The Project Gutenberg EBook of Don Juan, ou le Festin de pierre by Moliere [Jean-Baptiste Poquelin] #5 in our series by Moliere [Jean-Baptiste Poquelin] Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. You can also find out about how to make a donation to Project Gutenberg, and how to get involved. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Title: Don Juan, ou le Festin de pierre Author: Moliere [Jean-Baptiste Poquelin] Release Date: May, 2004 [EBook #5130] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on May 5, 2002] Edition: 10 Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, DON JUAN, OU LE FESTIN DE PIERRE *** This eBook was produced by Laurent Le Guillou . Title: Don Juan, ou le Festin de pierre Language: French Encoding: ASCII Source: Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673), alias Moliere, "Oeuvres de Moliere, avec des notes de tous les commentateurs", Tome Premier, Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie, Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56, 1890. Pages 449-512. [Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because they provide the meanings of old French words or expressions. Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped at the end of the Etext. Downcase accents have been kept, but not upcase accents (not well supported by all software). Text encoding is iso-8859-1.] DON JUAN ou LE FESTIN DE PIERRE Comedie (1663) PERSONNAGES ACTEURS Don Juan, fils de don Louis. La Grange. Sganarelle. Moliere. Elvire, maitresse de don Juan. Mlle Du Parc. Gusman, ecuyer d'Elvire. Don Carlos, Don Alonse, freres d'Elvire. Don Louis, pere de don Juan. Bejart. Francisque, pauvre. Charlotte, Mlle Moliere. Mathurine, paysannes. Mlle de Brie. Pierrot, paysan. Hubert. La Statue du Commandeur. La Violette, Ragotin, valets de don Juan. M. Dimanche, marchand. Du Croisy. La Ramee, spadassin. De Brie. Suite de don Juan. Suite de don Carlos et don Alonse, freres. Un spectre. La scene est en Sicile. ACTE PREMIER. ------------- Le theatre represente un palais. Scene premiere. - Sganarelle, Gusman. - Sganarelle - (tenant une tabatiere.) Quoi que puisse dire Aristote, et toute la philosophie, il n'est rien d'egal au tabac ; c'est la passion des honnetes gens ; et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il rejouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les ames a la vertu, et l'on apprend avec lui a devenir honnete homme. Ne voyez-vous pas bien, des qu'on en prend, de quelle maniere obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner a droite et a gauche, partout ou l'on se trouve ? On n'attend pas meme qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens ; tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu a tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matiere, reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que done Elvire, ta maitresse, surprise de notre depart, s'est mise en campagne apres nous ; et son coeur, que mon Maitre a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu qu'entre-nous je te dise ma pensee ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payee de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagne a ne bouger de la. - Gusman - Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure ? Ton maitre t'a-t-il ouvert son coeur la-dessus, et t'a-t-il dit qu'il eut pour nous quelque froideur qui l'ait oblige a partir ? - Sganarelle - Non pas ; mais, a vue de pays, je connais a peu pres le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerais presque que l'affaire va la. Je pourrais peut-etre me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'experience m'a pu donner quelques lumieres. - Gusman - Quoi ! ce depart si peu prevu serait une infidelite de don Juan ? il pourrait faire cette injure aux chastes feux de done Elvire ? - Sganarelle - Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage... - Gusman - Un homme de sa qualite ferait une action si lache ! - Sganarelle - He ! oui, sa qualite ! La raison en est belle ; et c'est par la qu'il s'empecherait des choses ! - Gusman - Mais les saints noeuds du mariage le tiennent engage. - Sganarelle - He ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est don Juan. - Gusman - Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut etre, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme, apres tant d'amour et tant d'impatience temoignee, tant d'hommages pressants, de voeux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnees, de protestations ardentes et de serments reiteres, tant de transports enfin, et tant d'emportements qu'il a fait paraitre, jusqu'a forcer, dans sa passion, l'obstacle sacre d'un couvent, pour mettre done Elvire en sa puissance ; je ne comprends pas, dis-je, comme apres tout cela, il aurait le coeur de pouvoir manquer a sa parole. - Sganarelle - Je n'ai pas grande peine a le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pelerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait change de sentiments pour done Elvire, je n'en ai point de certitude encore. Tu sais que, par son ordre, je partis avant lui ; et depuis son arrivee, il ne m'a point entretenu ; mais par precaution, je t'apprends, "inter nos", que tu vois, en don Juan mon maitre, le plus grand scelerat que la terre ait jamais porte, un enrage, un chien, un diable, un Turc, un heretique, qui ne croit ni ciel, ni saint, ni Dieu, ni loup-garou, qui passe cette vie en veritable bete brute ; un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille a toutes les remontrances chretiennes qu'on lui peut faire, et traite de billevesees tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a epouse ta maitresse ; crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore epouse, toi, son chien, et son chat. Un mariage ne lui coute rien a contracter ; il ne se sert point d'autres pieges pour attraper les belles ; et c'est un epouseur a toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a epousees en divers lieux, ce serait un chapitre a durer jusqu'au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur a ce discours ; ce n'est la qu'une ebauche du personnage, et, pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du ciel l'accable quelque jour ; qu'il me vaudrait bien mieux d'etre au diable que d'etre a lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fut deja je ne sais ou. Mais un grand seigneur mechant homme est une terrible chose : il faut que je lui sois fidele, en depit que j'en aie ; la crainte en moi fait l'office du zele, brise mes sentiments, et me reduit d'applaudir bien souvent a ce que mon ame deteste. Le voila qui vient se promener dans ce palais, separons-nous. Ecoute au moins ; je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il fallait qu'il en vint quelque chose a ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti. ----------- Scene II. - Don Juan, Sganarelle. - Don Juan - Quel homme te parlait la ? Il a bien l'air, ce me semble, du bon Gusman de done Elvire ? - Sganarelle - C'est quelque chose aussi a peu pres comme cela. - Don Juan - Quoi ! c'est lui ? - Sganarelle - Lui-meme. - Don Juan - Et depuis quand est-il en cette ville ? - Sganarelle - D'hier au soir. - Don Juan - Et quel sujet l'amene ? - Sganarelle - Je crois que vous jugez assez ce qui le peut inquieter. - Don Juan - Notre depart, sans doute ? - Sganarelle - Le bonhomme en est tout mortifie, et m'en demandait le sujet. - Don Juan - Et quelle reponse as-tu faite ? - Sganarelle - Que vous ne m'en aviez rien dit. - Don Juan - Mais encore, quelle est ta pensee la-dessus, que t'imagines-tu de cette affaire ? - Sganarelle - Moi ! Je crois, sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en tete. - Don Juan - Tu le crois ? - Sganarelle - Oui. - Don Juan - Ma foi, tu ne te trompes pas, et je dois t'avouer qu'un autre objet a chasse Elvire de ma pensee. - Sganarelle - He ! mon Dieu ! je sais mon don Juan sur le bout du doigt, et connais votre coeur pour le plus grand coureur du monde ; il se plait a se promener de liens en liens, et n'aime guere a demeurer en place. - Don Juan - Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raison d'en user de la sorte ? - Sganarelle - He ! Monsieur... - Don Juan - Quoi ? Parle. - Sganarelle - Assurement que vous avez raison, si vous le voulez ; on ne peut pas aller la contre. Mais si vous ne vouliez pas, ce serait peut-etre une autre affaire. - Don Juan - Et bien, je te donne la liberte de parler, et de me dire tes sentiments. - Sganarelle - En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre methode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous cotes comme vous faites. - Don Juan - Quoi ! tu veux qu'on se lie a demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'etre fidele, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'etre mort des sa jeunesse a toutes les autres beautes qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'etre rencontree la premiere ne doit point derober aux autres les justes pretentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beaute me ravit partout ou je la trouve ; et je cede facilement a cette douce violence dont elle nous entraine. J'ai beau etre engage, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon ame a faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le merite de toutes, et rends a chacune les hommages et les tributs ou la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon coeur a tout ce que je vois d'aimable ; et des qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, apres tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goute une douceur extreme a reduire, par cent hommages, le coeur d'une jeune beaute, a voir de jour en jour les petits progres qu'on y fait, a combatre, par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une ame qui a peine a rendre les armes ; a forcer pied a pied toutes les petites resistances qu'elle nous oppose, a vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement ou nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maitre une fois, il n'y a plus rien a dire, ni rien a souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillite d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient reveiller nos desirs, et presenter a notre coeur les charmes attrayants d'une conquete a faire. Enfin, il n'est rien de si doux que de triompher de la resistance d'une belle personne ; et j'ai, sur ce sujet, l'ambition des conquerants, qui volent perpetuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se resoudre a borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arreter l'impetuosite de mes desirs ; je me sens un coeur a aimer toute la terre ; et, comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eut d'autres mondes, pour y pouvoir etendre mes conquetes amoureuses. - Sganarelle - Vertu de ma vie ! comme vous debitez ! Il semble que vous ayez appris cela par coeur, et vous parlez tout comme un livre. - Don Juan - Qu'as-tu a dire la-dessus ? - Sganarelle - Ma foi, j'ai a