dorine qui est _effrontée_. EFFROI, au sens actif. Voyez PLEIN D’EFFROI. ÉGARER (SE) DE QUELQU’UN: Je m’étois par hasard _égaré d’un frère et de_ tous ceux de notre suite. (_D. Juan._ III. 4.) Les Italiens disent de même _smarrito della via_. J’observe que l’on disait aussi _égarer quelqu’un_, au même sens que _s’égarer de quelqu’un_: «Considerant les mouvements du chien........ à la queste de son maistre _qu’il a esgaré_.» (MONTAIGNE, II. 13.) C’est-à-dire dont il s’est égaré. Nicot ne donne que la forme _s’égarer d’avec_: «L’enfant _s’est esgaré d’avec son père_.» Ménage dérive _égarer_ de je ne sais quel _varare_, qu’il traduit par _traverser_. _Égarer_, _garer_, _garder_, _garir_ (auj. _guérir_), _guérite_, _garantir_, tous ces mots descendent de l’allemand, _bewahren_ (en anglais _beware_), en passant par la basse latinité, d’où le _w_ se changeait, pour le français, en _gu_ ou _g_ dur. _Werdung_, _guerdon_;--_Wantus_, _guant_ (gant);--_Wardia_, _garde_;--_Wadium_, _gage_;--Wallia, Gaule;--_Warenna_ (_ubi animalia custodiuntur_), _garenne_; etc., etc. _Guérite_ ou _garite_ signifiait une route à l’écart, un sentier détourné, par où l’on cherchait un refuge devant l’ennemi, _sich bewahren_, à _se garer_ ou à _se garir_. De là cette vieille expression, _enfiler la guérite_, c’est-à-dire, fuir, chercher un asile dans la fuite. De même _s’égarer_, c’est se jeter dans ce petit chemin perdu, hors de la vue et de la poursuite. On voit d’un même coup d’œil comment se rattachent à cette famille l’exclamation _gare!_ qui n’est que l’impératif du verbe _se garer_: se garer des chevaux, des voitures; et le substantif féminin _gare_; une _gare_ pour les bateaux, la _gare_ d’un chemin de fer. L’enchaînement des idées est donc celui-ci: protection, fuite, écart, égarement. ÉGAYER SA DEXTÉRITÉ, la faire jouer, en faire parade: Mais la princesse a voulu _égayer sa dextérité_, et de son dard, qu’elle lui a lancé un peu mal à propos.... etc. (_Am. magn._ V. 1.) ÉLEVER SES PAROLES, élever la voix: Plus haut que les acteurs _élevant ses paroles_. (_Fâcheux._ I. 1.) _ÉLISION._ OUI, ne faisant pas élision: Et son cœur est épris des grâces d’Henriette. --Quoi! de ma _fille? --Oui_, Clitandre en est charmé. (_Fem. sav._ II. 3.) L’hiatus n’est pas en cet endroit plus choquant que dans cet autre, où la règle du moins n’a pas à se plaindre: Ces gens vous _aiment?--Oui_, de toute leur puissance. (_Ibid._ II. 3.) Le repos fortement marqué fait disparaître l’hiatus. Quand ce repos est moindre, Molière ne manque pas d’élider: Notre sœur est folle, oui!--Cela croît tous les jours. (_Fem. sav._ II. 4.) Sans élision: Moi, ma _mère?--Oui_, vous. Faites la sotte un peu! (_Ibid._ III. 6.) OUAIS: Hé non! mon _père.--Ouais!_ qu’est-ce donc que ceci? (_Ibid._ V. 2.) L’hiatus dans ces passages est moins sensible à l’oreille que dans une foule d’autres, où il est plus réel, quoique dissimulé à l’œil par l’orthographe. Ainsi: Aucun, hors moi, dans la maison N’a droit de _commander.--Oui_, vous avez raison. (_Ibid._ V. 2.) Cela est très-légitime; mais on interdirait: _il m’a commandé, oui....._, qui est pour l’oreille absolument la même chose. Un des pires inconvénients de la versification moderne, c’est que les règles en ont été faites pour le plaisir des yeux, sans égard de celui de l’oreille. C’était précisément le contraire dans l’ancienne poésie française. Aussi les vers modernes, avec leur apparence de politesse et de rigidité, sont-ils remplis d’hiatus et de fautes contre la mesure. C’est ce que j’ai essayé de développer dans mon essai _sur les variations du langage français_, p. 177. ELLÉBORE, raison, bon sens: Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore; Et vous aviez besoin de mon peu d’_ellébore_. (_Sgan._ 22.) Sur cette expression _mon peu d’ellébore_, voyez PEU pour _un peu_. _ELLIPSE:_ --D’UN VERBE DÉJA EXPRIMÉ, et qui, répété, serait aux mêmes temps, nombre et personne que devant: Hé bien! vous le pouvez, _et prendre_ votre temps. (_Fâcheux._ III. 2.) Et vous pouvez prendre votre temps. Oui, _toute mon amie_, elle est, et je la nomme, Indigne d’asservir le cœur d’un galant homme. (_Mis._ III. 7.) Toute mon amie _qu’elle est_, elle est, etc.... Puisse-t-il te confondre, _et celui qui_ t’envoie! (_Tart._ V. 4.) Et confondre celui, etc. Confondre toi et celui... --D’UN VERBE DÉJA EXPRIMÉ, qui, répété, serait à une autre personne, à un autre nombre ou à un autre temps: Vous vous moquez de moi, Léandre, _ou lui de vous_. (_L’Ét._ III. 4.) Ou lui _se moque_ de vous. Ah! vous ne pouvez pas trop tôt me l’accorder (le pardon), Ni moi sur cette peur trop tôt le demander. (_Dép. am._ IV. 3.) Ni moi _je ne peux....._ Il parle d’Isabelle, et vous de Léonor. (_Éc. des mar._ III. 10.) Et _vous parlez_ de Léonor. Je ne veux point ici faire le capitan, Mais on m’a vu soldat _avant que courtisan_. (_Fâcheux._ I. 10.) Avant que _de me voir_ courtisan. Vous _attendez_ un frère, et _Léon son vrai maître_. (_D. Garcie._ V. 5.) Vous attendez un frère, et le royaume de Léon _attend_ son vrai maître. _Je suis_ le misérable, _et toi_ le fortuné. (_Mis._ III. 1.) _Tu es_ le fortuné. Puisque vous n’êtes pas en des liens si doux Pour _trouver_ tout en moi, comme _moi_ tout en vous... (_Ibid._ V. 7.) Comme _je trouve_ tout en vous. Et comme ses lumières _sont_ fort petites, _et son sens_ le plus borné du monde..... (_Pourc._ III. 1.) Et _que_ son sens _est_ le plus borné du monde. Ces sortes d’ellipses sont très-favorables à la rapidité du langage, mais la grammaire les repousse. Bossuet en use fréquemment: «Au point du jour, lorsque l’esprit _est_ le plus net _et les pensées le plus pures_, ils lisoient, etc.» (_Hist. un._ IIIe p. § III.) Et _que_ les pensées _sont_ le plus pures. «Le roi de Babylone _fut_ tué, et _les Assyriens mis en déroute_.» (_Ibid._ § iv.) Et les Assyriens _furent_ mis en déroute. «M. Arnauld _mériteroit_ l’approbation de la Sorbonne, _et moi_, la censure de l’Académie.» (PASCAL, 3e _Prov._) Et moi je mériterais. --D’UN VERBE NON EXPRIMÉ, mais que la pensée supplée facilement: ....... Ton maître t’a chargé De me saluer?--Oui.--Je lui suis obligé: _Va, que_ je lui souhaite une joie infinie. (_Dép. am._ III. 2.) Va, _dis-lui_ que, etc. Non, mon père m’en parle, _et qu’il est revenu_, Comme s’il devoit m’être entièrement connu. (_Éc. des fem._ I. 6.) _Et me dit_ qu’il est revenu. «Ils ont demandé avec instance que s’il y avoit quelque docteur qui les y eût vues (les cinq propositions), il voulût les montrer: _que_ c’étoit une chose si facile, qu’elle ne pouvoit être refusée.» (PASCAL, 1re _Prov._) --D’UN SUBSTANTIF OU D’UN ADJECTIF: Et sur lui, quoiqu’aux yeux il montrât beau semblant, _Petit Jean de Gaveau_ ne montoit qu’en tremblant. (_Fâcheux._ II. 7.) Gaveau était le nom du marchand de chevaux, petit Jean était son fils ou son valet: le petit Jean de chez Gaveau, comme dans la Comtesse d’Escarbagnas:--Voilà _Jeannot de monsieur le conseiller_ qui vous demande, madame. (Sc. 12.) Comme _à de mes amis_, il faut que je le chante Certain air que j’ai fait de petite courante. (_Fâcheux._ I. 5.) Comme à _l’un_ de mes amis. Ressouvenez-vous que, hors d’ici, _je ne dois plus qu’à mon honneur_. (_Don Juan._ III. 5.) Je ne dois plus _rien_ qu’à mon honneur. --D’UN PRONOM PERSONNEL: C’est donc ainsi qu’_absent_ vous m’avez obéi? (_Éc. des fem._ II. 2.) Moi absent, tandis que j’étais absent, _me absente_. La tournure en elle-même n’a rien de blâmable; au contraire, elle s’accorde bien avec la passion qui transporte Arnolphe; seulement il est fâcheux que le mot _absent_ soit placé, de manière à faire équivoque: d’après les règles et les usages de la grammaire, le sens serait, _vous absent_, _tandis que vous étiez absent_; et c’est _moi absent_, _en mon absence_. Il faut que l’intelligence de l’auditeur supplée à l’inexactitude de l’expression. ÉLUDER QUELQU’UN DE...., c’est-à-dire, à l’aide, au moyen de: _J’éludois un chacun d’un deuil_ si vraisemblable, Que les plus clairvoyants l’auroient cru véritable. (_L’Ét._ II. 7.) Cet exemple se rapporte à DE, employé pour marquer la cause ou la manière. EMBÉGUINÉ, coiffé, métaphoriquement: Ce beau monsieur le comte, dont vous êtes _embéguiné_! (_B. gent._ III. 3.) Est-il possible que vous serez toujours _embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins_? (_Mal. im._ III. 3.) EMBUCHE; METTRE EN EMBUCHE, en embuscade: Va-t’en faire venir ceux que je viens de dire, Pour _les mettre en embûche_ au lieu que je désire. (_Fâcheux._ III. 5.) Je ferai remarquer qu’on prononce aujourd’hui _embûche_ et _embusquer_; Nicot ne donne que _embuscher_. La racine est _bois_, «car, dit Nicot, les embusches et telles surprinses se font communement dedans le bois.» Regnard s’est servi de _rembûcher_, pour dire faire rentrer dans sa cachette: MERLIN. «........ Qu’il vous souvienne «Qu’un jour, étant chez vous, par malheur la garenne «S’ouvrit, et qu’aussitôt on vit tous vos garçons «S’armer habilement de broches, de bâtons; «Et qu’ils eurent grand’peine, avec cet air si brave, «A faire _rembûcher_ au fond de votre cave «Et dans votre grenier tous les lapins fuyards, «Qu’on voyoit dans la rue abondamment épars.» (_Le Bal._ 2.) EMMAIGRIR: Moi, jaloux! Dieu m’en garde, et d’être assez badin Pour m’aller _emmaigrir_ avec un tel chagrin! (_Dép. am._ I. 2.) _Emmaigrir_ et non _amaigrir_, comme portent les éditions modernes. _Emmegrir_ est dans l’édition faite sous les yeux de Molière. Et c’est la forme primitive du mot: «E dist al bacheler: Qu’espelt (_quid spectat_) que tu es si deshaitez e si _emmegriz_?» (_Rois._ p. 162.) «Et dit au jeune homme: D’où vient que tu es si défait et si amaigri?» Nos pères ont composé avec _en_ quantité de verbes, entre autres ceux qui marquent le passage progressif d’un état dans un autre: _embellir_, _enlaidir_, _emmaladir_[51], _engraisser_, _emmaigrir_, etc., c’est-à-dire, devenir de plus en plus beau, laid, gras, maigre; tomber malade. [51] «Le enfançunet que David out engendred de la femme Urie, _enmaladid_ e fut desesperez. (_Rois_, 160.) Si l’amad tant forment qu’il _enmaladid_ (_Rois_, 162.) Mes sires me guerpi, pur co que ier e avant ier _enmaladi_. (_Rois_ 115.)» Mais comme la notation _en_ sonnait _an_, d’où vient qu’on a écrit et prononcé _anemi_, _fame_, _solanel_, les mots figurés, _ennemi_, _femme_, _solennel_, on a de même prononcé, et par suite écrit, _amaigrir_, _agrandir_, pour _emmaigrir_, _engrandir_; certains mots ont conservé leur syllabe initiale _en_; d’autres ont totalement péri, par exemple, _emmaladir_, au lieu de quoi il nous faut dire _tomber malade_; d’autres enfin ont conservé la double forme, comme _ennoblir_ et _anoblir_, à chacune desquelles les grammairiens sont parvenus à fixer une nuance particulière, d’abord toute de fantaisie, puis adoptée, et maintenant consacrée par l’usage. Les grammairiens obtiendront peut-être un jour ce résultat pour _maigrir_ et _amaigrir_. Déjà, dans un _Traité des synonymes_, je lis sur ces deux verbes: «Nul doute que la particule initiale du second ne vienne du latin _ad_......... _Maigrir_ est toujours neutre et intransitif; au contraire, _amaigrir_ se prend d’ordinaire dans le sens actif; au lieu _d’énoncer simplement le fait, il le fait comprendre davantage, il le montre s’accomplissant dans un objet_, etc.»[52]. [52] _Traité des Synonymes_, par M. B. Lafaye. Mon dessein n’est nullement de faire de la peine à l’auteur de ce travail consciencieux. Je désire montrer seulement combien il est utile de connaître l’ancienne langue pour étudier la langue moderne. S’il eût consulté la vieille langue, M. B. L. n’eût point dit que _amaigrir_ renfermait la préposition _ad_, et l’erreur du point de départ ne se fût pas répandue sur toute la route. J’avoue que je ne saisis pas la distinction que l’auteur s’évertue à établir. Le résumé le plus clair de ce long paragraphe, c’est que _maigrir_ est _intransitif_, et _amaigrir_, _représentatif_. _Sunt verba et voces._ Les faiseurs de synonymes sont les premiers hommes du monde pour trouver un mot à des énigmes qui n’en ont pas. Je reviens à la distinction d’_anoblir_ et _ennoblir_, dont on veut que le premier soit pour le sens propre, et le second pour le sens métaphorique. C’est là, dis-je, une distinction toute chimérique. Montaigne se sert d’_anoblir_ au figuré: «Les lois prennent leur auctorité de la possession et de l’usage: il est dangereux de les ramener à leur naissance[53]; elles grossissent et s’_anoblissent_ en roulant, comme nos rivières.» (MONTAIGNE. II. 12.) [53] Les lois civiles et politiques, s’entend; car quant aux lois de la grammaire et du langage, on ne saurait trop en examiner et maintenir l’origine. Nicot ne connaît pas _anoblir_, mais seulement _ennoblir_. Il n’y avait qu’une prononciation; on l’a notée par deux orthographes; puis les gens qui font gloire et métier de raffiner sur les mots, ont voulu assigner à chaque orthographe sa valeur à part. Le plus simple bon sens indique que toujours l’acception figurée est venue à la suite de l’acception propre: pourquoi donc où l’origine est commune voulez-vous prescrire des formes différentes? L’étymologie d’_ennoblir_ est _in_ et _nobilitare_, sans conteste. Et _anoblir_, d’où viendra-t-il? De _ad_ et _nobilitare_, sans doute, parce que _ad_ est plus métaphorique que _in_? Belles finesses! Dufresny, au contraire, se sert d’_ennoblir_ dans le sens propre: «Mais ici j’ai de plus un grade que j’ai pris «Avec feu mon mari, doyen de ce bailliage. «C’est ainsi que je vins m’_ennoblir_ au village; «Bonne noblesse au fond, etc.» (_La Coquette de village._ I. 1.) La distinction d’_anoblir_ et _ennoblir_ est toute récente. Le Dictionnaire de l’Académie, de 1718, ne donnait encore qu’_ennoblir_, avec cette définition: «Rendre plus considérable, plus noble, plus illustre.» Trévoux (1740) met les deux formes, mais seulement comme différence d’orthographe, et en attribuant à chacune les deux valeurs:--«ANOBLIR se dit figurément en parlant du langage: _Anoblir son style_. (_D’Ablancourt._)» Et au mot ENNOBLIR:--«On distingue ordinairement trois degrés de noblesse: l’_ennobli_, qui acquiert le premier la noblesse; le noble, qui naît de l’_ennobli_; l’écuyer ou le gentilhomme, qui est au troisième degré. (_Le P. Menestrier._)» ÉMOUVOIR UN DÉBAT: Souffrez qu’on vous appelle Pour être entre nous deux juge d’une querelle, D’un _débat qu’ont ému_ nos divers sentiments Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants. (_Fâcheux._ II. 4.) EMPAUMER L’ESPRIT: Je vois qu’il a, le traître, _empaumé son esprit_. (_Éc. des fem._ III. 5.) Métaphore prise du jeu de paume. Empaumer la balle, c’est la saisir bien juste au milieu de la paume de la main, ou de la raquette qui remplace la main; ce qui donne moyen de la renvoyer avec le plus de puissance et d’avantage possible. La racine est _palma_, syncope du grec παλάμη, paume de la main. Nos pères, ne voulant jamais articuler deux consonnes consécutives, changeaient _al_ en _au_. Cette règle primitive de formation ou de transformation fut oubliée dès le XVIe siècle; aussi avons-nous aujourd’hui les mots _palme_, _palmé_, _palmipède_. Nos pères avaient fait le verbe _paumoier_, que nous avons laissé perdre, et que _manier_ remplace bien faiblement. EMPÊCHER absolument, dans le sens d’arrêter, embarrasser: Oui, j’ai juré sa mort; rien ne peut _m’empêcher_. (_Sgan._ 21.) Mais aux hommes par trop vous êtes accrochées, Et vous seriez, ma foi, toutes bien _empêchées_ Si le diable les prenait tous. (_Amph._ II. 5.) Dis-lui que je suis _empêché_, et qu’il revienne une autre fois. (_L’Av._ III. 13) «Je suis bien _empêché_: la vérité me presse, «Le crime est avéré; lui-même le confesse.» (RACINE. _Les Plaideurs._ III. 3.) Les Latins employaient de même _impeditus_ au figuré. --EMPÊCHER QUE sans _ne_. (voyez à NE _supprimé_.) EMPLOIS; FAIRE SES EMPLOIS DE QUELQUE CHOSE, en faire son occupation favorite: Et que _je fasse_ enfin _mes plus fréquents emplois De parcourir_ nos monts, nos plaines et nos bois. (_Pr. d’Él._ I. 3.) EMPLOYÉ; C’EST BIEN EMPLOYÉ, espèce d’adage: Poussez, c’est moi qui vous le dis; _ce sera bien employé_! (_G. D._ I. 7.) Ce sera un effort bien employé, ce sera bien fait. EMPORTER, au sens figuré: Monsieur, cette dernière (abomination) _m’emporte_, et je ne puis m’empêcher de parler. (_D. Juan._ V. 2.) Métaphore tirée de la balance, quand un plateau emporte l’autre. EN, archaïsme de prononciation pour _on_: MARTINE. Hélas! l’_en_ dit bien vrai: Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. .... Ce que j’ai? --Oui.--J’ai que l’_en_ me donne aujourd’hui mon congé. (_Fem. sav._ II. 5.) Cette confusion de formes, occasionnée par l’analogie des sons, était originairement permanente dans le meilleur langage. «Et tenoit l’_en_ que le dit arcevesque avoit ung dyable privé qu’il appeloit _Toret_, par lequel il disoit toutes choses que l’_en_ lui demandoit...... Maugier cheit en la mer, et si se noya que l’_en_ ne le peut sauver.» (_Chr. de Norm._, dans le _Recueil des historiens des Gaules_. XI. 338.) Les exemples en sont trop communs pour s’arrêter à les recueillir; mais il est intéressant d’observer que cette forme, aujourd’hui reléguée chez le peuple, était encore, au XVIe siècle, en usage à la cour et chez les mieux parlants. Dans l’aînée de toutes les grammaires françaises, celle que Palsgrave écrivit en anglais pour la sœur de Henri VIII (1530), on voit constamment _l’en_ figurer à côté de _l’on_: «Au singulier, dit Palsgrave, le pronom personnel a huit formes: _je_, _tu_, _il_, _elle_, _l’en_, _l’on_ ou _on_, et _se_. Exemple: _l’en_, _l’on_ ou _on parlera_, etc.» (Fol. 34 _verso_.) «Annotations pour savoir quand on doit employer _l’en_, _l’on_ ou _on_..... _L’en_, _l’on_ ou _on_, peult estre bien joyeux.» (Fol. 102 _verso_.) J’ai eu ailleurs l’occasion de montrer que François Ier disait et écrivait: _j’avons_, _j’allons_. D’où l’on voit que ces formes, considérées comme des vices de la rusticité, sont nées au Louvre, et sont descendues de la bouche des rois dans celle des paysans. --EN, préposition, représentant par syllepse le pluriel d’un substantif qui n’a figuré dans la phrase qu’au singulier: Comme l’amour ici ne m’offre _aucun plaisir_, Je m’_en_ veux faire au moins _qui soient_ d’autre nature; Et je vais égayer mon sérieux loisir..... (_Amph._ III. 2.) Je veux me faire _des plaisirs_ qui soient..... --EN sans rapport grammatical: Mais je ne suis pas homme à gober le morceau, Et laisser le champ libre aux yeux d’un damoiseau. _J’en veux rompre le cours._ (_Éc. des fem._ III. 1.) Rompre le cours de quoi? Des yeux du damoiseau? Des yeux n’ont point de cours. Cet _en_ figure par syllepse avec l’idée d’_intrigue_, qu’ont fait naître les premiers vers. --EN pour _avec_, _de_: ASSAISONNER EN: Il n’y a rien qu’on ne fasse avaler, lorsqu’on l’assaisonne _en_ louanges. (_L’Av._ I. 1.) --EN pour _à_; S’ALLIER EN: J’aurois bien mieux fait, tout riche que je suis, de _m’allier en bonne et franche paysannerie_. (_G. D._ I. 1.) --EN, comme, en qualité de: Autrement qu’_en tuteur_ sa personne me touche. (_Éc. des mar._ II. 3.) Et je puis sans rougir faire un aveu si doux A celui que déjà je regarde _en époux_. (_Ibid._ 14.) Je la regarde _en femme_, aux termes qu’elle en est. (_Éc. des fem._ III. 1.) Je la regarde comme ma femme. Touchez à monsieur dans la main, Et le considérez désormais, dans votre âme, _En homme_ dont je veux que vous soyez la femme. (_Fem. sav._ III. 3.) Cette locution n’a de remarquable que la façon dont Molière l’a placée. Clitandre agit _en homme qui_ vous aime; c’est la manière de parler toute naturelle: _en homme_ se rapporte au sujet _Clitandre_. Le sens et la grammaire sont d’accord. Mais: _ma fille_, considérez monsieur _en homme dont....._, _en homme_ ne se rapporte plus du tout au sujet, et semble prêter à une équivoque, comme si l’on disait: _Madame_, considérez ce malheur _en homme_ courageux, c’est-à-dire, comme si vous étiez un homme courageux. Cette équivoque est ici impossible, et le sens saute aux yeux; mais enfin j’ai cru qu’il y avait matière à une observation, par rapport à la rigueur de l’exactitude grammaticale. --EN, à la manière de: EN DIABLE, voyez DIABLE. --EN surabondant; EN ÊTRE DE MÊME: Il est très-naturel, et j’_en suis bien de même_. (_Dép. am._ I. 3.) Hé oui, la qualité! la raison _en_ est belle! (_D. Juan._ I. 1.) Ah! ah! tu t’_en_ avises, Traître, _de_ l’approcher de nous! (_Amph._ II. 2.) Mais _de vous_, cher compère, il _en_ est autrement. (_Éc. des fem._ I. 1.) _De vous_, dans ce dernier exemple, est pour _quant à vous_, _de te_: quant à vous, il en est autrement. On ne peut donc pas dire que _en_ y fasse un double emploi réel. Quels inconvénients auroient pu _s’en ensuivre_! (_Amph._ II. 3.) Molière suivait ici la règle et l’usage de son temps. Le grammairien la Touche, dans son _Art de bien parler français_, dit, à l’article du verbe _s’ensuivre_: «Dans les temps composés, on met toujours la particule _en_ devant l’auxiliaire _être_:--Ce qui _s’en_ est _ensuivi_; les procédures qui s’_en_ étaient _ensuivies_.» (T. II, p. 204.) Nos pères composaient avec _en_ tous les verbes qui expriment une idée de mouvement, soit progrès, dérangement, métamorphose:--_S’ensauver_, _s’enpartir_, _s’endormir_, _s’entourner_, _s’enaller_, _s’enrepentir_, etc., etc. On disait de même activement, _enoindre_, _enamer_, _enappeler_, _ensuivre_, etc., dont les simples sont aujourd’hui seuls usités: «Je n’ignore pas les lois de la nostre (politesse); j’aime à les _ensuivre_.» (MONTAIGNE.) Ces verbes se construisaient encore avec la préposition _en_, même au commencement du 18e siècle. Fontenelle, dans l’_Histoire des oracles_: «Voyons ce qui s’_en_ est _ensuivi_;» et l’abbé d’Olivet, dans sa _Prosodie_: «_De là_ il _s’ensuit_...;» ce que M. Landais, avec sa confiance intrépide et accoutumée, ne manque pas d’appeler un solécisme, à cause, dit-il, de la répétition vicieuse des deux _en_. Il n’y a pas là de répétition vicieuse, ni de solécisme, non plus que lorsque nous disons d’un homme épris d’une femme: il _en_ est _enflammé_; il _en_ est _ensorcelé_;--vous avez ouvert la cage de ces oiseaux; il s’_en_ est _envolé_ deux. _Ensuivre_, traduction d’_insequi_, comme poursuivre de _persequi_, est dans Nicot et dans Trévoux. Le dimanche _ensuivant_, pour _le dimanche suivant_, est du style de procédure. «Le lendemain, ne fut tenu, pour cause, «Aucun chapitre; et _le jour ensuivant_, «Tout aussi peu.» (LA FONTAINE. _Le Psautier._) (Voyez EMMAIGRIR.) --EN _supprimé_: Tu _n’es pas_ où tu crois. En vain tu files doux. (_Amph._ II. 3.) Je vous montrerai bien.... Qu’on _n’est pas_ où l’on croit, en me faisant injure. (_Tart._ IV. 7.) Sosie croit être dans le palais d’Amphitryon, Orgon croit être chez soi; et ni l’un ni l’autre ne s’abuse par cette croyance. Mais il s’agit ici d’un point moral, et non du lieu physique: c’est pourquoi je pense qu’il n’est pas permis de supprimer cet _en_, qui marque la différence des deux locutions _être quelque part_ et _en être à....._ --EN, relatif à un nom de personne: C’est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête Les moyens les plus prompts d’_en_ faire ma conquête. (_L’Ét._ I. 2.) De faire que Célie soit ma conquête. Le plus parfait objet dont je serois charmé N’auroit pas mon amour, n’_en_ étant point aimé. (_Dép. am._ I. 3.) C’est-à-dire, si je n’en étais pas aimé. (Voyez PARTICIPE PRÉSENT, pour _si_ suivi d’un conditionnel.) Arnolphe dit d’Agnès: Je l’aurai fait passer chez moi dès son enfance, Et j’_en_ aurai chéri la plus tendre espérance. (_Éc. des fem._ IV. 1.) L’espérance d’Agnès, c’est-à-dire que donnait Agnès. Ce n’est là qu’une ébauche du personnage; et, pour _en_ achever le portrait, il faudroit bien d’autres coups de pinceau.... (_D. Juan._ I. 1.) Mes justes soupçons chaque jour avoient beau me parler, j’_en_ rejetois la voix qui vous rendoit criminel. (_Ibid._ I. 3.) Allons, cédons au sort dans mon affliction; Suivons-_en_ aujourd’hui l’aveugle fantaisie. (_Amph._ III. 7.) Le sort est personnifié dans cet exemple, comme les soupçons dans le précédent. Et tandis qu’au milieu des béotiques plaines Amphitryon son époux Commande aux troupes thébaines, Il _en_ a pris la forme. (_Ibid._ prol.) Jupiter a pris la forme d’Amphitryon. --EN, construit avec un verbe, avec ALLER: Il faut que ce soit elle, avec une parole Qui trouve le moyen de les faire _en aller_. (_D. Garcie._ IV. 6.) Vous ne voulez pas _faire en aller_ cet homme-là? (_Impromptu._ 2.) L’usage est fort ancien de supprimer le pronom réfléchi: (Voyez ARRÊTER et PRONOM RÉFLÉCHI.) Ne devrait-on pas écrire tout d’un mot _enaller_, comme _enflammer_, _s’envoler_, _s’enfuir_, et tous les composés avec _en_? Pourquoi la tmèse est-elle prescrite au participe passé de ce verbe, tandis qu’elle est défendue dans les analogues? Pourquoi faut-il absolument dire _il s’en est allé_, et ne peut-on dire _il s’en est volé_, _il s’en est flammé_? Le peuple dit toujours: _il s’est enallé_. Le livre des _Rois_ tantôt fait la tmèse, et tantôt non. Ce qui a placé ce verbe dans une catégorie particulière, c’est peut-être l’irrégularité de ses formes à certains temps. On trouve, dès l’origine de la langue, _en aller_ avec ou sans le pronom réfléchi: «A tant Samuel s’enturnad, e en Gabaa Benjamin _s’enalad_, e li altre _enalerent_ od Saul.» (_Rois._ p. 44.) On rencontre, à l’impératif, _en va_, sans le pronom, et _va-t-en_, avec le pronom: «Pur co, _enva_ e oci e destrui Amalech.» (_Ibid._ p. 53.) «Truvad Cisnee, ki cusins fu Moysi, e bonement li dist: _Vat en_ d’ici.» (_Ibidem._) --EN (S’) ALLER, pour _aller_ simplement. Molière affectionne la première forme: Oui, notaire royal.--De plus, homme d’honneur. --Cela _s’en va sans dire_. (_Éc. des mar._ III. 5.) Le commissaire viendra bientôt, et l’on _s’en va_ vous mettre en lieu où l’on me répondra de vous. (_Méd. m. lui._ III. 10.) Mais son valet m’a dit qu’il _s’en alloit_ descendre. (_Tart._ III. 1.) --Avec _devoir_; EN DEVOIR A QUELQU’UN: Il ne vous _en doit rien_, madame, en dureté de cœur. (_Princ. d’Él._ III. 5.) --Avec _donner_ et _jouer_; EN DONNER D’UNE, et EN JOUER D’UNE AUTRE: Bon, bon! tu voudrois bien ici _m’en donner d’une_. (_Dép. am._ III. 7.) Pour toi premièrement, puis pour ce bon apôtre, Qui veut _m’en donner d’une, et m’en jouer d’une autre_. (_L’Ét._ IV. 7.) Le mot de l’ellipse paraît être le substantif _bourde_ ou plutôt _bourle_. (Voyez BOURLE.) --Avec _être_; EN ÊTRE JUSQU’A (un infinitif): Pour moi, _j’en suis_ souvent _jusqu’à verser des larmes_. (_Psyché_, I. 1.) --Avec _payer_: Non, en conscience, vous _en payerez_ cela. (_Méd. m. lui._ I. 6.) --Avec _planter_; EN PLANTER A QUELQU’UN: Je sais les tours rusés et les subtiles trames Dont, pour _nous en planter_, savent user les femmes. (_Éc. des fem._ I. 1.) _En_ figure ici le mot _cornes_, qu’on laisse de côté par bienséance et discrétion. --Avec _pouvoir_; N’EN POUVOIR MAIS: .... Ayant de la manière Sur ce qui _n’en peut mais_ déchargé sa colère..... (_Éc. des fem._ IV. 6.) Est-ce que _j’en puis mais_? Lui seul en est la cause. (_Ibid._ V. 4.) _Mais_ est le latin _magis_, qu’on prononçait, dans l’origine, en deux syllabes: _ma-his_, l’aspiration remplaçant le _g_ du latin. _Mais_ signifie donc _plus_, _davantage_; et _je n’en puis mais_, _non possum magis_, c’est-à-dire, je n’en puis rien, pas plus que vous ne voyez. --EN POUVOIR QUE DIRE, locution elliptique: Beaucoup d’honnêtes gens _en pourroient bien que dire_. (_Éc. des fem._ III. 3.) Pourraient bien avoir ou savoir que dire de cela. _Que_ représente ici _quod_, comme dans cette locution: _faire que sage_; c’est faire ce que fait le sage. --EN, construit avec un substantif ou un adverbe; EN ALGER: Il va vous emmener votre fils _en Alger_.--On t’emmène esclave _en Alger_! (_Scapin._ II. 11.) Cette façon de parler est née de l’horreur de nos pères pour l’hiatus, même en prose. _A Alger_, leur paraissait intolérable. En pareil cas, ils appelaient à leur secours les consonnes euphoniques, dont l’_n_ était une des principales, et disaient: Aller A(_n_) Alger. L’identité de prononciation a fait écrire par _e_, _en Alger_. «Je serai marié, si l’on veut, _en Alger_.» (CORNEILLE. _Le Ment._) Aujourd’hui, que l’euphonie de notre langue a été détruite par l’intrusion des habitudes étrangères, tous les journaux écrivent, et l’on prononce, _à Alger_. Cela s’appelle un perfectionnement logique. --EN-BAS, EN-HAUT, considérés comme substantifs, et recevant encore devant eux la préposition _en_: Qu’est ceci? vous avez mis les fleurs _en en-bas_?--Vous ne m’aviez pas dit que vous les vouliez _en en-haut_. (_B. gent._ II. 8.) Nicot écrit d’un seul mot _embas_, _enhault_. Perrault, parlant de la feuille d’arbre: «Lorsque l’hiver répand sa neige et ses frimas, «Elle quitte sa tige, et descend _en en-bas_.» «Ce mot, en de certaines occasions, doit être regardé comme substantif, car on lui donne une préposition.» (TRÉVOUX.) --EN DÉPIT QUE..... Voyez DÉPIT. --EN LA PLACE DE: Et qui des rois, hélas! heureux petit moineau, Ne voudrait être _en_ votre place! (_Mélicerte._ I. 5.) ENCANAILLER (S’), néologisme en 1663: CLIMÈNE (_précieuse_).--..... Le siècle _s’encanaille_ furieusement! ÉLISE.--Celui-là est joli encore, _s’encanaille_! Est-ce vous qui l’avez inventé, madame? CLIMÈNE.--Hé! ÉLISE.--Je m’en suis bien doutée. (_Crit. de l’Éc. des f._ 7.) Il paraît que ce mot fit un établissement rapide, car il est dans Furetière (1684), et sans observation. _S’enducailler_, que Chamfort avait fait par représailles, n’a pas eu le même bonheur, sans doute parce qu’il était moins nécessaire. ENCENS, au pluriel; DES ENCENS, des hommages, des louanges: Cet empire, que tient la raison sur les sens, Ne fait pas renoncer aux douceurs _des encens_. (_Fem. sav._ I. 1.) _Aux encens_ qu’elle donne à son héros d’esprit. (_Ibid._ I. 3.) Pour moi, je ne vois rien de plus sot, à mon sens, Qu’un auteur qui partout va gueuser _des encens_. (_Ibid._ III. 5.) ENCHÈRE; PORTER LA FOLLE ENCHÈRE DE QUELQU’UN: Vous pourriez bien _porter la folle enchère de tous les autres_, et vous n’avez point de père gentilhomme. (_G. D._ I. 6.) _Porter la folle enchère_, c’est couvrir à soi seul les mises de tous les autres enchérisseurs, demeurer seul responsable et payer pour tout le monde, et un peu encore au delà. ENCLOUURE: De l’argent, dites-vous: ah! voilà _l’enclouure_! (_L’Ét._ II. 5.) On a deviné l’_enclouure_. (_B. gent._ III. 10.) L’_enclouure_ est, au propre, la plaie secrète d’un cheval que le maréchal a piqué jusqu’au vif en le ferrant, et qui fait boîter la bête. Comme il est très-difficile de reconnaître au dehors lequel des clous perce trop avant, on est quelquefois obligé de dessoler entièrement le cheval. De là, le sens figuré de cette expression: _deviner l’enclouure_. Nicot ne donne que _enclouer_, d’où il paraîtrait que le substantif est plus moderne; mais on le rencontre dès le XIIIe siècle: «Li rois qui payens asseure «Panse bien cette _encloeure_ (enclouvéure).» (_Complainte de Constantinoble_, p. 29.) ENCORE QUE, quoique: _Encor que_ son retour En un grand embarras jette ici mon amour.... (_Éc. des f._ III. 4.) Les Italiens disent de même _ancora che_. «_Encore qu’_ils soient fort opposés à ceux qui commettent des crimes...» (PASCAL. 8e _Prov._) La Fontaine affectionne cette expression; elle revient très-souvent aussi dans les _Provinciales_. _Encore que_, pour la construction, est autre que _quoique_. _Quoi_ n’est pas un adverbe, c’est un pronom neutre à l’accusatif; on ne devrait donc, à la rigueur, l’employer que devant un verbe dont il pût recevoir l’action: _quoi que_ vous disiez; _quoi qu’il_ fasse. Ainsi l’on ne devrait pas dire: _quoi qu’ils_ soient opposés, parce que rien ici ne gouverne _quoi_. En latin: _quod cumque agas_, et _quamvis sint oppositi_. Il faut, en français, prendre l’autre expression, _encore que_. C’est par abus et par oubli de la valeur des mots qu’on a laissé _quoique_ passer pour adverbe, et en cette qualité usurper indistinctement toutes les positions, au point d’étouffer comme inutile l’autre forme. ENDIABLER (S’) A (un infinitif): Chacun _s’est endiablé à me croire_ médecin. (_Méd. m. lui._ III. 1.) ENFLÉ D’UNE NOUVELLE: Et quand je puis venir, _enflé d’une nouvelle_, Donner à son repos une atteinte mortelle, C’est lors que plus il m’aime. (_D. Garcie._ II. 1.) ENFONCÉ, par métaphore comme _plongé_: ENFONCÉ DANS LA COUR: Il est _fort enfoncé dans la cour_; c’est tout dit. (_Fem. sav._ IV. 3.) ENGAGÉ DE PAROLE AVEC QUELQU’UN: J’étois, par les doux nœuds d’une amour mutuelle, _Engagé de parole avecque cette belle_. (_Éc. des fem._ V. 9.) ENGAGEMENT, condition d’être engagé: _L’engagement_ ne compatit point avec mon humeur. (_D. Juan._ III. 6.) ENGENDRER la MÉLANCOLIE: Allons, morbleu! il ne faut point _engendrer de mélancolie_. (_Méd. m. lui._ I. 6.) --ENGENDRER (S’), se donner un gendre: Ma foi, je _m’engendrois_ d’une belle manière! (_L’Ét._ II. 6.) Que vous serez bien _engendré_! (_Mal. im._ II. 5.) Remarquez que dans _gendre_, _engendrer_, le _d_ est euphonique, attiré entre l’_n_ et l’_r_, qui se trouvent rapprochés après la syncope du mot latin: _gen(era)re, gen(e)rum_. C’est ainsi que _Vendres_ représente _Veneris_, dans le nom de _Port-Vendres_, _portus Ven(e)ris_. Les Grecs disaient de même ἀνδρός pour ἀνρός, syncope d’ἀνερός. _Nr_ attirait le _d_ intermédiaire; _ml_ attirait le _b_. De _humilem_, on fit d’abord _humele_, qui se lit dans les plus anciens textes; puis, par syncope, _humle_; et enfin _humble_. Les lois de l’euphonie sont les mêmes en tout temps comme en tous lieux; seulement elles sont mieux obéies par les peuples naissants que par les peuples vieillis. Il semble que, chez les derniers, la langue soit devenue plus souple à proportion que l’oreille devenait plus dure. ENGER. Voyez ANGER. ENGLOUTIR LE CŒUR: Pouas! vous _m’engloutissez le cœur_! (_G. D._ III. 11.) ENGROSSER: N’a-t-il pas fallu que votre père ait _engrossé_ votre mère pour vous faire? (_D. Juan._ III. 1.) Ce mot ne serait plus souffert sur la scène, à cause du progrès des mœurs. ENNUYER (S’); JE M’ENNUIE, IL M’ENNUIE, absolument, sans complément; et IL M’ENNUIE DE: Lorsque j’étois aux champs, n’a-t-il point fait de pluie? --Non.--_Vous ennuyoit-il?_--Jamais _je ne m’ennuie_. (_Éc. des fem._ II. 6.) _Il vous ennuyoit_ d’être maître chez vous. (_G. D._ I. 3.) Molière, pour ce verbe, a mis en présence l’ancienne locution et la nouvelle; l’ancienne, qui est la seule logique: _il m’ennuie_, comme _tædet_, _pœnitet_; et la moderne, aujourd’hui seule usitée: _je m’ennuie_, comme _je me repens_, quoique la forme réfléchie n’ait ici aucun sens, puisque l’on n’ennuie ni ne repent soi-même. Mais l’usage!... Il faut, au surplus, observer que _se repentir_ était usité dès le XIIe siècle: «Deu _se repenti_ que ont fait rei Saul.» (_Rois._ p. 54.) Et la glose marginale: «Deu ne _se_ puet pas _repentir_ de chose qu’il face.» «Il n’est pas huem ki _se repente_.» (_Ibid._ p. 57.) On trouve à côté de cette forme réfléchie la forme impersonnelle. «Ore, dit Dieu, ore _m’enrepent_ que fait ai Saul rei sur Israel.» (_Ibid._ p. 54.) Il m’enrepent, _me pœnitet_. ENQUÊTER (S’) DE, _s’enquérir_: Ils ne _s’enquêtent_ point _de cela_. (_Pourc._ III. 2.) _Quester_, par syncope de _quæs(i)tare_. _Quærere_ a donné _querir_. ENRAGER QUE, à cause que: _J’enrage que_ mon père et ma mère ne m’aient pas bien fait étudier dans toutes les sciences, quand j’étois jeune. (_Bourg. gent._ II. 6.) ENROUILLÉ. Voyez SAVOIR ENROUILLÉ. ENSEVELIR (S’) DANS UNE PASSION: La belle chose que de..... _s’ensevelir_ pour toujours _dans une passion_! (_D. Juan._ I. 2.) Molière a dit de même _s’enterrer dans un mari_. (Voyez ENTERRER.) ENSUITE DE... Il voudroit vous prier _ensuite de l’instance_ D’excuser de tantôt son trop de violence. (_L’Ét._ II. 3.) On devrait écrire séparément _en suite de_, par suite de. --«_En suite des_ premiers compliments.--_En suite de_ tant de veilles.» (PASCAL. _Pensées._ p. 370 et 377.) ..... «Une réponse exacte, _en suite de laquelle_ je crois que vous n’aurez pas envie de continuer cette sorte d’accusation. (Id. 11e _Prov._) «Filiutius n’avoit garde de laisser les confesseurs dans cette peine: c’est pourquoi, _en suite de ces paroles_, il leur donne cette méthode facile pour en sortir.» (Id. 10e _Prov._) Cette locution est très-fréquente dans Pascal. ENTENDRE (L’), mis absolument, comme on dirait _s’y entendre_: Je pensois faire bien.--Oui! c’étoit fort _l’entendre_. (_L’Ét._ I. 5.) Le français, surtout celui du XVIIe siècle, a une foule de locutions où l’article s’emploie ainsi sans relation grammaticale, et par rapport à un substantif sous-entendu, dont l’idée, bien que vague, est assez claire. ENTERRER, figurément; S’ENTERRER DANS UN MARI: Mon dessein n’est pas..... de _m’enterrer toute vive dans un mari_. (_G. D._ II. 4.) _S’enterrer dans un mari_, comme _s’ensevelir dans une passion_. (Voyez ENSEVELIR.) ENTÊTEMENT, en bonne part, passion obstinée: J’aime la poésie _avec entêtement_. (_Fem. sav._ III. 2.) ENTHOUSIASME, à peu près dans le sens de _frénésie_: Mais voyez quel diable d’_enthousiasme_ il leur prend de me venir chanter aux oreilles comme cela! (_Prol. de la Pr. d’Él._ 2.) ENTICHÉ: Vous en êtes un peu dans votre âme _entiché_. (_Tart._ I. 6.) Ce mot remonte à l’origine de la langue. «Sathanas se elevad encuntre Israel, e _enticha_ David que il feist anumbrer ces de Israel e ces de Juda.» (_Rois._ p. 215.) _Taxa_, _taxare aliquem._ D’où _teche_, _techer_, ou _tache_, _tacher_. _Entacher_, _enticher_, _tacher_, _tasser_ et _taxer_, ont la même origine: _taxare_. Mais la date relative de leur naissance se révèle par leur forme matérielle. ENTRECOUPER (S’) DE QUESTIONS: Ensuite, s’il vous plaît?--_Nous nous entrecoupâmes De mille questions_ qui nous pouvoient toucher. (_Amph._ II. 2.) ENTREMETTRE (S’) DE....: Ah, ah! c’est toi, Frosine? Que viens-tu faire ici?--Ce que je fais partout ailleurs: _m’entremettre d’affaires_, me rendre serviable aux gens. (_L’Av._ II. 5.) Locution qui remonte à l’origine de la langue: «Saül aveit osted de la terre ces ki _s’entremeteient d’enchantement e de sorcerie_.» (_Rois._ p. 108.) ENTRER, construit avec divers substantifs. ENTRER DEDANS L’ÉTONNEMENT: _N’entrez pas_ tout à fait _dedans l’étonnement_. (_Dép. am._ II. 1.) --ENTRER DANS LES MOUVEMENTS D’UN CŒUR, s’y associer: C’est que _tu n’entres point dans tous les mouvements D’un cœur_, hélas! rempli de tendres sentiments. (_Mélicerte._ II. 1.) --ENTRER EN DÉSESPOIR: Et l’accord que son père a conclu pour ce soir La fait à tous moments _entrer en désespoir_. (_Tart._ IV. 2.) --EN UNE HUMEUR: _J’entre en une humeur noire_, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font. (_Mis._ I. 1.) «_J’entre en une vénération_ qui me transit de respect envers ceux qu’il (Dieu) me semble avoir choisis pour ses élus.» (PASCAL. _Pensées._ p. 344.) «Colette _entra dans des peurs_ nonpareilles.» (LA FONTAINE. _Le Berceau._) «Car, mes pères, puisque vous m’obligez d’_entrer dans ce discours_...» (PASCAL, 11e _Prov._) --ENTRER SOUS DES LIENS, se marier: Ce n’est pas à mon cœur qu’il faut que je défère Pour _entrer sous de tels liens_. (_Psyché._ I. 3.) ENTRIGUET. Voyez INTRIGUET. ENTRIPAILLÉ: Un roi, morbleu, qui soit _entripaillé_ comme il faut. (_Impromptu._ 1.) ENVERS, préposition, construite avec un verbe: Je vois qu’_envers_ mon frère on tâche à me _noircir_. (_Tart._ III. 7.) (Voyez VERS.) ENVERS DU BON SENS, substantivement: _Un envers du bon sens_, un jugement à gauche. (_L’Ét._ II. 14.) ENVIES, au pluriel: J’en avois pour moi _toutes les envies du monde_. (_D. Juan._ V. 3.) ENVOYER A QUELQU’UN, l’envoyer chercher: Armande, prenez soin _d’envoyer au notaire_. (_Fem. sav._ IV. 5.) Pour dresser le contrat _elle envoie au notaire_. (_Ib._ IV. 7.) ÉPARGNE DE BOUCHE, pour _sobriété_: Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande _épargne de bouche_. (_L’Av._ II. 6.) ÉPAULER DE SES LOUANGES: C’est bien la moindre chose que nous devions faire que d’_épauler de nos louanges_ le vengeur de nos intérêts. (_Impromptu._ 3.) ÉPÉE DE CHEVET, métaphoriquement: Toujours parler d’argent! voilà leur _épée de chevet_, de l’argent! (_L’Av._ III. 5.) L’épée accrochée au chevet du lit est l’arme sur laquelle on saute tout d’abord, pour se défendre d’une surprise nocturne. ÉPIDERME, féminin: La beauté du visage est un frêle ornement, Une fleur passagère, un éclat d’un moment, Et qui n’est attaché qu’_à la simple épiderme_. (_Fem. sav._ III. 6.) L’Académie fait ce mot masculin. Il est vrai que δέρμα est neutre en grec, et que nos médecins ont fait _derme_ masculin. Mais _derme_ est un terme scientifique récent; _épiderme_ est ancien, et du commun usage; et comme il réveille l’idée de _la peau_, il paraissait plus naturel qu’il fût aussi féminin. ÉPINES; AVOIR L’ESPRIT SUR DES ÉPINES: _N’ayez point_ pour ce fait _l’esprit sur des épines_. (_L’Ét._ I. 10.) On ne comprend pas que des épines matérielles puissent piquer l’esprit, qui est immatériel. ÉPOUSE: DON JUAN. Comment se porte madame Dimanche, _votre épouse_?.... C’est une brave _femme_. (_D. Juan._ IV. 3.) Il est vraisemblable que don Juan emploie ici ce mot _épouse_ par moquerie des gens d’état, comme M. Dimanche, qui trouvent _ma femme_ une expression trop basse, et croient _mon épouse_ un terme bien plus digne et relevé. Et, comme pour mieux faire ressortir cette emphase ironique, don Juan, en homme sûr de son aristocratie, ajoute tout de suite cette expression familière: _C’est une brave femme_. Madame Jacob, revendeuse à la toilette et sœur de M. Turcaret, parlant à une baronne, n’a garde non plus de dire _mon mari_: «Il fait bien pis, le dénaturé qu’il est! il m’a défendu l’entrée de sa maison, et il n’a pas le cœur d’employer _mon époux_!» (_Turcaret._ IV. 12.) ÉPOUSER LES INQUIÉTUDES DE QUELQU’UN: Le mien (mon maître) me fait ici _épouser ses inquiétudes_. (_Sicilien._ 1.) Molière dit, dans le même sens, _prendre la vengeance, le courroux de quelqu’un_. (Voyez PRENDRE.) ÉPOUSTER: Oui-dà, très-volontiers, je _l’épousterai bien_. (_L’Ét._ IV. 7.) Molière a contracté par licence le futur d’_épousseter_, consultant la prononciation plutôt que la grammaire. ÉPURÉ DU COMMERCE DES SENS: Il n’a laissé dans mon cœur, pour vous, qu’_une flamme épurée de tout le commerce des sens_. (_D. Juan._ IV. 9.) ESCAMPATIVOS, mot espagnol ou de forme espagnole, _des échappées_: Ah! je vous y prends donc, madame ma femme! et vous faites des _escampativos_ pendant que je dors! (_G. D._ III. 8.) ESCOFFION, bonnet de femme, cornette: D’abord leurs _escoffions_ ont volé par la place. (_L’Ét._ V. 14.) La racine est l’italien _scuffia_, devant lequel on ajoute l’_é_, comme dans _éponge_, _esprit_, et tous les mots qui commencent par ces deux consonnes _st_, _sp_, _sq_, pour éviter d’articuler la première. Au XVIe siècle, la reine de Navarre écrit, ou plutôt ses éditeurs lui font écrire, _scofion_: «Un lit de toile fort desliée... et la dame seule dedans, avec son _scofion_ et chemise, etc.» (_Heptaméron_, _nouv._ 14.) ESPÉRANCE (L’) DE QUELQU’UN, l’espérance ou les espérances qu’il donne: Je l’aurai fait passer chez moi dès son enfance, Et j’_en_ aurai chéri _la plus tendre espérance_... (_Éc. des fem._ IV. 1.) Je me serai complu dans les espérances que donnait Agnès. Cette expression est embarrassée et peu claire. ESPÉRER A, espérer dans: Mais _j’espère aux bontés_ qu’une autre aura pour moi. (_Tart._ II. 4.) «J’espère dans les bontés.» (Voyez AU, AUX.) ESPRIT CHAUSSÉ A REBOURS: Tout ce que vous avez été durant vos jours, C’est-à-dire un _esprit chaussé tout à rebours_. (_L’Ét._ II. 14.) --FAIRE ÉCLATER UN ESPRIT: Je ne suis point d’humeur à vouloir contre vous _Faire éclater_, madame, _un esprit_ fort jaloux. (_Sgan._ 22.) ESSAYER A, suivi d’un infinitif: Est-ce donc que par là vous voulez _essayer A réparer_ l’accueil dont je vous ai fait plainte? (_Amph._ II. 2.) Et j’ose maintenant vous conjurer, madame, De ne point _essayer à rappeler_ un cœur Résolu de mourir dans cette douce ardeur. (_Fem. sav._ I. 2.) ESSUYER, subir; ESSUYER LA BARBARIE: C’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que _d’essuyer_ sur des compositions _la barbarie_ d’un stupide. (_B. gent._ I. 1.) --LA CERVELLE: On n’a point à louer les vers de messieurs tels, A donner de l’encens à madame une telle, Et de nos francs marquis _essuyer la cervelle_. (_Mis._ III. 7.) (Voyez CERVELLE.) --UN COMBAT: Je ne m’étonne pas; au _combat_ que _j’essuie_, De voir prendre à monsieur la thèse qu’il appuie. (_Fem. sav._ IV. 3.) --UNE CONVERSATION: Ces conversations ne font que m’ennuyer, Et c’est trop que vouloir me les faire _essuyer_. (_Mis._ II. 4.) EST _après un pluriel_. Voyez C’EST _après un pluriel_. EST-CE.... OU SI....: Mais _est-ce_ un coup bien sûr que votre seigneurie Soit désenamourée? _ou si_ c’est raillerie? (_Dép. am._ I. 4.) De grâce, _est-ce_ pour rire, _ou si_ tous deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin? (_Méd. m. lui._ I. 6.) EST-CE PAS, pour _n’est-ce pas_: LUBIN. Il aura un pied de nez avec sa jalousie, _est-ce pas_? (_Georg. Dand._ I. 2.) (Voyez NE _supprimé dans une forme interrogative_.) EST-IL DE (un substantif), est-il quelque: _Est-il_ pour nous, ma sœur, _de_ plus rude disgrâce? (_Psyché._ I. 1.) Marmontel a dit pareillement dans _le Sylvain_: «_Est-il de puissance_ «Qui rompe ces nœuds?» ESTIME, comme les mots _ressentiment_, _heur_, _succès_, recevant une épithète qui en détermine l’acception favorable ou défavorable: C’est de mon jugement avoir _mauvaise estime_, Que douter si j’approuve un choix si légitime. (_Éc. des fem._ V. 7.) --ESTIME DE, comme _réputation de_; ÊTRE EN ESTIME D’HOMME D’HONNEUR: En quelle _estime_ est-il, mon frère, auprès de vous? --_D’homme d’honneur, d’esprit, de cœur et de conduite._ (_Fem. sav._ II. 1.) --ESTIME au sens passif, pour l’estime qu’on inspire. Voyez MON ESTIME. ESTOC; PARLER D’ESTOC ET DE TAILLE, au hasard: N’importe, _parlons-en et d’estoc et de taille_, Comme oculaire témoin. (_Amph._ I. 1.) Par allusion à cette expression, _frapper d’estoc et de taille_, désespérément, comme l’on peut. L’_estoc_ est la pointe de l’épée, ou l’épée elle-même, longue et pointue. La racine est _stocum_, avec l’_e_ initial, comme dans tous les mots commençant en latin par _st_, _sp_. Voyez Du Cange, aux mots _Stocum_, _Stochus_ et _Estoquum_. L’expression _d’estoc et de taille_ remonte très-haut, car on la trouve dans les chartes du moyen âge: «Diversis vulneribus _tam de taillo quam de stoquo_ vulnerare dicuntur.» (Ap. Cang. in _stoquum litt. rem._ ann. 1364.) D’_estoc_ vient le verbe _estoquer_ (_étoquer_), encore usité en Picardie. _Toquer_, dont se sert le peuple, paraît plutôt abrégé _d’étoquer_, que formé sur l’onomatopée de _toc_. Le radical de cette famille de mots est l’allemand _stock_, canne, bâton; anglais, _stick_; latin, _stocum_; italien, _stocco_; espagnol, _estoque_, _estoquear_; français, _estoc_, _estoquer_. ÉTAGE DE VERTU: C’est _un haut étage de vertu_ que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. (_Préf. de Tartufe._) ÉTAT, façon de se vêtir, comme l’on dit aujourd’hui _la mise_; PORTER UN ÉTAT: Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir _l’état_ que vous _portez_? (_L’Av._ I. 5.) --FAIRE ÉTAT DE QUELQUE CHOSE: Dis à ta maîtresse Qu’avecque ses écrits elle me laisse en paix, Et que voilà _l’état_, infâme, _que j’en fais_. (_Dép. am._ I. 6.) Elle m’a répondu, tenant son quant-à-soi: Va, va, _je fais état de lui comme de toi_. (_Ibid._ IV. 2.) Il connoîtra _l’état que l’on fait de ses feux_. (_Éc. des mar._ II. 7.) Afin de lui faire connoître _Quel grand état je fais de ses nobles avis_. (_Fem. sav._ IV. 4.) --FAIRE ÉTAT DE (un infinitif), compter sur, être certain de....: Sinon, _faites état de m’arracher_ le jour, Plutôt que de m’ôter l’objet de mon amour. (_Éc. des mar._ III. 8.) Pascal a dit, _faire état que_, comme _compter que_: «_Faites état que_ jamais les Pères, les papes, les conciles....... n’ont parlé de cette sorte.» (PASCAL. 3e _Prov._) ET LE RESTE; c’était la traduction consacrée d’_et cætera_, qu’on met aujourd’hui sans scrupule en latin: Je ne manque point de livres qui m’auroient fourni tout ce qu’on peut dire de savant sur la tragédie et la comédie, l’étymologie de toutes deux, leur origine, leur définition, _et le reste_. (_Préf. des Préc. rid._) «Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut, «Bon souper, bon gîte, _et le reste_?» (LA FONT. _Les deux Pig._) C’est-à-dire: bon souper, bon gîte, _et cætera_. Les commentateurs, qui entendent finesse à tout et sont toujours prêts à enrichir leur auteur, ont supposé que la Fontaine avait créé cette expression pour faire, en termes chastes, allusion aux mœurs amoureuses de ses héros: sur quoi ils lui ont donné de grandes louanges. L’intention peut y être, mais ce ne serait qu’une application d’une façon de parler usuelle. ÉTONNÉ QUE: _Je fus étonné que_, deux jours après, il me montra toute l’affaire exécutée... (_Préf. de la Crit. de l’Éc. des Fem._) ÊTRE pour _aller_: Et _nous fûmes_ coucher sur le pays exprès, C’est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts. (_Fâcheux._ II. 7.) A peine _ai-je été_ les voir trois ou quatre fois, depuis que nous sommes à Paris. (_Impromptu._ 1.) Et en Hollande, où _vous fûtes_ ensuite? (_Mar. for._ 2.) LUCAS. Il se relevit sur ses pieds, et _s’en fut_ jouer à la fossette. (_Méd. m. lui._ I. 6.) Toutes mes études _n’ont été_ que jusqu’en sixième. (_Ibid._ III. 1.) On servit. Tête à tête ensemble nous soupâmes, Et, le soupé fini, _nous fûmes_ nous coucher. (_Amph._ II. 2.) Je lui ai défendu de bouger, à moins que _j’y fusse_ moi-même. (_Pourc._ I. 6.) Pascal fait le même usage du verbe _être_: «Je le quittai après cette instruction; et, bien glorieux de savoir le nœud de l’affaire, _je fus trouver_ M. N***...» (1re _Prov._) «Et, de peur de l’oublier, _je fus_ promptement retrouver mon janséniste.» (_Ibid._) --ÊTRE A MÊME DE QUELQUE CHOSE: Afin de m’appuyer de bons secours..... et d’_être à même des consultations et des ordonnances_. (_Mal. im._ I. 5.) C’est être dans la chose même, au centre de la chose dont il s’agit; par conséquent aussi bien placé que possible pour en contenter son désir. On dit _être à même_, ou _à même de_, avec ou sans complément: «On demanda, à un philosophe que l’on surprist _à mesmes_, ce qu’il faisoit.» (MONTAIGNE. II. 12.) Que l’on surprit au milieu de l’action. La version des Rois dit _en meime_, suivi du substantif auquel s’accorde _même_: «E cumandad à ses fils que il à sa mort fust enseveliz _en meime le sepulchre_ u li bons huem fud enseveliz.» (P. 290.) Il commanda qu’on l’ensevelît _à même le sépulcre_, c’est-à-dire dans le même sépulcre où, etc. _A même_ est donc une sorte d’adverbe composé, du moins on l’emploie comme tel; mais il est hors de doute que c’est au fond l’adjectif _même_, avec l’ellipse du substantif. --ÊTRE APRÈS QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire, être occupé à cette chose: On est venu lui dire, et par mon artifice, Que les ouvriers qui _sont après son édifice_.... (_L’Ét._ II. 1.) --ÊTRE CONTENT DE QUELQUE CHOSE, y consentir volontiers: ASCAGNE. Ayez-le donc[54], et lors, nous expliquant nos vœux, Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux. VALÈRE. Adieu, _j’en suis content_. (_Dép. am._ II. 2.) C’est-à-dire, cette condition me plaît, je l’accepte. [54] Le consentement d’un autre. --ÊTRE DE, être à la place de: Mais enfin, _si j’étois de mon fils_ son époux, Je vous prierois bien fort de n’entrer point chez nous. (_Tart._ I. 1.) (Voyez ÊTRE QUE DE...) --Faire partie de, être compris dans...: Mais, monsieur, cela _seroit-il de la permission_ que vous m’avez donnée, si je vous disois... etc. (_D. Juan._ I. 2.) --ÊTRE DE CONCERT: _Soyons de concert_ auprès des malades. (_Am. méd._ III. 1.) --ÊTRE EN MAIN POUR FAIRE QUELQUE CHOSE; être en situation avantageuse: MORON. Mais laissez-moi passer entre vous deux, pour cause: _Je serai mieux en main_ pour vous conter la chose. (_Pr. d’Él._ I. 2.) --ÊTRE POUR (un infinitif); être fait pour, de nature à...: _Ce seroit pour monter_ à des sommes très-hautes. (_Fâcheux._ III. 3.) _Nous ne sommes que pour leur plaire_ (aux grands). (_Impr._ 1.) Puisque vous y donnez dans ces vices du temps, Morbleu! _vous n’êtes pas pour être_ de mes gens. _Être_, ou n’_être pas pour être_, est une expression manifestement trop négligée; mais Molière ne la créait pas, et il était directeur de troupe, souvent pressé par le temps et par l’ordre du roi: Je crois qu’un ami chaud, et de ma qualité, _N’est pas_ assurément _pour être_ rejeté. (_Mis._ I. 2.) Le sentiment d’autrui _n’est_ jamais _pour lui plaire_. (_Ibid._ II. 5.) Les choses _ne sont plus pour traîner_ en longueur. (_Ibid._ V. 2.) Puisque _vous n’êtes point_ en des liens si doux _Pour trouver_ tout en moi, comme moi tout en vous. (_Ibid._ V. 7.) _Je ne suis pas pour_ être en ces lieux importun. (_Tart._ V. 4.) Pareil déguisement _seroit pour ne rien faire_. (_Amph._ prol.) Ah, juste ciel! cela se peut-il demander? Et _n’est-ce pas pour mettre à bout_ une âme? (_Ibid._ II. 6.) Lui auroit-on appris qui je suis? et _serois-tu pour me trahir_? (_L’Av._ II. 1.) Elle sera charmée de votre haut-de-chausse attaché avec des aiguillettes: _c’est pour la rendre_ folle de vous. (_Ibid._ II. 7.) Ses contrôles perpétuels..... _ne sont rien que pour vous gratter_ et vous faire sa cour. (_Ibid._ III. 5.) Il y a quelques dégoûts avec un tel époux, mais cela _n’est pas pour durer_. (_Ibid._ III. 8.) _Je suis homme pour serrer le bouton_ à qui que ce puisse être. (_G. D._ I. 4.) Si le galant est chez moi, _ce seroit pour avoir raison_ aux yeux du père et de la mère. (_Ibid._ II. 8.) S’il vous demeure quelque chose sur le cœur, _je suis pour vous répondre_. (_Ibid._ II. 11.) _Je ne suis pas pour recevoir_ avec sévérité les ouvertures que vous pourriez me faire de votre cœur. (_Am. magn._ IV. 1.) Si Anaxarque a pu vous offenser, _j’étois pour vous en faire justice_ moi-même. (_Ibid._ V. 4.) De tels attachements, ô ciel! _sont pour vous plaire!_ (_Fem. sav._ I. 1.) _Suis-je pour_ la chasser sans cause légitime? (_Ibid._ II. 6.) Cette locution, qui paraît abrégée de _être fait pour_, était usuelle au XVIe siècle et auparavant. Montaigne dit que Socrate, dans une déroute d’armée, se retirait avec fierté: «Regardant tantost les uns, tantost les aultres, amis et ennemis, d’une façon qui encourageoit les uns, et signifioit aux aultres qu’_il estoit pour vendre_ bien cher son sang et sa vie à qui essayeroit de la luy oster.» (MONTAIGNE. III. 6.) «S’il me vient quelque bon hasard «De par vous, songez que _je suis_ «_Pour le reconnoistre_.» (_Le Nouveau Pathelin._) --ÊTRE QUE DE: Moi? Voyez _ce que c’est que du monde_ aujourd’hui! (_L’Ét._ I. 6.) Rien n’était si facile que de mettre: ce que c’est que _le_ monde; mais tout le piquant de l’expression s’en va avec le vieux gallicisme. Molière paraît s’être ici rappelé ce début de la satire de Regnier: «Voyez _que c’est du monde_ et des choses humaines! «Toujours à nouveaux maux naissent nouvelles peines.» (_Le Mauvais Giste._) _Si j’étois que de vous_, je lui achèterois dès aujourd’hui une belle garniture de diamants. (_Am. méd._ I. 1.) (Voyez DU représentant _que le_.) Vous ferez ce qu’il vous plaira; mais _si j’étois que de vous_, je fuirois les procès. (_Scapin._ II. 8.) Je ne souffrirois point, _si j’étois que de vous_, Que jamais d’Henriette il pût être l’époux. (_Fem. sav._ IV. 2.) _Que_ est en français la traduction de _quod_. _Si essem quod de te_ (sous-entendu _est_), si j’étais ce qui est de vous. Le _que_, dans cette locution, est donc nécessaire, et ne peut en être supprimé que par ellipse. _Si j’étois que de vous_, mon fils, je ne la forcerois point à se marier. (_Mal. im._ II. 7.) _Si j’étois que des médecins_, je me vengerois de son impertinence. (_Mal. im._ III. 14.) Voilà un bras que je me ferois couper tout à l’heure _si j’étois que de vous_. (_Ibid._ III. 3.) (Voyez p. 166, ÊTRE DE.) --ÊTRE SUR QUELQU’UN, être sur son propos, s’occuper de lui: Ma foi, Demande: _nous étions_ tout à l’heure _sur toi_. (_Dép. am._ I. 2.) --ÊTRE ou EN ÊTRE SUR UNE MATIÈRE: _Sur quoi en étiez-vous_, mesdames, lorsque je vous ai interrompues? (_Crit. de l’Éc. des fem._ 5.) _Vous êtes là sur une matière_ qui depuis quatre jours fait presque l’entretien de toutes les maisons de Paris. (_Ibid._ 6.) _Nous sommes ici sur une matière_ que je serai bien aise que nous poussions. (_Ibid._ 7.) --ÊTRE UN HOMME A (un infinitif): Albert _n’est pas un homme à vous refuser_ rien. (_Dép. am._ I. 2.) ÉTROIT, au sens figuré; ÉTROITES FAVEURS: Et je serois un fou, de prétendre plus rien Aux _étroites faveurs_ qu’il a de cette belle. (_Dép. am._ I. 4.) ET SI, et cependant: Depuis assez longtemps je tâche à le comprendre, _Et si_ plus je l’écoute, et moins je puis l’entendre. (_Sgan._ 22.) Vous me semblez toute mélancolique: qu’avez-vous, madame Jourdain?--J’ai la tête plus grosse que le poing, _et si_ elle n’est pas enflée. (_B. gent._ III. 5.) _Et si_ paraît être tout simplement l’_etsi_ latin, _quoique_, écrit en deux mots par erreur, et à cause d’une trompeuse analogie. ET-TANT-MOINS; _l’_ET-TANT-MOINS, substantif composé, comme _le quant-à-soi_: LUBIN.--Claudine, je t’en prie, sur l’_et-tant-moins_. (_G. D._ II. 1.) C’est-à-dire que ce soit une avance à rabattre plus tard. ÉTUDIER DANS UN ART, UNE SCIENCE: J’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas bien fait _étudier dans toutes les sciences_ quand j’étois jeune! (_B. gent._ II. 6.) EUX AUTRES: Il s’est fait un grand vol; par qui? L’on n’en sait rien: _Eux autres_ rarement passent pour gens de bien. (_L’Ét._ IV. 9.) EXACT; UN ESPION D’EXACTE VUE: Je veux, pour _espion_ qui soit _d’exacte vue_, Prendre le savetier du coin de notre rue. (_Éc. des fem._ IV. 4.) Pascal a dit de même, _une réponse exacte_. «J’espère que vous y verrez, mes pères, _une réponse exacte_, et dans peu de temps.» (11e _Prov._) _Exacte_ est ici au sens de _rigoureuse_, _qui n’omet rien_. Aujourd’hui, une réponse exacte signifierait celle qui arrive à l’heure précise, qui serait ponctuelle. C’est dans ce sens que l’on dit _répondre exactement_:--Je lui écris toutes les semaines, et il me répond _exactement_. EXCELLENT; LE PLUS EXCELLENT: J’aurois voulu faire voir........ que _les plus excellentes choses_ sont sujettes à être copiées par de mauvais singes... (_Préf. des Précieuses ridicules._) EXCITER UNE DOULEUR A QUELQU’UN: Et, dans cette _douleur_ que l’amitié _m’excite_. (_D. Garcie._ V. 4.) (Voyez DATIF DE PERTE OU DE PROFIT.) EXCUSER A QUELQU’UN....., auprès de quelqu’un: Ne viens point _m’excuser_ l’action de cette infidèle. (_B. gent._ III. 9.) --EXCUSER QUELQU’UN SUR: ... _Vous m’excuserez sur_ l’humaine foiblesse. (_Tart._ III. 3.) _Je vous excusai_ fort _sur_ votre intention. (_Mis._ III. 5.) EXCUSES; FAIRE LES EXCUSES DE QUELQUE CHOSE: Ne m’oblige point à _faire les excuses de ta froideur_. (_Pr. d’Él._ II. 4.) EXPRESSION; DES EXPRESSIONS, en parlant du mérite d’une peinture: Dis-nous quel feu divin, dans tes fécondes veilles, De tes _expressions_ enfante les merveilles. (_La Gloire du Val-de-Grâce._) De ses _expressions_ les touchantes beautés. (_Ibid._) EXPULSER LE SUPERFLU DE LA BOISSON. Voyez SUPERFLU. FACHER; SE FACHER dans le sens de _s’affliger_: _Ne vous fâchez point tant_, ma très-chère madame. (_Sgan._ 16.) FACHERIE, dans le même sens: En tout cas, ce qui peut m’ôter ma _fâcherie_, C’est que je ne suis pas seul de ma confrérie. (_Sgan._ 17.) Et je m’en sens le cœur tout gros de _fâcherie_. (_Éc. des mar._ II. 5.) Le beau sujet de _fâcherie_! (_Amph._ I. 4.) FACILE A (un infinitif): ... De véritables gens de bien... _faciles à recevoir les impressions_ qu’on veut leur donner. (_Préf. de Tartufe._) FAÇON; DE LA FAÇON, ainsi, de la sorte: On se riroit de vous, Alceste, tout de bon, Si l’on vous entendoit parler _de la façon_. (_Mis._ I. 1.) _De la façon que_, avec un verbe, se trouve dans Pascal: «Il semble, _de la façon que vous parlez_, que la vérité dépende de notre volonté!» (_Prov._ 8e _lettre_.) Et dans Corneille, _de la manière que_: «_De la manière_ enfin _qu’_avec toi j’ai vécu, «Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.» (_Cinna._ V. 1.) FAÇONNIER, FAÇONNIÈRE, adjectif pris substantivement: ... La plus grande _façonnière_ du monde. (_Crit. de l’Éc. des f._ 2.) De tous vos _façonniers_ on n’est point les esclaves. (_Tart._ I. 6.) _Façon_ est le diminutif de _face_. La finale _on_, qui est augmentative en italien, est diminutive en français: _Beste_, _bestion_; _lutin_, _luiton_; _pied_, _peton_; _gars_, _garson_; _poupe_ (du latin _pupa_), _poupon_; _Jeanne_, _Jeanneton_, _Pierron_, _Suzon_, etc. Les _façons_, par conséquent, sont de petites mines. (Voyez GRIMACIERS.) FAIBLE, substantif, LE FAIBLE DE QUELQU’UN: Et que votre langage _à mon foible_ s’ajuste. (_Dép. am._ II. 7.) C’est le point faible, et non la faiblesse. Le _faible_ continue à être en usage dans cette locution: Prendre quelqu’un par son faible. FAILLIR A QUELQUE CHOSE: Ne me l’a-t-il pas dit?--Oui, oui, il ne manquera pas _d’y faillir_. (_B. gent._ III. 3.) Aujourd’hui qu’on a retranché, ou à peu près, le verbe _faillir_, comme suranné, il faudrait dire: Il ne manquera pas d’y manquer. Voilà l’avantage de supprimer les synonymes. (Voyez FAUT.) FAIM, désir; AVOIR FAIM, GRAND’FAIM de....: _Je n’ai pas grande faim de mort_ ni de blessure. (_Dép. am._ V. 1.) Cette locution est demeurée de fréquent usage en Picardie; elle est dans Montaigne: «Il n’est rien qui nous jecte tant aux perils qu’une _faim_ inconsidérée de nous en mettre hors.» (MONTAIGNE. III. 6.) «Il _a grand faim de se combattre_ contre Annibal.--Quand il luy viendra _faim de vomir_.--Il _avait faim de l’avoir_.» (NICOT.) FAIRE, pour _dire_: AGNÈS. Moi, j’ai blessé quelqu’un? _fis-je_ tout étonnée... Hé! mon Dieu, ma surprise est, _fis-je_, sans seconde... Oui, _fit-elle_, vos yeux pour donner le trépas... (_Éc. des fem._ II. 6.) Cet archaïsme remonte à l’origine de la langue. Le livre des _Rois_, traduit au XIe siècle, en fait constamment usage, non-seulement pour _inquit_, mais aussi pour _dixit_: «Vien t’en, _fist_ Jonathas.... _fist_ Jonathas: à els irrum...» (p. 46.) «_Fist_ li poples à Saul: Comment! si murrad Jonathas?» (p. 51.) «_Fist_ li prestres: Pernez de Deu conseil.» (p. 50.) Voltaire l’a souvent employé pour donner à son style une teinte de naïveté ironique. Mais comment le verbe _faire_ s’est-il, dès l’origine de la langue, substitué au verbe _dire_? Cette substitution n’est pas réelle: elle n’est qu’apparente. Par suite des habitudes de syncope et des lois de la transmutation des voyelles, il est arrivé que des formes rapprochées en latin ont produit, en français, des formes identiques. _Dicere_ a donné _dire_, _di(ce)re_. _Desi(de)rare_, _de(si)rare_, _dire_ aussi. (Voyez DIRE, TROUVER QUELQU’UN A DIRE.) Pareillement, de _făcere_, _fere_, et de _fāri_, _faire_. L’oreille les confondait, la plume ne tarda pas à les confondre; et les deux formes sont encore mêlées dans l’orthographe moderne: _Je fAis_, _je fErai_, _fEsant_ ou _fAisant_. --FAIRE, remplaçant dans ses temps, nombres et personnes, un verbe précédemment exprimé, et qu’il faudrait répéter: Ah! que j’ai de dépit, que la loi n’autorise A changer de mari comme _on fait_ de chemise! (_Sgan._ 5.) Je risque plus du mien que tu ne _fais_ du tien. (_Ibid._ 22.) Puisque me voilà éveillé, il faut que j’éveille les autres, et que je les tourmente comme on m’a _fait_. (_Prol. de la Pr. d’Él._ sc. 2.) Comme on m’a tourmenté. On vous aime autant en un quart d’heure qu’on _feroit_ une autre en six mois. (_D. Juan._ II. 2.) Il l’appelle son frère, et l’aime, dans son âme, Cent fois plus qu’il ne _fait_ mère, fils, fille et femme. (_Tart._ I. 2.) Le nom du grand Condé est un nom trop glorieux pour le traiter comme on _fait_ tous les autres noms. (_Ép. dédic. d’Amphitryon._) Il y a un certain air doucereux qui les attire, ainsi que le miel _fait_ les mouches. (_G. D._ II. 4) Les Anglais emploient absolument au même usage leur verbe _do_, faire, qui n’est autre que le saxon _thun_. Par exemple, dans cette phrase: «He _loves_ not plays as thou _dost_, Antony.» (SHAKSP. _Jul. Cæs._) «Il n’_aime_ pas la comédie comme _tu fais_, Antoine.» _Dost_ remplace _lovest_, par une tournure toute française. J’ai montré ailleurs[55] que _how do you do_, est aussi une formule française traduite avec des mots saxons. [55] _Des Variat. du lang. fr._, p. 375. --FAIRE, représentant l’idée exprimée par une phrase ou une demi-phrase: VALÈRE. Je vous proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j’ai. HARPAGON. _Non ferai_, de par tous les diables! (_L’Av._ V. 3.) C’est-à-dire: je ne te laisserai pas celui que tu as, à la charge par toi de ne prétendre rien aux autres. On disait, _si ferai_, aussi bien que _non ferai_. --FAIRE (un substantif), être la cause, l’objet, le but de....: Non, non, vous pouvez bien, Puisque _vous le faisiez_, rompre notre entretien. (_Dép. am._ II. 2.) Oui, je veux bien qu’on sache, et j’en dois être crue, Que le sort offre ici deux objets à ma vue Qui, m’inspirant pour eux différents sentiments, De mon cœur agité _font tous les mouvements_. (_Éc. des mar._ II. 14.) Elle _fait tous mes soins, tous mes désirs, toute ma joie_. (_B. gent._ III. 9.) --FAIRE, suivi d’un adverbe, produire un effet: Ces deux adverbes joints _font admirablement_. (_Fem. sav._ III. 2.) --FAIRE, représenter, dépeindre: Mais, las! il _le fait_, lui, si rempli de plaisirs[56], Que de se marier il donne des désirs. (_Éc. des fem._ V. 4.) [56] Le mariage. --FAIRE, simuler, feindre: _Je ferai_ le vengeur des intérêts du ciel. (_D. Juan._ V. 2.) Est-ce par les appas de sa vaste rhingrave Qu’il a gagné votre âme en _faisant votre esclave_? (_Mis._ II. 1.) M’engager à _faire l’amant_ de la maîtresse du logis, c’est.... etc. (_Comtesse d’Esc._ 1.) C’est ainsi qu’on l’emploie en parlant des rôles de théâtre: Molière _faisait_ Sganarelle; il _faisait_ aussi les rois et les personnages nobles; il _faisait_ don Garcie, et il y fut sifflé à double titre, comme auteur et comme acteur. --FAIRE A QUELQUE CHOSE, y contribuer: Même, si cela _fait à votre allégement_, J’avouerai qu’à lui seul en est toute la faute. (_Dép. am._ III. 4.) --FAIRE BESOIN, être nécessaire: Quand nous _faisons besoin_, nous autres misérables, Nous sommes les chéris et les incomparables. (_L’Ét._ I. 2.) S’il vous _faisoit besoin_, mon bras est tout à vous. (_Dép. am._ V. 3.) --FAIRE CONTRE QUELQU’UN, agir contre ses intérêts: Il faut avec vigueur ranger les jeunes gens, Et _nous faisons contre eux_ à leur être indulgents. (_Éc. des fem._ V. 7.) (Voyez FAIRE POUR QUELQU’UN.) --FAIRE DE (un substantif), traiter, en agir avec: Et tout homme bien sage Doit _faire des habits_ ainsi que _du langage_. (_Éc. des mar._ I. 1.) Je voudrois bien qu’_on fît de la coquetterie_ Comme _de la guipure et de la broderie_. (_Ibid._ II. 9.) --FAIRE DU...., prendre le rôle de...., FAIRE DE SON DRÔLE: J’ai bravé ses armes assez longtemps (de l’amour), et _fait de mon drôle_ comme un autre. (_Pr. d’Él._ II. 2.) J’ai ouï dire, moi, que vous aviez été autrefois un bon compagnon parmi les femmes; que vous _faisiez de votre drôle_ avec les plus galantes de ce temps-là.... (_Scapin._ I. 6.) «_Faire du roy, faire du capitaine, pro rege se gerere, imperatorias partes sumere. Faire du liperquam_, se montrer le grand gouverneur.» (NICOT.) _Faire_, dans ces locutions, se rapporte au sens de _feindre_, _simuler_. (Voyez p. 174.) Le _de_, marque du génitif, suppose une ellipse: faire (le rôle) du roi; faire (le rôle) du liperquam. Ce mot _liperquam_, qui est une corruption de _luy per quem_ (sous-entendu _omnia geruntur_), ou plutôt qui est la notation fidèle de la manière dont on prononçait ces mots latins au moyen âge, paraît renfermer l’origine du mot _péquin_. Un _péquin_, ou un _per quem_, est un fat qui tranche de l’important, qui _se monstre le grand gouverneur_, qui fait du _liperquan_. (Voyez _des Variations du langage français_, p. 414.) --FAIRE DES DISCOURS, UN DESSEIN, DES CRIS; FAIRE PLAINTE, FAIRE ÉCLAT: Tous ces signes sont vains: _quels discours as-tu faits_? (_L’Ét._ III. 4.) Je quitterois le _dessein que j’ai fait_! (_Mar. forc._ 2.) Tu vois, Toinette, _les desseins_ violents que l’on _fait_ sur lui (sur son cœur)! (_Mal. im._ I. 10.) Comment, bourreau, tu _fais des cris_? (_Amph._ I. 2.) J’ai peine à comprendre sur quoi Vous fondez _les discours_ que je vous entends _faire_. (_Ibid._ II. 2.) Est-ce donc que par là vous voulez essayer A réparer l’accueil dont je vous ai _fait plainte_? (_Ibid._ II. 2.) La plus rare vertu Qui puisse _faire éclat_ sous un sort abattu. (_L’Ét._ III. 4.) --FAIRE EN..., agir en: Il sait faire obéir les plus grands de l’État, Et je trouve qu’_il fait en digne potentat_. (_Fâcheux._ I. 10.) J’avois mangé de l’ail, et _fis en homme sage_ De détourner un peu mon haleine de toi. (_Amph._ II. 3.) --EN FAIRE A QUELQU’UN POUR....: J’en suis pour mon honneur; mais à toi, qui me l’ôtes, _Je t’en ferai_ du moins _pour_ un bras ou deux côtes. (_Sgan._ 6.) Je t’en donnerai pour un bras ou deux côtes.--C’est-à-dire, il t’en coûtera un bras ou deux côtes. Cette expression est empruntée au langage technique du commerce, où l’on dit: _Faites_-moi de cette marchandise pour telle somme.--On n’en _fait_ pas pour ce prix. «Le marchand _fit_ son chantre mille écus, et son grammairien trois mille.» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) --FAIRE LE FIN DE QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire relativement à quelque chose, _de aliqua re_: Mais, _je ne t’en fais pas le fin_, Nous avions bu de je ne sais quel vin Qui m’a fait oublier tout ce que j’ai pu faire. (_Amph._ II. 3.) --IL FAIT, impersonnel, construit avec l’adjectif _sûr_, comme avec l’adjectif _bon_, _beau_, _clair_, etc.: _Il ne fait pas bien sûr_, à vous le trancher net, D’épouser une fille en dépit qu’elle en ait. (_Fem. sav._ V. 1.) --FAIRE FAUX BOND A L’HONNEUR: Mais il faut qu’_à l’honneur_ elle _fasse faux bond_... (_Éc. des fem._ III. 2.) --FAIRE FORCE A (un substantif), forcer, contraindre: Je veux bien néanmoins, pour te plaire une fois, _Faire force à l’amour_ qui m’impose des lois. (_L’Ét._ IV. 5.) --FAIRE GALANTERIE DE (un infinitif). Voyez GALANTERIE. --FAIRE LA COMÉDIE: Ne voulez-vous point, un de ces jours, venir voir avec elle _le ballet et la comédie_ que l’on _fait_ chez le roi? (_B. gent._ III. 5.) --FAIRE LES HONNEURS DE QUELQUE CHOSE: _Faisons bien les honneurs_ au moins _de notre esprit_. (_Fem. sav._ III. 4.) --FAIRE MÉTIER ET MARCHANDISE DE: Ces gens qui, par une âme à l’intérêt soumise, _Font de dévotion métier et marchandise_. (_Tart._ I. 6.) --SE FAIRE LES DOUCEURS D’UNE INNOCENTE VIE: Et, de cette union de tendresse suivie, _Se faire les douceurs d’une innocente vie_. (_Fem. sav._ I. 1.) --FAIRE PARAITRE (SE), se montrer: La douceur de sa voix a voulu _se faire paroître_ dans un air tout charmant qu’elle a daigné chanter. (_Pr. d’Él._ III. 2.) --FAIRE POUR QUELQU’UN, agir pour lui, le protéger: Dieu _fera pour les siens_. (_Dép. am._ III. 7.) _C’est ce qui fait pour vous_; et sur ces conséquences Votre amour doit fonder de grandes espérances. (_Éc. des mar._ I. 6.) (Voyez FAIRE CONTRE QUELQU’UN.) --FAIRE SCRUPULE, causer du scrupule: Ce nom (de gentilhomme) _ne fait aucun scrupule_ à prendre. (_B. gent._ III. 12.) --FAIRE SEMBLANT QUE....: Profitons de la leçon si nous pouvons, sans _faire semblant qu’on_ parle à nous. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) --FAIRE SON POUVOIR, faire son possible: _Faites votre pouvoir_, et nous ferons le nôtre. (_Dép. am._ I. 2.) C’était l’expression du temps: «J’ai fait mon pouvoir, sire, et n’ai rien obtenu.» (CORNEILLE, _Le Cid_. I. 6.) --FAIRE UNE BOURLE (_bourle_, de l’italien _burla_, moquerie): .... Une certaine mascarade que je prétends faire entrer dans une _bourle_ que je veux _faire_ à notre ridicule. (_B. gent._ III. 14.) (Voyez BOURLE.) --FAIRE UNE VENGEANCE DE QUELQU’UN; en tirer vengeance: Et je prétends _faire de lui une vengeance exemplaire_. (_Scapin._ III. 7.) FAIT A (un infinitif), habitué à....: Car les femmes y sont _faites à coqueter_. (_Éc. des fem._ I. 6.) FAIT, substantif; C’EST UN ÉTRANGE FAIT QUE....: _C’est un étrange fait que_, avec tant de lumières, Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières. (_Ibid._ IV. 8.) --LE FAIT DE QUELQU’UN; tout ce qui le concerne, sa conduite, sa fortune, etc....: Tout son _fait_, croyez-moi, n’est rien qu’hypocrisie. (_Tart._ I. 1.) Je crains fort pour mon _fait_ quelque chose approchant. (_Amph._ II. 3.) Bienheureux qui a _tout son fait_ bien placé! (_L’Av._ I. 4.) Dans La Fontaine: «Le malheureux, n’osant presque répondre, «Court au magot, et dit: C’est _tout mon fait_.» (_Le Paysan qui a offensé son seigneur._) --DIRE SON FAIT A QUELQU’UN: Il me donna un soufflet, mais _je lui dis bien son fait_! (_Pourc._ I. 6.) FALLANT, participe présent de _falloir_: Mais _lui fallant_ un pic, je sortis hors d’effroi. (_Fâcheux._ II. 2.) Comme il lui fallait un pique. Le participe abrège singulièrement, et mériterait pour cela seul d’être en usage. FALLOT, plaisant, grotesque; TRAIT FALLOT: Sans ce trait _fallot_, Un homme l’emmenoit, qui s’est trouvé fort sot. (_L’Ét._ II. 14.) «........ Hé quoi, plaisant _fallot_, «Vous parlerez toujours, et je ne dirai mot?» (TH. CORNEILLE, _Jodelet prince_.) «Là, par quelque chanson _fallote_, «Nous célébrerons la vertu «Qu’on tire de ce bois tortu.» (ST.-AMAND.) «_Falot_ se prend aussi pour un muguet, compagnon de village:--_Un gentil falot_.» (NICOT.) Au sens propre, le substantif _falot_ est très-ancien dans notre langue, où il est venu de la basse latinité. Dans les actes de Minutius Félix (_ap. Baron. ad ann. 303_), on trouve déjà _cereofalum_, un falot de cire; et dans une charte de l’évêché d’Amiens, en 1240, _falæ_ signifie les torches employées aux enterrements. _Falæ_ était traduit _failles_ en français: «Et des murs toutes les entrailles «Portent brandons et mettent _failles_.» (_R. d’Athis et Prophil._) «_Failles_ emportent et brandons; «Tot en resplent (_resplendit_) la regions.» (_R. de la Guerre de Troie._) De _faille_ ou _fale_, le diminutif _falot_. _Falot_ se trouve dans Albert Mussato, de Padoue, qui écrivait, au commencement du XIVe siècle, la chronique des gestes d’Henri VI: «Soudain ils voient briller, au sommet de la Gorgone, une sorte de signal par le feu, qu’ils appellent _falot_: _quod ipsi falo nuncupabant_.»--Sur quoi Nicolas Villani fait une note pour expliquer ce que c’est qu’un _falot_, et il dérive ce mot du grec φαλὸς, dérivé lui-même du verbe φάλω, _briller_. Il est à remarquer que ceux dont il est question, et que désigne le mot _ipsi_, ce sont les Padouans. _Falot_, ou plutôt _falo_, était donc, vers 1300, un terme italien. On le retrouve en effet dans la chronique de Modène: «Et ex hoc facti fuerunt magni _falo_ mutinæ.» (Ap. MURATORI, t. 15.) _Fallodia_, _fallogia_, dans les chroniques italiennes du moyen âge, sont des illuminations. J’ai insisté sur l’origine de ce mot, parce qu’il a causé beaucoup de tortures aux érudits; on peut voir dans Trévoux les peines qu’ils se sont données pour tirer falot du saxon _bal_, ou du chaldéen _lappid_, changé en _peled_, qui se serait à son tour transformé en _falot_. Le passage du sens propre au sens métaphorique ne peut arrêter personne. Il est tout naturel de comparer un homme gai, facétieux, folâtre, à une flamme qui joue sous le vent. Les Latins disaient, par une figure pareille, _igniculi ingenii_ (_Quintilien_). (Voyez Du Cange aux mots _Falo_, _Phalæ_, _Fallodia_.) FAMEUX, au sens de _considérable_, _important_: Et me donner le temps qui sera nécessaire Pour tâcher de finir cette _fameuse affaire_. (_L’Ét._ IV. 9.) Oui, je suis don Alphonse; et mon sort conservé Est un _fameux effet_ de l’amitié sincère Qui fut entre son prince et le roi notre père. (_D. Garcie._ V. 5.) Et ce _fameux secret_ vient d’être dévoilé. (_Ibid._ V. 6.) Cet emploi de _fameux_, qui paraît avoir été du style noble du temps de Molière, est aujourd’hui une des formes triviales du langage du peuple. Quoi! faut-il que pour moi vous renonciez, seigneur, A cette royale constance Dont vous avez fait voir, dans les coups du malheur, Une _fameuse expérience_? (_Psyché._ II. 1.) _Royale constance_, _fameuse expérience_, laissent trop voir la précipitation de l’écrivain. FANFAN, terme de tendresse et de mignardise: Oui, ma pauvre _fanfan_, pouponne de mon âme. (_Éc. des mar._ II. 14.) C’est la dernière syllabe du mot _enfant_, redoublée, à l’imitation des enfants eux-mêmes. FANFARONNERIE: C’est pure _fanfaronnerie_ De vouloir profiter de la poltronnerie De ceux qu’attaque notre bras. (_Amph._ I. 2.) La _fanfaronnade_ est l’expression de la _fanfaronnerie_. FATRAS au pluriel: Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin De _tous les vieux fatras_ qui traînent dans les livres. (_Fem. sav._ IV. 3.) FAUT, de _faillir_: .......... Le cœur me _faut_. (_Éc. des fem._ II. 2.) De même de _défaillir_, _défaut_: «Que si la frayeur nous saisit de sorte que le sang se glace si fort que tout le corps tombe en défaillance, l’âme _défaut_ en même temps.» (BOSSUET. _Connaissance de Dieu._ p. 115.) Dans l’édition in-12, imprimée en 1846 chez MM. Didot, l’éditeur a mis: «l’âme _semble s’affaiblir_.» De pareilles corrections sont de véritables sacriléges. Comment n’a-t-on pas vu l’intention de ce rapprochement entre les mots _défaillance_ et _défaillir_? comment, à cette expression énergique _l’âme défaut_, a-t-on osé substituer cette misérable et lâche expression, _semble s’affaiblir_? comment enfin se trouve-t-il des mains qui osent toucher à Bossuet, et mutiler sa pensée? FAUTE, absence, manque; IL VIENT FAUTE DE: _S’il vient faute de vous_, mon fils, je ne veux plus rester au monde. (_Mal. im._ I. 9.) FAUX, dans le sens de _méchant_, _félon_, _déloyal_: Mais le _faux animal_, sans en prendre d’alarmes, Est venu droit à moi, qui ne lui disois rien. (_Pr. d’Él._ I. 2.) FAUX BOND. Voyez FAIRE FAUX BOND. FAUX MONNOYEURS EN DÉVOTION: ..... Toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces _faux monnoyeurs en dévotion_.... (1er _Placet au Roi_.) FAVEUR, ressource, protection: Afin que pour nier, en cas de quelque enquête, J’eusse d’un faux-fuyant _la faveur_ toute prête. (_Tart._ V. 1.) On dit encore tous les jours _à la faveur de_: il a nié, _à la faveur_ d’un faux-fuyant. FAVEURS ÉTROITES. Voyez ÉTROIT. FEINDRE A (un infinitif), hésiter à.....: _Tu feignois à sortir_ de ton déguisement. (_L’Ét._ V. 8.) Vous ne devez point _feindre à me le faire voir_. (_Mis._ V. 2.) _Nous feignions à vous aborder_, de peur de vous interrompre. (_L’Av._ I. 5.) --FEINDRE DE (un infinitif), même sens: Ainsi, monsieur, _je ne feindrai point de vous dire_ que l’offense que nous cherchons à venger..... etc. (_D. Juan._ III. 4.) Je ne feindrai pas de dire, de faire, c’est-à-dire, je dirai, je ferai réellement, sincèrement. _Nous ne feignons point de mettre_ tout en usage. (_Pourc._ I. 3.) _Je ne feindrai point de vous dire_ que le hasard nous a fait connoître il y a six jours. (_Mal. im._ I. 5.) --FEINDRE, suivi d’un infinitif sans préposition, hésiter, comme _feindre à_, et _feindre de_: _Feindre s’ouvrir à moi_, dont vous avez connu Dans tous vos intérêts l’esprit si retenu! (_Dép. am._ II. 1.) La reine de Navarre construit pareillement _feindre_ avec un infinitif, sans préposition intermédiaire: «Le seigneur de Bonnivet, pour luy arracher son secret, _feignit luy dire_ le sien.» (_Heptam._, nouvelle 14.) La vieille langue employait _se faindre_, pour exprimer s’épargner à quelque chose, ne faire que le semblant de..... «Ne _se_ doit pas _faindre_ de luy aider.....» «De luy aider ne _se_ va pas _faignant_.» (_Ogier._ V. 9632 et 9638.) Nicot dit: «SE FAINDRE, _parcere labori_, _remittere_, _summittere_. Sans se faindre, sedulo.—SE FAINDRE, _prævaricari_. Tu te fains à jouer; _non bona fide ludis_.» Montaigne emploie _se feindre_ absolument, pour _feindre_, comme _se jouer_, pour _jouer_; _se mourir_, pour _mourir_: «Pour revenir à sa clemence (de César), nous en avons plusieurs naïfs exemples au temps de sa domination, lorsque, toutes choses estant reduictes en sa main, il n’avoit plus à _se feindre_.» (MONT. II. 33.) FEMME DE BIEN, recevant comme un adjectif la marque du comparatif: Croyez-moi, celles qui font tant de façons n’en sont pas estimées _plus femmes de bien_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) FERME, adverbialement: Vous me parlez bien _ferme!_ et cette suffisance... (_Mis._ I. 2.) Allons, _ferme!_ poussez, mes bons amis de cour! (_Ibid._ II. 5.) (Voyez PREMIER QUE, FRANC, NET.) FERMER, métaphoriquement; FERMER LES MOYENS DE: C’est que vous voyez bien que _tous les moyens_ vous en sont _fermés_. (_G. D._ III. 8.) Vous en sont interdits. (Voyez OUVRIR.) FÉRU, blessé, de _férir_, archaïsme, dans le sens restreint de _rendre amoureux_: Peut-être en avez-vous déjà _féru_ quelqu’une? (_Éc. des fem._ I. 6.) FESTINER QUELQU’UN, lui offrir un festin: C’est ainsi que vous _festinez les dames_ en mon absence! (_B. gent._ IV. 2.) FEU, invariable: Je tiens de _feu ma femme_, et je me sens comme elle Pour les désirs d’autrui beaucoup d’humanité. (_Mélicerte._ I. 4.) Et l’on dit qu’autrefois _feu Bélise_, sa mère... (_Ibid._ II. 7.) Furetière qualifie ce terme _substantif_, et il lui donne, comme à un adjectif, un féminin: le _feu_ roi, la _feue_ reine. Il nous apprend même que les notaires de province usent du pluriel _furent_, en parlant de deux personnes conjointes et décédées, ce qui, ajoute-t-il, marque que ce mot vient de _fuit_ et de _fuerunt_. C’est une raison pour maintenir _feu_ invariable. Dans le temps que la notation _eu_ sonnait _u_, l’on prononçait _fu_ mon père, _fu_ ma mère (_fut_ mon père, _fut_ ma mère); l’ignorance des origines a laissé s’introduire, à la suite d’une mauvaise orthographe, une mauvaise prononciation qui a prévalu; en sorte qu’aujourd’hui cette espèce de prétérit-adverbe est transformé en un véritable adjectif. Nicot dérive _feu_ de _defunctus_, et le qualifie adjectif; puis il ajoute: «Aussi le pourrait-on extraire de cette tierce personne _fuit_..... comme _feut_ signifiant en ce sens _a esté_ ou _fut_, c’est-à-dire, a vescu et n’est plus.» C’est la bonne étymologie. FEU QUI SE RÉSOUT EN ARDEUR DE COURROUX: Tout son _feu se résout en ardeur de courroux_. (_Dép. am._ V. 8.) FIEFFÉ, FOU FIEFFÉ: Peste du fou _fieffé_! (_Méd. m. lui._ I. 1.) _Fieffé_ est celui à qui l’on a donné un fief, ce qui suppose un homme en son genre excellant par-dessus ses confrères. Cette locution se rapporte aux mœurs du moyen âge. Aujourd’hui qu’il n’y a plus de fiefs, mais des brevets d’invention, on dirait, par une expression tout à fait correspondante: un fou breveté. FIER, adjectif; ÊTRE FIER A QUELQU’UN: Oh! qu’elles _nous_ sont bien _fières_ par notre faute! (_Dép. am._ IV. 2.) FIÈVRE QUARTAINE (VOTRE)......., sorte de serment elliptique: ... Si vous y manquez, _votre fièvre quartaine_!.... (_L’Ét._ IV. 8.) Si vous y manquez, vous consentez à être pris de la fièvre quartaine; jurez sur votre fièvre quartaine. C’est aussi une espèce d’exclamation imprécatoire: Que la fièvre quartaine te serre! ta fièvre quartaine! Dans l’explication entre le prêtre et le pelletier, joués par Pathelin: LE PREBSTRE. «Je ne le congnois nullement. «Il m’a dit que presentement «Vous confesse, et que payerez «Tres-bien, et si me baillerez «Argent, pour dire une douzaine «De messes. LE PELLETIER. _Sa fiebvre quartaine!_» (_Le nouv. Pathelin._) LE PREBSTRE. «Vuyde dehors, fol insensé, «Car il est temps que tu t’en partes. LE PELLETIER: «Et je feray, _tes fiebvres quartes_!» (_Ibid._) FIGURE, dans le sens restreint de _forme_. Molière a dit, en ce sens, _la figure du visage_: Et de ces blonds cheveux, de qui la vaste enflure _Des visages humains_ offusque _la figure_. (_Éc. des mar._ I. 1.) Offusque la forme des visages humains. --TENIR LA FIGURE DE: Je vous laisse à penser si, dans la nuit obscure, J’ai _d’un vrai trépassé_ su _tenir la figure_. (_Éc. des fem._ V. 2.) Cette acception de _figure_ se rapporte à celle de FIGURER. (Voyez ce mot.) FIGURER, se rapportant à tout l’extérieur, à la _configuration_, en quelque sorte: Voici monsieur Dubois plaisamment _figuré_. (_Mis._ IV. 2.) .... Une vieille tante qui.... _nous figure_ tous les hommes comme des diables qu’il faut fuir. (_B. gent._ III. 10.) FILER DOUX: Tu n’es pas où tu crois; en vain tu _files doux_. (_Amph._ II. 3.) _Doux_ est adverbial, comme _franc_, _ferme_, _net_, _clair_, _soudain_, etc., dans des locutions analogues. FILET, diminutif de _fil_: Il semble, à vous entendre, que monsieur Purgon tienne dans ses mains _le filet de vos jours_, et que, d’autorité suprême, il vous l’allonge ou le raccourcisse comme il lui plaît. (_Mal. im._ III. 7.) Trévoux indique encore _filet_ comme diminutif de _fil_, _tenue filum_; et Regnier décrivant le costume de son pédant: «Les Alpes en jurant lui grimpoient au collet, «Et la Savoy, plus bas, ne pend qu’à un _filet_.» (_Sat._ X.) FILLE A SECRET, capable de garder un secret: Ascagne, je suis _fille à secret_, Dieu merci. (_Dép. am._ II. 1.) FILLOLE, filleule, archaïsme: Il n’a pas aperçu Jeannette ma _fillole_, Laquelle m’a tout dit, parole pour parole. (_L’Ét._ IV. 7.) Nicot dit: «filleul ou fillol.» Vaugelas déclare que _fillol_ pour _filleul_, c’est très-mal parler. Pourquoi, puisque la racine est _filiolus_? L’usage, dira-t-on? A la bonne heure, si l’on pose en principe que l’usage ne saurait avoir tort. FIN. Voyez FAIRE LE FIN DE QUELQUE CHOSE (p. 176). --FIN FOND: Et nous fûmes coucher sur le pays exprès, C’est-à-dire, mon cher, en _fin fond_ de forêts. (_Fâcheux._ II. 7.) _Fin_, dans l’ancienne langue, se joignait comme affixe à un substantif ou à un adjectif, pour lui donner la forme superlative. «De lermes sont lor vis moilliez, «Sourdant de _fin cueur_ amoureus.» (_R. de Coucy._ v. 6176.) «La dame estoit si _fine bele_, «Que n’avoit dame ne pucele «Ens el païs qui l’ataindist.» (_Ibid._ v. 150.) On dit, en certains pays vignobles, que du vin est _fin clair_. Il nous reste encore, dans l’usage commun, _fin fond_, et _fine fleur_. «Près de Rouen, pays de sapience, «Gens pesant l’air, _fine fleur_ de Normands.» (LA FONT. _Le Remède._) «Nous mourons de _fine famine_,» dit Guillemette à Pathelin. Et plus loin: «Vous en estes _un fin droict maistre_.» (de tromperie.) FLAIREUR DE CUISINE: Impudent _flaireur de cuisine_! (_Amph._ III. 7.) FLÉCHIR AU TEMPS: Il faut _fléchir au temps_ sans obstination. (_Mis._ I. 1.) Molière eût mis aussi bien _céder au temps_; mais _fléchir au temps_ fait une image bien plus vive et poétique. FOIN! exclamation: Ce mot n’a que la forme de commun avec _foin_, _fœnum_. On rencontre fréquemment, dans Plaute et dans Térence, l’exclamation _phu!_ (en grec φεῦ), exprimant tantôt le dégoût, tantôt l’admiration: _peste_, _oh oh_, _diantre!_ Ce _phu_ est devenu en français _foin_, par le changement de l’_u_ en _oi_, comme _pungere_, _ungere_, _poindre_, _oindre_. Il s’emploie sans complément ou avec un complément: _Foin!_ que n’ai-je avec moi pris mon porte respect! (_L’Ét._ III. 9.) «_Foin du loup et de sa race!_» (LA FONTAINE. _Le Chevreau, la Chèvre et le Loup._) Foin ou fi sur le loup--_phu de lupo_. «Adieu donc. _Fi du plaisir_ «Que la crainte peut corrompre!» (LA FONT. _Fables._ I. 9.) FOND D’AME, substantif; UN FOND D’AME: Et n’est-ce pas sans doute un crime punissable, De gâter méchamment ce _fond d’âme_ admirable? (_Éc. des fem._ III. 4.) FONDANTE EN LARMES: Une jeune fille toute _fondante en larmes_, la plus belle et la plus touchante qu’on puisse jamais voir. (_Scapin._ I. 2.) M. Auger veut qu’ici _fondant_ soit un participe présent, et non un adjectif verbal, attendu le complément indirect _en larmes_. La raison ne paraît pas convaincante. On dit bien: cette jeune fille est _charmante de grâces_. Le complément ne fait donc rien à l’affaire; mais le féminin _toute_, qui précède _fondante_, y fait beaucoup, et détermine au second mot le caractère d’adjectif. Cette femme est _toute riante de santé_, ou bien _toute fondante en larmes_; il est clair qu’il s’agit d’un état, d’une manière d’être, et non pas d’une action. (Voyez PARTICIPE PRÉSENT _variable_.) FONDER SUR QUELQUE CHOSE, absolument: Tant de méchants placets, monsieur, sont présentés, Qu’ils étouffent les bons; et l’espoir où _je fonde_ Est qu’on donne le mien quand le prince est sans monde. (_Fâcheux._ III. 2.) L’espoir où je _me_ fonde. (Voyez ARRÊTER.) FORCE, adverbe; FORCE GENS: Voir cajoler sa femme, et n’en témoigner rien, Se pratique aujourd’hui par _force gens_ de bien. (_Sgan._ 17.) Nicot: «Force, _id est copia_: il luy est allé _force gens_ au devant.--Lieux où il y a _force arbres_.» Cette locution est trop commune pour qu’il en faille rapporter des exemples. Je me contenterai d’observer que le mot _force_ doit être porté sur la liste des substantifs que l’usage a transformés en adverbes dans certains cas donnés, comme _pas_, _point_, _trop_ (qui est une ancienne forme de _troupe_), _rien_, _mot_ ou _motus_. FORCER, vaincre en luttant; FORCER UN MALHEUR: Il m’échappe! ô _malheur qui ne se peut forcer_! (_L’Ét._ II. 14.) L’emploi de _forcer_ est ici le même que dans cette locution: _forcer un lièvre_. FORFANTERIE D’UN ART, vanité d’un art qui se vante: Sans découvrir encore au peuple,...... _la forfanterie de notre art_. (_Am. méd._ III. 2.) Les Italiens disent _un furfante_; mais, au rebours de ce qu’affirme Nicot, ce n’est pas d’eux que nous avons emprunté _forfant_ ni _forfanterie_, car les racines de ces mots sont exclusivement françaises. _Forfanterie_ est pour _forvanterie_. _For_, en composition, signifie tantôt _hors_, comme dans _forligner_, _forclore_, _forbannir_, _forban_, etc., tantôt _mal_, parce que le mal résulte de l’excès qui franchit les limites. Ainsi _forfaire_, _forsenné_, _forconseiller_, _forjuger_, _formarier_ et _formariage_ (mariage contre la loi et la coutume), _formener_ (malmener), etc. _Se forfanter_, c’est se vanter au delà de la vérité, se vanter à faux; et c’est de nous que les Italiens l’ont emprunté. FORGER UN AMUSEMENT: Votre feinte douceur _forge un amusement_, Pour divertir l’effet de mon ressentiment. (_D. Garcie._ IV. 8.) (Voyez DIVERTIR et AMUSER.) FORLIGNER DE: Jour de Dieu! je l’étranglerois de mes propres mains, s’il falloit qu’elle _forlignât de l’honnêteté de sa mère_! (_G. D._ II. 14.) _Fors-ligner_, c’est sortir hors de la ligne droite, _se dévier_, comme on parlait jadis. (Voyez FORFANTERIE.) FORMER DES SENTIMENTS, comme _former des vœux_: Et _je ne forme point_ d’assez beaux _sentiments_ Pour..... (_Dép. am._ I. 3.) FORT EN GUEULE: MADAME PERNELLE: ..... Vous êtes, m’amie, une fille suivante Un peu trop _forte en gueule_, et très-impertinente. (_Tart._ I. 1.) --FORTE PASSION, passion dominante: Ta _forte passion_ est d’être brave et leste. (_Éc. des fem._ V. 4.) FORTUNE, au sens du latin _fortuna_, la destinée, dans ce vers d’Horace: _Fortunam_ Priami cantabo, et nobile bellum. ..... Elle est de vous (cette lettre), suffit: même _fortune_. (_Dépit. am._ II. 3.) Le capitaine de ce vaisseau, touché de _ma fortune_, prit amitié pour moi. (_L’Av._ V. 5.) Voyons quelle _fortune_ en ce jour peut m’attendre. (_Amph._ III. 4.) Comme on trouve écrit dans le ciel jusqu’aux plus petites particularités de la _fortune_ du moindre des hommes. (_Am. magn._ III. 1.) La _fortune_ d’un homme, pour signifier sa richesse, l’ensemble de son avoir, est une acception toute moderne, qui ne se rencontre point dans Molière. Un homme _fortuné_ n’est point un homme riche, mais un homme favorisé du sort. On peut être le plus _fortuné_ des mortels, et très-pauvre en même temps. _Avoir de la fortune_, ne signifie donc réellement autre chose que avoir la chance heureuse, _fortune_ se prenant pour _bonne fortune_, comme _heur_ pour _bon heur_; _succès_ pour _heureux succès_, etc. Arnolphe demande à Horace: Vous est-il point encore arrivé de _fortune_? (_Éc. des fem._ I. 6.) C’est-à-dire, d’aventure galante. «Tu portes César et sa fortune.» Il serait ridicule d’entendre: Tu portes César et ses trésors. --PAR FORTUNE, par hasard: Je l’avois sous mes pieds rencontré _par fortune_. (_Sgan._ 22.) La Fontaine dit _de fortune_: «Comme elle disoit ces mots, «Le loup, _de fortune_, passe.» (_La Chèvre, le Chevreau et le Loup._) FORTUNES, au pluriel, même sens: ..... Nous parlions des _fortunes d’_Horace. (_L’Ét._ IV. 6.) «Quant au surplus des _fortunes_ humaines, Les biens, les maux, les plaisirs et les peines...» (LA FONTAINE. _Belphégor._) Les Anglais ont retenu ce sens: _the fortunes of Nigel_, sont _les aventures_ de Nigel. Horace dit aussi, au pluriel: «Si dicentis erunt _fortunis_ absona dicta....» Si le langage ne convient pas à la position du personnage, à sa fortune, ou à ses fortunes. FOUDRE PUNISSEUR. Voyez PUNISSEUR. FOURBER QUELQU’UN: --Vous vous êtes accordés, Scapin, vous et mon fils, pour _me fourber_. --Ma foi, monsieur, si Scapin _vous fourbe_, je m’en lave les mains. (_Scapin._ III. 6.) FOURBISSIME: Mascarille est un fourbe, et fourbe _fourbissime_. (_L’Ét._ II. 5.) La forme en _issime_ fut naturellement la forme primitive de notre superlatif. La traduction des _Rois_, la chanson de Roland, saint Bernard, l’emploient constamment; d’ordinaire elle est contractée en _isme_: _saintisme_, _grandisme_, _altisme_, _cherisme_, etc., y sont pour _saintissime_, _grandissime_, etc. On disait même _bonisme_, et non _optime_, formé de _bon_, par analogie. C’est donc à tort que le P. Bouhours (_Entretiens d’Ariste et Eugène_) prétend ces superlatifs contraires au génie de notre langue. En 1607, Malherbe, dans ses lettres, se sert fréquemment de _grandissime_; et Perrot d’Ablancourt, dans sa traduction de César: «Il y avait un _grandissime_ nombre de villes.» Mais on les en a repris l’un et l’autre. Par conséquent, c’est du commencement du XVIIe siècle qu’il faut dater dans notre langue la déchéance de l’ancienne forme latine, et l’emploi exclusif de _très_ pour marquer le superlatif. Les Latins, outre la forme en _issimus_, formaient aussi le superlatif par le mot _ter_, soit séparé, soit en composition. Ils avaient emprunté cela des Grecs, qui disaient τρισόλβιος, τρισευδαίμων, τρισκατάρατος, etc. Plaute dit de même, _trifur_, _triveneficus_, _tricerberus_. Et Virgile: «O _ter_ quaterque _beati_!» _Très-docte_, en français, est donc comme _tridoctus_, et nous avons eu, à l’instar des Latins, deux manières de former les superlatifs; seulement la forme grecque, chez les Latins la moins usitée, a fini par l’emporter chez nous, et par étouffer complétement la forme latine. FOURNIR A, suffire à: Ma foi, me trouvant las pour ne pouvoir _fournir Aux différents emplois_ où Jupiter m’engage...... (_Amph._ Prol.) FRAIS; PRENDRE LE FRAIS, c’est-à-dire, choisir l’heure du frais, le soir ou le matin: Pour arriver ici, mon père _a pris le frais_. (_Éc. des fem._ V. 6.) FRANC, adverbialement: Je vous parle _un peu franc_; mais c’est là mon humeur. (_Tart._ I. 1.) Je vous dirai _tout franc_ que c’est avec justice. (_Ibid._ I. 6.) C’est de presser _tout franc_, et sans nulle chicane, L’union de Valère avecque Marianne. (_Ibid._ III. 3.) Je vous dirai _tout franc_ que cette maladie, Partout où vous allez, donne la comédie. (_Mis._ I. 1.) _Tout franchement_, comme _tout net_ est pour _tout nettement_. (Voyez PREMIER QUE, FERME, NET.) FRÉQUENTER CHEZ QUELQU’UN: Sans doute; et je le vois qui _fréquente chez nous_. (_Fem. sav._ II. 1.) Les Latins employaient _frequentare_ sans _apud_, comme aujourd’hui nous faisons. Dans Cicéron: _Qui domum meam frequentant_, ceux qui fréquentent ma maison; et dans Phèdre: _Aras frequentas_, tu fréquentes les autels. FRICASSER, métaphoriquement: MARINETTE. Moi, je te chercherois! Ma foi, _l’on t’en fricasse_, Des filles comme nous!..... (_Dép. am._ IV. 4.) Observez que c’est Marinette qui parle. FRIPERIE; NOTRE FRIPERIE, notre personne: Gare une irruption sur _notre friperie_! (_Dép. am._ III. 1.) C’est un valet qui parle. FROTTER SON NEZ AUPRÈS DE LA COLÈRE DE QUELQU’UN: GROS-RENÉ. Viens, viens _frotter ton nez auprès de ma colère_! (_Dép. am._ IV. 4.) FUIR DE (un infinitif), comme éviter de....: Si votre âme les suit, et _fuit d’être coquette_.... (_Éc. des fem._ III. 2.) Il ne _fuit_ rien tant tous les jours que _d’exercer_ les merveilleux talents qu’il a eus du ciel pour la médecine. (_Méd. m. lui._ I. 5.) C’est le _fuge quærere_ d’Horace. _De_, dans l’expression française, est la marque de l’ablatif employé dans ce vers de Virgile: Quanquam animus meminisse horret, _luctuque refugit_. (_Æneid._ II.) «Mon esprit recule d’horreur à ces images de deuil, et _fuit de s’en souvenir_.» --«J’ay monstré, en la conduite de ma vie et de mes entreprinses, que j’ay plustost _fuy_ qu’aultrement _d’enjamber_ par dessus le degré de fortune auquel Dieu logea ma naissance.» (MONT. III. 7.) FULIGINES, terme technique: Beaucoup de _fuligines_ épaisses et crasses, etc. (_Pourc._ I. 11.) FURIEUX, dans le sens d’_extrême_: Voilà _une furieuse imprudence_, que de nous envoyer querir. (_G. D._ III. 12.) FUSEAUX; FAIRE BRUIRE SES FUSEAUX. Voyez BRUIRE. FUTURS (DEUX), _commandés l’un par l’autre_: Ce ne _sera_ pas là qu’il _viendra_ la chercher. (_Éc. des fem._ V. 4.) Cette symétrie des temps, empruntée du latin, est aussi négligée au XIXe siècle qu’elle était soigneusement observée au XVIIe. On dirait aujourd’hui sans scrupule: Ce n’_est_ pas là qu’il _viendra_. _Je reviendrai_ voir sur le soir en quel état elle _sera_. (_Méd. m. l._ II. 6.) Et non: en quel état elle _est_. Lorsqu’on me _trouvera_ morte, il n’y aura personne qui mette en doute que ce ne soit vous qui _m’aurez_ tuée. (_G. D._ III. 8.) Et non: _qui m’avez_. J’ai des raisons à faire approuver ma conduite, Et _je connoîtrai_ bien si vous _l’aurez_ instruite. (_Fem. sav._ II. 8.) Cette symétrie des temps s’observait aussi pour le conditionnel. (Voyez CONDITIONNELS.) (DEUX.) --Futur suivi d’un présent de l’indicatif: _Ce ne sera point_ vous que je leur _sacrifie_. (_Ibid._ V. 5.) L’exigence du mètre, et la nécessité de rimer à _philosophie_, ont apparemment ici forcé la main à Molière, dont l’usage constant est de mettre les deux futurs, même en des cas où ils sont bien moins nécessaires. GAGE QUE...., adverbialement, ou par une sorte d’ellipse pour _je gage que_: _Gage qu’_il se dédit.--Et moi, _gage que_ non. (_L’Ét._ III. 3.) GAGER QUELQU’UN POUR (un substantif), c’est-à-dire, _en qualité de_: Je suis auprès de lui _gagé pour serviteur_: Vous me voudriez encor payer _pour précepteur_. (_L’Ét._ I. 9.) (Voyez POUR, en qualité de.) GAGNER; GAGNER AU PIED, s’enfuir: Ah! par ma foi, je m’en défie, et je m’en vais _gagner au pied_. (_Préc. rid._ 10.) La Fontaine a dit, dans le même sens, _gagner au haut_: «....... Le galant aussitôt «Tire ses grègues, _gagne au haut_. (_Le Renard et le Coq._) Nicot et Trévoux ne donnent que _gagner le haut_. (Voyez HAUT.) --GAGNER DE (un infinitif), obtenir: Et qu’il n’est repentir ni suprême puissance Qui _gagnât_ sur mon cœur _d’oublier_ cette offense. (_D. Garcie._ V. 5.) --GAGNER LE TAILLIS, fuir, s’évader: Tant pis! J’en serai moins léger à _gagner le taillis_. (_Dép. am._ V. 1.) --GAGNER LES RÉSOLUTIONS _de quelqu’un_, les surmonter: Pied à pied _vous gagnez mes résolutions_. (_B. gent._ III. 18.) GALANT, substantif, un nœud de rubans: Voilà Ton beau _galant_ de neige, avec ta nonpareille: Il n’aura plus l’honneur d’être sur mon oreille. (_Dép. am._ IV. 4.) GALANT, adjectif, au sens d’_élégant_, _distingué_: Il me montra toute l’affaire, exécutée d’une manière, à la vérité, beaucoup plus _galante_ et plus spirituelle que je ne puis faire. (_Préf. de la Crit. de l’Éc. des fem._) GALANTERIE, FAIRE GALANTERIE DE (un infinitif): N’a-t-il pas (Molière), ceux...... qui, le dos tourné, _font galanterie de se déchirer_ l’un l’autre? (_Impromptu._ 3.) Rien n’a remplacé cette excellente expression; il faut, pour en rendre le sens, recourir à une longue périphrase. GALIMATIAS au pluriel: Mon Dieu, prince, je ne donne point dans _tous ces galimatias_ où donnent la plupart des femmes. (_Am. magn._ I. 1.) GARANT; ÊTRE GARANT DE QUELQUE CHOSE, en fournir la garantie, la preuve: Moi, je lui couperois sur-le-champ les oreilles, S’il _n’étoit pas garant_ de tout ce qu’il m’a dit. (_L’Ét._ III. 3.) GARD’, en style familier, pour garde: Dieu te _gard’_, Cléanthis! (_Amph._ II. 3.) GARDE; SE DONNER DE GARDE DE.... Voyez à DONNER. GARDER DE (un infinitif), se garder de, prendre garde de: Mon Dieu, Éraste, _gardons_ d’être surpris. (_Pourc._ I. 3.) Rentrez donc, et surtout _gardez de babiller_. (_Éc. des fem._ IV. 9.) Rentrez dans la maison, et _gardez de rien dire_. (_Ibid._ V. 1.) _Gardez de vous tromper!_ (_Georg. D._ II. 9.) Molière emploie indifféremment, et selon le besoin de la circonstance, _garder_ ou _se garder de_: Et surtout _gardez-vous de la quitter_ des yeux. (_Éc. des fem._ V. 5.) --GARDER QUE (sans _ne_): _Gardons bien que_, par nulle autre voie, _elle en apprenne_ jamais rien. (_Am. magn._ I. 1.) (Voyez DONNER DE GARDE (SE).) GARDIEN, en trois syllabes: Suis-je donc _gardien_, pour employer ce style, De la virginité des filles de la ville? (_Dép. am._ V. 3.) Il est probable que plus tard Molière eût écrit: Suis-je donc _le_ gardien..... GATER QUELQU’UN DE, c’est-à-dire, à l’aide, par le moyen de....: Je veux être pendu, si nous ne les verrions Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions, Sans tous ces vils devoirs _dont_ la plupart des hommes _Les gâtent_ tous les jours, dans le siècle où nous sommes. (_Dép. am._ IV. 2.) Cette tournure se rapporte à DE, exprimant la cause, la manière. --GATER (SE) SUR L’EXEMPLE D’AUTRUI; par l’exemple, d’après l’exemple d’autrui: Mais _ne vous gâtez pas sur l’exemple d’autrui_. (_Éc. des fem._ III. 2.) GAUCHIR, aller à gauche; GAUCHIR DE QUELQUE CHOSE, s’en écarter: Notre sort ne dépend que de sa seule tête; _De ce qu’elle s’y met_, rien ne la fait _gauchir_. (_Éc. des fem._ III. 3.) GAULIS, terme technique, branche d’arbre: Je pousse mon cheval et par haut et par bas, Qui plioit des _gaulis_ aussi gros que le bras. (_Fâcheux._ II. 7.) «Les gaulis, dit Trévoux, sont, en terme de vénerie, des branches d’arbre qu’il faut que les veneurs plient ou détournent pour percer dans un bois.» _Gault_, en vieux français, est une forêt: «Onc charpentier en bos ne sot si charpenter, «Ne mena telle noise en parfont _gault_ ramé.» (_Renaut de Montauban._) «Que florissent cil prez, e cil _gault_ sont foilli.» (_Rom. d’Aïe d’Avig._) «Cerchant prés et jardins et _gaults_.» (_Rom. de la Rose._) «_Gault_ paraît venir du bas latin _caula_, d’où s’est formé _gaule_, par l’adoucissement du _c_ en _g_. Dans un compte de 1202: «pro perticis et _caulis_.... pro L _caulis_.» Pour des perches et des gaules..... pour 50 gaules.» (DU CANGE, au mot CAULA.) J’avoue que j’aimerais mieux dériver _gault_ de _saltus_, et _gaule_ de _caula_. Le _nom_ propre _Gault de Saint-Germain_ signifie _Bois de Saint-Germain_. GAYETÉ, en trois syllabes: Mais je vous avouerai que cette _gayeté_ Surprend au dépourvu toute ma fermeté. (_D. Garcie._ V. 6.) Mais que de _gayeté_ de cœur On passe aux mouvements d’une fureur extrême.... (_Amph._ II. 6.) GENDARMÉ CONTRE...: Cet homme _gendarmé_ d’abord _contre mon feu_. (_Éc. des f._ III. 4.) GÊNER (gehenner) QUELQU’UN, le torturer, lui faire violence: Et pour tout dire enfin, jaloux ou non jaloux, Mon roi sans _me gêner_ peut me donner à vous. (_D. Garcie._ V. 6.) Racine a dit de même: «Et le puis-je, madame? Ah, que vous me _gênez_!» (_Androm._ I. 4.) Ah, que vous torturez mon cœur! Ce mot a perdu aujourd’hui toute l’énergie de son acception primitive; c’était même déjà un archaïsme dans Racine et dans Molière. On voit par cet exemple combien les mœurs influent sur le langage: à mesure que l’usage de la torture ou de la _gene_ s’éloignait, la valeur du mot s’affaiblissait comme le souvenir de la chose. _Il est gêné dans ses habits_ eût été, au XIIe siècle, une hyperbole violente; aujourd’hui, cela signifie simplement, _il n’y est pas à son aise_; c’est l’expression la plus douce qu’on puisse employer. GÊNES, au pluriel, dans le sens du latin _gehenna_, _torture_: Je sens de son courroux des _gênes_ trop cruelles. (_Dép. am._ V. 2.) GENS masculin: Ma langue est impuissante, et je voudrois avoir Celle de _tous les gens_ du plus exquis savoir. (_L’Ét._ II. 14.) La délicatesse est trop grande, de ne pouvoir souffrir que des _gens triés_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ I.) Et qu’en n’approuvant rien des ouvrages du temps, Il se met au-dessus de _tous_ les autres _gens_. (_Mis._ II. 5.) Et qu’avecque le cœur d’un perfide vaurien Vous confondiez les cœurs de _tous les gens de bien_. (_Tart._ V. 1.) Pour _tous les gens de bien_ j’ai de grandes tendresses. (_Ibid._ V. 4.) Cependant noire âme insensée S’acharne au vain honneur de demeurer près d’eux, Et s’y veut contenter de la fausse pensée Qu’ont _tous les autres gens_ que nous sommes heureux. (_Amph._ I. 1.) Combien de _gens_ font-_ils_ des récits de bataille, Dont _ils_ se sont tenus loin! (_Ibid._) --GENS avec un nom de nombre déterminé: Et je connois des _gens_ à Paris, plus de _quatre_, Qui, comme ils le font voir, aiment jusques à battre. (_Fâcheux._ II. 4.) Moi, je serois cocu?--Vous voilà bien malade! _Mille gens_ le sont bien qui de rang et de nom Ne feroient avec vous nulle comparaison. (_Éc. des fem._ IV. 8.) _Un de mes gens_ la garde au coin de ce détour. (_Ibid._ V. 2.) Il y a là _vingt gens_ qui sont fort assurés de n’entrer point. (_Impr._ 3.) Et jamais il ne parut si sot que parmi _une demi-douzaine de gens_ à qui elle avoit fait fête de lui. (_Critique de l’Éc. des fem._ sc. 2.) A l’origine de la langue il a été souvent employé ainsi: «Pour ces _trois gens_ qui ont pel de beste afublée.» (_Le dit du Buef._) --GENS DE BIEN A OUTRANCE: Toutes les grimaces étudiées de ces _gens de bien à outrance_. (1er _Placet au Roi_.) --GENS DE DIFFICULTÉS: Ce sont (les avocats) _gens de difficultés_. (_Mal. im._ I. 9.) --GENS DE NOM: Toute mon ambition est de rendre service aux _gens de nom_ et de mérite. (_Sicilien._ 11.) GENTILLESSE, dans le sens de l’italien _gentilezza_, _noblesse_: Ce sont des brutaux, ennemis de _la gentillesse_ et du mérite des autres villes. (_Pourc._ III. 2.) GLOIRE, considération personnelle, mérite: Pourquoi voulez-vous croire Que de ce cas fortuit dépende notre _gloire_? (_Éc. des fem._ IV. 8.) C’est où je mets aussi _ma gloire_ la plus haute. (_Tart._ II. 1.) Je mets ma gloire, je fais consister mon mérite principal à vous satisfaire. GOBER LE MORCEAU, se laisser prendre, duper tranquillement: Mais je ne suis pas homme à _gober le morceau_. (_Éc. des f._ II. 1.) Métaphore prise de la pêche à la ligne. GOGUENARDERIE: Oui, mais je l’enverrois promener avec ses _goguenarderies_. (_Méd. m. lui._ II. 3.) GRACE; DONNER GRACE, pardonner: Et l’on _donne grâce_ aisément A ce dont on n’est pas le maître. (_Amph._ II. 6.) GRAIS, Grec: MARTINE. Et, ne voulant savoir _le grais_ ni le latin.... (_Fem. sav._ V. 3.) C’est l’ancienne et légitime prononciation, comme dans _échecs_, _legs_. Ce passage nous montre que, du temps de Molière, le peuple la retenait encore. GRAND invariable en genre: Le bal et _la grand bande_, assavoir deux musettes. (_Tart._ II. 3.) Vous n’aurez pas _grand peine_ à le suivre, je crois. (_Ibid._ II. 4.) Il porte une jaquette à _grands basques plissées_. (_Mis._ II. 6.) Dans l’origine de la langue, tout adjectif dérivé d’un adjectif latin en _is_, _grandis_, _qualis_, _regalis_, _viridis_, etc., ne changeait pas non plus en français pour le féminin. Il nous reste encore de cet usage, _grand messe_, _grand mère_, _grand route_, etc., et, dans le langage du palais, _lettres royaux_. C’est donc une véritable faute de mettre une apostrophe après _grand_, comme si l’_e_ s’élidait. (Voyez _des Variations du langage français_, p. 226.) --GRAND LATIN, grand latiniste, comme on dit _grand grec_ pour grand helléniste: Je vous crois _grand latin_ et grand docteur juré. (_Dép. am._ II. 7.) --GRAND SEIGNEUR (LE), pour l’_aristocratie_, _la noblesse_: O l’ennuyeux conteur! Jamais on ne le voit sortir _du grand seigneur_. (_Mis._ II. 5.) De même _le marquis_, pour _la classe des marquis_. (Voyez MARQUIS.) GRIMACIERS, hypocrites: Ils donnent bonnement (les hommes sincèrement vertueux) dans le panneau des _grimaciers_, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. (_D. Juan._ V. 2.) (Voyez FAÇONNIER.) GROUILLER: Et l’on demande l’heure, et l’on bâille vingt fois, Qu’elle _grouille_ aussi peu qu’une pièce de bois. (_Mis._ II. 5.) Comme _grouiller_ est devenu, l’on ne sait pourquoi, un terme bas, les éditeurs de 1682 ont jugé qu’il était mal séant dans la bouche de Célimène, et ils ont fait à Molière l’aumône d’une correction que les comédiens se sont empressés d’adopter: Qu’elle _s’émeut autant_ qu’une pièce de bois. M. Auger observe qu’il fallait au moins mettre _se meut_ ou _remue_, car c’est de cela qu’il s’agit, et non de _s’émouvoir_. Ces corrections, faites au texte d’un écrivain comme Molière, sont autant d’impertinences. Est-ce que madame Jourdain est décrépite? et la tête lui _grouille-t-elle_ déjà? (_B. gent._ III. 5.) _Grouiller_ est une forme de _crouller_. La prononciation les confondait. _Crouller_, verbe actif ou verbe neutre, _trembler_, _agiter_, _ébranler_; en italien, _crollare_: _crollare il capo_, _secouer la tête_: «Les fundemens des munz sunt emeuz et _crollez_, kar nostre sire est curuciez.» (_Rois_, p. 205.) Les fondements des monts sont émus et ébranlés, _concussa et conquassata_. «Baucent l’oï, si a froncie le nez; «_La teste croule_ si a des piez houez.» (_La bataille d’Arlescamp._) Baucent _grouille la tête_, secoue la tête. Il peut être intéressant, pour l’histoire de la langue, d’observer que nos pères avaient à la fois _crouler_ et _trembler_, et qu’ils distinguaient fort bien l’un de l’autre. En voici un exemple, tiré du roman d’Alexandre; il s’agit des prodiges qui signalèrent la naissance de ce héros: «Dieu demonstra par signe qu’il (Alexandre) se feroyt cremir[57], car l’on vit l’aer muer, le firmament croissir[58], et la _terre crouler_; la mer par lieus rougir, et _les bestes trembler_, et les hommes fremir.» (_Préf. de la Ch. des Saxons._ p. 22.) [57] _Cremir_, craindre, de _tremere_, pour _tremir_. _Cremir_ est devenu _craindre_, le _c_ continuant à remplacer le _t_; car il semble qu’on dût dire _traindre_. [58] Craquer. Ces finesses de nuances n’indiquent pas une langue barbare. «Quand le souldich l’eut entendu, si _crolla la teste_ et le regarda fellement, et dist: Tu has murdry!» (FROISSART. _Chron._ II. ch. 30.) GUÉRIR, au sens figuré: NICOLE. De quoi est-ce que tout cela _guérit_? (_B. gent._ III. 3.) A quoi tout cela sert-il? GUEUSER DES ENCENS: Pour moi, je ne vois rien de plus sot, à mon sens, Qu’un auteur qui partout va _gueuser des encens_. (_Fem. sav._ III. 5.) GUEUX COMME DES RATS: Tous ces blondins sont agréables.... mais la plupart sont _gueux comme des rats_. (_L’Av._ III. 8.) L’expression complète eût été: Comme des rats d’église, qui n’y trouvent rien à manger. Mais, du temps de Molière, on n’osait pas prononcer sur le théâtre le mot _église_; quand on y était réduit, on disait _le temple_. (Voyez TEMPLE.) --GUEUX D’AVIS: Non de ces _gueux d’avis_, dont les prétentions Ne parlent que de vingt ou trente millions. (_Fâcheux._ III. 3.) GUIDE, subst. féminin, comme _sentinelle_; archaïsme: _La Guide_ des pécheurs est encore un bon livre. (_Sgan._ I.) «Elle lit saint Bernard, _la Guide_ des pécheurs[59].» (RÉGNIER. _Macette._) [59] Ouvrage ascétique, composé en espagnol par le père Louis de Grenade. _Guide_, terme technique, est resté féminin: CONDUIRE A GRANDES GUIDES. GUIGNER, lorgner du coin de l’œil: J’ai _guigné_ ceci tout le jour. (_L’Av._ IV. 6.) _De guingois_, espèce d’adverbe, pour signifier _de côté_, _de travers_, paraît dérivé de _guigner_: _de guingois_, comme _de guïgois_. Mme de Sévigné affectionne ce terme familier: _un esprit de guingois_. HABILLER; S’HABILLER D’UN NOM: Le monde aujourd’hui n’est plein..... que de ces imposteurs qui.... _s’habillent insolemment du premier nom illustre_ qu’ils s’avisent de prendre. (_L’Av._ V. 5.) HABITUDE DU CORPS, tenue, maintien, _habitus_: Cette _habitude du corps_ menue, grêle, noire et velue. (_Pourc._ I. 11.) HAINE POUR QUELQU’UN, au lieu de _haine contre_: Ils ont en cette ville _une haine effroyable pour_ les gens de votre pays. (_Pourc._ III. 2.) HANTER QUELQUE PART: Oui; mais pourquoi, surtout depuis un certain temps, Ne sauroit-il souffrir qu’aucun _hante céans_? (_Tart._ I. 1.) HANTISES, FRÉQUENTATION: Isabelle pourroit perdre dans ces _hantises_ Les semences d’honneur qu’avec nous elle a prises. (_Éc. des mar._ I. 4.) La forme primitive était _hant_, racine du verbe _hanter_: «Sunt se nettement guardé tes vadlets, e meimement de _hant_ de femme?» (_Rois._ p. 83.) HARDI, employé comme exclamation: Là, _hardi!_ tâche à faire un effort généreux. (_Sgan._ 21.) HATÉ, pressé, urgent: Nous sortions.--Il s’agit d’un fait assez _hâté_. (_Éc. des mar._ III. 5.) HAUT, substantif; _un haut_, pour _une hauteur_: Sur _un haut_, vers cet endroit, Étoit leur infanterie. (_Amph._ I. 1.) (Voyez GAGNER LE HAUT.) --HAUT DE L’ESPRIT (DU): Et, les deux bras croisés, _du haut de son esprit_ Il regarde en pitié tout ce que chacun dit. (_Mis._ II. 5.) --HAUT LA MAIN, sans l’ombre de résistance ou de difficulté: Vous l’auriez guéri _haut la main_. (_Pourc._ II. 1.) Molière a dit aussi _la main haute_: La grammaire, qui sait régenter jusqu’aux rois, Et les fait, _la main haute_, obéir à ses lois! (_Fem. sav._ II. 6.) Cette expression se rapporte à cette autre, _avoir la haute main sur..._; et cette dernière se trouve fréquemment dans les plus vieux monuments de notre langue: «E la malvaise gent e les fils Belial.... _ourent la plus halte main envers Roboam_.» (_Rois._ p. 298.) On trouve aussi, _avant la main_, pour _haut la main_: LE PELLETIER. «Mais pensez-y, de par le diable, «Et me payez _avant la main_.» (_Le nouv. Pathelin._) --LE PORTER HAUT, être fier, orgueilleux: Détrompez-vous de grâce, et _portez-le moins haut_. (_Mis._ V. 6.) Le subst. de l’ellipse paraît être _chef_: portez le chef moins haut. --HAUT DU JOUR (le); midi: Le roi vint honorer Tempé de sa présence; Il entra dans Larisse hier, _sur le haut du jour_. (_Mélicerte._ I. 3.) --FAIRE UNE HAUTE PROFESSION DE (un infinitif): Ils ont trouvé moyen de surprendre des esprits qui, dans toute autre matière, _font une haute profession de ne se point laisser surprendre_. (2e _Placet au Roi_.) HAUTEUR; DE HAUTEUR, hautement, avec hauteur: ... Pour récompense, on s’en vient _de hauteur_ Me traiter de faquin, de lâche, d’imposteur. (_L’Ét._ I. 10.) --HAUTEUR D’ESTIME: Cette _hauteur d’estime_ où vous êtes de vous. (_Mis._ III. 5.) HÉROS D’ESPRIT: Aux encens qu’elle donne à son _héros d’esprit_. (_Fem. sav._ I. 3.) HEUR, bonheur; d’où vient _heureux_: Expliquez-vous, Ascagne, et croyez par avance Que votre _heur_ est certain, s’il est en ma puissance. (_Dép. am._ II. 2.) Je vous épouse, Agnès; et cent fois la journée Vous devez bénir _l’heur_ de votre destinée. (_Éc. des fem._ III. 2.) Mais au moins dites-moi, madame, par quel sort Votre Clitandre a _l’heur_ de vous plaire si fort. (_Mis._ II. 1.) Lorsque dans un haut rang on a _l’heur_ de paroître, Tout ce qu’on fait est toujours bel et bon. (_Amph._ prol.) --HEURE; A L’HEURE, maintenant, à cette heure, comme dans l’italien _allora_: Parbleu! si grande joie _à l’heure_ me transporte, Que mes jambes sur l’heure en caprioleroient, Si nous n’étions point vus de gens qui s’en riroient. (_Sgan._ 18.) _HIATUS._ Nos vers sont pleins d’hiatus très-réels pour l’oreille, que l’on se contente de masquer aux yeux: C’est un miracle encor qu’il ne m’ait aujourd’hui Enfermée à la _clef, ou_ menée avec lui. (_Éc. des mar._ I. 2.) Ces gens qui, par une âme à l’intérêt soumise, Font de dévotion _métier et_ marchandise. (_Tart._ I. 6.) On en citerait de pareils par centaines dans Boileau, la Fontaine, Racine et Molière. Cette remarque a surtout pour but de montrer quelle est dans les arts la puissance de l’habitude et de la convention. Molière ne s’arrête pas à l’hiatus qui résulte de l’interjection: Un homme à grands canons est entré brusquement, En criant: _Holà, Ho!_ un siége promptement. (_Fâcheux._ I. 1.) _Là! là! hem, hem!_... écoute avec soin, je te prie. (_Ibid._ I. 5.) _Eh! a_-t-on jamais vu de plus farouche esprit? (_Pr. d’Él._ I. 4) HOC; ÊTRE HOC: MARTINE. .... Mon congé cent fois me fût-il _hoc_, La poule ne doit point chanter avant le coq. (_Fem. sav._ V. 3.) Le _hoc_ est un jeu de cartes: «Et parce qu’en jouant ces sortes de cartes on a coutume de dire _hoc_, de là vient que, dans le discours familier, pour dire qu’une chose est assurée à quelqu’un, on dit: _Cela lui est hoc_.» (_Dictionn. de l’Acad._) «Bonne chasse, dit-il, qui l’auroit à son croc! «Eh! que n’es-tu mouton, car _tu me serois hoc_.» (LA FONTAINE.) Un commentateur reproduit sur ce vers l’explication ci-dessus; mais cette explication, tirée du jeu de cartes, n’est point satisfaisante; car les cartes furent inventées au XVe siècle seulement, et dès le XIe le mot _hoc_ entrait dans une locution analogue à _être hoc_: «Respundi David: Ci est la lance le rei. Vienge un vadlet, _pur hoc_ si l’emport.» (_Rois._ p. 105.) Tous ceux qui ont tenté d’expliquer cette locution sont partis de ce point que _hoc_ était un mot latin, le neutre du pronom _hic_. Mais c’est une erreur: _hoc_ est un mot français, un mot de la vieille langue, où il signifie _un croc_: «Un _hoc_ à tanneur, de quoy l’on trait les cuirs hors de l’eaue.» (_Lettres de rémiss._ de 1369.) (Voyez Du Cange au mot _Hoccus_.) Du substantif _hoc_ viennent les verbes _hocher_ et _ahocher_ (_hoker_, _ahoker_); ce dernier est le même qu’_accrocher_: «Mes son soupelis _ahocha_ «A un pel, si qu’il remest la.» (BARBAZ. _Estula._) «Mais le surplis du prêtre s’accrocha à un pieu, en sorte qu’il y resta.» «Aussi com un singe _ahoquié_ «A un bloquel et ataquié.» (Cité dans DU CANGE à _Hoccus_.) «Ainsi comme un singe accroché et lié à un bloc.» Saint-Évremond ne se doutait pas qu’il faisait rimer le mot avec lui-même, quand il écrivait: «Le paradis vous est _hoc_: «Pendez le rosaire au _croc_.» _Cela m’est hoc_ est donc une locution faite, dont le sens revient à: cela ne peut me manquer, cela m’est acquis aussi infailliblement que si je le tirais de la rivière avec un croc; j’ai _accroché_ cela. Mon congé cent fois me fût-il _hoc_, c’est-à-dire, eussé-je _accroché_ cent fois mon congé.--_Hoc_ ou _croc_, le nom de l’instrument mis pour celui du butin qu’il procure. Voilà l’explication que j’offre de cette façon de parler, n’empêchant point qu’on n’en adopte une meilleure, si on la trouve telle; par exemple, celle de Trévoux: «Ce mot vient du latin _hoc_, qui en gascon veut dire _oui_, ou _ita est_; de sorte qu’en disant _cela est hoc_, c’est-à-dire, _oui_ j’y consens. Le Languedoc est nommé ainsi comme _langue_ de _hoc_, parce qu’on y dit _hoc_ pour _oui_.» HOMMAGES; FAIRE DES HOMMAGES: _Je lui ai fait des hommages_ soumis de tous mes vœux. (_Am. magn._ I. 2.) HOMME; ÊTRE HOMME QUI.... être un homme qui...: _Vous êtes homme qui_ savez les maximes du point d’honneur. (_G. D._ I. 8.) Je suis _homme qui_ aime à m’acquitter le plus tôt que je puis. (_Bourg. g._ III. 4.) --HOMME DE (un substantif): Vous êtes _homme d’accommodement_. (_Pourc._ III. 6.) _Homme de suffisance, homme de capacité._ (_Mar. forc._ 6.) HONNÊTES DIABLESSES: Ces dragons de vertu, ces _honnêtes diablesses_, Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses.... (_Éc. des fem._ IV. 8.) HONNEUR, susceptibilité: Quoi que sur ce sujet votre _honneur_ vous inspire... (_Éc. des fem._ IV. 8.) Votre délicatesse ombrageuse, le soin de votre honneur. Molière emploie aussi _honneur_ dans le sens général et indéterminé de considération personnelle. Alors il y joint une épithète pour fixer la nature de cet _honneur_. Il fait dire énergiquement à Alceste, parlant du _franc scélérat_ contre lequel il plaide: Son _misérable honneur_ ne voit pour lui personne. (_Mis._ I. 1.) Il est tout naturel qu’on dise, en parlant de soi: _Mon honneur_, le soin de _mon honneur_; mais appliquer ce mot à un tiers, et y joindre une épithète de mépris, c’est ce qui rend l’expression neuve et originale; et toutefois elle est si claire et si juste, qu’on n’y prend pas garde. HONTE; AVOIR HONTE A (un infinitif): Monsieur, vous vous moquez; _j’aurois honte à la prendre_. (_Dép. am._ I. 2.) HORS DE GARDE (ÊTRE), métaphore prise de l’art de l’escrime: Léandre pour nous nuire _est hors de garde_ enfin. (_L’Ét._ III. 5.) «Tu vas _sortir de garde_, et perdre tes mesures.» (CORNEILLE, _Le Menteur_.) --HORS DE PAGE, au figuré, affranchi: Il faut se relever de ce honteux partage, Et mettre hautement notre esprit _hors de page_. (_Fem. sav._ III. 2) Il faut observer que cette locution affectée, parce qu’on l’applique à l’esprit, est mise dans la bouche de Bélise; ce qui équivaut à une censure. --HORS DE SENS; IL EST HORS DE SENS QUE..., _il est invraisemblable, absurde de croire que..._: Mais _il est hors de sens que_ sous ces apparences Un homme pour époux se puisse supposer. (_Amph._ III. 1.) Cela excède les limites du bon sens. HOURETS, mauvais chiens de chasse: De ces gens qui, suivis de dix _hourets_ galeux, Disent _ma meute_, et font les chasseurs merveilleux. (_Fâcheux._ II. 7.) HUCHET, cor de chasse; Voyez PORTEUR DE HUCHET. HUMANISER (S’) DE....: Que _d’un peu de pitié_ ton âme _s’humanise_. (_Amph._ III. 7.) (Voyez DE exprimant la manière, la cause.) --HUMANISER SON DISCOURS; le mettre à la portée des humains: Ne paroissez point si savant, de grâce! _humanisez votre discours_, et parlez pour être entendu. (_Critique de l’Éc. des fem._ 7.) HUMANITÉ (L’), le caractère d’homme, la forme humaine: Doncques, si de parler le pouvoir m’est ôté, Pour moi, j’aime autant perdre aussi _l’humanité_. (_Dép. am._ II. 7.) --L’HUMANITÉ, au sens philosophique: Va, va, je te le donne pour l’amour de _l’humanité_. (_D. Juan._ III. 2.) Molière a devancé le XVIIIe siècle dans cette acception du mot _humanité_, que la philosophie moderne a rendue depuis si commune. Au XVIIe siècle, on entendait par _l’humanité_ une vertu analogue à la charité, mais non l’ensemble du genre humain, considéré philosophiquement comme une seule famille. HUMEUR SOUFFRANTE, endurante: Des hommes en amour d’une _humeur si souffrante_, Qu’ils vous verroient sans peine entre les bras de trente. (_Fâcheux._ II. 4.) Sur ce mot _humeur_, j’observerai qu’il avait encore du temps de Corneille un sens qu’on a laissé perdre depuis, et qui persiste dans l’anglais _humour_; si bien que beaucoup de gens, désespérant de faire sentir toute la force et la grâce du mot anglais, le transportent dans notre langue comme ils font du mot _fashion_, qui n’est que notre _façon_, et de bien d’autres. CLITON. «Par exemple, voyez: aux traits de ce visage, «Mille dames m’ont pris pour homme de courage; «Et sitôt que je parle, on devine à demi «Que le sexe jamais ne fut mon ennemi. CLÉANDRE. «Cet homme a de l’_humeur_. DORANTE. C’est un vieux domestique «Qui, comme vous voyez, n’est pas mélancolique.» (_La Suite du Menteur._ III. 1.) Cette remarque a échappé à Voltaire, qui en a fait de moins importantes. HYMEN (L’) DE, c’est-à-dire, avec: Comme il a volonté De me déterminer à _l’hymen d’Hippolyte_. (_L’Ét._ II. 9.) Chercher dans _l’hymen d’une_ douce et sage personne la consolation de quelque nouvelle famille. (_L’Av._ V. 5.) La promesse accomplie Qui me donna l’espoir de _l’hymen de Célie_. (_Sgan._ 23.) Mon fils, _dont_ votre fille acceptoit _l’hyménée_. (_Ibid._ 24.) Et _l’hymen d’Henriette_ est le bien où j’aspire. (_Fem. sav._ I. 4.) ICI AUTOUR: Depuis quelque temps il y a des voleurs _ici autour_. (_D. Juan._ III. 2.) --ICI DEDANS: Vite, venez nous tendre _ici dedans_ le conseiller des grâces. (_Préc. rid._ 7.) Pour _ici dedans_, on disait, au moyen âge, _ci ens_, et plus tard _céans_. Aujourd’hui on ne dit plus rien du tout, car les tyrans de la grammaire ont proscrit _ici dedans_. --ICI DESSOUS: J’ai crainte _ici dessous_ de quelque manigance. (_L’Ét._ I. 4.) _Ici dessous_ comme _ici dedans_, bonnes et utiles expressions qui ont disparu, et qu’on n’a point remplacées. Ces anciennes façons de parler _ici dedans_, _ici dessus_, _ici dessous_, persistent en Picardie. IDOLE, ironiquement, UNE IDOLE D’ÉPOUX: Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants _Qu’une idole d’époux_ et des marmots d’enfants! (_Fem. sav._ I. 1.) IGNORANT DE QUELQUE CHOSE: Ce sont gens de difficultés (les avocats), et qui sont _ignorants des détours de la conscience_. (_Mal. im._ I. 9.) C’est un latinisme: _inscius rei_. Nous construisons de même avec le génitif le verbe _ignorer_, ce que ne faisaient pas les Latins: «Monsieur l’abbé, _vous n’ignorez de rien_, «Et ne vis onc mémoire si féconde.» (J.-B. ROUSSEAU. _Épigr._) IL COUTE, impersonnel, pour _il en coûte_: Et je sais ce qu’_il coûte_ à de certaines gens, Pour avoir pris les leurs (leurs femmes) avec trop de talents. (_Éc. des fem._ I. 1.) IL N’EST PAS QUE...: Mais peut-être _il n’est pas que_ vous n’ayez bien vu Ce jeune astre d’amour, de tant d’attraits pourvu. (_Éc. des fem._ I. 6.) Il n’est pas (possible) que..... Cette manière d’employer _que_ est toute latine. _Hoc est quod ad vos venio_ (PLAUTE), c’est cela _que_ je viens à vous. IL Y VA DU MIEN, DU VÔTRE: A déboucher la porte _il iroit trop du vôtre_. (_Remercîment au Roi._ 1663.) Molière a supprimé l’_y_ pour le soin de l’euphonie, ou plutôt cet _y_ s’absorbe dans celui de _irait_. C’était originairement la coutume, non-seulement pour l’_i_, mais pour toute voyelle: «Seignurs baruns, _ki i_ purruns enveier?» (_Roland._ st. 18.) «Le duc Og_er e_ l’arcevesque Turpin.» (_Ibid._ st. 12.) «La fame s’en prist _à a_percoivre.» (_La Bourse pleine de sens._ v. 18.) On ne compte dans la mesure qu’un seul _i_, un seul _a_, un seul _e_. (Voyez _des Variations du langage français_, p. 192, 193.) _Le mien_, _le vôtre_, dans cette locution sont au neutre, signifiant _mon intérêt_, _votre intérêt_, ou _mon bien_ et _le vôtre_, comme en latin _meum_, _tuum_: «Nil addo _de meo_,» (CICER.) Je n’y ajoute rien _du mien_. «Tetigin’ _tui_?» (TER.) Ai-je rien pris _du tien_? IL _supprimé_ après _voilà_: Eh bien! _ne voilà pas_ mon enragé de maître? (_L’Ét._ V. 7.) _Ne voilà pas_ de mes mouchards qui prennent garde à ce qu’on fait? (_L’Av._ I. 3.) Ne _voilà pas_ ce que je vous ai dit? (_G. D._ III. 12.) --IL; deux _il_ se rapportant à des sujets divers: L’éloge de Louis XIV, dans le ve acte de _Tartufe_, présente un singulier exemple de mauvais style, où l’incorrection des deux _il_ se montre plusieurs fois. Cette tirade, si souvent reprochée à Molière, vaut la peine d’être examinée. Molière commence par dire de Louis XIV: Il donne aux gens de bien une gloire immortelle, _Mais_ sans aveuglement il fait briller ce zèle; Et l’amour pour les vrais ne ferme point son cœur A tout ce que les faux doivent donner d’horreur..... Ce _mais_ et cette remarque ne semblent-ils pas dire que d’ordinaire l’amour de la vertu exclut la haine du vice? D’abord _il_ (le roi) a percé par ses vives clartés Des replis de _son cœur_ toutes ces lâchetés. _Son cœur_ est le cœur de Tartufe. _Venant_ vous accuser, _il_ s’est trahi lui-même; Le sujet change: _il_ n’est plus le roi, c’est Tartufe. Et, par un juste trait de l’équité suprême, S’est découvert au prince un fourbe renommé, Dont sous un autre nom _il_ étoit informé. _Il_ revient au monarque; _sous un autre nom_ s’applique à Tartufe, et non pas à Louis XIV; c’est Tartufe qui était connu sous un autre nom. Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté _Sa_ lâche ingratitude et _sa_ déloyauté. On ne s’exprimerait pas autrement si c’était Louis XIV qui se repentît d’avoir été ingrat et déloyal envers Orgon. A _ses_ autres horreurs _il_ a joint cette suite, Le roi a joint cette suite, ou ce supplément, aux autres horreurs de Tartufe. Et ne m’a jusqu’ici soumis _à sa conduite Que_ pour voir l’impudence aller jusques au bout. _Sa conduite_, pour dire que Tartufe commandait à l’exempt. Oui, de tous vos papiers, dont _il_ (Tartufe) se dit le maître, _Il_ (le roi) veut qu’entre vos mains je dépouille le traître. Tant d’impropriété de termes, d’incorrection et de négligence, feraient à bon droit soupçonner que ce morceau de placage n’est pas de Molière. Molière en aura donné l’idée et confié l’exécution à quelqu’un des versificateurs de sa troupe. C’est ce qui expliquerait l’étrange disparate de cette tirade dans une pièce qui, parmi toutes celles de Molière, peut réclamer le prix du style. Enfin, si Molière a versifié lui-même ce passage, il fallait qu’il n’attachât guère d’importance à la matière. L’amant n’a point de part à ce transport brutal. Il a pour vous, ce cœur, pour jamais y penser, Trop de respect, trop de tendresse: Et si de faire rien à vous pouvoir blesser _Il_ avoit eu la coupable foiblesse, De cent coups à vos yeux _il_ voudroit le percer. (_Amph._ II. 6.) Le premier _il_ se rapporte au cœur; le second, à l’amant, qui est nommé dans la phrase précédente. Peut-être faudrait-il lire _se percer_; mais aucune édition ne le donne. Enfin le _Malade imaginaire_ offre de fréquents exemples de cette incorrection: Tout le spectacle se passe sans qu’_il_ (le berger) y donne la moindre attention. Mais _il_ se plaint qu’_il_ est trop court, parce qu’_en finissant il_ se sépare de son adorable bergère. (_Mal. im._ II. 6.) Le premier _il_ représente le berger; le second, le spectacle; et le troisième, encore le berger. _En finissant_, qui grammaticalement ne peut se rapporter qu’au berger, se rapporte au spectacle. On lit dans la même scène: Des manières de vers libres _tels que_ la passion et la nécessité _peuvent faire trouver_. (_Ibid._) Il paraît qu’il faut _en_ ou _les faire trouver_. On l’avertit que le père de la belle a conclu _son_ mariage avec un autre. (_Ibid._) _Son_ ne désigne pas le mariage du père, comme la phrase le ferait entendre, mais celui de la belle. Cette pièce est de toutes celles de Molière la plus négligemment écrite. On y sent en quelque sorte la rapidité de l’auteur fuyant devant la mort, qui l’atteignit à la quatrième représentation. Au reste, cette faute d’employer dans la même phrase deux _il_ relatifs à des sujets différents, se rencontre dans les meilleurs écrivains. En voici un exemple de Pascal: «Les confesseurs n’auront plus le pouvoir de se rendre jugés de la disposition de leurs pénitents, puisqu’_ils_ (les confesseurs) sont obligés de les croire sur leur parole, lors même qu’_ils_ (les pénitents) ne donnent aucun signe suffisant de douleur.» (10e _Prov._) Et l’on sait pourtant avec quel soin les Provinciales étaient travaillées! Mais nul n’est exempt de faillir, ni Pascal, ni Molière, ni Bossuet. --IL surabondant: Chacun fait ici-bas la figure qu’il peut, Ma tante; et bel esprit, _il_ ne l’est pas qui veut! (_Fem. sav._ III. 2.) Cette tournure a une naïveté qui donne du piquant à l’adage. On se tromperait fort de prendre cet _il_ pour une cheville commandée par la mesure. Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi S’est-_il_ donné le temps d’en recevoir la loi. (_Ibid._ IV. 1.) «La source de tout le mal est que _ceux qui_ n’ont pas craint de tenter au siècle passé la réformation par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre leurs nouveautés que la sainte autorité de l’Église, _ils_ ont été obligés de la renverser.» (BOSSUET. _Or. fun. de la r. d’A._) --IL, construit avec _qui_, dans le sens de _celui qui_: _Il_ est bien heureux _qui_ peut avoir dix mille écus chez soi! (_L’Av._ I. 5.) Corneille a dit de même: «_Il_ passe pour tyran _quiconque_ s’y fait maître.» (_Cinna._ II. 1.) Sur quoi voici la remarque de Voltaire: «Cet _il_ était autrefois un tour très-heureux; la tyrannie de l’usage l’a aboli.» «_Qui_ se contraint au monde, _il_ ne vit qu’en torture.» (REGNIER, sat. XV.) «Et _qui_ jeune n’a pas grande dévotion, «Il faut que pour le monde à le feindre _il_ s’exerce.» (_Id._ sat. XIII.) «Ha, ha! _il_ n’a pas paire de chausses _qui_ veult!» (_Gargantua._ I. 9.) Pathelin fait au drapier compliment sur son activité: LE DRAPIER. «Que voulez-vous? _il_ faut songer «_Qui_ veult vivre, et soustenir peine.» (_Pathelin._) --IL N’EST QUE DE (un infinitif), il n’est rien tel que de...: Ma foi, _il n’est que de jouer d’adresse_ en ce monde. (1er _Interm. du Malade im._ sc. 6.) --IL M’ENNUIE. (Voyez ENNUYER) (s’): --IL Y A, CE QU’IL Y A (s.-ent. _à faire_): Or sus, mon fils, savez-vous _ce qu’il y a_? C’est qu’il faut songer, s’il vous plaît, à vous défaire de votre amour. (_L’Av._ IV. 3.) ILLUSTRE; UN ILLUSTRE substantivement: Madame, voilà _un illustre_! (_Pourc._ I. 3.) IMBÉCILE, au sens du latin _imbecillis_: Est-il rien de plus foible et de plus _imbécile_! (_Éc. des fem._ V. 4.) _Imbécile_ ne fait qu’exprimer plus fortement, et avec une légère nuance de mépris, l’idée de faiblesse. «Taisez-vous, nature _imbécile_!» (PASCAL. _Pensées._) IMPÉTUOSITÉ DE PRÉVENTION. (Voyez BRUTALITÉ.) IMPOSER, pour _en imposer_, mentir. Tous les grammairiens font une loi d’exprimer _en_ dans ce sens; Molière ne le met jamais: Jamais l’air d’un visage, Si ce qu’il dit est vrai, _n’imposa davantage_. (_L’Ét._ III. 2.) C’est bien assez pour moi qu’il m’ait désabusé De voir par quels motifs _tu m’avois imposé_. (_Ibid._ III. 4.) Faites-moi pis encor: tuez-moi si _j’impose_. (_Dép. am._ I. 4.) Vous verrez si _j’impose_, et si leur foi donnée N’avoit pas joint leurs cœurs depuis plus d’une année. (_Éc. des mar._ III. 6.) Je ne sais pas s’il _impose_; Mais il parle sur la chose Comme s’il avoit raison. (_Amph._ III. 5.) Hélas! à vos paroles je puis répondre ici, moi, que vous _n’imposez point_. (_L’Av._ V. 5.) «On demande s’il ne lui seroit pas plus aisé _d’imposer_ à celle dont il est aimé, qu’à celle qui ne l’aime point.» (LA BRUYÈRE, ch. III.) Tout le XVIIe siècle a parlé ainsi. «Quelques écrivains, dit Bouhours, ont voulu établir _imposturer_. Le public s’est contenté du verbe _imposer_, qui signifie la même chose: _vous imposez_; _il impose à tout l’univers_.» (_Rem. nouv._) La Touche, qui écrivait en 1730, dit pareillement: «_Imposer_ tout seul veut dire _mentir_.» (_Art de bien parler françois._ II. p. 23.) La distinction entre _imposer_ et _en imposer_, dont le premier se prendrait en bonne part, _imposer du respect_, et l’autre en mauvaise pour _tromper_, est donc une subtilité chimérique, invention des grammairiens de notre âge. M. N. Landais, par exemple, après avoir cité la phrase de la Bruyère, ajoute: «C’est une faute: il fallait d’_en imposer_.» M. Boniface s’y accorde. Mais d’où vient à M. Landais et à M. Boniface l’autorité sur Molière et sur la Bruyère? Les Latins disaient _imponere_ tout seul pour signifier mentir. _Imposuit Catoni._ (CICER.) _Imposuit mihi caupo._ (MARTIAL.) _Præfectis Antigoni imposuit._ (CORN. NEPOS.)--Il a trompé Caton;--le cabaretier m’a dupé;--il donna le change aux lieutenants d’Antigonus. Quand la pythonisse d’Endor reconnut l’ombre de Samuel, elle s’écria vers Saül: _Quare imposuisti mihi?_ Pourquoi _m’avez-vous imposé_ par votre déguisement?» (_Rois_, I, cap. 28.) --IMPOSER, verbe actif, comme IMPUTER; IMPOSER UNE TACHE A QUELQU’UN: On ne peut _imposer de tache_ à cette fille. (_L’Ét._ III. 4.) --IMPOSER A QUELQU’UN, dans le même sens: «Quand Diana rapporte avec éloge les sentiments de Vasquez....... il n’est ni calomniateur ni faussaire, et vous ne vous plaignez point _qu’il lui impose_; au lieu que quand je représente ces mêmes sentiments de Vasquez, mais sans le traiter de phénix, je suis un imposteur, un faussaire, et un corrupteur de ses maximes.» (PASCAL. 11e _Prov._) Dans l’affaire de Carrouge et Legris, la jeune dame de Carrouge accusait Legris de lui avoir fait violence: «Jacques Legris s’excusoit trop fort, et disoit que rien n’en estoit, et que la dame _lui imposoit_ induement.» (FROISSART. _Chron._ III. ch. 49.) IMPRESSIONS: La jalousie a des _impressions_ Dont bien souvent la force nous entraîne. (_Amph._ II. 6.) IMPRIMER; ÊTRE IMPRIMÉ DE QUELQUE CHOSE, en garder une impression profonde, en style néologique, en être _impressionné_: Et pourtant Trufaldin Est si bien _imprimé de ce conte badin_... (_L’Ét._ III. 2.) La Bruyère, dans son discours de réception à l’Académie, dit: «La mémoire des choses _dont_ nous nous sommes vus le plus fortement _imprimés_.» (Voyez plus bas S’IMPRIMER QUELQUE CHOSE.) On ne voit pas pourquoi M. Auger blâme cette expression dans la Bruyère et dans Molière. Il prétend que «_Imprimé_ se dit de ce qui a fait l’impression, et non de ce qui l’a reçue.» Qu’est-ce qui autorise cette loi? Qui est-ce qui l’a portée? Où? Ce sont les questions qu’on a toujours à faire aux grammairiens. _Imprimer_ a fait _impression_; _impression_ a produit, de notre temps, _impressionner_, qui ne manquera pas d’engendrer, au premier jour, _impressionnement_. Pourquoi d’_impressionnement_ ne ferait-on pas _impressionnementer_, comme d’_ornement_ nous avons vu sortir _ornementer_? C’est ainsi qu’on _enrichit_ la langue! --IMPRIMER DE L’AMOUR: Sachez donc que vos vœux sont trahis Par _l’amour_ qu’une esclave _imprime_ à votre fils. (_L’Ét._ I. 9.) Nous disons encore bien imprimer de la crainte, de la terreur, du respect: pourquoi pas de l’amour? Ce dernier sentiment peut être aussi vif, aussi soudain et aussi profond que les autres. On ne voit pas d’où naîtrait la distinction. --IMPRIMER (S’) QUELQUE CHOSE: Là, regardez-moi là durant cet entretien, Et jusqu’au moindre mot _imprimez-le-vous_ bien. (_Éc. des fem._ III. 2.) Si l’on peut dire _s’imprimer quelque chose_, la conséquence rigoureuse sera qu’on puisse dire _être imprimé de quelque chose_, contrairement à la remarque de M. Auger, qui blâme cette façon de parler. INCLINER QUELQU’UN A ou VERS UNE PERSONNE: Et je sais encor moins comment votre cousine Peut être la personne _où_ son penchant _l’incline_. (_Mis._ IV. 1.) INCOMMODÉ; peu accommodé des biens de la fortune: Vous êtes la grande protectrice du mérite _incommodé_; et tout ce qu’il y a de vertueux indigents au monde va débarquer chez vous. (_Am. mag._ I. 6.) «Revenons donc aux personnes _incommodées_, pour le soulagement desquelles nos pères....... assurent qu’il est permis de dérober.» (PASCAL. 8e _Provinciale_.) (Voyez ACCOMMODÉ.) INCONGRUITÉ DE BONNE CHÈRE: Vous y trouverez des _incongruités de bonne chère_ et des barbarismes de bon goût. (_B. gent._ IV. 1.) INDÉFENDABLE: CLIMÈNE (_précieuse ridicule_). Cette pièce (_l’École des Femmes_), à le bien prendre, est tout à fait _indéfendable_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) Ce mot paraît un barbarisme forgé par la précieuse; Furetière ne le donne pas, non plus que Trévoux. Montaigne a dit: «La faiblesse d’une cause _indéfensible_.» _INDICATIF PRÉSENT_ après _que_, où nous mettrions le subjonctif: Vous tournez les choses d’une manière qu’il semble que _vous avez_ raison. (_D. Juan._ I. 2.) Ma foi, monsieur, voilà qui est bien fait! _Il semble_ qu’il est en vie, et qu’il s’en va parler. (_Ibid._ V. 5.) INDIENNE, substantivement; UNE INDIENNE, robe de chambre de toile des Indes: Je me suis fait faire cette _indienne-ci_. (_B. gent._ I. 1.) _INFINITIF_, gouverné par un autre sujet que celui de la phrase: _Il_ ne vous a pas faite une belle personne, Afin de mal _user_ des choses qu’il vous donne. (_Éc. des fem._ II. 6.) _Il_, le ciel, ne vous a pas faite, _etc._.... afin _d’user_..... non pas afin qu’_il_ use, mais afin que _vous usiez_. La familiarité du dialogue semble autoriser cette légère irrégularité, surtout quand l’équivoque n’est pas possible. _Elle_ (la demande) me touche assez pour _m’en charger_ moi-même. (_B. gent._ III. 12.) Pour que _je_ m’en charge moi-même. --DEUX INFINITIFS _de suite_: J’y ai déjà jeté des dispositions à ne pas _me souffrir_ longtemps _pousser_ des soupirs. (_D. Juan._ II. 2.) --INFINITIF ACTIF avec le sens passif: Nous avons en main divers stratagèmes tout prêts _à produire_ dans l’occasion. (_Pourc._ I. 3.) C’est-à-dire, _à être produits_. INFLEXIBLE; ÊTRE INFLEXIBLE A QUELQU’UN: Si tu _m’es inflexible_, Je m’en vais me tuer! (_L’Ét._ II. 7.) INGÉRER (S’) DE QUELQUE CHOSE, dans quelque chose: Et vous êtes un impertinent, de _vous ingérer des affaires d’autrui_. (_Méd. m. lui._ I. 2.) INSTANCE, pour renchérir sur le mot _soin_; _instance à faire quelque chose_: Et notre plus grand soin, notre _première instance_ Doit être _à le nourrir_ du suc de la science. (_Fem. sav._ II. 7.) INSTRUIT DANS, instruit de...: Et ce que le soldat _dans son devoir instruit_ Montre d’obéissance au chef qui le conduit... (_Éc. des fem._ III. 2.) INTERDIRE (S’), verbe réfléchi: Achevez de lire; Votre âme, pour ce mot, ne doit point _s’interdire_. (_D. Garc._ II. 6.) INTÉRESSER A, ayant pour sujet un nom autre qu’un nom de personne: _Mon devoir m’intéresse_, Mon père, _à_ dégager bientôt votre promesse. (_Sgan._ 23.) _Intéresser à_ est ici comme _obliger à_, _engager à_. --S’INTÉRESSER DANS QUELQUE CHOSE: De vos premiers progrès j’admire la vitesse, Et _dans l’événement_ mon âme _s’intéresse_. (_Éc. des fem._ III. 4.) INTERPRÉTER A, c’est-à-dire, au sens de: Aux faux soupçons la nature est sujette, Et c’est souvent _à mal_ que le bien s’_interprète_. (_Tart._ V. 3.) Je dois _interpréter à charitable soin_ Le désir d’embrasser ma femme?... (_Ibid._) INTIME (UN), substantivement: Non, non; c’est _mon intime_, et sa gloire est la mienne. (_Éc. des fem._ V. 7.) INTRÉPIDITÉ DE BONNE OPINION: La constante hauteur de sa présomption, Cette _intrépidité de bonne opinion_.... (_Fem. sav._ I. 3.) INTRIGUET; GENS DE L’INTRIGUET: Et que toute notre famille Si proprement s’habille, Pour être placée au sommet De la salle où l’on met _Les gens de l’intriguet_. (_Ballet des Nations_, à la suite du _B. gent._) Les gens de la basse intrigue, les chevaliers d’industrie. Les anciennes éditions ont _entriguet_. Les mots latins _in_ et _inter_ faisant en français _en_ et _entre_, la véritable forme du mot serait effectivement _entrigue_, de _intricare_; et il paraît qu’on l’a d’abord dit ainsi. Notre langue est de double formation. Dans les mots formés à une bonne époque, _in_, _inter_ sont toujours traduits _en_, _entre_; dans les mots de création moderne, on a tout simplement transcrit le radical latin. De la première formation sont: _engager_, _enhardir_, _engendrer_, _entreprendre_, _entretenir_, _etc._, _etc._ De la seconde: _inventer_, _introduire_, _inspirer_, _imprimer_ (jadis _empreindre_), _s’ingénier_ (primitivement _engigner_), _intermède_ (primitivement _entremets_), _intention_, substantif nouveau du vieux verbe _entendre_, _etc._, _etc._ _INVERSION._ Ah! Octave, _est-il vrai ce que_ Silvestre vient de dire à Nérine, que votre père est de retour, et qu’il veut vous marier? (_Scapin._ I. 3.) Pour juger l’excellence et la rapidité de ce tour, il n’y a qu’à rétablir la construction et l’ordre grammatical ordinaires: «_Ce que_ Silvestre vient de dire à Nérine, que votre père est de retour et qu’il veut vous marier, _est-il vrai_?» Il y a longtemps que l’esprit a saisi cette question; aussi quand elle arrive est-elle superflue. L’art de celui qui parle est de ne point se laisser devancer par la pensée de celui qui écoute. De là les constructions renversées, pour être naturelles. --INVERSION DU PRONOM après un subjonctif, en supprimant _que_: Ah! tout cela n’est que trop véritable; Et plût au ciel le _fût-il moins_! (_Amph._ I. 2.) L’harmonie est bien plus douce par ce tour que par la construction ordinaire: Et plût au ciel qu’il le fût moins! INVITÉ DE.... Ils avoient vu une galère turque, où on les avoit _invités d’entrer_. (_Scapin._ III. 3.) J’AI PEUR, en phrase incidente, pour _j’en ai peur_, _je le crains_: La défense, _j’ai peur_, sera trop tard venue. (_Mélicerte._ I. 5.) JALOUSIE DE QUELQU’UN au sujet de quelqu’un: Toute _la jalousie_ que vous pourriez avoir conçue _de_ monsieur votre mari. (_B. gent._ V. 7.) Molière a construit le substantif comme son adjectif: _jaloux de_, _jalousie de_.... Ce _de_ est le latin _de_, touchant, relativement à. JAMBE; RENDRE LA JAMBE MIEUX FAITE, ironiquement, pour exprimer qu’une chose est sans application utile: NICOLE. Oui, ma foi, _cela vous rendroit la jambe bien mieux faite_! (_Bourg. gent._ III. 3.) JE, pronom singulier joint à un verbe au pluriel: _je sommes_, _j’avons_, _je parlons_, etc: MARTINE. Ce n’est point à la femme à parler, et _je sommes_ Pour céder le dessus en toute chose aux hommes. (_Fem. sav._ V. 3.) Mon Dieu, _je n’avons_ point étuguié comme vous! Et _je parlons_ tout droit comme on parle cheux nous. (_Ibid._ II. 6.) Pierrot, Charlotte et Mathurine, dans _Don Juan_, usent également de cette façon de parler, qui attire à la pauvre Martine cette réprimande de Bélise: Ton esprit, je l’avoue, est bien matériel! _Je_ n’est qu’un singulier, _avons_ est un pluriel. Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire? Mais il est bon de savoir qu’avant de se trouver dans la bouche des servantes et des paysans, cette façon de parler avait été dans celle des savants et des princes. Henri Estienne en rend témoignage dans ses _Dialogues du langage françois italianisé_:--«Ce sont les mieux parlants qui prononcent ainsi, «_j’allons_, _je venons_, _je disnons_, _je soupons_.» Cette faute, dont il accuse les courtisans de Henri III, remonte beaucoup plus haut, puisqu’on lit, dans une lettre autographe de François Ier à M. de Montmorency: «_J’avons_ espérance qu’y fera beau tems, veu ce que disent les estoiles que _j’avons_ eu le loysir de veoir.» (_Lett. de la Reine de Navarre._ I. 467.) Il y a plus, cette locution est consignée dans la grammaire de Palsgrave: «_I finde in comon speche suche maners of speking_, je trouve dans le commun langage ces façons de parler...... Cependant que j’_irons_ au marché, pour _nous irons_;--j’_avons_ bien bu, pour _nous avons_;--_allons m’en_, de par le diable! pour _allons-nous-en_;--_j’allons_ bien, pour _nous allons bien_.» (_Of the verbe, folio 125 au verso._) (Voyez OUS et _des Variations du lang. fr._, p. 290-293). JE SOIS, par exclamation; que je sois: _Je sois exterminé_ si je ne tiens parole! (_Dép. am._ IV. 3.) JETER DES MENACES, DES LARMES: Cette doña Elvire,....... dont l’âme irritée ne _jetoit que menaces_ et ne respiroit que vengeance... (_D. Juan._ IV. 9.) _Je jette des larmes de joie._ (_Ibid._ V. 1.) --JETER UN OBSTACLE _à quelque chose_: Et je ne voudrois point, par des efforts trop vains, _Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins_. (_D. Garcie._ V. 3.) JEU; A JEU SUR: Battre un homme _à jeu sûr_ n’est pas d’une belle âme. (_Amph._ I. 2.) _JEU DE MOTS AFFECTÉ:_ Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop foible, hélas! Se _rendit_ à des soins qu’on ne lui _rendoit_ pas. (_Dép. am._ II. 1.) Le _Dépit amoureux_ est le second[60] ouvrage de Molière, qui était encore, en ce temps-là, l’écolier des Italiens et des Espagnols. [60] Suivant l’opinion reçue et l’ordre adopté. Je crois, après un mûr examen, que ce fut le premier. L’_Étourdi_ et le _Dépit_ ayant été composés en province, on n’a pu en savoir la chronologie très-authentique. Il est certain que l’_Étourdi_, par rapport à la conception comme par rapport au style, montra un progrès immense sur le _Dépit_. JOCRISSE; FAIRE LE JOCRISSE: MARTINE. Je ne l’aimerois point s’_il faisoit le jocrisse_. (_Fem. sav._ V. 3.) Et demeure les bras croisés comme _un jocrisse_. (_Sgan._ 16.) Le Dictionnaire de Trévoux donne le nom de _Jocrisse_ et le dicton populaire où il s’encadre, mais il ne révèle rien sur l’origine de ce personnage, qui paraît nous être venu d’Italie. JOINDRE pour _rejoindre_: Allons vite _joindre_ notre provincial. (_Pourc._ I. 3.) JOINT, adverbialement: La mémoire du père à bon droit respectée, _Joint_ au grand intérêt que je prends à la sœur, Veut que du moins l’on tâche à lui rendre l’honneur. (_Éc. des Mar._ III. 4.) Ce n’est pas la mémoire unie à l’intérêt; c’est la mémoire du père à bon droit respectée, _cela joint_ à l’intérêt que..... _etc._ _Joint_ embrasse d’une manière complexe l’idée du vers précédent. On disait autrefois, _joint que_, invariable: cela signifie, dit Furetière, _ajoutez-y que_: «_Joint encore qu’_il falloit avoir fini bientôt, et passer rapidement dans un pays!» (BOSSUET. _Hist. univ._ I. 11e part. § 5.) Le participe _joint_ a remplacé dans ces locutions le vieil adverbe _jouxte_, _juxta_. JOUER, actif, suivi d’un nom de chose, éluder: Jusqu’ici vous avez _joué mes accusations_. (_G. D._ III. 8.) Les Latins aussi ne disaient _ludere_ en ce sens qu’avec un nom de la personne: «Sat me lusistis; ludite nunc alios.» Cependant on trouve aussi, dans Pétrone, _ludere vestigia_, manquer sous le pied. --JOUER AU PLUS SUR: Pour _jouer au plus sûr_, Il faut me l’amener dans un lieu plus obscur. (_Éc. des fem._ V. 2.) --JOUER (SE), mis absolument comme _jouer_: Que veut dire ceci? _Nous, nous jouons_, je croi. (_Mélicerte._ I. 2.) JOUR, au figuré, notion, connaissance: Et sans doute il faut bien qu’à ce becque cornu, Du trait qu’elle a joué _quelque jour soit venu_. (_Éc. des f._ IV. 6.) --JOUR A, facilité à: Je veux vous faire _un peu de jour à la pouvoir entretenir_ (_Sicilien._ 10.) --DONNER UN JOUR, _donner une couleur_, _considérer sous un aspect_: Du semblables erreurs, _quelque jour qu’on leur donne_,... (_Amph._ III. 8.) JUDAS, adjectivement, pour _traître_: COVIELLE. Que cela est _Judas_! (_B. gent._ III. 10.) JUDICIAIRE, jugement; AVOIR QUELQUE MORCEAU DE JUDICIAIRE: Vous êtes-vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac...... n’ait pas là-dedans quelque _morceau de judiciaire_ pour se conduire? (_Pourc._ II. 7.) J’observe qu’on devrait écrire _morseau_, car ce mot est un diminutif de _mors_, _un mors de pain_, formé du verbe _mordre_, qui faisait au participe passé _mors_, d’où _morceler_ (qui serait mieux écrit _morseller_), et non _mordu_; comme _tordre_, _tors_, et non _tordu_: «Adonc repartit l’espousée: «Je ne vous ai pas _mors_ aussy!» (MAROT.) JUGEMENT A GAUCHE: Un envers du bon sens, un _jugement à gauche_. (_L’Ét._ II. 14.) JURER; JURER DE QUELQUE CHOSE; latinisme, _jurare de aliqua re_: Vous avez beau faire la garde: j’_en ai juré_, elle sera à nous. (_Sicilien._ 9.) JUSTIFIER; JUSTIFIER QUELQUE CHOSE ET SE JUSTIFIER A QUELQU’UN SUR, pour _auprès de quelqu’un_: C’est _aux vrais dévots_ que je veux partout _me justifier sur_ la conduite de ma comédie. (_Préf. de Tartufe._) Et pour _justifier à tout le monde_ l’innocence de mon ouvrage. (1er _Placet au roi_.) ... C’est consoler un philosophe que de _lui justifier ses larmes_. (_Lettre à Lamothe-Levayer_)[61]. [61] En lui envoyant un sonnet sur la mort du jeune Lamothe-Levayer. Votre père ne prend que trop le soin de vous _justifier à tout le monde_. (_L’Av._ I. 1.) «C’est ainsi que notre bergère _se justifiait à Cérès_.» (LA FONTAINE. _Psyché._ II.) LA, rapporté à un mot caché dans une ellipse: Fût-ce mon propre frère, il me _la_ payeroit. (_L’Ét._ III. 4.) _La_ ne se rapporte grammaticalement à rien; le substantif sous-entendu peut être _dette_. L’usage est de dire aujourd’hui, au masculin ou au neutre: «Il me _le_ payerait; tu me _le_ payeras.» (Voyez des exemples analogues au mot ÉCHAPPER BELLE (L’).) --LA, construit avec le verbe _être_, et représentant un substantif: Je veux être mère parce que je _la suis_, et ce seroit en vain que je ne _la_ voudrois pas être. (_Am. mag._ I. 2.) _La_ tient la place du mot _mère_. Madame de Sévigné prétendait mal à propos étendre ce privilége de l’article, et mettre _la_ en remplacement d’un participe: Êtes-vous _enrhumée?_--Je _la_ suis. L’article, dans ce dernier cas, représente _être enrhumé_, qui n’a point de genre; par conséquent: je _le_ suis. LA CONTRE, contre cela: On ne peut pas aller _là contre_. (_D. Juan._ I. 2.) Eh bien! oui; vous dit-on quelque chose _là contre_? (_Fem. sav._ II. 6.) Mon frère, pouvez-vous tenir _là contre_? (_Mal. im._ III. 21.) LA DONNER SÈCHE A QUELQU’UN: Et, sortis de ce lieu, _me la donnant plus sèche_: Marquis, allons au cours faire voir ma calèche. (_Fâcheux._ I. 1.) (Voyez ÉCHAPPER (L’) BELLE.) LAIDIR, devenir laid: Je crains fort de vous voir comme un géant grandir, Et tout votre visage affreusement _laidir_. (_L’Ét._ II. 5.) Nous n’avons plus que le composé _enlaidir_. J’observe que cette terminaison _ir_, aux verbes neutres, marquait une action en progrès, comme en latin _escere_: _grandir_; _laidir_, _emmaladir_; _assagir_, rendre sage; _affolir_, rendre fou (_affoler_ est autre chose; c’est _fouler_, _blesser_, etc.). En termes de marine, _calmir_ c’est être en train de se calmer: _la mer calmit_, _commence à calmir_. LAISSER A (le verbe à l’infinitif sans préposition): Et _laisse à mon devoir s’acquitter_ de ses soins. (_Amph._ I. 2.) --NE PAS LAISSER DE (un infinitif): Ce n’est rien, _ne laissons pas d’achever_. (_Préc. rid._ 15.) Je lui dis que vous n’y êtes pas, madame, et il ne veut pas _laisser d’entrer_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 4.) Il y a là vingt gens qui sont fort assurés de n’entrer point, et qui _ne laissent pas de_ se presser. (_Impromptu._ 3.) Cela choque le sens commun, Mais cela _ne laisse pas d’être_. (_Amph._ II. 1.) _Ne laissons pas d’attendre_ le vieillard. (_Scapin._ I. 5.) _Ils ne laisseroient pas de l’apprendre_, s’ils vouloient écouter les personnes. (_Comtesse d’Escarb._ 11.) Parmi nos bons écrivains, je n’en trouve pas qui aient employé cette autre forme de la même locution, _ne pas laisser que de_. «Son orgueil (de Nabuchodonosor) _ne laissa pas_ de revivre dans ses successeurs.» (BOSSUET. _Hist. Univ._ IIIe part. § 4.) «_L’eau ne laissa pas d’agir_, et de mettre en évidence les figues toutes crues encore et toutes vermeilles.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) «Cela n’importe, dit le père; _on ne laisse pas d’obliger_ toujours les confesseurs à les croire (les pénitents).» (PASCAL. 10e _Provinc._) «_Je ne laissai pas de compter_ avec plaisir l’argent que j’avois dans mes poches, bien que ce fût le salaire de mes assassinats.» (LE SAGE. _Gil Blas._ II. 6.) Dans cette façon de parler, _laisser_ représente _omettre_. On dit _omettre de_, et non pas _omettre que de_. Les Italiens disent pareillement: «_Egli non lascia di dire il suo parer_,» et non pas _non lascia che di dire_. Si cette locution nous vient d’eux, il est clair que nous l’avons altérée; s’ils l’ont au contraire prise de nous, c’est la preuve que dans l’origine le _que_ n’y figurait pas. Thomas Corneille, dans ses notes sur Vaugelas, blâme l’introduction du _que_ parasite dans cette façon de parler; un dictionnaire moderne ne laisse pas de l’autoriser, c’est celui de M. Napoléon Landais. LANGUE; AVOIR DE LA LANGUE, être bavard: C’est _avoir bien de la langue_ que de ne pouvoir se taire de ses propres affaires! (_Scap._ III. 4.) --LANGUE qui FAIT UN PAS DE CLERC: Ce mariage est vrai?--_Ma langue_ en cet endroit _A fait un pas de clerc_, dont elle s’aperçoit. (_Dépit am._ I. 4.) Il faut observer que cette métaphore bouffonne est placée dans la bouche de Mascarille. LA PESTE SOIT, telle ou telle chose. (Voyez PESTE.) LAS! hélas: Où voulez-vous courir?--_Las!_ que sais-je? (_Tart._ V. 1.) Il faut observer que cet adjectif, depuis longtemps passé à l’état d’interjection, n’était pas primitivement immobile. Une femme s’écriait, _hé, lasse!_ comme en latin _me lassam!_ Dans _hélas_, l’interjection est _hé_, comme dans _hémi_: «_Hémi_, où arai-je recours? (_R. de Coucy._)» _Hei mihi,--hei lassum._ LATIN pour _latiniste_: Vous êtes grand _latin_ et grand docteur juré. (_Dépit am._ II. 7.) On dit de même familièrement un grand _grec_, pour _helléniste_. LÉGER; DE LÉGER, légèrement: Mon Dieu! l’on ne doit rien croire trop _de léger_. (_Tart._ IV. 6.) Au XIIe siècle on disait _de legerie_, c’est-à-dire, avec légèreté. Roland dit à Charlemagne que ses conseillers l’ont conseillé un peu _de léger_ sur le fait des ambassadeurs de Marsile: «Loerent vous alques _de legerie_.» (_Chanson de Roland_, st. 14.) _De léger_ comme _de vrai_. Les Italiens disent de même _di leggiero_. --LÉGER D’ÉTUDE: Et, de nos courtisans _les plus légers d’étude_, Elle (la fresque) a pour quelque temps fixé l’inquiétude. (_La Gloire du Val de Grâce._) LEQUEL: Molière paraît avoir eu pour ce mot une antipathie si prononcée, il l’emploie si rarement, que j’ai pensé intéressant de recueillir les passages où il se trouve, et ceux ou il est visiblement évité. Les premiers sont au nombre de huit; les autres sont à peu près innombrables: aussi je me contenterai des principaux de ces derniers. Ma bague est la marque choisie Sur _laquelle_ au premier il doit livrer Célie. (_L’Ét._ II. 9.) Il n’a pas aperçu Jeannette, ma fillole, _Laquelle_ a tout ouï, parole pour parole. (_Ibid._ IV. 7.) Car goûtez bien, de grâce, Ce raisonnement-ci, _lequel_ est des plus forts. (_Dépit am._ IV. 2.) Le malheureux tison de ta flamme secrète, Le drôle avec _lequel_...--Avec _lequel_? poursui. (_Sgan._ 6.) J’ai appris cette nouvelle d’un paysan qu’ils ont interrogé, et _auquel_ ils vous ont dépeint. (_D. Juan._ II. 8.) En vertu d’un contrat _duquel_ je suis porteur. (_Tart._ V. 4.) Est-ce que..... Et que du doux accueil _duquel_ je m’acquittai Votre cœur prétend à ma flamme Ravir toute l’honnêteté? (_Amph._ II. 2.) Je viens, mon fils, avant que de sortir, vous donner avis d’une chose _à laquelle_ il faut que vous preniez garde. (_Mal. im._ II. 10.) (Voyez LEQUEL _évité_, et OU.) _NOTA._ On lit dans l’_École des maris_: SGANARELLE (sortant de l’accablement _dans lequel_ il étoit plongé.) (_Éc. des Mar._ III. 10.) Cette indication scénique n’est pas de Molière. On ne la trouve point dans les éditions de 1692 ni de 1710; mais elle se montre dans l’édition de 1774, chez la veuve David. P. Didot (1821) l’a reproduite. C’est style du XVIIIe siècle. --LEQUEL _évité_: En bonne foi, ce point _sur quoi_ vous me pressez.... (_Dépit am._ II. 1.) Le foudre punisseur Sous _qui_ doit succomber un lâche ravisseur. (_D. Garcie._ I. 2.) Il eût été facile de mettre, _Sous lequel_ doit tomber un lâche ravisseur, si Molière n’avait pris à tâche d’éviter _lequel_. Outre que je pourrois désavouer sans blâme Ces libres vérités _sur quoi_ s’ouvre mon âme. (_Ibid._ II. 1.) Cet hymen redoutable Pour _qui_ j’aurois souffert une mort véritable. (_Ibid._ IV. 4.) Et ce sont particulièrement ces dernières (qualités) _pour qui_ je suis. (_Ép. dédic. de l’Éc. des fem._) C’est un supplice, à tous coups, Sous _qui_ cet amant expire. (_Sicilien._ 9.) Vous avez des traits _à qui_ fort peu d’autres ressemblent. (_Ibid._ 12.) ..... De ces galanteries ingénieuses _à qui_ le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies. (_Scapin._ I. 2.) L’éducation des enfants est une chose _à quoi_ il faut s’attacher fortement. (_Ibid._ II. 1.) C’est la puissance paternelle, auprès _de qui_ tout le mérite ne sert de rien. (_Scapin._ III. 1.) Voyez aux mots QUI, DE QUI,--QUOI,--OÙ,--d’autres exemples, en grand nombre, qui ne permettent pas de douter que Molière n’évitât de propos délibéré l’emploi de _lequel_. Apparemment il réservait ce mot pour marquer le sens du latin _uter_, c’est-à-dire, l’alternative. Au surplus, la même remarque s’applique, plus ou moins absolue, à tous les écrivains du XVIIe siècle en général. C’est du siècle suivant que date le fréquent usage de ces formes, _duquel_, _auquel_, _par lequel_, _dans lequel_, _à la faveur duquel_, etc., etc., dont le grand siècle exprimait ordinairement la valeur par ce simple monosyllabe _où_. Les écrivains de la renaissance avaient fait abus de _lequel_, mais d’une autre façon, en l’employant à relier les deux parties d’une phrase. LES UNS DES AUTRES: Nous devons parler des ouvrages _les uns des autres_ avec beaucoup de circonspection. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) Ici l’on voit la première partie de l’expression invariable; c’est la seconde qui subit l’influence de la construction: parler des ouvrages _les_ uns _des_ autres. Bossuet maintient l’expression entière invariable, comme un seul mot qui ne se modifierait point au milieu: «Auparavant l’on mettoit la force et la sûreté de l’empire uniquement dans les troupes, que l’on disposoit de manière qu’elles se prêtassent la main _les unes les autres_.» (BOSSUET. _Hist. un._ IIIe p. § 6.) Et non: les unes _aux_ autres. LESTE, au figuré; BRAVE ET LESTE: Ta forte passion est d’être _brave et leste_. (_Éc. des fem._ V. 4.) Vous souffrez que la vôtre aille _leste_ et pimpante! (_Éc. des mar._ I. 1.) LEVER UN HABIT, c’est-à-dire, de quoi faire un habit: C’est que l’étoffe me sembla si belle, que j’en ai voulu _lever un habit_ pour moi.--Oui, mais il ne falloit pas _le lever_ avec le mien. (_B. Gent._ II. 8.) LIBERTÉS au pluriel: Ma sœur, je vous demande un généreux pardon, Si de _mes libertés_ j’ai taché votre nom. (_Éc. des mar._ III. 10.) LIBERTIN: C’est être _libertin_ que d’avoir de bons yeux. (_Tart._ I. 6.) Je le soupçonne encor d’être un peu _libertin_: Je ne remarque pas qu’il hante les églises. (_Ibid._ II. 2.) Laissez aux _libertins_ ces sottes conséquences. (_Ibid._ V. 1.) _Libertin_, aujourd’hui restreint à la débauche des femmes, signifiait dans l’origine un esprit fort, un libre penseur, et n’emportait pas nécessairement une idée désavantageuse. «Ce mot, dit Bouhours, signifie quelquefois une personne qui hait la contrainte, qui suit son inclination, qui vit à sa mode, sans s’écarter néanmoins des règles de l’honnêteté et de la vertu. Ainsi l’on dira d’un homme de bien qui ne sauroit se gêner, et qui est ennemi de tout ce qui s’appelle servitude: _Il est libertin_. Il n’y a pas au monde un homme plus _libertin_ que lui. Une honnête femme dira même d’elle, jusqu’à s’en faire honneur: Je suis née _libertine_. _Libertin_ et _libertine_, en ces endroits, ont un bon sens et une signification délicate.» (_Remarques nouvelles sur la langue françoise_, p. 395, édition de 1675.) LIBERTINAGE, indépendance d’esprit poussée jusqu’à la témérité: Mon frère, ce discours sent _le libertinage_. (_Tart._ I. 6.) «Il y en a bien qui croient, mais par superstition; il y en a bien qui ne croient pas, mais par _libertinage_.» (PASCAL. _Pensées._ p. 227.) Ainsi le libertinage était l’excès opposé à la superstition; ce que le néologisme dévot de la Harpe, de Mme de Genlis et autres tels apôtres, appelait, au XIXe siècle, _le philosophisme_. (Voyez LIBERTIN.) LICENCIER (SE) A (un infinitif), se donner licence jusqu’à...: Quoi! ta bouche _se licencie_ _A_ te donner encore un nom que je défends? (_Amph._ III. 7.) LIEU comme _endroit_: Vous le trouverez maintenant vers _ce petit lieu_ que voilà, qui s’amuse à couper du bois. (_Méd. m. lui._ I. 5.) LOGIS DU ROI, c’est-à-dire, donné par le roi, la prison: J’ai peur, si _le logis du roi_ fait ma demeure, De m’y trouver si bien dès le premier quart d’heure, Que j’aye peine aussi d’en sortir par après. (_L’Ét._ III. 5.) LONGUEUR, pour _durée de temps_, _lenteur_, _délais_: Vous pourriez éprouver, _sans beaucoup de longueur_, Si mon bras sait encor montrer quelque vigueur. (_Sgan._ 1.) Et la grande _longueur_ de son éloignement Me le fait soupçonner de quelque changement. (_Ibid._ 2.) Allons donc, messieurs et mesdames, vous moquez-vous avec votre _longueur_? (_Impromptu._ 1.) LOUP-GAROU, employé comme une sorte d’adjectif invariable: Il a le repart brusque et _l’accueil loup-garou_. (_Éc. des mar._ I. 6.) LUI, que nous employons au datif pour le masculin et le féminin, est souvent, dans Molière, remplacé par _à lui_, _à elle_, qui permettent de distinguer les genres: Venez avec moi, je vous ferai parler _à elle_. (_G. D._ II. 6.) --LUI, où Molière met ordinairement _soi_: Mais il (l’amour) traîne après _lui_ des troubles effroyables. (_Mélicerte._ II. 2.) Je voudrois bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre et ce ciel que voilà là-haut; et si tout cela s’est bâti _de lui-même_. (_D. Juan._ III. 1.) Je pense qu’il faut dans ces deux passages _après soi_ et _de soi-même_, comme on lit dans les passages suivants: Oui, madame, on s’en charge; et la chose, _de soi_... (_Tart._ IV. 5.) Le choix du fils d’Oronte est glorieux, _de soi_. (_Éc. des fem._ V. 7.) La noblesse, _de soi_, est bonne. (_G. D._ I. 1.) _De lui_, _d’elle_ feraient ici le même solécisme qu’en latin _per illum_ au lieu de _per se_. (Voyez SOI.) LUMIÈRE; PARLER AVEC LUMIÈRE; c’est la même métaphore que parler clairement: Et j’en veux, dans les fers où je suis prisonnière, Hasarder un (_avis_) qui _parle avec plus de lumière_. (_Éc. des mar._ II. 5.) --DONNER DE LA LUMIÈRE DE; manifester: Un cœur _de son penchant donne assez de lumière_, Sans qu’on nous fasse aller jusqu’à rompre en visière. (_Mis._ V. 2.) --OUVRIR DES LUMIÈRES: _Ouvre_-nous des _lumières_. (_L’Av._ IV. 1.) _Lumières_ n’est pas ici dans le sens du latin _faces_, mais dans celui de _fenêtres_, ou toute ouverture par où la lumière s’introduit et la vue peut saisir une perspective. _Ouvrir des lumières_ signifie donc, en style moderne, _ouvrir des jours_. La _lumière_ d’un canon est une ouverture au canon. La vieille langue disait, par une de ces apocopes si fréquentes chez elle, _un lu_, pour _une lumière_, c’est-à-dire, une fenêtre. Le paysan picard dit encore: _freme ch’ lu_, ferme cette lumière. De _lu_ s’est formé _lucarne_, qui est un _lu_ carré. (Voyez au mot CARNE.) Chez les Latins, _lumina_, en termes d’architecture, signifie également des fenêtres, des jours. --PETITES LUMIÈRES, au figuré, capacité étroite: Et comme ses _lumières sont fort petites_.... (_Pourc._ III. 1.) LUMINAIRE (LE) les yeux: Oui! je devois au dos avoir mon _luminaire_! (_L’Ét._ I. 8.) L’UN, en parlant de plus de deux: Je m’offre à vous mener _l’un de ces jours_ à la comédie. (_Préc. rid._ 10.) Ce n’est ici qu’un bal à la hâte; mais _l’un de ces jours_ nous vous en donnerons un dans les formes. (_Ibid._) Mais par ce cavalier, _l’un de ses plus fidèles_, Vous en pourrez sans doute apprendre des nouvelles. (_Don Garcie._ V. 5.) C’est mal à propos que les grammairiens ont voulu défendre d’employer l’_un_ en parlant de plus de deux. Cet usage du mot l’_un_ date de l’origine de la langue: «E partid son pople en _treis_, e livrad _l’une_ partie à Joab, e l’altre à Abisaï, e la tierce à Ethaï.» (_Rois._ p. 185.) «Sa femme commença à devenir _l’une_ des plus belles femmes qui feust en France.» (MARGUERITE, _Heptam._ nouv. 15.) «Voilà _l’un_ des péchés où mon âme est encline.» (REGNIER. Sat. 12.) «_L’un_ des plaisirs où plus il dépensa «Fut la louange: Apollon l’encensa.» (LA FONT. _Belphégor._) «J’ai vu les lettres que vous débitez contre celles que j’ai écrites _à un de mes amis_ sur le sujet de votre morale, où _l’un des principaux points_ de votre défense est que.....» (PASCAL. 11e _Prov._) --L’UNE par ellipse, pour _l’une de vous_, _l’une ou l’autre_: Non, je veux qu’il se donne à _l’une_ pour époux. (_Mélicerte._ I. 5.) --L’UN NI L’AUTRE, pour _ni l’un ni l’autre_: Vous n’aurez _l’un ni l’autre_ aucun lieu de vous plaindre. (_Mélicerte._ II. 6.) «Mais, aussitôt que l’ouvrage eut paru, «Plus n’ont voulu l’avoir fait _l’un ni l’autre_.» (RACINE. _Épigr. sur l’Iphigénie de Leclerc._) MACHER CE QUE L’ON A SUR LE CŒUR: Mme PERNELLE. Et _je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur_. (_Tart._ I. 1.) Cette métaphore est empruntée des animaux ruminants: je ne rumine point les griefs dont j’ai à me plaindre. MA COMMÈRE DOLENTE, expression proverbiale: Et maintenant je suis _ma commère dolente_. (_Sgan._ 2.) MAIN; LA MAIN HAUTE. (Voyez HAUT LA MAIN.) --A TOUTES MAINS, toujours prêt à tous les partis: C’est un épouseur _à toutes mains_. (_D. Juan._ I. 1.) (Voyez DONNER LES MAINS.) MAINTENIR QUELQU’UN, absolument, le maintenir en joie et prospérité: Le bon Dieu _vous maintienne_! (_Dép. am._ III. 4.) MAL, adverbe joint à un adjectif. (Voyez MAL PROPRE.) MAL DE MORT, VOULOIR MAL DE MORT A QUELQU’UN: _Je me veux mal de mort_ d’être de votre race! (_Fem. sav._ II. 7.) --MAL D’OPINION, qui gît dans l’opinion: Un _mal d’opinion_ ne touche que les sots. (_Amph._ I. 4.) MALEPESTE DE....: _Malepeste du_ sot que je suis aujourd’hui! (_L’Ét._ II. 5.) (Que la) male peste (soit) du sot... (Voyez PESTE.) MALFAIT, substantif; UN MALFAIT: Peux-tu me conseiller un semblable forfait, D’abandonner Lélie et prendre _ce malfait_? (_Sgan._ 2.) MALGRÉ QUE J’EN AIE ou QU’ON EN AIT: --Me voulez-vous toujours appeler de ce nom? --Ah! _malgré que j’en aie_, il me vient à la bouche. (_Éc. des fem._ I. 1.) Madame tourne les choses d’une manière si agréable, qu’il faut être de son sentiment _malgré qu’on en ait_. (_Crit. de L’Éc. des fem._ 3.) Cet exemple n’autorise point l’emploi de _malgré que_. _Malgré que vous disiez..._ pour _quoi que vous disiez_, sera toujours un solécisme. Voici la différence: dans _malgré qu’on en ait_, _mal gré_ ou _mauvais gré_ est le complément naturel et direct d’_avoir_. C’est une espèce d’accusatif absolu: mauvais gré, tel mauvais gré que vous en ayez. Mais cette explication n’est plus possible dans _malgré que vous disiez, fassiez..._, parce que _gré_ ne saurait être ici le complément des verbes _faire_, _dire_: on ne dit pas, on ne fait pas un gré. Au contraire, _quoi_ (_quid_) s’allie très-bien aux verbes _faire_ et _dire_: _quoi que vous fassiez_, mot à mot _quid quod agas_. La faute est venue de ce qu’on a fait de _malgré_ une sorte d’adverbe, en perdant de vue ses racines. Cela ne fût pas arrivé si l’on avait retenu l’usage d’écrire en deux mots _mal gré_. Personne ne s’est jamais avisé de dire: _En dépit que vous fassiez_; parce que _dépit_ est resté visiblement substantif. (Voyez DÉPIT.) MALHEURE (A LA): Et bien _à la malheure_ est-il venu d’Espagne, Ce courrier que la foudre ou la grêle accompagne! (_L’Ét._ II. 13.) A la male ou mauvaise heure: _in malora_; _andate in malora_. «Va-t-en _à la malheure_, excrément de la terre!» (LA FONTAINE. _Le Lion et le Moucheron._) MALITORNE: Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand _malitorne_ et le plus sot dadais que j’aie jamais vu. (_B. gent._ III. 12.) _Malitorne_ vient sans doute de _male tornatus_: «Et male tornatos incudi reddere versus.» (HOR. _de Art. poet._) MAL PROPRE A...: Monsieur, je suis _mal propre à_ décider la chose. (_Mis._ I. 2.) Les comédiens, par la crainte d’une équivoque ignoble, substituent _je suis peu propre_. Le sens n’est pas le même. On employait autrefois _mal_ et _peu_ à cet office avec des nuances différentes. _Mal gracieux_, _mal habile_, étaient des expressions moins fortes que _peu gracieux_, _peu habile_. Il est regrettable que l’on ait laissé perdre cet emploi de _mal_. La prononciation a soudé inséparablement l’adverbe à l’adjectif dans _maussade_ (_mal sade_), c’est-à-dire qui est mal sérieux, d’un sérieux désagréable, déplaisant, et non _peu sérieux_[62]. [62] _Sade_ marquait un sérieux doux, une contenance réservée avec grâce. Plusieurs écrivains du XVe siècle ont pris _sade_ et son diminutif _sadinet_ pour _gentil_, _agréable_. Les Anglais, entraînant l’exagération du mot dans le sens opposé, ont gardé _sad_ pour signifier _triste_. Le sens primitif était intermédiaire. «_Sadde_, dit Palsgrave (en 1530), discrete; _sadde_, full of gravity.» (_Fol. 94 verso._) _Sade_ paraît venir de _sedatus_, et en exprime parfaitement le sens. Borel dérive _maussade_ de _male satus_; c’est une étymologie à la façon de Ménage, qui se contente de quelques lettres communes ou analogues pour conclure la filiation. Si _maussade_ vient de _satus_? Borel n’y a pas réfléchi. Je me sens _mal propre_ à bien exécuter ce que vous souhaitez de moi. (_Am. magn._ I. 2.) «........ Le galant aussitôt «Tire ses grègues, gagne au haut, «_Mal content_ de son stratagème.» (LA FONT. _Le Renard et le Coq._) MALVERSATIONS, dans le sens étendu de désordres de conduite: GEORGE DANDIN (_à sa femme_.) Vous avez ébloui vos parents et plâtré vos _malversations_. (_G. D._ III. 8.) L’Académie n’attribue à ce mot qu’une application restreinte:--«Faute grave commise _par cupidité_ dans l’exercice d’une charge, d’un emploi, dans l’exécution d’un mandat.» L’explication de Trévoux s’accorde avec celle de l’Académie; ainsi Molière s’est servi d’un mot impropre, ou plutôt n’y aurait-il pas une intention comique dans cette impropriété même? Le paysan enrichi se sert du terme le plus considérable qu’il connaisse pour accuser sa femme, et c’est un terme de finances. MANIÈRE; D’UNE MANIÈRE QUE, avec l’ellipse de TELLE: Vous tournez les choses _d’une manière qu’il_ semble que vous avez raison. (_Don Juan._ I. 2.) --DES MANIÈRES (des espèces) DE...: Vous n’allez entendre chanter que de la prose cadencée, ou _des manières de vers libres_. (_Mal. im._ II. 6.) MANQUEMENT DE FOI, DE MÉMOIRE, pour _manque_: Et qu’on s’aille former un monstre plein d’effroi De l’affront que nous fait son _manquement de foi_? (_Éc. des fem._ IV. 8.) Et n’ai-je à craindre que _le manquement de mémoire_? (_Impromptu._ 1.) MARCHÉ; COURIR SUR LE MARCHÉ DES AUTRES: MATHURINE.--Ça n’est pas biau de _courir su le marché des autres_! (_D. Juan._ II. 5.) De mettre l’enchère à ce qu’ils marchandent. MARCHER SUR QUELQUE CHOSE, métaphoriquement, traiter un sujet avec circonspection: Mon Dieu, madame, _marchons là-dessus_, s’il vous plaît, avec beaucoup de retenue. (_C{tesse} d’Esc._ 1.) MARQUIS; LE MARQUIS dans un sens général, et pour désigner toute une classe; DONNER DANS LE MARQUIS: _Vous donnez_ furieusement dans _le marquis_! (_L’Av._ I. 5.) Vous vous jetez dans les allures des marquis. Molière a dit de même: Jamais on ne le voit sortir _du grand seigneur_. (_Mis._ II. 5.) MASQUE, adjectivement, dans le sens d’_hypocrite_, dissimulée: _La masque_, encore après, lui fait civilité! (_Sgan._ 14.) Ah, ah, petite _masque_, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur! (_Mal. im._ II. 11.) --MASQUE DE FAVEUR; faveur simulée qui n’a que l’apparence: D’un _masque de faveur_ vous couvrir mes dédains! (_D. Garc._ II. 6.) MATIÈRE; DES MATIÈRES DE LARMES: Ah! Myrtil, vous avez du ciel reçu des charmes Qui nous ont préparé _des matières de larmes_. (_Mélicerte._ II. 6.) --D’ILLUSTRES MATIÈRES A....: Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville.... pour chercher d’_illustres matières à ma capacité_. (_Mal. im._ III. 14.) MATRIMONION, mot latin, _mariage_: Quelque autre, sous l’espoir du _matrimonion_, Aurait ouvert l’oreille à la tentation. (_Dépit am._ II. 4.) Dans l’origine, ces notations _om_, _um_, soit en latin, soit en français, soit au commencement ou à la fin des mots, se prononçaient _on_, et non pas, comme on fait aujourd’hui, _ome_. _Eum_ se prononçait _eon_, comme on le voit par l’histoire de ce fanatique du moyen âge qui, entendant chanter à la messe _per eum qui venturus est_, s’alla persuader qu’il s’agissait de lui, parce qu’il s’appelait _Eon_[63]. On disait, au XVIIe siècle, de l’_opion_: «Lit-on du mal, c’est jubilation; «Lit-on du bien, des mains tombe le livre, «Qui vous endort comme bel _opion_.» (SENECÉ.) [63] Il se donna pour le fils de Dieu, et gagna des partisans, à l’aide desquels il envahissait les monastères et en chassait les moines. Pour arrêter cette espèce d’hérésie ridicule, il ne fallut rien de moins qu’un concile tenu à Reims, et présidé par le pape en personne. Cela se passait en 1148. (_Cf. d’Argentré_.) Voltaire a dit encore, au XVIIIe: «L’opium peut servir un sage: «Mais, suivant mon opinion, «Il lui faut, au lieu _d’opion_, «Un pistolet et du courage.» _Galbanon_, _aliboron_, _rogaton_, _dicton_, _toton_, sont les mots latins _aliorum_ (barbarement _aliborum_), _galbanum_, _rogatum_, _dictum_, _totum_ (parce que si le toton s’abat de manière à présenter la face où est inscrite la lettre T, le joueur prend la totalité des enjeux.) On dit indifféremment _factotum_ et _factoton_, mais _factotum_ est la prononciation moderne: «..... Je pense qu’en effet, «Reprit Nuto, cela peut être cause «Que le pater avec le _factoton_ «N’auront de toi ni crainte ni soupçon.» (LA FONT. _Mazet._) MAUX; DIRE TOUS LES MAUX DU MONDE: Qu’ils disent _tous les maux du monde_ de mes pièces, j’en suis d’accord. (_Impromptu._ 3.) ME, avec un verbe neutre, comme _tomber_: A qui la bourse?--Ah dieux, elle _m’_étoit _tombée_! (_L’Ét._ I. 7.) _Me_ est ici au datif: _à moi_. C’est le datif que les Latins employaient pour exprimer soit le profit, soit la perte: _Exciderat mihi marsupium_. (Voyez DATIF.) MÉCHANT, mauvais; en parlant du goût, d’un art: Mais peut-être, madame, que leur danse sera _méchante_? --_Méchante_ ou non, il la faut voir. (_Am. magn._ I. 6.) ..... Je n’ai pas si _méchant goût_ que vous avez pensé. (_Ibid._ II. 1.) Il ne faut point perdre de vue le sens primitif de _meschant_, qui n’est point celui de _malus_, _nequam_, auquel seul il est aujourd’hui réduit, mais celui de _infortuné_, _qui a contre soi la chance_. Ce radical _mes_ agit de même dans _mes-prix_, _mes-dire_, _mes-offrir_, _mes-aventure_, _mes-estime_, etc. (en anglais _mis_: _mistake_, _misfortune_, etc.). _Meschant_ est le participe de _meschoir_, pour _meschéant_. Alain Chartier oppose _méchant_ à _heureux_: «Adonc y seras-tu plus _meschant_ de ce que tu cuideras y estre plus _heureux_.» (ALAIN CHARTIER. _Curial._ p. 394.) Greban dit qu’à la mort de Charles VII les bergers désolés se rassemblaient: «Car par troupeaux s’assemblèrent ez champs, «Criants: Ha Dieu, que ferons-nous, _meschants_?» (_Épitaphe de Charles VII._) Charles Bouille, de Saint-Quentin (1533): «_Meschant_: qua voce abutentes Galli, virum interdum inopem, interdum iniquum, dolosum et _infelicem_ effantur.» (_De vitiis vulgarium Ling._, p. 15.) Mais il n’est pas si exact quand il dérive _méchant_ du grec μηχανή, parce que les artisans voués aux arts _mécaniques_ sont d’ordinaire pauvres, et de pauvres deviennent _méchants_. C’est de l’étymologie à la façon de Ménage. _Meschance_ a été la forme primitive de _méchanceté_. «Tu es le vray Dieu, qui _meschance_ «N’aymes point, ni malignité.» (MAROT, _Psaume_ 5.) Ainsi un _méchant goût_, une _méchante danse_, c’est un goût, une danse qui ne réussissent point, qui ont la chance contraire. «Voilà, dit Xanthus, la pâtisserie _la plus méchante_ que j’aie jamais mangée. Il faut brûler l’ouvrière, car elle ne fera de sa vie rien qui vaille.» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) MÉDIRE SUR QUELQU’UN: Ceux de qui la conduite offre le plus à rire Sont toujours _sur autrui_ les premiers à _médire_. (_Tart._ I. 1.) «On médit _de_ quelqu’un, et non _sur_ quelqu’un. C’est une légère faute, que Molière eût évitée en mettant: «Des autres sont toujours les premiers à médire.» (M. AUGER.) Le vers de Molière est le plus naturel du monde: celui qu’on propose pour le remplacer offre une inversion tout à fait forcée, et qui trahirait la gêne du poëte. Pourquoi ne dirait-on pas _médire sur_ comme _médire de_, puisque, dans cette dernière forme, _de_ est le latin _de_, qui signifie _sur_? On dit bien _malédiction sur lui_! Molière, en construisant le verbe comme substantif, n’a point ici commis de faute, même légère; et c’en est toujours une d’être guindé, soit en vers, soit en prose. MÊLER pour _se mêler_: Faut-il le demander, et me voit-on _mêler_ de rien dont je ne vienne à bout? (_L’Av._ II. 6.) Molière, par égard pour l’euphonie, a fait servir un seul _me_ pour les deux verbes _voir_ et _mêler_. (Sur la suppression du pronom des verbes réfléchis, voyez au mot ARRÊTER.) MÊME, pour _le même_: Si sa bouche dit vrai, nous avons _même sort_. (_Amph._ II. 2.) Tout autre n’eût pas fait _même chose_ à ma place? (_Dép. am._ IV. 2.) --MÊME, précédant son substantif comme en espagnol: Avoir ainsi traité Et _la même innocence_ et _la même bonté_! (_Sgan._ 16.) Seigneur, de vos soupçons l’injuste violence A _la même vertu_ vient de faire une offense. (_D. Garcie._ IV. 10.) «Sais-tu que ce vieillard fut _la même_ vertu...?» (CORN. _Le Cid._) L’italien a la même construction: _l’istessa innocenza e l’istessa bonta_. --LE MÊME DE, le même que: Je ne suis plus _le même d’hier au soir_. (_D. Juan._ V. 1.) Je ne suis plus le don Juan d’hier au soir. «Le curé donc qui s’estoit logé dans _la mesme_ hostellerie _de_ nos comédiens...» (SCARRON. _Rom. com._ 1re p. ch. 14.) _De_ pour _que_, dans cette locution, est un hispanisme. (DE MÊME pour PAREIL, voyez de même.) MÉNAGE; VIVRE DE MÉNAGE: Qui me vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis!--C’est _vivre de ménage_. (_Méd. m. lui._ I. 1.) La plaisanterie repose sur la double acception du mot _de_: vivre _avec_ ménage, épargne; et vivre _aux dépens_, _au moyen de_ son ménage, de son mobilier. MENER, pour _amener_: Je sais ce qui vous _mène_. (_Éc. des fem._ V. 7.) MENTIR DE QUELQUE CHOSE: Mais, à _n’en point mentir_, il seroit des moments Où je pourrois entrer en d’autres sentiments. (_D. Garcie._ I. 5.) Et, pour _n’en point mentir_, n’êtes-vous pas méchante De vous plaire à me dire une chose affligeante? (_Tart._ II. 4.) Selon M. Auger, on ne dit point _mentir d’une chose_. Pourquoi pas? on dit bien _se taire de quelque chose_. (Voyez DE dans tous les sens du latin _de_.) MÉPRIS avec un nom de nombre, comme d’une chose qui se compte: J’ai souffert sous leur joug _cent mépris_ différents. (_Fem. sav._ I. 2.) Sur le radical _mes_, voyez à MÉCHANT. MERCI DE MA VIE: Hé! _merci de ma vie_, il en iroit bien mieux Si tout se gouvernoit par ses ordres pieux. (_Tart._ I. 1.) Trévoux dit que c’est une espèce de jurement employé par les femmes du peuple. _Merci_ signifie _grâce_, _miséricorde_. _Merci de ma vie_ est l’opposé de _mort de ma vie_. C’est l’imprécation heureuse substituée à l’imprécation funeste, comme _Dieu me sauve!_ au lieu de _Dieu me damne!_ L’espagnol et l’italien ont la même formule. ME SEMBLE, ce me semble: Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble, Ni, qui plus est, écrit l’un à l’autre, _me semble_. (_Éc. des fem._ I. 6.) MESSIEURS VOS PARENTS, appliqué aux père et mère: Je vous respecte trop, vous et _messieurs vos parents_, pour être amoureux de vous. (_G. D._ I. 6.) La bizarrerie de cette expression disparaît, si l’on réfléchit que _messieurs_ signifie exactement _mes seigneurs_. Vos parents, votre père et votre mère, qui sont mes seigneurs. _MÉTAPHORES vicieuses, incohérentes, hasardées:_ Les exemples n’en sont pas rares dans Molière, à cause de la rapidité avec laquelle il était souvent obligé d’écrire. --BOUCHE: _Dans ma bouche_, une nuit, cet amant trop aimable Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable. (_Dép. am._ II. 1.) Ascagne veut dire qu’à la faveur de la nuit, elle se fit passer, auprès de Valère, pour Lucile. Tout le respect dû à Molière ne saurait empêcher qu’on ne rie de cet amant qui croit rencontrer Lucile, la nuit, dans la bouche d’Ascagne. Molière sans doute serait le premier à s’en moquer. --RESSORTS: Fais-moi dans tes desseins entrer pour quelque chose: Mais que _de leurs ressorts la porte me soit close_, C’est ce qui fait toujours que je suis pris sans verd. (_L’Ét._ III. 5.) On concevrait _les ressorts de la porte_, mais _la porte des ressorts_ est une image absolument impossible: les ressorts n’ont point de porte. Ne vous y fiez pas! il aura des _ressorts_ _Pour donner_ contre vous _raison_ à ses efforts. (_Tart._ V. 3.) On ne donne pas raison avec des ressorts. Molière veut dire: il aura des artifices, des ressources. --POIDS: Le _poids de sa grimace_, où brille _l’artifice_, Renverse le bon droit et tourne la justice. (_Mis._ V. 1.) Et sur moins que cela _le poids d’une cabale_ Embarrasse les gens dans un fâcheux dédale. (_Tart._ V. 3.) Le poids d’une cabale paraît une figure plus acceptable que le poids d’une grimace. (Voyez POIDS.) --NŒUDS: Je voudrois de bon cœur qu’on pût entre vous deux De quelque _ombre de paix_ raccommoder _les nœuds_. (_Tart._ V. 3.) Une ombre n’a point de nœuds; ainsi on ne raccommode pas les nœuds d’une ombre. L’hymen ne peut nous joindre, et j’abhorre _des nœuds_ Qui deviendroient sans doute _un enfer_ pour tous deux. (_D. Garcie._ I. 1.) Comment des nœuds peuvent-ils devenir un enfer? --AUDIENCE: Et je vois sa raison _D’une audience avide avaler ce poison_. (_D. Garcie._ II. 1.) On ne peut se figurer quelqu’un avalant par l’oreille. Les Latins, plus hardis que nous dans leurs métaphores, disaient bien: _densum humeris bibit aure vulgus_ (HORACE.) Cette image en français paraîtrait ridicule, pour être trop violente. Il faut tenir compte de l’usage. --FACE: Et je me vis contrainte à demeurer d’accord Que l’_air_ dont vous viviez vous faisoit un peu tort; Qu’il prenoit dans le monde une méchante _face_. (_Mis._ III. 5.) La face d’un air? --PRÊTER LES MAINS: A vous _prêter les mains ma tendresse_ consent. (_Mis._ IV. 3.) On ne conçoit pas bien ce que c’est que les mains d’une tendresse, ni une tendresse qui prête les mains. Mais ici l’excuse de Molière peut être que _prêter les mains_ est une locution reçue pour dire _seconder_, et qu’ainsi le sens particulier de chaque mot se perd dans le sens général de l’expression. La même observation se reproduit sur ce vers: Pourvu que votre _cœur_ veuille _donner les mains_ Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains. (_Mis._ V. 7.) Les mains d’un cœur sont encore plus choquantes que les mains d’une tendresse. --BRAS: _Un souris_ chargé de douceurs _Qui tend les bras_ à tout le monde. (_Psyché._ I. 1.) --DENTS: Tout cet embarras _met mon esprit sur les dents_. (_Amph._ I. 2.) Il est superflu de remarquer que les dents d’un esprit, les bras d’un souris, sont des images aussi forcées que les mains d’une tendresse ou d’un cœur. Les vers suivants présentent une suite d’images tout à fait incohérentes. Il s’agit des ornements gothiques: Ces _monstres odieux_ des siècles ignorants, Que de la barbarie ont produits les _torrents_, Quand _leur cours, inondant_ presque toute la terre, Fit à la politesse une mortelle guerre. (_La Gloire du Val de Grâce._) Comment les torrents de la barbarie peuvent-ils produire des monstres odieux dont le cours inonde la terre? Il faut avouer que La Bruyère n’avait pas tort d’appliquer à ce style le nom de galimathias; mais il avait tort d’appliquer ce jugement au style de Molière en général. Peut-être faut-il lire, au troisième vers, _quand son cours_; ce serait alors le cours de la barbarie, et non le cours des monstres. Le passage, après cette correction, n’en serait guère moins mauvais. Il est bien étonnant que Molière, au moment où il venait de donner _Tartufe_ et le _Misanthrope_, pût écrire des vers comme ceux-là et comme les suivants: Louis, le grand Louis, dont l’esprit souverain Ne dit rien au hasard et voit tout d’un œil sain, A _versé de sa bouche_, à ses grâces brillantes, _De deux précieux mots les douceurs chatouillantes_; Et l’on sait qu’en deux mots ce roi judicieux Fait des plus beaux travaux l’éloge glorieux. Les précieuses et l’abbé Cotin ont dû se croire vengés. (Voyez d’autres exemples de métaphores vicieuses aux mots AIGREUR, CHAMP, LANGUE, PEINDRE EN ENNEMIS, RESSORTS, ROIDIR, TRACER, TRAITS, VERSER, VISAGE, etc., etc.) METTRE, absolument, mettre son chapeau, se couvrir: _Mettons_ donc sans façon. (_Éc. des fem._ III. 4.) Allons, _mettez_.--Mon Dieu, _mettez_.--_Mettez_, vous dis-je, monsieur Jourdain; vous êtes mon ami. (_Bourg. gent._ III. 4.) --METTRE DESSUS, même sens: _Mettez donc dessus_, s’il vous plaît. (_Mar. for._ 2.) Mettez dessus la tête. --SE METTRE, se vêtir: Quant à _se mettre bien_, je crois, sans me flatter, Qu’on serait mal venu de me le disputer. (_Mis._ III. 1.) Voilà ce que c’est que de _se mettre_ en personne de qualité! (_B. gent._ II. 9.) --METTRE A...., appliquer à: C’est une fille de ma mère nourrice que j’ai _mise à la chambre_, et elle est toute neuve encore. (_Comtesse d’Esc._ 4.) --METTRE A BAS, métaphoriquement, renverser, terrasser: C’est maintenant que je triomphe, et j’ai de quoi _mettre à bas_ votre orgueil. (_George D._ III. 8.) --METTRE A BOUT UNE AME: Et n’est-ce pas pour _mettre à bout une âme_? (_Amph._ II. 6.) --METTRE A TOUTE OCCASION; mettre une chose à toute occasion, en faire abus, la profaner: Mais l’amitié demande un peu plus de mystère, Et c’est assurément en profaner le nom Que de vouloir _le mettre à toute occasion_. (_Mis._ I. 2.) --METTRE AU CABINET: Franchement, il est bon à _mettre au cabinet_. (_Ibid._ I. 2.) On a beaucoup disputé sur le sens de cette expression. Les uns veulent que ce soit: bon à serrer, loin du jour, dans les tiroirs d’un cabinet (sorte de meuble alors à la mode); les autres prennent le mot dans un sens moins délicat, et qui s’est attaché à ce vers, devenu proverbe. Je crois que Molière a cherché l’équivoque. Et qu’on ne dise pas que la grossièreté du second sens est indigne d’Alceste; Alceste est poussé à bout, et lui, qui ne s’est pas refusé tout à l’heure une mauvaise pointe sur la _chute_ du sonnet, ne paraît pas homme à refuser à sa colère un mot à la fois dur et comique, bien que d’un comique trivial. C’est justement cette trivialité qui fait rire, par le contraste avec le rang et les manières habituelles d’Alceste. --METTRE AUX YEUX, devant les yeux: _Je lui mettois aux yeux_ comme dans notre temps Cette soif a gâté de fort honnêtes gens. (_Mis._ I. 2.) Me _mettre aux yeux_ que le sort implacable Auprès d’elles me rend trop peu considérable. (_Mélicerte._ II. 1.) Vous devriez _leur mettre un bon exemple aux yeux_. (_Tart._ I. 1.) --METTRE BAS, quitter, déposer: Qui, moi, monsieur?--Oui, vous. _Mettons bas_ toute feinte. (_Éc. des mar._ II. 3.) Allons donc, messieurs, _mettez bas_ toute rancune. (_Am. méd._ III. 1.) --METTRE DANS UN DISCOURS, DANS UN PROPOS: Si, pour les sots _discours où l’on peut être mis_, Il falloit renoncer à ses meilleurs amis. (_Tart._ I. 1.) Et pour ne vous point _mettre_ aussi _dans le propos_. (_Fem. sav._ IV. 3.) --METTRE EN ARRIÈRE, déposer, quitter: De grâce, parle, et _mets_ ces mines _en arrière_. (_Mélicerte._ I. 3.) --METTRE EN COMPROMIS, compromettre: C’est un brave homme: il sait que les cœurs généreux _Ne mettent point les gens en compromis_ pour eux. (_Dép. am._ V. 7.) --METTRE EN MAIN, confier: Et l’on m’a _mis en main_ une bague à la mode Qu’après vous payerez, si cela l’accommode. (_L’Ét._ I. 6.) --METTRE EN MAIN QUELQU’UN A UN AUTRE: Pour moi, je ne ferai que _vous la mettre en main_. (_Éc. des fem. V._ 2.) Je ne ferai que remettre Agnès entre vos mains. --METTRE PAR ÉCRIT: Une autre fois _je mettrai mes raisonnements par écrit_, pour disputer avec vous. (_D. Juan._ I. 2.) Brossette rapporte que Boileau, dans l’épître à son jardinier, avait mis d’abord: «Mais non; tu te souviens qu’au village on t’a dit «Que ton maître est gagé pour _mettre par écrit_ «Les faits d’un roi, etc.» Il changea le second vers de cette façon: «Que ton maître est _nommé_ pour _coucher par écrit_.» Apparemment _gagé_ lui parut manquer de dignité, et _coucher par écrit_ lui sembla une expression rustique d’un effet plus piquant que l’expression ordinaire, _mettre par écrit_. MEUBLE, comme nous disons _mobilier_: Vos livres éternels ne me contentent pas; Et, hors un gros Plutarque à mettre mes rabats, Vous devriez brûler tout ce _meuble_ inutile. (_Fem. sav._ II. 7.) MEUBLÉ de science: Mais nous voulons montrer. . . . . Que _de science_ aussi les femmes _sont meublées_. (_Fem. sav._ III. 2.) MIEUX, le mieux: Nous verrons qui tiendra _mieux_ parole des deux. (_Dép. am._ II. 2.) C’est par là que son feu se peut _mieux_ expliquer. (_D. Garcie._ I. 1.) (Voyez PLUS pour _le plus_.) --DU MIEUX QUE pour _le mieux que_: Voilà une personne..... qui aura soin pour moi de vous traiter _du mieux qu’_il lui sera possible. (_Pourc._ I. 10.) (Voyez DE exprimant la manière, la cause.) MIGNON DE COUCHETTE: Le voilà le beau fils, le mignon de couchette! (_Sgan._ 6.) MIJAURÉE. (Voyez PIMPESOUÉE.) MILLE GENS: Moi! je serois cocu?--Vous voilà bien malade! _Mille gens_ le sont bien.... (_Éc. des fem._ IV. 8.) (Voyez GENS _avec un nom de nombre déterminé_.) MINE; AVOIR DE LA MINE: _J’ai de la mine_ encore assez pour plaire aux yeux. (_L’Ét._ I. 6.) --AVOIR LA MINE DE (un infinitif): _J’ai bien la mine_, pour moi, _de payer_ plus cher vos folies. (_Scapin._ I. 1.) --FAIRE LES MINES DE SONGER A QUELQUE CHOSE: Pour peu que d’y songer vous nous _fassiez les mines_. (_Mis._ III. 7.) _Faire mine de_, c’est _faire semblant de_. Faire mine de désirer, faire mine de songer à quelque chose. _Faire la mine_, c’est bouder. _Faire des mines_, c’est _minauder_. On dirait donc aujourd’hui, et mieux, je crois: pour peu que vous nous fassiez mine d’y songer. Il est vraisemblable même que Molière, en altérant l’expression consacrée, a cédé à la contrainte du vers. MINUTER, projeter tacitement, sournoisement: Je le remerciois doucement de la tête, _Minutant_ à tous coups quelque retraite honnête. (_Fâcheux._ I. 1.) «_Minuter_ secrètement quelque entreprise.» (VAUGELAS.) Secrètement, dans cet exemple, fait pléonasme: «Ce marchand _minute_ sa fuite, s’apprête à faire banqueroute. Ce mécontent _minute_ quelque conspiration.» (TRÉVOUX.) MIRACLE; JEUNE MIRACLE, une jeune beauté: Qui, dans nos soins communs pour ce _jeune miracle_, Aux feux de son rival portera plus d’obstacle. (_L’Ét._ I. 1.) MITONNER QUELQU’UN: Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants, Et cru _la mitonner_ pour moi durant treize ans.... (_Éc. des fem._ IV. 1.) Métaphore du style le plus familier. Une soupe _mitonnée_ est une soupe que l’on a longtemps et avec patience fait bouillir à petit feu. (Racine, _mitis_?) MODÉRATIONS, au pluriel: Et vous nous faites voir _Des modérations_ qu’on ne peut concevoir. (_Fem. sav._ I. 2.) MODESTE; ÊTRE MODESTE A QUELQUE CHOSE, relativement à quelque chose: Jamais on ne m’a vu triompher de ces bruits; J’_y_ suis assez _modeste_. (_Éc. des fem._ I. 1.) MOI, substantif: _Un moi_ de vos ordres jaloux, Que vous avez du port envoyé vers Alcmène, Et qui de vos secrets a connoissance pleine Comme _le moi_ qui parle à vous. (_Amph._ II. 1.) --MOI-MÊME, où nous dirions _lui-même_: Oui, je suis don Juan _moi-même_. (_D. Juan._ III. 5.) Cette façon de dire paraît plus raisonnable que l’autre, puisque tout y est à la première personne, au lieu d’accoupler la première à la troisième. En effet, je suis don Juan _lui-même_, reviendrait à: c’est _moi_ qui _est_ don Juan _lui-même_. Au surplus, Molière s’est aussi exprimé de cette dernière façon: N’est-ce pas _vous_ qui _se nomme_ Sganarelle? --En ce cas, _c’est moi_ qui _se nomme_ Sganarelle. (_Méd. m. lui._ I. 6.) MOMON; JOUER UN MOMON: Masques, où courez-vous? Le pourroit-on apprendre? Trufaldin, ouvrez-leur pour _jouer un momon_. (_L’Ét._ III. 11.) Trévoux, et d’après lui le supplément du Dictionnaire de l’Académie, définissent le _momon_: «Défi d’un coup de dez qu’on fait quand on est en masque.» Cette définition ne s’applique pas au passage précédent ni au suivant: Est-ce un _momon_ que vous allez _porter_? (_B. gent._ V. 1.) Le momon pouvait donc être joué et porté. L’explication de Borel paraît lever toute difficulté. Le momon, selon lui, était une sorte de pelote énorme que l’on portait dans les mascarades notables, comme si c’eût été une grosse bourse enflée contenant des enjeux. Périzonius dérive _momon_ du grec μομμω; Ménage, de _Momus_, le bouffon des dieux; Nicot, de _mon mon_, espèce de gromellement que font entendre les masques, dit-il; d’autres, du sicilien _momar_, un fou. Personne n’a songé à l’allemand _mumme_, un masque; _mummerey_, mascarade; d’où en français _momerie_. MON ESTIME, au sens passif: Et qu’il eût mieux valu pour moi, pour _mon estime_, Suivre les mouvements d’une peur légitime. (_Dép. am._ III. 3.) C’est-à-dire, pour l’estime qu’on fera de moi, dans l’intérêt de ma réputation. _Mon estime_ est ici comme _mon honneur_. MONSTRE PLEIN D’EFFROI. (Voyez PLEIN D’EFFROI.) MONTRE, substantif féminin au sens d’_exposition_: Conserve à nos neveux une _montre_ fidèle Des exquises beautés que tu tiens de son zèle. (_La Gloire du Val-de-Grâce._) _Montre_ s’employait autrefois au sens de _revue_: _la montre des soldats_; _passer à la montre_, c’est _passer à la revue_: «Ainsi Richard jouit de ses amours, «Vécut content, et fit force bons tours, «Dont celui-ci peut _passer à la montre_.» (LA FONT. _Richard Minutolo._) MONTRER A QUELQU’UN, absolument, pour _donner des leçons_: Outre le maître d’armes qui _me montre_, j’ai arrêté encore un maître de philosophie. (_B. gent._ I. 2.) Votre maître de musique est allé aux champs, et voilà une personne qu’il envoie à sa place pour _vous montrer_. (_Mal. im._ II. 4.) «Son maître tous les jours vient pourtant _lui montrer_.» (REGNARD. _Le Distrait._) Bossuet emploie de la même façon _enseigner_, comme verbe actif; _enseigner quelqu’un_: «J’ai déjà dit que ce grand Dieu _les enseigne_, et en leur donnant et en leur ôtant le pouvoir.» (_Or. fun. d’Henr. d’A._) --MONTRER DE (un infinitif): Vous buviez sur son reste, et _montriez d’affecter_ Le côté qu’à sa bouche elle avoit su porter. (_L’Ét._ IV. 5.) MOQUER; SE MOQUER DE (un infinitif), dans le sens de ne pas vouloir, se mettre peu en peine de, _non curare de_: _Je me moquerois_ fort _de prendre_ un tel époux! (_Tart._ II. 2.) Je veux lui donner pour époux un homme aussi riche que sage; et la coquine me dit au nez qu’_elle se moque de le prendre_. (_L’Av._ I. 7.) C’est-à-dire, non pas qu’elle est indifférente à le prendre ou non, mais qu’elle se moque de la volonté de son père de le lui faire prendre. On sait leur rendre justice (à certains maris), et l’on _se moque fort de les considérer_ au delà de ce qu’ils méritent. (_G. D._ III. 5.) Quand l’amour à vos yeux offre un choix agréable, Jeunes beautés, laissez-vous enflammer: _Moquez-vous d’affecter_ cet orgueil indomptable Dont on vous dit qu’il est beau de s’armer. (_Prol. de la pr. d’Élide._ I.) C’est que les filles bien sages et bien honnêtes comme vous _se moquent d’être obéissantes_ et soumises aux volontés de leur père. (_Mal. im._ II. 7.) MORCEAU DE JUDICIAIRE. (Voyez JUDICIAIRE.) MORGUER QUELQU’UN, le braver insolemment: Et de son large dos _morguant les spectateurs_. (_Fâcheux._ I. 1.) «...... tous ces vaillants, de leur valeur guerrière, «_Morguent la destinée_ et gourmandent la mort.» (REGNIER. _Sat._ VI.) MOUCHE; LA MOUCHE MONTE A LA TÊTE: Ah! que vous êtes prompte! _La mouche_ tout à coup _à la tête vous monte_. (_L’Ét._ I. 10.) C’est une autre forme de la locution proverbiale, _prendre la mouche_. On dit en italien, _la mosca vi salta al naso_. MOUCHER DU PIED (SE): DORINE. Certes, monsieur Tartufe, à bien prendre la chose, N’est pas un homme, non, qui _se mouche du pied_! (_Tart._ II. 3.) Se moucher avec le pied était un tour d’agilité des saltimbanques. De là cette expression ironiquement familière en parlant d’un homme grave et considérable: Il ne se mouche pas du pied! ou, comme dit Mascarille: Il tient son quant-à-moi! MOUSTACHE; SUR LA MOUSTACHE, à la barbe: Afin qu’un jeune fou dont elle s’amourache Me la vienne enlever jusque _sur la moustache_. (_Éc. des fem._ IV. 1.) MOUVEMENT; DE SON MOUVEMENT, _proprio motu_: S’il s’attache à me voir, et me veut quelque bien, C’est _de son mouvement_; je ne l’y force en rien. (_Mélicerte._ II. 4.) MYSTÈRE; FAIRE GRAND MYSTÈRE, c’est-à-dire, grand embarras de quelque chose: Du nom de philosophe _elle fait grand mystère_, Mais elle n’en est pas pour cela moins colère. (_Fem. sav._ II. 8.) NE, _supprimé_; dans une formule interrogative: De quoi te peux-tu plaindre? _ai-je_ pas réussi? (_L’Ét._ IV. 5.) Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner.... (_Sgan._ 1.) Les querelles, procès, faim, soif et maladie, _Troublent-ils_ pas assez le repos de la vie? (_Ibid._ 17.) Et tu trembles de peur _qu’on t’ôte_ ton galant. (_Ibid._ 22.) _Dis-tu_ pas qu’on t’a dit qu’il s’appelle Valère? (_Éc. des mar._ II. 1.) ...... Valère _est-il_ pas votre nom? (_Ibid._ II. 3.) L’amour _sait-il pas l’art_ d’aiguiser les esprits? (_Éc. des fem._ III. 4.) _Trouvez-vous pas_ plaisant de voir quel personnage A joué mon jaloux dans tout ce badinage? (_Ibid._) Pour dresser un contrat _m’a-t-on_ pas fait venir? (_Ibid._ IV. 2.) _M’êtes-vous pas_ venu querir pour votre maître? (_Ibid._ IV. 3.) _T’ai-je pas_ là-dessus ouvert cent fois mon cœur? Et _sais-tu pas_ pour lui jusqu’où va mon ardeur? (_Tart._ II. 3.) _Pouvez-vous pas_ y suppléer de votre esprit? (_Impromptu._ 1.) Il aura un pied de nez avec sa jalousie, _est-ce pas_? (_G. D._ I. 2.) _Pourrois-je_ point m’éclaircir doucement s’il y est encore? (_Ibid._ II. 8.) _Est-ce pas_ vous, Clitandre? (_Ibid._ III. 2.) --Après _à moins que_: La maîtresse ne peut abuser votre foi, _A moins que_ la maîtresse _en_ fasse autant de moi. (_Dép. am._ I. 1.) _A moins que_ Valère _se pende_, Bagatelle; son cœur ne s’assurera point. (_Dép. am._ I. 2.) _A moins que_ le ciel _fasse_ un grand miracle en vous. (_Ibid._ II. 2.) Et moi, je ne puis vivre _à moins que_ vos bontés _Accordent_ un pardon à mes témérités. (_D. Garcie._ II. 6.) On ne saurait dire que, dans ce dernier exemple, Molière ait cédé aux besoins de la mesure, car il ne lui en coûtait rien de Mettre: _N’accordent_ un pardon. Et moi, je ne puis vivre _à moins que vous quittiez_ Cette colère qui m’accable. (_Amph._ II. 6.) Et l’on en est réduite à n’espérer plus rien, _A moins que l’on se jette_ à la tête des hommes. (_Psyché._ I. 1.) Si cette suppression avait eu quelque importance dans la coutume du langage du temps, il eût été facile à Molière de mettre: A moins qu’on _ne_ se jette à la tête des hommes. Je lui ai défendu de bouger, à moins que _j’y fusse_ moi-même, de peur de quelque fourberie. (_Pourc._ I. 6.) --Après AVANT QUE: _Avant que vous parliez_, je demande instamment Que vous daigniez, seigneur, m’écouter un moment. (_D. Garcie._ V. 5.) Allons, courons _avant que_ d’avec eux _il sorte_. (_Amph._ III. 5.) «_Avant qu’on l’ouvrît_ (la cédule), les amis du prince soutinrent que, etc.» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) «Toutes vos fables pouvoient vous servir _avant qu’on sût_ vos principes.» (PASCAL. 15e _Prov._) --Après AVOIR PEUR QUE: _J’ai bien peur que_ ses yeux _resserrent_ votre chaîne. (_Dép. am._ IV. 2.) --D’abord exprimé, puis supprimé après AVOIR PEUR QUE: _J’ai peur qu’elle ne_ soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville _produise_ peu de fruit, et que _vous eussiez_ autant gagné à ne bouger de là. (_D. Juan._ I. 1.) --Après CRAINDRE QUE: Mais, hélas! _je crains bien que j’y perde_ mes soins. (_D. Garcie._ II. 6.) _Je craindrois que_ peut-être A quelques yeux suspects _tu me fisses_ connoître. (_Fâcheux._ III. 1.) ..... Oui, mais qui rit d’autrui Doit _craindre qu’_à son tour _on rie_ aussi de lui. (_Éc. des fem._ I. 1.) Peut-on _craindre que_ des choses si généralement détestées _fassent_ quelque impression dans les esprits? (_Préf. de Tartufe._) --Après EMPÊCHER QUE: Si son cœur m’est volé par ce blondin funeste, _J’empêcherai_ du moins _qu’on s’empare_ du reste. (_Éc. des fem._ IV. 7.) Molière l’a exprimé ailleurs: Cela _n’empêchera pas que_ je _ne_ conserve pour vous ces sentiments d’estime..... (_Pourc._ III. 9.) Mais il l’a encore supprimé dans ce passage: Le choix qui m’est offert s’oppose à votre attente, Et peut seul _empêcher que_ mon cœur _vous_ contente. (_Mélicerte._ I. 5.) Je crois qu’ici Molière a cédé à la contrainte de la mesure. Pascal exprime _ne_: «M. le premier président a apporté un ordre pour _empêcher que_ certains greffiers _ne_ prissent de l’argent pour cette préférence.» (18e _Prov._) Au surplus, il est vraisemblable que Molière n’attachait aucune importance à exprimer ou retrancher le _ne_; son habitude paraît avoir été pour la suppression. Pascal, au contraire, est pour l’expression. --Après DE PEUR QUE: _De peur que_ ma présence encor _soit_ criminelle. (_L’Ét._ I. 5.) De peur _qu’elle revînt_, fermons à clef la porte. (_Éc. des mar._ III. 2.) Ailleurs Molière l’a exprimé: Ah! Myrtil, levez-vous, _de peur qu’on ne_ vous voie. (_Mélicerte._ II. 3.) --Après DEVANT ou AVANT QUE: _Devant que_ les chandelles _soient_ allumées. (_Préc. rid._ 10.) --Après GARDER QUE: _Gardons bien que_ par nulle autre voie elle _en_ apprenne jamais rien. (_Am. magn._ I. 1.) --Après MIEUX QUE, précédé d’une négation: Je _ne_ crois pas qu’on puisse _mieux_ danser _qu’ils dansent_. (_Am. magn._ II. 1.) Chacun demeura d’accord qu’on ne pouvoit pas _mieux_ jouer _qu’il fit_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) --NE, _exprimé_; après NE DOUTER POINT QUE: Oui, _je ne doute point que_ l’hymen _ne_ vous plaise. (_Éc. des fem._ II. 7.) _Je ne doute point_ que vos paroles _ne_ soient sincères. (_Scapin._ I. 3.) BOSSUET a dit: «Je _ne_ crois pas qu’on puisse _douter que_ Ninus _ne_ se soit attaché à l’Orient.» (_Hist. Un._ IIIe p. § 4.) Ici pourtant l’expression est différente de celle de Molière, en ce que le premier _ne_ s’attache, non pas au verbe _douter_, mais au verbe _croire_. Il paraît que le XVIIe siècle tenait pour règle invariable d’exprimer _ne_ après _douter que_, quel que fût d’ailleurs le sens de la phrase, affirmatif ou négatif. Ninus s’était attaché à l’Orient, je ne crois pas qu’on en puisse douter; c’est ce que veut dire Bossuet, et il met deux négations. Il me semble que dans cet exemple la seconde est de trop, mais on observait encore certaines lois de symétrie, tradition de la vieille langue, qu’aujourd’hui nous qualifions pléonasmes. (Voyez plus bas NE _répété par pléonasme_.) --Après IL ME TARDE QUE: _Il me tarde que_ je _ne_ goûte le plaisir de la voir. (_Sicilien._ 10.) --Après PRENDRE GARDE QUE....: On m’a chargé de _prendre garde que_ personne _ne_ me vît. (_G. D._ I. 2.) --Après NE TENIR QU’A: Il _ne tiendra qu’_à elle que nous _ne_ soyons mariés ensemble. (_G. D._ I. 2.) --Après METTRE EN DOUTE QUE: Il n’y aura personne qui _mette en doute que_ ce _ne_ soit vous qui m’aurez tuée. (_G. D._ III. 8.) --NE, _répété par pléonasme_: Je _ne_ puis pas nier qu’il _n’_y ait eu des Pères de l’Église qui ont condamné la comédie; mais on _ne_ peut pas me nier aussi qu’il _n’_y en ait eu quelques-uns qui l’ont traitée un peu plus doucement. (_Préf. de Tartufe._) Je _ne_ doute point, sire, que les gens que je peins dans ma comédie _ne_ remuent bien des ressorts auprès de Votre Majesté, et _ne_ jettent dans leur parti.... (2me _Placet au Roi_.) On pourrait supprimer chaque fois le second _ne_; la phrase n’en serait pas moins claire, ni l’expression moins complète; mais je crois que le génie de la langue française préfère cette répétition, qui a une foule d’analogues: c’est _à_ vous _à_ parler,--c’est _à_ vous _à_ qui je m’adresse;--c’est _de_ vous _dont_ je m’occupe.--C’est _là où_ vous verrez la bénignité de nos pères. --NE, ni: Un mari qui n’ait pas d’autre livre que moi, Qui ne sache _A ne B_, n’en déplaise à madame. (_Fem. sav._ V. 3.) C’est un archaïsme. Thomas Diafoirus s’en sert également: «_Ne_ plus _ne_ moins que la fleur que les anciens nommoient héliotrope...» (_Mal. im._ II. 6.) Cette forme, jadis seule en usage, était commode pour l’élision: «Onc n’avoit vu, _ne_ lu, _n’ouï_ conter....» (LA FONT. _Le Diable de Papefig._) On disait de même _se_ pour _si_: _se non_, _sinon_. Malgré des réclamations réitérées, certains éditeurs de textes du moyen âge impriment encore avec un accent aigu _né_, _sé_, _qué_, _cé_, pour _ne_, _se_, _que_, _ce_; l’élision même de cet _e_ n’a pu leur persuader qu’il n’y faut point mettre d’accent. C’est une obstination bien étrange! NÉCESSITANT, nécessiteux: Aussi est-ce à vous seule qu’on voit avoir recours toutes les muses _nécessitantes_. (_Am. magn._ I. 6.) _NÉGATION_; DEUX NÉGATIONS REDOUBLÉES. (Voy. à la fin de l’article PAS.) NEIGE; DE NEIGE, expression de mépris: Tiens, tiens, sans y chercher tant de façons, voilà Ton beau galant _de neige_ avec ta nonpareille. (_Dép. am._ IV. 4.) Cette expression rappelle le _floccifacere_ et _floccipendere_ des Latins. «Ah le beau médecin _de neige_ avec ses remèdes!» (DESTOUCHES. _Le Tambour nocturne._) NE M’EN PARLEZ POINT, incidemment, dans un sens affirmatif et laudatif: Il y a plaisir, _ne m’en parlez point_, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses de l’art. (_B. gent._ I. 1.) N’EN EST-CE PAS FAIT? Nous rompons?--Oui, vraiment! Quoi? _n’en est-ce pas fait_? (_Dép. am._ IV. 3.) _En_, figure ici au même titre que dans _c’en est fait_; _c’est fait de moi_, _de cela_. NE PERDRE QUE L’ATTENTE DE QUELQUE CHOSE: Tu _n’en perds que l’attente_, et je te le promets. (_Dép. am._ III. 10.) On dit dans le même sens, et avec des termes contraires: Tu n’y perdras rien pour attendre. NE QUE, faisant pléonasme avec _seulement_. (Voy. SEUL.) NET, adverbialement: Madame, voulez-vous que je vous parle _net_? De vos façons d’agir je suis mal satisfait. (_Mis._ II. 1.) (Voyez PREMIER QUE, FERME, FRANC.) --NET, adjectif, au sens moral: loyal, sans détour; AME FRANCHE ET NETTE: Et j’avouerai tout haut, _d’une âme franche et nette_..... (_Fem. sav._ I. 1.) NEZ; DONNER PAR LE NEZ, au figuré: Ils nous _donnent_ encore, avec leurs lois sévères, _De cent sots contes par le nez_. (_Amph._ II. 3.) _Par_ est ici abrégé de _parmi_; parmi le nez, au milieu du visage. --C’EST POUR TON NEZ, ironiquement: _C’est pour ton nez_, vraiment! cela ce fait ainsi. (_Amph._ II. 7.) «Mais _c’est pour leur beau nez_! le puits n’est pas commun; Et si j’en avois cent, ils n’en auroient pas un.» (REGNIER. _Macette._) NI, exprimé seulement au dernier terme de l’énumération: Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui, Il ne faut écritoire, encre, papier, _ni plumes_. (_Éc. des fem._ III. 2.) --Exprimé devant chaque terme: Elle n’a _ni_ parents, _ni_ support, _ni_ richesse. (_Ibid._ III. 5.) --NI, répété après la négation: Cela _n’est pas_ capable, _ni_ de convaincre mon esprit, _ni_ d’ébranler mon âme. (_D. Juan._ V. 2.) --NI, _supprimé_. (Voyez L’UN NI L’AUTRE.) NIER, dénier, refuser: Et je n’ai pu _nier_ au destin qui le tue Quelques moments secrets d’une si chère vue. (_D. Garcie._ III. 2.) Et tâcher, par des soins d’une très-longue suite, D’obtenir ce qu’on _nie_ à leur peu de mérite. (_Mis._ III. 1.) Imitant en vigueur les gestes des muets, Qui veulent réparer la voix que la nature Leur a voulu _nier_, ainsi qu’à la peinture. (_La Gloire du Val-de-Grâce._) Nous n’employons plus que le composé _dénier_, et encore il devient rare: «Pour obtenir les vents que le ciel vous _dénie_, «Sacrifiez Iphigénie.» (RACINE. _Iphig._ I. 1.) NOIRCIR QUELQU’UN ENVERS UN AUTRE. (Voyez ENVERS.) NOMBRE; QUELQUE NOMBRE DE, pour _quelques_: Je veux jouir, s’il vous plaît, de _quelque nombre de beaux jours_ que m’offre la jeunesse. (_G. D._ II. 4.) NOMPAREIL: J’ai souhaité un fils avec des ardeurs _nompareilles_. (_D. Juan._ IV. 6.) «Colette entra dans des peurs _nompareilles_.» (LA FONT. _Le Berceau._) Boileau s’est moqué de cette expression, déjà surannée de son temps, aujourd’hui tout à fait hors d’usage: «Si je voulois vanter _un objet nompareil_, «Je mettrais à l’instant: Plus beau que le soleil.» (_Sat._ II.) NON CONTENT, employé comme adverbe: Et, _non content_ encor du tort que l’on me fait, Il court parmi le monde un livre abominable. (_Mis._ V. 1.) _Non content_ ne se rapporte à personne, comme s’il y avait, par exemple, _nonobstant_... Et, _nonobstant_ encor le tort que l’on me fait, Il court..... NOUS, indéterminé, construit avec _on_: Au moins, en pareil cas, est-ce un bonheur bien doux Quand _on_ sait qu’on n’a point d’avantage sur _nous_. (_Dép. am._ II. 4.) Et qu’_on_ s’aille former un monstre plein d’effroi De l’affront que _nous_ fait son manquement de foi? (_Éc. des fem._ IV. 8.) (Voyez VOUS.) NOUVEAUTÉS, nouvelles: Je demeure immobile à tant de _nouveautés_. (_L’Ét._ V. 15.) Seigneur, ces _nouveautés_ ont droit de me confondre. (_D. Garcie._) NOUVEAUX YEUX: JETER DE NOUVEAUX YEUX SUR..., de nouveaux regards: Et mon esprit, _jetant de nouveaux yeux sur elle_... (_Pr. d’Él._ I. 1.) Un esprit qui jette de nouveaux yeux, est apparemment une de ces expressions qui semblaient du jargon à la Bruyère. NUAGE DE COUPS DE BATONS: Je vois se former de loin _un nuage de coups de bâton_ qui crèvera sur mes épaules. (_Scapin_, I. 1.) OBJET par excellence, objet aimé: LA MONTAGNE. Si ce parfait amour que vous prouvez si bien Se fait vers _votre objet_ un grand crime de rien. (_Fâcheux._ I. 1.) _Mon objet_, _son objet_, _votre objet_, est une expression à l’usage du peuple, comme _mon époux_, _mon épouse_, pour _mon mari_, _ma femme_. Le ridicule s’y est attaché à cause de l’emphase. Aussi est-ce un valet à qui Molière prête cette façon de parler, Éliante ne s’exprime point comme _la Montagne_: elle dit, _l’objet aimé_: Et dans l’_objet aimé_ tout lui paroît aimable. (_Mis._ II. 5.) Le génie observateur de Molière recueille jusqu’aux nuances de vérité les plus fines et les plus fugitives. On ne le surprend jamais en défaut. OBLIGER, absolument, dans le sens du latin _obligare_, lier: Mes plus ardents respects n’ont pu vous _obliger_; Vous avez voulu rompre: il n’y faut plus songer. (_Dép. am._ IV. 3.) --OBLIGER A, forcer à: Je me retire pour ne me voir point _obligée à_ recevoir ses compliments. (_G. D._ II. 11.) «Quoique personne n’ignore les grandes qualités d’une reine dont l’histoire a rempli l’univers, je me sens _obligé_ d’abord _à_ les rappeler à votre mémoire.» (BOSSUET. _Or. fun. d’Henr. d’Angl._) «Mais je suis _obligé à_ me contraindre.» (PASCAL. 8e _Prov._) «C’est pourquoi on n’est pas _obligé à_ s’en confesser.» (Id. 10e _Prov._) Pascal, bien qu’il paraisse préférer _obliger à_, emploie aussi _obliger de_: «Les confesseurs n’auront plus le pouvoir de se rendre juges de la disposition de leurs pénitents, puisqu’ils sont _obligés de_ les en croire sur leur parole.» (10e _Prov._) Au XVIIe siècle, _obliger de_ paraît avoir été réservé pour signifier _rendre le service de_: «_Obligez-moi de_ n’en rien dire.» (LA FONT. _Fables_, III. 6.) C’est-à-dire, rendez-moi le service de n’en rien dire; faites que je vous aie cette obligation. «Il y a des âmes basses qui se tiennent _obligées de tout_, et il y a des âmes vaines qui ne se tiennent _obligées de rien_.» (SAINT-ÉVREMOND.) «L’abbesse lui fit réponse qu’elle et ses filles se sentoient infiniment _obligées de ses bontés_.» (PATRU.) Obligées par ses bontés. --S’OBLIGER DE, s’obliger à..., prendre l’engagement de...: Un fort honnête médecin..... veut _s’obliger de_ me faire vivre encore trente années. (3e _Placet au Roi._) Je ne lui demandois pas tant, et je serois satisfait de lui, pourvu qu’il _s’obligeât de_ ne me point tuer. (_Ibid._) --S’OBLIGER QUE, pour _à ce que_: Il _s’obligera_, si vous voulez, _que_ son père mourra avant qu’il soit huit mois. (_L’Av._ II. 2. ) Remarquez que cette locution admet le second verbe au futur de l’indicatif, tandis qu’avec la tournure ordinaire il le faudrait au présent du subjonctif: «Il s’obligera _à ce que_ son père _meure_.» C’est par où l’autre façon, employée par Molière, peut être utile. L’analyse d’ailleurs la démontre excellente. Elle revient à ceci: Son père mourra avant huit mois, et à cet égard il s’obligera, il prendra un engagement positif. Cette forme exprime bien mieux la certitude du fils de la mort de son père, que si l’on y employait le conditionnel. OBSCÉNITÉ, néologisme en 1663: ÉLISE. Comment dites-vous ce mot-là, madame? CLIMÈNE. _Obscénité_, madame. ÉLISE. Ah! mon Dieu, _obscénité_! Je ne sais ce que ce mot veut dire, mais je le trouve le plus joli du monde! (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) OCCISEUR, meurtrier: MASCARILLE. Faisons l’olibrius, l’_occiseur_ d’innocents. (_L’Ét._ III. 5.) _Occiseur_ n’a été recueilli ni dans Trévoux ni dans le supplément au Dictionnaire de l’Académie. Aussi paraît-il forgé par Mascarille, d’après le latin. ŒIL; CONDUIRE DE L’ŒIL: _Je conduis de l’œil_ toutes choses. (_Pourc._ II. 11.) --ŒIL CONSTANT (D’UN), sans se troubler, avec fermeté: J’attendrai _d’un œil constant_ ce qu’il plaira au ciel de résoudre de moi. (_Scapin._ I. 3.) OI rimant avec È: Ho, ho! les grands talents que votre esprit _possède_! Diroit-on qu’elle y touche avec sa mine _froide_? (_Dép. am._ I. 1.) _Oi_ sonnait dans l’origine _oué_[64]. On prononçait donc _frouéde_, d’où, par allégement, _fréde_, comme on prononce encore _roide_, que l’on commence à écrire _raide_. C’est une inconséquence de prononcer, comme nous faisons, _froide_ et _rède_. [64] J’ai développé ce point dans les _Variations du lang. fr._, p. 177, 301 et suivantes. VALÈRE. Que vient de te donner cette farouche _bête_? ERGASTE. Cette lettre, monsieur, qu’avecque cette _boîte_ On prétend qu’ait reçue Isabelle de vous. (_Éc. des mar._ II. 8.) On prononçait _bouéte_. Quelques textes imprimés du XVIe siècle l’écrivent même de la sorte, ainsi que les mots _vouele_, _mirouer_, etc., pour _voile_, _miroir_. Une tête de barbe, avec l’étoile _nette_; L’encolure d’un cygne, effilée et bien _droite_. (_Fâcheux._ II. 7.) D’abord j’appréhendai que cette ardeur _secrète_ Ne fût du noir esprit une surprise _adroite_. (_Tart._ III. 3.) Qui va là?