dire... Je ne sais que dire ; car vous tournez les choses d'une maniere, qu'il semble que vous avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l'avez pas. J'avais les plus belles pensees du monde, et vos discours m'ont brouille tout cela. Laissez faire ; une autre fois, je mettrai mes raisonnements par ecrit, pour disputer avec vous. - Don Juan - Tu feras bien. - Sganarelle - Mais, Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m'avez donnee, si je vous disais que je suis tant soit peu scandalise de la vie que vous menez ? - Don Juan - Comment, quelle vie est-ce que je mene ? - Sganarelle - Fort bonne. Mais par exemple, de vous voir tous les mois vous marier comme vous faites ! - Don Juan - Y a-t-il rien de plus agreable ? - Sganarelle - Il est vrai. Je concois que cela est fort agreable et fort divertissant, et je m'en accommoderais assez, moi, s'il n'y avait point de mal ; mais, Monsieur, se jouer ainsi d'un mystere sacre, et... - Don Juan - Va, va, c'est une affaire entre le ciel et moi, et nous la demelerons bien ensemble sans que tu t'en mettes en peine. - Sganarelle - Ma foi, Monsieur, j'ai toujours oui dire que c'est une mechante raillerie que de se railler du ciel, et que les libertins ne font jamais une bonne fin. - Don Juan - Hola ! maitre sot. Vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances. - Sganarelle - Je ne parle pas aussi a vous, Dieu m'en garde ! Vous savez ce que vous faites, vous, et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons : mais il y a certains petits impertinents dans le monde qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien ; et si j'avais un maitre comme cela, je lui dirais fort nettement, le regardant en face : Osez-vous bien ainsi vous jouer du ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes ? C'est bien a vous, petit ver de terre, petit myrmidon que vous etes, (je parle au maitre que j'ai dit), c'est bien a vous a vouloir vous meler de tourner en raillerie ce que tous les hommes reverent ? Pensez-vous que, pour etre de qualite, pour avoir une perruque blonde et bien frisee, des plumes a votre chapeau, un habit bien dore, et des rubans couleur de feu, (ce n'est pas a vous que je parle, c'est a l'autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos verites ? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le ciel punit tot ou tard les impies, qu'une mechante vie amene une mechante mort, et que... - Don Juan - Paix ! - Sganarelle - De quoi est-il question ? - Don Juan - Il est question de te dire qu'une beaute me tient au coeur, et qu'entraine par ses appas, je l'ai suivie jusqu'en cette ville. - Sganarelle - Et n'y craignez-vous rien, Monsieur, de la mort de ce commandeur que vous tuates il y a six mois ? - Don Juan - Et pourquoi craindre ? ne l'ai-je pas bien tue ? - Sganarelle - Fort bien, le mieux du monde ; et il aurait tort de se plaindre. - Don Juan - J'ai eu ma grace de cette affaire. - Sganarelle - Oui, mais cette grace n'eteint pas peut-atre le ressentiment des parents et des amis, et... - Don Juan - Ah ! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement a ce qui nous peut donner du plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancee, la plus agreable du monde, qui a ete conduite ici par celui meme qu'elle y vient epouser ; et le hasard me fit voir ce couple d'amants trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes etre si contentes l'une de l'autre, et faire eclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'emotion ; j'en fus frappe au coeur, et mon amour commenca par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble ; le depit alluma mes desirs, et je me figurai un plaisir extreme a pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, dont la delicatesse de mon coeur se tenait offensee ; mais jusques ici tous mes efforts ont ete inutiles, et j'ai recours au dernier remede. Cet epoux pretendu doit aujourd'hui regaler sa maitresse d'une promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont preparees pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite barque et des gens, avec quoi fort facilement je pretends enlever la belle. - Sganarelle - Ah ! Monsieur... - Don Juan - Hein ? - Sganarelle - C'est fort bien fait a vous, et vous le prenez comme il faut. Il n'est rien tel en ce monde que de se contenter. - Don Juan - Prepare-toi donc a venir avec moi, et prend soin toi-meme d'apporter toutes mes armes, afin que... (apercevant done Elvire.) Ah ! rencontre facheuse. Traitre, tu ne m'avais pas dit qu'elle etait ici elle-meme. - Sganarelle - Monsieur, vous ne me l'avez pas demande. - Don Juan - Est-elle folle, de n'avoir pas change d'habit, et de venir en ce lieu-ci, avec son equipage de campagne ? ----------- Scene III. - Done Elvire, Don Juan, Sganarelle. - Done Elvire - Me ferez-vous la grace, don Juan, de vouloir bien me reconnaitre ? Et puis-je au moins esperer que vous daigniez tourner le visage de ce cote ? - Don Juan - Madame, je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendais pas ici. - Done Elvire - Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas ; et vous etes surpris, a la verite, mais tout autrement que je ne l'esperais ; et la maniere dont vous le paraissez, me persuade pleinement ce que je refusais de croire. J'admire ma simplicite, et la faiblesse de mon coeur, a douter d'une trahison que tant d'apparences me confirmaient. J'ai ete assez bonne, je le confesse, ou plutot assez sotte, pour vouloir me tromper moi-meme, et travailler a dementir mes yeux et mon jugement. J'ai cherche des raisons, pour excuser a ma tendresse le relachement d'amitie qu'elle voyait en vous ; et je me suis forge expres cent sujets legitimes d'un depart si precipite, pour vous justifier du crime dont ma raison vous accusait. Mes justes soupcons chaque jour avaient beau me parler, j'en rejetais la voix qui vous rendait criminel a mes yeux, et j'ecoutais avec plaisir mille chimeres ridicules, qui vous peignaient innocent a mon coeur ; mais enfin cet abord ne me permet plus de douter, et le coup d'oeil qui m'a recue m'apprend bien plus de choses que je ne voudrais en savoir. Je serais bien aise pourtant d'ouir de votre bouche les raisons de votre depart. Parlez, don Juan, je vous prie, et voyons de quel air vous saurez vous justifier. - Don Juan - Madame, voila Sganarelle, qui sait pourquoi je suis parti. - Sganarelle - (bas, a don Juan.) Moi, Monsieur ? je n'en sais rien, s'il vous plait. - Done Elvire - Eh bien ! Sganarelle, parlez. Il n'importe de quelle bouche j'entende ses raisons. - Don Juan - (faisant signe a Sganarelle d'approcher.) Allons, parle donc a Madame. - Sganarelle - (bas, a don Juan.) Que voulez-vous que je dise ? - Done Elvire - Approchez, puis qu'on le veut ainsi, et me dites un peu les causes d'un depart si prompt. - Don Juan - Tu ne repondras pas ? - Sganarelle - (bas, a don Juan.) Je n'ai rien a repondre. Vous vous moquez de votre serviteur. - Don Juan - Veux-tu repondre, te dis-je ? - Sganarelle - Madame... - Done Elvire - Quoi ? - Sganarelle - (se tournant vers son maitre.) Monsieur... - Don Juan - (en le menacant.) Si... - Sganarelle - Madame, les conquerants, Alexandre, et les autres mondes sont cause de notre depart. Voila, Monsieur, tout ce que je puis dire. - Done Elvire - Vous plait-il, don Juan, de nous eclaircir ces beaux mysteres ? - Don Juan - Madame, a vous dire la verite... - Done Elvire - Ah, que vous savez mal vous defendre pour un homme de cour, et qui doit etre accoutume a ces sortes de choses ! J'ai pitie de vous voir la confusion que vous avez. Que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie ? que ne me jurez-vous que vous etes toujours dans les memes sentiments pour moi, que vous m'aimez toujours avec une ardeur sans egale, et que rien n'est capable de vous detacher de moi que la mort ? que ne me dites-vous que des affaires de la derniere consequence vous ont oblige a partir sans m'en donner avis ; qu'il faut que, malgre vous, vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'a m'en retourner d'ou je viens, assuree que vous suivrez mes pas le plus tot qu'il vous sera possible ; qu'il est certain que vous brulez de me rejoindre, et qu'eloigne de moi vous souffrez ce que souffre un corps qui est separe de son ame ? Voila comme il faut vous defendre, et non pas etre interdit comme vous etes. - Don Juan - Je vous avoue, Madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un coeur sincere. Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les memes sentiments pour vous, et que je brule de vous rejoindre, puisqu'enfin il est assure que je ne suis parti que pour vous fuir ; non point pour les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, et pour ne croire pas qu'avec vous davantage je puisse vivre sans peche. Il m'est venu des scrupules, Madame, et j'ai ouvert les yeux de l'ame sur ce que je faisais. J'ai fait reflexion que, pour vous epouser, je vous ai derobee a la cloture d'un couvent, que vous avez rompu des voeux qui vous engageaient autre part, et que le ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux celeste. J'ai cru que notre mariage n'etait qu'un adultere deguise, qu'il nous attirerait quelque disgrace d'en haut, et qu'enfin je devais tacher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner a vos premieres chaines. Voudriez-vous, Madame, vous opposer a une si sainte pensee, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le ciel sur les bras ; que pour... - Done Elvire - Ah ! scelerat, c'est maintenant que je te connais tout entier ; et, pour mon malheur, je te connais lorsqu'il n'en est plus temps, et qu'une telle connaissance ne peut plus me servir qu'a me desesperer. Mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni, et que le meme ciel dont tu te joues me saura venger de ta perfidie. - Don Juan - Sganarelle, le ciel ! - Sganarelle - Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela, nous autres. - Don Juan - Madame... - Done Elvire - Il suffit. je n'en veux pas ouir davantage, et je m'accuse meme d'en avoir trop entendu. C'est une lachete que de se faire expliquer trop sa honte ; et sur de tels sujets, un noble coeur, au premier mot, doit prendre son parti. N'attends pas que j'eclate ici en reproches et en injures ; non, non, je n'ai point un courroux a exhaler en paroles vaines, et toute sa chaleur se reserve pour sa vengeance. Je te le dis encore, le ciel te punira, perfide, de l'outrage que tu me fais, et si le ciel n'a rien que tu puisses apprehender, apprehende du moins la colere d'une femme offensee. ----------- Scene IV. - Don Juan, Sganarelle. - Sganarelle - (a part.) Si le remords le pouvait prendre ! - Don Juan - (apres un moment de reflexion.) Allons songer a l'execution de notre entreprise amoureuse. - Sganarelle - (seul.) Ah ! quel abominable maitre me vois-je oblige de servir ! ACTE SECOND. ------------ Le theatre represente une campagne au bord de la mer. Scene premiere. - Charlotte, Pierrot. - Charlotte - Notre dinse, Piarrot, tu t'es trouve la bien a point ! - Pierrot - Parguienne, il ne s'en est pas fallu l'epoisseur d'une eplingue, qu'ils ne se sayant nayes tous deux. - Charlotte - C'est donc le coup de vent d'a matin qui les avait renvarses dans la mar ? - Pierrot - Aga (1), quien, Charlotte, je m'en vas te conter tout fin drait comme cela est venu : car, comme dit l'autre, je les ai le premier avises, avises le premier je les ai. Enfin donc j'etions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions a batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions a la tete ; car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime a batifoler, et moi, par fouas, je batifole itou. En batifolant donc, pisque batifoler y a, j'ai aparcu de tout loin queuque chose qui grouillait dans gliau, et qui venait comme envars nous par secousse. Je voyais cela fixiblement, et pis tout d'un coup je voyais que je ne voyais plus rien. Eh ! Lucas, c'ai-je fait, je pense que vla des hommes qui nageant la-bas. Voire, ce m'a-t-il fait, t'as ete au trepassement d'un chat, t'as la vue trouble (2). Palsanguienne, c'ai-je fait, je n'ai point la vue trouble, ce sont des hommes. Point du tout, ce m'a-t-il fait, t'as la barlue. Veux-tu gager, c'ai-je fait, que je n'ai point la barlue, c'ai-je fait, et que ce sont deux hommes, c'ai-je fait, qui nageant droit ici, c'ai-je fait ? Morguienne, ce m'a-t-il fait, je gage que non. Oh ! ca, c'ai-je fait, veux-tu gager dix sous que si ? Je le veux bian, ce m'a-t-il fait, et, pour te montrer, vla argent su jeu, ce m'a-t-il fait. Moi, je n'ai point ete ni fou, ni estourdi ; j'ai bravement boute a tarre quatre pieces tapees, et cinq sous en doubles, jerniguienne, aussi hardiment que si j'avais avale un varre de vin, car je sis hasardeux, moi, et je vas a la debandade. Je savais bian ce que je faisais pourtant. Queuque gniais ! Enfin donc, je n'avons pas putot eu gage, que j'avons vu les deux hommes tout a plain, qui nous faisiant signe de les aller querir ; et moi de tirer auparavant les enjeux. Allons, Lucas, c'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont ; allons vite a leu secours. Non, ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre. Oh ! donc, tanquia qu'a la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonne, que je nous sommes boutes dans une barque, et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tires de gliau, et pis je les avons menes cheux nous aupres du feu, et pis ils se sant depouilles tous nus pour se secher, et pis il y en est venu encore deux de la meme bande, qui s'equiant sauves tout seuls ; et pis Mathurine est arrivee la, a qui l'en a fait les doux yeux. Vla justement, Charlotte, comme tout ca s'est fait. - Charlotte - Ne m'as-tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est bien pu mieux fait que les autres ? - Pierrot - Oui, c'est le maitre. Il faut que ce soit queuque gros, gros monsieur, car il a du dor a son habit tout depis le haut jusqu'en bas ; et ceux qui le servont sont des monsieux eux-memes ; et stapandant, tout gros monsieu qu'il est, il serait par ma fique naye si je n'aviomme ete la. - Charlotte - Ardez (3) un peu. - Pierrot - Oh ! parguienne, sans nous il en avait pour sa maine de feves (4). - Charlotte - Est-il encore cheux toi tout nu, Piarrot ? - Pierrot - Nannain, ils l'avont r'habille tout devant nous. Mon Guieu, je n'en avais jamais vu s'habiller. Que d'histoires et d'engingorniaux (5) boutont ces messieux-la les courtisans ! je me pardrais la dedans pour moi ; et j'etais tout ebobi de voir ca. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point a leu tete ; et ils boutont ca apres tout, comme un gros bonnet de filasse. Ils ant des chemises qui ant des manches ou j'entrerions tout brandis, toi et moi. En glieu d'haut-de-chausse, ils portont un garde-robe (6) aussi large que d'ici a Paques ; en glieu de pourpoint, de petites brassieres qui ne leu venont pas jusqu'au brichet (7) ; et, en glieu de rabat, un grand mouchoir de cou a reziau aveuc quatre grosses houpes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. Ils avont itou d'autres petits rabats au bout des bras, et de grands en tonnois de passement aux jambes, et, parmi tout ca, tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraie piquie. Ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soyont farcis tout depis un bout jusqu'a l'autre ; et ils sont faits d'une facon que je me romprais le cou aveuc. - Charlotte - Par ma fi, Piarrot, il faut que j'aille voir un peu ca. - Pierrot - Oh ! acoute un peu auparavant, Charlotte. J'ai queuque autre chose a te dire, moi. - Charlotte - Et bian ! dis, qu'est-ce que c'est ? - Pierrot - Vois-tu, Charlotte ? il faut, comme dit l'autre, que je debonde mon coeur. Je t'aime, tu le sais bian, et je sommes pour etre maries ensemble ; mais marguienne, je ne suis point satisfait de toi. - Charlotte - Quement ? qu'est-ce que c'est donc qu'iglia ? - Pierrot - Iglia que tu me chagraines l'esprit franchement. - Charlotte - Et quement donc ? - Pierrot - Tetiguienne, tu ne m'aimes point. - Charlotte - Ah ! ah ! n'est-ce que ca ? - Pierrot - Oui, ce n'est que ca, et c'est bian assez. - Charlotte - Mon Guieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la meme chose. - Pierrot - Je te dis toujou la meme chose, parce que c'est toujou la meme chose ; et si ce n'etait pas toujou la meme chose, je ne te dirais pas toujou la meme chose. - Charlotte - Mais, qu'est-ce qu'il te faut ? que veux-tu ? - Pierrot - Jerniguienne ! je veux que tu m'aimes. - Charlotte - Est-ce que je ne t'aime pas ? - Pierrot - Non, tu ne m'aimes pas ; et si, je fais tout ce que je pis pour ca. Je t'achete, sans reproche, des rubans a tous les marciers qui passont ; je me romps le cou a t'aller denicher des marles ; je fais jouer pour toi les vielleux quand ce vient ta fete ; et tout ca comme si je me frappois la tete contre un mur. Vois-tu, ca n'est ni biau ni honnete de n'aimer pas les gens qui nous aimont. - Charlotte - Mais, mon Guieu, je t'aime aussi. - Pierrot - Oui, tu m'aimes d'une belle deguaine ! - Charlotte - Quement veux-tu donc qu'on fasse ? - Pierrot - Je veux que l'en fasse comme l'en fait, quand l'en aime comme il faut. - Charlotte - Ne t'aime-je pas aussi comme il faut ? - Pierrot - Non. Quand ca est, ca se voit, et l'en fait mille petites singeries aux personnes quand on les aime du bon du coeur. Regarde la grosse Thomasse comme elle est assotee du jeune Robain ; alle est toujou autour de li a l'agacer, et ne le laisse jamais en repos. Toujou al li fait queuque niche, ou li baille queuque taloche en passant ; et l'autre jour qu'il etait assis sur un escabiau, al fut le tirer de dessous li, et le fit choir tout de son long par tarre. Jarni, v'la ou l'en voit les gens qui aimont ; mais toi, tu ne me dis jamais mot, t'es toujou la comme eune vraie souche de bois ; et je passerais vingt fois devant toi, que tu ne te grouillerais pas pour me bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose. Ventreguienne ! ca n'est pas bian, apres tout : et t'es trop froide pour les gens. - Charlotte - Que veux-tu que j'y fasse ? C'est mon himeur, et je ne me pis refondre. - Pierrot - Igna himeur qui quienne. Quand en a de l'amiquie pour les parsonnes, l'on en baille toujou queuque petite signifiance. - Charlotte - Enfin, je t'aime tout autant que je pis ; et si tu n'es pas content de ca, tu n'as qu'a en aimer queuque autre. - Pierrot - Eh bian ! vla pas mon compte ? Tetigue, si tu m'aimais, me dirais-tu ca ? - Charlotte - Pourquoi me viens-tu aussi tarabuster l'esprit ? - Pierrot - Morgue ! queu mal te fais-je ? Je ne te demande qu'un peu d'amiquie. - Charlotte - Et bien ! laisse faire aussi, et ne me presse point tant. Peut-etre que ca viendra tout d'un coup sans y songer. - Pierrot - Touche donc la, Charlotte. - Charlotte - (donnant sa main.) Eh bien ! quien. - Pierrot - Promets-moi donc que tu tacheras de m'aimer davantage. - Charlotte - J'y ferai tout ce que je pourrai, mais il faut que ca vienne de lui-meme. Piarrot, est-ce la ce monsieu ? - Pierrot - Oui, le vla. - Charlotte - Ah ! mon Guieu, qu'il est genti, et que c'aurait ete dommage qu'il eut ete naye ! - Pierrot - Je revians tout a l'heure ; je m'en vas boire chopine, pour me rebouter tant soit peu de la fatigue que j'ais eue. ----------- Scene II. - Don Juan, Sganarelle, Charlotte, dans le fond du theatre. - Don Juan - Nous avons manque notre coup, Sganarelle, et cette bourrasque imprevue a renverse avec notre barque le projet que nous avions fait ; mais, a te dire vrai, la paysanne que je viens de quitter repare ce malheur, et je lui ai trouve des charmes qui effacent de mon esprit tout le chagrin que me donnait le mauvais succes de notre entreprise. Il ne faut pas que ce coeur m'echappe, et j'y ai deja jete des dispositions a ne pas me souffrir longtemps de pousser des soupirs. - Sganarelle - Monsieur, j'avoue que vous m'etonnez. A peine sommes-nous echappes d'un peril de mort, qu'au lieu de rendre grace au ciel de la pitie qu'il a daigne prendre de nous, vous travaillez tout de nouveau a attirer sa colere par vos fantaisies accoutumees, et vos amours cr... (Don Juan prend un ton menacant.) Paix, coquin que vous etes, vous ne savez ce que vous dites, et monsieur sait ce qu'il fait. Allons. - Don Juan - (apercevant Charlotte.) Ah ! ah ! d'ou sort cette autre paysanne, Sganarelle ? As-tu rien vu de plus joli ? et ne trouves-tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre ? - Sganarelle - Assurement. (a part.) Autre piece nouvelle. - Don Juan - (a Charlotte.) D'ou me vient, la belle, une rencontre si agreable ? Quoi ! dans ces lieux champetres, parmi ces arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous etes. - Charlotte - Vous voyez, Monsieu. - Don Juan - Etes-vous de ce village ? - Charlotte - Oui, Monsieu. - Don Juan - Et vous y demeurez ?... - Charlotte - Oui, Monsieu. - Don Juan - Vous vous appelez ? - Charlotte - Charlotte, pour vous servir. - Don Juan - Ah ! la belle personne, et que ses yeux sont penetrants ! - Charlotte - Monsieu, vous me rendez toute honteuse. - Don Juan - Ah, n'ayez point de honte d'entendre dire vos verites. Sganarelle, qu'en dis-tu ? Peut-on rien voir de plus agreable ? Tournez-vous un peu, s'il vous plait. Ah ! que cette taille est jolie ! Haussez un peu la tete, de grace. Ah ! que ce visage est mignon ! Ouvrez vos yeux entierement. Ah ! qu'ils sont beaux ! Que je voie un peu vos dents, je vous prie. Ah ! qu'elles sont amoureuses, et ces levres appetissantes ! Pour moi, je suis ravi, et je n'ai jamais vu une si charmante personne. - Charlotte - Monsieur, cela vous plait a dire, et je ne sais pas si c'est pour vous railler de moi. - Don Juan - Moi, me railler de vous ? Dieu m'en garde ! je vous aime trop pour cela, et c'est du fond du coeur que je vous parle. - Charlotte - Je vous suis bien obligee, si ca est. - Don Juan - Point du tout, vous ne m'etes point obligee de tout ce que je dis ; et ce n'est qu'a votre beaute que vous en etes redevable. - Charlotte - Monsieu, tout ca est trop bien dit pour moi, et je n'ai pas