--Hé! ma peur à chaque pas _s’accroist_! Messieurs, ami de tout le monde. Ah! quelle audace sans seconde De marcher à l’heure qu’il _est_! (_Amph._ I. 1.) Toutes ces rimes eussent été exactes au moyen âge, et même encore au XVIe siècle, lorsque Marguerite d’Angoulême, Saint-Gelais et les autres faisaient rimer _étoiles_ et _demoiselles_, _paroisse_ et _pécheresse_. Alors on rimait encore pour l’oreille seule; c’est seulement au XVIIe siècle que s’introduisit la coutume vraiment barbare de rimer pour les yeux. La prononciation de la syllabe _oi_ avait changé; mais les poëtes ne voulurent pas renoncer aux anciens priviléges, et ils sacrifièrent la rime véritable pour garder la facilité de rimer en apparence. OMBRAGE; UN OMBRAGE, un soupçon, ou plutôt la disposition à soupçonner: Quand d’_un injuste ombrage_ Votre raison saura me réparer l’outrage. (_D. Garcie._ I. 3.) --OMBRAGES, au pluriel, dans le même sens: Et que de votre esprit _les ombrages_ puissants Forcent mon innocence à convaincre vos sens... (_D. Garc._ IV. 8.) Qu’injustement de lui vous prenez de l’_ombrage_. (_Mis._ II. 1.) OMBRE; A L’OMBRE DE, figurément, sous la protection de...: Je souhaiterois que notre mariage se pût faire _à l’ombre du leur_. (_B. gent._ III. 7.) --OMBRES, apparences: Mais aux _ombres du crime_ on prête aisément foi. (_Mis._ III. 5.) Vos mines et vos cris aux _ombres d’indécence_ Que d’un mot ambigu peut avoir l’innocence. (_Ibid._) ON; deux ON se rapportant à deux sujets différents: Cette faute est très-fréquente dans Molière: Au moins en pareil cas est-ce un bonheur bien doux Quand _on_ sait qu’_on_ n’a pas d’avantage sur nous. (_Dép. am._ II. 4.) Moins _on_ mérite un bien qu’_on_ nous fait espérer, Plus notre âme a de peine à pouvoir s’assurer. (_D. Garcie._ II. 6.) Je ne sais point par où l’_on_ a pu soupçonner Cette assignation qu’_on_ m’avoit su donner. (_Éc. des fem._ V. 2.) Et l’ennui qu’_on_ auroit que ce nœud qu’_on_ résout Vînt partager du moins un cœur que l’_on_ veut tout. (_Tart._ IV. 5.) Le premier et le dernier _on_ désignent Elmire elle-même; l’intermédiaire se rapporte à Orgon, et au mariage qu’il a résolu de Marianne avec Tartufe. Mais puisque l’_on_ (Orgon) s’obstine à m’y vouloir réduire, Puisqu’_on_ ne veut point croire à tout ce qu’_on_ (Elmire) peut dire, Et qu’_on_ (Orgon) veut des témoins qui soient plus convaincants, Il faut bien s’y résoudre et contenter les gens. (_Ibid._ IV. 5.) L’embarras d’Elmire, obligée de parler à double sens, peut servir peut-être d’excuse à cet endroit, et donner du moins à cette ambiguïté un air très-naturel. Que chez vous _on_ vit d’étrange sorte, Et qu’_on_ ne sait que trop la haine qu’_on_ lui porte. (_Ibid._ V. 3.) _On_ vit chez vous d’étrange sorte, et _je_ ne sais que trop la haine que _vous_ lui portez. _On_ n’attend pas même qu’_on_ en demande (du tabac). (_D. Juan._ I. 1.) Veut-_on_ qu’_on_ rabatte, Par des moyens doux, Les vapeurs de rate Qui nous minent tous? Qu’_on_ laisse Hippocrate, Et qu’on vienne à nous. (_Am. méd._ III. 8.) Le premier _on_ désigne le malade, le second, le médecin qui rabat les vapeurs. Ou bien les deux _on_ se rapportent tous deux au malade, et la phrase revient à celle-ci: _veut-on rabattre?_ Dans ce dernier cas, la tournure est entortillée, inusitée. Molière ne donnait pas beaucoup d’attention au style de ces divertissements. Et la plus glorieuse (estime) a des régals peu chers, Dès qu’_on_ voit qu’_on_ nous mêle avec tout l’univers. (_Mis._ I. 1.) Celui qui se voit mêlé n’est pas celui qui mêle. Et qu’eût-_on_ d’autre part cent belles qualités, _On_ regarde les gens par leurs méchants côtés. (_Ibid._ I. 2.) La personne qui a cent belles qualités n’est pas celle qui regarde les gens par leurs méchants côtés. Molière a parlé plus correctement dans cet autre passage: Et l’_on_ a tort ici de nourrir dans votre âme Ce grand attachement aux défauts qu’_on_ y blâme. (_Ibid._ II. 5.) Parce qu’il est possible que Célimène soit blâmée par ceux même qui en sa présence ont le tort de nourrir son penchant à la raillerie. Les exemples suivants sont irréprochables: En vain de tous côtés _on_ l’a voulu tourner; Hors de son sentiment _on_ n’a pu l’entraîner. (_Ibid._ IV. 1.) Et lorsque d’en mieux faire (des vers) _on_ n’a pas le bonheur, _On_ ne doit de rimer avoir aucune envie, Qu’_on_ n’y soit condamné sur peine de la vie. (_Ibid._) La faute reparaît dans: Mais croyez-vous qu’_on_ l’aime, aux choses qu’_on_ peut voir? (_Ibid._) _On_ lève les cachets, qu’_on_ ne l’aperçoit pas. (_Amph._ III. 1.) Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les receleurs des choses qu’_on_ dérobe, et je voudrois qu’_on_ en eût fait pendre quelqu’un. (_L’Av._ I. 3.) _On_ ne peut servir à désigner tout à la fois le voleur et le juge qui le fait pendre. Molière, parlant en prose, et pour son propre compte, commet cette faute; ce qui achève de montrer combien elle lui était familière, ou que ce n’était point alors une faute reconnue: _On_ n’ignore pas que souvent _on_ l’a détournée de son emploi (la philosophie) ............... Mais _on_ ne laisse pas pour cela de faire les distinctions qu’il est besoin de faire: _on_ n’enveloppe point dans une fausse conséquence la bonté des choses que l’_on_ corrompt, avec la malice des corrupteurs................... Et puisque l’_on_ ne garde point cette rigueur à tant de choses dont _on_ abuse tous les jours, _on_ doit bien faire la même grâce à la comédie. (_Préf. de Tartufe._) Est-_on_ d’une figure à faire qu’_on_ se raille? (_Psyché._ I. 1.) Aglaure veut dire: Suis-je d’une figure à faire qu’on se raille? Et, pour donner toute son âme, Regarde-t-_on_ quel droit _on_ a de nous charmer? (_Ibid._ I. 2.) Cette négligence est très-commune dans les premiers écrivains du XVIIe siècle; c’est un des progrès incontestables de l’époque suivante de l’avoir proscrite. «_On_ amorce le monde avec de tels portraits; «Pour les faire surprendre on les apporte exprès: «On s’en fâche, on fait bruit, on vous les redemande; «Mais on tremble toujours de crainte qu’_on_ les rende.» (CORN. _La Suite du Menteur._ II. 7.) «Si ces personnes étoient en danger d’être assassinées, s’offenseroient-elles de ce que _on_ les avertiroit de l’embûche qu’_on_ leur dresse?... S’amuseroient-elles à se plaindre du peu de charité qu’_on_ auroit eu de découvrir le dessein criminel de ces assassins?» (PASCAL. 11e _Prov._) «En vérité, mes pères, voilà le moyen de vous faire croire jusqu’à ce qu’_on_ vous réponde; mais c’est aussi le moyen de faire qu’_on_ ne vous croie jamais plus après qu’_on_ vous aura répondu.» (15e _Prov._) Celui qui répond aux jésuites, et celui qui leur ajoutait foi jusqu’au moment de cette réponse, sont évidemment deux personnes différentes. ON DIRAIT DE..., cela ressemble à: Et _l’on diroit d’_un tas de mouches reluisantes Qui suivent en tous lieux un doux rayon de miel. (_Mélicerte._ I. 3.) Ce n’est pas que le verbe _dire_ s’emploie jamais pour _ressembler_. Cette formule _on dirait de_, correspondant au présent _cela ressemble à_, suppose une ellipse: On dirait (la même chose) de... donc, cela ressemble à... OPÉRA, en langage de gastronome: ... Et pour son _opéra_, d’une soupe à bouillon perlé, etc. (_B. gent._ IV. 1.) _Son opéra_ signifie ici _son chef-d’œuvre_. «Opéra, dit Bouhours, se prend encore pour une chose excellente et pour un chef-d’œuvre.» Scarron écrit: «Toutes vos lettres sont admirables! ce sont ce qu’on appelle _des opéra_.» _Capi d’opera_, des _chefs-d’œuvre_. OPÉRER, amener un résultat: Vous avez _bien opéré_ avec ce beau monsieur le comte, dont vous êtes embéguiné! (_Bourg. gent._ III. 3.) --OPÉRER DANS QUELQUE CHOSE: AGNÈS. Vous avez _là-dedans bien opéré_, vraiment! (_Éc. des fem._ V. 4.) OPINIATRETÉ CIVILE: Vous avez une _civile opiniâtreté_ qui, etc. (_B. gent._ III. 18.) ORDRE; PAR ORDRE, comme en latin _ex ordine_: Eh bien! qu’est-ce? M’as-tu tout parcouru _par ordre_? (_Amph._ III. 2.) Des pieds à la tête, en détail. ORDURES, au figuré: Chaque instant de ma vie est chargé de souillures; Elle n’est qu’un amas de crimes et _d’ordures_. (_Tart._ III. 6.) Pascal a employé _ordure_ au singulier, dans le même sens: «Que le cœur de l’homme est creux et plein _d’ordure_!» (_Pensées._ p. 175.) _Ordure_ est formé de l’ancien adjectif _ord_, qui vient lui-même de _sordidus_, en lui ôtant la première lettre et les deux dernières syllabes. Nicot donne les verbes _ordir_ et _ordoyer_, qui signifient _salir_, _souiller_. _Ordir_ est le latin _sordere_, devenu de verbe neutre verbe actif: «Trop grande privauté et accointance d’hommes derechef engendre diffame, et _ordoye_ la renommée des femmes très-honnestes.» (_Anc. trad. de_ BOCCACE, _Des Nobles malheureux_. liv. 9.) OU, _ubi_: Molière paraît avoir eu une aversion décidée pour _lequel_, comme relatif. (Voyez LEQUEL.) On ne rencontre presque jamais chez lui ces façons de parler, _auquel_, _par lequel_, _dans lequel_, _vers lequel_, _à l’aide duquel_, _au sujet desquels_, etc.; au lieu de ces détours et de ces syllabes vides, Molière emploie brusquement _où_. _Où_ se place chez lui toutes les fois qu’il s’agit d’exprimer la relation du datif ou de l’ablatif. A, Y, où, sont pour Molière trois termes corrélatifs. Toute phrase qui admettrait l’un, admettra les deux autres. Comme cet emploi de _où_ est très-commode, très-vif, et tout à fait condamné ou perdu de nos jours, j’ai cru devoir en rassembler tous les exemples fournis par Molière, pour bien faire apprécier ce parti pris du grand écrivain, et les avantages qu’il en tire. La série sera un peu longue: je la divise en exemples dans les vers, et exemples dans la prose. Exemples dans les vers: Nous avons eu querelle Sur l’hymen d’Hippolyte, _où_ je le vois rebelle. (_L’Ét._ I. 9.) Je sais un sûr moyen Pour rompre cet achat, _où_ tu pousses si bien. (_Ibid._ 10.) Mais cessez, croyez-moi, de craindre pour un bien _Où_ je serois fâché de vous disputer rien. (_Ibid._ III. 3.) Vous avez vu ce fils _où_ mon espoir se fonde? (_Ibid._ IV. 3.) Mon âme embarrassée Ne voit que Mascarille _où_ jeter sa pensée. (_Dép. am._ III. 6.) Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner _Où_, de droit absolu, j’ai pouvoir d’ordonner? (_Sgan._ 1.) ... Un cœur qui jamais n’a fait la moindre chose A mériter l’affront _où_ ton mépris l’expose. (_Ibid._ 16.) Rien ne me reprochoit Le tendre mouvement _où_ mon âme penchoit. (_D. Garcie._ I. 1.) Puisque chez notre sexe, _où_ l’honneur est puissant... (_Ibid._) Ah! souffrez, dans les maux _où_ mon destin m’expose. (_Ibid._ III. 2.) Oui, le trépas cent fois me semble moins à craindre Que cet hymen fatal _où_ l’on me veut contraindre. (_D. Garc._ III. 1.) Entretenir ce soir cet amant sous mon nom, Par la petite rue _où_ ma chambre répond. (_Ibid._ III. 2.) Et pour justifier cette intrigue de nuit _Où_ me faisoit du sang relâcher la tendresse..... (_Ibid._) Elle pourroit se plaindre Du peu de retenue _où_ j’ai su me contraindre. (_Ibid._) Les noces _où_ j’ai dit qu’il vous faut préparer. (_Éc. des fem._ III. 1.) Considérez un peu, par ce trait d’innocence, _Où_ l’expose d’un fou la haute impertinence. (_Ibid._ V. 2.) Elle a de certains mots _où_ mon dépit redouble. (_Ibid._ V. 4.) Et qu’un premier coup d’œil allume en nous les flammes _Où_ le ciel en naissant a destiné nos âmes. (_Pr. d’Él._ I. 1.) L’estime _où_ je vous tiens ne doit pas vous surprendre. (_Mis._ I. 2.) J’estime plus cela que la pompe fleurie De tous ces faux brillants _où_ chacun se récrie. (_Ibid._) Des vices _où_ l’on voit les humains se répandre. (_Ibid._ II. 5.) Enfin, toute la grâce et l’accommodement _Où_ s’est avec effort plié son sentiment, C’est de dire, etc. (_Ibid._ IV. 1.) Pour moi, plus je le vois, plus surtout je m’étonne De cette passion _où_ son cœur s’abandonne. (_Ibid._) Et je sais encor moins comment votre cousine Peut être la personne _où_ son penchant l’incline. (_Ibid._) Je vous promets ici d’éviter sa présence, De faire place au choix _où_ vous vous résoudrez. (_Mélicerte._ II. 4.) Vous devez n’avoir soin que de me contenter. --C’est _où_ je mets aussi ma gloire la plus haute. (_Tart._ II. 1.) Fort bien! c’est un recours _où_ je ne songeois pas. (_Ibid._ II. 3.) Au plus beau des portraits _où_ lui-même il s’est peint. (_Ibid._ III. 3.) De vos regards divins l’ineffable douceur Força la résistance _où_ s’obstinoit mon cœur. (_Ibid._) Il suffit qu’il se rende plus sage, Et tâche à mériter la grâce _où_ je m’engage. (_Ibid._ III. 4.) Et ce sont des papiers, à ce qu’il m’a pu dire, _Où_ sa vie et ses biens se trouvent attachés. (_Ibid._ V. 1.) Aux différents emplois _où_ Jupiter m’engage. (_Amph._ Prol.) Si votre cœur, charmante Alcmène, Me refuse la grâce _où_ j’ose recourir... (_Amph._ II. 6.) Non, il faut qu’il ait le salaire Des mots _où_ tout à l’heure il s’est émancipé. (_Ibid._ III. 4.) Ayez, je vous prie, agréable De venir honorer la table _Où_ vous a Sosie invités. (_Ibid._ III. 5.) J’aurois mauvaise grâce De maltraiter l’asile et blesser les bontés _Où_ je me suis sauvé de toutes vos fiertés. (_Fem. sav._ IV. 2.) Et les soins _où_ je vois tant de femmes sensibles Me paroissent aux yeux des pauvretés horribles. (_Ibid._ I. 1.) Mais vous qui m’en parlez, _où_ la pratiquez-vous? (_Ibid._ I. 2.) Et l’hymen d’Henriette est le bien _où_ j’aspire. (_Ibid._. I. 4.) Et la pensée enfin _où_ mes vœux ont souscrit.... (_Ibid._ III. 6.) Cette pureté _Où_ du parfait amour consiste la beauté. (_Ibid._ IV. 2.) Et madame doit être instruite par sa sœur De l’hymen _où_ l’on veut qu’elle apprête son cœur. (_Ibid._ IV. 7.) Il est une retraite _où_ notre âme se donne. (_Ibid._ IV. 8.) C’est sur le mariage _où_ ma mère s’apprête Que j’ai voulu, monsieur, vous parler tête à tête. (_Ibid._ V. 1.) Le don de votre main _où_ l’on me fait prétendre. (_Ibid._) Deux époux! C’est trop pour la coutume.--_Où_ vous arrêtez-vous? (_Ibid._ V. 3.) Suivez, suivez, monsieur, le choix _où_ je m’arrête. (_Ibid._) Molière a même employé _où_, rapporté à un nom de personne, pour _à qui_: Et ne permettez pas....... Que votre amour, qui sait quel intérêt m’anime, S’obstine à triompher d’un refus légitime, Et veuille que ce frère _où_ l’on va m’exposer Commence d’être roi pour me tyranniser. (_D. Garcie._ V. 5.) Et je n’en veux l’éclat que pour avoir la joie D’en couronner l’objet _où_ le ciel me renvoie. (_Ibid._) Le véritable Amphitryon Est l’Amphitryon _où_ l’on dîne. (_Amph._ III. 5.) _Où_, dans ce dernier exemple, est adverbe de lieu: _dans la maison de qui_. Les Latins de même ont quelquefois employé _ubi_ en relation avec un nom de personne: «Neque nobis præter te quisquam fuit _ubi_.....» (CICÉRON), pour _apud quem_. Exemples dans la prose: C’est elle (la contrainte) qui me fait passer sur des formalités _où_ la bienséance du sexe oblige. (_Éc. des mar._ II. 8.) Est-il rien de si bas que quelques mots _où_ tout le monde rit? (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) Eh! sans sortir de la cour, n’a-t-il pas (Molière) vingt caractères de gens _où_ il n’a point touché? (_Impromptu._ 3.) Vous ne sauriez m’ordonner rien _où_ je ne réponde aussitôt par une obéissance aveugle. (_Pr. d’Él._ II. 4.) Et rends à chacune les tributs _où_ la nature nous oblige. (_D. Juan._ I. 2.) Laissons là la médecine, _où_ vous ne croyez point. (_Ibid._ III. 1.) Une grimace nécessaire _où_ je veux me contraindre. (_Ibid._ V. 2.) Tous les dérèglements criminels _où_ m’a porté le feu d’une aveugle jeunesse. (_Ibid._ V. 3.) Serait-ce quelque chose _où_ je vous puisse aider? (_Méd. m. lui._ I. 5.) Je viens tout à l’heure de recevoir des lettres _par où_ j’apprends que mon oncle est mort. (_Ibid._ III. 11.) Je te pardonne ces coups de bâton, en faveur de la dignité _où_ tu m’as élevé. (_Ibid._ III. 11.) Vous repentez-vous de cet engagement _où_ mes feux ont su vous contraindre? (_L’Av._ I. 1.) C’en est assez à mes yeux pour me justifier l’engagement _où_ j’ai pu consentir. (_Ibid._) C’est une chose _où_ vous ne me réduirez point. (_Ibid._ I. 6.) C’est un parti _où_ il n’y a point à redire. (_Ibid._) C’est une chose _où_ l’on doit avoir de l’égard. (_Ibid._ I. 7.) Elle n’aime ni les superbes habits, ni les riches bijoux, ni les meubles somptueux, _où_ donnent ses pareilles avec tant de chaleur. (_Ibid._ II. 6.) Les alarmes d’une personne toute prête à voir le supplice _où_ l’on veut l’attacher. (_Ibid._ III. 8.) C’est ici une aventure _où_ sans doute je ne m’attendais pas. (_Ibid._ III. 11.) C’est un mariage _où_ vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance. (_Ibid._) Quand je pourrois passer sur la quantité d’égards _où_ notre sexe est obligé... (_Ibid._ IV. 1.) Ce sont des suites fâcheuses _où_ je n’ai garde de me commettre. (_L’Av._ IV. 31) Ce ne sont point ici des choses _où_ les enfants soient obligés de déférer aux pères. (_Ibid._) C’est une chose _où_ tu m’obliges par la soumission et le respect _où_ tu te ranges. (_Ibid._ IV. 5.) Je ne vois pas.... le supplice _où_ vous croyez que je puisse être condamné pour notre engagement. (_Ibid._ V. 5.) Une journée de travail _où_ je ne gagne que dix sols. (_G. D._ I. 2.) Si j’avois étudié, j’aurois été songer à des choses _où_ on n’a jamais songé. (_Ibid._ III. 1.) Voilà un coup sans doute _où_ vous ne vous attendiez pas! (_Ibid._ III. 8.) C’est une chose _où_ je ne puis consentir. (_Ibid._ III. 12.) Voilà une connoissance _où_ je ne m’attendois point. (_Pourc._ I. 7.) C’est une chose _où_ il y va de l’intérêt du prochain. (_Ibid._ II. 4.) Les sentiments d’estime et de vénération _où_ votre personne m’oblige. (_Ibid._ III. 9.) Je renonce à la gloire _où_ elles veulent m’élever. (_Am. magn._ III. 1.) Le ciel ne sauroit rien faire _où_ je ne souscrive sans répugnance. (_Ibid._) Un mariage _où_ je ne me sens pas encore bien résolue. (_Ibid._ IV. 1.) Une aventure merveilleuse _où_ personne ne s’attendoit. (_Ibid._ V. 1.) Que vous arrive-t-il à tous deux _où_ vous ne soyez préparés? (_Ibid._ V. 4.) Je ne veux pas me donner un nom _où_ d’autres en ma place croiroient prétendre. (_B. gent._ III. 12.) C’est une chose _où_ je ne consentirai point. (_Ibid._) Cette feinte _où_ je me force n’étant que pour vous plaire..... (_Comtesse d’Esc._ 1.) Or çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle _où_ peut-être ne vous attendez-vous pas. (_Mal. im._ I. 5.) Elle m’a expliqué vos intentions, et le dessein _où_ vous êtes pour elle. (_Ibid._ I. 9.) Ces divers emplois de _où_, y compris la relation à un nom de personne, sont autorisés par l’usage constant des plus anciens monuments de notre langue: «_Où_ aurai-je fiance?» (_R. de Coucy_), pour à qui me fierai-je? --«Karlon, le roi _où_ France apent.» (_Les quatre fils Aymon_); à qui appartient la France. «Les fils Garin, _où_ tant a de fierté.» (_Gérars de Viane._) «Trestous li Deu _où_ croient les François.» (_Ogier le Danois._) «_Où_ pensez-vous, frère Symon? «Je pens, fait-il, à un sermon «Le meilleur _où_ je pensasse oncques.» (RUTEBEUF.) «Et _les gens_ au monde pour la santé _où_ plus il avoit de fiance (Charles V), c’estoit en bons maistres medecins.» (FROISSART. _Chron._ II. ch. 70.) On en citerait des exemples innombrables de Montaigne, de Regnier, de Rabelais, etc.; il n’y a qu’à ouvrir le volume. En voici de Bossuet et de Pascal: «Les Égyptiens sont les premiers _où_ l’on ait su les règles du gouvernement.» (BOSSUET. _Hist Un._) «Ils (les rois) assistoient à une prière pleine d’instruction, _où_ le pontife prioit les dieux, etc.....» (_Ibid._) «Ils ont pris un si grand soin de les rétablir parmi les peuples _où_ la barbarie les avoit fait oublier... etc.» (_Ibid._) «Le premier de tous les peuples _où_ l’on voie des bibliothèques est celui d’Égypte.» (_Ibid._) «Si un animal faisoit par esprit ce qu’il fait par instinct, et s’il parloit par esprit ce qu’il parle par instinct....... il parleroit aussi bien pour dire des choses _où_ il a plus d’affection, comme pour dire: Rongez cette corde qui me blesse, et _où_ je ne puis atteindre.» (PASCAL. _Pensées._) «Mais pensez un peu _où_ vous vous engagez.» (PASCAL. 12e _Prov._) «Mais parce qu’il faut que le nom de simonie demeure, et qu’il y ait un sujet _où_ il soit attaché...» (_Ibid._) «Voilà la doctrine de Vasquez, _où_ vous renvoyez vos lecteurs pour leur édification.» (_Ibid._) «Je ne vous dirai rien cependant sur les avertissements pleins de faussetés scandaleuses _par où_ vous finissez chaque imposture.» (_Ibid._) «Les méchants desseins des molinistes, que je ne veux pas croire sur sa parole, et _où_ je n’ai point d’intérêt.» (1re _Prov._) «Une action si grande, _où_ ils tiennent la place de Dieu.» (14e _Prov._) Enfin tout le XVIIe siècle a ainsi parlé, et une partie du XVIIIe. C’est de nos jours seulement qu’on a prétendu restreindre _où_ à marquer l’alternative ou le lieu, et qu’on a imposé ces affreuses locutions traînantes _par laquelle_, _dans lesquels_, _à l’aide desquels_, _chez lesquels_, _par rapport auxquelles_, etc., etc. Sur ces deux vers de Corneille, «Et c’est je ne sais quoi d’abaissement secret «_Où_ quiconque a du cœur ne descend qu’à regret,» (_Ép. à Ariste._) Voltaire a eu le tort d’écrire lestement: «Cela n’est pas français.» Racine n’a donc pas non plus parlé français lorsqu’il a dit: «Et voilà donc l’hymen _où_ j’étois destinée?» (_Iphigénie._ III. 5.) et Voltaire lui-même: «Pardonne à cet hymen _où_ j’ai pu consentir.» (_Alzire._ III. 1.) «La honte _où_ je descends de me justifier.» (_Zaïre._ IV. 6.) «Sais-tu l’excès d’horreur _où_ je me vois livrée?» (_Mérope._ IV. 4.) Alléguer les priviléges de la poésie est une défaite ridicule, qui n’a pu naître que dans un temps où l’on avait perdu le sentiment vrai des choses, et où le raisonnement bannissait la raison. Est-ce qu’un solécisme en prose peut devenir légitime au moyen d’une rime? Il serait absurde de le penser. On me permettra de répéter ici ce que j’ai déjà dit ailleurs: «Ouvrez la _Grammaire des grammaires_; vous allez être bien édifié! elle distingue _où_ adverbe, _où_ pronom absolu, et _où_ pronom relatif (le pronom relatif _ubi_!). Elle permet ce dernier _où_, _avec un verbe qui marque une sorte de localité physique ou morale_. Mais elle avoue que la poésie s’en sert quelquefois en des cas où il n’y a pas _localité physique ou morale_. «C’est à ces faiseurs de galimatias double qu’est abandonnée la police de notre langue! Ce sont là nos instructeurs, et les juges en dernier ressort de Molière, de Pascal, de Bossuet, de tous nos grands écrivains! Il fallait effectivement moins de génie pour composer _Tartufe_ ou les _Provinciales_, que pour surprendre _le pronom_ où _dans une localité morale_.» Reprenons donc, il en est temps, une façon de parler vive, commode, excellente, que nous sommes en train de remplacer par la plus lourde et la plus insipide. --où, pour _jusqu’où_: Je ne sais qui me tient, infâme, Que je ne t’arrache les yeux, Et ne t’apprenne _où_ va le courroux d’une femme. (_Amph._ II. 3.) --où, faisant pléonasme où nous mettrions _que_: Et c’est _dans_ cette allée _où_ devroit être Orphise. (_Fâcheux._ I. 1.) «C’est _ici où_ je veux vous faire sentir la nécessité de nos casuistes.» (PASCAL. 7e _Prov._) «C’est _là où_ vous verrez la dernière bénignité de la conduite de nos pères.» (Id. 9e _Prov._) --OU (ou bien), pour _ni_: Monsieur, j’ai grande honte et demande pardon D’être sans vous connoître _ou_ savoir votre nom. (_Tart._ V. 4.) --OU NON, transporté devant le verbe sur lequel porte l’alternative: Je ne vais point chercher, pour m’estimer heureux, Si Mascarille _ou non s’arrache_ les cheveux. (_Dép. am._ I. 1.) Ce n’est point _Mascarille ou non_, c’est _s’arrache ou non_. En prose, _ou bien_ n’étant pas contraint par le besoin de la mesure, Molière eût suivi la construction ordinaire. --OU SI, complément d’une interrogation par _il_, après une troisième personne: Mon cœur _court-il_ au change? _ou si_ vous l’y poussez? (_Fem. sav._ IV. 2.) OUS, pour _vous_, dans le langage des paysans: PIERROT. Je vous dis qu’_ous_ vous teigniois, et qu’_ous_ ne caressiez point nos accordées.... Testiguenne, parce qu’_ous_ êtes monsieur!.... (_D. Juan._ II. 3.) Cette suppression du _v_, suggérée en certains cas par l’instinct de l’euphonie, était régulière et du bon langage dans le vieux français. Dans la Bourse pleine de sens, de Jean le Gallois d’Aubepierre (XIIIe siècle): «_N’avous honte?_--Dame, de quoi?» Dans la farce de Pathelin, qui est du XVe siècle: LE DRAPIER. «Et qu’est cecy? _n’avous_ pas honte? «Par mon serment c’est trop desvé.» LE JUGE. «Comment, vous avez la main haute! «_A’vous_ mal aux dens, maistre Pierre?» MAISTRE JEHAN (à Pathelin malade): Or, dictes _Benedicite_. PATHELIN. _Benedicite_, monseigneur. MAISTRE JEHAN. Et voicy une grant hydeur! _Sça’vous_ réspondre _Dominus_? (_Le testament de Pathelin._) Et encore, au XVIe siècle, cette syncope était maintenue à la cour de François Ier. La reine de Navarre l’emploie dans ses poésies, écrites dans le style le plus élevé du temps: «Pourquoi _a’vous_ espousé l’estrangière?.... «Mais qu’_a’vous_ faict, voyant ma repentance?...» (_Le Miroir de l’Ame pescheresse._) Théodore de Bèze consacre cette apocope par une règle formelle. (_De linguæ fran. recta pronuntiatione_, p. 84.) (Voyez JE.) OUTRÉS DE; CONTES OUTRÉS D’EXTRAVAGANCE: Quoi! tu me veux donner pour des vérités, traître, Des _contes_ que je vois _d’extravagance outrés_? (_Amph._ II. 2.) OUVERTURE; FAIRE UNE OUVERTURE: S’il faut _faire_ à la cour pour vous _quelque ouverture_. (_Mis._ I. 2.) Bossuet dit: _donner ouverture à..._ «Le roi n’avoit point _donné d’ouverture_ ni de prétexte aux excès sacriléges.....» (_Or. fun. de la R. d’A._) (Voyez OUVRIR.) OUVRIER DE, comme _ouvrier en_: On n’a guère vu d’homme qui fût plus habile _ouvrier de ressorts et d’intrigues_. (_Scapin._ I. 2.) On dit de même, un artisan de troubles. --OUVRIERS en deux syllabes: On est venu lui dire, et par mon artifice, Que les _ouvriers_ qui sont après son édifice.... (_L’Ét._ II. 1.) Primitivement l’_i_, dans toutes ces finales en _ier_, ne sonnait pas; il ne servait qu’à marquer l’accent fermé de l’_é_. Ainsi l’on prononçait _un sangler_, _un boucler_, _un rocher_, _un verger_, _se coucher_. Peu à peu l’on en est venu à faire entendre l’_i_ dans quelques-uns de ces mots, sans pour cela modifier la règle de versification qui les concernait, et l’on s’est récrié sur la barbarie d’oreille de nos pères, quand il n’y avait lieu que d’admirer le peu de mémoire de leurs enfants. En effet, pourquoi dites-vous _un sanglier_, et ne dites-vous pas _un rochier_? Pourquoi avez-vous altéré l’orthographe de l’un, et point celle de l’autre? Pourquoi avez-vous introduit la disparité d’écriture et de prononciation entre des mots qui s’écrivaient et se prononçaient jadis de même? OUVRIR; OUVRIR DES IDÉES: Je le dois, sire (le succès), à l’ordre qu’elle (Votre Majesté) me donna d’y ajouter un caractère de fâcheux, dont elle eut la bonté de _m’ouvrir les idées elle-même_... (_Ép. dédic. des Fâcheux._) «La vérité qui _ouvre ce mystère_.» (PASCAL. _Pensées._) --OUVRIR DU SECOURS: Et contre cet hymen _ouvre-moi du secours_. (_Tart._ II. 3.) --OUVRIR LES PREMIÈRES PAROLES, comme _ouvrir un avis_: Au moins appuyez-moi, Pour en avoir _ouvert les premières paroles_. (_Fâcheux._ III. 3.) --OUVRIR L’OCCASION DE: D’autant mieux qu’ayant entrepris de vous peindre, _ils vous ouvroient l’occasion_ de la peindre aussi. (_Impromptu._ 1.) --OUVRIR SES SENTIMENTS, SON INTENTION, comme _ouvrir son cœur_: Non, non, ma fille; vous pouvez sans scrupule _m’ouvrir vos sentiments_. (_Am. magn._ IV. 1.) C’est à quoi j’ai songé, Et je vous veux _ouvrir l’intention que j’ai_. (_Fem. sav._ II. 8.) --OUVRIR UN MOYEN: Ne me pourriez-vous point _ouvrir quelque moyen_? (_Éc. des fem._ III. 4.) (Voyez OUVERTURE.) PAIN BÉNIT; C’EST PAIN BÉNIT: C’est conscience à ceux qui s’assurent en nous, Mais _c’est pain bénit_, certe, à des gens comme vous. (_Éc. des mar._ I. 3.) C’est-à-dire: aux gens de votre sorte, cela vient aussi naturellement que le pain bénit à la messe. --PAIN DE RIVE, terme technique de gastronomie: Il ne manqueroit pas de vous parler d’un _pain de rive_ à biseau doré.... (_B. gent._ IV. 1.) Pain qui, ayant été placé sur la rive, c’est-à-dire, sur le bord du four, n’a point touché les autres pains, et se trouve cuit et doré tout alentour. PAMER, verbe neutre, pour _se pâmer_: Madame, D’où vous pourroit venir... Ah bons dieux! elle pâme! (_Sgan._ 2.) Dans ses simplicités à tous coups je l’admire, Et parfois elle en dit dont _je pâme_ de rire. (_Éc. des fem._ I. 1.) On n’en peut plus.--_On pâme._--On se meurt de plaisir. (_Fem. sav._ III. 2.) «Sire, on _pâme_ de joie ainsi que de tristesse.» (CORN. _Le Cid._) (Voyez ARRÊTER.) PAQUET, métaphoriquement au figuré, accident, surprise: Ah! le fâcheux _paquet_ que nous venons d’avoir! (_L’Ét._ II. 13.) PAR; CONDAMNER PAR, à cause de: J’ai ouï condamner cette comédie à de certaines gens, _par les mêmes choses_ que j’ai vu d’autres estimer le plus. (_Crit. de l’École des fem._ 6.) --PAR, par rapport à, du côté de: Les hommages ne sont jamais considérés _par_ les choses qu’ils portent. (_Ép. dédic. de l’École des maris._) C’est-à-dire qu’en un présent l’intention est plus considérable que la valeur de l’objet offert. L’expression de Molière paraît obscure en cet endroit; elle est très-claire dans ce vers: On regarde les gens _par_ leurs méchants côtés. (_Mis._ I. 2.) --PAR, parmi: D’abord leurs escoffions ont volé _par_ la place. (_L’Ét._ V. 14.) Parmi la place, dans le milieu de la place. Suivez-moi, que j’aille un peu montrer mon habit _par_ la ville. (_B. gent._ III. 1.) (Voyez PARMI.) --PAR UN MALHEUR, par malheur; Et moi, _par un malheur_, je m’aperçois, madame, Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme. (_Fem. sav._ IV. 2.) --DE PAR: Eh! _de par Belzébut_, qui vous puisse emporter! (_Sgan._ 6.) L’exactitude voudrait qu’on écrivît _de part_ avec un _t_: _ex parte Beelzebut_, de la part de Belzébut. Le rapport du génitif, aujourd’hui marqué par _de_, l’était primitivement par la simple juxtaposition. Les plus anciens textes écrivent _de part_:--«_De part_ nostre Seigneur» (_Rois_, 144, 289, 292.)--«Samuel li prophetes vint à Saül _de part_ Deu.» (_Rois_, 53.) _De part Dieu_, aujourd’hui _pardieu_, opposé à _de part le diable_ ou _de part Béelzebut_. (Voyez PAR SOI, et _des Variations du langage français_, p. 410.) PARAGUANTE, de l’espagnol _para guantes_, _pour (acheter) des gants_; ce qu’on appelle en allemand _Trinkgeld_, en français _pour boire_: Dessus l’avide espoir de quelque _paraguante_, Il n’est rien que leur art aveuglément ne tente. (_L’Ét._ IV. 9.) PARAITRE AUX YEUX pour _paraître simplement_: La géante _paroît_ une déesse _aux yeux_. (_Mis._ II. 5.) Et les soins où je vois tant de femmes sensibles Me _paroissent aux yeux_ des pauvretés horribles. (_Fem. sav._ I. 1.) --FAIRE PARAÎTRE, montrer, manifester: Nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu’il _nous fait paroître_. (_Impromptu._ 10.) Quels sentiments aurai-je à lui _faire paroître_? (_Tart._ V. 4.) Mais ma discrétion _se veut faire paroître_. (_Tart._ III. 3.) Mais si son amitié pour vous _se fait paroître_... (_Mis._ I. 1.) «Une amitié paraît, et ne se fait point paraître. On fait paraître ses sentiments, et les sentiments se font connaître.» (VOLTAIRE. _Mél._ t. XXXIX, p. 226.) Cette critique de Voltaire ne constate que l’usage du XVIIIe siècle; mais est-ce à dire que tout ce qui s’écarte de l’usage du XVIIIe siècle soit mauvais par cela seul? Le XVIIIe siècle, malheureusement, fut trop persuadé de la vérité de ce principe. Pour en juger ainsi vous avez vos raisons; Mais vous trouverez bon qu’on en puisse avoir d’autres, Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres. Voltaire croyait sans doute que cette expression, _se faire paraître_, était créée par Molière pour le besoin de sa rime; il se trompait: «Il y a si peu de personnes à qui Dieu _se fasse paroître_ par ces coups extraordinaires, qu’on doit profiter de ces occasions.» (PASCAL. _Pensées._ p. 338.) PAR APRÈS, pour _après_ simplement: Que j’aye peine aussi d’en sortir _par après_. (_L’Ét._ III. 5.) _Par après_ est la contre-partie de _par avant_, qui ne s’emploie plus que sous cette forme, _auparavant_. _Par ainsi_ est complétement hors d’usage. --PAR DEVANT, pour _devant_: En passant _par devant la chambre_ d’Angélique, j’ai vu un jeune homme..... (_Mal. im._ II. 10.) PARER QUELQUE CHOSE, s’en garantir: Et quand par les plus grandes précautions du monde vous aurez _paré tout cela_... vous serez ébahi, etc... (_Scapin._ II. 8.) --PARER (SE) D’UN COUP, d’un malheur: Pour _se parer du coup_, en vain on se fatigue. (_Éc. des fem._ III. 3.) ... Toutes les mesures qu’il prend pour _se parer du malheur qu’il craint_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) Quoi! de votre poursuite on ne peut _se parer_? (_Tart._ IV. 5.) On dit encore _se remparer_. PARLER, verbe actif; PARLER QUELQUE CHOSE: Je vous demande, _ce que je parle_ avec vous, qu’est-ce que c’est? (_B. gent._ III. 3.) «Si un animal faisoit par esprit ce qu’il fait par instinct, et s’il parloit par esprit _ce qu’il parle_ par instinct...» (PASCAL. _Pensées._) --PARLER CERCLE ET RUELLE: Moi, j’irois me charger d’une spirituelle Qui _ne parleroit rien que cercle et que ruelle_!... (_Éc. des fem._ I. 1.) «Et, sans _parler curé, doyen, chantre ou Sorbonne_...» (REGNIER. Sat. XV.) «Ore ils _parloient soldat_, et ore _citoyen_.» (Id. Sat. II.) C’est une expression tout à fait analogue à celle du vers célèbre de Juvénal: Qui Curios simulant et _bacchanalia vivunt_. (Voyez ci-dessous PARLER VAUGELAS.) --PARLER suivi de _que_, comme _dire_: Vous avez ouï _parler que_ ce monsieur Oronte a une fille? (_Pourc._ II. 4.) --PARLER SUR-LE-CHAMP, improviser: Vous n’allez entendre chanter que de la prose cadencée ou des manières de vers libres, tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d’eux-mêmes, et _parlent sur-le-champ_. (_Mal. im._ II. 6.) --PARLER TERRE A TERRE: Expression ridiculisée par Molière: Il prétend que _nous parlions toujours terre à terre_, (_Impromptu._ 3.) dit Mlle du Parc, qui représente une précieuse. --PARLER VAUGELAS: Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas, A cause qu’elle manque à _parler Vaugelas_. (_Fem. sav._ II. 7.) C’est-à-dire, à la mode de Vaugelas, le français de Vaugelas. Le mot _Vaugelas_ fait ici le rôle d’un adjectif pris adverbialement, comme _grec_, _latin_, dans _parler grec_, _parler latin_: c’est _loqui græce, latine_. (Voyez PARLER CERCLE.) PARMI, au milieu, par le milieu de: On est venu lui dire, et par mon artifice, Que les ouvriers qui sont après son édifice, _Parmi les fondements_ qu’ils en jettent encor, Avoient fait par hasard rencontre d’un trésor. (_L’Ét._ II. 1.) Un trésor supposé, Dont _parmi les chemins_ on m’a désabusé. (_Ibid._ II. 5.) Ce m’est quelque plaisir, _parmi tant de tristesse_, Que l’on me donne avis du piége qu’on me dresse. (_Éc. des fem._ IV. 7.) Et jamais il ne parut si sot que _parmi une demi-douzaine de gens_ à qui elle avoit fait fête de lui. (_Crit. de L’Éc. des fem._ 2.) Vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve _parmi le commerce du beau monde_. (_Impr._ I.) MORON. Et sa gueule faisoit une laide grimace, Qui _parmi de l’écume_, à qui l’osoit presser, Montroit de certains crocs. (_Pr. d’Él._ I. 2.) Quelle est ton occupation _parmi_ ces arbres? (_D. Juan._ III. 2.) Ne voyez-vous pas bien quel tort ces sortes de querelles nous font _parmi le monde_? (_Amour méd._ III. 1.) Il faut _parmi le monde_ une vertu traitable. (_Mis._ I. 1.) Il court _parmi le monde_ un livre abominable. (_Ibid._ V. 1.) Et _parmi leurs contentions_ Faisons en bonne paix vivre les deux Sosies. (_Amph._ III. 7.) On ne demeure point tout seul, pendant une fête, à rêver _parmi des arbres_. (_Am. magn._ I. 1.) Et, _parmi cette grande gloire_ et ces longues prospérités que le ciel promet à votre union..... (_Ibid._ IV. 7.) _Parmi l’éclat du sang_ vos yeux n’ont-ils vu qu’elle? (_Psyché._ I. 2.) Mais c’est, _parmi tant de mérite_, Trop que deux cœurs pour moi, trop peu qu’un cœur pour vous. (_Ibid._ I. 3.) _Parmi_ a pour racines _par_ et _mi_, apocope de _milieu_. _Mi_, au moyen âge, s’employait comme substantif, pour moitié: «Et le bacon faisoit _par mi_ tranchier.» (_R. d’Ogier le Danois._) «Il faisait couper le porc par la moitié.» Ainsi, sans s’arrêter aux distinctions chimériques ni aux subtilités des grammairiens, _parmi_ s’emploie légitimement où il s’agit d’exprimer, _au milieu de_. (Voyez PAR.) PAROLE, ÊTRE EN PAROLE QUE...: être en pour-parler (pour convenir) que...: Il _est_ avec Anselme _en parole_ pour vous _Que_ de son Hippolyte on vous fera l’époux! (_L’Ét._ I. 2.) --ÊTRE EN PAROLE, absolument, converser ensemble: Juste ciel, qu’ils sont prompts! je les vois _en parole_. (_L’Ét._ II. 2.) --AVOIR DE LA PAROLE POUR TOUT LE MONDE, être affable: Qu’on dise que je suis une bonne princesse, que _j’ai de la parole pour tout le monde_, de la chaleur pour mes amis..... (_Am. magn._ I. 2.) PAR OU, pour _comment_ ou _de quoi_: Voit-on, dans les horreurs d’une telle pensée, _Par où_ jamais se consoler Du coup dont on est menacée? (_Amph._ I. 3.) PAR SOI, tout seul, _per se_: E par soi, _é_. (_Am. magn._ I. 1.) C’est-à-dire _e_ tout seul, pris à par soi (et non à _part_ soi), _é_. Cette valeur de _par_ est un débris de notre langue primitive. Les Latins disaient _per me_, _per te_, dans le sens de _moi seul_, _toi seul_: «Quamvis, Scæva, satis _per te_ tibi consulis, et scis...» (HOR. Ep. 17, lib. 1) Et nos pères disaient, à l’imitation des Latins, _tout par moi_, _par lui_, _par eux_, _par elles_: «Et Felix li sains homs _tout par li_ demoura.» (_Des Trois Chanoines._) Demeura tout seul. «Les cloches de l’eglise, de ce soyez certains, «Sonnerent _tout par elles_, sans mettre piez ne mains.» (_Le Dit du Buef._) On écrit mal à propos, avec un _t_, _à part_, _à part soi_. _Par_, ici, vient de _per_, et non de _pars_, _partis_. Au contraire, il faut mettre un _t_ dans cette autre formule où l’usage moderne l’a supprimé: _De part le roi_; _de part Dieu_. (Voyez DE PAR, à l’article PAR, et _des Variations du langage français_, p. 407 à 411.) PARTAGER UN SORT A QUELQU’UN, le lui donner en partage: Ne faites point languir deux amants davantage, Et nous dites _quel sort_ votre cœur _nous partage_. (_Mélicerte._ II. 6.) _Partager_ est construit ici comme le latin _impertire_, _dispertire_ et _dispertiri_. PARTI; FAIRE PARTI, monter un coup: Léandre _fait parti_ Pour enlever Célie. (_L’Ét._ III. 6.) _PARTICIPE PRÉSENT_ mis au lieu de _si_, suivi d’un conditionnel: Et _trouvant_ son argent, qu’ils lui font trop attendre, Je sais bien qu’il seroit très-ravi de la vendre. (_L’Ét._ I. 2.) Si Trufaldin trouvait son argent. Le plus parfait objet dont je serois charmé N’auroit pas mes tributs, _n’en étant point aimé_. (_Dép. am._ I. 3.) Si je n’en étais pas aimé. Pascal se sert aussi de cette espèce de participe absolu: «Quand on auroit décidé qu’il faut prononcer les syllabes _pro chain_, qui ne voit que, _n’ayant point été expliquées_, chacun de vous voudra jouir de la victoire?» (PASCAL. 1re _Prov._) Ces syllabes n’ayant point été expliquées; si elles n’ont pas été expliquées. --PARTICIPE PRÉSENT _qui s’accorde_: De ces petits pourpoints sous les bras se _perdants_, Et de ces grands collets jusqu’au nombril _pendants_. (_Éc. des mar._ I. 1.) On veut que _pendant_ s’accorde, parce qu’il est, dit-on, _adjectif verbal_: une manche _pendante_; mais on commande de laisser _se perdant_ invariable, parce qu’il est participe. Cette distinction toute moderne a bien l’air d’une chimère et d’un raffinement sophistique; le XVIIe siècle n’en avait nulle idée, et moins encore les siècles précédents: Si quatre mille écus de rente bien _venants_, Une grande tendresse et des soins complaisants... (_Éc. des mar._ I. 2.) De ces brutaux fieffés, qui sans raison ni suite De leurs femmes en tout contrôlent la conduite, Et, du nom de maris fièrement _se parants_, Leur rompent en visière aux yeux des soupirants. (_Ibid._ I. 6.) 1er MÉDECIN. Cette maladie _procédante_ du vice des hypocondres. (_Pourc._ I. 11.) Pour remédier à cette pléthore _obturante_, et à cette cacochymie _luxuriante_ par tout le corps... (_Ibid._) Une jeune fille toute _fondante_ en larmes. (_Scapin._ I. 2.) Boileau, tout sévère grammairien qu’il était, a dit: «Et plus loin des laquais, l’un l’autre _s’agaçants_, «Font aboyer les chiens et jurer les passants.» (_Sat._ VI.) «Entendra les discours sur l’amour seul _roulants_, «Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands.» (_Sat._ X.) «Cent mille faux zélés, le fer en main _courants_, «Allèrent attaquer leurs amis, leurs parents.» (_Sat._ XII.) «Infâmes scélérats à sa gloire _aspirants_, «Et voleurs revêtus du nom de conquérants.» (_Ibid._) Et Racine: «Les ennemis, offensés de la gloire, «Vaincus cent fois et cent fois suppliants, «En leur fureur de nouveau _s’oubliants_[65].» (_Idylle sur la Paix._) [65] Cette pièce est de 1685, Phèdre est de 1677; ainsi Racine avait composé tous ses ouvrages, hormis _Esther_ et _Athalie_. Et Voltaire: «De deux alexandrins côte à côte _marchants_, «Que l’un est pour la rime et l’autre pour le sens.» (_Ép. au roi de la Chine._) Ce sont vestiges de l’ancienne langue. Dans l’origine, le participe présent, placé après son substantif, s’y accordait, comme fait encore le participe passé: «Les femmes et les meschines vindrent encuntre le rei Saul... _charolantes_, e _juantes_, e _chantantes_ que Saul out ocis mille David dis mille.» (_Rois._ p. 70.) «Et ele descirad sa gunelle... si s’en alad _criante_ e _plurante_.» (_Ibid._ p. 164.) «Li fiz le rei entrerent, et vindrent devant le rei _crianz_ e _pluranz_.» (_Ibid._ p. 167.) Je trouve, à la vérité, un exemple du participe présent invariable dans le Merlin de Robert de Bouron, écrit au XVe siècle: «Il voit issir fors bien cent damoiselles et plus, qui viennent _carolant_ et _dansant_ et _chantant_.» (DU CANGE, _in Charolare_.) Peut-être est-ce à cause de l’intermédiaire _qui viennent_; et puis sur quel manuscrit Du Cange ou ses continuateurs ont-ils pris ce texte? Ce qui est certain, c’est que Montaigne fait accorder le participe présent, même des auxiliaires _être_ et _avoir_: «Aulcuns _choisissants_ plustost de se laisser desfaillir par faim et par jeusne, _estants_ prins... Combien il eust esté aysé de faire son proufit d’ames si neufves, si affamées d’apprentissage, _ayants_ pour la pluspart de si beaux commencements naturels!» (_Essais._ III. 6.) Mais, comme dans le passage de Robert de Bouron, il tient le participe invariable construit avec un autre verbe: «Ceulx qui, pour le miracle de la lueur d’ung mirouer ou d’un coulteau, _alloient eschangeant_ une grande richesse en or et en perles.» (_Ibid._) Cette méthode de l’accord n’était pas sans avantages; par exemple, Montaigne dit des Espagnols qui torturèrent Guatimozin: «Ils le pendirent depuis, _ayant_ courageusement entreprins de se deslivrer par armes d’une si longue captivité et subjection.» (_Essais_, III. 6.) _Ayant_, au singulier, fait voir que la phrase se rapporte au cacique, et non à ses bourreaux, qui sont le sujet de la phrase. Si c’étaient les Espagnols qui eussent entrepris, Montaigne eût écrit _ayants_, avec une _s_. C’est au reste l’usage latin; voilà pourquoi il a passé dans notre langue: _Occiderunt eum luctantem et conantem plurima frustra_. La grammaire de Sylvius, ou Jacques Dubois, rédigée en latin en 1531, ne pose point de règles particulières pour le participe présent; mais, en conjuguant le verbe _avoir_, elle dit, p. 132:--«habens, habentis; haiant, _haiante_;» et dans la conjugaison du verbe _aimer_: «amans, aimant, _aimante_.» Jehan Masset, dont l’_Acheminement à la langue françoyse_ est imprimé à la suite du dictionnaire de Nicot (1606), ne dit rien non plus du participe; mais, dans les modèles de conjugaison, il le met aussi variable. Page 15: «_habens_; masculin _ayant_, féminin _ayante_.» Le langage du palais, qui est un témoin si fidèle, fait le participe présent variable. Regnard, dans _le Joueur_, a reproduit la formule exacte: «. . . . . . A Margot de la Plante, «Majeure, et de ses droits _usante_ et _jouissante_.» En somme, on trouve que l’invariabilité absolue du participe présent ne s’est guère établie que dans le courant du XVIIIe siècle, et que la distinction entre ce participe et l’adjectif verbal est du XIXe. Jusque-là, on ne savait ce que c’était que l’adjectif verbal. Ce sont les grammairiens très-modernes qui ont enrichi notre langue de ces distinctions souvent insaisissables, et de ces difficultés de participes parfois insolubles. --_PARTICIPE PRÉSENT_ rapporté par syllepse à un sujet autre que le sujet de la phrase: Je prétends, s’il vous plaît, Dût le mettre au tombeau le mal dont il vous berce, Qu’avec lui désormais vous rompiez tout commerce; Que, _venant_ au logis, pour votre compliment, Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement. (_Éc. des fem._ II. 6.) _Venant au logis_, lorsqu’_il_ viendra au logis, _vous_ lui fermiez, etc... Et lui _jetant_, s’il heurte, un grès par la fenêtre, L’obligiez tout de bon à ne plus y paroître. (_Ibid._ II. 6.) _Et lui jetant_: ce second participe se rapporte régulièrement à Agnès, et rend plus sensible l’incorrection du premier. _N’ayant_ ni beauté ni naissance A pouvoir mériter leur amour et leurs soins, _Ils_ nous favorisent au moins De l’honneur de la confidence. (_Psyché._ I. 3.) Aglaure veut dire à sa sœur: Comme nous n’avons ni beauté ni naissance, _ils_, les princes, nous favorisent... On peut hardiment proscrire cette tournure, parce qu’elle prête à l’équivoque; il semble ici que ce soient les deux princes qui, sans avoir ni beauté ni naissance, favorisent Aglaure et Cydippe... _PARTICIPE ABSOLU_, comme en latin: Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin! Mais j’avois, _lui vivant_, le teint d’un chérubin. (_Sgan._ 2.) La plupart des exemples de l’article précédent, où l’on voit le participe présent employé d’une manière sujette à l’équivoque, peuvent se rapporter au participe absolu, que les Latins mettaient à l’ablatif. On connoîtra sans doute que, _n’étant autre chose qu’un poëme ingénieux_,... on ne sauroit la censurer sans injustice. (_Préf. de Tartufe._) _N’étant autre chose_, se rapporte à la comédie dont le nom ne se trouve pas dans cette phrase, mais seulement dans la précédente. Mais je l’ai vue ailleurs, où _m’ayant fait_ connoître Les grands talents qu’elle a pour savoir l’avenir, Je voulois sur un point un peu l’entretenir. (_L’Ét._ I. 4.) _Je l’ai vue..._, _je voulois_, se rapportent à Mascarille, et _m’ayant fait connaître_, à _elle_, à Célie, qui n’est désignée qu’après. En sorte que le nominatif est changé, avant que l’auditeur ou le lecteur en puisse être prévenu. Mais savez-vous aussi, _lui trouvant des appas_, Qu’autrement qu’en tuteur sa personne me touche... (_Éc. des mar._ II. 3.) Savez-vous, Valère, que moi, Sganarelle, lui trouvant des appas, sa personne me touche autrement qu’en tuteur? Ces tournures sont fréquentes dans Molière. J’ai voulu l’acheter, l’édit, expressément, Afin que d’Isabelle il soit lu hautement; Et ce sera tantôt, _n’étant plus occupée_, Le divertissement de notre après-soupée. (_Ibid._ II. 9.) Isabelle n’étant plus occupée, quand Isabelle ne sera plus occupée. _PARTICIPE PASSÉ_ invariable en genre: HIPPOLYTE. Si, lorsque mes amants sont devenus les vôtres, Un seul m’eût _consolé_ de la perte des autres. (_L’Ét._ V. 13.) ARNOLPHE (_à Agnès_): L’air dont je vous ai _vu_ lui jeter cette pierre... (_Éc. des fem._ III. 1.) ELMIRE. Aurois-je pris la chose ainsi qu’on m’a _vu_ faire? (_Tart._ IV. 5.) Il ne faut pas douter que ce ne soient là des fautes de français. Si Corneille a fait rimer, dans le _Menteur_, ceux que le ciel a _joint_ avec _point_, Corneille a eu tort; et tort qui voudrait s’autoriser là-dessus des exemples de Corneille et de Molière. PARTICULIER (LE), substantif: _Dans le particulier_ elle oblige sans peine. (_L’Ét._ III. 2.) PAR TROP; _par_ donne à _trop_ la force du superlatif: Tu m’obliges _par trop_ avec cette nouvelle. (_L’Étourdi._ III. 8.) On trouve dans Térence et dans Priscien, _pernimium_. _Par_, dans la vieille langue, se composait avec les noms, les verbes, les adjectifs et les adverbes, pour leur communiquer la valeur superlative. _Pardon_ (summum donum); _paramer_ (peramare);--_parhardi_ (peraudax);--_partrop_ (pernimium.) _Trop_ est le substantif _trope_ (_troupe_), pris adverbialement (_turba_, _truba_, _trupa_); comme _mie_, _pas_, _point_, _peu_, _prou_. (Voyez _des Variations du langage français_, p. 235.) PAS, surabondant, pour nier, avec _aucun_, _ni_, _ne_: Autrefois j’ai connu cet honnête garçon, Et vous _n’_avez _pas_ lieu d’en prendre _aucun_ soupçon. (_L’Étourdi._ I. 4.) Les bruits que j’ai faits Des visites qu’ici reçoivent vos attraits, Ne sont _pas_ envers vous l’effet d’_aucune_ haine. (_Tart._ III. 3.) Molière a traité _aucun_ absolument comme _quelque_: _Ne_ sont pas envers vous l’effet _de quelque_ haine. Et véritablement c’est la valeur de _aucun_, dérivé de _aliquis_: _alque_, _auque_, _auque un_ (_aliquis unus_.) Ainsi le mot _aucun_ est par lui-même affirmatif. Est-il possible que ce même Sostrate, _qui n’a pas craint ni Brennus, ni_ tous les Gaulois.... (_Am. magn._ I. 1.) Ah! vous avez plus faim que vous _ne_ pensez _pas_! (_L’Ét._ IV. 3.) _Ne_ est l’unique négation que possède la langue française. Pour l’aider en quelque sorte dans son office, on a déterminé un certain nombre de substantifs monosyllabes, exprimant des objets minimes, des quantités réduites, qui servent de terme de comparaison, et, construits avec _ne_, semblent prendre à son contact la qualité d’adverbes et de négations; mais il ne faut pas s’y tromper. Ces mots sont: _pas_, _point_, _rien_, _mie_; ce sont de vrais substantifs à l’accusatif, complément d’un verbe qui se place entre _ne_ et son adjoint. Je _ne_ dis _rien_; il _ne_ vient _pas_; _ne_ mentez _point_[66]. [66] Si _mentir_ n’est plus en français un verbe actif, il l’était en latin, et cela revient au même. _Mentior at si quid...._ (HOR. _sat._) Maintenant il faut savoir que l’on ne donne à _ne_ qu’un seul de ces adjoints, de ces adverbes artificiels: _ne pas_;--_ne point_;--_ne mie_;--_ne... rien_. La faute de Martine, dans les _Femmes savantes_, est de joindre à la négation deux de ces suppléments: «Et tous vos biaux dictons _ne_ servent _pas_ de _rien_.» Le _vice d’oraison_ ne consiste donc pas à joindre _pas_ avec _rien_, comme le prétend Philaminte, mais à joindre _pas_ et _rien_ avec _ne_. Cela est si vrai, que Molière a très-souvent fait cette réunion de _ne... pas... rien_. Mais alors il y a toujours deux verbes, l’un qui supporte l’action négative de _ne pas_; l’autre qui commande _rien_. Les exemples suivants, qui semblent au premier coup d’œil choquer la règle posée par Molière lui-même, analysés d’après ce principe, n’ont plus rien que de très-régulier. On y trouvera partout deux verbes pour les trois mots _ne_, _pas_, _rien_, que la bonne Martine accumulait tous trois sur l’unique verbe _servir_. . . . . . Il la gardera bien, Et _je ne vois pas_ lieu d’y _prétendre_ plus _rien_. (_L’Ét._ III. 2.) Et tu _n’as pas_ sujet de _rien appréhender_. (_Ibid._ V. 7.) Albert _n’est pas_ un homme à vous _refuser rien_. (_Dép. am._ I. 2.) Et mon dessein _n’est pas_ de leur _rien opposer_. (_D. Garcie._ V. 6.) Ce _n’est pas_ ma coutume que de _rien blâmer_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) Nous _n’avons pas_ envie aussi de _rien savoir_. (_Mélicerte._ I. 3.) Auprès de cet objet mon sort est assez doux, Pour _ne pas consentir_ à _rien prendre_ de vous. (_Ibid._ II. 6.) _Ce n’est pas_ mon dessein de me faire épouser par force, et de _rien prétendre_ à un cœur qui se seroit donné. (_L’Av._ V. 5.) Je ne suis _point_ un homme à _rien_ craindre. (_Ibid._) _Il ne faut pas_ qu’il _sache rien_ de tout ceci. (_G. D._ I. 2.) Mon intention _n’est pas_ de vous _rien déguiser_. (_Ibid._ III. 8.) Je _ne veux point_ qu’il me _dise rien_. (_Ibid._) _Ne faites point_ semblant _de rien_. (_G. D._ I. 2. et _B. gent._ V. 7.) Dans ce dernier exemple, _rien_ est visiblement un substantif au génitif, gouverné par un substantif qui le précède, _semblant_. Ne faites pas semblant de quelque chose, ou qu’il y ait quelque chose. --PAS, _supprimé_: Non, _je ne veux du tout_ vous voir ni vous entendre. (_Amph._ II. 6.) A l’occasion de ce vers, j’observe que _du tout_, au sens de _absolument_, _complétement_, ne sert plus que dans les formules négatives; mais que, dans l’origine, on l’employait également pour affirmer: --_Servite Domino in omni corde vestro._ «Nostre Seigneur Deu _del tut_ (du tout) siwez, e de tut vostre quer servez.» (_Rois._ p. 41.) PAS, substantif; PAS A PAS, posément: Vous achèverez seule; et, _pas à pas_, tantôt Je vous expliquerai ces choses comme il faut. (_Éc. des fem._ III. 2.) --PAS DEVANT (LE), substantif composé, PRENDRE LE PAS DEVANT: Du _pas devant_ sur moi _tu prendras l’avantage_. (_Amph._ III. 7.) L’esprit doit sur le corps prendre _le pas devant_. (_Fem. sav._ II. 7.) _Devant_ n’est pas ici une préposition qui ferait double emploi avec _sur_; _pas-devant_ est un mot composé, comme qui dirait le _pas antérieur_. N’a-t-on pas eu tort de laisser perdre cette expression qui n’a aucun équivalent, et dont l’absence oblige à une périphrase? (Voyez PERDRE LES PAS DE QUELQU’UN.) --PASSE; ÊTRE EN PASSE DE: Nous ne sommes pas encore connues, mais _nous sommes en passe de l’être_. (_Préc. rid._ 10.) J’ai servi quatorze ans, et je crois _être en passe De pouvoir_ d’un tel pas me tirer avec grâce. (_Fâcheux._ I. 10.) Et je crois, par le rang que me donne ma race, Qu’il est fort peu d’emplois _dont je ne sois en passe_. (_Mis._ III. 1.) _Passe_ s’appelait autrefois, au jeu de mail et de billard, une porte ou arc de fer, par où la boule ou la bille devait passer. Le joueur assez adroit pour s’être placé le plus près de cet arc était _en passe_, c’est-à-dire, sur le point de passer. De là l’expression figurée en parlant d’un homme en mesure de réussir. C’est l’explication de _Trévoux_, qui cite à l’appui les vers du _Misanthrope_. PASSER; FAIRE PASSER A QUELQU’UN LA PLUME PAR LE BEC, l’attraper, le duper, sans qu’il puisse se plaindre: Nous verrons cette affaire, pendard, nous verrons cette affaire. Je ne prétends pas qu’on me fasse _passer la plume par le bec_. (_Scapin._ III. 6.) «Pour empêcher les oisons de traverser les haies et d’entrer dans les jardins qu’elles entourent, on passe une plume par les deux ouvertures qui sont à la partie supérieure de leur bec. De là le proverbe _passer la plume par le bec_; de là vient aussi l’expression proverbiale d’_oison bridé_.» (Note de M. AUGER.) Ainsi, passer à quelqu’un la plume par le bec, signifie le traiter comme un oison. --PASSER, se passer: Vous savez que dans celle[67] où _passa_ mon bas âge... (_Dép. am._ II. 1.) [67] Dans la maison. --PASSER DE, pour _sortir de_: Il y a cent choses comme cela qui _passent de la tête_. (_Pourc._ I. 6.) --PASSER (SE) DE, se contenter de, et non _se priver_: Ce que je trouve admirable, c’est qu’un homme _qui s’est passé_ durant sa vie _d’une assez simple demeure_ en veuille avoir une si magnifique pour quand il n’en a plus que faire. (_D. Juan._ III. 6.) PATINEURS: CLAUDINE.--Ah! doucement. Je n’aime pas _les patineurs_. (_G. D._ II. 1.) La racine de ce mot est _patte_, pour _main_. «Les _patineurs_ sont gens insupportables, «Même aux beautés qui sont très-patinables.» (SCARRON.) «_Patiner_, manier malproprement.» (TRÉVOUX.) PATROCINER, du latin _patrocinari_, faire l’avocat: Prêchez, _patrocinez_ jusqu’à la Pentecôte. (_Éc. des fem._ I. 1.) PAYER; PAYER UN PRIX DE QUELQUE CHOSE: Non, en conscience, _vous en payerez cela_. (_Méd. m. lui._ I. 6.) --PAYER DE, alléguer pour excuse: Tantôt _vous payerez de_ quelque maladie Qui viendra tout à coup, et voudra des délais; Tantôt _vous payerez de_ présages mauvais. (_Tart._ II. 4.) Vous nous _payez ici d’excuses_ colorées. (_Ibid._ IV. 1.) «Je le croiray volontiers, pourveu qu’il ne me _donne pas en payement_ une doctrine beaucoup plus difficile et fantastique que n’est la chose mesme.» (MONTAIGNE. II. 37.) --PAYER POUR (un substantif), payer en qualité de. (Voyez GAGER POUR.) --PAYEROIT, PAYEREZ, de trois syllabes: Fût-ce mon propre frère, il me la _payeroit_. (_L’Ét._ III. 4.) Tantôt vous _payerez_ de quelque maladie. (_Tart._ II. 4.) Et l’on m’a mis en main une bague à la mode, Qu’après vous _payerez_, si cela l’accommode. (_L’Ét._ I. 6.) Molière, s’il eût été d’usage alors de syncoper les mots, eût mis facilement _que vous paîrez après_. PAYSANNE, de trois syllabes: Et la bonne _paysanne_, apprenant mon désir.... (_Éc. des fem._ I. 1.) --de quatre syllabes: Et cette _paysanne_ a dit, avec franchise, Qu’en vos mains à quatre ans elle l’avoit remise. (_Éc. des f._ V. 9.) --PAYSAN, de trois syllabes: Je sais un _paysan_ qu’on appeloit Gros-Pierre.... (_Ibid._ I. 1.) --de deux: «Que le _paysan_ recueille, emplissant à milliers «Greniers, granges, chartis, et caves, et celiers.» (REGNIER. Sat. XV.) PAYSANNERIE comme _bourgeoisie_: J’aurois bien mieux fait...... de m’allier en bonne et franche _paysannerie_. (_G. D._ I. 1.) L’Académie dit qu’il est peu usité. PECQUES: A-t-on jamais vu, dis-moi, deux _pecques_ provinciales faire plus les renchéries que celles-là? (_Préc. rid._ 1.) Molière avait rapporté cette expression du Midi, où l’on dit d’un fâcheux dont on ne peut se débarrasser, que c’est un morceau de poix: _es una pegue_. A moins que _pecque_ ne soit une abréviation de _pécore_, ce qui conviendrait mieux au sens de ce passage. Trévoux dit que _pecq_, en vieux français, signifiait un mauvais cheval. Il aurait bien dû en citer des exemples, s’il en connaissait: pour moi, je ne l’ai jamais vu. PEINDRE EN ENNEMIS, c’est-à-dire, sous les traits d’ennemis: Et me jeter au rang de ces princes soumis, Que le titre d’amants lui _peint en ennemis_. (_Pr. d’Él._ I. 1.) Un titre qui peint ne paraît pas une métaphore heureuse. PEINE; ÊTRE EN PEINE OÙ...: _Ne soyez point en peine où_ je vous mènerai. (_Éc. des fem._ II. 6.) De savoir où je vous mènerai. --AVOIR PEINE A, pour _avoir de la peine à..._: Comment! il semble que _vous ayez peine à_ me reconnoître! (_Pourc._ I. 6.) «_J’ai peine à contempler_ son grand cœur dans ces dernières épreuves.» (BOSSUET. _Or. fun. de la R. d’A._) Pascal dit pareillement _faire peine_, pour _faire de la peine_: «La seule comparaison que nous faisons de nous au fini _fait peine_.» (_Pensées._ p. 122, 298.) PEINTURE, au lieu de _portrait_: Je n’ai pas reconnu les traits de _sa peinture_. (_Sgan._ 22.) _Sa peinture_ ne peut signifier que la peinture dont il est l’auteur, et non la peinture où il a servi de modèle. (Voyez PORTRAIT, pour _peinture_, _tableau_.) PÈLERIN, CONNAÎTRE LE PÈLERIN: Si tu _connoissois le pèlerin_, tu trouverois la chose assez facile pour lui. (_Don Juan._ I. 1.) PENSER, substantif masculin: Le seul _penser_ de cette ingratitude Fait souffrir à mon âme un supplice si rude.... (_Tart._ III. 7.) Ah! fasse le ciel équitable Que ce _penser_ soit véritable! (_Amph._ III. 1.) Dans l’origine, tous les infinitifs pouvaient jouer le rôle de substantifs, moyennant l’addition de l’article, comme tout adjectif pouvait faire l’office d’adverbe: «Tous les _marchers_, _toussers_, _mouchers_, _éternuers_, sont différents.» (PASCAL. _Pensées._ p. 213.) Il est évidemment impossible de substituer ici _démarche_, _toux_, _éternument_; et nous n’avons aucun substantif, même approximatif, pour dire _le moucher_. --PENSER (verbe) suivi d’un infinitif, pour _être près de_: Nous avons aussi mon neveu le chanoine, qui a _pensé mourir_ de la petite vérole. (_Pourc._ I. 6.) PENTE, penchant; AVOIR PENTE A...: _La pente qu’a le prince à_ de jaloux soupçons. (_Don Garcie._ II. 1.) Un sort trop plein de gloire à nos yeux est fragile, Et nous laisse _aux soupçons une pente_ facile. (_Ibid._ II. 6.) PERDRE FORTUNE: Et les premières flammes S’établissent des droits si sacrés sur les âmes, Qu’il faut _perdre fortune_, et renoncer au jour, Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour. (_Fem. sav._ IV. 2.) Perdre toute fortune. _Fortune_ est ici pris au sens le plus large du latin _fortuna_; il ne s’agit pas seulement des biens de la fortune, mais de tout ce qui constitue ici-bas la félicité. C’est en quoi l’expression _perdre fortune_ diffère de _perdre sa fortune_. --PERDRE L’ATTENTE de quelque chose. (Voyez NE PERDRE QUE L’ATTENTE.) --PERDRE LES PAS DE QUELQU’UN, perdre sa trace: Il m’est, lorsque j’y pense, avantageux sans doute D’avoir _perdu ses pas_ et pu manquer sa route. (_Éc. des f._ II. 1.) --PERDRE TEMPS: Monsieur, _j’ai perdu temps_, votre homme se dédit. (_L’Ét._ III. 2.) «Je vais, sans _perdre temps_, y disposer Oronte.» (CORNEILLE. _La Galerie du Palais._) M. Auger blâme cette locution comme équivoque: est-ce perdre _du_ temps, ou perdre _son_ temps? La critique est bien vétilleuse, et l’équivoque du sens, argument spécieux auquel on recourt beaucoup trop souvent, n’est presque jamais à craindre. PÉRICLITER, absolument, courir un danger, risquer: Mais croyez-vous, maître Simon, qu’il n’y ait rien à _péricliter_? (_L’Av._ II. 1.) Rien à risquer en faisant cette affaire? croyez-vous que je n’expose rien? PERSONNE, suivi d’un adjectif, d’un pronom ou d’un participe au masculin: _Personne_ ne t’est _venu_ rendre visite? (_Crit. de l’Éc. des fem._ 1.) La complaisance est trop grande, de souffrir indifféremment toutes _sortes_ de _personnes_.--Je goûte _ceux_ qui sont raisonnables, et me divertis des _extravagants_. (_Ibidem._) Jamais je n’ai vu _deux personnes_ être si _contents_ l’un de l’autre. (_Don Juan._ I. 2.) Il s’agit d’un amant et de sa fiancée. Des vers tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à _deux personnes_ qui disent les choses _d’eux-mêmes_ et parlent sur-le-champ. (_Mal. im._ II. 6.) --PERSONNE DU MONDE, personne absolument: Quoi, cousine, personne ne t’est venu rendre visite?--_Personne du monde._ (_Crit. de l’Éc. des femmes._ 1.) On observera que le mot _personne_ est affirmatif de soi; il sert ici à nier, parce que la pensée le rattache à la négation renfermée dans l’ellipse: personne _n_’est venu me rendre visite. _PERSONNE._ Verbe à une autre personne que son sujet: VALÈRE. Je vous demande si ce n’est pas _vous_ qui _se nomme_ Sganarelle. SGAN. En ce cas, c’est _moi_ qui se _nomme_ Sganarelle. (_Méd. m. lui._ I. 6.) Plus loin, Molière a mis, en observant le rapport des personnes: Ouais! seroit-ce bien _moi_ qui me _tromperois_? (_Ibid._) Et que me diriez-vous, monsieur, si c’était _moi_ Qui vous _eût_ procuré cette bonne fortune? (_Dépit am._ III. 7.) Ce ne seroit pas _moi_ qui _se feroit_ prier. (_Sgan._ 2.) Racine a dit pareillement: «Il ne voit dans son sort que _moi_ qui _s’intéresse_.» (_Britannicus._) Les grammairiens, depuis Vaugelas, ont décidé qu’il faut toujours le verbe à la première personne, parce que le pronom y est. La raison paraît douteuse, car il y a aussi un autre verbe qui est placé le premier, et qui est à la troisième personne. Pourquoi l’accord ne se ferait-il pas aussi bien avec ce premier verbe qu’avec le pronom qui le suit? Celui qui se nomme Sganarelle, c’est moi;--celui qui vous a procuré cette bonne fortune, c’est moi;--celle qui se ferait prier, ce ne serait pas moi:--voilà comme on serait obligé de parler pour satisfaire la logique. Et parce que l’ordre des mots est renversé, le rapport des termes de l’idée change-t-il aussi? Non sans doute. La facilité que laissait l’usage du XVIIe siècle me semble donc, en principe, plus raisonnable que la loi étroite du XIXe. Il est certain d’ailleurs que cette rigueur ne produirait pas toujours un bon effet dans l’application. Par exemple, il n’en coûtait pas davantage, à Racine de mettre: Il ne voit dans ses pleurs que moi qui _m’intéresse_. Mais la pensée ne se présente plus du tout de même. Junie ne veut pas dire: Moi seule je m’intéresse dans ses pleurs; mais: Qui est-ce qui s’intéresse dans ses pleurs?--Moi seule. Dans la première tournure, l’idée qui frappe d’abord, c’est la personne de Junie; dans la seconde, c’est l’isolement et l’abandon de Britannicus. L’une est propre à irriter Néron, l’autre à le désarmer. Ces délicatesses font le caractère des grands écrivains; et les despotes de la grammaire, avec leur précision géométrique, tendent à les rendre impossibles: ils matérialisent la langue. PESTE; LA PESTE SOIT, LA PESTE SOIT FAIT; exclamation, suivie du nominatif; LA PESTE DE: _La peste le coquin! La peste le benêt!_ (_Don Juan._ III. 6. et V. 2.) _Peste soit le coquin_, de battre ainsi sa femme! (_Méd. m. l._ I. 2.) C’est une inversion: que le coquin soit la peste, c’est-à-dire, soit empesté, devienne la peste elle-même. _La peste soit fait l’homme_ et sa chienne de face! (_Éc. des f._ IV. 2.) _La peste de ta chute_, empoisonneur au diable! (_Mis._ I. 2.) Peste _du_ fou fieffé!--Peste _de_ la carogne! (_Méd. m. lui._ I. 1.) PÉTAUD; LA COUR DU ROI PÉTAUD: Et c’est tout justement _la cour du roi Pétaud_. (_Tart._ I. 1.) Les commentateurs, avec assez d’apparence, veulent que ce soit la cour du roi _Peto_, du roi des mendiants, où règnent le désordre et la confusion. Le mot _pétaudière_ confirme l’autre orthographe. PETITE OIE, terme de toilette: MASCARILLE. Que vous semble de ma _petite oie_? la trouvez-vous congruante à l’habit? (_Préc. rid._ 10.) «_Petite oye_ est ce qu’on retranche d’une oye quand on l’habille pour la faire rostir, comme les pieds, les bouts d’aile, le cou, le foye, le gesier.» (TRÉVOUX.) C’est ce qu’on appelle aujourd’hui _un abatis_. Par une métaphore facile à comprendre, _petite oie_ a désigné les accessoires de la toilette, plumes, rubans, dentelles, dont à cette époque le costume masculin était fort chargé: «Ne vous vendrai-je rien, monsieur? des bas de soie, «Des gants en broderie, ou quelque _petite oie_?» (CORNEILLE. _La Galerie du Palais._) _La petite oie_ signifiait aussi, par une métaphore analogue, les plus légères faveurs de l’amour. PETONS, diminutif de _pieds_: Ah! que j’en sais, belle nourrice,.... qui se tiendroient heureux de baiser seulement les petits bouts de vos _petons_! (_Méd. m. l._ III. 3.) (Voyez BOUCHON.) PEU pour _un peu_: Vous le voyez: sans moi vous y seriez encore, Et vous aviez besoin de _mon peu d’ellébore_. (_Sgan._ 22.) La suivante veut dire: Vous aviez besoin de ce peu de jugement que m’a départi le ciel. Mais, à prendre sa phrase dans le sens ordinaire de cette tournure, elle dirait: Vous aviez besoin que j’eusse peu de jugement. Votre peu de foi vous a perdu.--Vous êtes perdu pour avoir eu trop peu de foi. C’est le sens régulier. Votre peu de foi vous a sauvé. C’est-à-dire, il vous a suffi d’un peu de foi pour être sauvé. C’est le sens exceptionnel que donne ici Molière à cette façon de parler. L’équivoque, sans compter l’usage, ne permet pas de l’admettre. Voltaire parle plus correctement que Molière, quand il fait dire à Omar: «Je voulus le punir, quand _mon peu de lumière_ «Méconnut ce grand homme entré dans la carrière.» (_Mahomet._ I. 4.) --QUELQUE PEU: J’en avois fait à sa mère _quelque peu_ d’ouverture. (_L’Av._ II. 3.) PEUR DE, adverbialement, de peur de: ALAIN. J’empêche, _peur du chat_, que mon moineau ne sorte. (_Éc. des fem._ I. 2.) On dit de même, mais légitimement, _faute de_, _crainte de_.--_Manque de_, souvent employé par Pascal, est aujourd’hui hors d’usage. Toutes ces locutions sont autant d’accusatifs ou d’ablatifs absolus. Si l’on admet les unes, il paraît inconséquent de rejeter les autres, d’approuver _faute de_, et de blâmer _peur de_. On allègue l’usage; mais, en bonne grammaire, l’usage nouveau ne devrait point établir de prescription définitive, surtout contre la logique appuyant l’ancien usage. PEUT-ÊTRE... ET QUE: _Peut-être_ a-t-il dans l’âme autant que moi de crainte, _Et que_ le drôle parle ainsi, Pour me cacher sa peur sous une audace feinte. (_Amph._ I. 2.) PHILOSOPHE, adjectif comme _philosophique_: Ce chagrin _philosophe_ est un peu trop sauvage. (_Mis._ I. 1.) Et je crois qu’à la cour, aussi bien qu’à la ville, Mon flegme est _philosophe_ autant que votre bile. (_Ibid._) Qu’il a bien découvert ici son caractère, Et que peu _philosophe_ est ce qu’il vient de faire. (_Fem. sav._ V. 5.) «C’étoit la partie la moins _philosophe_ et la moins sérieuse de leur vie.» (PASCAL. _Pensées._) «_Le plus philosophe_ étoit de vivre simplement.» (Id. _Ibid._) --PHILOSOPHE, substantif féminin: C’est _une philosophe_ enfin; je n’en dis rien. (_Fem. sav._ II. 8.) PHLÉBOTOMISER, archaïsme, pour _saigner_: 1er MÉDECIN. Je suis d’avis qu’il soit _phlébotomisé_ libéralement. (_Pourc._ I. 11.) PIC ou PIQUE, aux cartes: Molière écrit les deux: O la fine pratique! Un mari confident!--Taisez-vous, _as de pique_! (_Dép. am._ V. 9.) Dame et roi de carreau, dix et dame de _pique_. (_Fâcheux._ II. 2.) Mais lui fallant un _pic_, je sortis hors d’effroi. (_Ibid._) Il ne m’en faut que deux, l’autre a besoin d’un _pic_. (_Ibid._) Molière altère ici l’orthographe pour le besoin de la rime. _Pic_, ainsi figuré, signifie autre chose que _pique_: c’est un terme du jeu de piquet: _pic, repic et capot_: Vous allez faire _pic, repic et capot_ tout ce qu’il y a de galant dans Paris. (_Préc. rid._ 10.) «Philis, contre la mort vainement on réclame: «Tôt ou tard qui s’y joue est fait _pic et capot_.» (BENSERADE.) PIÈCE; BONNE PIÈCE, ironiquement: Taisez-vous, _bonne pièce_! (_G. D._ I. 6.) (Voyez BON.) --FAIRE UNE PIÈCE, jouer un tour: Cet homme-là est un fourbe qui m’a mis dans une maison pour se moquer de moi, et _me faire une pièce_. (_Pourc._ II. 4.) C’est une _pièce que l’on m’a faite_, et je n’ai aucun mal. (_Ibid._ I. 7.) Ce sont des _pièces_ qu’on lui fait. (_Ibid._ III. 9.) «Ce ne fut pas sans la garder bonne à Ésope, qui tous les jours _faisoit de nouvelles pièces à son maître_.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) PIED; METTRE SOUS LES PIEDS, pour _mépriser_, _négliger_: Moquons-nous de cela, méprisons les alarmes, Et _mettons sous nos pieds_ les soupirs et les larmes. (_Sgan._ 18.) --PIED A PIED, pas à pas, petit à petit: _Pied à pied_ vous gagnez mes résolutions. (_B. Gent._ III. 18.) PILULE; DORER LA PILULE: Le seigneur Jupiter sait _dorer la pilule_. (_Amph._ III. 11.) PIMPESOUÉE: Voilà une belle mijaurée, une _pimpesouée_ bien bâtie, pour vous donner tant d’amour! (_B. gent._ III. 9.) «_Pimpesouée_, femme qui montre des prétentions, avec de petites manières affectées et ridicules. _Pimpesouée_ vient probablement du vieux verbe _pimper_, qui signifie _parer_, _attifer_, dont il nous reste _pimpant_, et du vieil adjectif _souef_, _souefve_, qui voulait dire _doux_, _agréable_. (M. AUGER.) Cette étymologie ne manque pas de vraisemblance; il ne reste plus qu’à trouver quelque part le vieux verbe _pimper_. J’avoue que, pour moi, je ne l’ai jamais rencontré; mais c’est un mot vraisemblable. Ménage veut que _pimpant_ soit dit pour _pompant_. Il est certain qu’on disait, dans le latin du moyen âge, _pompare_, pour _superbire_, _gloriari_: «Grandisonis _pompare_ modis tragicoque boatu.» (SEDULIUS.) (Voyez Du Cange au mot POMPARE.) Sur l’étymologie de _mijaurée_, je ne trouve rien de satisfaisant. PIQUÉ, au figuré; AVOIR L’AME PIQUÉE DE QUELQUE CHOSE: Pour mettre en mon pouvoir certaine Égyptienne _Dont j’ai l’âme piquée_, et qu’il faut que j’obtienne. (_L’Ét._ V. 6.) PIS, au neutre, quelque chose de pis: La prose est _pis_ que les vers. (_Impromptu de Versailles._ 1.) Il s’agit de savoir, de la prose ou des vers, quel est le plus difficile à retenir par cœur; Molière décide que la prose est, à cet égard, _pis_ que les vers. _Pire_ que les vers, marquerait la prééminence relative de la prose, ce dont il n’est pas question. _Pire_ s’accorderait avec _prose_; _pis_, au neutre, se rapporte, à l’idée de _retenir par cœur_. C’est l’observation encore plus instinctive que raisonnée de ces nuances délicates qui fait l’habile écrivain. PLAIDERIE: Je verrai dans cette _plaiderie_ Si les hommes auront assez d’effronterie... (_Mis._ I. 1.) La racine est _plaid_: «Tous les jours le premier aux _plaids_, et le dernier!» (RACINE. _Les Plaideurs._) On ne dit plus que _plaidoirie_. PLAINTE; MURMURER A PLAINTE COMMUNE, murmurer ensemble, pour le même sujet: Nous nous voyons sœurs d’infortune; Et la vôtre et la mienne ont un si grand rapport, Que nous pouvons mêler toutes les deux en une, Et dans notre juste transport _Murmurer à plainte commune_. (_Psyché._ I. 1.) _A plainte commune_ est dit comme _à frais communs_. PLAISANT, qui plaît, agréable. Archaïsme: AGNÈS. C’est une chose, hélas! si _plaisante_ et si douce! (_Éc. des fem._ II. 6.) «Le _plaisant_ dialogue du _legislateur_ de Platon, avecques ses concitoyens, fera honneur à ce passage.» (MONTAIGNE. II. 7.) «Entre les livres simplement _plaisants_, je treuve des modernes le Decameron de Boccace, etc...» (Id. _Ibid._ 10.) _Livres plaisants_, c’est-à-dire qui n’apportent que du plaisir, de l’agrément, qu’on lit uniquement pour s’amuser. «...... Une perception soudaine et vive qui se fait d’abord en nous, à la présence des objets _plaisants_ et fâcheux.» (BOSSUET. _Connaissance de Dieu._) On s’est permis, dans l’édition in-12 de 1846, de substituer «objets _agréables ou déplaisants_.» On ne saurait trop vivement blâmer ces témérités, qui n’iraient pas à moins qu’à transformer tous les dix ans les textes les plus précieux et vénérables. PLANTUREUX, archaïsme, abondant: Que les saignées soient fréquentes et _plantureuses_. (_Pourc._ I. 11.) On devrait écrire _plentureuses_ par un _e_, la racine de ce mot étant, non pas _plante_, mais _plenté_, syncopé de _plenitatem_: «Vous aurez du foin assez, «Et de l’avoine _à plenté_.» (_Prose de l’Asne._) Et non _à planter_, comme je l’ai vu imprimé. Les ânes mangent de l’avoine, mais ils n’en plantent point; au rebours des hommes. PLATRER, métaphoriquement, dans le sens où nous disons aujourd’hui _replâtrer_, _dissimuler_: Jusqu’ici vous avez joué mes accusations, ébloui vos parents, et _plâtré vos malversations_. (_G. D._ III. 8.) Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux Que _le dehors plâtré_ d’un zèle spécieux. (_Tart._ I. 6.) Boileau se sert pareillement du substantif _plâtre_, au figuré: «Ses bons mots ont besoin de farine et de _plâtre_.» PLEIN, complet: Il est bien des endroits où la _pleine franchise_ Deviendroit ridicule, et seroit peu permise. (_Mis._ I. 1.) Cette _pleine droiture_ où vous vous renfermez. (_Ibid._) C’est un haut étage de vertu que cette _pleine insensibilité_ où ils veulent faire monter notre âme. (_Préf. de Tartufe._) «Que l’homme contemple donc la nature dans sa haute et _pleine majesté_!» (PASCAL. _Pensées._) «La promesse que J. C. nous a faite de rendre sa _joie pleine_ en nous.» (Id. _Ibid._) (Voyez A PLEIN.) --PLEIN D’EFFROI, au sens actif, c’est-à-dire qui remplit d’effroi: Et qu’on s’aille former _un monstre plein d’effroi_ De l’affront que nous fait son manquement de foi? (_Éc. des fem._ IV. 8.) PLUS pour _le plus_, au superlatif: Mais je vais employer mes efforts _plus puissants_, Remuer terre et ciel, m’y prendre de tous sens... (_L’Ét._ V. 12.) Si vous leur dérobez leurs conquêtes _plus belles_, Et de tous leurs amants faites des infidèles. (_Ibid._ V. 13.) Le remède _plus prompt_ où j’ai su recourir. (_Dép. am._ III. 1.) Mais ce qui _plus me plaît_ d’une attente si chère... (_D. Garcie._ I. 3.) C’est lors que _plus il m’aime_. (_Ibid._ II. 1.) Qui est _plus criminel_ à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n’a que faire? (_L’Avare._ II. 3.) «Quatre cent mille soldats qu’elle entretenoit étoient ceux de ses citoyens qu’elle (l’Égypte) exerçoit avec _plus_ de soin.» (BOSSUET, _Hist. un._ IIIe partie.) «Chargeant de mon débris les reliques _plus chères_.» (RACINE. _Bajazet._) Cette façon de parler commençait dès lors à vieillir, et l’on ne tarda pas à la proscrire; mais au XVIe siècle, et surtout au moyen âge, on ne s’en faisait aucun scrupule: «L’honneur, qui sous faux titre habite avecque nous, Qui nous ôte la vie et les plaisirs _plus doux_.» (REGNIER. Sat. VI.) «Estant là, je furète aux recoins _plus cachés_.» (_Ibid._) «Les gens du monde pour la santé où il avoit _plus_ de fiance (Charles V), c’estoit en bons maistres medecins.» (FROISSART. _Chron._ II. 70.) «Gentis rois, dit la dame, par Deu qui maint la sus, Je vos commant la rien el monde que j’aim _plus_.» (_Chans. des Saxons._ I. 85.) Je vous recommande la chose que j’aime le plus au monde. «Donez l’or et l’argent, et le vair et le gris; Car doner est la rien qui _plus_ monte à haut pris.» (_Ibid._ I. 85.) «Vous estes, fais-je, du lignage «D’icy entour _plus_ à louer.» (_Pathelin._) Du lignage des environs le plus à louer. PLUT A DIEU, suivi de l’infinitif: _Plût à Dieu l’avoir_ tout à l’heure, devant tout le monde (le fouet), et savoir ce qu’on apprend au collége! (_B. gent._ III. 3.) POIDS; LE POIDS D’UNE GRIMACE: _Le poids de sa grimace_, où brille l’artifice, Renverse le bon droit et tourne la justice. (_Mis._ V. 1.) (Voyez TOURNER LA JUSTICE, et MÉTAPHORES VICIEUSES.) --LE POIDS D’UNE CABALE: Et, pour moins que cela, _le poids d’une cabale_ Embarrasse les gens dans un fâcheux dédale. (_Tart._ V. 3.) Pascal a dit, _le poids de la vérité_: «Il est sans doute que _le poids de la vérité_ les déterminera incontinent à ne plus croire à vos impostures.» (15e _Prov._) La métaphore d’un poids qui détermine la balance à pencher à droite ou à gauche, est juste; celle d’un poids qui embarrasse dans un dédale, ne l’est pas. --METTRE DU POIDS A QUELQUE CHOSE, y attacher de l’importance: Mon père est d’une humeur à consentir à tout; Mais _il met peu de poids_ aux choses qu’il résout. (_Fem. sav._ I. 3.) POINT, surabondant avec _aucun_: On ne doit _point_ songer à garder _aucunes_ mesures. (_D. Juan._ III. 5.) _Aucun_ étant exactement synonyme de _quelque_, il n’y a pas ici de faute contre le génie de la langue; mais j’avoue qu’il y en a une contre l’usage, qui est vicieux, de considérer _aucun_ comme renfermant une négation. (Voyez PAS.) --POINT D’AFFAIRES, exclamation elliptique dont le sens est sans doute celui-ci: Point d’affaires entre nous! je ne vous écoute pas: _Point d’affaires!_ je suis inexorable. (_G. D._ III. 8.) De la louange, de l’estime, de la bienveillance en paroles, et de l’amitié, tant qu’il vous plaira; mais de l’argent, _point d’affaires_. (_L’Av._ II. 5.) POMMADER, faire de la pommade: Que font-elles?--De la pommade pour leurs lèvres.--C’est trop _pommadé_. Dites-leur qu’elles descendent. (_Préc. rid._ 3.) Cet emploi du participe passé, avec _trop_ et _assez_, est remarquable, encore que très-usuel: c’est assez bu; c’est assez causé; c’est trop pommadé. PORTE; ENTRER DANS UNE PORTE: _Entrez dans cette porte_, et laissez-vous conduire. (_Éc. des fem._ V. 3.) Il est incommode et fâcheux que nous soyons réduits à un seul mot pour exprimer l’ouverture pratiquée dans la muraille et la pièce de menuiserie destinée à la fermer. Les Latins avaient _janua_, auxquels correspondaient, dans notre vieille langue, _porte_ et _huis_[68]. Mais depuis qu’on a banni le second, il faut bien que l’autre fasse un double service, et désigne à la fois les deux choses contraires. [68] On les confondait souvent dans l’usage; mais enfin _huis_, d’après sa racine _uscire_, _sortir_, marquait _l’ouverture_ qu’on fermait avec la _porte_. --LA PORTE DES RESSORTS. (Voyez RESSORTS à l’article MÉTAPHORES VICIEUSES.) PORTE-RESPECT: Foin! que n’ai-je avec moi pris mon _porte-respect_! (_L’Ét._ III. 9.) Je ne sais trop ce qu’entend Lélie par ce terme, si ce n’est un bâton; mais comment la défense d’un bâton est-elle regrettable à qui porte deux pistolets et une épée? Mais vienne qui voudra contre notre personne: J’ai deux bons pistolets, et mon épée est bonne. (_Ibid._) PORTER, pour _porter en soi, avec soi_: Un dieu _qui porte les excuses_ de tout ce qu’il fait: l’Amour. (_L’Av._ V. 3.) --PORTER DU CRIME DANS..., en mettre où il n’y en a pas: Il n’y a chose si innocente où les hommes ne puissent _porter du crime_. (_Préf. de Tartufe._) --PORTER DU SCANDALE, causer, entraîner du scandale: Après son action, qui n’eut jamais d’égale, Le commerce entre nous _porteroit du scandale_. (_Tart._ IV. 1.) --PORTER UN AIR: Et partout _porte un air_ qui saute aux yeux d’abord. (_Mis._ I. 1.) Ce monsieur Loyal _porte un air_ bien déloyal! (_Tart._ V. 4.) PORTEUR DE HUCHET: Dieu préserve, en chassant, toute sage personne D’un _porteur de huchet_ qui mal à propos sonne! (_Fâcheux._ II. 7.) Le huchet est un petit cor de chasseur ou de postillon, qui sert à _hucher_ (appeler) les chiens. PORTRAIT, pour _peinture_, _tableau_, LE PORTRAIT D’UN COMBAT: Je dois aux yeux d’Alcmène _un portrait_ militaire _Du grand combat_ qui met nos ennemis à bas. (_Amph._ I. 1.) (Voyez PEINTURE pour _portrait_.) --PORTRAIT D’UN CŒUR: Nous allons en tous lieux Montrer _de votre cœur le portrait glorieux_. (_Mis._ V. 4.) POSSIBLE, adverbe, peut-être: Son heure doit venir, et c’est à vous, _possible_, Qu’est réservé l’honneur de la rendre sensible. (_Pr. d’Él._ I. 4.) Primitivement tous les adjectifs s’employaient aussi comme adverbes; notre langue en a conservé de nombreux exemples: _voir clair_; _frapper fort_; _tenir ferme_; _partir soudain_, etc. Il n’y a aucune raison pour que _possible_ soit exclu de ce privilége. La Fontaine l’y maintenait: «Ils ne cédoient à pas une nonnain «Dans le désir de faire que madame «Ne fût honteuse, ou bien n’eût dans son âme «Tel récipé, _possible_, à contre-cœur.» (_L’Abbesse malade._) «Deux ou trois de ses officiers et autant de femmes se promenoient à cinq cents pas d’elle, et s’entretenoient _possible_ de leur amour.» (LA FONT. _Amours de Psyché._ liv. II.) «_Possible_ personne qu’elle n’étoit descendue sous cette voûte depuis qu’on l’avoit bâtie.» (Id. _Ibid._) --POSSIBLE QUE, peut-être que...: _Possible que_, malgré la cure qu’elle essaie, Mon âme saignera longtemps de cette plaie. (_Dép. am._ IV. 3.) POSTE: «Poste aussi, avec une diction possessive (un pronom possessif), signifie _façon_, _manière_, _volonté_, _guise_, comme: Il est fait _à ma poste_; il luy a aposté ou baillé des tesmoins faits _à sa poste_. «Et quand il n’est joinct à telles particules possessives, il signifie _pourpensé_, _attiltré_, comme: cela est faict _à poste_.» (NICOT.) TOINETTE. J’avois songé en moi-même que ç’auroit été une bonne affaire de pouvoir introduire ici un médecin _à notre poste_, pour le dégoûter de son monsieur Purgon. (_Mal. im._ III. 2.) «Que Martial retrousse Venus _à sa poste_, il n’arrive pas à la faire paroistre si entiere.» (MONTAIGNE. III. 5.) «Un valet qui les escrivit soubs moy pensa faire un grand butin de m’en desrober plusieurs pieces choisies _à sa poste_.» (Id. II. 37.) «Dieu fasse paix au gentil Arioste, «Et daigne aussi mettre en lieu de repos «Jean la Fontaine, auteur fait _à la poste_ «Du Ferrarois, adoptant ses bons mots.» (SENECÉ. _Camille._) A la guise, sur le modèle, dans le goût de l’Arioste. Les Italiens disent aussi _a mia posta_, et, sans pronom possessif, _alla posta_, _apposta_: «Ha la bocca fatta _apposta_ «Pel servizio della posta.» (_Duo de Guglielmi._) Il a la bouche faite _à poste_ pour le service de la poste. On pourrait croire que nous leur avons emprunté cette expression; mais elle existait dans notre langue depuis un temps bien reculé, avec des acceptions diverses. _Posta_, dans les actes du moyen âge, signifie une station, un lieu désigné, _un poste_, et _volonté_, _gré_, _convenance_. Dans les ordonnances du roi Jean (1355), on trouve _faire fausse poste_, pour _aposter_, qui alors n’était pas encore créé. Il s’agit des revues de troupes, où l’on faisait figurer de faux soldats, des hommes _apostés_, des soldats _postiches_: «Nous avons ordené et ordenons que nul _ne face fausse poste_, sur peine de perdre chevaux et hernois..... avons ordené et ordenons, pour eschiver les _fausses postes_.....» (_Ap._ CANG. in _Posta_.) _Postiquer_, _postiqueur_, c’était, au sens propre, courir la poste, postillon; au figuré, fourber, intriguer; un intrigant. _Le poste_ d’un couvent, d’un collége, était le coureur, le messager de la maison. De cette famille il nous reste _la poste_; _poster_, _aposter_; et _postiche_. POSTURE (position), soit en bonne, soit en mauvaise part: C’est un placet, monsieur, que je voudrois vous lire, Et que, dans la _posture_ où vous met votre emploi, J’ose vous conjurer de présenter au roi. (_Fâcheux._ II. 2.) Un duel met les gens en mauvaise _posture_. (_Ibid._ II. 10.) Mes affaires y sont en fort bonne _posture_. (_Éc. des fem._ I. 6.) POT; TOURNER AUTOUR DU POT: A quoi bon tant barguigner, et tant _tourner autour du pot_? (_Pourc._ I. 7.) Cette métaphore est du style de Pourceaugnac et de Petit-Jean: «... Eh! faut-il tant _tourner autour du pot_?» (_Les Plaideurs._ III. 3.) --POTS CASSÉS; PAYER LES POTS CASSÉS DE QUELQUE CHOSE: Un cordonnier, en faisant les souliers, ne sauroit gâter un morceau de cuir qu’il n’en _paye les pots cassés_. (_Méd. m. lui._ II. 1.) Cette expression proverbiale fait allusion à un jeu usité au moyen âge parmi les enfants. Ce jeu consistait à faire circuler rapidement, de proche en proche, un pot qu’il fallait élever en l’air avant de le transmettre à son voisin. Il se trouvait quelque maladroit qui le laissait tomber, et celui-là payait les pots cassés. Menot parle de ce jeu: «Le diable et le monde font comme les enfants qui jouent à la balle ou au _pot cassé_: ils se le passent de main en main; un des joueurs le lève bien haut et le laisse tomber, et le pot vole en éclats[69].» [69] «Diabolus et mundus faciunt sicut faciunt pueri ludentes ad pilam vel ad potum fractum: dant illum de manu in manum; elevabit quis potum alte, et cadere dimittet, et sic frangetur.» (_Sermones_, fol. 15.) POTAGE; POUR TOUT POTAGE, au sens figuré, uniquement: Vous n’êtes, _pour tout potage_, qu’un faquin de cuisinier. (_L’Av._ III. 6.) La Fontaine s’est servi, dans cette locution, du mot _besogne_ au lieu de _potage_. Le renard invite à dîner _madame la cigogne_: «Le galant, _pour toute besogne_, Avoit un brouet clair; il vivoit chichement.» (_Le Renard et la Cigogne._) Ailleurs il dit, _pour tout mets_: «Le renard dit au loup: Notre cher, _pour tout mets_ J’ai souvent un vieux coq ou de maigres poulets.» (_Le Loup et le Renard._) POULE LAITÉE: Avec leur ton de _poule laitée_, et leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat! (_L’Av._ II. 7.) «On dit, pour se moquer d’un lâche, d’un sot qui se mêle du ménage des femmes; que c’est une _poule mouillée_, une _poule laitée_, un _tâte-poules_.» (TRÉVOUX.) POUR, faisant l’office de _seulement_: On nous fait voir que Jupiter n’a pas aimé _pour_ une fois. (_Pr. d’Él._ II. 1.) On est faite d’un air, je pense, à pouvoir dire Qu’on n’a pas _pour_ un cœur soumis à son empire. (_Fem. sav._ II. 3.) Pourquoi ces façons de parler sont-elles tout à fait hors d’usage, et cependant maintient-on encore _pour_ dans cette locution: Cela peut passer _pour une fois_, c’est-à-dire, une fois seulement? Ce sont là des inconséquences que les écrivains devraient tâcher d’empêcher, ou de corriger. --POUR, au point de, jusqu’à: Ma foi, me trouvant las _pour_ ne pouvoir fournir Aux différents emplois où Jupiter m’engage.... (_Amph._ prol.) --POUR, en qualité de: Je suis auprès de lui gagé _pour serviteur_; Me voudriez-vous encor gager _pour précepteur_? (_L’Ét._ I. 9.) Et vous l’avez connu _pour gentilhomme_. (_B. gent._ IV. 5.) Cet emploi de _pour_ est encore usuel dans cette phrase, par exemple: Prendre _pour_ domestique. Connaître _pour_ gentilhomme, gager _pour_ précepteur, ne sont guère que des applications du même principe. Ce qui appauvrit les langues, c’est justement de restreindre la valeur générale d’un mot à quelques formules particulières. Molière, non plus que Bossuet, ne se laisse jamais garrotter dans ces entraves, et c’est là peut-être le caractère essentiel de leur langue, et ce qui lui donne tant d’ampleur. Les Espagnols emploient de même _por_ devant un adjectif. Tirso de Molina intitule une de ses pièces: «El condemnado _por desconfiado_.» _Le damné pour déconfès_, pour être mort sans confession, en qualité de déconfès. --POUR (un infinitif) marquant, non le but, mais la cause, comme _parce que_: Moi... Trahir mes sentiments, et, _pour être en vos mains_, D’un masque de faveur vous couvrir mes dédains! (_D. Garcie._ II. 6.) _Parce que je suis en vos mains_, et non _afin d’être en vos mains_. Je hais ces cœurs pusillanimes, qui, _pour trop prévoir_ les suites des choses, n’osent rien entreprendre. (_Scapin._ III. 1.) Parce qu’ils prévoient trop. Tous les désordres, toutes les guerres n’arrivent que _pour n’apprendre pas_ la musique. (_B. gent._) _Parce qu’on_ n’apprend pas, et non, _afin de ne_ pas apprendre. C’est _pour nous attacher_ à trop de bienséance Qu’aucun amant, ma sœur, à nous ne veut venir. (_Psyché._ I. 1.) _Parce que nous nous attachons_, et non, _afin de nous attacher_. Et je ne fuis sa main que _pour le trop chérir_. (_Fem. sav._ V. 5.) On ne s’avise point de défendre la médecine _pour avoir été bannie de Rome_, ni la philosophie _pour avoir été condamnée publiquement dans Athènes_. (_Préf. de Tartufe._) _Parce qu’elle_ a été bannie, _parce qu’elle_ a été condamnée. Pascal dit de même: «La durée de notre vie n’est-elle pas également et infiniment éloignée de l’éternité _pour_ durer dix ans davantage?» (_Pensées._ p. 298.) C’est-à-dire: Notre vie, parce qu’elle aura duré dix ans de plus ou de moins, ne sera-t-elle pas toujours aussi éloignée de l’éternité? Ce tour, dans Pascal, me paraît un peu obscur, peut-être à cause de la désuétude. «Et comment est-il possible, reprit Ésope, que vos juments entendent de si loin nos chevaux hennir, et conçoivent _pour les entendre_?» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) --POUR, uni à l’auxiliaire _être_. (Voyez ÊTRE POUR.) --POUR L’AMOUR DE, en mauvaise part: Que tous ces jeunes fous me paroissent fâcheux! Je me suis dérobée au bal _pour l’amour d’eux_. (_Éc. des mar._ III. 9.) --POUR CERTAIN: Tous les bruits de Léon annoncent _pour certain_ Qu’à la comtesse Ignès il va donner la main. (_D. Garcie._ I. 2.) --POUR CE QUI EST DE CELA, sans relation à rien, et en forme d’exclamation, comme _en vérité_: _Pour ce qui est de cela_, la jalousie est une étrange chose! (_G. D._ I. 6.) POURQUOI..., ET QUE...: GEORGETTE. Oui; mais _pourquoi_ chacun n’en fait-il pas de même, _Et que_ nous en voyons qui paroissent joyeux Lorsque leurs femmes sont avec les beaux monsieux? (_Éc. des fem._ II. 3.) Le second vers répond à cette tournure: _et comment se fait-il que..._ Rien n’est plus naturel que ce changement subit de construction au milieu d’une phrase, comme rien n’est plus fréquent dans le discours familier. Néanmoins, ce qui peut passer dans la bouche de Georgette n’est-il pas trop abandonné sous la plume de Voltaire commentant Corneille? --«Pourquoi dit-on _prêter l’oreille_, ET QUE _prêter les yeux_ n’est pas français?» (Sur le vers 27, sc. V, act. 3, de _Rodogune_.) POURSUIVRE A, continuer à: Il ne faut que _poursuivre à garder le silence_. (_Mis._ V. 3.) POUR UN PEU, pour un moment: Souffrez que j’interrompe _pour un peu_ la répétition. (_Impromptu._ 3.) POUR VOIR, adverbialement: Ayez recours, _pour voir_, à tous les détours des amants. (_G. D._ I. 6.) POUSSER, absolument, insister: _Pousse_, mon cher marquis, _pousse_. (_Critique de l’École des fem._ 7.) _Poussez_, c’est moi qui vous le dis. (_G. D._ I. 7.) --POUSSER LES CHOSES: N’allez point _pousser les choses_ dans les dernières violences du pouvoir paternel. (_L’Av._ V. 4.) Voilà, mon gendre, comme il faut _pousser les choses_. (_G. D._ I. 8.) «Mais, mon père, qui voudroit _pousser cela_ vous embarrasseroit.» (PASCAL. 9e _Prov._) --POUSSER QUELQU’UN, au sens moral; le pousser à bout: Vraiment _vous me poussez_; et, contre mon envie, Votre présomption veut que je l’humilie. (_Dép. am._ I. 3.) «_Vous me poussez!_--Bonhomme, allez garder vos foins.» (_Les Plaideurs._ I. 7.) --POUSSER DES CONCERTS: _Poussons_ à sa mémoire _Des concerts_ si touchants, Que du haut de sa gloire Il[70] écoute nos chants. (_Am. magn._ 6e _intermède_.) [70] Le soleil, c’est-à-dire Louis XIV. Corneille a dit _pousser des harmonies_: «Des flûtes au troisième[71], au dernier des hautbois, «Qui tour à tour en l’air _poussoient des harmonies_ «Dont on pouvoit nommer les douceurs infinies.» (_Le Ment._ I. 5.) [71] Bateau. Et Pascal, _pousser des imprécations_: «D’où vient, disent-ils, qu’on _pousse tant d’imprécations_...» (3e _Prov._) --POUSSER LA SATIRE: Les rieurs sont pour vous, madame, c’est tout dire; Et vous pouvez _pousser contre moi la satire_. (_Mis._ II. 5.) --POUSSER les tendres sentiments,--l’amusement: Il nous feroit beau voir, attachés face à face, _Pousser les tendres sentiments_! (_Amph._ I. 4.) Amphitryon, c’est trop _pousser l’amusement_. (_Ibid._ II. 2.) --POUSSER SA CHANCE, SA FORTUNE, SON BIDET: J’avois beau m’en défendre, il a _poussé sa chance_. (_Fâcheux._ I. 1.) Elle se rend à sa poursuite: il _pousse sa fortune_; le voilà surpris avec elle par ses parents. (_Scapin._ I. 6.) Moquez-vous des sermons d’un vieux barbon de père; _Poussez votre bidet_, vous dis-je, et laissez faire. (_L’Ét._ I. 2.) --POUSSER UNE MATIÈRE, creuser un sujet: Nous sommes ici _sur une matière_ que je serai bien aise que nous _poussions_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) POUSSEUSES DE TENDRESSE: Héroïnes du temps, mesdames les savantes, _Pousseuses de tendresse_ et de beaux sentiments... (_Éc. des fem._ I. 5.) (Voyez POUSSER.) POUVOIR, verbe; IL NE SE PEUT QUE NE...: _Il ne se peut donc pas que tu ne sois_ bien à ton aise? (_D. Juan._ III. 2.) Pacuvius et Lucrèce ont dit _potestur_, au passif. _Non potestur quin_ traduirait exactement _il ne se peut que ne_. (Voyez QUE dans cette formule IL N’EST PAS QUE, p. 333.) --POUVOIR MAIS, sans exprimer _en_: Sur la tentation ai-je quelque crédit, Et _puis-je mais_, chétif, si le cœur leur en dit? (_Dép. am._ V. 3.) _Mais_ conserve dans cette locution le sens du latin _magis_. _Je n’en puis mais_, je ne puis davantage de cela, c’est-à-dire, touchant cela, _de hoc_. --POUVOIR; substantif. (Voyez FAIRE SON POUVOIR.) PRATIQUE, manière de se conduire, intrigue, sourdes menées: O la fine _pratique_! Un mari confident!--Taisez-vous, as de pique. (_Dép. am._ V. 9.) Rentrez, pour n’ouïr point cette _pratique_ infâme. (_Éc. des mar._ I. 2.) Dans un petit couvent, loin de toute _pratique_, Je la fis élever selon ma politique. (_Éc. des fem._ I. 1.) Ses _pratiques_, je crois, ne vous sont pas nouvelles. (_Amph._ prol.) PRATIQUER DES AMES, les travailler par des intrigues: Il a tenté Léon, et ses fidèles trames Des grands comme du peuple ont _pratiqué les âmes_. (_Don Garcie._ I. 2.) PRÉALABLE; AU PRÉALABLE: Je ne prétends point qu’il se marie, qu’_au préalable_ il n’ait satisfait à la médecine. (_Pourc._ II. 2.) PRÉCIEUSE, substantif. Molière prend toujours ce mot en mauvaise part: Voyez comme raisonne et répond la vilaine! Peste! _une précieuse_ en diroit-elle plus? (_Éc. des fem._ V. 4.) On voit que Molière avait déterminé de ruiner ce titre; mais il n’y va point brusquement; il garde quelque ménagement pour l’opinion publique, au moyen d’une distinction que tantôt il rappelle, tantôt il a soin d’oublier: Est-ce qu’il y a une personne qui soit plus véritablement ce qu’on appelle _précieuse, à prendre le mot dans sa plus mauvaise signification_? (_Crit. de l’Éc. des fem._ 2.) Le bel assemblage que ce seroit d’une _précieuse_ et d’un turlupin! (_Ibid._) Et cette dernière précieuse se trouve être «la plus grande façonnière du monde,» une femme d’un ridicule accompli dans ses manières comme dans son langage. Molière avait porté le premier coup aux précieuses en 1659; il revient à la charge quatre ans après: la _Critique de l’École des femmes_ est de 1663. PRÉCIPITÉ D’UN ESPOIR: Ah! madame, faut-il me voir _précipité De l’espoir glorieux_ dont je m’étois flatté? (_D. Garcie._ III. 2.) PREMIER; QUI PREMIER, qui le premier: Maudit soit _qui premier_ trouva l’invention De s’affliger l’esprit de cette vision! (_Sgan._ 17.) Latinisme: qui primus. «Nous verrons, volage bergere, «_Qui premier_ s’en repentira!» (DESPORTES.) _Premier_ s’employait aussi adverbialement: «Tout ce en Bretagne apparut Quand _premier_ la guerre y esmeut, L’an 300 quarante et un mil, Le derrain jour du mois d’apvril.» (_Chron. de Guill. de Saint-André._ v. 104.) Quand premièrement, pour la première fois. «Dieu _tout premier_, puis père et mère, honore.» (PYBRAC.) (Voyez plus bas PREMIER QUE.) --LE PREMIER, le premier venu: Ma bague est la marque choisie Sur laquelle _au premier_ il doit livrer Célie. (_L’Ét._ II. 9.) Il semblerait qu’il s’agit de deux personnages, le premier et le second. La gêne de l’expression est trop visible. --PREMIER QUE, avant, ou avant que: Et là, _premier que lui_ si nous faisons la prise, Il aura fait pour nous les frais de l’entreprise. (_L’Ét._ III. 7.) «_Premier que_ d’avoir mal, ils trouvent le remède.» (MALHERBE.) Trévoux cite ce dernier exemple et les suivants: «Il étoit au monde _premier que_ vous fussiez né.--Un moine n’oseroit sortir _que premier_ il n’en ait demandé la permission.--En ce sens il vieillit.» (1740.) Dans l’origine, tous les adjectifs s’employaient adverbialement sans changer de forme: partir soudain; voir clair; tenir ferme; courir vite; parler net, haut, fort. Dans toutes ces locutions et les semblables, l’adjectif joue le rôle de l’adverbe. Ce privilége de l’adjectif subsiste encore en allemand et en anglais. _Premier_ pour _premièrement_ était donc une locution très-régulière et très-correcte. Quant à l’adjonction du _que_, _premier que_, pour _premièrement que_, elle est justifiée par cette réflexion fort simple, que _premier_ marque une comparaison, est un véritable comparatif; il est donc naturel qu’il en ait la construction et l’attribut. (Voyez aux mots FERME, FRANC, NET, POSSIBLE.) PRENDRE, choisir, préférer: Ai-je l’éclat ou le secret à _prendre_? (_Amph._ III. 3.) --LE PRENDRE A (un substantif), s’en rapporter à...: _Si vous le voulez prendre aux usages_ du mot, L’alliance est plus grande entre pédant et sot. (_Fem. sav._ IV. 3.) --SE PRENDRE A (un infinitif), s’y prendre pour: Voyons d’un esprit adouci Comment _vous vous prendrez à soutenir_ ceci. (_Mis._ V. 4.) --PRENDRE A TÉMOIN SI...: Je _prends à témoin_ le prince votre père _si_ ce n’est pas vous que j’ai demandée. (_Pr. d’Él._ V. 3.) (Afin qu’il dise) si ce n’est pas vous... etc. --PRENDRE CRÉANCE EN QUELQU’UN: Et tâchez, comme _il prend en vous grande créance_, De le dissuader de cette autre alliance. (_Éc. des fem._ V. 6.) --PRENDRE DROIT: Et je serois encore à nommer le vainqueur, Si le mérite seul _prenoit droit_ sur un cœur. (_D. Garcie._ I. 1.) Cependant apprenez, prince, à vous mieux armer Contre ce qui _prend droit_ de vous trop alarmer. (_Ibid._ I. 5.) Et c’est ce qui chez vous _prend droit_ de m’amener. (_Éc. des mar._ II. 3.) Ah! qu’il est bien peu vrai que ce qu’on doit aimer, Aussitôt qu’on le voit, _prend droit_ de nous charmer! (_Pr. d’Él._ I. 1.) Il est très-assuré, sire, qu’il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartufes ont l’avantage; qu’ils _prendront droit_ par là de me persécuter plus que jamais..... (2e _Placet au Roi_.) --PRENDRE EN MAIN: Tous les magistrats sont intéressés à _prendre cette affaire en main_. (_L’Av._ V. 1.) --PRENDRE FOI SUR...: Mais je n’ai point _pris foi sur ces méchantes langues_. (_Éc. des fem._ II. 6.) --PRENDRE GARDE A (un infinitif): C’est donner toute son attention à faire l’action marquée par cet infinitif: _Prenez bien garde_, vous, _à vous déhancher_ comme il faut, et _à faire bien des façons_. (_Impromptu._ 3.) _Prenez garde de_ marquerait le contraire, et le soin d’éviter. Les Latins avaient de même _vereor ut_ et _vereor ne_. Pascal dit _prendre garde que_, comme _observer_, _remarquer que_: «Les valets peuvent faire en conscience de certains messages fâcheux; n’avez-vous pas _pris garde que_ c’étoit seulement en détournant leur intention du mal, etc.....» (7e _Prov._) --PRENDRE INTÉRÊT EN QUELQU’UN: Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre, Que l’_intérêt qu’en vous l’on s’avise de prendre_? (_Tart._ IV. 5.) Un ami qui m’est joint d’une amitié fort tendre, Et qui sait l’_intérêt_ qu’_en_ vous j’ai lieu de _prendre_. (_Ibid._ V. 6.) --PRENDRE LA VENGEANCE DE: Pour m’ouvrir une voie _à prendre la vengeance_ _De_ son hypocrisie et de son insolence. (_Ibid._ III. 4.) --absolument pour _épouser la querelle_: Loin d’être les premiers à _prendre ma vengeance_, Eux-mêmes font obstacle à mon ressentiment. (_Amph._ III. 5.) Et vous devez, en raisonnable époux, Être pour moi contre elle, et _prendre mon courroux_. (_Fem. sav._ II. 6.) --PRENDRE LE FRAIS, choisir l’heure du frais: Pour arriver ici, mon père _a pris le frais_. (_Éc. des fem._ V. 6.) --PRENDRE LE PIED DE (un infinitif): De peur que, sur votre foiblesse, il ne _prenne le pied de vous mener_ comme un enfant. (_Scapin._ I. 3.) --PRENDRE LOI DE QUELQU’UN: Il seroit beau vraiment qu’on le vît aujourd’hui _Prendre loi_ de qui doit la recevoir de lui! (_Éc. des fem._ V. 7.) --PRENDRE PAR LES ENTRAILLES, au figuré, parlant de l’effet des ouvrages de l’esprit: Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui _nous prennent par les entrailles_, et ne cherchons point des raisonnements pour nous empêcher d’avoir du plaisir. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) --PRENDRE PEINE A (un infinitif): Tant pis encore de _prendre peine à dire des sottises_. (_Ibid._ 1.) --PRENDRE PLAISIR DE (un infinitif): Car le ciel _a trop pris plaisir de m’affliger_. (_Dép. am._ II. 4.) Je _prends plaisir d’être seule_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 1.) Je pense qu’_il ne prend pas plaisir de_ nous voir. (_D. Juan._ III. 6.) --PRENDRE SOIN A (un infinitif): C’est un étrange fait du _soin que vous prenez_, _A me venir_ toujours _jeter_ mon âge au nez. (_Éc. des mar._ I. 1.) --PRENDRE VISÉE QUELQUE PART, diriger là son attention et ses efforts: Elle est sage, elle m’aime, et votre amour l’outrage. _Prenez visée_ ailleurs, et troussez-moi bagage. (_Ibid._ II. 9.) --SE PRENDRE A QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire, _s’y prendre pour la faire_: Elle _se prend_ d’un air le plus charmant du monde _aux choses_ qu’elle fait. (_L’Av._ I. 2.) --SE PRENDRE A QUELQU’UN DE, s’en prendre à lui, l’en accuser: C’est ainsi qu’_aux flatteurs_ on doit partout _se prendre_ Des vices où l’on voit les humains se répandre. (_Mis._ II. 5.) _PRÉPOSITION supprimée_, où l’usage moderne est de la répéter, soit devant un nom, soit devant un infinitif: . . . . . . On sait bien que Célie A causé des désirs _à_ Léandre _et Lélie_. (_L’Ét._ V. 13.) Nous dirions: à Léandre et à Lélie. Il n’y a dans Molière qu’un second exemple pareil à celui-ci, c’est-à-dire, où la préposition soit supprimée devant un substantif: La peste soit _de_ l’homme _et sa chienne de face_! (_Éc. des fem._ IV. 2.) Et de sa chienne de face. Pour de l’esprit, j’en ai sans doute, et du bon goût _A_ juger sans étude et raisonner de tout; _A_ faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre, Figure de savant sur les bancs d’un théâtre; _Y décider_ en chef, et faire du fracas A tous les beaux endroits qui méritent des _ah_! (_Mis._ III. 1.) _A y décider._ C’est aux gens mal tournés, aux mérites vulgaires, _A_ brûler constamment pour des beautés sévères; _A_ languir à leurs pieds _et souffrir_ leurs rigueurs; _A_ chercher le secours des soupirs et des pleurs, _Et tâcher_, par des soins d’une très-longue suite, D’obtenir ce qu’on nie à leur peu de mérite. (_Ibid._) Et _à_ souffrir, et _à_ tâcher. On n’a point _à_ louer les vers de messieurs tels, _A donner_ de l’encens à madame une telle, Et de nos francs marquis _essuyer_ la cervelle. (_Ibid._ III. 7.) _A essuyer_ la cervelle de nos marquis. Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépens, Et sans aucun respect _faire_ cocus les gens! (_Sgan._ 8.) _A faire_ cocus les gens. Comme si j’étois femme _à violer_ la foi que j’ai donnée à un mari, _et m’éloigner_ jamais de la vertu que mes parents m’ont enseignée! (_G. D._ II. 10.) Le remède plus prompt où j’ai su recourir, C’est _de_ pousser ma pointe _et dire_ en diligence A notre vieux patron toute la manigance. (_Dép. am._ III. 1.) Trouves-tu beau, dis-moi, _de_ diffamer ma fille, _Et faire_ un tel scandale à toute une famille? (_Ibid._ III. 8.) Loin _d’_assurer une âme, _et lui fournir_ des armes.... (_Ibid._ IV. 2.) Peux-tu me conseiller un semblable forfait, _D’_abandonner Lélie _et prendre_ ce malfait? (_Sgan._ 2.) Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur, C’est _de_ flatter toujours le foible de leur cœur, _D’_applaudir en aveugle à ce qu’ils veulent faire, _Et n’appuyer_ jamais ce qui peut leur déplaire. (_D. Garcie._ II. 1.) Et voulez-vous, charmé de ses rares mérites, M’obliger _à_ l’aimer, _et souffrir_ ses visites? (_Éc. des mar._ II. 14.) En quelle impatience Suis-je _de_ voir mon frère _et lui conter_ sa chance! (_Ibid._ III. 2.) Mais je ne suis pas homme _à_ gober le morceau, _Et laisser_ le champ libre aux yeux d’un damoiseau. (_Éc. des fem._ II. 1.) Il ne veut obtenir Que le bien _de_ vous voir _et vous entretenir_. (_Ibid._ II. 6.) Employons ce temps _à répéter_ notre affaire, _et voir_ la manière dont il faut jouer les choses. (_Impromptu._ 1.) C’est _de_ ne plus souffrir qu’Alceste vous prétende; _De_ le sacrifier, madame, à mon amour; Et de chez vous enfin _le bannir_ sans retour. (_Mis._ V. 2.) Je vous promets ici d’éviter sa présence, _De_ faire place au choix où vous vous résoudrez, _Et ne souffrir_ ses vœux que quand vous le voudrez. (_Mélicerte._ II. 4.) Mais mon secours pourra lui donner les moyens _De_ sortir d’embarras _et rentrer_ dans ses biens. (_Tart._ II. 2.) Pour m’ouvrir une voie _à_ prendre la vengeance De son hypocrisie et de son insolence, _A_ détromper un père, _et lui mettre_ en plein jour L’âme d’un scélérat qui vous parle d’amour. (_Ibid._ III. 4.) Ce seroit mériter qu’il me la vînt ravir (l’occasion), Que _de_ l’avoir en main, _et ne m’en pas servir_. (_Ibid._) Un ordre _de_ vider d’ici, vous et les vôtres, _Mettre_ vos meubles hors, _et faire_ place à d’autres. (_Ibid._ V. 4.) On sait qu’une épître dédicatoire dit tout ce qu’il lui plaît, et qu’un auteur est en pouvoir d’aller saisir les personnes les plus augustes, et de parer de leurs grands noms les premiers feuillets de son livre; qu’il a la liberté _de_ s’y donner autant qu’il veut l’honneur de leur estime, _et se faire_ des protecteurs qui n’ont jamais songé à l’être. (_Ép. déd. d’Amphitryon._) Cette tournure est ici d’autant plus remarquable, que l’épître est écrite avec un soin particulier, comme adressée au prince de Condé, aussi fin connaisseur dans les choses d’esprit que grand capitaine. Qui donc est ce coquin qui prend tant de licence Que _de_ chanter _et m’étourdir_ ainsi? (_Amph._ I. 2.) Il me prend des tentations _d’_accommoder son visage à la compote, _et le_ mettre en état de ne plaire de sa vie aux diseurs de fleurettes. (_G. D._ II. 4.) J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes Elle accommode mal les noms avec les verbes, Et redise cent fois un bas ou méchant mot, Que _de_ brûler ma viande, _ou saler_ trop mon pot. (_Fem. sav._ II. 7.) Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, De cette indigne classe où nous rangent les hommes, _De_ borner nos talents à des futilités, _Et nous fermer la porte_ aux sublimes clartés. (_Ibid._ III. 2.) Appelez-vous, monsieur, être à vos vœux contraire, Que _de_ leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire, _Et vouloir_ les réduire à cette pureté..... (_Ibid._ IV. 2.) La multiplicité de ces exemples, tant en vers qu’en prose, fait assez voir que Molière, en supprimant en poésie la préposition une fois exprimée, ne cédait pas à la contrainte de la mesure; il suit la coutume de tous les écrivains du XVIIe siècle. Je n’en apporterai qu’un exemple; il est de la Fontaine, et curieux à cause de la longueur de la période, et du nombre de verbes devant lesquels il faut suppléer le _de_ mis au commencement. «Ésope, pour toute punition, lui recommanda _d’_honorer les dieux et son prince; _se rendre_ terrible à ses ennemis, facile et commode aux autres; _bien traiter_ sa femme, sans pourtant lui confier son secret; _parler peu, et chasser_ de chez soi les babillards; _ne se point laisser abattre_ au malheur; _avoir soin_ du lendemain....... surtout _n’être point envieux_ du bonheur ni de la vertu d’autrui.......» (LA FONTAINE. _Vie d’Ésope._) PRESCRIT, fixé, déterminé d’avance, et non pas _ordonné_: Pensez-vous qu’à choisir de deux choses _prescrites_, Je n’aimasse pas mieux être ce que vous dites..... (_Éc. des fem._ IV. 8.) C’est le sens du latin _præscriptus_, écrit d’avance. _PRÉSENT DU SUBJONCTIF_, en relation avec l’imparfait: _Seroit-ce_ quelque chose où je vous _puisse_ aider? (_Méd. m. l._ I. 5.) Ici l’imparfait _serait-ce_ est une forme convenue pour représenter le présent _est-ce_: _Est-ce_ quelque chose où je vous puisse aider? Ainsi, la correspondance des temps n’est réellement pas troublée. PRESSER QUELQU’UN D’UNE COURTOISIE: Toute _la courtoisie_ enfin _dont je vous presse_. (_Éc. des fem._ IV. 4.) PRÊT A, près de, sur le point de: Je vous vois _prêt_, monsieur, _à_ tomber en foiblesse. (_Sgan._ 11.) Si c’est vous offenser, Mon offense envers vous n’est pas _prête à_ cesser. (_Fem. sav._ V. 1.) --PRÊT DE, disposé à, sur le point de: Ajoute que ma mort Est _prête d’expier_ l’erreur de ce transport. (_Dép. am._ I. 2.) Molière, en ce sens, a dit deux fois _prêt à_: Le voilà _prêt à faire_ en tout vos volontés. (_Ibid._ III. 8.) Et que me sert d’aimer comme je fais, hélas! Si vous êtes si _prête à ne le croire pas_? (_Mélicerte._ II. 3.) Mais son habitude est _prêt de_: Que si cette feinte, madame, a quelque chose qui vous offense, je suis _tout prêt de mourir_ pour vous en venger. (_Pr. d’Él._ V. 2.) Vous n’avez qu’à parler, je suis _prêt d’obéir_. (_Mélicerte._ II. 5.) Et il n’y a pas quatre mois encore, qu’étant _toute prête d’être mariée_, elle rompit tout net le mariage.... (_L’Av._ II. 7.) Je suis _prêt de_ soutenir cette vérité contre qui que ce soit. (_Ibid._ V. 5.) Est-il l’heure de revenir chez soi quand le jour est _prêt de_ paroître? (_G. D._ III. 11.) Quelques éditions modernes ont imprimé ici _près de_; cette correction, ou plutôt cette infidélité, est impossible dans les exemples qui précèdent. Tous les grands écrivains du XVIIe siècle ont employé _prêt de_ pour _disposé à_: «Qu’on rappelle mon fils, qu’il vienne se défendre; «Qu’il vienne me parler, je suis _prêt de l’entendre_.» (RACINE. _Phèdre._ V. 5.) Le bon usage donnait même la préférence à _prêt de_: «Lorsque _prêt_ signifie _sur le point_, _prêt de_ est beaucoup meilleur.» (BOUHOURS, _Rem. nouv._) «Elle estoit _preste d’accoucher_.» (SCARRON. _Rom. com._ I. 13.) «Je le vis tout _prest d’abandonner_ son bucéphale, pour marcher à pied à la teste des fantassins.» (ST.-ÉVREMOND. _Conv. du P. Canaye._ éd. de Barbin, 1697.) LA SERRE. «Es-tu si _prêt d’écrire_? CASSAIGNE. Es-tu las d’imprimer?» (BOILEAU.) «Dites un mot, seigneur, soldats et matelots «Seront _prêts_ avec vous _de traverser_ les flots.» (CRÉBILLON. _Electre._) «Ce peuple, qui tant de fois a répandu son sang pour la patrie, est encore _prêt de suivre_ les consuls.» (VERTOY.) «Ils coururent chez un de ses oncles où il s’étoit retiré, et d’où il étoit _prêt de sortir_ pour aller se battre.» (FLÉCHIER. _Les Grands Jours_, p. 194.) «Elle (Psyché) étoit honteuse de son peu d’amour, toute _prête de réparer_ cette faute si son mari le souhaitoit, et quand même il ne le souhaiteroit pas.» (LA FONT. _Psyché._ l. 1.) C’est _paratus de_ au lieu de _paratus ad_. La première forme était celle qu’avait choisie le moyen âge: «S’il y est, il sera tout _prest «De vous payer_ à la raison.» (_Le Nouv. Pathelin._) «Ouy, mon amy, je suis _prest_ «_De vous despescher_ vistement.» (_Ibid._) «Je suis _tout prest de recevoir_.» (_Ibid._) Les grammairiens modernes reconnaissent l’emploi de _prêt de_ dans tous les écrivains du XVIIe siècle, et, en le tolérant comme un archaïsme, ils s’avisent d’une distinction subtile autant qu’elle est chimérique: _Prêt de_, disent-ils, s’employait pour _disposé à_, mais non jamais pour signifier _sur le point de_, car il fallait toujours alors mettre l’adverbe _près de_. On voit par les exemples de Molière la vanité de cette règle. _Ma mort est prête d’expier ce transport_;--_étant toute prête d’être mariée...._;--_le jour est prêt de paroître_; ne sont pas des phrases où l’on puisse substituer _disposé à_. La distinction rigoureuse et constante entre l’adverbe _près_ (_presso_) et l’adjectif prêt (_paratus_) paraît être venue tard: c’est un des résultats heureux, je crois, de l’analyse moderne. Auparavant on ne distinguait pas entre deux mots que l’oreille identifie; et quant aux compléments _à_ ou _de_, comme ils s’employaient sans cesse et correctement l’un pour l’autre, ils ne pouvaient qu’entretenir la confusion, loin de l’empêcher. PRÊTE-JEAN: C’est ainsi que Molière écrit, et non _prêtre Jean_, personnage qui est appelé, dans les chroniques latines, _presbyter Joannes_, et _pretiosus Joannes_. J. Scaliger était pour le dernier. Ce qui s’agite dans les conseils du _prête-Jean_ ou du Grand Mogol. (_Comtesse d’Escarb._ 1.) «On appela d’abord _prêtre Jean_ un prince tartare qui combattit Gengis. Des religieux envoyés auprès de lui prétendirent qu’ils l’avaient converti, l’avaient nommé _Jean_ au baptême, et même lui avaient conféré le sacerdoce: de là cette qualification de _prêtre Jean_, qui est devenue depuis, _on ne sait pourquoi_, celle d’un prince nègre, moitié chrétien schismatique et moitié juif. C’est de ce dernier qu’il est question ici.» (M. AUGER.) Voici à présent l’explication de Trévoux: «_Prestre Jean._ On appelle ainsi l’empereur des Abyssins, parce que autrefois les princes de ce pays étoient réellement prestres, et que le mot _Jean_, en leur langue, veut dire _Roi_. «..... Le nom de _prestre Jean_ est tout à fait inconnu en Éthiopie; et cette erreur vient de ce que ceux d’une province où ce prince réside souvent, quand ils lui veulent demander quelque chose, crient _Jean coi_, c’est-à-dire, _mon roi_.» C’est le cas de s’écrier aussi, avec le bonhomme Trufaldin: Oh! oh! qui des deux croire? Ce discours au premier est fort contradictoire. Ceux qui voudront en lire davantage sur le _prêtre_ ou _prête Jean_, peuvent consulter Du Cange au mot _Presbyter Joannes_. PRÉTENDRE QUELQU’UN, QUELQUE CHOSE: C’est inutilement qu’_il prétend done Elvire_. (_D. Garcie._ I. 1.) Donnez-en à mon cœur _les preuves qu’il prétend_. (_Ibid._ I. 5.) Quoi! si vous l’épousez, elle pourra _prétendre Les mêmes libertés_ que fille on lui voit prendre? (_Éc. des mar._ I. 2.) Et par de prompts transports donne un signe éclatant De l’estime qu’il fait de _celle qu’il prétend_. (_Fâcheux._ II. 4.) Et la preuve après tout que je vous en demande, C’est de ne plus souffrir qu’Alceste _vous prétende_. (_Mis._ V. 2.) Ces deux nymphes, Myrtil, à la fois _te prétendent_. (_Mélicerte._ I. 5.) Toutes vos poursuites auprès d’une personne _que je prétends_ pour moi. (_L’Av._ IV. 3.) Molière a dit aussi PRÉTENDRE A QUELQU’UN: Il ne _prétend à vous_ qu’en tout bien et en tout honneur. (_Scapin._ III. 1.) Et PRÉTENDRE SUR QUELQUE CHOSE: Moi, madame? Et _sur quoi_ pourrois-je en rien _prétendre_? (_Mis._ III. 7.) --A CE QUE JE PRÉTENDS, j’espère: Et vous n’y montez pas[72], _à ce que je prétends_, Pour être libertine et prendre du bon temps. (_Éc. des fem._ III. 2.) [72] Au rang de femme. PRÊTER LA MAIN A...: Cela est fort vilain à vous, pour un grand seigneur, de _prêter la main_, comme vous faites, aux sottises de mon mari. (_B. gent._ IV. 2.) (Voyez au mot DONNER, DONNER LA MAIN ou LES MAINS.) --PRÊTER LE COLLET, soutenir une lutte: _Je vous prêterai le collet_ en tout genre d’érudition. (_Am. méd._ II. 4.) PRÉTEXTE A (un infinitif): Henriette, entre nous, est un amusement, Un voile ingénieux, _un prétexte_, mon frère, _A couvrir_ d’autres feux dont je sais le mystère. (_Fem. sav._ II. 3.) PRIER D’UNE FÊTE, y inviter: Pressez vite le jour de la cérémonie; J’y prends part, et déjà moi-même _je m’en prie_. (_Éc. des f._ V. 8.) PRINCIPAUTÉ; SA PRINCIPAUTÉ, comme _sa majesté_, _son altesse_, ou bien sa qualité de prince: MORON. Je l’ai trouvé un peu impertinent, n’en déplaise à _sa principauté_. (_Princ. d’Él._ III. 3.) PRISES; EN ÊTRE AUX PRISES, être près d’en venir aux prises: Souvent _nous en étions aux prises_; Et vous ne croiriez point de combien de sottises.... (_Fem. sav._ IV. 2.) PRODUIRE A QUELQU’UN, lui montrer, lui présenter: Quoi! deux Amphitryons ici _nous sont produits_! (_Amph._ III. 5.) Voici l’homme qui meurt du désir de vous voir. En _vous le produisant_, je ne crains point le blâme D’avoir admis chez vous un profane, madame. (_Fem. sav._ III. 5.) --SE PRODUIRE, se montrer: Ah, ah! cette impudente ose encor _se produire_? (_Ibid._ V. 3.) PROMENER, verbe neutre, sans le pronom réfléchi: Qu’on me laisse ici _promener_ toute seule. (_Am. magn._ I. 6.) Sur la suppression du pronom, voyez ARRÊTER. --PROMENER QUELQU’UN SUR.... au figuré: Ma jalousie à tout propos _Me promène sur ma disgrâce_. (_Amph._ III. 1.) Ramène ma pensée sur ma disgrâce. PROMETTRE, assurer: Je vous _promets_ que je ne saurois les donner à moins. (_Méd. m. l._ I. 6.) _PRONOM DE LA PREMIÈRE PERSONNE_, construit avec un verbe à la troisième: Et que me diriez-vous, monsieur, si c’étoit _moi_ Qui vous _eût_ procuré cette bonne fortune? (_Dép. am._ III. 7.) Cette tournure ne choque pas, parce que _eût_ figure avec _c’était_, et non pas avec _moi_. Au reste, Molière a donné cela au besoin de la mesure, car, deux vers plus loin, il rentre dans la forme ordinaire: C’est _moi_, vous dis-je, _moi_, dont le patron le sait, Et qui vous _ai_ produit ce favorable effet. (_Ibid._ III. 7.) Molière a employé encore ailleurs cette discordance de personnes: Ce ne seroit pas _moi_ qui _se feroit_ prier. (_Sgan._ 2.) En ce cas, c’est _moi_ qui _se nomme_ Sganarelle. (_Méd. m. lui._ I. 6.) _Nous_ chercherons partout à trouver à redire, Et _ne verrons_ que nous qui _sachent_ bien écrire. (_Fem. sav._ III. 2.) Molière mettait ici le verbe en accord avec le pronom relatif, qui désigne en effet la 3e personne. L’usage prescrit absolument aujourd’hui le verbe à la 1re personne, _qui sachions_. Au surplus, comme la mesure eût été la même, on est induit à penser que du temps de Molière la règle n’était pas encore fixée sur ce point. _PRONOM RÉFLÉCHI_, supprimé: Les mauvais traitements qu’il me faut endurer Pour jamais de la cour me feroient _retirer_. (_Fâcheux._ III. 2.) Je ne feindrai point de vous dire que le hasard _nous a fait connoître_ il y a six jours. (_Mal. im._ I. 5.) Molière a voulu fuir le mauvais effet de la répétition _nous a fait nous connoître; me feroient me retirer_. Il pouvait dire, _nous a fait connoître l’un à l’autre_; mais il a pensé que la rapidité de l’expression ne faisait ici rien perdre à la clarté, et pour un dialogue était assez correcte. J’observe que les bons écrivains du XVIIe siècle n’expriment jamais qu’une fois le pronom personnel, quand la tournure de la phrase et l’emploi d’un verbe réfléchi sembleraient, comme ici, exiger qu’il fût exprimé deux fois. _PRONOM RELATIF_, séparé de son substantif: Et j’ai des _gens_ en main _que_ j’emploierai pour vous. (_Mis._ III. 5.) Tandis que _Célimène_ en ses liens s’amuse, _De qui_ l’humeur coquette et l’esprit médisant Semblent donner si fort dans les mœurs d’à présent. (_Ibid._ I. 1.) Ce tour est si fréquent dans Molière et dans tous les écrivains du XVIIe siècle, qu’il a paru superflu d’en rassembler ici d’autres exemples. PROPOS; METTRE DANS LE PROPOS: Et, pour ne vous point _mettre_ aussi _dans le propos_... (_Fem. sav._ IV. 3.) PROPRE, au sens d’_élégant_, _paré_: DORANTE. Comment, monsieur Jourdain, vous voilà le plus _propre_ du monde! (_B. gent._ III. 4.) PROU, adverbe, beaucoup; archaïsme: J’ai _prou_ de ma frayeur en cette conjecture. (_L’Ét._ II. 5.) _Prou_, par apocope de _proufit_ (_profit_). En italien, _pro_ n’est que substantif: _Buon pro vi faccia._--Bon prou vous fasse. La _Civilité puérile et honnête_ apprenait aux enfants à dire à leurs père et mère, après les grâces, _prouface_, c’est-à-dire, _bon prou vous fasse_; que ce repas vous profite. En français, _prou_ fait aussi l’office d’adverbe, comme ces autres substantifs monosyllabes, _pas_, _point_, _mie_, _trop_, _rien_. (Voyez PAS; RIEN.) «L’un jura foi de roi, l’autre foi de hibou, «Qu’ils ne se goberoient leurs petits _peu ni prou_.» (LA FONT. _L’Aigle et le Hibou._) PRUNES; POUR DES PRUNES, pour rien: CLIMÈNE. Ce _le_, où elle s’arrête, n’est pas mis _pour des prunes_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) Molière prête à Climène cette trivialité, pour faire un contraste plaisant avec le superbe néologisme de cette précieuse, et l’importance qu’elle attache à ce _le_. La même intention paraît dans Sganarelle, qui, interrogé au plus fort de son chagrin, répond: Si je suis affligé, ce n’est pas _pour des prunes_. (_Sgan._ 16.) ARNOLPHE. Diantre, _ce ne sont pas des prunes_ que cela! (_Éc. des fem._ III. 4.) PUBLIER POUR (un adjectif), faire passer publiquement pour...: Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui _la publie partout pour épouvantable_? (la comédie de _l’École des femmes_). (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) PUER SON ANCIENNETÉ: ... Ah! _sollicitude_ à mon oreille est rude; Il _put_ étrangement son ancienneté. (_Fem. sav._ II. 7.) Ce présent se dérive de la forme _puir_, qui est la primitive; _puer_ est moderne. «C’est _puir_ que sentir bon.» (MONTAIGNE.) «PUER ou PUÏR, verbe neutre. L’Académie ne parle que de _puer_, et point du tout de _puir_. Danet en parle comme l’Académie; mais Richelet, aussi bien que Furetière, les admet tous deux, en disant que ce sont deux verbes défectueux; que _puïr_ ne se dit point à l’infinitif, mais seulement _puer_, et qu’ils empruntent l’un de l’autre quelques temps. Quoi qu’il en soit, on ne conjugue point _je pue_, ni _je puïs_, comme il semble qu’on devroit conjuguer; mais _je pus_, _tu pus_, _il put_.» (TRÉVOUX.) L’exemple tiré de Montaigne, auquel on en pourrait ajouter mille autres, prouve l’erreur de Richelet et de Furetière quant à l’infinitif _puïr_: ils ont pris pour défectueux deux verbes très-complets chacun de sa part, mais différents d’âge. Les dernières lignes de Trévoux prouvent qu’en 1740 la forme moderne n’avait pas encore supplanté l’ancienne complétement, et que _puïr_ subsistait toujours dans le présent de l’indicatif. A plus forte raison, en 1672 Molière ne pouvait-il écrire, comme le mettent certaines éditions: «Il _pue_ étrangement.....» (Voyez SENTIR.) PUNISSEUR; FOUDRE PUNISSEUR: Il ne veut le montrer qu’en tête d’une armée, Et tout prêt à lancer _le foudre punisseur_. (_D. Garcie._ I. 2.) PUNITION; FAIRE LA PUNITION DE... SUR...: Ils _en feront sur votre personne toute la punition_ que leur pourront offrir et les poursuites de la justice, et la chaleur de leur ressentiment. (_G. D._ III. 8.) Molière dit de même, _faire la justice_ d’un crime. PURGER (SE) DE SA MAGNIFICENCE, l’expliquer, la justifier: L’autre, _pour se purger de sa magnificence_, Dit qu’elle gagne au jeu l’argent qu’elle dépense. (_Éc. des fem._ I. 1.) --SE PURGER D’UNE IMPOSTURE, en démontrer la fausseté: Votre Majesté juge bien elle-même...... quel intérêt j’ai enfin à _me purger de leur imposture_. (1er _Placet au roi_.) QUAND... ET QUE...: Enfin, _quand_ il (le ciel) exposeroit à mes yeux un miracle d’esprit, d’adresse et de beauté, _et que_ cette personne m’aimeroit avec toutes les tendresses imaginables; je vous l’avoue franchement, je ne l’aimerois pas. (_Pr. d’Él._ III. 4.) Oui, _quand_ Alexandre seroit ici, _et que_ ce seroit votre amant...... (_Sicilien._ 12.) «_Quand_ un homme nous auroit ruinés, estropiés, brûlé nos maisons, tué notre père, _et qu’_il se disposeroit encore à nous assassiner...» (PASCAL. 14e _Prov._) Cette tournure paraît lâche et incorrecte. On observera dans la phrase de Pascal une autre négligence, c’est le même _nous_ servant à la fois comme accusatif et comme datif: _nous_ aurait ruinés, _nous_ aurait tué notre père. QUANT-A-MOI, substantif. (Voyez TENIR SON QUANT-A-MOI). QUASI, presque: Figurez-vous donc que Télèbe, Madame, est de ce côté. C’est une ville, en vérité, Aussi grande _quasi_ que Thèbe. (_Amph._ I. 1.) Ce mot a joui d’une grande faveur jusqu’à la fin du XVIIe siècle: «Nous sommes _quasi_ en tout iniques juges de leurs actions (des femmes).» (MONTAIGNE. III. 5.) «....... Notre grande méthode (de diriger l’intention), dont l’importance est telle, que j’oserois _quasi_ la comparer à la doctrine de la probabilité.» (PASCAL, 7e _Prov._) «Je ne me laisse pas emporter aux haines publiques, que je sais estre _quasi_ toujours injustes.» (VOITURE.) «L’amour n’a _quasi_ jamais bien establi son pouvoir qu’après avoir ruiné celui de nostre raison.» (ST.-ÉVREMOND.) «Le mot _quasi_ n’est pas mauvais, et il ne faut faire nul scrupule de s’en servir, surtout dans les discours de longue haleine.» (PATRU.) Là commencent les retours: Vaugelas, Ménage, Bouhours, Thomas Corneille, ont condamné _quasi_, les uns plus sévèrement, les autres moins; les plus indulgents ne l’ont toléré que par pitié. Le temps a donné gain de cause à Vaugelas, qui le proscrivait net, et le chassait du _beau langage_. QUE. Ce mot est entré dans la langue française pour y représenter 1° l’adverbe latin _quòd_; 2° Les accusatifs du pronom relatif _qui_, _quæ_, _quod_, et le neutre _quid_; 3° L’adverbe _quàm_ dans les formules de comparaison: plus pieux que vous, magis pius _quàm_ tu. Enfin, il figure dans quelques autres locutions qui ne sont point prises du latin, et sont des idiotismes de notre langue. Molière nous fournit des exemples de ces divers emplois de QUE; nous allons les rapporter dans l’ordre où ils viennent d’être mentionnés. --QUE (_quòd_), entre deux verbes, tous deux à l’indicatif: Ah! madame, _il suffit_, pour me rendre croyable, _Que_ ce qu’on vous promet _doit_ être inviolable. (_D. Garcie._ I. 3.) _Est-il_ possible _que_ toujours _j’aurai_ du dessous avec elle? (_G. D._ II. 13.) _Est-il_ possible _que vous serez_ toujours embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins? (_Mal. im._ III. 3.) L’idée du second verbe énonce un fait certain, c’est pourquoi on met l’indicatif. Le doute, ou plutôt l’exclamation, s’exprime dans l’autre partie de la phrase. Vous serez toujours embéguiné des médecins;--j’aurai toujours du dessous avec elle;--cela est-il possible? «_Croyez-vous qu’_il _suffit_ d’être sorti de moi?» (CORN. _Le Menteur._) Il suffit d’être sorti de moi.--Le croyez-vous? La première proposition paraît incontestable à Dorante. Montaigne, parlant du nouveau monde, se sert de la même tournure: «Bien _crains-je que_ nous luy _aurons_ très fort hasté sa ruine par nostre contagion, et _que nous luy aurons_ bien cher vendu nos opinions et nos arts!» (MONTAIGNE. III. 6.) Observez que dans tous ces exemples le premier verbe est au présent de l’indicatif, et le second au futur. --QUE pour _de ce que_, répondant au latin _quòd_, adverbe; S’OFFENSER QUE (suivi d’un autre verbe): Et cet arrêt suprême Doit m’être assez touchant pour ne pas _s’offenser Que_ mon cœur par deux fois _le fasse répéter_. (_Éc. des mar._ II. 14.) Vous aurez la consolation _qu’elle_ sera morte dans les formes. (_Am. méd._ II. 5.) Hoc erit tibi solamen _quòd_..... Cette consolation (savoir) que elle sera morte... etc. Voilà qui m’étonne, _qu’en_ ce pays-ci les formes de la justice ne soient point observées. (_Pourc._ III. 2.) La Fontaine a dit, par la même tournure, _prier que_ et _menacer que_. «Quelques voyageurs _le prièrent_, au nom de Jupiter hospitalier, _qu’il leur enseignât_ le chemin qui conduisoit à la ville....... Ésope _le menaça que_ ses mauvais traitements _seroient sus_.» (_Vie d’Ésope._) Cette construction est très-commode, et abrége un long détour; mais elle ne paraît pas admissible hors du dialogue ou du style familier. --QUE dans cette formule, IL N’EST PAS QUE; c’est-à-dire, _pas possible que_: _Il n’est pas que_ vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire. (_L’Av._ V. 2.) Le comte de Foix, dit Froissart, fit mourir dans des supplices horribles quinze de ses serviteurs: «Et la raison que il y mist et mettoit estoit telle: que _il ne pouvoit estre que_ ils ne sceussent de ses secrets.» (FROISSART, liv. III.) Les Latins ont de même employé _quòd_ et _quin_. «Hoc est _quòd_ ad vos venio.» (PLAUTE.) C’est cela _que_ je viens à vous.--«Non possum _quin_ exclamem.» (CICÉRON.) Je ne peux _que_ je ne m’écrie. (Voy. POUVOIR.) --QUE, ouvrant une formule de souhait (en latin QUOD UTINAM, Salluste.) _Que_ puissiez vous avoir toutes choses prospères! (_Dép. am._ III. 4.) _Que_ maudit soit l’amour, et les filles maudites Qui veulent en tâter, puis font les chatemites! (_Dép. am._ V. 4) Le pauvre homme! Allons vite en dresser un écrit, Et _que puisse_ l’envie en crever de dépit! (_Tart._ III. 7.) Cette locution s’explique par l’ellipse: _Je souhaite_, _je prie Dieu que_.... etc. --QU’AINSI NE SOIT, espèce de formule oratoire au commencement d’une phrase, comme le _verum enimvero_ de Cicéron (déjà surannée du temps de Molière): 1er MÉDECIN. _Qu’ainsi ne soit_: pour diagnostique incontestable de ce que je dis..... (_Pourc._ I. 11.) --QUE pour _à ce que_, dans ces formules, QUE JE CROIS, QUE JE PENSE: Vous n’avez pas été sans doute la première, Et vous ne serez pas, _que je crois_, la dernière. (_Dép. am._ III. 9.) Vous devez, _que je croi_, En savoir un peu plus de nouvelles que moi. (_Ibid._) On aura, _que je pense_, Grande joie à me voir après dix jours d’absence. (_Éc. des fem._ I. 2.) Parbleu! vous êtes fou, mon frère, _que je croi_. (_Tart._ I. 6.) Vous n’aurez, _que je crois_, rien à me repartir. (_Ibid._ IV. 4.) Vous n’êtes pas d’ici, _que je crois_? (_G. D._ I. 2.) Je n’ai pas besoin, _que je pense_, de lui recommander de la faire agréable. (_Ibid._ II. 5.) Je m’y suis pris, _que je crois_, de toutes les tendres manières dont un amant se peut servir. (_Am. magn._ I. 2.) L’usage a prévalu de supprimer dans ces formules le _que_ comme surabondant. --QUE JE SACHE: Il n’est point de destin plus cruel, _que je sache_. (_Amph._ III. 1.) Traduction rigoureuse de la formule latine _quod sciam_. --QUE répondant au neutre _quod_, dans N’AVOIR QUE FAIRE: Et vous êtes un sot de venir vous fourrer _où vous n’avez que_ faire. (_Méd. m. lui._ I. 2.) Je n’ai _que_ faire de votre aide. (_Méd. m. lui._ I. 2.) Je n’ai _que_ faire de vos dons. (_L’Av._ IV. 5.) --QUE répondant à l’ablatif du _qui_ relatif latin, où, auquel, dans lequel, par où: L’argent dans notre bourse entre agréablement; Mais _le terme_ venu _que_ nous devons le rendre, C’est lors que les douleurs commencent à nous prendre. (_L’Ét._ I. 6.) Las! _en l’état qu’_il est, comment vous contenter? (_Ibid._ II. 4.) _A l’heure que_ je parle, un jeune Égyptien, Qui n’est pas noir pourtant....... (_Ibid._ IV. 9.) D’abord il a si bien chargé sur les recors, Qui sont gens d’ordinaire à craindre pour leur corps, Qu’_à l’heure que je parle_ ils sont encore en fuite. (_Ibid._ V. 1.) Je la regarde en femme, _aux termes qu’_elle en est. (_Éc. des fem._ I. 1.) Je regarde les choses _du côté qu’_on me les montre. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) _De la façon qu’_elle a parlé, tout ce qu’elle en a fait a été sans dessein. (_Sicilien._ 16.) On se défend d’abord; mais, _de l’air qu’on s’y prend_, On fait entendre assez que notre cœur se rend. (_Tart._ IV. 5.) Est-il possible, notre gendre, qu’il n’y ait pas moyen de vous instruire _de la manière qu’_il faut vivre parmi les personnes de qualité? (_G. D._ I. 4.) _Quo modo_ vivendum sit. Nous voilà au temps, m’a-t-il dit, _que_ je dois partir pour l’armée. (_Scapin._ II. 8.) Et l’on vous a su prendre _par l’endroit seul que_ vous êtes prenable. (1er _Placet au roi_.) M. Auger fait ici la remarque suivante: «_Prendre_ et _prenable_, appartenant à deux propositions distinctes, devraient avoir chacun leur complément indirect, et ils n’en ont qu’un à eux deux. C’est là qu’est la faute. Il faudrait: On a su vous prendre _par l’endroit seul par lequel_....» Je sais bien que M. Auger est avec l’usage, au moins l’usage moderne, et Molière hors de cet usage; mais je ne crains pas de dire: Tant pis pour l’usage moderne! Qui ne voit l’immense avantage de ce rapide monosyllabe _que_ sur cette lourde et pesante tournure, _par l’endroit par lequel_? La raison alléguée par M. Auger en faveur de l’usage ne vaut rien. Qu’importe en effet que _prendre_ et _prenable_ n’aient pour eux deux qu’un seul complément, s’ils le gouvernent tous deux de même? _Prendre par_ un endroit; _prenable par_ un endroit. Et où prend-il lui-même cette loi, qu’il faut deux compléments lorsqu’il y a deux propositions distinctes? Enfin, peut-on dire qu’il y ait ici deux propositions distinctes? Ce sont là toutes arguties de grammairien. Pour faire voir la légitimité de la construction de Molière au point de vue de la logique, il n’y a qu’à traduire sa phrase en latin:--_Captus es quo loco capi poteras_.--Le _que_ n’est aussi exprimé qu’une fois. Voici un tableau qui fera comprendre, mieux que tous les raisonnements subtils, le jeu de ces relatifs QUI, QUE, QUOI. J’en puise les éléments dans la grammaire de Jehan Masset, imprimée à la suite du dictionnaire de Nicot (1606.) QUI, nominatif de tout genre et de tout nombre: { Le père } Exemples: { La mère } QUI vous aiment. { Les pères } { Les mères } QUE, accusatif de tout genre et de tout nombre: Exemples: { Le père, la mère } QUE vous aimez. { Les pères, les mères } QUE sert aussi pour les neutres _quid_ et _quod_. _Que_ dites-vous? (_quid_ dicis?) Ce _que_ je sais (_quod_ scio). QUOI, accusatif neutre.--_Quoi_ voyant, ou _ce que_ voyant..... _quod_ cum videret.--_Quoi que_ vous disiez, littéralement en latin du moyen âge, _quid quod dicas_. «_De la façon enfin qu’_avec toi j’ai vécu, «Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.» (CORN. _Cinna._) «_Au temps que_ les bêtes parloient.....» (LA FONTAINE.) «_Le jour suivant, que_ les vapeurs de Bacchus furent dissipées, Xantus fut extrêmement surpris de ne plus trouver son anneau.» (Id. _Vie d’Ésope._) «Un jour viendra _que_ votre méchanceté ne trouvera point de retraite sûre, non pas même dans les temples.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) Un jour viendra _dans lequel_. --QUE, suivi de _ne_, répondant au latin _quin_ ou _quin_ ou _quominus_: Et ce bien, par la fraude entré dans ma maison, N’en sera point tiré _que_ dans cette sortie Il _n’_entraîne du mien la meilleure partie. (_Dép. am._ III. 3.) Entrez dans cette porte, Et sans bruit ayez l’œil _que_ personne _n’_en sorte. (_Éc. des mar._ III. 5.) Afin que personne, pour empêcher que personne n’en sorte. Il n’avouera jamais qu’il est médecin,..... _que_ vous _ne_ preniez chacun un bâton..... (_Méd. m. lui._ I. 5.) _Quin_ baculum sumas: A moins que vous ne preniez un bâton. Je ne sais qui me tient, infâme, _Que_ je _ne_ t’arrache les yeux. (_Amph._ II. 3.) _Quin_ oculos tibi eripiam. Passe, mon pauvre ami, crois-moi, _Que_ quelqu’un ici _ne_ t’écoute. (_Ibid._ III. 2.) Sors vite, _que_ je _ne_ t’assomme. (_L’Av._ I. 3.) Allez vite, _qu’_il _ne_ nous voie ensemble. (_Pourc._ III. 1.) --NE POUVOIR QUE... NE: Dans le fond, je suis de votre sentiment, et _vous ne pouvez pas que_ vous _n’_ayez raison. (_L’Av._ I. 7.) «Non possum quin exclamem.» (CICER.) Je ne puis que je ne m’écrie; je ne puis m’empêcher de m’écrier. --QUE, répondant au latin _quàm_, _præterquàm_, _nisi_, excepté, sinon: Mais quoi! que feras-tu _que_ de l’eau toute claire? (_L’Ét._ III. 1.) Ont-elles répondu _que_ oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire? (_Préc. rid._ 1.) Où trouver, sire, une protection _qu’_au lieu où je la viens chercher? et qui puis-je solliciter..... _que_ la source de la puissance et de l’autorité? (2e _Placet au roi_.) Je vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi _que_ ce qui peut être permis par l’honneur et la bienséance. (_L’Av._ IV. 1.) Descendons-nous tous deux _que_ de bonne bourgeoisie? (_B. gent._ III. 12.) «Je l’ai suivi (Planude), sans retrancher de ce qu’il a dit d’Ésope _que_ ce qui m’a semblé trop puéril.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) --QUE répondant au latin _cum_, lorsque, tandis que: Il aime quelquefois sans qu’il le sache bien, Et croit aimer aussi, parfois _qu’_il n’en est rien. (_Mis._ IV. 1.) Tandis qu’il n’en est rien. Comment voudriez-vous qu’ils traînassent un carrosse, _qu’_ils ne peuvent pas se traîner eux-mêmes? (_L’Av._ III. 5.) Lorsqu’ils ne peuvent pas. Où me réduisez-vous, _que_ de me renvoyer à ce que voudront permettre, etc.... (_Ibid._ IV. 1.) Lorsque vous me renvoyez. Et la raison bien souvent les pardonne, _Que_ l’honneur et l’amour ne les pardonnent pas. (_Amph._ III. 8.) --QUE _elliptique_; tel que, ou, adverbialement, tellement que, de telle sorte que: Je suis dans une colère, _que_ je ne me sens pas! (_Mar. for._ 6.) Telle, que je ne me sens pas. J’ai une tendresse pour mes chevaux, _qu’_il me semble que c’est moi-même. (_L’Av._ III. 5.) Telle, qu’il me semble.... Suis-je faite d’un air, à votre jugement, _Que_ mon mérite au sien doive céder la place? (_Psyché._ I. 1.) D’un tel air que mon mérite, etc. Et vous me le parez[73] tous deux _d’une manière, Qu’_on ne peut rien offrir qui soit plus précieux. (_Ibid._ I. 3.) [73] Le choix qu’ils font d’elle. «Nous ne laissâmes pas toutefois de délier l’homme et la femme, que la crainte tenoit saisis _à un point qu’_ils n’avoient pas la force de nous remercier.» (_Gil Blas._ liv. V. ch. 2.) On lève des cachets, _qu’_on ne l’aperçoit pas. (_Amph._ III. 1.) De telle sorte que l’on ne l’aperçoit pas. Souvent on se marie, _Qu’_on s’en repent après tout le temps de sa vie. (_Fem. sav._ V. 5.) Tellement, de telle façon que l’on s’en repent. --QUE, relatif après _ce que_: Bon! voilà _ce qu’_il nous faut _qu’_un compliment de créancier. (_Don Juan._ IV. 2.) --ET QUE... en relation avec _en_: J’_en_ suis persuadé, _Et que_ de votre appui je serai secondé. (_Fem. sav._ IV. 6.) --QUE DIABLE: _Que diable_ est-ce là? Les gens de ce pays-ci sont-ils insensés? (_Pourc._ I. 12.) Il faut écrire _quel diable_, qu’on prononçait _queu diable_, et qu’on a fini par écrire _que diable_. (Voyez DIABLE.) Si vous n’êtes pas malade, _que diable_ ne le dites-vous donc! (_Méd. m. lui._ II. 9.) Dans cette construction, _que_ répond au latin _cur_. Pourquoi (diable!) ne le dites-vous donc? La véritable ponctuation serait d’isoler le mot _diable_: Que, diable! ne le dites-vous? _Quin_, ædepol, illud, aperis? (Voyez, p. 337, QUE suivi de _ne_.) On pourrait encore expliquer _que diable_ ne le dites-vous, _quel diable_ ne le dites-vous? c’est-à-dire, quel diable vous empêche de le dire? Ce serait une de ces constructions interrompues dont il y a des exemples dans toutes les langues, et surtout dans la nôtre. --QUE NE, après _tarder_: Adieu; _il me tarde_ déjà _que je n’_aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. (_Mar. for._ 4.) --QUE NON PAS, après _aimer mieux_: Et tout ce que vous m’avez dit, je l’aime bien mieux une feinte _que non pas_ une vérité. (_Pr. d’Él._ V. 2.) --QUE... QUI: C’est vous, si quelque erreur n’abuse ici mes yeux, _Qu’_on m’a dit _qui_ vivez inconnu dans ces lieux. (_L’Ét._ V. 14.) Mais, pour guérir le mal _qu’_il dit _qui_ le possède, N’a-t-il pas exigé de vous d’autre remède? (_Éc. des fem._ II. 6.) Nous verrons si c’est moi _que_ vous voudrez _qui_ sorte. (_Mis._ II. 5.) Et c’est toi _que_ l’on veut _qui_ choisisses des deux. (_Mélicerte._ I. 5.) Je la recevrai comme un essai de l’amitié _que_ je veux _qui_ soit entre nous. (_Sicilien._ 16.) Mon Dieu, Scapin, fais-nous un peu ce récit _qu’_on m’a dit _qui_ est si plaisant..... (_Scapin._ III. 1.) Ce gallicisme n’est pas élégant, mais il peut souvent être commode; c’est pourquoi il a été employé par de bons écrivains dans le style familier: «Et que pourra faire un époux «_Que_ vous voulez _qui_ soit nuit et jour avec vous?» (LA FONT. _Le Mal marié._) Ce tour, proscrit par la délicatesse raffinée des modernes, était encore d’usage au XVIIIe siècle; Voltaire lui-même ne fait point difficulté de s’en servir: «Voici cette épître de Corneille, _qu’_on prétend _qui_ lui attira tant d’ennemis.» (_Comment. sur l’Ép. à Ariste._) Si l’on essaye d’exprimer la même idée en termes différents, on verra ce que la tournure de Molière et de Voltaire offre d’avantageux. --QUE construit avec un adjectif, dans le sens où les Espagnols disent _por_; _por grandes que sean los reyes..._ c’est-à-dire, encore que les rois soient grands, ou quels grands que soient les rois: Ma crainte toutefois n’est pas trop dissipée; Et, _doux que soit le mal_, je crains d’être trompée. (_Sgan._ 22.) Cette locution est elliptique; c’est comme s’il y avait, _et, quel doux que soit le mal_[74]. Pour l’euphonie et la rapidité, on avait fini par omettre _quel_; mais dans l’origine il était exprimé. (Voyez QUEL pour _tel.... que_, p. 341.) [74] Sur cette tmèse de _quel... que_, seule forme usitée au moyen âge, et corrompue par l’ignorance de l’âge suivant, voyez _des Var. du lang. fr._, p. 419, 420, 421. On doit regretter que ce tour élégant et concis n’ait pas été conservé, au lieu de ce pénible et raboteux _quelque... que_. --QUE pour _ce que_, archaïsme: Voilà, voilà _que c’est_ de ne pas voir Jeannette, Et d’avoir en tout temps une langue indiscrète. (_L’Ét._ IV. 8.) (Voyez ÊTRE QUE DE, SI (un adjectif) QUE DE, SI PEU... QUE DE... etc., et ENRAGER QUE,--ÉTONNÉ QUE,--FAIRE SEMBLANT QUE,--GARDER QUE, etc.) QUEL, pour _tel... que_: Allez, allez, vous pourrez avoir avec eux (les médecins) _quel_ mal il vous plaira. (_L’Av._ I. 8.) Les grammairiens sont unanimes à déclarer que c’est là _une faute grave_. Ils veulent: _tel_ mal _qu’_il vous plaira. Chez les Latins, _talis_ et _qualis_ étaient corrélatifs, ou se substituaient l’un à l’autre. Par exemple: _talis_ pater, _qualis_ filius; ou bien: _qualis_ pater, _talis_ filius. Le peuple s’obstine à dire: Prenez _lequel que_ vous voudrez; venez à _quelle_ heure _qu’_il vous plaira. C’est la tradition de l’ancienne langue: «Parole a David, si lui dis que il elise de treis choses _quele que_ il volt mielz que je li face. «E li prophetes vint al rei, si li dist issi de part nostre seignur, e ruvad (rogavit) que il eleist (qu’il choisît, élisît) _quel_ membre _que_ il volsist.» (_Rois._ p. 217.) Supprimez par euphonie le _que_ relatif, vous avez la locution de Molière: Le prophète pria David de choisir _quel_ membre il voudrait que Dieu frappât. Mais au lieu de supprimer ce _que_ relatif, qui déjà n’était pas indispensable, l’usage moderne le redouble, et dit, avec une harmonie réellement barbare, _quelque... que_. (Voyez l’article suivant.) --QUEL (un adj. ou un subst.) QUE, pour _quelque... que_: En _quel_ lieu _que_ ce soit, je veux suivre tes pas. (_Fâcheux._ III. 4.) C’est la véritable locution française, la seule qui ait du sens, et qu’autorisent les origines de la langue. «E Deu guardad David, _quel_ part _qu’_il alast.» (_Rois._ p. 148.) «E _quel_ part _qu’_il (Saül) se turnout, ses adversaires surmontout.» (_Ibid._ p. 52.) «De _quel_ forfait _que_ home out fait en cel tens.....» (_Loix de Guillaume le Conquer._) _Quelque_ forfait _que_ l’on ait commis en ce temps, l’église y est un asile. «_Quel_ deul _que_ j’en doie soufrir.» (_R. de Coucy._ v. 6151.) «Je m’en vois, dame! a Dieu le creatour, Comant vo cors, en _quel_ lieu _ke_ je soie.» (_Chanson du sire de Coucy_, dans le roman, vers 7413.) Les Anglais égorgent par surprise les Danois établis à Londres; des jeunes gens nobles, montés sur une nacelle, échappent à cette boucherie: «Emmi se colent par Tamise, «Ne lor nut tant nord est ne bise, «Qu’en Danemarche n’arrivassent, «_Queu_ mer orrible _qu’_il trovassent.» (_Benoist de S.-More._ _Chronique_, v. 27550.) Le vent ne leur nuisit pas tellement qu’ils n’arrivassent en Danemark, _quelle_ horrible mer _qu’_ils trouvassent. «En _quel_ oncques liu _que_ je soie.» (_La Violette_, p. 44.) «Avis li fu qu .I. angle de par Dieu li disoit «Qu’aler lessast Flourence _quel_ part _que_ ele voudroit.» (_Le dit de Flourence de Rome._) Froissart parlant de la cour du comte de Foix: «Nouvelles de _quel_ royaume ni (et) de _quel_ pays _que_ ce feust là dedans on y apprenoit.» (_Chron._ liv. III.) _Quelque... que_ est une locution dont il est impossible de rendre compte; elle échappe à toute analyse par son absurdité. Pourquoi ces deux _que_ l’un sur l’autre, et _quel_ invariable? Il appartenait à Molière de maintenir au milieu du XVIIe siècle la forme primitive. Il serait bien à souhaiter qu’on reprît l’ancien usage, et qu’on purgeât notre langue de cet affreux _quelque... que_. Nous avons vu Froissart, à la fin du XVe siècle, employer encore la vraie locution. A la même époque, je trouve déjà la mauvaise forme installée dans un chef-d’œuvre, dans la farce de Pathelin: A moy mesme pour _quelque_ chose _Que_ je te die ne propose........ Dictes hardiment que j’affole Se je dis huy aultre parole A vous n’a quelque aultre personne, Pour _quelque_ mot _que_ l’en me sonne, Fors Bée que vous m’avez aprins. (_Pathelin._) Ainsi, dès la fin du XVe siècle, les deux locutions étaient en présence, et luttaient. Selon la marche des choses d’ici-bas, la pire devait l’emporter, et son triomphe ne se fit pas attendre. Le XVIe siècle, tant ses ardeurs de grec, de latin, d’italien et d’espagnol lui brouillaient la cervelle, n’entendait plus rien du tout à la première langue française; je ne suis donc pas surpris de voir la forme _quelque que_ mentionnée seule, et consacrée comme une règle dans la grammaire de Palsgrave (1530); c’est au folio 114 (_recto_), où l’auteur expose que l’on emploie indifféremment _quelque_ et _quelconque_. Voici ses exemples: «_Quelconque_ ou _quelque_ excusation _que_ vous alleguez, elle ne vous servira de rien.» «_Quelques_ dieux, ou _quelconques_ dieux _que_ ils soient.» «O deesse specieuse, _quelque_ tu soies, si m’engarderay à faire à aultruy _mencion quel conques_.» Ces exemples sont pris dans quelque traduction du latin, faite par un célèbre écrivain de l’époque. Vous observerez que Palsgrave recommande bien surtout de ne jamais faire accorder _quel_ dans _quelque_ ni _quelconque_. Si l’on trouve parfois dans les livres _quelle que_, _quelsconques_ ou _quellesconques_, c’est, dit-il, par une grosse méprise des imprimeurs: «that was done by the errour of the printers.» Il fait de cette invariabilité une règle formelle, que l’âge suivant, avec son inconséquence ordinaire, a gardée pour _quelconque_, et violée pour _quelque_. Nous écrivons: une femme _quelconque_, sans faire accorder _quel_, et en le faisant accorder: _quelle que_ soit cette femme. Notre grammaire moderne ressemble à un écheveau mêlé. --QUELQUE SOT, locution elliptique: LÉLIE. Tu te vas emporter d’un courroux sans égal. MASCARILLE. Moi, monsieur? _quelque sot!