d'esprit pour vous repondre. - Don Juan - Sganarelle, regarde un peu ses mains. - Charlotte - Fi ! Monsieu, elles sont noires comme je ne sais quoi. - Don Juan - Ah ! que dites-vous ? Elles sont les plus belles du monde ; souffrez que je les baise, je vous prie. - Charlotte - Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me faites ; et si j'avais su ca tantot, je n'aurais pas manque de les laver avec du son. - Don Juan - Eh ! dites-moi un peu, belle Charlotte, vous n'etes pas mariee, sans doute ? - Charlotte - Non, Monsieu ; mais je dois bientot l'etre avec Piarrot, le fils de la voisine Simonette. - Don Juan - Quoi ! une personne comme vous serait la femme d'un simple paysan ? Non, non, c'est profaner tant de beaute, et vous n'etes pas nee pour demeurer dans un village. Vous meritez, sans doute, une meilleure fortune ; et le ciel qui le connait bien, m'a conduit ici tout expres pour empecher ce mariage, et rendre justice a vos charmes ; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de tout mon coeur, et il ne tiendra qu'a vous que je vous arrache de ce miserable lieu, et ne vous mette dans l'etat ou vous meritez d'etre. Cet amour est bien prompt, sans doute ; mais quoi ! c'est un effet, Charlotte, de votre grande beaute, et l'on vous aime autant en un quart d'heure qu'on ferait une autre en six mois. - Charlotte - Aussi vrai, Monsieu, je ne sais comment faire quand vous parlez. Ce que vous dites me fait aise, et j'aurais toutes les envies du monde de vous croire ; mais on m'a toujou dit qu'il ne faut jamais croire les monsieux, et que vous autres courtisans etes des enjoleux, qui ne songez qu'a abuser les filles. - Don Juan - Je ne suis pas de ces gens-la. - Sganarelle - Il n'a garde. - Charlotte - Voyez-vous, Monsieu ? il n'y a pas plaisir a se laisser abuser. Je suis une pauvre paysanne ; mais j'ai l'honneur en recommandation, et j'aimerais mieux me voir morte que de me voir deshonoree. - Don Juan - Moi, j'aurais l'ame assez mechante pour abuser une personne comme vous ? je serais assez lache pour vous deshonorer ? Non, non, j'ai trop de conscience pour cela. Je vous aime, Charlotte, en tout bien et en tout honneur ; et, pour vous montrer que je vous dis vrai, sachez que je n'ai point d'autre dessein que de vous epouser. En voulez-vous un plus grand temoignage ? M'y voila pret quand vous voudrez : et je prends a temoin l'homme que voila, de la parole que je vous donne. - Sganarelle - Non, non, ne craignez point. Il se mariera avec vous tant que vous voudrez. - Don Juan - Ah ! Charlotte, je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Vous me faites grand tort de juger de moi par les autres ; et s'il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu'a abuser les filles, vous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincerite de ma foi : et puis votre beaute vous assure de tout. Quand on est faite comme vous, on doit etre a couvert de toutes ces sortes de craintes : vous n'avez point l'air, croyez-moi, d'une personne qu'on abuse ; et pour moi, je vous l'avoue, je me percerais le coeur de mille coups, si j'avais eu la moindre pensee de vous trahir. - Charlotte - Mon Dieu ! je ne sais si vous dites vrai ou non ; mais vous faites que l'on vous croit. - Don Juan - Lorsque vous me croirez, vous me rendrez justice assurement, et je vous reitere encore la promesse que je vous ai faite. Ne l'acceptez-vous pas ? et ne voulez-vous pas consentir a etre ma femme ? - Charlotte - Oui, pourvu que ma tante le veuille. - Don Juan - Touchez donc la, Charlotte, puisque vous le voulez bien de votre part. - Charlotte - Mais au moins, Monsieu, ne m'allez pas tromper, je vous prie ; il y aurait de la conscience a vous, et vous voyez comme j'y vais a la bonne foi. - Don Juan - Comment ! il semble que vous doutiez encore de ma sincerite ? voulez-vous que je fasse des serments epouvantables ? Que le ciel... - Charlotte - Mon Dieu, ne jurez point ! je vous crois. - Don Juan - Donnez-moi donc un petit baiser pour gage de votre parole. - Charlotte - Oh ! monsieu, attendez que je soyons maries, je vous prie. Apres ca, je vous baiserai tant que vous voudrez. - Don Juan - Eh bien, belle Charlotte, je veux tout ce que vous voulez, abandonnez-moi seulement votre main, et souffrez que, par mille baisers, je lui exprime le ravissement ou je suis... ----------- Scene III. - Don Juan, Sganarelle, Pierrot, Charlotte. - Pierrot - (poussant Don Juan qui baise la main de Charlotte.) Tout doucement, Monsieu ; tenez-vous, s'il vous plait. Vous vous echauffez trop, et vous pourriez gagner la puresie. - Don Juan - (repoussant rudement Pierrot.) Qui m'amene cet impertinent ? - Pierrot - (se mettant entre Don Juan et Charlotte.) Je vous dis qu'ous vous tegniez, et qu'ous ne caressiais point nos accordees. - Don Juan - (repoussant encore Pierrot.) Ah ! que de bruit ! - Pierrot - Jerniguienne ! ce n'est pas comme ca qu'il faut pousser les gens. - Charlotte - (prenant Pierrot par le bras.) Et laisse-le faire aussi, Piarrot. - Pierrot - Quement ! que je le laisse faire ! Je ne veux pas, moi. - Don Juan - Ah ! - Pierrot - Tetiguienne ! par ce qu'ous etes monsieu, vous viendrez caresser nos femmes a notre barbe ? Allez-v's-en caresser les votres. - Don Juan - Heu ? - Pierrot - Heu. (Don Juan lui donne un soufflet.) Tetigue ! ne me frappez pas. (autre soufflet.) Oh ! jerniguie ! (autre soufflet.) Ventregue ! (autre soufflet.) Palsangue ! morguienne ! ca n'est pas bian de battre les gens, et ce n'est la la recompense de v's avoir sauve d'etre naye. - Charlotte - Piarrot ! ne te fache point. - Pierrot - Je me veux facher ; et t'es une vilaine, toi, d'endurer qu'on te cajole. - Charlotte - Oh ! Piarrot, ce n'est pas ce que tu penses. Ce monsieu veut m'epouser, et tu ne dois pas te bouter en colere. - Pierrot - Quement ? Jerni ! tu m'es promise. - Charlotte - Ca n'y fait rien, Piarrot. Si tu m'aimes, ne dois-tu pas etre bien aise que je devienne madame ? - Pierrot - Jernigue ! non. J'aime mieux te voir crevee que de te voir a un autre. - Charlotte - Va va, Piarrot, ne te mets point en peine. Si je sis madame, je te ferai gagner queuque chose, et tu apporteras du beurre et du fromage cheux nous. - Pierrot - Ventreguienne ! je gni en porterai jamais, quand tu m'en payerais deux fois autant. Est-ce donc comme ca que t'ecoutes ce qu'il te dit ? Morguienne ! si j'avais su ca tantot, je me serais bian garde de le tirer de gliau, et je gli aurais baille un bon coup d'aviron sur la tete. - Don Juan - (s'approchant de Pierrot pour le frapper.) Qu'est-ce que vous dites ? - Pierrot - (se mettant derriere Charlotte.) Jerniguienne ! je ne crains parsonne. - Don Juan - (passant du cote ou est Pierrot.) Attendez-moi un peu. - Pierrot - (repassant de l'autre cote.) Je me moque de tout, moi. - Don Juan - (courant apres Pierrot.) Voyons cela. - Pierrot - (se sauvant encore derriere Charlotte.) J'en avons bian veu d'autres. - Don Juan - Ouais ! - Sganarelle - Eh ! Monsieur, laissez la ce pauvre miserable. C'est conscience de le battre. (a Pierrot, en se mettant entre lui et Don Juan.) Ecoute, mon pauvre garcon, retire-toi, et ne lui dis rien. - Pierrot - (passant devant Sganarelle, et regardant fierement Don Juan.) Je veux lui dire, moi ! - Don Juan - (levant la main pour donner un soufflet a Pierrot.) Ah ! je vous apprendrai... (Pierrot baisse la tete, et Sganarelle recoit le soufflet.) - Sganarelle - (regardant Pierrot.) Peste soit du maroufle ! - Don Juan - (a Sganarelle.) Te voila paye de ta charite. - Pierrot - Jarni ! je vas dire a sa tante tout ce menage-ci. ----------- Scene IV. - Don Juan, Charlotte, Sganarelle. - Don Juan - (a Charlotte.) Enfin, je m'en vais etre le plus heureux de tous les hommes, et je ne changerais pas mon bonheur contre toutes les choses du monde. Que de plaisirs quand vous serez ma femme, et que... ----------- Scene V. - Don Juan, Mathurine, Charlotte, Sganarelle. - Sganarelle - (apercevant Mathurine.) Ah ! ah ! - Mathurine - (a Don Juan.) Monsieu, que faites-vous donc la avec Charlotte ? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi ? - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Non. Au contraire, c'est elle qui me temoignait une envie d'etre ma femme, et je lui repondais que j'etais engage avec vous. - Charlotte - (a Don Juan.) Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine ? - Don Juan - (bas, a Charlotte.) Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudrait bien que je l'epousasse ; mais je lui dis que c'est vous que je veux. - Mathurine - Quoi ! Charlotte... - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Tout ce que vous lui direz sera inutile ; elle s'est mis cela dans la tete. - Charlotte - Quement donc ! Mathurine... - Don Juan - (bas, a Charlotte.) C'est en vain que vous lui parlerez : vous ne lui oterez point cette fantaisie. - Mathurine - Est-ce que... - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison. - Charlotte - Je voudrais... - Don Juan - (bas, a Charlotte.) Elle est obstinee comme tous les diables. - Mathurine - Vraiment... - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Ne lui dites rien, c'est une folle. - Charlotte - Je pense... - Don Juan - (bas, a Charlotte.) Laissez-la la, c'est une extravagante. - Mathurine - Non, non, il faut que je lui parle. - Charlotte - Je veux voir un peu ses raisons. - Mathurine - Quoi !... - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Je gage qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'epouser. - Charlotte - Je... - Don Juan - (bas, a Charlotte.) Gageons qu'elle vous soutiendra que je lui ai donne parole de la prendre pour femme. - Mathurine - Hola ! Charlotte, ca n'est pas bian de courir su le marche des autres. - Charlotte - Ca n'est pas honnete, Mathurine, d'etre jalouse que monsieu me parle. - Mathurine - C'est moi que monsieu a vue la premiere. - Charlotte - S'il vous a vue la premiere, il m'a vue la seconde, et m'a promis de m'epouser. - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Et bien ! que vous ai-je dit ? - Mathurine - Je vous baise les mains ; c'est moi, et non pas vous qu'il a promis d'epouser. - Don Juan - (bas, a Charlotte.) N'ai-je pas devine ? - Charlotte - A d'autres, je vous prie ; c'est moi, vous dis-je. - Mathurine - Vous vous moquez des gens ; c'est moi, encore un coup. - Charlotte - Le v'la qui est pour le dire, si je n'ai pas raison. - Mathurine - Le v'la qui est pour me dementir, si je ne dis pas vrai. - Charlotte - Est-ce, Monsieu, que vous lui avez promis de l'epouser ? - Don Juan - (bas, a Charlotte.) Vous vous raillez de moi. - Mathurine - Est-il vrai, Monsieu, que vous lui avez donne parole d'etre son mari ? - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Pouvez-vous avoir cette pensee ? - Charlotte - Vous voyez qu'al le soutient. - Don Juan - (bas, a Charlotte.) Laissez-la faire. - Mathurine - Vous etes temoin comme al l'assure. - Don Juan - (bas, a Mathurine.) Laissez-la dire. - Charlotte - Non, non, il faut savoir la verite. - Mathurine - Il est question de juger ca. - Charlotte - Oui, Mathurine, je veux que monsieu vous montre votre bec jaune (8). - Mathurine - Oui, Charlotte, je veux que monsieu vous rende un peu camuse (9). - Charlotte - Monsieur, videz la querelle, s'il vous plait. - Mathurine - Mettez-nous d'accord, Monsieu. - Charlotte - (a Mathurine.) Vous allez voir. - Mathurine - (a Charlotte.) Vous allez voir vous meme. - Charlotte - (a Don Juan.) Dites. - Mathurine - (a Don Juan.) Parlez. - Don Juan - Que voulez-vous que je dise ? vous soutenez egalement toutes deux que je vous ai promis de vous prendre pour femmes. Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit necessaire que je m'explique davantage ? Pourquoi m'obliger la-dessus a des redites ? Celle a qui j'ai promis effectivement n'a-t-elle pas, en elle-meme de quoi se moquer des discours de l'autre, et doit-elle se mettre en peine, pourvu que j'accomplisse ma promesse ? Tous les discours n'avancent point les choses. Il faut faire, et non pas dire ; et les effets decident mieux que les paroles. Aussi n'est-ce rien que par la que je vous veux mettre d'accord ; et l'on verra, quand je me marierai, laquelle des deux a mon coeur. (bas, a Mathurine.) Laissez-lui croire ce qu'elle voudra. (bas, a Charlotte.) Laissez-la se flatter dans son imagination. (bas, a Mathurine.) Je vous adore. (bas, a Charlotte.) Je suis tout a vous. (bas, a Mathurine.) Tous les visages sont laids aupres du votre. (bas, a Charlotte.) On ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vue. (haut.) J'ai un petit ordre a donner, je viens vous retrouver dans un quart d'heure. ----------- Scene VI. - Charlotte, Mathurine, Sganarelle. - Charlotte - (a Mathurine.) Je suis celle qu'il aime, au moins. - Mathurine - (a Charlotte.) C'est moi qu'il epousera. - Sganarelle - (arretant Charlotte et Mathurine.) Ah ! pauvres filles que vous etes, j'ai pitie de votre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir a votre malheur. Croyez-moi l'une et l'autre : ne vous amusez point a tous les contes qu'on vous fait, et demeurez dans votre village. ----------- Scene VII. - Don Juan, Charlotte, Mathurine, Sganarelle. - Don Juan - (dans le fond du theatre, a part.) Je voudrais bien savoir pourquoi Sganarelle ne me suit pas. - Sganarelle - (a ces filles.) Mon maitre est un fourbe ; il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abuse d'autres : c'est l'epouseur du genre humain, et... (apercevant Don Juan.) cela est faux ; et quiconque vous dira cela, vous lui devez dire qu'il en a menti. Mon maitre n'est point l'epouseur du genre humain, il n'est point fourbe, il n'a pas dessein de vous tromper, et n'en a point abuse d'autres. Ah ! tenez, le voila, demandez-le plutot a lui-meme. - Don Juan - (regardant Sganarelle, et le soupconnant d'avoir parle.) Oui ! - Sganarelle - Monsieur, comme le monde est plein de medisants, je vais au devant des choses ; et je leur disais que, si quelqu'un leur venait dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu'il en aurait menti. - Don Juan - Sganarelle ! - Sganarelle - (a Charlotte et a Mathurine.) Oui, monsieur est homme d'honneur ; je le garantis tel. - Don Juan - Hon ! - Sganarelle - Ce sont des impertinents. ----------- Scene VIII. - Don Juan, La Ramee, Charlotte, Mathurine, Sganarelle. - La Ramee - (bas, a Don Juan.) Monsieur, je viens vous avertir qu'il ne fait pas bon ici pour vous. - Don Juan - Comment ? - La Ramee - Douze hommes a cheval vous cherchent, qui doivent arriver ici dans un moment ; je ne sais pas par quel moyen ils peuvent vous avoir suivi ; mais j'ai appris cette nouvelle d'un paysan qu'ils ont interroge, et auquel ils vous ont depeint. L'affaire presse, et le plus tot que vous pourrez sortir d'ici sera le meilleur. ----------- Scene IX. - Don Juan, Charlotte, Mathurine, Sganarelle. - Don Juan - (a Charlotte et a Mathurine.) Une affaire pressante m'oblige de partir d'ici ; mais je vous prie de vous ressouvenir de la parole que je vous ai donnee, et de croire que vous aurez de mes nouvelles avant qu'il soit demain au soir. ----------- Scene X. - Don Juan, Sganarelle. - Don Juan - Comme la partie n'est pas egale, il faut user de stratageme, et eluder adroitement le malheur qui me cherche. Je veux que Sganarelle se revete de mes habits ; et moi... - Sganarelle - Monsieur, vous vous moquez. M'exposer a etre tue sous vos habits, et... - Don Juan - Allons vite, c'est trop d'honneur que je vous fais ; et bien heureux est le valet qui peut avoir la gloire de mourir pour son maitre. - Sganarelle - Je vous remercie d'un tel honneur. (seul.) O ciel ! puisqu'il s'agit de mort, fais-moi la grace de n'etre point pris pour un autre ! ACTE TROISIEME. --------------- Le theatre represente une foret. Scene premiere (10). - Don Juan, en habit de campagne; Sganarelle, en medecin. - Sganarelle - Ma foi, Monsieur, avouez que j'ai eu raison, et que nous voila l'un et l'autre deguises a merveille. Votre premier dessein n'etait point du tout a propos, et ceci nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire. - Don Juan - Il est vrai que te voila bien, et je ne sais ou tu as ete deterrer cet attirail ridicule. - Sganarelle - Oui ? c'est l'habit d'un vieux medecin, qui a ete laisse en gage au lieu ou je l'ai pris, et il m'en a coute de l'argent pour l'avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met deja en consideration, que je suis salue des gens que je rencontre, et que l'on me vient consulter ainsi qu'un habile homme ? - Don Juan - Comment donc ? - Sganarelle - Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur differentes maladies. - Don Juan - Tu leur as repondu que tu n'y entendais rien ? - Sganarelle - Moi ? point du tout. J'ai voulu soutenir l'honneur de mon habit : j'ai raisonne sur le mal, et leur ai fait des ordonnances a chacun. - Don Juan - Et quels remedes encore leur as-tu ordonnes ? - Sganarelle - Ma foi, Monsieur, j'en ai pris par ou j'en ai pu attraper ; j'ai fait mes ordonnances a l'aventure, et ce serait une chose plaisante si les malades guerissaient, et qu'on m'en vint remercier. - Don Juan - Et pourquoi non ? Par quelle raison n'aurais-tu pas les memes privileges qu'ont tous les autres medecins ? Ils n'ont pas plus de part que toi aux guerisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succes ; et tu peux profiter, comme eux, du bonheur du malade, et voir attribuer a tes remedes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature. - Sganarelle - Comment, Monsieur, vous etes aussi impie en medecine ? - Don Juan - C'est une des grandes erreurs qui soient parmi les hommes. - Sganarelle - Quoi ! vous ne croyez pas au sene, ni a la casse, ni au vin emetique ? - Don Juan - Et pourquoi veux-tu que j'y croie ? - Sganarelle - Vous avez l'ame bien mecreante. Cependant vous voyez depuis un temps que le vin emetique fait bruire ses fuseaux. Ses miracles ont converti les plus incredules esprits : et il n'y a pas trois semaines que j'en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux. - Don Juan - Et quel ? - Sganarelle - Il y avait un homme qui, depuis six jours, etait a l'agonie ; on ne savait plus que lui ordonner, et tous les remedes ne faisaient rien ; on s'avisa a la fin de lui donner de l'emetique. - Don Juan - Il rechappa, n'est-ce pas ? - Sganarelle - Non, il mourut. - Don Juan - L'effet est admirable. - Sganarelle - Comment ! il y avait six jours entiers qu'il ne pouvait mourir, et cela le fit mourir tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace ? - Don Juan - Tu as raison. - Sganarelle - Mais laissons la medecine ou vous ne croyez point, et parlons des autres choses ; car cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous. Vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me defendez que les remontrances. - Don Juan - Eh bien ? - Sganarelle - Je veux savoir un peu vos pensees a fond. Est-il possible que vous ne croyez point du tout au ciel ? - Don Juan - Laissons cela. - Sganarelle - C'est-a-dire que non. Et a l'enfer ? - Don Juan - Eh ! - Sganarelle - Tout de meme. Et au diable s'il vous plait ? - Don Juan - Oui, oui. - Sganarelle - Aussi peu. Ne croyez-vous point a l'autre vie ? - Don Juan - Ah ! ah ! ah ! - Sganarelle - Voila un homme que j'aurai bien de la peine a convertir. Et dites-moi un peu, [le moine bourru, qu'en croyez-vous ? eh ! - Don Juan - La peste soit du fat ! - Sganarelle - Et voila ce que je ne puis souffrir : car il n'y a rien de plus vrai que le moine bourru, et je me ferais pendre pour celui-la (11). Mais] encore faut-il croire quelque chose [dans le monde], qu'est-ce [donc] que vous croyez ? - Don Juan - Ce que je crois ? - Sganarelle - Oui. - Don Juan - Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. - Sganarelle - La belle croyance [et les beaux articles de foi] que voila ! Votre religion, a ce que je vois, est donc l'arithmetique ? Il faut avouer qu'il se met d'etranges folies dans la tete des hommes, et que, pour avoir bien etudie, on est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, Monsieur, je n'ai point etudie comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m'avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n'est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-la, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voila la-haut ; et si tout cela s'est bati de lui-meme. Vous voila, vous, par exemple, vous etes la : est-ce que vous vous etes fait tout seul, et n'a-t-il pas fallu que votre pere ait engrosse votre mere pour vous faire ? Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l'homme est composee, sans admirer de quelle facon cela est agence l'un dans l'autre ? ces nerfs, ces os, ces veines, ces arteres, ces... ce poumon, ce coeur, ce foie, et tous ces autres ingredients qui sont la, et qui... Oh ! dame, interrompez-moi donc, si vous voulez. Je ne saurais disputer si l'on ne m'interrompt. Vous vous taisez expres, et me laissez parler par belle malice. - Don Juan - J'attends que ton raisonnement soit fini. - Sganarelle - Mon raisonnement est qu'il y a quelque chose d'admirable dans l'homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauraient expliquer. Cela n'est-il pas merveilleux que me voila ici, et que j'aie quelque chose dans la tete qui pense cent choses differentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu'elle veut ? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tete, remuer les pieds, aller a droite, a gauche, en avant, en arriere, tourner... (Il se laisse tomber en tournant.) - Don Juan - Bon ! Voila ton raisonnement qui a le nez casse. - Sganarelle - Morbleu ! je suis bien sot de m'amuser a raisonner avec vous ; croyez ce que vous voudrez, il m'importe bien que vous soyez damne ! - Don Juan - Mais tout en raisonnant, je crois que nous nous sommes egares. Appelle un peu cet homme que voila la-bas, pour lui demander le chemin. ----------- Scene II. - Don Juan, Sganarelle, un pauvre. - Sganarelle - Hola ! ho ! l'homme ! ho ! mon compere ! ho ! l'ami ! un petit mot, s'il vous plait. Enseignez-nous un peu le chemin qui mene a la ville. - Le pauvre - Vous n'avez qu'a suivre cette route, Messieurs, et detourner a main droite quand vous serez au bout de la foret ; mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que, depuis quelque temps, il y a des voleurs ici autour. - Don Juan - Je te suis oblige, mon ami, et je te rends grace de tout mon coeur. - Le pauvre - Si vous vouliez me secourir, Monsieur, de quelque aumone ? - Don Juan - Ah ! ah ! ton avis est interesse, a ce que je vois. - Le pauvre - Je suis un pauvre homme, Monsieur, retire tout seul dans le bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le ciel qu'il vous donne toute sorte de biens. - Don Juan - Eh ! prie le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres. - Sganarelle - Vous ne connaissez pas monsieur, bonhomme ; il ne croit qu'en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit. - Don Juan - Quelle est ton occupation parmi ces arbres ? - Le pauvre - De prier le ciel tout le jour pour la prosperite des gens de bien qui me donnent quelque chose. - Don Juan - Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien a ton aise ? - Le pauvre - Helas ! Monsieur, je suis dans la plus grande necessite du monde. - Don Juan - Tu te moques : un homme qui prie le ciel tout le jour ne peut pas manquer d'etre bien dans ses affaires. - Le pauvre - Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain a mettre sous les dents. - Don Juan - Voila qui est etrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah ! ah ! je m'en vais te donner un louis d'or tout a l'heure, pourvu que tu veuilles jurer. - Le pauvre - Ah ! Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel peche ? - Don Juan - Tu n'as qu'a voir si tu veux gagner un louis d'or, ou non ; en voici un que je te donne, si tu jures. Tiens : il faut jurer. - Le pauvre - Monsieur... - Don Juan - A moins de cela, tu ne l'auras pas. - Sganarelle - Va, va, jure un peu : il n'y a pas de mal. - Don Juan - Prends, le voila, prends, te dis-je ; mais jure donc. - Le pauvre - Non, Monsieur, j'aime mieux mourir de faim. - Don Juan - Va va, je te le donne pour l'amour de l'humanite. (Regardant dans la foret.) Mais que vois-je la ? un homme attaque par trois autres ! La partie est trop inegale, et je ne dois pas souffrir cette lachete. (Il met l'epee a la main, et court au lieu du combat.) ----------- Scene III. - Sganarelle. - Sganarelle - Mon maitre est un vrai enrage, d'aller se presenter a un peril qui ne le cherche pas. Mais, ma foi, le secours a servi, et les deux ont fait fuir les trois. ----------- Scene IV. - Don Juan, Don Carlos, Sganarelle, au fond de theatre. - Don Carlos - (remettant son epee.) On voit, par la fuite de ces voleurs, de quel secours est votre bras. Souffrez, Monsieur, que je vous rende graces d'une action si genereuse, et que... - Don Juan - Je n'ai rien fait, Monsieur, que vous n'eussiez fait en ma place. Notre propre honneur est interesse dans de pareilles aventures ; et l'action de ces coquins etait si lache, que c'eut ete y prendre part que de ne s'y pas opposer. Mais par quelle rencontre vous etes-vous trouve entre leurs mains ? - Don Carlos - Je m'etais, par hasard, egare d'un frere et de tous ceux de notre suite ; et comme je cherchais a les rejoindre, j'ai fait rencontre de ces voleurs, qui d'abord ont tue mon cheval, et qui sans votre valeur en auraient fait autant de moi. - Don Juan - Votre dessein est-il d'aller du cote de la ville ? - Don Carlos - Oui, mais sans y vouloir entrer ; et nous nous voyons obliges, mon frere et moi, a tenir la campagne pour une de ces facheuses affaires qui reduisent les gentilshommes a se sacrifier, eux et leur famille, a la severite de leur honneur, puisqu'enfin le plus doux succes en est toujours funeste, et que, si l'on ne quitte pas la vie, on est contraint de quiter le royaume ; et c'est en quoi je trouve la condition d'un gentilhomme malheureuse, de ne pouvoir point s'assurer sur toute la prudence et toute l'honnetete de sa conduite, d'etre asservi par les lois de l'honneur au dereglement de la conduite d'autrui, et de voir sa vie, son repos et ses biens dependre de la fantaisie du premier temeraire qui s'avisera de lui faire une de ces injures pour qui un honnete homme doit perir. - Don Juan - On a cet avantage, qu'on fait courir le meme risque et passer mal aussi le temps a ceux qui prennent fantaisie de nous venir faire une offense de gaiete de coeur. Mais ne serait-ce point une indiscretion que de vous demander quelle peut etre votre affaire ? - Don Carlos - La chose en est aux termes de n'en plus faire de secret ; et lorsque l'injure a une fois eclate, notre honneur ne va point a vouloir cacher notre honte, mais a faire eclater notre vengeance, et a publier meme le dessein que nous en avons. Ainsi, Monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l'offense que nous cherchons a venger est une soeur seduite et enlevee d'un couvent, et que l'auteur de cette offense est un Don Juan Tenorio, fils de Don Louis Tenorio. Nous le cherchons depuis quelques jours, et nous l'avons suivi ce matin sur le rapport d'un valet, qui nous a dit qu'il sortait a cheval, accompagne de quatre ou cinq, et qu'il avait pris le long de cette cote ; mais tous nos soins ont ete inutiles, et nous n'avons pu decouvrir ce qu'il est devenu. - Don Juan - Le connaissez-vous, Monsieur, ce Don Juan dont vous parlez ? - Don Carlos - Non, quant a moi ; je ne l'ai jamais vu, et je l'ai seulement oui depeindre a mon frere, mais la renommee n'en dit pas force bien, et c'est un homme dont la vie... - Don Juan - Arretez, Monsieur, s'il vous plait. Il est un peu de mes amis, et ce serait a moi une espece de lachete que d'en ouir dire du mal. - Don Carlos - Pour l'amour de vous, Monsieur, je n'en dirai rien du tout, et c'est bien la moindre chose que je vous doive, apres m'avoir sauve la vie, que de me taire devant vous d'une personne que vous connaissez, lorsque je ne puis en parler sans en dire du mal ; mais quelque ami que vous lui soyez, j'ose esperer que vous n'approuverez pas son action, et ne trouverez pas etrange que nous cherchions d'en prendre la vengeance. - Don Juan - Au contraire, je vous y veux servir, et vous epargner des soins inutiles. Je suis ami de don Juan, je ne puis pas m'en empecher ; mais il n'est pas raisonnable qu'il offense impunement des gentilshommes, et je m'engage a vous faire faire raison par lui. - Don Carlos - Et quelle raison peut-on faire a ces sortes d'injures ? - Don Juan - Toute celle que votre honneur peut souhaiter ; et sans vous donner la peine de chercher Don Juan davantage, je m'oblige a le faire trouver au lieu que vous voudrez, et quand il vous plaira. - Don Carlos - Cet espoir est bien doux, Monsieur, a des coeurs offenses ; mais, apres ce que je vous dois, ce me serait une trop sensible douleur que vous fussiez de la partie. - Don Juan - Je suis si attache a don Juan, qu'il ne saurait se battre que je ne me batte aussi : mais enfin j'en reponds comme de moi-meme, et vous n'avez qu'a dire quand vous voulez qu'il paraisse, et vous donne satisfaction. - Don Carlos - Que ma destinee est cruelle ! faut-il que je vous doive la vie, et que D. Juan soit de vos amis ! ----------- Scene V. - Don Alonse, Don Carlos, Don Juan, Sganarelle. - Don Alonse - (parlant a ceux de sa suite, sans voir Don Carlos ni Don Juan.) Faites boire la mes chevaux, et qu'on les amene apres nous : je veux un peu marcher a pied. (les apercevant tous les deux.) O ciel, que vois-je ici ? Quoi ! mon frere, vous voila avec notre ennemi mortel ! - Don Carlos - Notre ennemi mortel ? - Don Juan - (mettant la main sur la garde de son epee.) Oui, je suis Don Juan moi-meme ; et l'avantage du nombre ne m'obligera pas a vouloir deguiser mon nom. - Don Alonse - (mettant l'epee a la main.) Ah, traitre, il faut que tu perisses, et... (Sganarelle court se cacher.) - Don Carlos - Ah ! mon frere, arretez. Je lui suis redevable de la vie ; et, sans le secours de son bras, j'aurais ete tue par des voleurs que j'ai trouves. - Don Alonse - Et voulez-vous que cette consideration empeche notre vengeance ? Tous les services que nous rend une main ennemie, ne sont d'aucun merite pour engager notre ame ; et s'il faut mesurer l'obligation a l'injure, votre reconnaissance, mon frere, est ici ridicule ; et comme l'honneur est infiniment plus precieux que la vie, c'est ne devoir rien proprement que d'etre redevable de la vie a qui nous a ote l'honneur. - Don Carlos - Je sais la difference, mon frere, qu'un gentilhomme doit toujours mettre entre l'un et l'autre ; et la reconnaissance de l'obligation n'efface point en moi le ressentiment de l'injure ; mais souffrez que je lui rende ici ce qu'il m'a prete, que je m'acquitte sur-le-champ de la vie que je lui dois, par un delai de notre vengeance, et lui laisse la liberte de jouir, durant quelques jours, du fruit de son bienfait. - Don Alonse - Non, non, c'est hasarder notre vengeance que de la reculer, et l'occasion de la prendre peut ne plus revenir. Le ciel nous l'offre ici, c'est a nous d'en profiter. Lorsque l'honneur est blesse mortellement, on ne doit point songer a garder aucunes mesures ; et si vous repugnez a preter votre bras a cette action, vous n'avez qu'a vous retirer, et laisser a ma main la gloire d'un tel sacrifice. - Don Carlos - De grace, mon frere... - Don Alonse - Tous ces discours sont superflus : il faut qu'il meure. - Don Carlos - Arretez, vous dis-je, mon frere. Je ne souffrirai point du tout qu'on attaque ses jours ; et je jure le ciel que je le defendrai ici contre qui que ce soit, et je saurai lui faire un rempart de cette meme vie qu'il a sauvee ; et, pour adresser vos coups, il faudra que vous me perciez. - Don Alonse - Quoi ! vous prenez le parti de notre ennemi contre moi, et, loin d'etre saisi a son aspect des memes transports que je sens, vous faites voir pour lui des sentiments pleins de douceur ! - Don Carlos - Mon frere, montrons de la moderation dans une action legitime ; et ne vengeons point notre honneur avec cet emportement que vous temoignez. Ayons du coeur dont nous soyons les maitres, une valeur qui n'ait rien de farouche, et qui se porte aux choses par une pure deliberation de notre raison, et non point par le mouvement d'une aveugle colere. Je ne veux point, mon frere, demeurer redevable a mon ennemi, je lui ai une obligation dont il faut que je m'acquitte avant toute chose. Notre vengeance, pour etre differee, n'en sera pas moins eclatante ; au contraire, elle en tirera de l'avantage, et cette occasion de l'avoir pu prendre la fera paraitre plus juste aux yeux de tout le monde. - Don Alonse - O l'etrange faiblesse, et l'aveuglement effroyable, de hasarder ainsi les interets de son honneur pour la ridicule pensee d'une obligation chimerique ! - Don Carlos - Non, mon frere, ne vous mettez pas en peine. Si je fais une faute, je saurai bien la reparer, et je me charge de tout le soin de notre honneur ; je sais a quoi il nous oblige, et cette suspension d'un jour, que ma reconnaissance lui demande, ne fera qu'augmenter l'ardeur que j'ai de le satisfaire. Don Juan, vous voyez que