_ la colère fait mal. (_L’Ét._ II. 7.) C’est-à-dire, quelque sot s’emporterait; mais moi, non! Certes je t’y guettois!--_Quelque sotte_, ma foi! (_Tart._ II. 2.) Quelque sotte y serait prise; mais non pas moi! Hé, _quelque sot!_ je vous vois venir. (_G. D._ II. 7.) QUÊTE, recherche; LA QUÊTE DE QUELQU’UN: Si bien qu’à _votre quête_ ayant perdu mes peines... (_L’Ét._ V. 14.) A votre recherche. C’est le sens primitif du mot: _la quête du S. Graal_. QUI, se rapportant à un nom de chose, au lieu de _lequel_, que Molière et ses contemporains paraissent avoir évité autant que possible: J’ai conçu, digéré, produit un stratagème Devant _qui_ tous les tiens, dont tu fais tant de cas, Doivent sans contredit mettre pavillon bas. (_L’Ét._ II. 14.) Et pourvu que tes soins, _en qui_ je me repose... (_Ibid._ III. 5.) Et contre cet assaut je sais un coup fourré, Par _qui_ je veux qu’il soit de lui-même enferré. (_Ibid._ III. 6.) Et de ces blonds cheveux, _de qui_ la vaste enflure Des visages humains offusque la figure. (_Éc. des mar._ I. 1.) Je veux une coiffure, en dépit de la mode, Sous _qui_ toute ma tête ait un abri commode. (_Ibid._) O trois ou quatre fois béni soit cet édit Par _qui_ des vêtements le luxe est interdit! (_Ibid._ 9.) Ce n’est pas que Molière ait sacrifié au besoin de la mesure: Oui, oui, votre mérite, _à qui_ chacun se rend.... (_Ibid._) Il ne lui en eût pas coûté davantage de mettre _auquel_, si ce terme eût été alors plus juste et plus conforme à l’usage. Vous donner une main contre _qui_ l’on enrage. (_Fâcheux._ I. 5.) Cette liberté pour _qui_ j’avois des tendresses si grandes... (_Princ. d’Él._ IV. 1.) Une de ces injures pour _qui_ un honnête homme doit périr. (_D. Juan._ III. 4.) C’est un art (l’hypocrisie) _de qui_ l’imposture est toujours respectée. (_Ibid._ V. 2.) L’honneur vous apprend-il ces mignardes douceurs Par _qui_ vous débauchez ainsi les jeunes cœurs? (_Mélicerte._ II. 4.) Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret, Avec _qui_ pour toujours on est sûr du secret. (_Tart._ III. 3.) _Qui_ se rapporte à _feu_, et non pas à _gens_: avec lequel feu. N’oublie rien..... de ces caresses touchantes _à qui_ je suis persuadé qu’on ne sauroit rien refuser. (_L’Av._ IV. 1.) De grâce, souffrez-moi, par un peu de bonté, Des bassesses _à qui_ vous devez la clarté. (_Fem. sav._ I. 1.) --QUI _relatif_, séparé de son sujet: Sans ce trait falot, _Un homme_ l’emmenoit, _qui_ s’est trouvé fort sot. (_L’Ét._ II. 14.) Ah! sans doute, _un amour_ a peu de violence, _Qu’_est capable d’éteindre une si foible offense. (_Dép. am._ IV. 2.) La tête d’une femme est comme une _girouette_ Au haut d’une maison, _qui_ tourne au premier vent. (_Ib._ IV. 2.) N’allez point présenter _un espoir_ à mon cœur, _Qu’_il recevroit peut-être avec trop de douceur. (_Mélicerte._ II. 3.) Nous perdons des _moments_ en bagatelles pures, _Qu’_il faudroit employer à prendre des mesures. (_Tart._ V. 3.) Il me faut aussi _un cheval_ pour monter mon valet, _qui_ me coûtera bien trente pistoles. (_Scapin._ II. 8.) C’est le cheval qui coûtera trente pistoles, et non le valet. Vous avez _notre mère_ en exemple à vos yeux, _Que_ du nom de savante on honore en tous lieux. (_Fem. sav._ I. 1.) _Nos pères_ sur ce point étoient gens bien sensés, _Qui_ disoient qu’une femme en sait toujours assez... (_Ibid._ II. 7.) Cette construction était une des plus usitées: «On ne parloit qu’avec transport de _la bonté_ de cette princesse, _qui_, malgré les divisions trop ordinaires dans les cours, lui gagna d’abord tous les esprits.» (BOSSUET. _Or. fun. de la duch. d’Orl._) _Qui_ ne se rapporte pas à la princesse, mais à sa bonté, qui lui gagnait tous les esprits. «Il a eu raison d’interdire _un prêtre_ pour toute sa vie, _qui_, pour se défendre, avoit tué un voleur d’un coup de pierre.» (PASCAL, 14e _Prov._) «Votre père Alby fit _un livre sanglant_ contre lui (le curé de St.-Nizier de Lyon), _que_ vous vendites vous-même, dans votre propre église, le jour de l’Assomption.» (_Id._ 15e _Prov._) --QUI, répété disjonctivement pour _celui-ci_, _celui-là_: Ils n’ont pas manqué de dire que cela procédoit _qui_ du cerveau, _qui_ des entrailles, _qui_ de la rate, _qui_ du foie. (_Méd. m. lui._ II. 9.) «_Qui_ lance un pain, un plat, une assiette, un couteau; «_Qui_ pour une rondache empoigne un escabeau.» (REGNIER. _Le Festin._) QUITTER SA PART A (un infinitif): La mienne (ma main), quoiqu’aux yeux elle semble moins forte, _N’en quitte pas sa part à le bien étriller_. (_Éc. des fem._ IV. 9.) --JE LE QUITTE: Ho! poussez. _Je le quitte_, et ne raisonne plus. (_Dép. am._ II. 1.) Oh! _je le quitte_. (_B. gent._ IV. 5.) Ah! _je le quitte_ maintenant, et je n’y vois plus de remède. (_G. D._ III. 13.) C’est-à-dire, je donne quittance du surplus; j’en ai assez, j’y renonce. _Le_ est ici au neutre, sans relation grammaticale. «La police feminine a un train mystérieux; il fault _le leur quitter_.» (MONTAIGNE. III. 5.) Le leur abandonner, ne s’en point mêler. «Mon père, lui dis-je, _je le quitte_, si cela est.» (PASCAL. 7e _Prov._) --QUITTER A QUELQU’UN LA PLACE, LA PARTIE, la lui abandonner: Ma présence le chasse, Et je ferai bien mieux de _lui quitter la place_. (_Tart._ II. 4.) Mettez dans vos discours un peu de modestie, Ou je vais sur-le-champ _vous quitter la partie_. (_Ibid._ III. 2.) --«Adrian l’empereur, débattant avecques le philosophe Favorinus de l’interpretation de quelque mot, Favorinus _luy en quitta bientost la victoire_.» (MONT. III. 7.) On disait aussi _quitter quelqu’un de quelque chose_. Le baron de la Crasse, de Raymond Poisson, se vante de son talent à jouer la comédie; et pour en donner sur-le-champ un échantillon: «Autrefois j’ai joué dans les fureurs d’Oreste: «Tiens, tiens, voilà le coup...--_Nous vous quittons du reste._» Et le pelletier vantant ses fourrures à Patelin: «N’en payez ne denier ne maille, «Se vous en trouvez qui les vaille; «_Je vous en quitte_.» (_Le Nouv. Pathelin._) QUOI, adjectif neutre, pour _lequel_: Le grand secret pour _quoi_ je vous ai tant cherché. (_Dép. am._ I. 2.) Ce n’est pas le bonheur après _quoi_ je soupire. (_Tart._ III. 3.) Ces disputes d’âges, _sur quoi_ nous voyons tant de folles. (_Am. magn._ I. 2.) Voici de petits vers pour de jeunes amants, _Sur quoi_ je voudrois bien avoir vos sentiments. (_Fem. sav._ III. 5.) .... La dissection d’une femme, _sur quoi_ je dois raisonner. (_Mal. im._ II. 6.) Il est remarquable avec quel soin Molière fuit ce mot _lequel_. (Voyez LEQUEL évité.) «Selon Vaugelas, _quoi_, pronom relatif, est d’un usage fort élégant et fort commode pour suppléer au pronom _lequel_ en tout genre et en tout nombre. Et de ces deux locutions: le plus grand vice _à quoi_ il est sujet, ou bien _auquel_ il est sujet, il préférait la première.» (M. AUGER.) Vaugelas ne faisait ici que réduire en maxime l’usage de son temps. Pascal aime beaucoup à se servir de _quoi_: «C’est donc la pensée qui fait l’être de l’homme, et sans _quoi_ on ne le peut concevoir.» (_Pensées._ p. 43.) «Elles tiennent de la tige sauvage sur _quoi_ elles sont entées.» (_Ibid._ p. 153.) «Une base constante _sur quoi_ nous puissions édifier.» (_Ibid._ p. 296.) «Je manque à faire plusieurs choses _à quoi_ je suis obligé.» (_Ibid._ p. 355.) RACCROCHER (SE), absolument: Cet homme me rompt tout!--Oui, mais cela n’est rien; Et de _vous raccrocher_ vous trouverez moyen. (_Éc. des fem._ III. 4.) RAGE; FAIRE RAGE, faire l’impossible: Notre maître Simon.... dit qu’_il a fait rage_ pour vous. (_L’Av._ II. 1.) Ou au pluriel: C’est un drôle qui _fait des rages_! (_Amph._ II. 1.) RAGOUT, figurément: Je voudrois bien savoir _quel ragoût il y a_ à eux? (_L’Av._ II. 7.) Un amant aiguilleté _sera pour elle un ragoût_ merveilleux. (_Ibid._) Cette métaphore est mise dans la bouche de Frosine. RAISON; LA RAISON, pour _la justice_, _ce qui est raisonnable_: Je pense, Dieu merci, qu’on vaut son prix comme elles; Que, pour se faire honneur d’un cœur comme le mien, Ce n’est pas _la raison_ qu’il ne leur coûte rien. (_Mis._ III. 1.) Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de _la raison_. (_G. D._ II. 1.) --RAISON EN DÉBAUCHE, c’est-à-dire, égarée comme on l’est par la débauche: _Une raison_ malade, et toujours _en débauche_. (_L’Ét._ II. 14.) --FAIRE RAISON, venger équitablement: Une bonne potence _me fera raison_ de ton audace. (_L’Av._ V. 4.) _Faire raison_, dans le langage bachique, tenir tête à un buveur qui vous provoque: «Tous trois burent d’autant: l’ânier et le grison _Firent_ à l’éponge _raison_. (LA FONT. _L’Ane chargé d’éponges._) RAISONNANT, adjectif, raisonneur: Je vous trouve aujourd’hui bien _raisonnante_! (_Mal. im._ II. 7.) RAJUSTER (SE), se raccommoder: Ils goûtent le plaisir de _s’être rajustés_. (_Amph._ III. 2.) RAMASSER (SE) EN SOI-MÊME, au sens moral: Lorsque, _me ramassant tout entier en moi-même_, J’ai conçu, digéré, produit un stratagème... (_L’Ét._ II. 14.) «Je prie Dieu, lorsque je sens que je m’engage dans ces prévoyances, de me renfermer dans mes limites; _je me ramasse dans moi-même_, et je trouve que je manque à faire plusieurs choses..... etc.» (PASCAL. _Pensées._ p. 67.) RAMENTEVOIR, archaïsme, remettre en l’esprit, rappeler: Ne _ramentevons rien_, et réparons l’offense. (_Dép. am._ III. 4.) Le présent de l’indicatif est _je ramentois_, _tu ramentois_, etc. «Ceste opinion me _ramentoit_ l’experience que nous avons.» (MONTAIGNE. II. 12.) Les racines sont _ad mentem habere_, précédées du _re_ itératif. «Ménage le tire de _ramentaire_.» (TRÉVOUX.) Mais d’où tire-t-on _ramentaire_, et où le trouve-t-on? RANGER QUELQU’UN, avec ou sans complément indirect: Il faut avec vigueur _ranger les jeunes gens_. (_Éc. des fem._ V. 7.) Et que je ne sache pas trouver le moyen de _te ranger à ton devoir_? (_Méd. m. lui._ I. 1.) Ne vous mettez pas en peine: _je la rangerai bien_. (_Mal. im._ II. 8.) --RANGER AU DESTIN, réduire au destin: Et _ne me rangez pas à l’indigne destin_ De me voir le rival de monsieur Trissotin. (_Fem. sav._ IV. 2.) RAPATRIAGE et RAPATRIER: Veux-tu qu’à leur exemple ici Nous fassions entre nous un peu de paix aussi, Quelque petit _rapatriage_? (_Amph._ II. 7.) Pour couper tout chemin à nous _rapatrier_, Il faut rompre la paille. (_Dép. am._ IV. 4.) RAPPORTER; SE RAPPORTER, pour _s’en rapporter_: Je veux bien aussi _me rapporter_ à toi, maître Jacques, de notre différend. (_L’Av._ IV. 4.) RATE; DÉCHARGER SA RATE: Il faut qu’enfin j’éclate, Que je lève le masque et _décharge ma rate_. (_Fem. sav._ II. 7.) REBOURS; CHAUSSÉ A REBOURS, métaphoriquement: Tout ce que vous avez été durant vos jours, C’est-à-dire, un esprit _chaussé tout à rebours_. (_L’Ét._ II. 14.) _Rebours_ est un substantif comme _revers_; aussi dit-on, _au rebours de..._ _A rebours_ est une sorte d’adverbe composé, et, en cette qualité, ne reçoit point de complément. _Rebours_ était aussi un adjectif, faisant au féminin _rebourse_: «Madame, je vous remercie «De m’avoir esté si _rebourse_.» (MAROT.) De m’avoir été si farouche, si intraitable. Enfin il y avait le verbe _rebourser_, qui existe encore sous la forme _rebrousser_; et je ne doute même pas qu’on ne l’ait toujours prononcé de la sorte, comme on a toujours dit _du fromage_ et des _brebis_, lorsqu’on écrivait _du formage_ et des _berbis_, à cause de _forma_ et _verveces_. On a fini par transposer sur le papier l’_r_ qu’on transposait dans la prononciation, pour éviter la double consonne. Ce point est développé dans les _Variations du langage français_, p. 30. Mais _rebourser_ ou _rebrousser_, d’où vient-il? Je conjecture que l’_r_ y est parasite, comme on en a des exemples dans plusieurs mots[75]; et que _rebrousser_ est le même que _reboucher_, qui signifie, dans la vieille langue, _émousser_, au propre et au figuré: «Puisse être à ta grandeur le destin si propice, «Que ton cœur de leurs traits _rebouche_ la malice!» (REGNIER.) Que ton cœur émousse leurs traits; que leurs traits _rebroussent_ sur ton cœur. [75] Chartre, registre, esclandre, chaufferette (chauffrette), de _charta_, _regestum_, _scandalum_, _chaufeta_, qui est dans Du Cange. «Rechignée estoit, et froncé «Avoit le nez et _rebourcé_.» (_Roman de la Rose._) Elle avait le nez rebroussé et comme émoussé. Il peut être curieux d’observer que cette métaphore de la bouche, appliquée au tranchant de l’acier ou à la pointe d’une flèche, nous vient des Grecs: Στόμα, bouche et tranchant du fer; στομόω, ouvrir la bouche et tremper le fer; στόμωμα et στόμωσις, ouverture de bouche, trempe de fer, le fil d’une lame tranchante. Le sens propre et le figuré se trouvent réunis dans ces vers d’Œdipe à Créon: Τὸ σὸν δ’ ἀφῖκται δεῦρ’ ὑπόβλητον στόμα, πολλὴν ἔχον στόμωσιν. (Οἰδ. ἐπὶ Κολ. v. 828.) «Et tu viens ici avec ta _langue_ bien _affilée_.....» Les outils qui n’avaient plus de taillant étaient autrefois des outils sans bouche, des outils _rebouchés_: «Kar _rebuchie_ furent lur hustils de fer.» (_Rois._ p. 44.) Un outil _rebouché_ rebrousse, et en rebroussant il va _à rebours_. RECEVOIR, pour _souffrir_: Cela ne _reçoit_ point _de contradiction_. (_L’Av._ I. 7.) Ne voulant point céder, ni _recevoir l’ennui_ Qu’il me pût estimer moins civile que lui. (_Éc. des fem._ II. 6.) Quoi donc! _recevrai-je la confusion_.... (_Impromptu._ 9.) RECONNU DE (ÊTRE)..... pour _récompensé_: Voilà qui est étrange, et _tu es bien mal reconnu de tes soins_. (_D. Juan._ III. 2.) RECULER A QUELQUE CHOSE: Dès demain?--Par pudeur tu feins d’_y reculer_. (_Éc. des mar._ II. 15.) Hé bien, oui, puisqu’il veut te choisir pour juge, _je n’y recule point_. (_L’Av._ IV. 4.) RÉDUIT; AME RÉDUITE, soumise, résignée à son sort, comme on dit _réduire un cheval_: Il faut jouer d’adresse, et, d’une _âme réduite_, Corriger le hasard par la bonne conduite. (_Éc. des fem._ IV. 8.) --RÉDUIT EN UN SORT: Que vous fussiez _réduite en un sort_ misérable. (_Mis._ IV. 3.) RÉGAL, au sens propre, fête, plaisir: D’où vient qu’il n’est pas venu à la promenade?--Il a quelque chose dans la tête qui l’empêche de prendre plaisir _à tous ces beaux régals_. (_Am. magn._ II. 3.) --DONNER UN RÉGAL: Il m’a demandé si vous aviez témoigné grande joie au magnifique _régal que l’on vous a donné_. (_Am. magn._ II. 3.) --RÉGALS, au sens figuré: Et la plus glorieuse (estime) a _des régals peu chers_, Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers. (_Mis._ I. 1.) (Voyez CHER.) Il faut avouer que cette expression, _a des régals peu chers_, manque de naturel, et laisse trop voir le besoin de préparer une rime à _univers_; nouvelle preuve que Molière commençait par faire son second vers. (Voyez CHEVILLES.) «Une estime glorieuse est chère, mais elle n’a point des régals chers. Il fallait dire _des plaisirs peu chers_, ou plutôt tourner autrement la phrase. On dit, dans le style bas: _cela est un régal pour moi_; mais non pas _il a des régals pour moi_.» (VOLTAIRE.) RÉGALE, substantif féminin: Mais quoi! partir ainsi d’une façon brutale, Sans me dire un seul mot de douceur pour _régale_! (_Amph._ I. 4.) La racine est _gale_, en italien _gala_. (Voyez p. 352, RÉGALER D’UNE PEINE.) RÉGALER QUELQU’UN D’UN BON VISAGE: Je vous recommande surtout de _régaler d’un bon visage_ cette personne-là..... (_L’Av._ III. 4.) --RÉGALER D’UNE PEINE, indemniser de cette peine: Mais, pour vous régaler Du souci qui pour elle ici vous inquiète, Elle vous fait présent de cette cassolette. (_L’Ét._ III. 13.) _Régaler_ est la forme itérative de _galer_, qui signifiait se réjouir, prendre du bon temps; ce qu’on dit en italien _far gala_. Nous avions aussi en français le substantif _gale_, racine de _régal_. _Mener gale_, ou _galer_: «Lesquieulx respondirent qu’ils danceroient et meneroient _grant gale_.» (_Lettres de rémission de 1380._) «Icelle femme dit à son mary: Vous ne faites que aler par pays, et _galer_ par les tavernes..... Le suppliant s’en ala jouer et esbattre à la taverne, où il demoura buvant, mengeant et _menant gale_ avec les aultres.» (_Lettres de rém._ de 1409.) (Voyez Du Cange, au mot _Galare_.) _Galer_ était aussi un verbe actif; _galer quelqu’un_, _le faire danser_, _le réjouir_. «Çà, là, _galons-le_ en enfant de bon lieu.» (LA FONTAINE. _Le Diable de Papefig._) REGARDER; NE REGARDER RIEN, ne regarder à rien: Pour moi, _je ne regarde rien_ quand il faut servir un ami. (_B. gent._ III. 6.) REGARDS CHARGÉS DE LANGUEUR: Ces longs soupirs que laisse échapper votre cœur, Et ces fixes _regards, si chargés de langueur_, Disent beaucoup sans doute à des gens de mon âge. (_Pr. d’Él._ I. 1.) RÉGLER A... régler sur, d’après: Que sur cette conduite à son aise l’on glose; Chacun _règle la sienne au but_ qu’il se propose. (_D. Garcie._ II. 1.) Le douaire _se règle au bien_ qu’on nous apporte. (_Éc. des fem._ IV. 2.) Vous savez mieux que moi qu’_aux volontés des cieux_, Seigneur, il faut _régler_ les nôtres. (_Psyché._ II. 1.) REGRETS; FAIRE DES REGRETS, comme _faire des cris_: Nous voyons une vieille femme mourante, assistée d’une servante qui _faisoit des regrets_.... (_Scapin._ I. 2.) RÉGULARITÉS, comme _règles_: Je traiterai, monsieur, méthodiquement, et dans toutes les _régularités_ de notre art. (_Pourc._ I. 10.) _RELATION au sens particulier d’un mot employé dans une locution faite:_ _Ayons un cœur dont_ nous soyons les maîtres. (_D. Juan._ III. 5.) Qu’avez-vous fait pour _être gentilhomme_? Croyez-vous qu’il suffise d’_en_ porter le nom et les armes? (_Ibid._ IV. 6.) Corneille, à qui Molière a emprunté la pensée et presque l’expression de ce passage, a mis le verbe à l’indicatif après _que_: «Croyez-vous qu’_il suffit_ d’être sorti de moi?» (_Le Ment._ V. 3.) RELEVÉ; de fortune relevée: Elle n’a pas toujours été si _relevée_ que la voilà! (_B. gent._ III. 12.) REMENER: _Remenez_-moi chez nous. (_Dép. am._ IV. 3.) Et non pas _ramenez-moi_, comme on parle aujourd’hui. Le simple est _menez-moi_, et non _amenez-moi_. _Raconter_, _rapporter_, et plusieurs autres, sont dans le même cas que _ramener_; c’était autrefois _reconter_, _reporter_, etc. «Si i alad, e _remenad_ ses serfs.» (_Rois._ p. 232.) «Et li poples _recontad_ que li reis ço e ço durreit a celi ki l’ociereit.» (_Ibid._ p. 64.) REMERCIER L’AVANTAGE, rendre grâce à l’avantage: Certes, il peut _remercier l’avantage_ qu’il a de vous appartenir. (_G. D._ I. 5.) REMETTRE (SE), verbe actif, pour _reconnaître_, _se rappeler_: _Vous ne vous remettez point mon visage?_ (_Pourc._ I. 6.) _Vous ne vous remettez pas tout cela?_--Excusez-moi, _je me le remets_. (_Ibid._) REMONTRER A QUELQU’UN, lui en remontrer: Que les jeunes enfants _remontrent aux vieillards_. (_Dép. am._ II. 7.) REMPLACER DE QUELQUE CHOSE, avec quelque chose, par quelque chose: Elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant sur le retour de l’âge, veulent _remplacer de quelque chose_ ce qu’elles voient qu’elles perdent. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) RENCHÉRI, adjectif, prude, austère: Vous avez dans le monde un bruit De n’être pas si _renchérie_. (_Amph._ prol.) RENDRE (SE) construit avec un adjectif, se montrer, devenir: Bon! voyons si son feu _se rend opiniâtre_. (_L’Ét._ III. 1.) Je les dauberai tant en toutes rencontres, qu’à la fin ils _se rendront sages_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) Il _se rend complaisant_ à tout ce qu’elle dit. (_Tart._ III. 1.) Non, Damis, il suffit qu’il _se rende plus sage_. (_Ibid._ III. 4.) Elle _se rendra sage_; allons, laissons-la faire. (_Fem. sav._ III. 6.) --RENDRE DES CIVILITÉS: Mais du moins sois complaisante aux _civilités qu’on te rend_. (_Pr. d’Él._ II. 4.) --RENDRE DES DEHORS, observer les bienséances: Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on _rende Quelques dehors civils_ que l’usage demande. (_Mis._ I. 1.) --RENDRE GRACE SUR QUELQUE CHOSE: Et le mari benêt, sans songer à quel jeu, _Sur_ les gains qu’elle fait _rend des grâces_ à Dieu. (_Éc. des fem._ I. 1.) --RENDRE INSTRUIT, instruire: Vous me direz: Pourquoi cette narration? C’est pour vous _rendre instruit_ de ma précaution. (_Éc. des fem._ I. 1.) L’emploi de ce tour est fréquent dans Bossuet: «Plusieurs, dans la crainte d’être trop faciles, _se rendent inflexibles_ à la raison.» (_Oraison fun. de la duchesse d’Orléans._) --RENDRE OBÉISSANCE A QUELQU’UN, lui obéir: Nous vous avons _rendu_, monsieur, _obéissance_. (_Ibid._ V. 1.) RENFORT DE POTAGE: NICOLE. J’ai encore ouï dire, madame, qu’il a pris aujourd’hui, _pour renfort de potage_, un maître de philosophie. (_B. gent._ III. 3.) «Le peuple dit d’un écornifleur, que c’est un _renfort-potage_.» (TRÉVOUX.) Cette figure est naturellement de la rhétorique de Nicole, qui est cuisinière. RENGAINER UN COMPLIMENT: Hé! monsieur, _rengaînez ce compliment_. (_Mar. for._ 16.) Cette expression existait avant Molière: «Le compliment fut court, le maire _le rengaîne_.» (SENECÉ.) Pascal a dit RENGAîNER absolument, pour cesser d’attaquer, abandonner une manœuvre, une intrigue commencée: «On _rengaîna_, et promptement.» (_Pensées._)[76] [76] M. Cousin a omis d’indiquer la page où se trouve cette phrase, citée dans son vocabulaire de Pascal, au mot _Rengaîner_. --RENGAÎNER UNE NOUVELLE: CLITIDAS (_bouffon_.) Puisque cela vous incommode, _je rengaîne ma nouvelle_, et m’en retourne droit comme je suis venu. (_Am. magn._ V. 1.) RENGRÉGEMENT, archaïsme: _Rengrégement de mal_, surcroît de désespoir! (_L’Av._ V. 3.) La racine de ce mot est l’ancien comparatif de _grand_, _greignour_. Il y avait aussi le verbe _rengréger_ (_re-en-greger_.) «Chacun rendit par là sa douleur _rengrégée_.» (LA FONT. _La Matrone d’Éphèse._) _Rengrégement_, _rengréger_, n’ont point d’équivalents dans la langue moderne. _Accroître_, _empirer_, remplacent mal le verbe; _accroissement_ est plus faible et moins harmonieux que _rengrégement_; _empirement_, bien qu’il se trouve dans Montaigne, n’est pas français, et _agrandissement_ blesserait l’usage dans cette acception, _un agrandissement de chagrin_. RENTRER AU DEVOIR, dans le devoir: Pour _rentrer au devoir_ je change de langage. (_Mélicerte._ II. 5.) --RENTRER DANS SON AME: Rappelle tous tes sens, _rentre bien dans ton âme_. (_Amph._ II. 1.) REPAITRE, verbe neutre, manger: --Mais, seigneur Trufaldin, songez-vous que peut-être Ce monsieur l’étranger a besoin de _repaître_? (_L’Ét._ IV. 3.) --REPAÎTRE, verbe actif, pris au sens figuré: Pour souffrir qu’un valet _de chansons me repaisse_. (_Amph._ II. 1.) RÉPANDRE, distribuer: Aux pauvres, à mes yeux, il alloit le _répandre_. (_Tart._ I. 6.) --RÉPANDRE (SE) DANS LES VICES: C’est ainsi qu’aux flatteurs on doit partout se prendre Des _vices où_ l’on voit les humains _se répandre_. (_Mis._ II. 5.) RÉPARER, restituer, rendre, et construit de même avec le datif: Je veux jusqu’au trépas incessamment pleurer Ce que tout l’univers ne peut _me réparer_. (_Psyché._ II. 1.) REPART, substantif masculin, repartie: Il a le _repart_ brusque et l’accueil loup-garou. (_Éc. des mar._ I. 6.) RÉPONSE DE... réponse à...: J’attends avec un peu d’espérance respectueuse la réponse _de mon placet_. (3e _Placet au roi_.) REPROCHE, tache, sujet de reproche: Si je ne suis pas né noble, au moins suis-je d’une race où il n’y a point de _reproche_. (_G. D._ II. 3.) RÉPRÉHENSION, dans le sens de _réprimande_, mais d’une nuance moins forte: On souffre aisément des _répréhensions_, mais on ne souffre pas la raillerie. (_Préf. de Tartufe._) On dit _reprendre_ et _répréhensible_; pourquoi ne dirait-on pas _répréhension_, comme l’on dit _comprendre_, _compréhensible_, _compréhension_? RÉPUGNANCE AVEC (AVOIR), se mal accorder avec, répugner à: Une passion...... dont tous les désordres _ont tant de répugnance avec la gloire de votre sexe_. (_Pr. d’Él._ II. 1.) RÉPUGNER; LE TEMPS RÉPUGNE A...: M. CARITIDÈS. Monsieur, _le temps répugne à l’honneur de vous voir_. (_Fâcheux._ III. 2.) Bien que M. Caritidès s’exprime en général correctement, il est probable que Molière a l’intention de lui prêter ici une expression ridicule par le pédantisme. REQUÉRIR, querir de nouveau: Va, va vite _requérir_ mon fils. (_Scapin._ II. 11.) RÉSOUDRE; SE RÉSOUDRE DE (un infinitif), se résoudre à: Sus, sans plus de discours, _résous-toi de me suivre_. (_Dép. am._ V. 4.) Il faut attendre Quel parti de lui-même _il résoudra de prendre_. (_Ibid._) La haine que pour vous _il se résout d’avoir_. (_D. Garcie._ II. 6.) Je serois fâché d’être ingrat, mais _je me résoudrois_ plutôt _de l’être que d’aimer_. (_Pr. d’Él._ III. 4.) RESPIRER LE JOUR, latinisme, vivre: Je n’entreprendrai point de dire à votre amour Si done Ignès est morte, ou _respire le jour_. (_D. Garcie._ V. 5.) RESSENTIMENT, en bonne part, sentiment profond, reconnaissance: Mais apprenez...... Que je garde aux ardeurs, aux soins qu’il me fait voir, Tout le _ressentiment_ qu’une âme puisse avoir. (_D. Garcie._ III. 3.) Madame, je viens... vous témoigner avec transport le _ressentiment_ où je suis des bontés surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soumis de vos captifs. (_Pr. d’Él._ IV. 4.) Je n’ai point connu qu’elle ait dans l’âme aucun _ressentiment_ de mon ardeur. (_Am. magn._ I. 2.) ARISTIONE. En vérité, ma fille, vous êtes bien obligée à ces princes, et vous ne sauriez assez reconnoître tous les soins qu’ils prennent pour vous. ÉRIPHILE. J’en ai, madame, tout le _ressentiment_ qu’il est possible. (_Ibid._ III. 1.) Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma parole, et que je vous embrasse pour vous témoigner mon _ressentiment_. (_Mal. im._ III. 21.) Ce mot, dont l’usage a déterminé l’acception en mauvaise part, ne signifiait jadis que _sentiment_ avec plus de force, comme le _ressouvenir_ exprime un souvenir qui date de plus loin. RESSENTIR (SE) D’UNE OFFENSE, la sentir vivement: Une offense _dont_ nous devons toutes _nous ressentir_. (_Pr. d’Él._ III. 4.) RESSORT qu’on ne _comprend_ pas, et qui _sème_ un embarras: Oui, c’est elle, en un mot, dont l’adresse subtile, La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile, Et qui, par ce _ressort qu’on ne comprenoit pas, A semé_ parmi vous _un si grand embarras_. (_Dép. am._ V. 9.) Il faut avouer que ce passage, et quelques autres pareils, justifieraient l’accusation de jargon et de galimatias portée par la Bruyère contre Molière, s’il était loyal ou seulement permis de caractériser le style d’un écrivain d’après quelques taches perdues au milieu de beautés excellentes. (Voyez MÉTAPHORES VICIEUSES.) RESSOUVENIR; SE RESSOUVENIR, _pour se souvenir_: De cet exemple-ci _ressouvenez-vous_ bien; Et quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien. (_Sgan._ 24.) _Ressouvenez-vous_ que, hors d’ici, je ne dois plus qu’à mon honneur. (_D. Juan._ III. 5.) Ah! je suis médecin sans contredit. Je l’avois oublié, mais _je m’en ressouviens_. (_Méd. m. lui._ I. 6.) Attendez qu’on vous en demande plus d’une fois, et _vous ressouvenez_ de porter toujours beaucoup d’eau. (_L’Av._ III. 2.) Laissez-moi faire: je viens de me _ressouvenir_ d’une de mes amies qui sera notre fait. (_Ibid._ IV. 1.) _Vous ne vous ressouvenez pas que_ j’ai eu le bonheur de boire avec vous, je ne sais combien de fois? (_Pourc._ I. 6.) Molière emploie partout _se ressouvenir_, au lieu de _se souvenir_. C’est la même prédilection que pour _s’en aller_ au lieu _d’aller_; par exemple: il _s’en va_ faire jour. (Voyez EN construit avec ALLER.) RESTE; DONNER SON RESTE A QUELQU’UN: Monsieur est frais émoulu du collége: il _vous donnera toujours votre reste_. (_Mal. im._ II. 7.) Métaphore empruntée au jeu, où le plus fort, sûr de triompher, est toujours en mesure d’offrir à l’autre de jouer son reste. RETATER QUELQU’UN SUR.... figurément comme _sonder_: Je veux _la retâter sur ce fâcheux mystère_. (_Amph._ III. 1.) RETENIR EN BALANCE, comme _tenir en balance_: Oui, rien _n’a retenu_ son esprit _en balance_. (_Fem. sav._ IV. 1.) RÉTIF A (un substantif): Vous êtes _rétive aux remèdes_, mais nous saurons vous soumettre à la raison. (_Méd. m. lui._ II. 7.) RETIRER, se retirer: Les mauvais traitements qu’il me faut endurer Pour jamais de la cour me feroient _retirer_. (_Fâcheux._ III. 2.) Retirez-vous d’ici, ou je vous en ferai _retirer_ d’une autre manière. (_Pr. d’Él._ IV. 6.) Molière a supprimé la seconde fois le pronom réfléchi, pour n’avoir pas à mettre deux _me_ ou deux _vous_, dont le rapprochement eût alourdi sa phrase: _me_ feraient _me_ retirer; je _vous_ ferai _vous_ retirer. (Voyez PRONOM RÉFLÉCHI _supprimé_.) RETRANCHER (un substantif) A, pour _borner_, _réduire à_: _Je retranche mon chagrin aux appréhensions_ du blâme qu’on pourra me donner. (_L’Av._ I. 1.) RÉUSSIR, sans impliquer l’idée de bon ou de mauvais succès: Et comme ton ami, quoi qu’il en _réussisse_, Je te viens contre tous faire offre de service. (_Fâcheux._ III. 4.) Voyons ce qui pourra de ceci _réussir_. (_Tart._ II. 4.) M. Auger blâme cet emploi de _réussir_ pour _résulter_, en se fondant sur l’usage. Il paraît se tromper. On dit: une réussite bonne ou mauvaise; pourquoi le verbe n’aurait-il pas la même ampleur de sens que son substantif? _Il a bien réussi_, _il a mal réussi_, personne ne songeait à blâmer cette manière de s’exprimer; preuve que _réussir_ n’emporte pas nécessairement l’idée d’heureux succès. Il reçoit souvent et très-bien cette dernière valeur, mais c’est par extension de sens. Il en est de même des mots _heur_, _succès_, _fortune_, _ressentiment_, qui sont indifférents par eux-mêmes et indéterminés. REVENIR AU CŒUR, au sens figuré: Ces coups de bâton _me reviennent au cœur_; je ne les saurois digérer. (_Méd. m. lui._ I. 5.) RÉVÉRENCE; PARLANT PAR RÉVÉRENCE pris adverbialement: Ce damoiseau, _parlant par révérence_, Me fait cocu, madame, avec toute licence. (_Sgan._ 16.) --RÉVÉRENCE PARLER, comme _parlant par révérence_: .... Que j’ai mon haut-de-chausses tout troué par derrière, et qu’on me voit, _révérence parler_.... (_L’Av._ III. 2.) REVERS DE SATIRE, un revirement, un retour de satire: Pourtant je n’ai jamais affecté de le dire; Car enfin il faut craindre un _revers de satire_. (_Éc. des fem._ I. 1.) REVOULOIR: Mais si mon cœur encor _revouloit_ sa prison? (_Dép. am._ IV. 3.) RHABILLER, figurément rajuster, couvrir, déguiser: Combien crois-tu que j’en connoisse qui, par ce stratagème (l’hypocrisie), ont _rhabillé_ adroitement les désordres de leur jeunesse.....? (_D. Juan._ V. 2.) RIDICULE, substantif; UN RIDICULE: Et l’on m’en a parlé comme d’_un ridicule_. (_Éc. des fem._ I. 6.) Ne voyez-vous pas bien que c’est _un ridicule_ qu’il fait parler? (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) La constance n’est bonne que pour _des ridicules_. (_D. Juan._ I. 2.) Parbleu, je viens du Louvre, où Cléonte, au levé, Madame, a bien paru _ridicule_ achevé. (_Mis._ II. 5.) Dans une bourde que je veux faire à _notre ridicule_. (_B. gent._ III. 14.) RIEN, mot positif; quelque chose: ..... Contre la coutume de France, qui ne veut pas qu’un gentilhomme sache _rien_ faire. (_Sicilien._ 10.) C’est-à-dire, qui ne veut pas qu’un gentilhomme sache faire quelque chose. Il ne sera pas dit que je ne serve _de rien_ dans cette affaire-là. (_Ibid._) Que je n’y serve de quelque chose. Pourquoi consentiez-vous à _rien_ prendre de lui? (_Tart._ V. 7.) A prendre quelque chose. Allons, vous dis-je, _il n’y a rien à balancer_. (_G. D._ I. 8.) Il n’y a chose à balancer, il n’y a pas à balancer. C’est le sens conforme à l’étymologie _rem_. (Voy. _des Var. du lang. fr._, p. 500.) --RIEN, négatif: Et sa morale, faite à mépriser le bien, Sur l’aigreur de sa bile _opère comme rien_. (_Fem. sav._ II. 8.) C’est que la négation est ici renfermée dans l’ellipse: sa morale opère comme rien (_n’_opère), comme chose qui n’opère pas. --RIEN, surabondant, NE FAIRE RIEN QUE: Et plusieurs qui tantôt ont appris mon martyre, Bien loin d’y prendre part, _n’en ont rien fait que rire_. (_Sgan._ 16.) N’en ont fait chose ou autre chose que rire. --RIEN MOINS: Ma comédie n’est _rien moins_ que ce qu’on veut qu’elle soit. (1er _Placet au roi_.) Elle est tout, plutôt que ce qu’on veut qu’elle soit. Et les ennemis de Molière soutenaient qu’elle n’était _rien de moins_ que ce qu’ils disaient. Un pédant qu’à tout coup votre femme apostrophe Du nom de bel esprit et de grand philosophe, D’homme qu’en vers galants jamais on n’égala, Et qui n’est, comme on sait, _rien moins que tout cela_? (_Fem. sav._ II. 9.) Il n’est _rien moins_ qu’homme d’esprit, c’est-à-dire qu’il ne l’est pas du tout.--Homme d’esprit? il n’est rien moins que cela; il est tout, plus que cela. S’il l’était, il faudrait dire: Il n’est _rien de moins_ qu’homme d’esprit. --RIEN QU’A; N’AVOIR RIEN QU’A DIRE: Monsieur, _vous n’avez rien qu’à dire_: Je mentirai, si vous voulez. (_Amph._ II. 1.) Expression elliptique: vous n’avez rien (à faire) qu’à dire, qu’à parler; il suffira d’un mot de vous. RIRE A QUELQU’UN: On l’accueille, on _lui rit_, partout il s’insinue. (_Mis._ I. 1.) --RIRE A SON MÉRITE: Cet indolent état de confiance extrême, Qui le rend en tout temps si content de soi-même, Qui fait qu’_à son mérite_ incessamment _il rit_. (_Fem. sav._ I. 3.) RISÉE, rire. (Voyez ÉCLAT DE RISÉE.) ROBINS, gens en robe, terme de mépris: O les plaisants _robins_, qui pensent me surprendre! (_L’Ét._ III. 11.) Trufaldin s’adresse à une troupe de masques en dominos. ROIDEUR DE CONFIANCE. (Voyez BRUTALITÉ.) ROIDIR; SE ROIDIR CONTRE UN CHEMIN: Des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours _se roidissent contre le droit chemin de la raison_. (_L’Av._ I. 8.) Cette métaphore représente le chemin de la raison comme escarpé et difficile à gravir. ROMPRE, interrompre, empêcher; ROMPRE UN ACHAT, DES ATTENTES: Je sais un sûr moyen Pour _rompre cet achat_ où tu pousses si bien. (_L’Ét._ I. 10.) Je ne m’étonne pas si _je romps tes attentes_. (_Ibid._ III. 5.) --ROMPRE L’ORDRE COMMUN: Il _rompt l’ordre commun_, et devance le temps. (_Mélicerte._ I. 4.) --ROMPRE TOUT A QUELQU’UN, traverser toutes ses entreprises: Cet homme _me rompt tout_! (_Éc. des f._ III. 4.) --ROMPRE UN DÉPART, UN DESSEIN, UNE PENSÉE: Elle vint me prier de souffrir que sa flamme Puisse _rompre un départ_ qui lui perceroit l’âme. (_Éc. des mar._ III. 2.) Et vous avez bien vu que j’ai fait mes efforts Pour _rompre son dessein_ et calmer ses transports. (_Tart._ IV. 5.) J’en suis fâché, car cela _rompt une pensée_ qui m’étoit venue dans l’esprit. (_L’Av._ IV. 3.) --ROMPRE LA PAILLE: Pour couper tout chemin à nous rapatrier, Il faut _rompre la paille_. Une paille rompue Rend entre gens d’honneur une affaire conclue. (_Dép. am._ IV. 4.) Sur l’emploi d’un fétu de paille comme symbole, voyez Du Cange, aux mots _festuca_, _infestucare_, _exfestucare_. ROUGE; UN ROUGE, substantif, une rougeur: Au visage sur l’heure _un rouge_ m’est monté. (_Fâch._ I. 1.) RUDANIER: LUBIN. Adieu, beauté _rudanière_. (_G. D._ II. 1.) La première édition écrit en deux mots _rude asnière_. «Terme populaire qui se dit des gens grossiers, qui rabrouent fortement les autres. Il est composé de _rude_ et _ânier_, comme qui dirait un ânier qui est trop rude à ses ânes.» (TRÉVOUX.) RUER, verbe actif, prenant un régime: Ah! je devois du moins lui jeter son chapeau, _Lui ruer quelque pierre_, ou crotter son manteau. (_Sgan._ 16.) On dirait ces vers composés tout exprès pour nous faire comprendre la différence entre _jeter_ et _ruer_, et notre misère d’être aujourd’hui réduits exclusivement au premier. On _jetait_ à quelqu’un son chapeau à bas, mais on lui _ruait_ une pierre. Cette nuance existait dès l’origine de la langue. Absalon percé par Joab, les soldats du parti de David décrochent son cadavre de l’arbre: «Pois _ruerent_ Absalon en une grant fosse de cele lande, e _jeterent_ pierres sur lui.» (_Rois._ p. 187.) Ils _ruèrent_ le cadavre du fils rebelle avec passion, et _jetèrent_ avec indifférence des pierres dessus pour le couvrir. Plus loin, Joab assiége Abelmacha. Une _sage dame_ vient parlementer aux créneaux, et, voyant qu’il ne s’agit que de livrer le révolté Siba, dit au capitaine: «Nus vus frum _ruer son chief_ aval del mur.» (_Rois._ p. 200.) Nous dirions sans énergie: jeter sa tête du haut des murailles. SABOULER: Comme vous me _saboulez_ la tête avec vos mains pesantes! (_Comtesse d’Esc._ 3.) SAGES PROUESSES, prouesses de vertu: Ces honnêtes diablesses Se retranchant toujours sur leurs _sages prouesses_. (_Éc. des fem._ IV. 8.) SAISIR LES GENS PAR LEURS PAROLES, les prendre au mot: Je suis homme à _saisir les gens par leurs paroles_. (_Éc. des f._ I. 6.) SAISON; temps, moment: En une autre _saison_, cette naïveté Dont vous accompagnez votre crédulité, Anselme, me seroit un charmant badinage. (_L’Ét._ II. 5.) ... Ce n’est pas _la saison_ De m’expliquer, vous dis-je. (_Dép. am._ II. 2.) La lettre que je dis a donc été remise; Mais sais-tu bien comment? En _saison_ si bien prise, Que le porteur m’a dit que, sans ce trait falot, Un homme l’emmenoit, qui s’est trouvé fort sot. (_L’Ét._ II. 14.) Remettons ce discours pour une autre _saison_; Monsieur n’y trouveroit ni rime ni raison. (_Fem. sav._ IV. 3.) _Saison_ pour temps était fort usité au XVIIe siècle. «Soit; mais il est _saison_ que nous allions au temple.» (CORN. _Le Menteur._) «Un homme entre les deux âges, «Et tirant sur le grison, «Jugea qu’il étoit _saison_ «De songer au mariage.» (LA FONTAINE. _L’Homme entre deux âges._) L’usage a maintenu _hors de saison_ pour _déplacé_, _mal à propos_. SALIR L’IMAGINATION, expression nouvelle en 1663, et raillée par Molière: CLIMÈNE (_précieuse ridicule_). Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l’agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarme, et _salit_ à tout moment l’_imagination_? ÉLISE. Les jolies façons de parler que voilà! (_Crit. de l’Éc. des fem._ 3.) SANGLIER, dissyllabe: Partout, dans la _Princesse d’Élide_: Où pourrai-je éviter ce _sanglier_ redoutable? (I. 2.) J’ai donc vu ce _sanglier_, qui par nos gens chassé..... (_Ibid._) Fuir devant un _sanglier_, ayant de quoi l’abattre! (_Ibid._) (Voyez la remarque sur le mot OUVRIER, p. 276.) SANS QUE (l’indicatif), archaïsme, pour _si_ (un substantif) _ne_, suivi du conditionnel: _Sans que_ mon bon génie au-devant _m’a poussé_, Déjà tout mon bonheur eût été renversé. (_L’Ét._ I. 11.) _Si_ mon bon génie _ne m’eût_ poussé au-devant... «_Sans que je crains_ de commettre Géronte, «Je poserois tantôt un si bon guet, «Qu’il seroit pris ainsi qu’au trébuchet.» (LA FONTAINE. _La Confidente sans le savoir._) Sans cette circonstance, savoir, que je crains, etc. Sans cette circonstance, que mon bon génie m’a poussé au-devant.... On doit regretter la perte de cette ellipse, pleine de naturel et de vivacité. Aujourd’hui l’on serait obligé de dire: _Si je ne craignois de commettre Géronte_, _si mon bon génie ne m’eût poussé au-devant_. Quand il n’existe qu’une seule tournure pour exprimer les choses, la prose encore s’en accommode, étant tout à fait libre de ses allures; mais, par la suppression des doubles formes et de certains idiotismes, c’est la poésie qu’on ruine, ou, si l’on veut, l’art de la versification. SATISFAIRE A: Je ne prétends point qu’il se marie, qu’au préalable il n’ait _satisfait à la médecine_. (_Pourc._ II. 2.) «Notre grand Hurtado de Mendoza, dit le père, _vous y satisfera_ sur l’heure.» (PASCAL, 7e _Prov._) SAVANTAS: Et des gens comme vous devroient fuir l’entretien De tous ces _savantas_ qui ne sont bons à rien. (_Fâcheux._ III. 3.) «Injure gasconne. Le baron de Fæneste se moquoit de tous les _savantas_.» (FURETIÈRE.) SAVOIR ENROUILLÉ: On s’y fait (à la cour) une manière d’esprit qui, sans comparaison, juge plus finement des choses que tout le _savoir enrouillé_ des pédants. (_Crit. de l’Éc. des f._ 7.) --NOUS SAVONS CE QUE NOUS SAVONS: SGANARELLE. Il suffit que _nous savons ce que nous savons_, et que tu fus bien heureuse de me trouver. (_Méd. m. lui._ I. 1.) Formule de réticence du style familier; espèce de dicton populaire. (Voyez SUFFIT QUE.) --SAVOIR QUELQU’UN, connaître quelqu’un: _Je sais un paysan_ qu’on appeloit Gros-Pierre. (_Éc. des fem._ I. 1.) --SAVOIR SA COUR: Laissez-moi faire: je suis homme qui _sais ma cour_. (_Am. magn._ II. 2.) SCANDALE, au sens d’affront, esclandre; FAIRE UN SCANDALE A QUELQU’UN, lui faire un esclandre: Trouves-tu beau, dis-moi, de diffamer ma fille, Et _faire un tel scandale à toute une famille_? (_Dép. am._ II. 8.) _Scandale_, outre le sens qu’il porte aujourd’hui, avait encore celui d’_outrage_. Nicot cite, au mot _Scandaliser_, cette explication de Budée: «Le peuple exprime quelquefois, par _scandaliser quelqu’un_, ce que les gens bien élevés rendent par _reprocher à quelqu’un une faute_.» Le Dictionnaire de l’Académie de 1694 consacre les deux acceptions de _scandale_ et _scandaliser_; Trévoux les maintient encore en 1740. _Scandale_ est de formation moderne, c’est-à-dire, du XVIe siècle, lorsque l’oreille ne craignait plus les doubles consonnes. Le moyen âge avait tiré de _scandalum_, _esclande_, qu’on prononçait _éclande_, et qui persiste sous cette forme _esclandre_. L’usage s’est chargé d’attribuer à chacun de ces deux mots une nuance de signification qui rend l’un et l’autre utile; mais c’est une occasion de remarquer: 1° qu’en augmentant le nombre des mots, il a fallu restreindre leur signification, et faire aux nouveaux un apanage aux dépens des anciens; 2° que, selon les époques où ils ont passé dans notre langue, les mots latins ont subi l’empire d’une loi différente. De _spatium_, _spongium_, _spiritus_, le moyen âge avait fait les substantifs _espace_, _esponge_, _esprit_ (l’_s_ ne sonnant point); plus tard, après la perte de la tradition primitive, et sous l’influence du pédantisme de la renaissance, on créa les adjectifs _spacieux_, _spongieux_, _spirituel_, qui serrent de plus près la forme latine. Au lieu de _spirituel_, le moyen âge disait _espiritable_. On peut à ce signe reconnaître tout d’abord si tel mot français est antérieur ou postérieur à la renaissance, car le moyen âge n’en avait pas un seul qui commençât par deux consonnes consécutives[77]. [77] Les liquides ne comptent que pour demi-consonnes, comme, _plein_, _prendre_, etc. SE JOUER, sans complément, pour _jouer_: On n’est point capable de _se jouer_ longtemps, lorsqu’on a dans l’esprit une passion aussi sérieuse..... (_Comtesse d’Esc._ 1.) On disait, avec ou sans la forme réfléchie, _jouer_, ou _se jouer_, comme _combattre_, ou _se combattre_; _fuir_, _dormir_, _dîner_, _mourir_, ou _se fuir_, _se dormir_, _se dîner_, _se mourir_. (Voyez ARRÊTER.) SE METTRE SUR L’HOMME D’IMPORTANCE, sur le ton ou sur le pied d’homme d’importance: Je veux _me mettre un peu sur l’homme d’importance_, Et jouir quelque temps de votre impatience. (_Mélicerte._ I. 3.) SE... NOUS, corrélatifs: _Se_ dépouiller entre les mains d’un homme qui ne _nous_ touche de rien. (_Am. méd._ I. 5.) SECOURS, au singulier, les auxiliaires: Ah, tête! ah, ventre! que ne le trouvé-je tout à l’heure _avec tout son secours_! que ne paroît-il à mes yeux au milieu de trente personnes! (_Scapin._ II. 9.) SEMBLANT DE RIEN (FAIRE, NE PAS FAIRE). Voyez à la fin de l’article PAS. SEMBLER DE (un infinitif): Quand il m’a dit ces mots, il m’a _semblé d’entendre_: Va-t’_en_ vite chercher un licou pour te pendre. (_Dép. am._ V. 1.) Pourquoi cette préposition? _Commencer de_ est, par euphonie, pour _commencer à_, afin d’éviter quelque hiatus; mais _sembler_ se construit avec un second verbe, sans préposition intermédiaire. Cependant c’est encore la raison d’euphonie qui lui a donné celle-ci; ou, pour mieux dire, il n’y a pas réellement de préposition: il n’y a qu’un _d_ euphonique, vestige de la prononciation primitive. Ce _d_ ou _t_ final armait autrefois toutes les terminaisons en _é_, soit des substantifs, soit du participe, comme on peut s’en convaincre en jetant les yeux sur les plus anciens monuments de notre langue. «J’ai peche_d_ à lui seul,» qu’on lit dans saint Bernard, est comme «il m’a semble_d_ entendre.» Que l’oreille ait ensuite causé l’erreur de la main, et qu’on ait écrit: il me semble _de_ voir, _d’_entendre, c’est ce qui est arrivé mainte autre fois. Par exemple, lorsqu’on a mis: Il y en a _d’aucuns_, pour il y en a_d_ aucuns;--Ma _tante_ pour ma_t_ ante; _Ante_, d’_amita_, conservé dans l’anglais_aunt_. (Voyez D euphonique.) SEMENCES, figurément, principes; SEMENCES D’HONNEUR: Isabelle pourroit perdre dans ces hantises Les _semences d’honneur_ qu’avec nous elle a prises. (_Éc. des mar._ I. 4.) SEMONDRE, exhorter par un sermon, un avis: De peur que cet objet qui le rend hypocondre A faire un vilain coup ne me l’allât _semondre_. (_L’Ét._ II. 3.) M. Auger dérive _semondre_ de _submonere_, à tort, selon moi. Il a pris cette étymologie dans Nicot, où il aurait fallu la laisser cachée. La racine de _semondre_ me paraît être _sermo_; _semondre_ serait alors une forme primitive de _sermonner_. L’_r_ s’éteignait dans la prononciation, pour éviter deux consonnes consécutives: _sermonner_, _semoner_, _semonre_, enfin _semondre_, avec un _d_ euphonique, comme dans _pondre_ tiré de _ponere_, dans _moudre_, de _molere_ (_moul(d)re_). Si l’on veut que _semondre_ vienne de _monere_, il faudra expliquer d’où vient la syllabe initiale _se_. On ne peut admettre qu’elle représente le latin _sub_; il n’y en aurait pas d’autre exemple. On trouve dans Nicot SEMONNEUR, _vocator_, _monitor_; n’est-ce pas le même mot que SERMONNEUR? Celui qui fait des _sermons_ et celui qui donne des _semonces_, n’est-ce pas tout un? Nous doutons, et nous soumettons nos doutes aux doctes capables de les dissiper. S’EN RETOURNER, avec la tmèse de _en_: Et, dès devant l’aurore, Vous _vous en_ êtes _retourné_. (_Amph._ II. 2.) (Voyez EN construit avec un verbe, p. 150.) SENS, au pluriel; le sens, la signification: Et les _sens imparfaits_ de cet écrit funeste Pour s’expliquer à moi n’ont pas besoin du reste. (_D. Garcie._ II. 4.) Les sens imparfaits d’un écrit funeste qui n’ont pas besoin du reste pour s’expliquer, c’est là sans doute ce que la Bruyère appelait du jargon, et il n’y a pas moyen d’y contredire. Hormis quelques fragments, comme la scène de jalousie du IVe acte, cette malheureuse pièce de Don Garcie est entièrement de ce style. Molière, pour cette fois, était sorti de son domaine habituel, la vérité, et il ne pouvait pas mettre un style vrai sur un sujet faux et romanesque. SENSIBLE, clair, intelligible, qui tombe sous le sens: Mon malheur m’est visible, Et mon amour en vain voudroit me l’obscurcir; Mais le détail encor ne m’en est pas _sensible_. (_Amph._ II. 2.) SENTIMENTS OUVERTS; PARLER A SENTIMENTS OUVERTS: Et je crois, _à parler à sentiments ouverts_, Que nous ne nous en devons guères. (_Amph. prol._) SENTIR, construit avec un pronom possessif, suivi d’un substantif; SENTIR SON BIEN: A l’heure que je parle, un jeune Égyptien, Qui n’est pas noir pourtant et _sent assez son bien_, Arrive, accompagné d’une vieille fort hâve. (_L’Ét._ IV. 9.) _Bien_, dans cette locution, signifie _bonne_ extraction; sentir son bien né, son homme bien né: --SENTIR SON VIEILLARD, SON HOMME QUI...: Cela _sent son vieillard_ qui, pour en faire accroire, Cache ses cheveux blancs d’une perruque noire. (_Éc. des mar._ I. 1.) Votre conseil _sent son homme_ qui a envie de se défaire de sa marchandise. (_Am. méd._ I. 1.) «Mon languaige françois est altéré, et en la prononciation et ailleurs, par la barbarie de mon creu. Je ne veis jamais homme des contrées de deçà qui ne _sentist_ bien evidemment _son ramage_, et qui ne bleceast les aureilles pures françoises.» (MONTAIGNE. II. 17.) «Il y a trop de somptuosité à votre habit: cela _ne sent pas sa criminelle_ assez repentante.» (LA FONTAINE. _Psyché._ II.) «Cybèle est vieille, Junon de mauvaise humeur; Cérès _sent sa divinité de province_, et n’a nullement l’air de cour.» (Id. _Ibid._) --SENTIR LE BATON, impersonnel: C’est _qu’il sent le bâton_ du côté que voilà. (_Dép. am._ V. 4.) --SENTIR (SE), avoir la conscience de son être: Petit serpent que j’ai réchauffé dans mon sein, Et qui dès qu’il _se sent_, par une humeur ingrate, Cherche à faire du mal à celui qui le flatte! (_Éc. des fem._ V. 4.) SERRER, verbe actif, en parlant d’une maladie, peste, fièvre, etc: Que la fièvre quartaine puisse _serrer bien fort_ le bourreau de tailleur! (_B. gent._ II. 7.) (Voyez FIÈVRE.) SERVIR SUR TABLE: GALOPIN. Madame, on a _servi sur table_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 8.) C’était l’expression consacrée: «Ainsi dit Gilotin, et ce ministre sage «_Sur table_ au même instant fait _servir_ le potage.» (BOILEAU. _Le Lutrin._) --SERVIR DE QUELQUE CHOSE: Et voilà _de quoi sert_ un sage directeur. (_Éc. des fem._ III. 1.) L’un fait beaucoup de bruit qui _ne lui sert de guères_. (_Ibid._ I. 1.) --Dans cette façon de parler, NE SERVIR DE RIEN, on usait d’une inversion au participe passé: Tout cela _n’a de rien servi_. (_Préf. de Tartufe_ et 2e _Placet au roi_.) SES, pluriel, précédant deux substantifs au singulier: Chacun, à _ses péril et fortune_, peut croire tout ce qu’il lui plaît. (_Mal. im._ III. 3.) Cette façon de parler est tout à fait conforme à l’ancienne langue. Aussi je ne crois pas que la vraie locution soit: _à ses risques et périls_, mais _à ses risque et péril_, au singulier. SEUL, faisant pléonasme avec _ne que_: Notre sort _ne dépend que_ de sa _seule_ tête. (_Éc. des fem._ III. 1.) Mais j’entends que la mienne Vive à ma fantaisie, et non pas à la sienne; Que d’une serge honnête elle ait son vêtement, Et _ne_ porte le noir _qu’_aux bons jours _seulement_. (_Éc. des mar._ I. 2.) Ce _n’est qu’_après moi _seul_ que son âme respire. (_Ibid._ II. 14.) Et je _n’ai seulement qu’_à vous dire deux mots. (_Tart._ III. 2.) _Ce n’est que la seule_ considération que j’ai pour monsieur votre père. (_Pourc._ III. 9.) _Ce n’est qu’à l’esprit seul_ que vont tous les transports. (_Fem. sav._ IV. 2.) Ce tour, qu’on appellerait aujourd’hui un pléonasme, est très-familier aux écrivains du XVIIe siècle: «Le roi son mari lui a donné jusqu’à la mort ce bel éloge, qu’il _n’_y avoit _que le seul_ point de la religion où leurs cœurs fussent désunis.» (BOSSUET. _Or. f. de la r. d’A._) SI, pris substantivement; UN SI, une condition: Ces protestations ne coûtent pas grand’chose, Alors qu’à leur effet _un pareil si_ s’oppose. (_Dép. am._ II. 2.) «Je te la rends dans peu, dit Satan, favorable; Mais _par tel si_, qu’au lieu qu’on obéit au diable Quand il a fait ce plaisir-là, A tes commandements le diable obéira.» (LA FONTAINE. _La Chose impossible._) Cette locution est très-fréquente dans les poëtes du XIIIe siècle: Le comte de Forest, le fanfaron Lisiard, se vante de faire en moins de huit jours la conquête de la belle Euriant, à condition qu’elle ne sera de rien prévenue: «Et _par si_ qu’on ne li voist dire.» (GIBERT DE MONTREUIL. _La Violette._ p. 17.) Par tel _si_ qu’on n’aille le lui dire, la mettre sur ses gardes. Il est très-important d’observer que nos pères avaient _se_ et _si_; _se_ exprimait seul un sens dubitatif, et venait du latin _si_; au contraire, _si_ n’était jamais dubitatif, aussi venait-il de _sic_. Cette distinction est essentielle pour l’intelligence de certains archaïsmes. Plus loin, Lisiard propose à Gérard un défi; Gérard l’accepte, mais en dicte les conditions, et les soumet à la demoiselle affligée qu’il s’agit de venger: «Et _par si_ soit fait li recors, S’il me puet ocire et conquerre, Que vous et toute vostre terre Serez à son comandement; Et se je le conquiers, ensement.» (_La Violette._ p. 84.) «Et soit fait notre accord par tel _si_, que s’il me peut tuer et conquérir, vous lui appartiendrez avec toute votre terre; et de même, si c’est moi qui le conquiers.» --SI (_sic_), toutefois; ET SI, et pourtant, et encore: J’ai la tête plus grosse que le poing, _et si_ elle n’est pas enflée. (_B. gent._ III. 5.) --SI FAUT-IL, encore faut-il: MORON. _Si faut-il_ tenter toute chose, et éprouver si son âme est entièrement insensible. (_Pr. d’Él._ III. 5.) _Si faut-il bien_ pourtant trouver quelque moyen.... pour attraper notre brutal. (_Sicilien._ 5.) «On m’a pourvu d’un cœur peu content de soi-même, «Inquiet, et fécond en nouvelles amours: «Il aime à s’engager, mais non pas pour toujours; «_Si faut-il_ une fois brûler d’un feu durable.» (LA FONT. _Elég._ III.) --SI... COMME (_sic ut_): Je vous félicite, vous, d’avoir une femme _si_ belle, _si_ sage, _si_ bien faite, _comme_ elle est. (_Méd. m. lui._ II. 4.) _Sic pulchra ut est._ _Comme_, dans l’origine, était le complément naturel de _si_, _aussi_, _tant_. «Li reis jurad: _Si_ veirement _cume_ Deus vit, David ne murrad.» (_Rois._ p. 74.) «Ki, entre tute ta gent, est _si_ fidel _cume_ David vostre gendre est?» (_Ibid._ p. 87.) Ou sans séparation, _sicume_ (italien, _siccome_): «E fud a curt _sicume_ il out ested devant.» (_Rois._ p. 74.) _Comme_ se construisait de même avec _tel_: «Deus te face _tel_ merci _cume_ tu m’as mustred ici.» (_Ibid._ p. 95.) «Vous voulez vous guérir de l’infidélité, et vous en demandez les remèdes? Apprenez-les de ceux qui ont été _tels comme vous_.» (PASCAL. _Pensées._ p. 272.) _Comme_ suppléait _que_, au grand avantage de l’euphonie: «Peut-être que tu mens _aussi bien comme_ lui.» (CORNEILLE. _Le Menteur._ IV. 7.) «Qu’il fasse _autant_ pour soi _comme_ je fais pour lui.» (Id. _Polyeucte._ III. 3.) Sur quoi Voltaire dit: «Ce vers est un solécisme; on dit _autant que_, et non pas _autant comme_.» Mais pourquoi pas? L’usage? Il était du temps de Corneille en faveur d’_autant comme_. La logique? C’est un pur latinisme. Les Latins faisaient donc aussi un solécisme, de dire: Haud _ita_ vitam agerent _ut_ nunc plerumque _videmus_? (LUCRÈCE. III.) Il est fâcheux que Voltaire ait appuyé une réforme sans motif, qui appauvrit la langue, surtout celle des poëtes, et envieillit les écrivains faits pour rester modèles. J’ai dit que l’emploi de _comme_ relatif avait jadis pour soi l’autorité de l’usage; voici en preuve quelques exemples: Marot demandant une haquenée à François Ier: «Savez comment Marot l’acceptera? «_D’aussi_ bon cueur _comme_ la sienne il donne «Au fin premier qui la demandera.» «Ma foi seule, _aussi_ pure et belle «_Comme_ le sujet en est beau.....» «Il n’est rien de _si_ beau _comme_ Calixte est belle.» (MALHERBE.) «Tant qu’a duré la guerre, on m’a vu constamment «_Aussi_ bon citoyen _comme_ parfait amant.» (CORNEILLE. _Horace._) Mais tout à coup cette façon de parler a déplu aux grammairiens-jurés de la fin du XVIIe siècle: ils l’ont réprouvée d’un commun accord. Ménage donne pour raison qu’«elle n’est pas naturelle.» (_Obs._ p. 348.) La nature est ici invoquée bien à propos! Mais est-il prouvé que ce mot _que_ soit plus rapproché de la nature que le mot _comme_? Est-il sûr que l’usage consacré par une longue suite de siècles, appuyé sur la logique, sur l’étymologie, et fortifié par l’exemple des meilleurs écrivains, doive céder au caprice de trois ou quatre pédants sans autorité que celle qu’ils s’arrogent avec insolence? Cela n’est pas naturel non plus, et pourtant, hélas! cela se voit tous les jours. _Comme_, à la place de _que_, est un archaïsme qui a de la grâce et de la naïveté: «Catin veut espouser Martin; «C’est une très-fine femelle! «Martin ne veut pas de Catin: «Je le trouve _aussi_ fin _comme_ elle.» (MAROT.) --SI dubitatif (_si_),... ET QUE...: _S’il_ ne vous suffit pas de toute l’assurance Que vous peuvent donner mon cœur et ma puissance, _Et que_ de votre esprit les ombrages puissants Forcent mon innocence à convaincre vos sens... (_D. Garcie._ IV. 8.) Ce seroit une chose plaisante _si_ les malades guérissoient, _et qu’_on m’en vînt remercier! (_D. Juan._ III. 1.) «_Si_ Babylone eût pu croire qu’elle eût été périssable comme toutes les choses humaines, _et que_ une confiance insensée ne l’eût pas jetée dans l’aveuglement.....» (BOSSUET. _Hist. un._ IIIe p.) --SI, répondant au latin _an_, _utrum_: Et je suis _en suspens si_, pour me l’acquérir, Aux extrêmes moyens je ne dois point courir. (_L’Ét._ III. 2.) Je suis _dans l’incertitude si_ je dois me battre avec mon homme, ou bien le faire assassiner. (_Sicilien._ 13.) --SI C’ÉTAIT QUE: Et _si c’étoit qu’_à moi la chose pût tenir... (_Mis._ IV. 1.) --SI (un adjectif) QUE DE (_adeò... ut..._); tant ou tellement... que de...: Et j’ai eu un aïeul, Bertrand de Sotenville, qui fut _si considéré_ en son temps _que d’_avoir permission de vendre tout son bien pour le voyage d’outre-mer. (_G. D._ I. 5.) S’il étoit _si hardi que de_ me déclarer son amour, il perdroit pour jamais ma présence et mon estime. (_Am. magn._ II. 3.) Ouais! je ne croyois pas que ma fille fût _si habile que de_ chanter ainsi à livre ouvert. (_Mal. im._ II. 6.) «Celui-ci le paya d’ingratitude, et fut _si méchant que d’oser_ souiller le lit de son bienfaiteur.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) SIÈCLE D’AUJOURD’HUI (AU): C’est une chose rare _au siècle d’aujourd’hui_. (_Mis._ IV. 1.) SINGULIER; SINGULIER A, particulier à: Cette fermeté d’âme, _à vous si singulière_. (_Fem. sav._ V. 1.) «On dit d’une chose qu’elle est _particulière à quelqu’un_, mais non pas qu’elle _lui est singulière_.» (M. AUGER.) Et pourquoi ne le dirait-on pas? On dit bien _singulier_, sans complément, pour _particulier_. M. Auger n’a rien repris à ces vers: Et je ne veux aussi, pour grâce _singulière_, Que montrer à vos yeux mon âme tout entière. (_Tart._ III. 3.) _Grâce singulière_ est pourtant bien là pour _grâce particulière_. Si on laisse au mot _singulier_ le sens de _singularis_ dans un cas, pourquoi ne pas le lui laisser dans l’autre? Pourquoi le permettre sans complément et le défendre, avec un complément? En général, on critique beaucoup trop par cette formule: _cela ne se dit pas_. Ce qu’il faut montrer, c’est que cela ne doit pas, ne peut pas se dire, surtout quand cela a été dit par des gens comme Molière, Pascal ou Bossuet. _SINGULIER_ (verbe au) après un nombre pluriel: Quatre ou cinq mille écus _est_ un denier considérable. (_Pourc._ III. 9.) Et deux ans, dans le sexe, _est_ une grande avance. (_Mélicerte._ I. 4.) (Voyez C’EST ou EST en accord avec un pluriel, et CE SONT.) SI PEU QUE DE (un infinitif): Vous êtes-vous mis dans la tête qu’un homme de soixante-trois ans.... considère _si peu_ sa fille _que de la marier_ avec un homme qui a ce que vous savez? (_Pourc._ II. 7.) (Voyez SI (un adjectif) QUE DE, p. 375.) SIQUENILLES (_sic_ dans l’édition originale; Ribou, 1669), souquenilles: Quitterons-nous nos _siquenilles_, monsieur? (_L’Av._ III. 2.) SITUÉ; AME BIEN SITUÉE: Non, non, il n’est point d’âme un peu _bien située_ Qui veuille d’une estime ainsi prostituée. (_Mis._ I. 1.) L’expression est insolite; cependant nous disons chaque jour, avec l’autorité de l’usage: Avoir le cœur _bien placé_. C’est la même figure. SŒURS D’INFORTUNE, comme _frères d’armes_: Nous nous voyons _sœurs d’infortune_. (_Psyché._ I. 1.) SOI, où l’usage moderne emploie _lui_, _elle_, _eux_: Bien que de vous mon cœur ne prenne point de loi, Et ne doive en ces lieux aucun compte qu’à _soi_... (_D. Garcie._ II. 5.) C’est une fille à nous, que, sous un don de foi, Un Valère a séduite et fait entrer chez _soi_. (_Éc. des mar._ III. 5.) _Apud se_, et non _apud illum_. Agnès, dit Horace, N’a plus voulu songer à retourner chez _soi_, Et de tout son destin s’est commise à ma foi. (_Éc. des fem._ V. 2.) Je vous dis que mon fils n’a rien fait de plus sage Qu’en recueillant chez _soi_ ce dévot personnage. (_Tart._ I. 1.) Toi, Sosie?--Oui, Sosie; et si quelqu’un s’y joue, Il peut bien prendre garde à _soi_. (_Amph._ I. 2.) Ne voyez-vous pas qu’il tire à _soi_ toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter? (_Mal. im._ III. 14.) Cet indolent état de confiance extrême, Qui le rend en tout temps si content de _soi-même_. (_Fem. sav._ I. 3.) Ce sont choses, _de soi_, qui sont belles et bonnes. (_Ibid._ IV. 3.) Le savoir garde _en soi_ son mérite éminent. (_Ibid._) Il n’est pour le vrai sage aucun revers funeste; Et, perdant toute chose, à _soi-même_ il se reste. (_Ibid._ V. 4.) Tout le XVIIe siècle a ainsi parlé. Les grammairiens se sont perdus en distinctions et en subtilités pour régler quand il fallait _soi_, et quand _lui_. Tout cela est chimérique. Les grands écrivains du temps de Louis XIV se sont guidés bien plus sûrement sur un seul point: partout où le latin mettrait _se_, ils ont mis _soi_, «Qu’il fasse autant pour _soi_ comme je fais pour lui.» (CORNEILLE. _Polyeucte._ III. 8.) _Pro se ipso_, et non _pro illo_. «Mais il se craint, dit-il, _soi-même_ plus que tous.» (RACINE. _Androm._ V. 2.) _Timet se ipsum._ «Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après _soi_.» (Id. _Phèdre._) _Post se_, et non _post illum_. «Mais souvent un auteur, qui se flatte et qui s’aime, «Méconnoît ses défauts et s’ignore _soi-même_.» (BOILEAU.) «Il n’ouvre la bouche que pour répondre...... Il crache presque sur _soi_.» (LA BRUYÈRE.) «Idoménée, revenant à _soi_, remercia ses amis.» (FÉNELON.) «Tant de profanations que les armes traînent après _soi_!» (MASSILLON.) «Dieux immortels, dit-elle en _soi-même_, est-ce donc ainsi que sont faits les monstres?» (LA FONTAINE. _Psyché._ I.) On voit qu’il n’est pas besoin de tant raffiner, à la suite de Vaugelas, d’Olivet et les modernes. SOIENT, monosyllabe: Et votre front, je crois, veut que du mariage Les cornes _soient_ chez vous l’infaillible apanage. (_Éc. des fem._ I. 1.) «Qu’ils _soient_ comme la poudre et la paille légère «Que le vent chasse devant lui.» (RACINE. _Esther._ I. 5.) SOIS-JE, dans une formule de souhait: _Sois-je_ du ciel écrasé si je mens! (_Mis._ I. 2.) Forme excellente, au lieu de _puissé-je être_. SOLÉCISMES EN CONDUITE: Le moindre _solécisme_, en parlant, vous irrite; Mais vous en faites, vous, d’étranges _en conduite_. (_Fem. sav._ II. 7.) SOLLICITER DE QUELQUE CHOSE: J’ai cru faire assez de fuir l’engagement _dont j’étois sollicitée_. (_Am. magn._ IV. 7.) Ne me refusez point la grâce _dont je vous sollicite_. (_L’Av._ II. 7.) SON, SA, SES, se rapportant à un autre mot que le sujet de la phrase: Je ne puis vous celer que ma fille Célie Dès longtemps par moi-même est promise à Lélie, Et que, riche en vertus, _son retour_ aujourd’hui M’empêche d’agréer un autre époux que lui. (_Sgan._ 24.) _Son retour_, c’est le retour de Lélie; _riche en vertus_ se rapporte aussi à Lélie, quoique la construction de la phrase semble appliquer ces mots au retour. Il n’y a pas moyen d’excuser cette faute, source d’équivoques. Jusqu’ici don Louis, qui vit à _sa prudence_ (La prudence de don Louis.) Par le feu roi mourant commettre _son enfance_, (L’enfance de don Alphonse.) A caché _ses destins_ aux yeux de tout l’État... (Les destins d’Alphonse.) Et bien que le tyran, depuis _sa lâche audace_, (L’audace du tyran.) L’ait souvent demandé pour lui rendre _sa place_, (La place d’Alphonse.) Jamais _son zèle ardent_ n’a pris de sûreté (Le zèle d’Alphonse.) A l’appât dangereux de _sa fausse équité_. (_D. Garcie._ I. 2.) (La fausse équité du tyran.) Il est difficile d’écrire avec plus de négligence. On dit bien _la surveillance de l’État_, mais non _les yeux de l’État_. L’État est une abstraction, une idée complexe, qui ne saurait être personnifiée jusqu’à prendre des yeux ni des oreilles. --SON, SA, rapportés à un nom de chose: LYSIDAS (_parlant de sa pièce_). Tous ceux qui étoient là doivent venir à _sa_ première représentation. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) --SON avec _sentir_. (Voyez SENTIR, p. 370.) SONGER, actif, pour _imaginer_, _méditer_: C’est une foible ruse; J’en _songeois une_...--Et quelle?--Elle n’iroit pas bien. (_L’Ét._ I. 2.) J’avois _songé une comédie_ où il y auroit eu un poëte, etc... (_Impromptu._ 1.) --SONGER DE (un infinitif); songer à: Et qu’ils s’étoient promis une foi mutuelle, Avant qu’il eût _songé de poursuivre_ Isabelle. (_Éc. des mar._ III. 6.) (Voyez p. 99, DE remplaçant A.) SONT pour font, en style d’arithmétique: Je crois que deux et deux _sont_ quatre. (_D. Juan._ III. 1.) L’édition d’Amsterdam a corrigé, selon sa coutume, et mis _font_. --SONT-CE: _Sont-ce_ encore des bergers?--C’est ce qu’il vous plaira. (_B. gent._ I. 2.) _Sont-ce_ des vers que vous lui voulez écrire? (_Ibid._ II. 6.) _Sont-ce_ des visions que je me mets en tête? (_Psyché._ I. 1.) (Voyez CE SONT.) SORTILÉGE; DONNER UN SORTILÉGE A QUELQU’UN, lui jeter un sort: C’est _un sortilége qu’il lui a donné_. (_Pourc._ III. 9.) SORTIR HORS: Tenez, voyez ce mot, et _sortez hors_ de doute. (_Dép. am._ I. 2.) Mais lui fallant un pic, je _sortis hors_ d’effroi. (_Fâcheux._ II. 2.) SOT, terme adouci pour exprimer ce qu’ailleurs Molière appelle crûment un cocu: Elles font la sottise, et nous sommes les _sots_. (_Sgan._ 17.) Elle? Elle n’en fera qu’un _sot_, je vous l’assure. (_Tart._ II. 2.) Épouser une sotte est pour n’être point _sot_. (_Éc. des mar._ I. 1.) «Il veut à toute force être au nombre des _sots_.» (LA FONT. _La Coupe enchantée._) --SOT, passionné au point d’en perdre le sens: Si bien donc?--Si bien donc qu’elle est _sotte_ de vous. (_L’Ét._ I. 6.) --ÊTRE SOT APRÈS QUELQU’UN, en être assotté: MARINETTE. Que Marinette _est sotte après son Gros-René_! (_Dép. am._ IV. 4.) SOUCIER, verbe actif, comme _affliger_, _chagriner_: Hé! je crois que cela foiblement _vous soucie_. (_Dép. am._ IV. 3.) «Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi «Me fasse peur, ni _me soucie_?» (LA FONTAINE. _Le Lion et le Moucheron._) SOUFFRIR, absolument; SOUFFRIR DE QUELQU’UN: Ciel! faut-il que le rang, dont on veut tout couvrir, _De cent sortes de sots_ nous oblige à _souffrir_! (_Fâcheux._ I. 6.) --SOUFFRIR QUELQUE CHOSE A QUELQU’UN: De grâce, _souffrez-moi_, par un peu de bonté, _Des bassesses_ à qui vous devez la clarté. (_Fem. sav._ I. 1.) «Mais le père Lemoine a apporté une modération à cette permission générale; car _il ne le veut point du tout souffrir aux vieilles_.» (PASCAL. 9e _Prov._) SOUFFRIR A QUELQU’UN DE (un infinitif), lui permettre: . . . . . . . _Souffrez à mon amour De_ vous revoir, madame, avant la fin du jour. (_Mis._ IV. 4.) Si votre cœur me considère Assez pour _me souffrir de disposer de vous_.... (_Psyché._ I. 3.) _Me_ est ici au datif, et non à l’accusatif. SOUPÇON; HORS DE SOUPÇON: On ne reçoit plus rien qui soit _hors de soupçon_. (_L’Ét._ II. 6.) Qui soit à l’abri du soupçon, qui ne soit suspect. --SOUPÇONS DE QUELQU’UN: Ce n’est pas d’aujourd’hui, Nicole, que j’ai conçu des soupçons _de_ mon mari. (_B. gent._ III. 7.) Molière dit _soupçons de quelqu’un_, comme _l’hymen_, _la vengeance_, _la jalousie de quelqu’un_, c’est-à-dire, relativement à quelqu’un. --SOUPÇON ENTRE DEUX PERSONNES, qui porte sur deux personnes: Cela ne vous offense point: _il ne tombe entre lui et vous aucun soupçon_ de ressemblance. (_Scapin._ II. 7.) SOUPÇONNER, suspecter: On _soupçonne_ aisément un sort tout plein de gloire; Et l’on veut en jouir avant que de le croire. (_Tart._ IV. 5.) SOUS, au lieu de _par_ ou _avec_: Enfin je l’ai fait fuir, et, _sous ce traitement_, De beaucoup d’actions il a reçu la peine. (_Amph._ I. 2.) Ne prétendez pas vous sauver _sous_ cette imposture. (_L’Av._ V. 5.) --SOUS COULEUR, sous prétexte: Anselme, instruit de l’artifice, M’a repris maintenant tout ce qu’il nous prêtoit, _Sous couleur_ de changer de l’or que l’on doutoit. (_L’Ét._ II. 7.) (Voyez COULEUR et COLORÉ.) --SOUS DES LIENS: La fille qu’autrefois de l’aimable Angélique, _Sous des liens_ secrets, eut le seigneur Enrique. (_Éc. des fem._ V. 9.) Ce n’est pas à mon cœur qu’il faut que je défère, Pour entrer _sous de tels liens_. (_Psyché._ I. 3.) --SOUS DES SOINS: Je ris des noirs accès où je vous envisage, Et crois voir en nous deux, _sous mêmes soins nourris_, Ces deux frères que peint l’École des maris. (_Mis._ I. 1.) L’idée de protection, enfermée dans le verbe _nourrir_, sauve cette métaphore: «Parva _sub_ ingenti matris se subjicit _umbra_.» (VIRG.) --SOUS L’APPAT DE..., sous le prétexte de: Ce marchand déguisé, Introduit _sous l’appât_ d’un conte supposé: (_L’Ét._ IV. 7.) --SOUS SA MOUSTACHE: On n’est point bien aise de voir, _sous sa moustache_, cajoler hardiment sa femme ou sa maîtresse. (_Sicilien._ 14.) --SOUS TANT DE VRAISEMBLANCE: Quoi! le premier transport d’un amour qu’on abuse _Sous tant de vraisemblance_ est indigne d’excuse! (_Dép. am._ IV. 2.) --SOUS UN DON DE FOI: C’est une fille à nous, que, _sous un don de foi_, Un Valère a séduite et fait entrer chez soi. (_Éc. des mar._ III. 5.) Dans toutes ces locutions, _sur_ serait aussi bien venu que _sous_. Molière, pour l’emploi de l’un et de l’autre, paraît n’avoir suivi que le hasard, et l’usage l’y autorisait. (Voyez au mot SUR, où l’origine de cette confusion est exposée.) SOUTENIR LE COURROUX, y persévérer: Pour vouloir _soutenir le courroux_ qu’on me donne, Mon cœur a trop su me trahir. (_Amph._ II. 6.) SPIRITUELLE, substantif; UNE SPIRITUELLE: Moi, j’irois me charger d’_une spirituelle_ Qui ne parleroit rien que cercle et que ruelle? (_Éc. des fem._ I. 1.) (Voyez RIDICULE, substantif.) _SUBJONCTIF_ qui en commande un autre, dans une place où nous mettrions aujourd’hui l’_indicatif_: _J’aurois_ assez d’adresse pour faire accroire à votre père que ce _seroit_ une personne riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant; qu’elle _seroit_ éperdument amoureuse de lui, et _souhaiteroit_ de se voir sa femme. (_L’Av._ IV. 11) Il est clair qu’en effet la forme conditionnelle est la meilleure dans tout ce passage, qui n’expose qu’une hypothèse. --Construit avec un présent de l’indicatif: Que vient de te donner cette farouche bête? --Cette lettre, monsieur, qu’avecque cette boète _On prétend_ qu’_ait_ reçue Isabelle de vous. (_Éc. des mar._ II. 8.) On dirait en style moderne: on prétend qu’_a_ reçue. Il est manifeste que le conditionnel est plus juste, puisqu’il s’agit encore ici d’une hypothèse. (Voyez CONDITIONNELS, FUTURS.) SUCCÉDER, arriver, réussir, _contingere_: Quelque chose de bon nous pourra _succéder_. (_Dép. am._ III. 1.) Ces maximes, un temps, leur peuvent _succéder_. (_D. Garcie._ II. 1.) SUCCÈS, issue d’une affaire, dans le sens du latin _exitus_, sans impliquer l’idée de bien ni de mal: Ce qu’on _voit_ de _succès_ peut bien persuader Qu’ils ne sont pas encor fort près de s’accorder. (_L’Ét._ V. 12.) J’en viens d’entendre ici le _succès merveilleux_. (_Ibid._ V. 15.) Adieu; nous en saurons le _succès_ dans ce jour. (_Dép. am._ I. 2.) Daignez, je vous conjure, Attendre le _succès_ qu’aura cette aventure. (_Ibid._ III. 7.) Hé bien! ce beau _succès_ que tu devois produire? (_Ibid._ III. 9.) Vous vous tromperez.--Soit. J’en veux voir le _succès_. --Mais...--J’aurai le plaisir de perdre mon procès. (_Mis._ I. 1.) SUCRÉE (FAIRE LA), faire la prude, la renchérie: Elle _fait la sucrée_, et veut passer pour prude. (_L’Ét._ III. 2.) --Qui, moi?--Oui; vous _ne faites point tant la sucrée_. (_G. D._ I. 6.) SUFFISANCE, en bonne part; HOMME DE SUFFISANCE: _Homme de suffisance_, homme de capacité. (_Mar. for._ 6.) Dans le XVIIe siècle, _suffisant_ et _suffisance_ se prenaient en bonne part, au sens de _qui suffit à quelque chose_. Voici les exemples que donne Furetière: «Le roi a des ministres qui sont d’une grande _suffisance_, d’une grande capacité, d’une grande pénétration.» Et au mot SUFFISANT: «Se dit d’un grand mérite et de la sotte présomption. Le roi cherche des gens qui soient _suffisants_, et capables de remplir les prélatures et les grandes charges.» --SUFFISANT DE (un infinitif), qui suffit; qui suffit à, capable de: Bon Dieu! que de discours! Rien n’est-il _suffisant d’en arrêter_ le cours? (_Dép. am._ II. 7.) «Je me déchargerai d’un faix que je dédaigne, «_Suffisant de crever_ un mulet de Sardaigne.» (REGNIER. _Sat._ VI.) SUFFIT QUE, suivi d’un verbe à l’indicatif: _Il suffit que nous savons_ ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver. (_Méd. m. lui._ I. 1.) Nous savons ce que nous savons, cela suffit, c’est en dire assez. _Il suffit que nous sachions_ présenterait un sens tout autre. SUITE; EN SUITE DE. (Voyez ENSUITE DE.) --SUITE, développement: Don Alphonse dit à dona Elvire, qui vient de réciter trente-cinq vers sans interruption: J’ai de votre discours assez souffert _la suite_. (_D. Garcie._ V. 5.) --D’UNE LONGUE SUITE, très-suivi: Et tâcher, par des soins _d’une très-longue suite_, D’obtenir ce qu’on nie à leur peu de mérite. (_Mis._ III. 1.) --SUITE, conséquence: Un avis _dont la suite_ Vous réduit au parti d’une soudaine fuite. (_Tart._ V. 6.) Les _suites_ de ce mot, quand je les envisage, Me font voir un mari, des enfants, un ménage. (_Fem. sav._ I. 1.) SUIVRE LE COURROUX DE QUELQU’UN, s’y associer: Assembler des amis qui _suivent mon courroux_. (_Amph._ III. 5.) --SUIVRE QUELQU’UN AU DESSEIN DE (un infinitif): Bon.--Et moi, pour _vous suivre au dessein de tout rendre_.... (_Dép. am._ IV. 3.) Pour vous imiter dans ce dessein. --SUIVRE SA POINTE: Quel diable d’étourdi, qui _suit toujours sa pointe_! (_Scapin._ III. 11.) _SUJET_ à la première personne, et le verbe à la troisième. (Voyez PRONOM.) _SUJET SOUS-ENTENDU_ autre que le sujet exprimé: Elle vous diroit bien qu’elle vous trouve bon, Et qu’_elle_ n’est point d’âge à _lui donner_ ce nom. (_Tart._ I. 2.) _Elle_ n’est point d’âge à ce qu’_on_ puisse lui donner. Le besoin de brièveté, joint à la clarté de l’expression, paraît plus que suffisant à excuser cette légère inexactitude. SUPERFLU DE LA BOISSON (LE), périphrase qui s’entend de reste: Je m’étois amusé dans votre cour à expulser _le superflu de la boisson_. (_Méd. m. lui._ III. 5.) SUPPORT, dans le sens moral; appui: Elle n’a ni parent, ni _support_, ni richesse. (_Éc. des fem._ III. 5.) L’éclat d’une fortune en mille biens féconde Fera connoître à tous que je suis ton _support_. (_Amph._ III. 11.) SUPPORTER QUELQU’UN DANS, comme nous disons _soutenir dans_: Nous ne sommes point gens à _la supporter dans_ de mauvaises actions. (_G. D._ I. 4.) SUPPRESSION; A MA SUPPRESSION, en me supprimant, m’excluant: _A ma suppression_ il s’est ancré chez elle. (_Éc. des fem._ III. 5.) Comme on dit _à mon profit_, _à mon dam_. Bossuet a dit: «_Au grand malheur_ des hommes ingrats.» (_Or. fun. de la R. d’A._) SUR LE FIER; SE TENIR SUR LE FIER: Mais puisque _sur le fier vous vous tenez_ si bien..... (_Mélicerte._ I. 3.) SUR PEINE DE, sous peine de: On ne doit de rimer avoir aucune envie, Qu’on n’y soit condamné _sur peine_ de la vie. (_Mis._ IV. 1.) Mais à condition......... que vous n’en ouvrirez la bouche à personne du monde, _sur peine de la vie_. (_Am. magn._ II. 3.) «Madame, qui de tous poins veoit le seigneur de Saintré à combattre meu et desliberé, feloneusement luy dist: Sire de Saintré, nous voulons et vous commandons, _sur peine_ d’encourir nostre indignacion, que incontinent tous deux vous desarmez.» (_Le Petit Jehan de Saintré._) «Les seigneurs du Carthage, voyants que leur pays se despeuploit peu à peu, feirent desfense expresse, _sur peine de mort_, que nul n’eust plus à aller par là.» (MONTAIGNE. I. 30.) «Si mon fils a jamais des enfants, je veux qu’ils étudient au collége de Clermont, _sur peine_ d’être déshérités.» (ST.-ÉVREMOND. _Convers. du P. Canaye._) «Est-ce un article de foi qu’il faille croire, _sur peine_ de damnation?» (PASCAL. 18e _Prov._) On écrivait originairement _sor_ et _soz_; quand la consonne finale était muette, comme l’_o_ sonnait le plus souvent _ou_, la prononciation confondait pour l’oreille _sour_ et _souz_; de là l’emploi indifférent de l’un ou de l’autre dans certaines locutions consacrées, comme _sur peine_ et _sous peine_. (Voyez _des Var. du lang. fr._, p. 430.) --SUR LE PIED DE (un infinitif): Et veulent, _sur le pied de nous être fidèles_, Que nous soyons tenus à tout endurer d’elles. (_Éc. des fem._ IV. 8.) Sous prétexte qu’elles nous sont fidèles; s’appuyant sur ce qu’elles nous sont fidèles. --SUR UN SEMBLANT: Quoi! _sur un beau semblant_ de ferveur si touchante... (_Tart._ V. 1.) Mauvaise leçon. L’édition originale de 1669 porte: sous _un beau semblant_. (voy. la Préface.) SURPRENDRE AU DÉPOURVU: Mais je vous avouerai que cette gayeté _Surprend au dépourvu_ toute ma fermeté. (_D. Garcie._ V. 6.) SURSÉANCE; FAIRE SURSÉANCE A... surseoir: Et jusques à demain _je ferai surséance A l’exécution_, monsieur, de l’ordonnance. (_Tart._ V. 4.) SUS; SUS DONC: Oui? _Sus donc_, préparez vos jambes à bien faire. (_L’Ét._ II. 14.) _Sus_ n’est autre chose que _sur_. La consonne finale étant inarticulée dans l’origine, il arrivait souvent que l’écriture notât une consonne pour une autre. _Courir sus à quelqu’un_, c’est courir sur quelqu’un; mais _sur_, dans la première de ces locutions, est aujourd’hui employé comme adverbe; il est préposition dans la seconde. _Sus, sus_, c’est-à-dire, Allons, debout! Mais pourquoi n’a-t-on pas dit _courir sus à quelqu’un_? l’euphonie y trouvait aussi bien son compte. Voyez, à l’article CHAISE, ce qui est dit du zézayement parisien. NICOT: «SUS ou SUR, _super_.» Le langage de la jurisprudence a conservé _susanner_, qui est une autre prononciation de _suranner_, réduit lui-même aujourd’hui à son participe passé. «Une prise de corps ne se _susanne_ jamais.» (DE LAURIÈRE.) C’est-à-dire, ne perd pas sa vertu, faute d’avoir été exécutée dans l’année; ne se _suranne_ pas, _non antiquatur_. Vous observerez que les Latins employaient déjà _sus_ pour _super_ en composition. _Suspendere_ est pour _superpendere_. SUSPENS SI (ÊTRE EN)...: (Voyez SI répondant au latin _an_, _utrùm_.) _SYLLEPSE_ qui suppose un nominatif non exprimé: Cet arrêt suprême, Qui décide du sort de mon amour extrême, Doit m’être assez touchant _pour ne pas s’offenser_ Que mon cœur par deux fois le fasse répéter. (_Éc. des mar._ II. 14.) _Pour ne pas s’offenser_, c’est-à-dire _pour qu’_ON _ne s’offense pas_. Le sujet de la phrase est _l’arrêt_; ce n’est point l’arrêt qui s’offensera, c’est Sganarelle. Il semble que, quand le sens est aussi évident, on peut dans un dialogue familier, et pour l’amour de la concision, tolérer ces inexactitudes, et laisser dormir la rigueur de certaines lois grammaticales. D. PÈDRE. Et, cette nuit encore, on est venu chanter sous nos fenêtres. ISIDORE. Il est vrai. La musique _en_ étoit admirable! (_Sicilien._ 7.) _En_ se rapporte à l’idée de _concert_, _sérénade_, éveillée par la phrase précédente, où pourtant ce mot ne se trouve pas, ni aucun semblable. Ah! _les menuets_ sont ma danse, et je veux que vous me _le_ voyiez danser. (_B. gent._ II. 1.) Que vous me voyiez danser _le menuet_. Racine a dit, par un tour semblable: «Entre _le pauvre_ et vous vous prendrez Dieu pour juge; «Vous souvenant, mon fils, que, caché sons ce lin, «Comme _eux_ vous fûtes pauvre, et comme _eux_ orphelin.» (_Athalie._ IV. 4.) (Voyez, p. 147, EN par syllepse.) _SYMÉTRIE DES TEMPS._ (Voyez aux mots CONDITIONNELS, SUBJONCTIF, et FUTURS.) _T_ EUPHONIQUE: Voilà-_t_-il pas monsieur qui ricane déjà? (_Tart._ I. 1.) Nos anciens eussent écrit _voilat il pas_, ou bien _voila il pas_, laissant à l’usage le soin d’indiquer la consonne euphonique. La seconde manière était celle du XVIe siècle; mais Théodore de Bèze nous avertit de prononcer un _t_ intercalaire:--«Cette lettre offre une particularité curieuse, c’est qu’on la prononce là où elle n’est pas écrite. Vous voyez écrit _parle il_, et vous prononcez, en intercalant le _t_, _parle til_. On écrira _va il_, _ira il_, _parlera il_, et l’on prononcera _va til_, _ira til_, _parlera til_.» (_De fr. ling. rect. pron._ p. 36.) Ainsi, n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre, Que vous importe-_t_-il qu’on y puisse prétendre? (_Fem. sav._ I. 1.) Va, va-_t’_en faire amende honorable au Parnasse. (_Ibid._ III. 5.) TABLER, tenir table: Et, pleins de joie, allez _tabler_ jusqu’à demain. (_Amph._ III. 6.) TACHER A (un infinitif), tâcher de: La mémoire du père, à bon droit respectée, Joint au grand intérêt que je prends à la sœur, Veut que du moins l’on _tâche à lui rendre_ l’honneur. (_Éc. des mar._ III. 4.) _Tâchons à modérer_ notre ressentiment. (_Éc. des fem._ II. 2.) Que votre esprit un peu _tâche à se rappeler_. (_Mis._ IV. 2.) Il suffit qu’il se rende plus sage, Et _tâche à mériter_ la grâce où je m’engage. (_Tart._ III. 4.) Je vois qu’envers mon frère on _tâche à me noircir_. (_Ibid._ III. 7.) TAIRE (SE) DE QUELQUE CHOSE: C’est bien la moindre chose que je vous doive..., que de _me taire_ devant vous _d’une personne_ que vous connoissez. (_D. Juan._ III. 4.) C’est avoir bien de la langue, que de ne pouvoir _se taire de ses propres affaires_. (_Scapin._ III. 4.) «Je _m’en tais_, et ne veux leur causer nul ennui.» (LA FONT. _Le Geai paré des plumes du Paon._) «Dame, si vous faictes nulle mention de celle avenue, vous serez deshonorée. _Taisez-vous-en_, et je _m’en tairai_ aussi pour vostre honneur.» (FROISSART. _Chron._ III. ch. 49.) (Voyez DE répondant au latin _de_, touchant; et MENTIR.) TANT devant un adjectif, pour _si_, _tellement_: Voilà une malade qui n’est pas _tant dégoûtante_. (_Méd. m. lui._ II. 6.) Elle n’est point _tant sotte_, ma foi, et je la trouve assez passable. (_Scapin._ I. 3.) --TANT DE (un substantif), QUE DE (un infinitif): Qui donc est le coquin qui prend _tant de licence Que de chanter_ et m’étourdir ainsi? (_Amph._ I. 2.) TARARE! GEORGE DANDIN. Je te donnerai.... LUBIN. _Tarare!..._ (_G. D._ II. 7.) L’emploi de ce mot paraît remonter très-haut dans les origines de notre langue. _Tarare_ serait une tradition de _taratara_, parole dépourvue de sens, espèce d’onomatopée pour exprimer le son émis d’une bouche qui ne peut articuler. «La peste lui avait ôté la parole; au lieu de parler il sifflait, et, voulant crier, ne faisait entendre que _taratara_» (ou _tarare_). (_Vie de St. Augustin._ DU CANGE, in _Taratara_.) TARTUFIER: Non, vous serez, ma foi, _tartufiée_. (_Tart._ II. 3.) Ce verbe, de la création de Molière, n’a point passé dans la langue commune, comme _tartufe_ et _tartuferie_. Molière a composé de même _désosier_ et _désamphitryonner_. TATÉ, tâtonné, cherché; DES TRAITS NON TATÉS: Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide, Et dont, comme un éclair, la justesse rapide Répande dans ses fonds, à grands _traits non tâtés_, De ses expressions les touchantes beautés. (_La Gloire du Val-de-Grâce._) --EN TATER, mis absolument, avec un sens elliptique, mais sans relation grammaticale: Voilà ce que c’est d’avoir causé. _Vous n’en tâterez plus_, et je vous laisse sur la bonne bouche. (_G. D._ II. 7.) TAXER DE (un infinitif), comme _accuser de_: Je m’offre à vous y servir, puisqu’_il m’en a déjà taxée_. (_G. D._ I. 7.) TEMPÉRAMENT, dans le sens du latin _temperare_, modérer, ménager, régler: Vous ne gardez en rien les doux _tempéraments_. (_Tart._ V. 1.) Dans la vieille langue, on disait _tremper une harpe_; c’était, avec l’_r_ transposée, _temprer_, _tempérer_ cette harpe, l’accorder, _temperare_. Dans Ovide: «_Temperare citharam nervis.» On accorde les pianos par _tempérament_, c’est-à-dire, en tempérant les quintes, qui, dans les instruments à clavier, ne peuvent s’accorder avec une rigueur mathématique, puisque le bémol s’y confond avec le dièze. _Tempérament_, dans le vers de Molière, exprime la même idée. TEMPLE. On n’osait pas, au XVIIe siècle, faire prononcer sur le théâtre le mot _église_: c’eût été regardé comme une profanation. On se servait du mot païen: Et vous promets ma foi ...--Quoi?--Que vous n’êtes pas Au _temple_, au cours, chez vous, ni dans la grande place. (_Dép. am._ I. 2.) «Soit; mais il est saison que nous allions _au temple_.» (CORNEILLE. _Le Menteur._) TEMPS; LE BON TEMPS; ironiquement, l’âge d’or: Pour une jeune déesse, Vous êtes bien _du bon temps_! (_Amph._ prol.) Dit Mercure à la Nuit. --UN TEMPS, adverbe; quelque temps: Je souffrirai _un temps_, mais j’en viendrai à bout. (_B. gent._ III. 10.) TENDRE, verbe neutre; TENDRE A, _tendere ad_, se diriger vers...: _Où tend_ Mascarille à cette heure? (_Dép. am._ I. 4.) Molière emploie ici au sens propre une expression qui se dit tous les jours au sens figuré: Où tend cette conduite? où tend ce discours? Si on le dit bien au figuré, à plus forte raison est-il permis de le dire au propre, puisque l’image suppose toujours la réalité, et le sens étendu le sens restreint. --TENDRE, adjectif; substantivement, LE TENDRE DE L’AME: C’est me faire une plaie _au plus tendre de l’âme_. (_L’Ét._ III. 4.) --TENDRE A (un substantif): Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette Friande de l’intrigue, et _tendre à la fleurette_. (_Éc. des mar._ II. 9.) Vous êtes donc bien _tendre à la tentation_? (_Tart._ III. 2.) TENIR; EN TENIR, être pris, être attrapé: Quoi, peste? le baiser! Ah! _j’en tiens_! (_Sgan._ 6.) Il _en tient_, le bonhomme, avec tout son phébus, Et je n’en voudrois pas _tenir_ cent bons écus. (_Éc. des mar._ III. 2.) _Il en tient_ signifie _il est attrapé_. Je ne voudrais pas _en tenir_ cent écus, c’est-à-dire, je ne voudrais pas, au lieu de cette aventure, tenir cent écus; je ne la donnerais pas pour cent écus. _En_ joue ici le même rôle que dans cette locution: Combien _en_ voulez-vous?--Je n’_en_ voudrais pas tenir ou recevoir cent écus. Dans l’une et l’autre formule, _en_ marque l’échange. Sganarelle, plus loin, exprime la même idée en d’autres termes: Allez, mon frère aîné, cela vous sied fort bien! Et je ne voudrois pas, pour vingt bonnes pistoles, Que vous n’eussiez ce fruit de vos maximes folles. (_Éc. des mar._ III. 6.) SGANARELLE. Je ne voudrois pas _en tenir dix pistoles_! Hé bien, monsieur? (_D. Juan._ III. 6.) Hé bien, monsieur, votre incrédulité est-elle assez confondue? Je ne voudrais pas, pour dix pistoles, que la statue n’eût baissé la tête. --TENIR, retenir: Je ne sais qui me _tient_, infâme, Que je ne t’arrache les yeux! (_Amph._ II. 3.) --TENIR, verbe actif, estimer, juger: On _la tenoit morte_ il y avoit déjà six heures. (_Méd. m. lui._ I. 5.) On la tenait pour morte. Fort bien.--Et _je vous tiens mon véritable père_. (_Éc. des fem._ V. 6.) Je _le tiendrois_ fort misérable, S’il ne quittoit jamais sa mine redoutable. (_Amph._ prol.) Je n’ignore pas qu’à cause de votre noblesse _vous me tenez_ fort au-dessous de vous. (_G. D._ II. 3.) «Je _tiens_ impossible de connoître les parties sans connoître le tout.» (PASCAL. _Pensées._ p. 300.) «On a véritablement recueilli les vies de ces deux grands hommes (Homère et Ésope), mais la plupart des savants _les tiennent toutes deux fabuleuses_.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) --TENIR A (un substantif), même sens: Il n’y a personne sans doute qui ne _tint à beaucoup de gloire_ de toucher à un tel ouvrage. (_Sicilien._ 12.) «Le magistrat, _tenant à mépris et irrévérence_ cette réponse, le fit mener en prison.» (LA FONT. _Vie d’Ésope._) Molière a dit, par la même tournure, _être à mépris_: Et toi, pour te montrer que _tu m’es à mépris_, Voilà ton demi-cent d’épingles de Paris. (_Dép. am._ IV. 4.) --TENIR (SE) A QUELQUE CHOSE, pour _s’en tenir_: Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes, Tant que _vous vous tiendrez aux muets interprètes_. (_Fem. sav._ I. 4.) --TENIR AU CUL ET AUX CHAUSSES, c’est empoigner solidement; métaphore triviale que Molière met dans la bouche de maître Jacques: On n’est pas plus ravi que de _vous tenir au cul et aux chausses_, et de faire sans cesse des contes de votre lésine. (_L’Av._ III. 5.) --TENIR DES CHARGES, les occuper: Je suis né de parents sans doute qui _ont tenu des charges_ honorables. (_B. gent._ III. 12.) --TENIR DES PAROLES, comme _tenir un discours_, _un propos_: Je vous trouve fort bon de _tenir ces paroles_! (_Fâcheux._ I. 8.) Qui ose _tenir ces paroles_? Je crois connoître cette voix. (_D. Juan._ V. 5.) --TENIR LA CAMPAGNE: Nous nous voyons obligés, mon frère et moi, à _tenir la campagne_ pour une de ces fâcheuses affaires qui..., etc. (_D. Juan._ III. 4.) «Lui (Napoléon), bravant tous les dangers, «Semblait _tenir seul la campagne_.» (BÉRANGER.) --TENIR SA FOI, comme on dit _tenir sa parole_: Valère a votre foi: _la tiendrez-vous_, ou non? (_Tart._ I. 6.) --TENIR SON QUANT-A-MOI: Elle m’a répondu, _tenant son quant-à-moi_: Va, va, je fais état de lui comme de toi. (_Dép. am._ IV. 2.) «Quand nous avons quelque différend, ma sœur et moi, si je fais la froide et l’indifférente, elle me recherche; si elle _se tient sur son quant-à-moi_, je vas au-devant.» (LA FONTAINE. _Psyché._ II.) «Dans les phrases à la troisième personne, comme celle-ci, on dit aussi, et avec plus de raison peut-être, _quant-à-soi_: il a tenu son _quant-à-soi_.» M. AUGER. Du moment que ce groupe de mots ne forme plus qu’un substantif composé, les éléments doivent en être fixes et invariables. Il semble qu’on doit adopter _quant-à-moi_, comme ont fait Molière et la Fontaine; car on ne pourrait pas dire: _je garde mon quant-à-soi_, tandis qu’on dira bien: _il garde son quant-à-moi_. A propos de cette locution _quant à moi_, signifiant quant à ce qui me regarde, Ménage déclare qu’elle n’est plus _du bel usage_. «M. de Vaugelas, dit-il, permet _quant à nous_, _quant à vous_, et condamne seulement _quant à moi_. Je suis plus sévère: toutes ces façons de parler ont vieilli, et ne sont plus du bel usage.» Rien n’est plus propre que cette observation de Ménage à faire voir combien, dans les études grammaticales de ce temps-là, le caprice tenait lieu de raison. En effet, quelle raison pouvait avoir Vaugelas de permettre _quant à nous_ et d’interdire _quant à moi_? Où prenait-il le prétexte de cette distinction? Il fallait qu’il fût bien sûr de l’autorité de son nom pour oser rendre de semblables arrêts! Au reste, la docilité du public se chargeait de justifier la tyrannie de Vaugelas. Ménage du moins était plus conséquent, qui supprimait tout. --TENIR UN EMPIRE, le posséder, en être investi: _Cet empire_ que _tient_ la raison sur nos sens Ne ferme point notre âme aux douceurs des encens. (_Fem. sav._ III. 5.) TERMES; EN ÊTRE AUX TERMES DE: La chose _en est aux termes de_ n’en plus faire de secret. (_D. Juan._ III. 4.) TIRÉ, forcé: Et toutes vos raisons, monsieur, sont trop _tirées_. (_Tart._ IV. 1.) Par abréviation, pour _tiré par les cheveux_. «Il y a (dans l’Ancien Testament) des figures qui ont pu tromper les Juifs, et qui semblent un peu _tirées par les cheveux_.» (PASCAL. _Pensées._ p. 177.) Port-Royal, par révérence du beau langage, a substitué: _peu naturelles_. TIRER, attirer: Sa grâce et sa vertu sont de douces amorces Qui pour _tirer_ les cœurs ont d’incroyables forces. (_L’Ét._ III. 2.) --TIRER, prendre son chemin; métaphore prise du cheval, qui tire à droite ou à gauche: _Tirez_ de cette part; et vous, _tirez_ de l’autre. (_Tart._ II. 4.) --TIRER SA POUDRE AUX MOINEAUX, perdre sa peine: Croyez-moi, c’est _tirer votre poudre aux moineaux_. (_Éc. des mar._ II. 9.) --TIRER SES CHAUSSES, s’enfuir: Donnez-moi vitement quelques coups de bâton, Et me laissez _tirer mes chausses_ sans murmure. (_Dép. am._ I. 4.) MORON. Il m’a fallu _tirer mes chausses_ au plus vite. (_Pr. d’Él._ V. 1.) La Fontaine dit, d’une manière moins triviale, _tirer ses grègues_: «Le galant aussitôt «_Tire ses grègues_, gagne au haut, «Mal content de son stratagème.» (_Le Coq et le Renard._) Les _grègues_ étaient une espèce particulière de chausses à la mode grecque. Le moyen âge écrivait et prononçait _segretaire_; nous prononçons _segond_ tout en écrivant _second_, par égard pour l’étymologie _secundus_; nous écrivons et prononçons _cigogne_, qui vient de _ciconia_; et nous articulons aussi durement que possible le féminin de _grec_, _grecque_. Ce sont les effets du temps et du progrès. --TIRER UNE AFFAIRE DE LA BOUCHE DE QUELQU’UN: Je pense qu’il vaut mieux que _de sa propre bouche Je tire_ avec douceur _l’affaire_ qui me touche. (_Éc. des fem._ II. 2.) Je tire le détail de l’affaire. La pensée va toujours à l’économie des paroles, surtout la pensée d’un homme agité par la passion, comme est Arnolphe. TOMBER DANS L’EXEMPLE, en venir aux exemples: Et, pour _tomber dans l’exemple_, il y avoit l’autre jour des femmes.... (_Critique de l’Éc. des fem._ 3.) --TOMBER DANS UNE MALADIE: Monsieur, j’ai une fille qui est _tombée dans une étrange maladie_. (_Méd. m. lui._ II. 3.) TON, métaphoriquement, joint à _frapper_, pris au propre: _Il frappe un ton plus fort!_ (_Amph._ I. 2.) Comme on dirait: il chante un ton plus haut. TORRENT EFFRÉNÉ: C’est battre l’eau, de prétendre arrêter Ce _torrent effréné_, qui de tes artifices Renverse en un moment les plus beaux édifices. (_L’Ét._ III. 1.) Peut-on dire un _torrent effréné_? Le frein se met à la bouche; un torrent peut-il recevoir un frein? Racine a bien dit: «Celui qui met un _frein_ à la fureur des flots...;» mais il y a le mot _fureur_ qui sauve l’excès de la métaphore en la préparant, puisque la fureur est le propre des êtres animés. TOUCHANT A..., important pour...: Et cet arrêt suprême, Qui décide du sort de mon amour extrême, Doit _m’être assez touchant_ pour ne pas s’offenser Que mon cœur par deux fois le fasse répéter. (_Éc. des mar._ II. 14.) TOUCHER, métaphoriquement, parlant des ouvrages d’esprit: La tragédie sans doute est quelque chose de beau quand elle est bien _touchée_. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 7.) --TOUCHER DE RIEN (NE): Se dépouiller..... entre les mains d’un homme qui ne nous _touche de rien_. (_Am. méd._ I. 5.) TOUR DE BABYLONE. (Voyez BABYLONE.) TOURNER, pour _se tourner_: Aussi mon cœur d’ores en avant _tournera-t-il_ toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables. (_Mal. im._ II. 6.) --TOURNER LA JUSTICE: Le poids de sa grimace, où brille l’artifice, Renverse le bon droit et _tourne la justice_. (_Mis._ V. 1.) «L’expression _tourne la justice_ n’est pas juste. On tourne la roue de fortune, on tourne une chose, un esprit même, à un sens; mais _tourner la justice_ ne peut signifier _séduire_, _corrompre la justice_.» (VOLTAIRE.) Cette remarque paraît sévère. Pourquoi ne dirait-on pas _tourner_ pour _retourner_, _détourner_? _Tourner le visage_, _tourner la tête_, _tourner le dos_, c’est _retourner_ ou _détourner_ le dos, la tête, le visage. De même _tourner la justice_, c’est la détourner de son cours naturel. --TOURNER UNE AME: Ainsi que je voudrai, _je tournerai cette âme_. (_Éc. des fem._ III. 3.) TOUT, invariable devant un adjectif: Mais enfin je connus, ô beauté _tout aimable_, Que cette passion peut n’être point coupable. (_Tart._ III. 3.) Et, traitant de mépris les sens et la matière, A l’esprit, comme nous, donnez-vous _tout_ entière. (_Fem. sav._ I. 1.) «Je crains que cette censure... ne donne, à ceux qui en sauront l’histoire, une impression _tout opposée_ à la conclusion.» (PASCAL. 1re _Prov._) _Tout_ signifie ici _tout à fait_. Il est donc adverbe. Molière cependant l’a fait quelquefois adjectif, s’ajustant en cela aux inconséquences de l’usage. On remarquera que, dans tous ces exemples, l’adjectif uni à _tout_ commence par une voyelle, en sorte que si l’on écrivait _toute_, il y aurait élision. Il a dépendu de l’imprimeur de supprimer l’_e_ de _toute_, et ces textes ne sont pas des preuves irrécusables pour l’invariabilité; au lieu que pour le cas contraire ils ne peuvent avoir été falsifiés. (Voyez TOUT, variable.) --TOUT, _variable_ devant un adjectif: La fourbe a de l’esprit, la sotte est _toute bonne_. (_Mis._ III. 5.) Oui, _toute_ mon amie, elle est, et je la nomme, Indigne d’asservir le cœur d’un galant homme. (_Ibid._ III. 7.) «Ils y en ont trouvé de _toutes contraires_.» (PASCAL. 1re _Prov._) Des propositions tout à fait contraires aux cinq attribuées à Jansénius. «La Grèce, _toute polie_ et _toute sage_ qu’elle étoit...» (BOSSUET. _Hist. univ._) Il est manifeste que dans ces exemples _tout_ représente _tout à fait_; il devrait donc être invariable comme l’adverbe dont il tient la place. Cependant il ne l’est pas, soit à cause de l’euphonie à qui tout cède, soit par un autre motif, ou peut-être par une pure inconséquence. Quoi qu’il en soit, les grammairiens, bien empêchés par l’usage, ont posé à cet égard une plaisante règle: _Tout_, disent-ils, mis pour _tout à fait_, est adverbe devant les adjectifs féminins _commençant par une voyelle_, et, au contraire, il devient adjectif devant les adjectifs _commençant par une consonne_. C’est-à-dire, pour parler vrai, que dans le premier cas on profite de l’élision pour escamoter sur le papier l’_e_ final de _toute_, par exemple, _tout aimable_, _tout entière_, _tout opposée_. Cela passe, parce que l’oreille n’a rien à y réclamer; mais réellement il y a toujours accord. --TOUT, invariable devant un nom de ville: C’est moi qui suit Sosie, et _tout Thèbes_ l’avoue. (_Amph._ I. 2.) Vous parlez devant un homme à qui _tout Naples_ est connu. (_L’Av._ V. 5.) «_Tout Smyrne_ ne parloit que d’elle.» (LA BRUYÈRE.) Les Italiens observent la même règle: _tutto Napoli_, _tutto Siviglia_: «_Tutto Siviglia_ «Conosce Bartolo.» (_Le Nozze di Figaro._) --TOUT, TOUTE, adjectif, avec le sens de l’adverbe latin _totidem_: Ce sont _toutes_ façons dont je n’ai pas besoin. (_Tart._ I. 1.) Ces visites, ces bals, ces conversations, Sont du malin esprit _toutes inventions_. (_Ibid._) --TOUTE-BONTÉ, comme _toute-puissance_: Que le ciel à jamais, par sa _toute-bonté_, Et de l’âme et du corps vous donne la santé! (_Tart._ III. 3.) --TOUT CE QUE... SONT: On m’a montré la pièce; et comme _tout ce qu’il y a d’agréable sont_ effectivement des idées qui ont été prises de Molière..... (_Impromptu._ 3.) (Voyez CE QUE... SONT.) --TOUT DE BON, pour tout de bon, sérieusement: Mais j’aime _tout de bon_ l’adorable Henriette. (_Fem. sav._ V. 1.) «Je ne le disois pas _tout de bon_, repartit le père; mais parlons plus sérieusement.» (PASCAL. 8e _Prov._) «_Tout de bon_, mes pères, il seroit aisé de vous tourner là-dessus en ridicule.» (Id. 12e _Prov._) --TOUT DOUX, adverbe, comme _tout doucement_: Je crains fort pour mon fait quelque chose approchant, Et je m’en veux _tout doux_ éclaircir avec elle. (_Amph._ II. 3.) --TOUT D’UN TEMPS, en même temps: Bonsoir; car _tout d’un temps_ je vais me renfermer. (_Éc. des mar._ III. 2.) --TOUT MAINTENANT, subitement, à l’instant même: Il m’est dans la pensée Venu _tout maintenant_ une affaire pressée. (_Éc. des fem._ III. 4.) --TOUT VIEUX, sans ajouter _qu’il est_: Le bonhomme, _tout vieux_, chérit fort la lumière. (_L’Ét._ III. 5.) De même, dans le _Misanthrope_: Oui, _toute mon amie_, elle est, et je la nomme, Indigne d’asservir le cœur d’un galant homme. (_Mis._ III. 7.) Sur ce passage, voici la remarque de Voltaire: «Il faut dire _toute mon amie qu’elle est_, et non pas _toute mon amie elle est_.» «_Et je la nomme_; cet _et_ est de trop. _Je la nomme_ est vicieux; le terme propre est _je la déclare_; on ne peut nommer qu’un nom: je _le nomme_ grand, vertueux, barbare; je _le déclare_ indigne de mon amitié.» (_Mélanges._ T. III. p. 228.) Il est manifeste que Voltaire n’a pas saisi le sens de ce passage. Il a supposé une inversion très-dure, et compris: Elle est toute, c’est-à-dire, tout à fait, mon amie, et je la nomme indigne d’asservir, etc.; tandis que le sens véritable est celui-ci: Toute mon amie qu’elle est, elle est (et je ne crains pas de la nommer, et je le dis tout haut), elle est indigne, etc. Il est probable que Voltaire avait sous les yeux un texte mal ponctué: Oui, toute mon amie elle est; et je la nomme Indigne d’asservir, etc....[78]. [78] C’est effectivement ainsi que le vers est ponctué dans la citation. C’est ce qui a causé son erreur, qu’un peu de réflexion eût promptement dissipée. Il est bien fâcheux que Voltaire eût si peu de patience, et qu’il ait mis tant de précipitation à condamner des hommes comme Corneille et Molière. On l’accuse de perfidie calculée envers le premier; je suis persuadé qu’il n’est coupable que de légèreté et d’impétuosité dans sa critique: mais c’est déjà beaucoup trop quand on est Voltaire, et qu’on juge Corneille devant l’Europe attentive. TRACER L’IMAGE DES CHANSONS, danser aux chansons: Et _tracez_ sur les herbettes _L’image de vos chansons_. (_Am. magn._ 3e _intermède_.) Métaphore outrée. On sait comment la parodie de Benserade en faisait ressortir le ridicule: «Et tracez sur les herbettes L’image de vos _chaussons_.» (Voyez MÉTAPHORES VICIEUSES.) TRADUIRE EN RIDICULE (SE): J’enrage de voir de ces gens qui _se traduisent en ridicule_ malgré leur qualité. (_Crit. de l’Éc. des fem._ 6.) TRAHIR SON AME: Non pas dans le sens où l’on dit _trahir sa pensée_, c’est-à-dire la révéler involontairement; mais, au contraire, dans le sens de la contraindre, la contenir, lorsqu’elle voudrait s’échapper; véritable trahison contre la nature et la vérité: Morbleu! c’est une chose indigne, lâche, infâme, De s’abaisser ainsi jusqu’à _trahir son âme_! Et si, par un malheur, j’en avais fait autant, Je m’irois de regret pendre tout à l’instant. (_Mis._ I. 1.) TRAINER, entraîner: Don Juan, l’endurcissement au péché _traîne_ une mort funeste! (_D. Juan._ V. 6.) TRAIT, atteinte; DONNER LE PREMIER TRAIT, figurément: Je m’en vais là-dedans _donner le premier trait_. (_L’Ét._ IV. 1.) C’est-à-dire, entamer l’affaire. --TRAIT, épigramme, parole mordante. Orgon dit à Dorine: Te tairas-tu, serpent, dont les _traits effrontés_... (_Tart._ II. 2.) Premièrement, un serpent ne lance point de traits; ensuite des traits n’ont point de front, par conséquent ne peuvent être effrontés. C’est Dorine qui est un serpent et une effrontée, et dont les mots sont autant de traits. Ces trois expressions, qui sont justes prises séparément, fondues en une seule métaphore sont fausses, à cause de l’incohérence des images, qui devraient former un ensemble. --JOUER UN TRAIT: Et sans doute il faut bien qu’à ce becque cornu _Du trait qu’elle a joué_ quelque jour soit venu. (_Éc. des fem._ IV. 6.) Et vous avez eu peur de le désavouer Du _trait_ qu’à ce pauvre homme il a voulu _jouer_. (_Tart._ IV. 3.) --TRAIT D’AVENTURE: Ah! fortune, ce _trait d’aventure_ propice Répare tous les maux que m’a faits ton caprice. (_Éc. des fem._ V. 2.) «Molière dit souvent _jouer un trait_ et _faire un tour_. L’usage actuel est inverse; on dit communément _faire un trait_ et _jouer un tour_.» (M. AUGER.) --TRAITS, traits de plume, l’écriture: Jetez ici les yeux et connoissez vos _traits_: Ce billet découvert suffit pour vous confondre. (_Mis._ IV. 3.) Et reconnaissez votre écriture. TRAITER, mis absolument comme _agir_, _se conduire_: On détruiroit par là, _traitant de bonne foi_, Ce grand aveuglement où chacun est de soi. (_Mis._ III. 5.) Bossuet dit fréquemment _traiter avec quelqu’un_, pour avoir des relations avec quelqu’un: «Sous un visage riant........... elle cachoit un sérieux dont ceux qui _traitoient avec elle_ étoient surpris.» (_Or. f. de la duch. d’Orl._) «Quand quelqu’un _traitoit avec elle_, il sembloit qu’elle eût oublié son rang.....» (_Ibid._) --TRAITER DE MÉPRIS, D’ÉGALITÉ, avec mépris, avec égalité: Et, _traitant de mépris_ les sens et la matière, A l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière. (_Fem. sav._ I. 1.) Ils sont insupportables avec _les impertinentes égalités dont ils traitent_ les gens. (_Comtesse d’Esc._ 11.) Cette façon de parler me paraît de celles qu’il n’est pas bon de prendre à Molière. (Voyez DE exprimant la cause, la manière.) --TRAITER DU HAUT EN BAS: Ces honnêtes diablesses, Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses, Qui, pour un petit tort qu’elles ne nous font pas, Prennent droit de _traiter les gens du haut en bas_. (_Éc. des fem._ IV. 8.) (Voyez DE exprimant la manière, la cause.) --TRAITER LES CHOSES DANS LA DOUCEUR: Mais nous sommes personnes à _traiter les choses dans la douceur_. (_Mar. forc._ 16.) TRANCHER AVEC QUELQU’UN, en finir tout net avec lui: Car, _tranchant avec moi_ par ces termes exprès..... (_Éc. des fem._ III. 4.) --TRANCHER SON DISCOURS D’UN APOPHTHEGME: PANCRACE. _Tranchez-moi votre discours d’un apophthegme_ à la laconienne. (_Mar. for._ 6.) Soyez bref, supprimez les longs discours au moyen d’un apophthegme laconique. TRAVAILLÉ DE: _De quel démon_ est donc leur âme _travaillée_? (_Dép. am._ I. 6.) «Êtes-vous _travaillé de la lycanthropie_?» (REGNIER.) TRAVAUX D’UN VOYAGE, pour _les fatigues_: Ce sensible outrage, Se mêlant aux _travaux d’un assez long voyage_... (_Sgan._ 10.) TREDAME! par apocope, Notre-Dame! _Tredame_, monsieur, est-ce que madame Jourdain est décrépite?... (_B. gent._ III. 5.) TREUVE, archaïsme, pour _trouve_: Mais, encore une fois, la joie où je vous _treuve_ M’expose à la rigueur d’une trop rude épreuve. (_D. Garcie._ V. 6.) Non, l’ardeur que je sens pour cette jeune veuve Ne ferme point mon âme aux défauts qu’on lui _treuve_. (_Mis._ I. 1.) Il était de règle, dans l’origine de la langue, que tout verbe ayant à l’infinitif la diphthongue _ou_, la changeait en _eu_ à l’indicatif.--_Mouvoir_, _mourir_, _pouvoir_, _couvrir_, _secourir_, _se douloir_, etc., faisaient à l’indicatif _je meus_, _je meurs_, _je peux_, _je cueuvre_, _je sequeurs_, _je me deuls_, etc. Je n’ai jamais vu, dans les monuments primitifs de notre langue, d’exemple de l’infinitif _treuver_; c’est toujours _trover_, _trouver_. (Voy. _des Var. du lang. fr._, p. 179.) Au XVIe siècle, que déjà les traditions originelles commençaient à se perdre, on rencontre quelquefois _treuver_. Olivier de Serres, par exemple, n’emploie pas d’autre forme; mais elle est évidemment déduite, par erreur, de celle du présent. C’est ainsi que, de la forme contractée _ci-gît_, certains lexicographes modernes ont conclu l’infinitif GIR, au lieu de GÉSIR. (Voyez le Dict. de M. N. Landais.) TRIBOUILLER, patois, agiter, secouer violemment: LUBIN.--Je me sens tout _tribouiller_ le cœur quand je te regarde. (_G. D._ II. 1.) Racines, _brouiller_ et _tri_, pour _tres_, communiquant la force du superlatif au verbe ou au nom avec lequel il se compose. _Tribouiller_, _tribouilleur_, ont été jadis des mots d’un français très-correct: «Tapez, trompez, tourmentez, trondelez, «Brisez, riflez, tempestez, _triboulez_.» (Cités dans BOREL.) TRIBUTS, tribut d’hommages: Le plus parfait objet dont je serois charmé N’auroit pas _mes tributs_, n’en étant point aimé. (_Dép. am._ I. 3.) TRIOMPHER DE QUELQUE CHOSE, à l’occasion de quelque chose: Jamais on ne m’a vu _triompher de ces bruits_. (_Éc. des fem._ I. 1.) «Et, d’autre part aussi, sa charmante moitié «_Triomphoit d’être inconsolable_.» (LA FONTAINE. _Joconde._) (Voyez DE exprimant la manière, la cause.) Vous _ne triompherez pas_, comme vous le pensez, _de_ votre infidélité. (_B. gent._ III. 10.) C’est-à-dire, votre indifférence ne vous procurera pas le triomphe que vous espérez. Mais cette phrase, dans les usages de la langue moderne, signifierait: vous ne surmonterez pas votre infidélité, vous ne pourrez la vaincre, en triompher. Probablement l’équivoque de cette locution est ce qui a déterminé à l’abandonner. On disait aussi _triompher sur_, c’est-à-dire _au sujet de_: «Ils _triomphoient_ encor _sur cette maladie_.» (LA FONT. _Les Médecins._) «Mais, poursuivit-il, notre père Antoine Sirmond, qui _triomphe sur cette matière_...» (PASCAL. 10e _Prov._) TRIQUETRAC, onomatopée; UN TRIQUETRAC DE PIEDS: Puis, outre tout cela, vous faisiez sous la table Un bruit, un _triquetrac de pieds_ insupportable. (_L’Ét._ IV. 5.) Le nom du jeu de _trictrac_ n’a pas d’autre origine. TROP DE (LE), substantivement: Il s’en est peu fallu que durant mon absence On ne m’ait attrapé par _son trop d’innocence_. (_Éc. des fem._ III. 3.) «Dorante, arrêtons-nous; _le trop de promenade_ «Me mettroit hors d’haleine et me feroit malade.» (CORN. _Le Menteur._ II. 5.) Ce n’est que restituer à _trop_ sa qualité originelle: _turba_, _truba_, ou _trupa_; _troupe_ ou _trop_; puis on l’a employé adverbialement comme _mie_, _pas_, _point_, _goutte_, etc. TROUBLÉ D’ESPRIT, expression moins forte que _aliéné_: C’est moi, monsieur, qui vous ai envoyé parler les jours passés pour un parent un peu _troublé d’esprit_... (_Pourc._ I. 9.) TROUSSER BAGAGE: Prenez visée ailleurs, et _troussez-moi bagage_. (_Éc. des mar._ II. 9.) _Trousser_, dans sa primitive acception, signifie _charger_. «D’or e d’argent quatre cens muls _trussez_.» (_Roland._ st. 9.) Quatre cents mulets _troussés_ d’or et d’argent. «De sul le fer fust un mulet _trusset_.» (_Ibid._ st. 227.) Du seul fer de cette lance on eût _troussé_ un mulet. _Trousser en malle_, c’est charger à la façon d’une malle, en guise de malle. _Trousser bagage_, c’est charger son bagage pour déménager, décamper. _Bagage_ est la réunion, l’ensemble des _bagues_. _Bagues_ sont les meubles, vêtements, ustensiles, etc. BAGA, dans le latin du moyen âge, un coffre, un sac. Les Anglais appellent encore _bag-pipe_ (tuyau à sac), une musette, à cause de son sac plein de vent. On disait _baguer_ et _débaguer_, pour _garnir_ et _dévaliser_. (Voyez DU CANGE, au mot _Baga_.) TROUVER QUELQU’UN A DIRE. (Voyez DIRE.) TURQUERIE: Il est turc là-dessus, mais d’une _turquerie_ à désespérer tout le monde. (_L’Av._ II. 5.) UN CHACUN, archaïsme, chacun: _Un chacun_ est chaussé de son opinion. (_Éc. des fem._ I. 1.) D. LOUIS. Leur gloire est un flambeau qui éclaire, aux yeux d’_un chacun_, la honte de vos actions. (_D. Juan._ IV. 6.) Voilà par sa mort _un chacun_ satisfait. (_Ibid._ V. 7.) Hautement d’_un chacun_ elles blâment la vie. (_Tart._ I. 1.) UN PETIT, pour _un peu_, archaïsme: Qu’avez-vous? Vous grondez, ce me semble, _un petit_? (_Éc. des fem._ II. 6.) J’ai, devant notre porte, En moi-même voulu répéter _un petit_, Sur quel ton et de quelle sorte Je ferois du combat un glorieux récit. (_Amph._ II. 1.) _Peu_, qu’on dérive habituellement de _parum_, me semble n’être que la première syllabe de _petit_, comme _mi_ de _milieu_, _prou_ de _profit_, etc., etc. _Un petit_ ne serait alors que l’expression complète, au lieu de l’expression abrégée. UN PEU construit avec BEAUCOUP, BIEN, DOUCEMENT: Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez _un peu beaucoup_ de mon père? (_Mal. im._ III. 22.) Je trouve _un peu bien prompt_ le dessein où vous êtes. (_Mis._ V. 1.) La déclaration est tout à fait galante; Mais elle est, à vrai dire, _un peu bien surprenante_. (_Tart._ III. 3.) Voilà une petite menotte qui est _un peu bien rude_. (_G. D._ III. 3.) Cela m’est sorti _un peu bien vite_ de la bouche. (_D. Juan._ I. 1.) Hé! là, là, madame la Nuit, _Un peu doucement_, je vous prie. (_Amph._ prol.) «Depuis qu’elles (les femmes) sont du tout rendues à la mercy de nostre foy et constance, elles sont _un peu bien hazardées_.» (MONTAIGNE. III. 5.) --UN PEU PLUS FORT QUE JEU: Je crains que le pendard, dans ses vœux téméraires, _Un peu plus fort que jeu_ n’ait poussé les affaires. (_Éc. des fem._ II. 6.) Un peu plus fort que les règles du jeu ne le permettaient. UN TEMPS. (Voyez TEMPS.) UN, UNE, _supprimé_: O ciel! _c’est miniature_; Et voilà d’un bel homme une vive peinture! (_Sgan._ 6.) Tu vois si _c’est mensonge_, et j’en suis fort ravie. (_Ibid._ 22.) --UN, répété surabondamment: _Une_ action d’_un_ homme à fort petit cerveau. (_Dép. am._ V. 1.) Et l’on sait ce que c’est qu’_un_ courroux d’_un_ amant. (_Mis._ IV. 2.) Ceux qui me connoîtront n’auront pas la pensée Que ce soit _un_ effet d’_une_ âme intéressée. (_Tart._ IV. 1.) Plus, _une_ peau d’_un_ lézard de trois pieds et demi, remplie de foin. (_L’Av._ II. 1.) On dirait aujourd’hui une action d’homme;--un courroux d’amant;--l’effet d’une âme:--une peau de lézard. --UN, surabondant devant _le plus_: Que deux nymphes, d’_un_ rang _le plus haut_ du pays, Disputent à se faire un époux de mon fils. (_Mélicerte._ I. 4.) Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec de l’argent! C’est _une_ chose _la_ plus aisée du monde! (_L’Av._ III. 5.) Je suis dans _une confusion la plus grande_ du monde, de voir une personne de votre qualité..., etc. (_B. gent._ III. 6.) «Une si illustre princesse ne paroîtra dans ce discours que comme _un exemple le plus grand_ qu’on se puisse proposer.» (BOSSUET. _Or. fun. de la duch. d’Or._) VACHE; LA VACHE EST A NOUS, sorte d’adage: S’il ne tient qu’à battre, _la vache est à nous_. (_Méd. m. lui._ I. 5.) --VACHE A LAIT, figurément: Cet homme-là fait de vous une _vache à lait_. (_B. gent._ III. 4.) VAILLANTISES: Que je vais m’en donner, et me mettre en bon train De raconter nos _vaillantises_! (_Amph._ III. 6.) VALOIR QUE, suivi d’un verbe au subjonctif: Et vous _ne valez pas que l’on vous considère_. (_Mis._ IV. 3.) Le choix est glorieux, et _vaut bien qu’on l’écoute_. (_Tart._ II. 4.) _Je veux bien que_ de moi _l’on fasse_ plus de cas. (_Fem. sav._ V. 4.) VASTE DISGRACE: Par où pourrois-je, hélas! dans ma _vaste disgrâce_, Vers vous de quelque plainte autoriser l’audace? (_D. Garcie._ V. 3.) VENEZ-Y-VOIR, substantivement; UN VENEZ-Y-VOIR: D’un panache de cerf sur le front me pourvoir, Hélas, voilà vraiment _un beau venez-y-voir_! (_Sgan._ 6.) VENIR, impersonnel; IL VIENT FAUTE DE: _S’il vient faute de vous_, mon fils, je ne veux plus rester au monde. (_Mal. im._ I. 9.) VENTRE; AVOIR DANS LE VENTRE..., en parlant du temps qui reste à vivre: C’est un homme qui mourra avant qu’il soit peu, et qui _n’a tout au plus que six mois dans le ventre_. (_Mar. for._ 12.) VENUE, substantif; UNE VENUE DE COUPS DE BATON: Tu vas courir risque de t’attirer _une venue de coups de bâton_. (_Scapin._ III. 1.) «On dit proverbialement qu’un homme _en a eu d’une venue_, pour dire qu’il a fait quelque perte, qu’il a été obligé de faire quelque dépense.» (TRÉVOUX.) _Venue_, dans la phrase de Molière, est au sens de _récolte_, _bonne récolte_, parce que le grain de l’année est bien venu. Nicot, au mot _venir_, donne pour exemples: «Grande _venue_ de brebis et abondante, _bonus proventus_.» _Venue_ pour _bonne venue_, _ample venue_, comme _heur_, _succès_, _fortune_, pour _bon heur_, _bon succès_, _bonne fortune_. Une _volée_ de coups de bâton; métaphore prise des oiseaux qui voyagent par troupe: une _volée_ de perdreaux, une _volée_ de pigeons, etc. Trévoux cite cet exemple: «Il vint une _volée_ de cailles dans le désert, qui réjouit fort les Israélites, dégoûtés de la manne.» VÊPRE; LE BON VÊPRE, archaïsme, le bon soir: M. BOBINET.--Je donne _le bon vêpre_ à toute l’honorable compagnie. (_Comtesse d’Esc._ 17.) _Vespre_, contracté de _vesp(e)ra_, le soir. On disait aussi _la vesprée_. «Venir _sur le vespre_;--préparez pour _le vespre_.» (NICOT.) _VERBE RÉFLÉCHI_ perd son pronom étant précédé d’un autre verbe: Faites-la _ressouvenir_ qu’il faut se rendre de bonne heure dans le bois de Diane. (_Am. magn._ I. 2.) Qu’on me laisse ici _promener_ toute seule. (_Ibid._ I. 6.) (Voyez ARRÊTER, et PRONOM RÉFLÉCHI.) VÉRITABLE; véridique, sincère: Nous en tenons tous deux, si l’autre est _véritable_. (_Dépit. am._ I. 5.) J’ai monté pour vous dire, et d’_un cœur véritable_, Que j’ai conçu pour vous une estime incroyable. (_Mis._ I. 2.) C’est l’ancienne valeur du mot. «Longarine n’a point accoutumé de celer la vérité, soit contre homme ou contre femme.--Puisque vous m’estimez si _véritable_, dit Longarine.....» (La R. DE NAV. _Heptaméron_, nouvelle 14.) «Mais, mon père, si le diable ne répond pas la vérité, car il n’est guère plus _véritable_ que l’astrologie, il faudra donc que le devin restitue, par la même raison?» (PASCAL. 8e _Prov._) «Si elles (les précieuses) sont coquettes, je n’en dirai rien; car je fais profession d’être un auteur _fort véritable_, et point médisant.» (Mlle DE MONTPENSIER, _Portrait des Précieuses_.) VÉRITÉ; DIRE VÉRITÉ: Si je vous faisois voir qu’on vous _dit vérité_? (_Tart._ IV. 3.) VERS, pour _envers_: J’ai tardé trop longtemps A m’acquitter _vers toi_ d’une telle promesse. (_Dép. am._ I. 2.) Ah! madame, excusez un amant misérable, Qu’un sort prodigieux a fait _vers vous_ coupable. (_D. Garcie._ II. 6.) Par où pourrois-je, hélas! dans ma vaste disgrâce, _Vers vous_ de quelque plainte autoriser l’audace? (_Ibid._ V. 3.) . . . . . Ah! gardez de me faire un outrage, Et de vous hasarder à dire que _vers moi_ Un cœur dont j’ai fait cas ait pu manquer de foi. (_Ibid._ V. 5.) Votre flamme _vers moi_ ne vous rend pas coupable. (_Ibid._) Si ce parfait amour que vous prouvez si bien Se fait _vers_ votre objet un grand crime de rien. (_Fâcheux._ I. 1.) Et pouvez-vous le voir sans demeurer confuse Du crime dont _vers_ moi son style vous accuse? (_Mis._ IV. 3.) Ce monarque, en un mot, a _vers_ vous détesté Sa lâche ingratitude et sa déloyauté. (_Tart._ V. 7.) Oui, c’est lui qui sans doute est criminel _vers vous_. (_Amph._ II. 6.) Je trouve une espèce d’injustice bien grande à me montrer ingrate _vers_ l’un ou _vers_ l’autre. (_Am. magn._ III. 1.) On pourrait supposer, à ne considérer que quelques exemples, que Molière a fait céder l’exactitude de l’expression à la mesure. Il n’en est rien, puisqu’il emploie _vers_ dans la prose, où rien ne le contraignait, et dans des vers, où l’élision lui permettait l’une ou l’autre forme à son choix. _Vers_ est la plus ancienne. _Envers_ et _devers_ sont venus ensuite. Le livre des _Rois_ emploie constamment _vers_: «Si hom peche _vers_ altre, a Deu se purrad acorder, e s’il peche _vers_ Deu, ki purrad pur lui preier?» (_Rois._ p. 8.) «Pur co que la guerre _vers_ les enemis Deu maintenist[79].» (_Ibid._ p. 71.) [79] _Envers_ et _devers_ se rencontrent déjà dans le livre des Rois: «Ore l’aparceif ke felenie n’ad en mei, ne crime _envers_ tei.» (_Rois._ p. 95.) (Jéroboam) «pis que nuls ki devant lui out ested _devers_ N. S. uverad.» (_Ibid._ p. 309.) Beaumanoir ne connaît que la forme _vers_: «Li baillis qui est deboneres _vers_ les malfesans.» (_Cout. de Beauv._ I. p. 18.) «Li baillis qui _vers_ tos est fel et cruels.» (_Ibid._ I. 19.) Racine a dit encore: «Et m’acquitter _vers_ vous de mes respects profonds.» (_Bajazet._ III. 2.) «La libéralité _vers_ le pays natal.» (CORNEILLE. _Cinna._ II. 1.) VERS A LA LOUANGE DE QUELQU’UN, ironiquement, et par antiphrase: Nous avons entendu votre galant entretien, et _les beaux vers à ma louange_ que vous avez dits l’un et l’autre! (_G. D._ III. 8.) _VERS BLANCS:_ Tous les commentateurs ont remarqué, l’un après l’autre, que le début du _Sicilien_ est en vers blancs d’inégale mesure: Il fait noir comme dans un four; Le ciel s’est habillé ce soir en Scaramouche, Et je ne vois pas une étoile Qui montre le bout de son nez. Triste condition que celle d’un esclave... _etc._ Ils auraient pu ajouter que la remarque s’applique à toute la pièce, et à beaucoup d’autres de Molière. En effet, la prose de Molière est souvent remplie de vers non rimés, au point qu’il est difficile de ne pas reconnaître là un parti pris, ou une nature pourvue d’un instinct du rhythme vraiment extraordinaire. Et ce qui semble confirmer le premier soupçon, c’est la différence qui se montre d’une pièce à une autre. Par exemple, le _Festin de Pierre_, qui est de la plus belle prose de Molière, et qui par l’élévation des pensées, en plusieurs parties, semblait appeler la versification, le _Festin de Pierre_ n’en présente que des traces fort rares, qui ne valent pas qu’on en tienne compte. Il en est de même de la _Critique de l’École des femmes_: on sent que Molière s’y est surveillé. Au contraire, L’_Avare_ est presque tout en vers libres, comme _Amphitryon_. L’auteur n’a pas eu le temps d’y attacher les rimes, mais la mesure y est déjà[80]. [80] «Si Molière ne versifia pas L’_Avare_, c’est qu’il n’en eut pas le temps.» (LA HARPE). La Harpe ici, comme souvent ailleurs, n’est que l’écho de l’opinion de Voltaire, exprimée dans les _Questions encyclopédiques_ à l’article _Art dramatique; comédie_. Il n’y a qu’à ouvrir au hasard: VALÈRE. Vous voyez comme je m’y prends, Et les adroites complaisances Qu’il m’a fallu mettre en usage Pour m’introduire à son service; Sous quel masque de sympathie Et de rapports de sentiments Je me déguise pour lui plaire, Et quel personnage je joue Tous les jours avec lui, Afin d’acquérir sa tendresse. J’y fais des progrès admirables! etc. (I. 1.) Transportons-nous ailleurs: CLÉANTE. Il est vrai que mon père, madame, Ne peut pas faire un plus beau choix, Et que ce m’est une sensible joie Que l’honneur de vous voir; Mais, avec tout cela, Je ne vous assurerai point Que je me réjouis Du dessein où vous pourriez être De devenir ma belle-mère; Le compliment, je vous l’avoue, Est trop difficile pour moi; Et c’est un titre, s’il vous plaît, Que je ne vous souhaite point. Ce discours paroîtra brutal Aux yeux de quelques-uns; Mais je suis assuré Que vous serez personne A le prendre comme il faudra; Que c’est un mariage, (Madame), Où vous vous imaginez bien Que je dois avoir De la répugnance; Que vous n’ignorez pas, sachant ce que je suis, Comme il choque mes intérêts, Et que vous voulez bien enfin que je vous dise.... etc. (III. 11.) C’est à peine si, de loin en loin, un mot vient déranger le rhythme. MARIANNE. Mais que voulez-vous que je fasse? Quand je pourrois passer sur quantité d’égards Où notre sexe est obligé, J’ai de la considération Pour ma mère. Elle m’a toujours élevée Avec une tendresse extrême, Et je ne saurois me résoudre A lui donner du déplaisir. Faites, agissez auprès d’elle; Employez tous vos soins à gagner son esprit; Vous pouvez faire et dire Tout ce que vous voudrez. Faites, agissez auprès d’elle; Je veux bien consentir A lui faire un aveu moi-même De tout ce que je sens pour vous. (IV. 1.) Est-il possible, est-il vraisemblable que le hasard produise de pareils résultats? Qui pourra le croire, s’il manque de goût, ne manquera pas de foi. Je me borne à ces trois échantillons. La lecture de la pièce entière, à ce point de vue, convaincra, je pense, les plus incrédules. Les farces de Molière, comme _Pourceaugnac_, les _Fourberies de Scapin_, la _Comtesse d’Escarbagnas_, même le _Bourgeois gentilhomme_, semblent écrites dans un autre système, et, comme destinées à rester en prose, ne renferment presque point de vers. Mais il s’en rencontre beaucoup dans _George Dandin_; ce qui porterait à croire que, dans la pensée de Molière, la forme sous laquelle cette pièce est parvenue n’était point sa forme définitive. GEORGE DANDIN. Ah! qu’une femme demoiselle Est une étrange affaire! Et que mon mariage Est une leçon bien parlante A tous les paysans qui veulent s’élever Au-dessus de leur condition, Et s’allier, comme j’ai fait, A la maison d’un gentilhomme! . . . . . . . . . . . . . . . Et j’aurois bien mieux fait, Tout riche que je suis, De m’allier en bonne et franche paysannerie[81], Que de prendre une femme Qui se tient au-dessus de moi, S’offense de porter mon nom, Et pense qu’avec tout mon bien Je n’ai pas assez acheté La qualité de son mari. George Dandin, George Dandin, Vous avez fait une sottise..., etc. (I. 1.) [81] _Paysannerie_ de quatre syllabes, comme _paysan_, de deux. C’est encore ainsi que l’on prononce partout en Bretagne. La leçon donnée dans George Dandin valait la peine d’être présentée en vers, autant que celle qui résulte de l’_École des femmes_ et de l’_École des maris_. Celle-ci eût été l’_École des bourgeois_. Si c’étoit une paysanne, Vous auriez maintenant toutes vos coudées franches A vous en faire la justice A bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la noblesse, Et il vous ennuyoit d’être maître chez vous. Ah! j’enrage de tout mon cœur! Et je me donnerois volontiers des soufflets! (_G. D._ I. 3.) Dirigé dans ce sens, un examen attentif et délicat du style de Molière conduirait peut-être à des inductions intéressantes sur la manière de travailler de ce grand génie, et sur les intentions que la mort ne lui a point permis de réaliser. Vaugelas le premier s’est avisé de signaler, comme un grand défaut, les vers que le hasard seul, et non l’intention de l’écrivain, a répandus dans la prose. La pratique de presque tous nos grands auteurs condamne l’opinion de Vaugelas. Les orateurs grecs et les Latins rencontraient souvent des ïambes tout faits sans les chercher. Il y a des alexandrins dans la prose de Cicéron, dans Tacite et dans Tite-Live. Il s’est glissé des vers dans la traduction des Psaumes de David et jusque dans les formules du droit romain[82]. Et Ménage remarque assez plaisamment que Vaugelas s’est pris lui-même dans sa propre sentence, en écrivant, du mot _sériosité_: Ne nous hâtons pas de le dire, Et moins encore de l’écrire: Laissons faire les plus hardis, Qui nous frayeront le chemin. [82] Les _Annales_ de Tacite débutent par un hexamètre: «Urbem Romam a principio reges habuere.» Le _Miserere_ finit par un pentamètre: Imponent super altare tuum vitulos. Semper in obscuris quod minimum est sequimur. (_De regulis juris._) Il est certain que l’affectation d’écrire en vers blancs, telle qu’on la voit dans les _Incas_, par exemple, serait une chose insupportable. En cela, comme en tout, c’est le goût qui décide et marque la limite. VERSER LA RÉCOMPENSE D’UNE ACTION: Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense, _D’une bonne action verser la récompense_. (_Tart._ V. 7.) Un cœur qui verse la récompense d’une bonne action ne paraît pas d’un style digne de Molière. (Voyez l’examen de tout ce passage à l’article IL, p. 210.) --VERSER L’HONNEUR D’UN EMPLOI: Madame, vous avez cent personnes dans votre cour sur qui vous pourriez mieux _verser l’honneur d’un tel emploi_. (_Am. magn._ I. 2.) L’usage qui permet de _déverser l’outrage_, _l’ignominie_ sur quelqu’un; de _verser_ sur lui _des faveurs_, ne permet pas de _verser un honneur_ ni _des honneurs_. VERTU, efficacité: Le théâtre a une grande _vertu_ pour la correction. (_Préf. de Tartufe._) --VERTU, dans le sens plus large du _virtù_ italien: le mérite, la bravoure: Plus l’obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire; Et les difficultés dont on est combattu Sont les dames d’atour qui parent _la vertu_. (_L’Ét._ V. 11.) VÊTIR UNE FIGURE: Adieu; je vais là-bas dans ma commission Dépouiller promptement la forme de Mercure, Pour y _vêtir la figure_ Du valet d’Amphitryon. (_Amph._ prol.) VIDER, verbe neutre, dans le sens de _sortir_; VIDER D’UN LIEU: M. LOYAL. Monsieur, sans passion, Ce n’est rien seulement qu’une sommation, Un ordre de _vider d’ici_ vous et les vôtres. (_Tart._ V. 4.) «_Vuyde dehors_, fol insensé; Car il est temps que tu t’en partes.» (_Le Nouveau Pathelin._) Montaigne l’emploie activement, dans la réponse des sauvages américains aux Espagnols: «Ainsi, qu’ils se despeschassent promptement de _vuider leur terre_.» (_Essais._ III. 6.) --VIDER, v. actif, figurément, au sens de _purgare_: Adieu; _videz_ sans moi tout ce que vous aurez. (_Fâcheux._ III. 4.) Videz tous vos différends. On disait _vider un procès_, _vider une cause_, _vider toutes les difficultés_, _vider ses intérêts_. Laissez-moi, madame, je vous prie, _Vider mes intérêts_ moi-même là-dessus. (_Mis._ V. 6.) VIN A FAIRE FÊTE, digne d’être bu dans une fête: Était-ce _un vin à faire fête_? (_Amph._ III. 2.) VISAGE, au figuré, en parlant des actions: Cet amas d’actions indignes, dont on a peine, devant le monde, d’adoucir le mauvais _visage_. (_D. Juan._ IV. 6.) Le visage d’une action est une métaphore qui ne saurait être admise aujourd’hui, mais qui paraît l’avoir été autrefois; car Montaigne a dit _le visage d’une entreprise_. C’est en parlant du dessein qu’il a formé d’écrire ses Essais: «Si l’estrangeté ne me saulve et la nouvelleté, qui ont accoustumé de donner prix aux choses, je ne sors jamais à mon honneur de cette sotte entreprinse; mais elle est si fantastique, et a _un visage_ si esloingné de l’usage commun, que cela luy pourra donner passage.» (_Essais._ II. 8.) Cela montre qu’il faut être très-circonspect à condamner Molière, lors même qu’il paraît le plus clairement avoir tort. Ce tort, tout réel, peut n’être pas le sien, mais celui de ses contemporains, ou de ses prédécesseurs les plus dignes de servir de modèles. VISÉE; METTRE SA VISÉE A...: Votre _visée_ au moins n’est pas _mise à Clitandre_? (_Fem. sav._ I. 1.) J’ai grand regret, monsieur, de voir qu’à vos _visées_ Les choses ne soient pas tout à fait disposées. (_Ibid._ IV. 6.) (Voyez PRENDRE VISÉE.) VISIÈRE; ROMPRE EN VISIÈRE: Je n’y puis plus tenir, j’enrage; et mon dessein Est de _rompre en visière_ à tout le genre humain. (_Mis._ I. 1.) Qu’un cœur de son penchant donne assez de lumière, Sans qu’on nous fasse aller jusqu’à _rompre en visière_. (_Ibid._ V. 2.) VISIONS, idées folles, rêves: Et dans vos _visions_ savez-vous, s’il vous plaît, Que j’ai pour Henriette un autre époux tout prêt? (_Fem. sav._ IV. 2.) --VISIONS CORNUES: Peut-être sans raison Me suis-je en tête mis ces _visions cornues_. (_Sgan._ 13.) «Égaré dans les nues, «Me lasser à chercher des _visions cornues_.» (BOILEAU.) Des visions effrayantes ou simplement chimériques; mais, dans la bouche du pauvre Sganarelle, l’expression de _visions cornues_ a une double portée. --VISIONS DE NOBLESSE: Ce nous est une douce rente que ce monsieur Jourdain, avec les _visions de noblesse et de galanterie_ qu’il est allé se mette en tête. (_B. gent._ I. 1.) VOICI VENIR: Mais _les voici venir_. (_L’Ét._ V. 14.) _Voici venir_ Ascagne. (_Dép. am._ V. 8.) _Voici_ est pour _vois ici_: vois ici venir Ascagne. On disait au pluriel _veez-ci_, voyez ici. L’union intime des deux racines a depuis fait perdre de vue le sens de la première; _voici_ n’est plus qu’un adverbe invariable. Messieurs, _voici_ le roi, si l’on se reporte au sens exact de ces mots, est absurde: il faudrait dire, Messieurs, _vez-ci_ le roi: (voyez-le ici.) _Vécy_ est resté, chez les paysans et dans quelques provinces, comme une forme corrompue de _voici_, et aussi invariable. VOILA QUE C’EST, pour _ce que c’est_: Voilà, _voilà que c’est_ de ne pas voir Jeannette. (_L’Ét._ IV. 8.) --VOILA, NE VOILA PAS, pour _ne voilà-t-il pas_: Eh bien! _ne voilà pas_ de vos emportements! (_Tart._ V. 1.) _Voilà pas_ le coup de langue! (_B. gent._ III. 12.) (Voyez IL supprimé après VOILA.) VOIR A (un infinitif): Parlons à votre femme, et _voyons à la rendre_ Favorable.... (_Fem. sav._ II. 4.) --VOIR DE (un infinitif), elliptiquement, voir, chercher le moyen de...: Parlons à cœur ouvert, et _voyons d’arrêter_... (_Mis._ II. 1.) --VOIR PARLER: Vous à qui j’ai tant _vu parler_ de son mérite. (_Ibid._ V. 2.) VOUDRIEZ, _dissyllabe_: Monsieur votre père Est un autre vilain qui ne vous laisse pas, Comme vous _voudriez_ bien, manier ses ducats. (_L’Ét._ I. 2.) Vous me _voudriez_ encor payer pour précepteur. (_Ibid._ I. 9.) Vous êtes généreux, vous ne le _voudriez_ pas. (_Ibid._ V. 9.) (Voyez SANGLIER.) --VOUDRIEZ, en trois syllabes: Hé quoi! vous _voudriez_, Valère, injustement.... (_Dép. am._ II. 2.) VOULOIR (SE) MAL, ou MAL DE MORT DE QUELQUE CHOSE: Laissez, _je me veux mal de mon trop de foiblesse_. (_Amph._ II. 6.) _Je me veux mal de mort d’être_ de votre race. (_Fem. sav._ II. 7.) VOUS, indéfini et général comme _soi_, en relation avec ON: Ah! que pour ses enfants un père a de foiblesse! Peut-on rien refuser à leurs mots de tendresse? Et ne se sent-on pas certains mouvements doux, Quand _on_ vient à songer que cela sort de _vous_? (_Mélicerte._ II. 5.) (Voyez NOUS.) VOYENT, dissyllabe: Et _voyent_ mettre à fin la contrainte où vous êtes. (_Dép. am._ III. 7.) (Voyez PAYENT, PAYSAN, SANGLIER, VOUDRIEZ, etc.) VRAI; DE VRAI, _véritablement_, comme _de léger_, _légèrement_: Le ciel défend, _de vrai_, certains contentements. (_Tart._ IV. 5.) VUE DE PAYS (A): Non pas; mais, _à vue de pays_, je connois à peu près le train des choses. (_D. Juan._ I. 1.) Au premier coup d’œil jeté sur l’ensemble des choses. --VUES DE LA LUMIÈRE, l’aspect, le jour, en parlant d’une peinture: Voici le lieu le plus avantageux, et qui reçoit le mieux _les vues favorables de la lumière_ que nous cherchons. (_Sicilien._ 12.) Y. L’emploi de _y_, dans Molière, est fort étendu. C’est le terme corrélatif de _à_, _lui_, _leur_, qu’il s’agisse de choses ou de personnes. Y représente également _dans_ et _avec_. Y se construit encore avec un verbe, et souvent représente elliptiquement l’idée exprimée par une phrase. (Voyez OÙ.) Y en relation avec un nom de personne ou de chose, pour _à_, _lui_, _leur_: Quoi! Lucile n’est pas sous des liens secrets A mon maître?--Non, traître, et n’_y_ sera jamais. (_Dép. am._ III. 8.) A Lucile. Ils comptent les défauts pour des perfections, Et savent _y_ donner de favorables noms. (_Mis._ II. 5.) Aux défauts. Ils ne manquent jamais de saisir promptement L’apparente lueur du moindre attachement, D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie, Et d’_y_ donner le tour qu’ils veulent qu’on _y_ croie. (_Tart._ I. 1.) Aux lueurs d’attachement. Je ne distingue rien en celui qui m’offense; Tout _y_ devient l’objet de mon courroux. (_Amph._ II. 6.) Tout en lui devient, etc: Quoi! écouter impudemment l’amour d’un damoiseau, et _y_ promettre de la correspondance! (_G. D._ I. 3.) A l’amour du damoiseau. Nous dirions aujourd’hui: et lui promettre. C’est la belle Julie, la véritable cause de mon retardement; et si je voulois _y_ donner une excuse galante..... (_Comtesse d’Esc._ 1.) Oui, oui, je te renvoie à l’auteur des Satires. --Je t’_y_ renvoie aussi. (_Fem. sav._ III. 5.) --Y représentant _avec_: Je romps avecque vous, et j’_y_ romps pour jamais. (_Dép. am._ IV. 3.) Vivez, vivez contente, et bravez ma mémoire Avec le digne époux qui vous comble de gloire. --Oui, traître, j’_y_ veux vivre. (_Sgan._ 20.) --Y répondant à _en_, _dans_, _à_: Et, pour se bien conduire en ces difficultés, Il _y_ faut, comme en tout, fuir les extrémités. (_Éc. des fem._ IV. 8.) Je veux vous _y_ servir, et vous épargner des soins inutiles. (_D. Juan._ III. 4.) Il faut toujours garder de grandes formalités, quoi qu’il puisse arriver.--Pour moi, j’_y_ suis sévère en diable. (_Am. méd._ II. 3.) A garder de grandes formalités. Comment, mon gendre, vous en êtes encore là-dessus?--Oui, j’_y_ suis, et jamais je n’eus tant sujet d’_y_ être. (_G. D._ II. 9.) --Y corrélatif d’un verbe: Je me vois, ma cousine, ici persécutée Par des gens dont l’humeur _y_ paroît concertée. (_Mis._ V. 3.) Concertée à me persécuter. --Y, à cela, sur ce point: CLITANDRE. Promettez-moi donc que je pourrai vous parler cette nuit. ANGÉLIQUE. J’_y_ ferai mes efforts. (_G. D._ II. 10.) Je ferai mes efforts à ce que vous puissiez me parler cette nuit. Vous me haïssez donc?--J’_y_ fais tout mon effort. (_Amph._ II. 6.) A vous haïr. Vous devez éclaircir toute cette aventure. --Allons, vous _y_ pourrez seconder mon effort. (_Ibid._ III. 4.) A éclaircir cette aventure. --Y rapporté au sens de toute une phrase: HENRIETTE. Je me trouve fort bien, ma mère, d’être bête; Et j’aime mieux n’avoir que de communs propos, Que de me tourmenter à dire de beaux mots. PHILAMINTE. Oui; mais j’_y_ suis blessée, et ce n’est pas mon compte. (_Fem. sav._ III. 6.) Je suis blessée à ce que vous soyez dans cette opinion. --Y redondant avec _où_: C’est une chose _où_ il _y_ va de l’intérêt du prochain. (_Pourc._ II. 4.) Molière n’a pas cru qu’on pût altérer cette forme, _il y va_, et mettre _il va_. --Avec _en_: Nous vous _y_ surprenons, _en_ faute contre nous! (_Sgan._ 6.) --Y avec _contredire_: Accablez-moi de noms encor plus détestés, _Je n’y contredis point_; je les ai mérités. (_Tart._ III. 6.) --Avec _marchander_: Si j’étois en sa place, je n’_y_ marchanderois point. (_G. D._ I. 7.) --Avec _s’en aller_: Laissez-moi faire, je m’_y_ en vais moi-même. (_D. Juan._ IV. 11.) (Voyez où, dont toutes les constructions correspondent dans Molière à celle de Y.) --Y A, pour _il y a_: Et quels avantages, madame, puisque madame _y a_? (_G. D._ I. 4.) --QU’IL Y A, surabondant: Et pensez-vous qu’on soit capable d’aimer de certains maris _qu’il y a_? (_G. D._ III. 5.) De certains maris comme il en existe au monde. Cette locution était jadis du commun usage: «Ainsy beaucoup de femmes _qu’il y a_ se desbattent avec leurs maris quand ils leur veulent oster l’affeterie, la braveté, et la despense.» (LA BOÉTIE, _Trad. de Plutarque_, p. 281.) YEUX; METTRE AUX YEUX, mettre devant les yeux, représenter, remontrer: Mais votre conscience et le soin de votre âme Vous devroient _mettre aux yeux_ que ma femme est ma femme. (_Sgan._ 21.) (Voyez METTRE AUX YEUX, p. 246.) --DE NOUVEAUX YEUX, de nouveaux regards: Et mon esprit, jetant _de nouveaux yeux_ sur elle.... (_Pr. d’Él._ I. 1.) --YEUX DE L’AME, figurément: Il m’est venu des scrupules, madame; et j’ai ouvert _les yeux de l’âme_ sur ce que je faisois. (_D. Juan._ I. 3.) LETTRE A MONSIEUR A. FIRMIN DIDOT, SUR QUELQUES POINTS DE PHILOLOGIE FRANÇAISE. MONSIEUR ET CHER ÉDITEUR, Le livre _Des variations du langage français_, que j’ai publié chez vous il y a quelques mois, a été vivement attaqué dans la _Bibliothèque de l’École des chartes_, également sortie de vos presses. Si ces attaques n’atteignaient que mon amour-propre, je ne répondrais pas une syllabe; mais l’intérêt de la science s’y trouve et mêlé et compromis; il s’agit surtout d’un point de grammaire curieux et fondamental: dès lors je suis tenu de défendre ce que je crois la vérité. Cette considération vous fera, j’espère, excuser l’étendue de cette lettre, qui eût pris bien d’autres développements encore, si j’eusse voulu suivre la critique pas à pas, et la combattre à toute occasion. Il suffira de toucher quelques détails saillants; on jugera du reste par analogie. J’ai refusé de reconnaître, par rapport à l’étude de la vieille langue dans ses monuments, l’importance exagérée qu’on a faite aux patois sous le nom pompeux de _dialectes_. J’ai dit: Il y avait un centre du royaume, une langue française constituée; les écrivains de la province visaient tous à écrire la langue du centre. S’il en est autrement, qu’on me montre dans ces écrivains les expressions en dehors de la langue commune, caractéristiques de tel ou tel dialecte. Bien entendu, je n’accepte pas comme autant de mots à part les différences d’orthographe qui se rencontrent souvent dans la même page d’un manuscrit. Mais comme un élève de l’École des chartes, feu M. Fallot, d’estimable et regrettable mémoire, a laissé un gros volume sur ces dialectes, dont il a plus que personne préconisé l’importance, il fallait bien _a priori_ que mon opinion fût erronée, absurde, monstrueuse et révoltante. Après toutes les vaines déclamations possibles, M. Guessard en vient enfin à m’opposer le témoignage d’un texte. Je laisse parler mon adversaire: «Que le trouvère fît _parfois_ effort pour écrire en français de France, et qu’il y réussît tant bien que mal, c’est possible; mais qu’il le voulût toujours, ou que toujours il y parvînt, _ce n’est pas vrai_[83]. [83] _Parfois_ est bon, comme _c’est possible_. Lisez, au lieu de _parfois_, _toujours_, et au lieu de _c’est possible_, _c’est certain_, en attendant que M. Guessard fournisse _une_ preuve du contraire. Un démenti n’en est pas une, si grossier qu’il soit. «Voyez plutôt ce qui arriva au trouvère Quenes de Béthune[84], ce grand seigneur poëte et guerrier, qui mieux que tout autre pouvait s’instruire du beau langage. Il était Artésien, comme l’indique son nom, et il composait en artésien ou en picard; ce qui était tout un. Vers l’an 1180, il vint à la cour de France, où la régente Alix de Champagne, et le jeune prince son fils, qui depuis régna sous le nom de Philippe-Auguste, lui exprimèrent le désir d’entendre quelqu’une de ses chansons. Quenes de Béthune récita donc des vers très-intelligibles pour ses auditeurs, _mais fortement empreints d’un cachet picard_; aussi fut-il raillé par les seigneurs de France, repris par la reine et par son fils: Mon _langage_ ont blasmé li François Et mes chançons, oyant les Champenois, Et la comtesse encoir (dont plus me poise). La roïne ne fit pas que cortoise Qui me reprist, elle et ses fiex li rois: Encor ne soit ma _parole_ françoise, Si la puet on bien entendre en françois; Ne cil ne sont bien appris ne cortois Qui m’ont repris se j’ai dit _mot d’Artois_, Car je ne fus pas norriz a Pontoise[85].» Voilà le passage fondamental, unique, dont on argumente pour prouver l’emploi des dialectes dans la littérature. [84] M. Guessard écrit toujours _Quènes de Béthune_, avec un accent grave sur l’_e_, ce qui force à prononcer _caine_ de Béthune. La vraie prononciation est _cane_ de Béthune (comme _femme_, _fame_); et lorsqu’on rencontre ce mot écrit en une syllabe _quens_, _cuens_, il faut prononcer _can_. Les Italiens disent de même: _can-grande_, _can-francesco_; _facino-cane_; _can della scala_. C’est un titre de dignité répondant à celui de bailli. Ce radical _can_ appartient à la langue tartare, où il signifie _roi_, _prince_, _chef_: le grand _khan_ de Tartarie commandait aux _khans_ inférieurs; _Gengis-khan_. Les Huns et les Avares ont laissé chez nous ce curieux vestige de leur passage en Europe, au Ve siècle: les chroniqueurs latins du moyen âge ont traduit _khan_ par _canis_, _caganus_, _canesius_: «Rex Tartarorum, qui et _magnus canis_ dicitur.» (Chron. Nangii, ann. 1299.)--«Rex Avarorum, quem sua lingua _cacanum_ appellant.» (PAUL WARNEFRIED, _de Gest. Langob._ IV, 39); «constituerunt _canesios_, id est baillivos, qui justitiam facerent.» (Magister ROGERIUS, ap. CANG. in _Caganus_.) De là est venu le français _quens_, l’italien _king_. On voit, par cet exemple, de quelle importance est la recherche et le maintien de la prononciation véritable. Ce travail offre déjà bien assez de difficultés, sans y en ajouter encore comme à plaisir. Je me suis élevé souvent contre cette barbare manie d’introduire des accents dans les vieux textes: l’unique résultat possible est d’égarer le lecteur philologue, et d’effacer les dernières traces d’étymologie. Il serait si simple et raisonnable d’imprimer les manuscrits comme ils sont! Mais précisément par ce motif il est à craindre qu’on ne l’obtienne jamais des savants éditeurs. On vient encore de publier _la Mort de Garin_, où les mots _que_, _ce_, _ne_, sont figurés _qué_, _cé_, _né_, même lorsque l’e s’élide. Il faut bien être possédé de la fureur des accents! [85]: _Bibliot. de l’Éc. des chartes_, t. II (1846), p. 192. Il est facile de répondre à M. Guessard. Observez d’abord qu’il s’agit ici d’une pièce _récitée_, et non de vers _écrits_. La distinction est essentielle. Que le premier venu, en lisant ce couplet, comprenne qu’il est question des _mots_, c’est une erreur excusable: il est étranger à ces études, et habitué à la précision de notre langue moderne. Mais que M. Guessard s’y trompe, c’est ce que je ne saurais expliquer, s’il n’était bien connu que la passion fait arme et ressource de tout. Lorsque Quenes de Béthune dit qu’on a raillé _sa parole, son langage_, il entend sa prononciation, son accent picard. Au douzième siècle, ces mots _accent_, _prononciation_, n’étaient point encore dans la langue; il fallait, pour en rendre la pensée, se servir d’équivalents approximatifs. _J’ai dit mot d’Artois_ signifie: j’ai parlé à la mode du pays d’Artois; cette dernière expression représente exactement l’équivoque de l’autre: _j’ai parlé_, s’agit-il des mots que vous avez employés, ou de votre manière de les prononcer? Ces deux vers, où les mots soulignés par M. Guessard semblent renfermer ma condamnation, Encor ne soit ma parole _françoise_, Si la puet on bien entendre en _françois_, signifient, selon M. Guessard: Encore que je parle picard, les Français peuvent bien me comprendre. Et, selon moi: Encore que je récite avec un accent de province, on peut me comprendre parfaitement dans l’Ile de France; ou, en d’autres termes: Comme je parle d’ailleurs bon français, mon mauvais accent n’empêche pas qu’on ne me comprenne très-bien à Paris. Ainsi ce passage établit précisément la pureté du style de Quenes de Béthune. M. Guessard, croyant me perdre sans retour, a fait comparaître un témoin dont la déposition m’absout et le condamne. M. Guessard peut m’en croire: je sais assez le picard pour lui attester 1° que ni les poésies de Quenes de Béthune, ni celles d’Eustache d’Amiens, ni celles de tous les trouvères de la Picardie et de l’Artois, ne sont écrites dans ce dialecte, puisque dialecte il y a; 2° que des poésies picardes, surtout récitées, défieraient l’intelligence de tous les Français, sans en excepter M. Guessard lui-même. La Picardie a fourni, au moyen âge, un nombre de trouvères très-considérable: tous ont écrit en _français_, Quenes de Béthune comme les autres. Au surplus, ses poésies sont là: que M. Guessard ait la bonté de m’y montrer du picard, ou de m’expliquer en quoi consiste le _cachet picard_ des vers de Quenes de Béthune, si ce n’est pas dans l’_accent parlé_. La Picardie n’est pas si loin de l’Ile de France, pour qu’un grand seigneur, qui faisait des lettres sa principale occupation, ne parvînt pas, malgré ses efforts, à posséder à fond le français littéraire. Aujourd’hui même que notre langue est bien autrement fixée et vétilleuse qu’au moyen âge, la critique pourrait signaler des provincialismes dans des vers composés à Bordeaux ou à Strasbourg; mais on n’en rirait pas. Ce qui ferait rire inévitablement, ce serait l’accent gascon ou alsacien du déclamateur; et si les vers étaient d’ailleurs purement écrits, le poëte aurait le droit de s’écrier, comme Quenes de Béthune: Vous n’êtes ni justes ni polis: ce n’est pas ma faute si je n’ai pas été nourri près de Pontoise. On peut exiger d’un écrivain qu’il sache le français, mais non qu’il soit exempt de l’accent de sa province. Ce qui est indélébile, ce n’est pas l’ignorance, c’est l’accent natal. Je maintiens que voilà le sens du passage de Quenes de Béthune; pour l’entendre différemment, il faut y apporter toute la bonne volonté de M. Guessard. Une dernière observation: M. Guessard place l’anecdote de Quenes de Béthune vers 1180. C’est le plus tard possible, puisque Philippe-Auguste parvint à la couronne en 1180, et qu’à l’époque de la visite du trouvère il était encore sous la tutelle de la régente. Il n’avait donc pas quinze ans. Je crois qu’à cet âge les petits princes du douzième siècle n’étaient pas si grands puristes, et n’auraient pas remarqué, dans une pièce de vers français, un ou deux termes sentant la province. Mais un accent provincial frappe d’abord les enfants comme les grandes personnes; et le petit Philippe dut s’en amuser aussi bien que sa mère Alix, peu renommée, du reste, entre les savantes et les beaux esprits de son temps. Je crois, sauf erreur, que M. Guessard aurait bien fait d’y regarder à deux fois avant de me crier, de sa grosse voix, CE N’EST PAS VRAI! car je lui répondrai, comme Quenes de Béthune: Vous n’êtes ni juste ni poli. La question des _dialectes_ demeure donc, jusqu’à nouvel ordre, un système, sans autre appui que des théories arbitraires. L’étai emprunté à Quenes de Béthune ne vaut rien; on fera bien d’en chercher un plus solide. Passons à un autre point, dont M. Guessard fait le point capital. J’avais posé ce principe pour la prononciation du moyen âge: «Dans aucun cas l’on ne faisait sentir deux consonnes consécutives, soit au commencement, soit au milieu d’un mot, soit l’une à la fin d’un mot, et l’autre au commencement du mot suivant.» J’avais été conduit à cette règle par la comparaison des vieux textes. Il me sembla rencontrer un dernier vestige de cette loi primitive dans un écrit de Théodore de Bèze sur la prononciation du français, traité en latin publié en 1584, c’est-à-dire fort avant dans la renaissance, et par conséquent fort loin de l’époque où ma règle aurait été en vigueur. Voici ce passage: _Curandum etiam ne qua (littera) putide et duriter sonet, imo ut omnes molliter et quasi negligenter efferantur, omnem pronuntiationis asperitatem usque adeo refugiente francica lingua, ut, exceptis_ cc, _ut_ accès (_accessus_), mm _ut_ somme, nn _ut annus_, rr _ut_ terre, _NULLAM GEMINATAM CONSONANTEM PRONUNTIET. On prétendit que j’avais fait sur le texte de Th. de Bèze _un incroyable contre-sens_; que _geminatam consonantem_ signifiait, non pas deux consonnes consécutives quelconques, comme je l’avais entendu, mais seulement deux consonnes consécutives jumelles, la même consonne redoublée. On en concluait que la règle de M. Génin était fausse, imaginaire; qu’elle n’avait jamais existé. On alla même plus loin: on soutint que le principe était _d’une absurdité manifeste_:--«Le contre-sens de M. Génin, disait-on, est vraiment incroyable! Plein de confiance dans une traduction signée par un professeur de faculté, je me suis mis l’esprit à la torture pour m’expliquer comment Th. de Bèze avait pu écrire une pareille règle, etc., etc.» Je répondis sommairement, par une lettre insérée dans la _Revue indépendante_, du 10 avril 1846. Un second article de la _Bibliothèque de l’École des chartes_ rend nécessaire une seconde réponse. Je la ferai plus explicite; et, pour mettre le lecteur mieux à même d’en suivre l’argumentation, je reproduis ici les principaux passages de ma première lettre: «Je consens, disais-je, à examiner un des points attaqués par la _Bibliothèque de l’École des Chartes_. Je choisis le plus important, de l’aveu du critique lui-même. C’est la règle de ne prononcer jamais deux consonnes consécutives (sauf les liquides), que j’ai donnée comme la clef de voûte de tout le système d’orthographe et de prononciation de nos ancêtres.