j'ai soin de vous rendre le bien que j'ai recu de vous, et vous devez par la juger du reste, croire que je m'acquitte avec la meme chaleur de ce que je dois, et que je ne serai pas moins exact a vous payer l'injure que le bienfait. Je ne veux point vous obliger ici a expliquer vos sentiments, et je vous donne la liberte de penser a loisir aux resolutions que vous avez a prendre. Vous connaissez assez la grandeur de l'offense que vous nous avez faite, et je vous fais juge vous meme des reparations qu'elle demande. Il est des moyens doux pour nous satisfaire ; il en est de violents et de sanglants : mais enfin, quelque choix que vous fassiez, vous m'avez donne parole de me faire faire raison par Don Juan. Songez a me la faire, je vous prie, et vous ressouvenez que, hors d'ici, je ne dois plus qu'a mon honneur. - Don Juan - Je n'ai rien exige de vous, et vous tiendrai ce que j'ai promis. - Don Carlos - Allons, mon frere ; un moment de douceur ne fait aucune injure a la severite de notre devoir. ----------- Scene VI. - Don Juan, Sganarelle. - Don Juan - Hola ! he ! Sganarelle ! - Sganarelle - (sortant de l'endroit ou il etait cache.) Plait-il ? - Don Juan - Comment ! coquin, tu fuis quand on m'attaque ? - Sganarelle - Pardonnez-moi, Monsieur, je viens seulement d'ici pres. Je crois que cet habit est purgatif, et que c'est prendre medecine que de le porter. - Don Juan - Peste soit l'insolent ! Couvre au moins ta poltronnerie d'un voile plus honnete. Sais-tu bien qui est celui a qui j'ai sauve la vie ? - Sganarelle - Moy ? non. - Don Juan - C'est un frere d'Elvire. - Sganarelle - Un... - Don Juan - Il est assez honnete homme, il en a bien use, et j'ai regret d'avoir demele avec lui. - Sganarelle - Il vous serait aise de pacifier toutes choses. - Don Juan - Oui ; mais ma passion est usee pour Done Elvire, et l'engagement ne compatit point avec mon humeur. J'aime la liberte en amour, tu le sais, et je ne saurais me resoudre a renfermer mon coeur entre quatre murailles. Je te l'ai dit vingt fois, j'ai une pente naturelle a me laisser aller a tout ce qui m'attire. Mon coeur est a toutes les belles, et c'est a elles a le prendre tour a tour, et a le garder tant qu'elles le pourront. Mais quel est le superbe edifice que je vois entre ces arbres ? - Sganarelle - Vous ne le savez pas ? - Don Juan - Non vraiment. - Sganarelle - Bon ! c'est le tombeau que le commandeur faisait faire lors que vous le tuates. - Don Juan - Ah ! tu as raison. Je ne savais pas que c'etait de ce cote-ci qu'il etait. Tout le monde m'a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi bien que de la statue du commandeur, et j'ai envie de l'aller voir. - Sganarelle - Monsieur, n'allez point la. - Don Juan - Pourquoi ? - Sganarelle - Cela n'est pas civil, d'aller voir un homme que vous avez tue. - Don Juan - Au contraire, c'est une visite dont je lui veux faire civilite, et qu'il doit recevoir de bonne grace, s'il est galant homme. Allons, entrons dedans. (Le tombeau s'ouvre, ou l'on voit la statue du commandeur.) - Sganarelle - Ah ! que cela est beau ! les belles statues ! le beau marbre ! les beaux piliers ! ah ! que cela est beau ! qu'en dites-vous, Monsieur ? - Don Juan - Qu'on ne peut voir aller plus loin l'ambition d'un homme mort ; et ce que je trouve admirable, c'est qu'un homme qui s'est passe durant sa vie d'une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n'en a plus que faire. - Sganarelle - Voici la statue du commandeur. - Don Juan - Parbleu ! le voila bon, avec son habit d'empereur romain ! - Sganarelle - Ma foi, Monsieur, voila qui est bien fait. Il semble qu'il est en vie, et qu'il s'en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feraient peur si j'etais tout seul, et je pense qu'il ne prend pas plaisir de nous voir. - Don Juan - Il aurait tort ; et ce serait mal recevoir l'honneur que je lui fais. Demande-lui s'il veut venir souper avec moi. - Sganarelle - C'est une chose dont il n'a pas besoin, je crois. - Don Juan - Demande-lui, te dis-je. - Sganarelle - Vous moquez-vous ? Ce serait etre fou, que d'aller parler a une statue. - Don Juan - Fais ce que je te dis. - Sganarelle - Quelle bizarrerie ! Seigneur commandeur... (a part.) je ris de ma sottise, mais c'est mon maitre qui me la fait faire. (haut.) Seigneur commandeur, mon maitre Don Juan vous demande si vous voulez lui faire l'honneur de venir souper avec lui. (La statue baisse la tete.) Ah ! - Don Juan - Qu'est-ce ? qu'as-tu ? Dis donc, veux-tu parler ? - Sganarelle - (baissant la tete comme la statue.) La statue... - Don Juan - Et bien, que veux-tu dire, traitre ? - Sganarelle - Je vous dis que la statue... - Don Juan - Et bien ! la statue ? je t'assomme, si tu ne parles. - Sganarelle - La statue m'a fait signe. - Don Juan - La peste le coquin ! - Sganarelle - Elle m'a fait signe, vous dis-je, il n'est rien de plus vrai. Allez-vous-en lui parler vous-meme pour voir. Peut-etre... - Don Juan - Viens, maraud, viens. Je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie. Prends garde. Le seigneur commandeur voudrait-il venir souper avec moi ? (La statue baisse encore la tete.) - Sganarelle - Je ne voudrais pas en tenir dix pistoles. Eh bien ! Monsieur ? - Don Juan - Allons, sortons d'ici. - Sganarelle - (seul.) Voila de mes esprits forts, qui ne veulent rien croire ! ACTE QUATRIEME. --------------- Le theatre represente l'appartement de Don Juan. Scene premiere. - Don Juan, Sganarelle, Ragotin. - Don Juan - (a Sganarelle.) Quoi qu'il en soit, laissons cela ; c'est une bagatelle, et nous pouvons avoir ete trompes par un faux jour, ou surpris de quelque vapeur qui nous ait trouble la vue. - Sganarelle - Eh ! Monsieur, ne cherchez point a dementir ce que nous avons vu des yeux que voila. Il n'est rien de plus veritable que ce signe de tete, et je ne doute point que le ciel, scandalise de votre vie, n'ait produit ce miracle pour vous convaincre, et pour vous retirer de... - Don Juan - Ecoute. Si tu m'importunes davantage de tes sottes moralites, si tu me dis encore le moindre mot la-dessus, je vais appeler quelqu'un, demander un nerf de boeuf, te faire tenir par trois ou quatre, et te rouer de mille coups. M'entends-tu bien ? - Sganarelle - Fort bien, Monsieur, le mieux du monde. Vous vous expliquez clairement ; c'est ce qu'il y a de bon en vous, que vous n'allez point chercher de detours : vous dites les choses avec une nettete admirable. - Don Juan - Allons, qu'on me fasse souper le plus tot que l'on pourra. Une chaise, petit garcon. ----------- Scene II. - Don Juan, Sganarelle, La Violette, Ragotin. - La Violette - Monsieur, voila votre marchand, monsieur Dimanche qui demande a vous parler. - Sganarelle - Bon ! voila ce qu'il nous faut, qu'un compliment de creancier. De quoi s'avise-t-il de nous venir demander de l'argent ; et que ne lui disais-tu que monsieur n'y est pas ? - La Violette - Il y a trois quarts d'heure que je lui dis ; mais il ne veut pas le croire, et s'est assis la-dedans pour attendre. - Sganarelle - Qu'il attende tant qu'il voudra. - Don Juan - Non, au contraire, faites-le entrer. C'est une fort mauvaise politique que de se faire celer aux creanciers. Il est bon de les payer de quelque chose ; et j'ai le secret de les renvoyer satisfaits, sans leur donner un double. ----------- Scene III. - Don Juan, Monsieur Dimanche, Sganarelle, La Violette, Ragotin. - Don Juan - Ah ! monsieur Dimanche, approchez. Que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal a mes gens de ne vous pas faire entrer d'abord ! J'avais donne ordre qu'on ne me fit parler a personne, mais cet ordre n'est pas pour vous, et vous etes en droit de ne trouver jamais de porte fermee chez moi. - Monsieur Dimanche - Monsieur, je vous suis fort oblige. - Don Juan - (parlant a la Violette et a Ragotin.) Parbleu ! coquins, je vous apprendrai a laisser monsieur Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai connaitre les gens. - Monsieur Dimanche - Monsieur, cela n'est rien. - Don Juan - (a monsieur Dimanche.) Comment ! vous dire que je n'y suis pas ! a monsieur Dimanche, au meilleur de mes amis ! - Monsieur Dimanche - Monsieur, je suis votre serviteur. J'etais venu... - Don Juan - Allons vite, un siege pour monsieur Dimanche. - Monsieur Dimanche - Monsieur, je suis bien comme cela. - Don Juan - Point, point, je veux que vous soyez assis contre moi. - Monsieur Dimanche - Cela n'est point necessaire. - Don Juan - Otez ce pliant, et apportez un fauteuil. - Monsieur Dimanche - Monsieur, vous vous moquez, et... - Don Juan - Non, non, je sais ce que je vous dois ; et je ne veux point qu'on mette de difference entre nous deux. - Monsieur Dimanche - Monsieur... - Don Juan - Allons, asseyez-vous. - Monsieur Dimanche - Il n'est pas besoin, Monsieur, et je n'ai qu'un mot a vous dire. J'etais... - Don Juan - Mettez-vous la, vous dis-je. - Monsieur Dimanche - Non, Monsieur, je suis bien, je viens pour... - Don Juan - Non, je ne vous ecoute point si vous n'etes assis. - Monsieur Dimanche - Monsieur, je fais ce que vous voulez. Je... - Don Juan - Parbleu, monsieur Dimanche, vous vous portez bien. - Monsieur Dimanche - Oui, Monsieur, pour vous rendre service. Je suis venu... - Don Juan - Vous avez un fonds de sante admirable, des levres fraiches, un teint vermeil, et des yeux vifs. - Monsieur Dimanche - Je voudrais bien... - Don Juan - Comment se porte madame Dimanche, votre epouse ? - Monsieur Dimanche - Fort bien, Monsieur, Dieu merci. - Don Juan - C'est une brave femme. - Monsieur Dimanche - Elle est votre servante, Monsieur. Je venais... - Don Juan - Et votre petite fille Claudine, comment se porte-t-elle. - Monsieur Dimanche - Le mieux du monde. - Don Juan - La jolie petite fille que c'est ! je l'aime de tout mon coeur. - Monsieur Dimanche - C'est trop d'honneur que vous lui faites, Monsieur. Je vous... - Don Juan - Et le petit Colin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour ? - Monsieur Dimanche - Toujours de meme, Monsieur. Je... - Don Juan - Et votre petit chien Brusquet, gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous ? - Monsieur Dimanche - Plus que jamais, Monsieur ; et nous ne saurions en chevir (12). - Don Juan - Ne vous etonnez pas si je m'informe des nouvelles de toute la famille ; car j'y prends beaucoup d'interet. - Monsieur Dimanche - Nous vous sommes, Monsieur, infiniment obliges. Je... - Don Juan - (lui tendant la main.) Touchez donc la, monsieur Dimanche. Etes-vous bien de mes amis ? - Monsieur Dimanche - Monsieur, je suis votre serviteur. - Don Juan - Parbleu ! je suis a vous de tout mon coeur. - Monsieur Dimanche - Vous m'honorez trop. Je... - Don Juan - Il n'y a rien que je ne fisse pour vous. - Monsieur Dimanche - Monsieur, vous avez trop de bonte pour moi. - Don Juan - Et cela sans interet, je vous prie de le croire. - Monsieur Dimanche - Je n'ai point merite cette grace assurement. Mais, Monsieur... - Don Juan - Oh ca, monsieur Dimanche, sans facon, voulez-vous souper avec moi ? - Monsieur Dimanche - Non, Monsieur, il faut que je m'en retourne tout a l'heure. Je... - Don