--«Elle est, dit mon adversaire, elle est en réalité la clef de voûte, non de la prononciation de nos ancêtres, mais du système de M. Génin; et, par conséquent, si je la fais fléchir, tout le système tombera, sans que j’aie besoin de le prendre pièce à pièce.» «J’accepte de bon cœur le défi, à condition, bien entendu, que, réciproquement, si l’on ne fait pas fléchir la clef de voûte, mon système entier subsistera, sans que j’aie besoin non plus de le défendre pièce à pièce. «Ainsi la discussion de ce point capital me dispensera de toute autre, et je veux bien qu’on juge par cet échantillon de la valeur de tout le reste, tant pour l’attaque que pour la défense. «S’il était vrai que j’eusse commis sur le texte de Th. de Bèze _un incroyable contre-sens_, il ne s’ensuivrait pas encore que j’eusse posé une règle fausse et imaginaire; car cette règle, je ne l’ai point empruntée à Théod. de Bèze. Tout au plus aurais-je invoqué à l’appui de mon principe une autorité illusoire; mais il resterait toujours à établir que ce principe, étranger à Th. de Bèze, est lui-même une illusion. Mon critique l’affirme de sa propre autorité. Il croit, en m’ôtant Th. de Bèze, m’avoir enlevé toute ressource, m’avoir ruiné, mis à sec. Erreur! «Depuis la publication de mon livre, il m’est venu entre les mains plusieurs ouvrages rares, que je n’avais pu consulter plus tôt. De ce nombre est la grammaire de Jean Palsgrave, l’aînée de toutes les grammaires françaises. Ce Jean Palsgrave était Anglais de naissance, mais il avait longtemps vécu à Paris, où il avait même pris ses degrés. Chargé, comme le plus habile de son temps, d’enseigner le français à la sœur de Henri VIII, veuve de Louis XII, remariée au duc de Norfolck, il composa sa grammaire sur le plan de la grammaire du célèbre Théodore de Gaza. Ce livre, qui n’a pas moins de 900 pages in-folio, est rédigé en anglais, avec un titre en français et une dédicace à Henri VIII (Londres, 1530); il est doublement précieux par le savoir exact et minutieux de l’auteur, et par l’abondance des exemples, toujours puisés dans les meilleurs écrivains, Jean Lemaire, Alain Chartier, l’évêque d’Angoulême, etc., etc. Palsgrave débute par un Traité fort détaillé de la prononciation: or voici ce que j’y ai lu, je le confesse, avec la vive satisfaction d’un homme qui, ayant deviné une énigme difficile, s’assure, par le numéro suivant de son journal, qu’il avait rencontré juste. «Les Français, dans leur prononciation, s’appliquent à trois choses qu’ils recherchent principalement: 1° l’harmonie du langage; 2° la brièveté et la rapidité en articulant leurs mots; 3° enfin, de donner à chaque mot sur lequel ils appuient son articulation la plus distincte. (_Ici un long développement du premier point._) «Maintenant, sur le second point, qui est la brièveté et la rapidité du discours, quel que soit le nombre des consonnes écrites pour garder la véritable orthographe, ils tiennent tant à faire ouïr toutes leurs voyelles et leurs diphthongues, que, _entre deux voyelles_ (soit réunies dans un même mot, soit partagées entre deux mots qui se suivent), _ils n’articulent jamais qu’une consonne à la fois; en sorte que si deux consonnes différentes, c’est-à-dire_, N’ÉTANT PAS TOUTES DEUX DE MÊME NATURE, _se rencontrent entre deux voyelles, ils laissent toujours la première inarticulée_[86].» [86] The Frenche men in theyr pronunciation do chefly regard and cover thre thynges: to be armonious in theyr spekyng; to be brefe and sodayne in sounding of theyr wordes, avoyding all maner of harshnesse in theyr pronunciation; and thirdly, to gyve every worde that they abyde and reste upon theyr most audible sounde.... And now touching the second point whiche is to be brefe, _etc._... what consonantes soever they write in any worde for the kepyng of trewe orthographie, yet so moche covyt they in reding or spekyng to have all theyr vowelles and diphthongues clerly herde, that betweene two vowelles (whether they chaunce in one worde alone, or as one worde fortuneth to folowe after an other), they never sounde but one consonant at ones, in so moche that if two different consonantes, that is to say, _nat beyng both of one sorte_ come together betweene two vowelles, _they leve first of them unsounded_. PALSGRAVE. _Introd._ (non paginée). «Y a-t-il rien de plus positif? Comprenez-vous bien qu’il est question là des consonnes consécutives en général, et non des jumelles en particulier? _Nat beyng both of one sorte?_ Comprenez-vous enfin ce que c’est que la _geminata consonans_ de Th. de Bèze[87]? Comprenez-vous que cette règle a existé, que je ne l’ai pas tirée de mon imagination? Cette règle impossible, monstrueuse, absurde, sur laquelle vous demandez qu’on juge tout mon livre; cette règle que j’avais posée pour le douzième siècle, la voilà encore dans un grammairien du commencement du seizième, antérieur de soixante-quatre ans à Th. de Bèze! En vérité, quand j’aurais chargé ce bonhomme Jean Palsgrave de plaider ma cause, il n’eût pu s’en acquitter mieux. Il a deviné, trois siècles d’avance, la chicane que me fait aujourd’hui l’École des chartes, et s’est donné la peine d’y répondre de manière à ne laisser aucune ressource à la mauvaise foi la plus subtile. Je mets son vénérable texte au bas de la page, afin que monsieur le chartrier, grand éplucheur de textes, puisse s’assurer si je n’y ai pas fait quelque incroyable contre-sens, et si je n’ai pas, encore cette fois, pris le contre-pied de la pensée, comme il déclare que c’est ma coutume habituelle. [87] Pour peu que mon critique eût été de bonne foi, aurait-il pu s’y tromper en lisant ce que Bèze écrit dix lignes plus loin de la prononciation des Français, qu’elle est NULLO CONSONANTIUM CONCURSU CONFRAGOSA? D’où vient que ce texte que j’avais traduit, il a pris soin dans sa citation de l’écarter? «Qu’il vienne à présent m’alléguer qu’à la fin du seizième siècle on articulait, dans certains mots, les consonnes consécutives: que me fait cela? ce n’est point mon affaire; ou plutôt, si vraiment ce l’est, puisque j’ai dit que le seizième siècle avait perdu la tradition de l’ancien langage. Il va chercher dans Pierre Fabri ou Lefebvre une phrase dont il prétend m’accabler, en prouvant que, dès 1534, on prononçait des consonnes consécutives.--«Il est, dit Fabri, un barbare de rude langage à ouïr, qui s’appelle _Cacephaton_ ou _Clipsis_[88], comme _gros_, _gris_, _gras_, _grant_ et _croc_, _cric_, _crac_; et _évangélistes_, _stalle_, _stille_...» Premièrement, il s’agit là d’un assemblage cherché de consonnances étranges; et ensuite Fabri lui-même déclare ce langage _barbare_; donc ce n’est pas le langage ordinaire. Les vieux grammairiens rangent ce _Cacephaton_ parmi les figures de mots: quel rapport d’un trope ridicule avec la prononciation? C’est bien de l’érudition perdue. [88] Apparemment il faut lire _Eclipsis_. Je cite d’après mon adversaire. --«Après avoir cité une règle qui n’a jamais existé, l’auteur en cite une autre qui n’a aucun rapport à la question. En effet, il s’agit de prouver qu’on n’a jamais prononcé deux consonnes de suite; et M. Génin s’évertue à établir qu’au seizième siècle on n’en prononçait pas trois, ce qui serait encore contestable.» «Il s’agit de prouver qu’on ne prononçait pas les _consonnes consécutives_; et après avoir montré qu’on n’en prononçait pas deux, je montre qu’on n’en prononçait pas trois. Si nous avions des groupes de quatre et de cinq consonnes, j’aurais eu à les examiner à leur tour. C’est être, assurément, dans la question; et il faut tout le parti pris de mon critique pour déclarer que cela n’y a nul rapport. «Çà, maître Jehan Palsgrave, avancez de nouveau; car c’est vous, aussi bien que moi, qui êtes en cause, vous qui, après avoir parlé des doubles consonnes consécutives, avez aussi battu la campagne en parlant tout de suite des triples consonnes. Cette coïncidence est vraiment merveilleuse! mais la découverte si à propos de ce volume ne l’est pas moins. O bon Palsgrave, sans vous j’étais perdu! l’École des chartes me foudroyait!... Je reprends la citation au dernier mot où je l’ai laissée:--«Et si trois consonnes sont rassemblées, ils (les Français) en laissent toujours les deux premières inarticulées, ne faisant, je le répète, aucune différence si ces consonnes sont ainsi groupées toutes dans un seul mot, ou réparties entre des mots qui se suivent; car souvent leurs mots se terminent par deux consonnes, à cause du retranchement de la dernière voyelle du mot latin: par exemple, _corps_, _temps_, etc.[89]» [89] And if the thre consonantes come together, they ever leve two of the first unsounded, putting here, as I have said, no difference whether the consonantes thus come together in one worde alone, or the wordes do folowe one another; for many tymes theyr wordes ende in two consonantes, bycause they take awaye the last vowell of the latine tong, as _corps_, _temps_. Id., _ibid._ «Palsgrave ajoute que cette distinction entre les consonnes purement étymologiques qu’on éteint et celles qu’on doit faire sonner, est la grande difficulté pour les Anglais: _hath semed unto us of our nation a thyng of so great difficulty_. «Monsieur mon contradicteur trouve-t-il encore contestable cette proposition, qu’on ne prononçait pas trois consonnes consécutives? «Quant à n’en prononcer qu’une sur deux, admettra-t-il enfin cette monstruosité, qui lui a mis l’esprit à la torture? «Je me suis mis l’esprit _à la torture_ pour m’expliquer comment Th. de Bèze avait pu écrire une pareille règle, et en quel sens il fallait l’entendre; car, de la prendre à la lettre, _je n’en voyais pas le moyen!_» J’espère qu’il en voit le moyen à cette heure? En général, il répète souvent: _Je ne puis m’imaginer, je ne puis comprendre_; il prend cela pour un argument irrésistible! «Voilà comment ce fort Samson fait fléchir les clefs de voûte. Je le prie de recevoir mes remercîments: un principe fondamental, qui pour moi n’était pas douteux, mais qui peut-être pouvait le sembler à d’autres, croyant le renverser, il m’a fourni l’occasion d’y revenir, et de le mettre, j’espère, au-dessus de toute contestation. «De toutes les prétentions, la plus folle serait celle de plaire à tout le monde. Je ne vise pas si haut: je me contente de l’assentiment des meilleurs juges, _principibus placuisse viris_. S’agit-il de l’érudition? Quels noms plus imposants que ceux de MM. Victor le Clerc, Naudet, Littré, Augustin Thierry? Parlez-vous de cet heureux instinct, de ce génie de la langue qui éclate si vivement dans la Fontaine et dans Molière? Où le trouver plus complet et plus profond que dans notre Béranger? Quels plus illustres suffrages serait-il possible d’ambitionner? Et quand on les a réunis, est-on bien à plaindre d’avoir manqué celui de M. Guessard? Et qu’importe à mes vers que Perrault les admire?» Telle fut en abrégé ma réponse au premier article de M. Guessard; voici maintenant ma réponse au second: Le procès continue sur la _geminata consonans_ de Th. de Bèze. Je suis obligé de défendre jusqu’au bout ma traduction, puisque M. Guessard fait dépendre de ce mot l’estime de tout mon ouvrage, et que j’ai accepté son défi. Au surplus, je vous dirai, en passant, que M. Guessard n’a pas son pareil pour trouver de ces alternatives. Son esprit net et concis aime à réduire toutes les questions à deux termes. Vous en verrez plus d’un exemple dans cette réponse. J’avais, dans la première, cru tirer autorité de quelques suffrages imposants, tels que ceux de MM. Augustin Thierry, Victor le Clerc, Naudet, Littré, Béranger; mais me voilà bien loin de compte! M. Guessard exige, pour se rendre, «un arrêt en bonne forme,» signé de ces messieurs; il dresse, le plus sérieusement du monde, un formulaire en trois articles, dont le dernier doit attester «qu’_une seule_ des assertions de mon livre _est restée debout_, après l’examen que M. Guessard en a fait.» J’irai présenter ce formulaire à la signature des illustres juges par moi invoqués; et si je ne le rapporte à M. Guessard, revêtu de toutes les formalités authentiques, je suis déclaré vaincu aux yeux du monde savant (page 362). M. Guessard a bonne opinion des effets de sa dialectique; mais on ne voit pas où il prend le droit d’exiger des certificats de ses erreurs. S’il n’y veut pas croire à moins, d’autres ne seront pas si difficiles. Ne nous dérangeons pas, et ne dérangeons personne, pour si peu. _Geminata consonans_, voilà donc la grande énigme. Est-ce, au sens le plus large, deux consonnes consécutives? ou bien, dans un sens beaucoup plus restreint, la même consonne redoublée? Je défends la première interprétation, qui contient la seconde, puisque les consonnes redoublées sont consécutives; M. Guessard soutient la seconde, qui exclut la première. L’un de nous fait un contre-sens, mais lequel des deux? Avant tout, je dois reconnaître à M. Guessard un merveilleux talent pour embrouiller les questions les plus nettes, dissimuler les parties d’un texte qui lui nuisent, et mettre en relief, au contraire, celles qui paraissent le servir. Au nom de la logique, il assemble d’épais nuages; et puis, quand tout est noir partout, quand on n’y voit plus goutte, il s’écrie, du ton le plus naturel et le plus persuadé: _Est-ce clair?_... _Est-ce encore clair?_... Le pauvre lecteur serait bien tenté de lui répondre: Ma foi, non! Mais tant d’assurance intimide; on se dit: Apparemment que c’est bien clair pour les gens au fait de la matière. Allons, accordons-lui ce point, et suivons. On avance, et il vous conduit de l’analogie dans l’amphibologie, de l’amphibologie dans la battologie, de la battologie dans la tautologie et la macrologie: de la macrologie à la périssologie il n’y a qu’un pas; la périssologie mène infailliblement à l’acyrologie, qui produit la cacologie, d’où vous tombez dans la céphalalgie, et de la céphalalgie dans un profond sommeil, pendant lequel M. Guessard chante victoire tout à son aise! Voyons toutefois qui sera le plus habile, lui à condenser le brouillard, ou moi à le dissiper. J’ai aussi la prétention de m’appuyer sur la logique pour déterminer le sens de l’expression _geminata consonans_. Le passage où elle se trouve est complété, éclairci jusqu’à l’évidence par un autre passage voisin du premier. Il paraît que M. Guessard n’avait pas aperçu ce second passage. Je le lui ai mis sous les yeux dans ma réponse, et pour cette fois j’ose affirmer qu’il l’a très-bien vu et en a compris la portée; car sa réplique n’en souffle mot. Il bat la campagne à côté. Puisque cette partie de mon argumentation l’embarrasse, je vais la reprendre. C’est à la page 9 que Th. de Bèze explique l’euphonie du parler français, par l’attention de ne prononcer _nullam geminatam consonantem_. A la page 10, il revient sur ce caractère général de notre langue[90]. [90] Francorum enim ut ingenia valde mobilia sunt, ita quoque pronuntiatio celerrima est, _nullo consonantium concursu confragosa_, paucissimis longis syllabis retardata.... consonantibus (si dictionem aliquam terminarint) sic cohærentibus cum proximis vocibus a vocali incipientibus, _ut integra interdum sententia haud secus quant si unicum esset vocabulum efferatur_. (_De recta Linguæ francicæ pronunt._) «La prononciation des Français, mobile et rapide comme leur génie, ne se heurte jamais au concours des consonnes, ni ne s’attarde guère sur des voyelles longues. Une consonne finit-elle un mot? elle se lie à la voyelle initiale du mot suivant, si bien qu’une phrase entière glisse comme un mot unique.» Ces deux passages évidemment se rapportent à la même idée, et renferment le vrai sens de _geminata consonans_. Il s’agit de les expliquer en les conciliant. J’ai fait observer que les consonnes jumelles sont très-coulantes, et sont toujours placées au cœur des mots. J’ai demandé comment l’extinction de ces jumelles pouvait favoriser la liaison d’un mot à un autre. Au contraire, que les consonnes consécutives, autres que jumelles, sont très-dures, munissent ordinairement les extrémités des mots, et, si on les veut articuler toutes, hérissent la phrase d’aspérités, et font un obstacle considérable à la liaison de ses éléments. M. Guessard veut qu’il ne soit question que des consonnes jumelles. Je l’ai prié d’accorder son interprétation avec le texte _complet_, de m’aplanir ces difficultés. Il garde le silence. Examinons, ai-je dit ensuite, la logique des idées de Bèze, et leur enchaînement, en prenant le sens de mon adversaire: le français est si antipathique à toute rudesse de prononciation, qu’il n’articule jamais les consonnes jumelles (_qui sont très-douces_); mais il a grand soin d’articuler les autres consécutives, comme _st_, _sp_ (_qui sont très-rudes_); d’où il résulte que la prononciation des Français est pleine de mollesse, et que dans leur bouche une phrase entière glisse comme un seul mot. Profond silence de M. Guessard. Il se contente de dire, en termes vagues: «M. Génin sue sang et eau à défendre un contre-sens.» (Page 357.) Non, je ne sue ni sang ni eau; je cite en entier un texte que vous aviez tronqué. Je vous dis d’un grand sang-froid que votre sens mène à l’absurde. Que me répondez-vous? Au lieu de me répondre, il cherche à opérer une diversion, et à me faire paraître dans la position fâcheuse où lui-même se sent arrêté. Voici comme il s’y prend: il va chercher un passage où Bèze avertit que _ct_, à l’intérieur des mots, se prononce entièrement. Ce sont là, dit M. Guessard, des consonnes consécutives, ou jamais; donc elles n’étaient pas muettes.--«Voilà cet illustre savant, qui pose une règle, qui en excepte quatre cas, ni plus ni moins, et qui, vingt pages plus loin, dans un petit livre de quarante-deux feuillets seulement, oublie sa règle et ses quatre exceptions, pour se contredire lui-même, en m’apprenant que _ct_ se prononce entièrement!.... Mais alors votre illustre savant n’est plus qu’un illustre radoteur, ou bien c’est vous qui ne l’avez pas compris, et qui me le rendez tel. Il n’y a pas de milieu entre ces deux propositions, et le choix n’est pas douteux. Sortez de là: JE VOUS EN DÉFIE RÉSOLUMENT!....»(Page 358.) M. Guessard prend toujours des tons incroyables pour les choses les plus simples du monde: _Je vous en défie résolûment!_ On dirait un paladin de Charlemagne! _Résolûment_ est superbe! Comment n’être pas convaincu par _résolûment_? Oui, Bèze remarque que b se prononce dans _absent_, _obsèques_, _objet_; que _ct_ sonne pleinement dans _acte_, _actif_, _affection_, _détracteur_; que _st_, _sp_ se prononcent quelquefois en double, et plus souvent en simple. Et puis, vous prétendez que c’est là un argument en votre faveur? Vous n’y songez pas. Quelle est la règle générale, selon vous? Que les consécutives ne s’éteignaient jamais. Alors pourquoi Bèze relève-t-il des mots où elles ne s’éteignent pas? Qu’y a-t-il là d’extraordinaire? Nous sommes dans la règle. Ah! si la règle était ce que j’ai dit, de ne prononcer pas les consonnes consécutives, la remarque de Bèze serait toute naturelle; mais ici, ce qu’il aurait fallu signaler, au contraire, ce seraient des mots où ces consécutives non jumelles se seraient éteintes, car c’est seulement alors que votre règle eût été violée. Voilà votre thèse, et voici la mienne, dans laquelle je résume et concilie tout ce qu’a dit Th. de Bèze. Il est de règle, pour obtenir une prononciation molle et coulante, de ne point faire sentir deux consonnes consécutives. Nous en exceptons quatre cas de consonnes jumelles; _ct_, _à l’intérieur des mots_, et quelques autres, comme le _b_ dans _absent_, _objet_, _obsèques_. Toute l’argumentation diffuse de M. Guessard repose sur ce que Bèze n’a point réuni sous sa règle tous les cas d’exception, et n’a mentionné d’abord que les jumelles. Bèze ne peut avoir signalé plus loin d’autres exceptions, ou bien il se serait rendu coupable d’oubli de ses propres paroles, de contradiction, de radotage. Mais les gros mots ne prouvent rien, et nous avons déjà vu que le fort de M. Guessard est de poser des alternatives qui n’en sont pas, des dilemmes ouverts de toutes parts. C’est alors que, dans la joie de son cœur, il s’écrie: _Sortez de là, je vous en défie résolûment!_... Je l’ai dit et redit à satiété: au XVIe siècle, la tradition du langage primitif est considérablement altérée: on n’y peut plus recueillir que des vestiges et des débris. On avait oublié les anciennes règles du XIIe siècle. Les vieux mots restaient sous l’empire du vieil usage; mais les mots nouveaux, qui s’introduisaient en foule, entraient avec la marque de l’usage nouveau. Les grammairiens se transmettaient encore l’ancienne règle; mais ils étaient obligés d’y signaler des exceptions à chaque pas. Leur procédé, à cet égard, est empirique. Tel mot se dit ainsi.--Pourquoi?--Il se dit ainsi; n’en demandez pas davantage.--Mais cela semble contredire une règle que vous venez de poser.--Que voulez-vous que je vous dise? Je suis le greffier de l’usage. En voici un pourtant qui a mis un pied hors de ce cercle étroit; c’est Jacques Dubois (d’Amiens), qui, sous le nom de Sylvius, imprimait sa Grammaire chez Robert Estienne en 1531. Il avertit que «_s_ devant _t_ et quelques autres consonnes se prononce rarement en plein dans le corps des mots; on l’obscurcit ou la supprime, pour la rapidité du langage.» Et, tout de suite, il cite des mots exceptionnels où _st_ sonne en plein: _domestique_, _fantastique_, _organiste_, _évangéliste_, etc...; «probablement, ajoute-t-il, parce que ces mots ont été depuis peu puisés par les doctes aux sources grecques et latines[91].» [91] «_S_ ante _t_ et alias quasdam consonantes in media dictione raro ad plenum sed tantum tenuiter sonamus, et pronuntiando vel elidimus vel obscuramus, ad sermonis brevitatem.... Quem (sibilum) in quibusdam perfecte cum Græcis et Latinis servamus, ut _domestique_, _phantastique_, _scholastique_.... etc., forte quod hæc haud ita pridem a doctis in usum Gallorum ex fonte vel græco vel latino invecta sunt.» (Sylvius, p. 7.) Pendant que je tiens Sylvius, je ne le laisserai point aller sans en tirer un autre témoignage. J’ai mis en principe que la consonne finale d’un mot était muette, et se réservait à sonner sur la voyelle initiale du mot suivant. (Des Var., p. 41.) C’était la conséquence rigoureuse de la règle des consonnes consécutives. M. Guessard, qui a nié la première règle, nie également la seconde. Je lui ai montré la première écrite dans Palsgrave; voici la seconde dans Sylvius: «In fine quoque dictionis nec illam (_s_) nec cæteras consonantes eadem de causa (ad sermonis brevitatem) ad plenum sonamus; _scribimus tantum_, nisi aut vocalis sequetur, aut finis clausulæ sit, etc.» (P. 7.) Voilà la raison bien simple de ces exceptions. Si Th. de Bèze ne la donne pas, Sylvius supplée à Th. de Bèze. On prononçait avec les deux consonnes _objet_, _absent_, _obsèques_, _détracteur_, _action_, parce que c’étaient des mots nouveaux. Observez un point essentiel dans le passage de Bèze invoqué par M. Guessard: _ct_, y est-il dit, sonne pleinement _dans le corps des mots_; c’est assez dire qu’aux extrémités il ne sonnait pas. Ainsi le _c_ s’entendait dans _affection_, _détracteur_, mais non à la fin de _subject_, _object_. Cette _geminata consonans_ eût empêché la liaison des mots. On ne disait pas _un objecte divin_, mais on disait, comme aujourd’hui, _objet divin_, sans faire soupçonner ni le _c_ ni le _t_. Sur trois consonnes consécutives, on effaçait les deux premières. Leur rôle se bornait à ouvrir le son de l’_e_ précédent, comme s’il y eût eu _objait_. On voit combien il importe, dans les exemples que l’on crée pour rendre une théorie sensible par l’application, de n’admettre que des mots contemporains de la règle. C’est un soin que M. Guessard, soit hasard ou calcul, néglige toujours: il puise sans scrupule dans la langue du XIXe siècle des exemples qu’il soumet aux lois du XIIe, et ne manque pas de trouver l’effet ridicule. Il ne peut se persuader qu’on ait jamais prononcé, sous Henri III, _teme_ et _pete_ pour _terme_ et _perte_; _tenir_ pour _ternir_, _la chateté_ pour _la chasteté_, un _âtrologue_, etc. Mais ces mots _terme_, _perte_, _ternir_, _chasteté_, _astrologue_, les avez-vous jamais rencontrés dans un texte du XIIIe siècle? S’ils sont entrés dans la langue après la désuétude de l’ancienne règle et sous l’empire de la règle nouvelle, qui était l’opposé de l’autre, quel argument pouvez-vous en tirer par rapport à un principe qui concerne le moyen âge exclusivement? C’est là pourtant l’artifice le plus habituel de M. Guessard. Qu’on y regarde, et l’on verra que les trois quarts de ses objections seraient réduites à néant par cette distinction bien simple de l’âge des mots. Si cette tactique fait briller l’esprit de M. Guessard, c’est aux dépens de sa loyauté. Au XVe siècle, deux systèmes étaient en présence, l’ancien et le moderne. C’est ce que les grammairiens constatent par leurs règles et leurs exceptions. J’ai invoqué subsidiairement les règles pour constater le règne de l’ancien système avant le XVIe siècle; M. Guessard s’appuie des exceptions du XVIe siècle pour soutenir que le système moderne a toujours régné seul. Dans l’intervalle écoulé depuis mon ouvrage et la critique de M. Guessard, j’ai découvert, chez un grammairien du commencement du XVIe siècle, ma règle des consonnes consécutives, mais formelle, précise, ne laissant pas la moindre prise aux distinctions, aux mille arguties de mon adversaire. J’ai cité Palsgrave: à Palsgrave M. Guessard oppose Fabri. Qu’est-ce que c’est que Fabri? C’est l’auteur d’un _grant et vray art de plaine rhetorique_, «qu’il écrivait» (notez ces mots) «à la fin du XVe ou au commencement du XVIe siècle.» C’est le même Fabri qui avait fourni à M. Guessard ce triste argument du _Cacephaton_, dont il est (je l’en loue) si confus qu’il n’ose pas y revenir. Eh bien! voyons votre Fabri; que dit-il? --«Le lecteur a pu le voir dans mon précédent article: _st_ se profère après _a_, comme _astuce_, _astrologue_, _astrolabe_; après _i_, comme _histoire_, etc.... On ne disait donc pas _âtrologue_, _châteté_, etc.; par conséquent Palsgrave et Fabri se contredisent, juste à la même époque, sur la même question!» (P. 260.) M. Guessard ajoute que, dans le doute, il aime mieux s’en rapporter au témoin français qu’à l’anglais. L’autorité comparative de ces deux écrivains diffère autant que leurs matières. L’un écrivait _ex professo_ sur la grammaire; l’autre ne traite que la rhétorique. C’est seulement à propos de la rime que Fabri écrit, sur la prononciation de l’_s_ devant le _t_, quatre lignes sans profondeur comme sans portée. Il remarque que tantôt l’_s_ est articulée et tantôt ne l’est pas. Il cite une vingtaine d’exemples pour et contre, et recommande, pour bien rimer, de consulter l’usage. Voilà ce que M. Guessard présente comme un témoignage grave sur la question des consonnes consécutives. Je récuse Fabri, non pas comme curé, ni même comme Normand, mais comme faux témoin[92]. [92] Il était natif de Rouen, et curé de Meray. M. Guessard tire même de cette circonstance une allusion bien fine et bien malicieuse: «Mais, va dire M. Génin, que m’importe Fabri, un homme inconnu, un clerc, _un curé_? (car Fabri fut curé!)» (P. 203.) Cette épigramme dénonciatrice sent furieusement les bureaux de l’_Univers_, où M. Guessard compte des partisans et des admirateurs si chauds. Il est zélé pour eux, ils sont zélés pour lui; rien de plus juste. (Voyez le _post-scriptum_ de cette lettre). Après avoir nié la justesse de ce rapprochement, je dirai à M. Guessard qu’il n’y a entre Fabri, Palsgrave et Sylvius, aucune contradiction. Palsgrave a posé la règle générale; Sylvius en a donné le motif; Fabri n’a rien donné, que quelques faits bruts, avec cette note, que, «dans les mots orthographiés par art, les doubles consonnans tantost se proferent, tantost s’escripvent et ne se proferent point.» Palsgrave a-t-il méconnu les exceptions à sa règle générale? Il les a si peu méconnues qu’il a pris la peine d’en dresser un catalogue complet, spécialement pour le groupe _st_[93]. Cette prétendue contradiction n’est donc aussi qu’un fantôme évoqué par M. Guessard, qui abuse un peu de son talent de magicien. [93] Voici ce catalogue de Palsgrave: c’est un document inestimable dans la question qui nous occupe. CHAPITRE XIV du 1er livre. «Mots qui articulent distinctement leur _s_ dans les syllabes médiantes, contrairement aux règles générales ci-dessus énoncées[A]: [A] Cap. XIII. The wordes whiche sounde their _s_ distinctely, comyng in the meane syllables, contrarie to the generall rules above rehersed. (The fyrst Boke, Fol. XIV.) apostat | constellation | disposer | astrologie | consterner | disputer | aspirer | constituer | distincter (_sic_) | agreste | construire | distance | assister | circumspection | distinguer | aspic | custode | distraire | administrer | -- | distribuer | asteure | désister | domestique | astruser | désespérer | -- | astuce | destinée | escabeau | -- | destruction | esclave | bastille | (mais non pas | escorpion | bastillon | _destruire_) | espécial | bastiller | détestable | espèce | bestialité | digestion | espagne | bistocquer | digeste | espérer | -- | discorder | espirit | cabestan | discret | estimer | chaste | discuter | estomaquer | consistoire | dispenser | estradiot | constant | disparser } (_sic_) | existence | conspirer | disparer } | -- | fastidieux | majesté | postérieur | (festival) | miste | prosterner | festivité | mistère | postille | (mais non _feste_) | mission | prédestiner | frisque | molester | prospérer | frustrer | monastère | pronostiquer | -- | -- | -- | histoire | «Je n’en trouve | questionner | -- | point dans les mots | questueux | illustrer | qui commencent | question | indistret (_sic_) | par _n_» | -- | industrie | -- | recrastiner | instruire | obstant | resister | instance | obstination | restituer | instant | obscurcir | robuste | instituer | offusquer | rustre | instrument | ostenter | -- | investiguer | ostruce | sinistre | investiture | obstacle | substance | (mais ni le verbe | -- | substencacle (_sic_)| _vestir_ ni | peste | -- | _vestement_) | pestilence | testament | -- | perspicacité | triste. | Voilà donc une liste de cent neuf mots qui étaient de formation récente en 1530, ou qui en très-petit nombre, comme _festival_, _espirit_, venus du fond de la langue, subissaient la loi de la mode et des lettres modernes. On en remarquera dans le nombre qui n’ont pas vécu, par exemple, _astruser_, _estradiot_, _frisque_, _miste_, _ostenter_, _questueux_, _recrastiner_;--d’autres qui se sont modifiés, comme _especial_, _escorpion_, à qui l’on a ôté l’_e_ initial, cachet de leur antique origine;--d’autres, enfin, qui suivent une loi différente de celle qui régit leur racine, par exemple, _destruction_ avec l’_s_, quoiqu’on prononçât _détruire_ sans _s_; _fête_ et _festivité_; _vêtir_, _vêtement_ et _investiture_. Les uns étaient les types anciens, résistant à la mode; les autres, les dérivés frappés au coin de l’époque. C’est pourquoi j’ai tant insisté dans mon livre sur la nécessité d’avoir l’acte de naissance de chaque mot. Palsgrave a fait le même travail sur chaque consonne de l’alphabet, mais aucune n’approche de l’_s_ pour le nombre des exceptions. Les autres en présentent environ trois ou quatre exemples chacune. Après cela on ne peut accuser Palsgrave d’ignorance ni de contradiction. S’il a posé et maintenu sa règle générale, _On ne prononce jamais deux consonnes consécutives_,» c’est qu’il avait pour le faire de bonnes raisons; c’est qu’en présence de deux usages contraires, il savait bien, lui, versé dans le commerce des savants de son âge, Alain Chartier, Jean Lemaire, l’évêque d’Angoulême, distinguer la tradition ancienne de l’innovation, le principe originel du principe de la renaissance. Venons à la dernière fin de non-recevoir de M. Guessard contre Palsgrave. C’est que Palsgrave était Anglais.--Fort bien! Vous le récusez.--«J’aurais moi-même produit le passage de Palsgrave.....»--Vous l’admettez donc?..... Vous comprenez, lecteur: il l’admettra s’il trouve jour à le tourner contre moi. Alors Palsgrave sera un savant nourri en France, gradué en l’université de Paris, le plus habile maître de français que le roi Henri VIII ait pu rencontrer pour sa sœur enfin, une autorité irrécusable. Autrement, ce ne sera qu’un Anglais, et on l’immolera au bonhomme Fabri sur l’autel du _Cacephaton_. M. Guessard tient d’une main le couteau, et de l’autre l’encensoir: _in utrumque paratus_. Mais laissons-le poursuivre son propos:--«J’aurais moi-même produit ce passage de Palsgrave, et _d’autres qui en donnent le vrai sens et la portée_, si j’avais eu l’exemplaire.»--Cela sent un peu son Gascon: vous ne savez pas ce qu’il y a dans Palsgrave, et vous vous vantez de le mettre en contradiction avec lui-même!--«J’opposerai Palsgrave à Palsgrave. Dès aujourd’hui cela me serait possible, rien qu’à l’aide des textes cités par M. Génin.»--Voyons donc! Faites.--«Mais je ne veux pas être incomplet.»--Cela vaudrait toujours mieux que de rester muet.--«Il suffit d’ailleurs, pour ma thèse, de lui avoir opposé Fabri et le bon sens.»--Vous ne m’avez pas opposé Fabri, car cette opposition n’est qu’illusoire; vous ne m’avez pas opposé le bon sens, car lorsque je vous montre que votre manière d’interpréter le passage mène droit à l’absurde, vous ne répondez rien. Une preuve réellement curieuse de l’aveuglement obstiné de mon adversaire, c’est qu’il m’apporte, comme argument décisif en sa faveur, un texte que j’ignorais, et que je ne dois pas négliger de recueillir. Le lecteur jugera de quel côté ce texte fait pencher la balance. «Si un mot finit par une consonne, et que le mot suivant commence aussi par une consonne (sans aucun intermédiaire, s’entend), la consonne finale du premier mot _est toujours effacée dans le langage_, ce qui donne beaucoup de grâce et de légèreté. Mais on est tenu d’écrire ces consonnes..... Devant _t_, _l_, _m_[94], l’_s_, encore qu’elle soit écrite, _ne sonne presque jamais_. Par exemple: _mon host_, prononcez _mon ôte_.--Ung enfant _masle_, prononcez _enfant malle_; dans ce dernier cas, on double l’_l_ pour remplacer l’_s_, qui se mange. On écrit _abysme_ avec une _s_, et l’on prononce sans _s_, _abîme_. Toutes ces règles sont sujettes à beaucoup d’exceptions et de commentaires; il y faut beaucoup d’étude.» (_Docum. inéd. sur l’hist. de France. Relations des ambassadeurs vénitiens_, t. II, p. 586.) [94] L’imprimé porte «devant _li_, _lo_, _o_, _m_,» ce qui n’offre point de sens. J’ai rétabli le texte à l’aide des exemples. Cette pièce est de 1577. Rapprochez ce que dit ici Jérôme Lippomano, ou son secrétaire, de la règle donnée en 1530 par Jean Palsgrave; joignez-y le témoignage de Sylvius, et dites si le sens de Th. de Bèze peut être un moment douteux. Mais M. Guessard est inébranlable:--«Vous soutenez avec Palsgrave qu’en 1530 on n’articulait jamais qu’une consonne sur deux; moi je soutiens le contraire contre vous, et au besoin contre Palsgrave (il n’est plus aussi sûr que tout à l’heure de mettre Palsgrave de son côté). Je le soutiens avec Fabri.» (P. 359). Dites donc que vous le soutenez tout seul et contre tout le monde, et contre l’évidence. Au surplus, il y a dans cette dernière phrase de M. Guessard une finesse que je ne veux pas laisser aller inaperçue. «Vous soutenez que, _en 1530_, on n’articulait _jamais_ deux consonnes de suite.» Un moment, s’il vous plaît! Je n’ai dit cela nulle part. Vous falsifiez ma proposition en y glissant la date de 1530. J’ai posé le principe pour le moyen âge, pour le XIIe siècle, si vous voulez une date. J’ai eu bien soin au contraire de mettre à part le XVIe siècle, comme époque d’altération, d’ignorance même des lois primitives. Si j’ai cité les paroles de Bèze, c’est comme vestige de l’ancienne tradition. Je vous ai toujours reproché de vouloir attirer le débat sur le XVIe siècle, et l’y fixer. Je vous ai dit qu’il n’y avait aucune bonne foi à me représenter comme empruntant ma règle à Th. de Bèze (p. 11 de ma réponse). J’ai signalé la perfidie de votre manœuvre, lorsqu’il s’agit du moyen âge, de faire tout dépendre du témoignage d’un écrivain qui touche au XVIIe siècle. Vous n’avez pas laissé de continuer:--«M. Génin, _à l’entendre_, a voulu prouver ce principe pour le XIIe siècle, et non pour le XVIe.» A m’entendre ou à ne m’entendre pas, c’est ainsi; et pour peu que j’eusse du style matamore, je pourrais à mon tour vous _défier résolûment_ d’élever là-dessus l’ombre d’un doute.--«Ce qui ne l’empêche pas d’invoquer encore un grammairien qui écrivait en 1530[95].»--Et s’il n’y en a pas de plus ancien, qui voulez-vous donc que j’invoque en fait d’autorité dogmatique, puisque vous en demandez? Je vous cite le XVIe siècle, par surabondance de droit; et il se trouve à présent que, battu par la logique, vous l’êtes encore par toutes les autorités, même du XVIe siècle. Vous le sentez, et vous vous préparez un petit faux-fuyant par cette phrase: «Vous soutenez _qu’en 1530_ on ne prononçait _jamais_ deux consonnes de suite.» Vraiment, vous auriez trop beau jeu à me prouver qu’on les prononçait quelquefois _en 1530_. Mais ce n’est point là la question, et je ne vous laisserai pas nous donner le change en feignant de le prendre. A d’autres, Monsieur, à d’autres! J’ai fait la guerre contre les Jésuites. [95] P. 259. Ce que vous avez à établir par preuves bonnes et loyales, ce n’est pas qu’au XVIe siècle il y avait diversité, c’est que ma règle «_n’a jamais existé_,» et qu’elle est «_d’une absurdité manifeste_.» C’est là votre thèse: ne reculez pas. Réflexion faite, l’autorité de Palsgrave a paru inquiétante à M. Guessard; et, ne comptant pas trop sur ces passages contradictoires dont il se vante par anticipation, il a jugé plus prudent de l’atténuer pour le moyen âge, tout en l’admettant pour le XVIe siècle: «L’observation de Palsgrave, _généralement vraie pour le temps où elle a été écrite_, le devient beaucoup moins si on la reporte à trois ou quatre siècles en arrière.»--C’est bientôt dit; mais où est la preuve? Le critique espère se sauver ici à la faveur du vague de l’expression. Ce qu’il veut dire, le voici nettement: Eh bien! soit: il se peut, après tout, qu’au seizième siècle on ne prononçât pas deux consonnes consécutives; mais plus on s’enfoncera dans le passé, moins cette règle sera juste. En d’autres termes, M. Guessard affirme que plus notre langue vieillit, plus elle tend à s’amollir, et à se dépouiller de consonnes. Cela ne mérite pas qu’on y réponde. Dire, au contraire, que par les influences extérieures notre langage va chaque jour se durcissant et se chargeant de consonnes, c’est émettre une vérité si vulgaire qu’elle en est triviale. On ne manque jamais aujourd’hui à prononcer les consonnes consécutives[96]. En sorte que, pour appliquer le raisonnement par induction, on dira: La règle actuelle est d’articuler les consonnes consécutives; au seizième siècle, on ne les articulait que la moitié ou le quart du temps, et seulement dans les mots nouveaux; donc, _plus on recule_ vers l’origine de la langue, _moins_ ces consonnes devaient être prononcées. Mais M. Guessard, qui a une logique à lui tout seul, conclut au contraire: _plus_ elles étaient prononcées. [96] La preuve en est qu’on a pris le parti de les chasser de l’écriture dans tous les mots où la tradition trop continue ne permettait pas au langage de les recevoir. Prenez le chemin que vous voudrez, le raisonnement, les faits, l’autorité des grammairiens, vous arrivez toujours au même résultat, savoir: que ma règle est juste, et que j’ai donné le vrai sens de Théodore de Bèze. Et quand je dis que M. Guessard a fait un contre-sens, il a beau me crier sa démonstration favorite: CE N’EST PAS VRAI! (p. 358); s’il ne veut pas avouer son erreur, parce qu’il est désagréable de s’être trompé si arrogamment, cela ne l’empêchera pas d’en être convaincu aux yeux de tout lecteur impartial. Ce second article de M. Guessard se compose surtout d’observations détachées en forme de glossaire. Il est beaucoup plus long que le premier; et pour peu qu’il fallût établir sur chaque article une controverse pareille à celle qu’a soulevée le mot _geminata_, vous sentez où cela nous mènerait! Deux ou trois échantillons suffisent à faire voir avec quelle légèreté (non pas de style!), avec quelle témérité passionnée M. Guessard se lance dans la contradiction[97]. A tout prendre, j’en suis humilié; car enfin, je croyais valoir la peine qu’on y fît un peu plus de façon. [97] On ne doit rien avancer que sur de bonnes raisons, mais il en faut deux fois plus pour contredire. Celui qui affirme n’est tenu que d’avoir de quoi fonder sa conviction; celui qui contredit doit avoir en outre de quoi renverser celle de l’autre. Un pareil nombre de raisons opposées ne produirait que l’équilibre. Il y a souvent des raisons philosophiques de contredire; mais il ne paraît pas y en avoir jamais de contredire de parti pris. J’ai fait venir _âge_ de la forme ancienne _aé_, qui touche à _ætas_. Il faut voir là-dessus l’érudition et les dédains de mon critique! Je passe sa dissertation, d’après Robert Estienne, pour venir au vrai point:--«Quant à la forme _eage_ qu’on écrivait aussi _aage_, elle suppose un mot de basse latinité, comme _aagium_. Je ne trouve ni l’un ni l’autre dans Du Cange, mais j’y rencontre _aagiatus_, qui implique _aagium_.» (P. 291.) Voilà donc sur quoi l’on me condamne en termes si durs: _âge_ ne vient pas d’_aé_, mais d’_aagium_, qu’à la vérité l’on ne rencontre nulle part, mais _qui a dû exister_, puisqu’on trouve _aagiatus_. La raison est admirable! _Aagiatus_, que Du Cange cite dans un acte du temps de Charles V, c’est-à-dire de la fin du quatorzième siècle, est la traduction du français _aagié_, et Du Cange lui-même en avertit. Comme les actes publics, jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterets (1539), se faisaient en latin, on y rencontre à chaque instant des mots de la langue vulgaire, qui n’ont que la terminaison latine. On trouve aussi dans le Glossaire de Du Cange, _grossus_, _blancus_, _blancheria_, _borgnus_, _avantagium_, et une infinité d’autres semblables. Prétendre en conclure que ces mots ont existé les premiers, et ont donné naissance aux mots français correspondants, serait se moquer du monde, et c’est ce que fait M. Guessard: c’est avec un aplomb imperturbable qu’il donne la copie pour le modèle, le mot calqué pour le prototype. Pour croire à son _aagium_, j’attendrai qu’il nous donne de meilleures preuves qu’_aagiatus_, et, en attendant, je garderai mon étymologie du mot _âgé_ par _aé_. «_Port_ signifie _défilé_, et non _porte d’un défilé_, comme l’a traduit M. Génin.... _Port_ a ici le même sens que _puerto_ en espagnol, et l’un et l’autre ont pour racine commune, non pas _porta_, mais _portus_, _un port_, qui est en effet une sorte de défilé.» (P. 342.) Si M. Guessard eût pris la peine d’ouvrir Du Cange, il se fût convaincu à peu de frais de la fausseté de sa critique. Il y eût vu _pors_ traduit en latin par _portæ_; _portæ_, _angustiæ itinerum_; et en grec par _pylaï_; il se fût assuré que Jornandès et Othon de Frisingue emploient constamment ces expressions, _portas caspias_, _armenicas_, _cilicas_; _porta mœsia_; que les _pors d’Espagne_ sont, dans Roger de Hoveden, _portæ hispaniæ_; qu’ainsi l’expression se tire de l’analogie d’un défilé avec une _porte_, et non avec un _port_. Le dictionnaire espagnol-italien de Franciosini explique nettement que _puerto_ est un passage étroit entre deux montagnes, _una strettezza o passo chiuso tra un monte e l’altro_. Au reste, que _port_ vienne de _porta_ ou de _portus_, cela n’importait guère; mais M. Guessard ne voulait rien perdre de ce qui pouvait ressembler à une critique. Il ramasse jusqu’aux miettes, et puis à la fin il se donne des airs de me faire grâce: «Voilà _une faible partie des observations_ auxquelles ce livre a paru donner lieu.»--Cela me rappelle ce bon M. Gail, qui, au frontispice de ses livres, imprimait avec une exactitude rigoureuse la liste de ses titres et dignités: cela ne faisait guère moins de vingt lignes; et puis quand il avait tout passé en revue, quand il avait épuisé la nomenclature des académies françaises et étrangères, des sociétés savantes, des cordons, croix et distinctions de toute espèce, il mettait, _etc., etc., etc..._ J’avais trouvé le premier article de M. Guessard un peu long, et je l’avais dit ingénument. Le second dépasse le premier, et on lit à l’avant-dernière page: «M. Génin me reproche d’être trop long; M. Génin est un _ingrat_: il me devrait _des remercîments_ pour n’avoir fait que la moitié de la besogne qu’il a taillée à la critique.» Comment trouvez-vous ce trait final d’une diatribe de cent trente-sept pages? C’est la meilleure plaisanterie du recueil. J’avais demandé d’où vient que l’Académie, contrairement à l’usage primitif et à la logique, a consacré le mot _fort_ invariable dans cette locution: _se faire fort_ (_des Var. du lang. fr._, p. 369). «Cet article a tout lieu de surprendre dans la bouche de M. Génin. Il raisonne là comme un de ces grammairiens de profession qu’il aime tant à railler, et l’occasion était belle de donner à l’Académie une leçon d’ancien français. M. Génin aurait pu dire: L’Académie veut que _fort_ soit invariable, mais elle ne sait pas pourquoi. Moi, je vais vous l’expliquer. C’est encore un archaïsme: jadis tous les adjectifs, comme _grand_, _fort_, _vert_, n’avaient qu’une seule et même forme pour le masculin et le féminin, comme en latin _grandis_, _fortis_, _viridis_.» Il est vrai que je n’ai point pris le ton de cette prosopopée avantageuse ordonnée par l’impérieux M. Guessard: MOI, _je vais vous expliquer_...! J’ai des habitudes moins altières. Mais, sans ouvrir une si grande bouche, j’ai dans mon ouvrage exposé cette théorie des adjectifs sur les mots _grand_, _fort_, _vert_, et plus complétement que ne fait ici M. Guessard[98]. J’y montre comment l’adjectif, invariable en genre, ne l’était qu’à la condition de précéder immédiatement son substantif. Qu’ainsi l’on disait: «Moult y ot _grant noise_ et _grant presse_;» et: «Or fut au lit _grande_ la _noise_,» à cause de l’article interposé; qu’on disait une _grant cave_, et: «Saül trouva une cave _grande_.» [98] Voy. _des Var. du lang. fr._, p. 226 et suiv. Or, quand on dit _cette femme se fait fort pour son mari_, l’adjectif _fort_ suit son substantif _femme_; donc il doit varier. Guillemette, après avoir récité à son mari, _l’Avocat Patelin_, la fable du renard happant le fromage du corbeau, ajoute: Ainsi est-il, _je m’en fais forte_, De ce drap vous l’avez happé Par blasonner, et attrapé. (_Pathelin_.) «Nous nous faisons _fortes_ pour luy.» (_Petit Jehan de Saintré._) Les exemples cités par M. Guessard lui-même confirment la règle que j’ai posée, et qui reste debout, quoique M. Guessard ait affirmé, au début de sa diatribe, que _pas une_ de ces règles ne pourrait lui résister.--«D’une _fort fievre_ dont il avoit esté menacé.» (_Recueil des histor. de France_, III, 284.)--«Deux _citez_ des plus _forz_ de soz le ciel.» (VILLEHARDOUIN)[99]. [99] On se tromperait de croire que, dans ce second exemple, l’adjectif suit son substantif; il faut tenir compte de l’ellipse: deux citez des plus _forz citez_ de France. M. Guessard propose donc ici une fausse application du principe, et réclame comme à faire ce que j’ai fait et au delà. Je ne puis supposer qu’il n’ait pas lu mon livre; par conséquent il n’ignorait pas la distinction que j’ai établie; puisqu’il ne la combat pas, il l’admet: alors que signifient et l’étonnement qu’il affecte, et sa manière de résoudre la difficulté par une erreur? Ce passage n’est pas le seul qui réduisît M. Guessard à l’alternative fâcheuse de s’avouer étourdi ou de mauvaise foi. Si j’avais seulement la moitié de sa témérité, je n’hésiterais pas à lui soutenir qu’il n’a pas lu ce qu’il critique; et les preuves à l’appui de cette assertion ne me manqueraient pas, car il me pose souvent comme invincibles des objections que j’avais prévues et résolues d’avance. Par exemple, sur le mot _rien_. J’ai mis en principe que cet adverbe, affirmatif en soi, n’avait de valeur négative qu’en vertu d’une négation adjointe. Que fait M. Guessard? Il m’allègue des exemples où _rien_ nie évidemment, sans être accompagné d’aucune négation exprimée; cela semble péremptoire: Et sa morale, faite à mépriser le bien, Sur l’aigreur de sa bile opère comme _rien_. (MOLIÈRE.) Mais ici, et dans une foule de cas semblables, la négation est enfermée dans l’ellipse, sans laquelle il est impossible d’analyser la phrase, ni même d’entendre la pensée: Sa morale opère comme _rien n’opère_. Est-il venu quelqu’un?--_Personne_. Voyez-vous beaucoup de monde?--_Ame qui vive_. Il serait trop plaisant qu’on vînt soutenir que _personne_, _âme_, sont des mots négatifs par eux-mêmes, sous prétexte qu’ils servent à nier sans l’addition de _ne_. _Ne_ est dans l’ellipse: il _n_’est venu _personne_; je _ne_ vois _âme_ qui vive. La vivacité du dialogue fait que l’on court aux derniers mots; mais grammaticalement les premiers sont toujours supposés. Autre exemple:--Ce critique a-t-il de la bonne foi?--_Guère_. Tout le monde comprend cela: il _n_’en a _guère_; c’est évident! Bien que la négation soit encore dans l’ellipse, personne ne s’y trompera, et n’ira comprendre que le critique a beaucoup de bonne foi. Tout cela est bien expliqué aux pages 504 à 505 de mon livre; mais M. Guessard, cette fois encore, n’a point voulu voir. Seulement il montre un moment cette explication comme de lui, et comme une conjecture possible de son antagoniste; et il se hâte de déclarer «qu’il serait _prodigieux_ de sous-entendre dans une phrase négative ce qui lui donne précisément sa force négative, à savoir la négation.» (Page 345.) Dans une phrase complète, soit; dans une elliptique, non; et voilà toute la finesse: elle n’est pas grande! Si cela est _prodigieux_, il faut que M. Guessard se résigne à ce prodige, ou à soutenir que _personne_ et _âme_ sont des négations. Par une autre malice aussi ingénieuse, il affecte de confondre dans ses exemples _rien_, adverbe, avec _un rien_, substantif, afin de les soumettre à une loi commune. Sa discussion est un mélange d’éléments hétérogènes, qui déroutent le lecteur peu habitué, et l’entraînent d’un principe faux à une conséquence fausse. Une autre encore de ses adresses, est de réfuter en termes généraux ce qu’il ne pourrait attaquer d’une manière directe et de front, en citant le texte. Quoi de plus simple que ce que je viens de dire sur la négation tantôt exprimée, tantôt elliptique? Un enfant le saisirait. Aussi M. Guessard s’est-il bien gardé de le reproduire! il n’aurait pas ensuite pu brouiller quatre pages sur _rien_. Voici donc comment il s’exprime: «C’est une chose curieuse que de considérer _les artifices d’analyse_ auxquels M. Génin se livre, _les subterfuges_, _les faux-fuyants_ où il s’engage pour échapper à l’évidence qui le poursuit, et surtout pour se donner le plaisir de fustiger l’Académie.» (Page 344.) Me voilà réfuté sans avoir été cité. Tous ces artifices d’analyse, ces subterfuges, ces faux-fuyants, vous avez vu à quoi cela se réduit. Et comme M. Guessard ne peut supposer dans autrui moins que le mensonge, et le mensonge dans des vues odieuses, il prend sur lui d’affirmer que je m’efforce d’_échapper à l’évidence qui me poursuit_; et pourquoi? Pour _me donner le plaisir de fustiger l’Académie_! M. Guessard estime bien haut le plaisir de fustiger! C’est qu’il faut savoir que M. Guessard a résolu de se faire accepter pour le vengeur de l’Académie, et de réduire en poudre les censures que j’ai osé porter contre la dernière édition du célèbre Dictionnaire[100]. A voir le zèle singulier qu’il apporte dans cette tâche, on croirait volontiers que toute sa polémique n’a été entreprise que pour en venir là. Si ce zèle est sincère, s’il est pur de toute vue intéressée, je n’ai, sauf les conclusions grammaticales, rien à y reprendre. Mais jusqu’ici, je l’avoue, je n’ai pas cru que l’excès de générosité fût le défaut de M. Guessard. Comment donc M. Guessard, habituellement si farouche, si ardent à mordre, devient-il tout à coup si doux, si indulgent, si tendre, quand il s’agit de l’Académie? Comment tout son fiel s’est-il changé en miel? Quelle ardeur à défendre les choses les moins défendables, par exemple: _rien_, donné pour adverbe de négation! S’il eût trouvé cette erreur dans mon livre, eût-il amoncelé cinq pages d’arguments pour la défendre? J’en doute fort. «M. Génin rit de l’Académie! L’académie aurait beau jeu pour _renvoyer la balle_ à son aristarque!..... L’Académie pourrait rendre à M. Génin _la monnaie de sa pièce_!» (P. 332 et 335.) Comme on reconnaît dans ces nobles métaphores le langage exalté de la passion! C’est que M. Guessard peut bien plaisanter quand il ne s’agit que de la science; mais blesser l’Académie, c’est le blesser lui-même à l’endroit le plus sensible; alors il s’irrite, il s’indigne, il s’échauffe jusqu’à la prosopopée, sa figure favorite. Voici comme il fait parler l’Académie, se justifiant d’avoir reçu _mie_ substantif tronqué, pour _amie_[101]: --«Jugez un peu de son embarras! L’infortuné jeune homme eût été capable de le confondre avec _mie de pain_; et si par ma faute il était tombé dans une telle erreur, il n’aurait pas eu assez de tout son esprit pour me railler; dans son dépit, Monsieur, il eût encore emprunté le vôtre; et alors c’eût été fait de moi! on eût bientôt lu, sur le monument élevé à ma mémoire: Ci-gît l’Académie française, morte des traits d’esprit que lui décochèrent un jour M. Génin et un jeune Prussien. Priez pour elle!» (P. 333.) [100] Un des moyens de M. Guessard pour innocenter l’Académie consiste à dire que son dictionnaire _est un almanach_. «Il fallait négliger les vieilles expressions (celles de Molière) dans un almanach de la langue. Le Dictionnaire de l’Académie, tel qu’il a été conçu et exécuté, est cet almanach.» (P. 314.) C’est le cas de lui citer deux vers des _Ménechmes_: Monsieur, une autre fois, ou bien ne parlez pas, Ou prenez, s’il vous plaît, de meilleurs almanachs. [101] Je ne lui reprochais pas l’admission de ce mot, mais de n’y avoir pas joint un avertissement. J’avais supposé un jeune étranger cherchant inutilement dans le Dictionnaire de l’Académie certains mots de Molière. Je ne pense pas que l’Académie se reconnaisse à ce langage. Elle sera touchée, comme elle doit l’être, de la protection que lui accorde M. Guessard; mais je suis bien trompé, si jamais elle lui donne chez elle la charge d’orateur. Si elle couronne quelque chose de M. Guessard, ce ne sera pas ce discours-là[102]. [102] M. Guessard et moi concourions alors pour le prix sur la langue de Molière. L’Académie l’a partagé entre nous deux; mais les amis et admirateurs de M. Guessard écrivent, dans l’_Univers_, qu’une fausse couleur de voltairianisme répandue dans mes écrits «a trompé le goût émoussé de quelques vieillards, et qu’ainsi s’expliquent les récents succès de M. Génin à l’Académie française.» (L’_Univers_ du 24 octobre 1846.) C’est de la part des amis de M. Guessard un vote de confiance contre moi, car je ne suppose pas que l’Académie ait communiqué mon manuscrit aux abbés de l’_Univers_. Mais je le publie, et ils pourront désormais me déchirer sans trahir l’excès de leur passion par l’excès de leur maladresse. Si mon travail resserré en un volume est incomplet, il sera complété par la publication de celui de M. Guessard, bien autrement important, puisque, au su de tout le monde, le manuscrit ne formait pas moins de _dix volumes in-folio_. (Note écrite au mois d’octobre.) Mon adversaire a manqué d’art, sinon d’artifice, dans son procédé. Sa manœuvre est trop à découvert; les tons de son tableau sont trop crus et trop heurtés; il a trop négligé les ombres et les voiles, _partes velare tegendas_. Le contraste perpétuel qu’il a soin d’établir sous les yeux de l’Académie entre sa conduite et la mienne, entre mes censures et ses apologies, pourra choquer la délicatesse de ceux-là même qui se sont montrés offensés de mes critiques. M. Guessard s’alarme avec trop de faste d’un danger qui n’a point d’apparence; il s’empresse trop de jeter des cris de détresse et de voler au secours. Il voudrait faire croire que l’Académie a peur de moi, et _par conséquent_ besoin de lui. C’est se faire de fête où l’on n’est point nécessaire, et l’Académie est assez forte toute seule. Apparemment M. Guessard trouve dans son rôle de grands sujets d’espérance: je ne vois dans le mien aucun sujet d’inquiétude. Ainsi nous avons tous deux bonne confiance en l’Académie, mais par des motifs diamétralement opposés. En cet endroit, si l’on me trouve obscur, c’est que j’aime mieux manquer de clarté que de pudeur. Avant peu, l’on connaîtra le secret de cette polémique, et l’on pourra dignement apprécier le bon goût, l’élévation d’âme qui a combiné cette défense de l’Académie auprès de ces attaques contre mon ouvrage. Je ne sais quel en sera le dernier succès; je sais seulement qu’en certaines circonstances données, les flatteries me sembleraient plus injurieuses que les censures. Les raisons de M. Guessard en faveur de l’Académie se présentent avec une négligence qui provoque l’attaque par l’appât d’une victoire aisée. Le piége est bien grossier! Je l’ai vu, je le méprise, et je passe. La lecture de cette immense diatribe m’a pourtant appris quelque chose dont, je l’avoue, je ne me doutais pas: c’est que je n’ai pas fait mon livre; je l’ai pillé de tous côtés. Si j’en crois la formidable mémoire de mon critique, il n’est personne parmi les vivants ou les morts qui n’ait à revendiquer son bien dans ce que je croyais mon ouvrage. M. Raynouard, M. Ampère, M. Paulin Paris, M. Francis Wey, M. Francisque Michel, M. Guessard lui-même (_proh pudor!_), Robert Estienne, Fabry, Roquefort, Du Cange, l’_inappréciable Du Cange_ (Du Cange n’attendait plus que cette épithète de M. Guessard), tous ces noms ne forment pas la moitié de la litanie des savants dépouillés par mes larcins: larcin est le mot, car M. Guessard ne suppose jamais qu’on ne sache point par cœur ses écrits et ceux de ses amis; il n’admet pas de rencontre fortuite, ce sont toujours des vols prémédités: or, il ne reçoit dans un livre de philologie que des idées toutes neuves, absolument inédites; ou bien, chaque fois qu’on passe devant une idée précédemment effleurée ou entrevue par un autre, il faut tirer son chapeau et rendre hommage. C’est ainsi qu’on en use dans les coteries du jour:--Je suis redevable de ce mot au savant M. un tel, dont l’inépuisable érudition égale l’obligeance infatigable. Je le prie de recevoir ici mes remercîments.--Le lendemain, M. un tel fait imprimer à son tour, et n’oublie pas de mettre en note dans le bel endroit:--Je saisis cette occasion d’offrir le tribut de ma reconnaissance publique à mon savant ami M. tel autre, dont les vastes lumières sont d’un si grand secours à tous ceux qui s’occupent de ces questions.--La France s’honore de ses travaux!--l’étranger nous l’envie! etc., etc. C’est ainsi qu’à propos de tout et de rien, d’un manuscrit indiqué, d’une syllabe restituée, d’une virgule rectifiée, on sonne des fanfares mutuelles, on se fait connaître réciproquement, on se tient, on se pousse, on arrive à quelque chose, ne fût-ce qu’à la croix d’honneur; on obtient le grand résultat, le résultat unique qui se poursuive aujourd’hui, et n’importe par quel chemin: paraître, faire du bruit, être quelqu’un, _esse aliquis!_ Nous avons continuellement sous les yeux la scène de Trissotin et Vadius: ils n’en ont retranché que la fin; ils ne déposent plus l’encensoir pour se gourmer et se prendre aux cheveux; l’art de donner le coup de poing et le croc-en-jambe ne s’exerce plus qu’envers les membres d’une coterie adverse; et, naturellement, qui n’appartient à aucune les a toutes contre soi. De même que dans les salles d’escrime chaque maître bretteur a sa botte secrète et favorite, de même ici j’observe que cette accusation de plagiat paraît être la botte secrète, le moyen victorieux de M. Guessard. Voici la formule fondamentale mise à nu: Ce qui est de vous est détestable; ce qui est bon n’est pas de vous. Lorsque M. Ampère publia son _Histoire de la formation de la langue française_, le même M. Guessard précipita sur ce livre son avalanche de petites critiques pointues, nébuleuses, douteuses, entortillées, auxquelles le lecteur a plus tôt fait de se rendre sans conviction que de les examiner à la loupe, avec la certitude de plusieurs migraines. Ce n’est point faire un grand compliment à M. Ampère que de répéter ici que sa science est hors de doute. Écoutez cependant M. Guessard: «L’ouvrage de M. Ampère _n’est pas original, il s’en faut!_ Il ne l’est ni dans la théorie générale, ni dans les détails. M. Ampère _a emprunté son système sur la formation des langues néo-latines à Scipion Maffei_, l’a habillé d’un surtout indo-européen, et l’a présenté au lecteur ainsi déguisé. A côté de ce système s’élevait celui de _M. Raynouard_; M. Ampère l’a attaqué et renversé _avec les armes de M. Fauriel_...» Le reste de ce long passage constitue M. Ampère débiteur de M. Dietz, de M. Schlegel, de M. Orell, de M. Lewis; et quand il est à bout de noms propres, M. Guessard fait arriver les complaisants _et cætera_ de M. Gail, qui du moins ne les employait, lui, qu’à se louer, et non pas à diffamer les autres. Un petit détail entre mille, pour faire apprécier la méthode et la sincérité de M. Guessard. M. Ampère n’a pas cru devoir reconnaître aux dialectes l’importance que leur attribuait le livre de Fallot, en quoi je suis parfaitement de son avis; de sorte que M. Ampère, ni moi, ne nous en sommes point occupés. M. Guessard trouva que c’était une impardonnable lacune dans M. Ampère.--«Une grande question et neuve, celle des dialectes, offrait à l’historien de la langue française l’occasion de déployer toute sa sagacité philologique; mais il n’existait sur ce sujet qu’un livre, un seul, imparfait, inexact même. L’analyser était imprudent; (pourquoi?) pour le refaire il fallait du temps, _et le reste_. M. Ampère a nié l’importance du problème, et par là il s’est évité de le résoudre.» (_Bibliot. de l’Éc. des chartes_, octobre 1831, p. 100.) Maintenant il s’agit de blâmer le même tort chez moi, et surtout de l’aggraver le plus possible: «Tout autre que M. Génin, qui aurait pris pour sujet l’histoire de la formation de la langue française, _aurait pu, sans trop d’inconvénient, négliger les dialectes_; cette négligence n’était pas permise dans un livre sur la prononciation.» (_Biblioth. de l’Éc. des chartes_, janvier 1846, p. 198.) Ainsi, en 1841, M. Guessard déclare le péché de M. Ampère irrémissible: Négliger les dialectes dans une _histoire de la formation de la langue_! ô ciel!..... En 1846, je comparais à mon tour au tribunal de la pénitence. Aussitôt M. Ampère se trouve innocent, et l’anathème passe de sa tête sur la mienne: On pourrait sans inconvénient négliger les dialectes dans une _histoire de la formation de la langue_; mais dans les _Variations du langage français_, c’est impardonnable. Cela ressemble un peu à la casuistique des révérends pères Jésuites, qui prisent si haut dans leur journal l’esprit charmant et la vaste érudition de M. Guessard. Comme eux, M. Guessard a ses principes de rechange, selon les temps et les gens; ce système n’est pas moins commode en critique qu’en morale, et je ne suis pas surpris que cette théologie prête la main à cette philologie: ce sont des sœurs qui s’embrassent: _geminata consonans_. On vient de voir comment M. Guessard juge une moitié du livre de M. Ampère, la moitié d’emprunt; quant à l’autre partie, celle qui appartient en propre à l’auteur, écoutez le ton dogmatique de M. Guessard, présidant du haut de son tribunal infaillible: --«Je vois un mauvais système mal appliqué, au fond; dans la forme, nul enchaînement, nulle suite, nul ordre rigoureux. Beaucoup de lecture et d’acquit, mais peu ou point d’intelligence directe du sujet. Du métier, de la science, _si l’on veut_, mais point d’études mûres et profondes sur les faits (_des études mûres et profondes!_); _des généralisations indiscrètes_[103]; trop de détails puérils ou faux.» (_Bibl. de l’Éc. des ch., octobre_ 1841, p. 101.) [103] C’est aussi le principal grief de M. Guessard contre mon ouvrage. M. Guessard paraît nourrir des prétentions extrêmes au titre de personnage discret; c’est pour y arriver qu’il écrit des articles de 137 pages, ayant soin d’avertir, il est vrai, que ce n’est là qu’une faible partie de ce qu’il a sur le cœur. En d’autres termes: Ce qui est de vous est détestable; ce qui est bon n’est pas de vous. M. Guessard a-t-il, comme il y visait, détruit le livre de M. Ampère? Pas le moins du monde. Dans les citations précédentes, substituez mon nom à celui de M. Ampère, vous aurez la critique que M. Guessard a faite de mon livre, la seule apparemment qu’il sache faire. Quand M. Guessard publiera des travaux philologiques, ces travaux seront tous _di prima intenzione_; il ne s’appuiera sur rien ni sur personne; il tirera tout de son imagination et de son génie. Mais quand en publiera-t-il? quand luira ce grand jour? Gare qu’on ne puisse appliquer trop justement à M. Guessard l’épigramme de J. B. Rousseau: Petits auteurs d’un fort mauvais journal, Pour Dieu, tâchez d’écrire un peu moins mal, Ou taisez-vous sur les écrits des autres. Vous vous tuez à chercher dans les nôtres De quoi blâmer, et l’y trouvez très-bien; Nous, au rebours, nous cherchons dans les vôtres De quoi louer, et nous n’y trouvons rien. J’avais déclaré ne travailler que pour la recherche de la vérité; M. Guessard m’exhorte à ne travailler désormais que pour l’argent, parce que la vérité, dit-il, me fuira toujours. Je ne crois pas plus à cet oracle qu’aux autres sortis de la même bouche, et je renvoie le conseil à son auteur, qui seul de nous deux est digne de le suivre, ayant été capable de le donner. Veuillez recevoir, Monsieur et cher Éditeur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués et affectueux. Paris, le 30 octobre 1846. F. GÉNIN, Professeur à la Faculté des lettres de Strasbourg. _P. S._ On vient de me montrer, dans un journal _religieux_[104], deux articles où je suis diffamé, travesti, calomnié, insulté, _etc._, pour la plus grande gloire de M. Guessard et de saint Ignace de Loyola. Depuis la publication de mes _Jésuites_, l’_Univers_ s’efforce charitablement d’appeler sur moi les rigueurs du pouvoir; depuis notre concours sur la langue de Molière, M. Guessard sollicitait _discrètement_ contre mes travaux le ressentiment de l’Académie; tous deux travaillent à me perdre dans l’opinion publique. Aimable concert! pieuse collaboration! association honnête et morale! M. Guessard connaît sans doute l’écrivain anonyme qui le porte aux nues, et reproduit si affectueusement ses doctrines et ses objections contre mon livre (sans dire un mot de mes réponses). Pour moi, je ne le connais ni ne veux le connaître. Je vois seulement que M. Guessard a pour soi l’_Univers_; mais comme c’est l’_Univers_ qui loge rue du Vieux-Colombier, n° 29, je ne m’en inquiète guère: j’ai depuis longtemps renoncé à l’espoir d’être canonisé par les jésuites; au contraire, je suis ravi de voir les opinions de M. Guessard soutenues par la Société de Jésus: d’une et d’autre part l’orthodoxie me semble égale, et j’espère que les deux causes, unies dans la défense, ne seront point séparées dans le succès définitif. [104] L’_Univers_ du 24 et du 25 octobre 1846. * * * * * Corrections. Page XL: «dix-hutième» remplacé par «dix-huitième» (comédies du dix-huitième siècle). Page 10: «apetiser» remplacé par «apetisser» (comme dans _alentir_, _apetisser_, _agrandir_). Page 29: «courrons» remplacé par «courons» (Allons, courons _avant que_ d’avec eux). Page 35: «_bragain_» remplacé par _bargain_» (racine _bargain_). Page 51: «_n_» remplacé par «_a_» (du simple _c_ devant _o_ et _a_). Page 55: «chapitre» remplacé par «chapitres» (j’ai maints chapitres _vus_). Page 61: «Tartuffe» remplacé par «Tartufe» (_Préf. de Tartufe._). Page 83: «constrastar» remplacé par «contrastar» (Les Italiens disent _contrastar_). Page 106: «duisez» remplacé par «disez» (_vous disez_ et _vous contredisez_). Page 114: «Georges» remplacé par «George» (George Dandin finit par _avoir le dessous_). Page 137: «Tartuffe» remplacé par «Tartufe»: des traits effrontés (Préf. de Tartufe.). Page 150: «boétiques» remplacé par «béotiques» (Et tandis qu’au milieu des béotiques plaines). Page 196: «_gautl_» remplacé par «_gault_» (e cil _gault_ sont foilli). Page 220: «suprimant» remplacé par «supprimant» (après un subjonctif, en supprimant _que_). Page 259: «COUP» remplacé par «COUPS» (NUAGE DE COUPS DE BATONS). Page 286: «d’adjectif» remplacé par «l’adjectif» (ce que c’était que l’adjectif verbal). Page 310: «cette cette» remplacé par «cette» (dans cette locution). Page 332: «adverve» remplacé par «adverbe» (3º L’adverbe _quàm_). Page 431: «auto-torité» remplacé par «autorité» (une autorité illusoire). Page 449: «seu-ment» remplacé par «seulement» (et seulement dans les mots nouveaux). End of the Project Gutenberg EBook of Lexique comparé de la langue d Molière et des écrivains du , by François Génin *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LEXIQUE COMPARÉ DE LA LANGUE *** ***** This file should be named 53331-0.txt or 53331-0.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/5/3/3/3/53331/ Produced by Anna Tuinman, Hugo Voisard, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. They may be modified and printed and given away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is unprotected by copyright law in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country outside the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. 1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg-tm License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided that * You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." * You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm works. * You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. * You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg-tm works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread works not protected by U.S. copyright law in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.