Juan - (se levant.) Allons, vite un flambeau pour conduire monsieur Dimanche, et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l'escorter. - Mr Dimanche - (se levant aussi.) Monsieur, il n'est pas necessaire, et je m'en irai bien tout seul. Mais... (Sganarelle ote les sieges promptement.) - Don Juan - Comment ? je veux qu'on vous escorte, et je m'interesse trop a votre personne. Je suis votre serviteur, et de plus votre debiteur. - Monsieur Dimanche - Ah ! Monsieur... - Don Juan - C'est une chose que je ne cache pas, et je le dis a tout le monde. - Monsieur Dimanche - Si... - Don Juan - Voulez-vous que je vous reconduise ? - Monsieur Dimanche - Ah, Monsieur, vous vous moquez ! Monsieur... - Don Juan - Embrassez-moi donc, s'il vous plait, je vous prie encore une fois d'etre persuade que je suis tout a vous, et qu'il n'y a rien au monde que je ne fisse pour votre service. (Il sort.) ----------- Scene IV. - Monsieur Dimanche, Sganarelle. - Sganarelle - Il faut avouer que vous avez en monsieur un homme qui vous aime bien. - Monsieur Dimanche - Il est vrai ; il me fait tant de civilites et tant de compliments, que je ne saurais jamais lui demander de l'argent. - Sganarelle - Je vous assure que toute sa maison perirait pour vous ; et je voudrais qu'il vous arrivat quelque chose, que quelqu'un s'avisat de vous donner des coups de baton, vous verriez de quelle maniere... - Monsieur Dimanche - Je le crois ; mais, Sganarelle, je vous prie de lui dire un petit mot de mon argent. - Sganarelle - Oh ! ne vous mettez pas en peine. il vous payera le mieux du monde. - Monsieur Dimanche - Mais vous, Sganarelle, vous me devez quelque chose en votre particulier. - Sganarelle - Fi ! ne parlez pas de cela... - Monsieur Dimanche - Comment ? Je... - Sganarelle - Ne sais-je pas bien que je vous dois ? - Monsieur Dimanche - Oui, Mais... - Sganarelle - Allons, monsieur Dimanche, je vais vous eclairer. - Monsieur Dimanche - Mais mon argent... - Sganarelle - (prenant Monsieur Dimanche par le bras.) Vous moquez-vous ? - Monsieur Dimanche - Je veux... - Sganarelle - (le tirant.) He ! - Monsieur Dimanche - J'entends... - Sganarelle - (le poussant vers la porte.) Bagatelles. - Monsieur Dimanche - Mais... - Sganarelle - (le poussant encore.) Fi ! - Monsieur Dimanche - Je... - Sganarelle - (Sganarelle le poussant tout a fait hors du theatre.) Fi ! vous dis-je. ----------- Scene V. - Don Juan, Sganarelle, La Violette. - La Violette - (a Don Juan.) Monsieur, voila monsieur votre pere. - Don Juan - Ah ! me voici bien ! il me fallait cette visite pour me faire enrager. ----------- Scene VI. - Don Louis, Don Juan, Sganarelle. - Don Louis - Je vois bien que je vous embarasse, et que vous vous passeriez fort aisement de ma venue. A dire vrai, nous nous incommodons etrangement l'un et l'autre, et si vous etes las de me voir, je suis bien las aussi de vos deportements. Helas ! que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au ciel le soin des choses qu'il nous faut, quand nous voulons etre plus avises que lui, et que nous venons a l'importuner par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsiderees. J'ai souhaite un fils avec des ardeurs non pareilles ; je l'ai demande sans relache avec des transports incroyables ; et ce fils, que j'obtiens en fatiguant le ciel de voeux, est le chagrin et le supplice de cette vie meme dont je croyais qu'il devait etre la joie et la consolation. De quel oeil, a votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d'actions indignes, dont on a peine, aux yeux du monde, d'adoucir le mauvais visage ; cette suite continuelle de mechantes affaires, qui nous reduisent a toutes heures a lasser les bontes du souverain, et qui ont epuise aupres de lui le merite de mes services et le credit de mes amis ? Ah ! quelle bassesse est la votre ! Ne rougissez-vous point de meriter si peu votre naissance ? Etes-vous en droit, dites-moi, d'en tirer quelque vanite ? et qu'avez-vous fait dans le monde pour etre gentilhomme ? Croyez-vous qu'il suffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d'etre sortis d'un sang noble, lorsque nous vivons en infames ? Non, non, la naissance n'est rien ou la vertu n'est pas. Aussi, nous n'avons part a la gloire de nos ancetres qu'autant que nous nous efforcons de leur ressembler ; et cet eclat de leurs actions qu'ils repandent sur nous nous impose un engagement de leur faire le meme honneur, de suivre les pas qu'ils nous tracent, et de ne point degenerer de leur vertu, si nous voulons etre estimes leurs veritables descendants. Ainsi, vous descendez en vain des aieux dont vous etes ne ; ils vous desavouent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage ; au contraire, l'eclat n'en rejaillit sur vous qu'a votre deshonneur, et leur gloire est un flambeau qui eclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature ; que la vertu est le premier titre de noblesse ; que je regarde bien moins au nom qu'on signe qu'aux actions qu'on fait, et que je ferais plus d'etat du fils d'un crocheteur qui serait honnete homme, que du fils d'un monarque qui vivrait comme vous. - Don Juan - Monsieur, si vous etiez assis, vous en seriez mieux pour parler. - Don Louis - Non, insolent, je ne veux point m'asseoir, ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton ame ; mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussee a bout par tes actions ; que je saurai, plus tot que tu ne penses, mettre une borne a tes dereglements, prevenir sur toi le courroux du ciel, et laver, par ta punition, la honte de t'avoir fait naitre. ----------- Scene VII. - Don Juan, Sganarelle. - Don Juan - (adressant encore la parole a son pere, quoiqu'il soit sorti.) He !, mourez le plus tot que vous pourrez, c'est le mieux que vous puissiez faire. Il faut que chacun ait son tour, et j'enrage de voir des peres qui vivent autant que leurs fils. (Il se met dans son fauteuil.) - Sganarelle - Ah ! Monsieur, vous avez tort. - Don Juan - (se levant.) J'ai tort ! - Sganarelle - (tremblant.) Monsieur... - Don Juan - J'ai tort ! - Sganarelle - Oui, Monsieur, vous avez tort d'avoir souffert ce qu'il vous a dit, et vous le deviez mettre dehors par les epaules. A-t-on jamais rien vu de plus impertinent ? un pere venir faire des remontrances a son fils, et lui dire de corriger ses actions, de se ressouvenir de sa naissance, de mener une vie d'honnete homme, et cent autres sottises de pareille nature ! cela se peut-il souffrir a un homme comme vous, qui savez comme il faut vivre ? J'admire votre patience ; et si j'avais ete en votre place, je l'aurais envoye promener. (bas, a part.) O complaisance maudite, a quoi me reduis-tu ! - Don Juan - Me fera-t-on souper bientot ? ----------- Scene VIII. - Don Juan, Sganarelle, Ragotin. - Ragotin - Monsieur, voici une dame voilee qui vient vous parler. - Don Juan - Que pourrait-ce etre ? - Sganarelle - Il faut voir. ----------- Scene IX. - Done Elvire, voilee ; Don Juan, Sganarelle. - Done Elvire - Ne soyez point surpris, don Juan, de me voir a cette heure et dans cet equipage. C'est un motif pressant qui m'oblige a cette visite, et ce que j'ai a vous dire ne veut point du tout de retardement. Je ne viens point ici pleine de ce courroux que j'ai tantot fait eclater, et vous me voyez bien changee de ce que j'etais ce matin. Ce n'est point cette done Elvire qui faisait des voeux contre vous, et dont l'ame irritee ne jetait que menaces et ne respirait que vengeance. Le ciel a banni de mon ame toutes ces indignes ardeurs que je sentais pour vous, tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux emportements d'un amour terrestre et grossier ; et il n'a laisse dans mon coeur pour vous qu'une flamme epuree de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour detache de tout, qui n'agit point pour soi, et ne se met en peine que de votre interet. - Don Juan - (bas, a Sganarelle.) Tu pleures, je pense ? - Sganarelle - Pardonnez-moi. - Done Elvire - C'est ce parfait et pur amour qui me conduit ici pour votre bien, pour vous faire part d'un avis du ciel, et tacher de vous retirer du precipice ou vous courez. Oui, don Juan, je sais tous les dereglements de votre vie ; et ce meme ciel, qui m'a touche le coeur et fait jeter les yeux sur les egarements de ma conduite, m'a inspire de vous venir trouver, et de vous dire de sa part que vos offenses ont epuise sa misericorde, que sa colere redoutable est pres de tomber sur vous, qu'il est en vous de l'eviter par un prompt repentir, et que peut-etre vous n'avez pas encore un jour a vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. Pour moi, je ne tiens plus a vous par aucun attachement du monde. Je suis revenue, graces au ciel, de toutes mes folles pensees ; ma retraite est resolue, et je ne demande qu'assez de vie pour pouvoir expier la faute que j'ai faite, et meriter, par une austere penitence, le pardon de l'aveuglement ou m'ont plongee les transports d'une passion condamnable. Mais, dans cette retraite, j'aurais une douleur extreme qu'une personne que j'ai cherie tendrement devint un exemple funeste de la justice du ciel ; et ce me sera une joye incroyable, si je puis vous porter a detourner de dessus votre tete l'epouvantable coup qui vous menace. De grace, don Juan, accordez-moi pour derniere faveur cette douce consolation ; ne me refusez point votre salut, que je vous demande avec larmes ; et si vous n'etes point touche de votre interet, soyez-le au moins de mes prieres, et m'epargnez le cruel deplaisir de vous voir condamner a des supplices eternels. - Sganarelle - (a part.) Pauvre femme ! - Done Elvire - Je vous ai aime avec une tendresse extreme, rien au monde ne m'a ete si cher que vous ; j'ai oublie mon devoir pour vous, j'ai fait toutes choses pour vous ; et toute la recompense que je vous en demande, c'est de corriger votre vie et de prevenir votre perte. Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l'amour de vous, ou pour l'amour de moi. Encore une fois, don Juan, je vous le demande avec larmes ; et si ce n'est assez des larmes d'une personne que vous avez aimee, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous toucher. - Sganarelle - (a part, regardant Don Juan.) Coeur de tigre ! - Done Elvire - Je m'en vais apres ce discours ; et voila tout ce que j'avais a vous dire. - Don Juan - Madame, il est tard, demeurez ici. On vous y logera le mieux qu'on pourra. - Done Elvire - Non, don Juan, ne me retenez pas davantage. - Don Juan - Madame, vous me ferez plaisir de demeurer, je vous assure. - Done Elvire - Non, vous dis-je ; ne perdons point de temps en discours superflus. Laissez-moi viste aller, ne faites aucune instance pour me conduire, et songez seulement a profiter de mon avis. ----------- Scene X. - Don Juan, Sganarelle. - Don Juan - Sais-tu bien que j'ai encore senti quelque peu d'emotion pour elle, que j'ai trouve de l'agrement dans cette nouveaute bizarre, et que son habit neglige, son air languissant et ses larmes ont reveille en moi quelques petits restes d'un feu eteint ? - Sganarelle - C'est a dire que ses paroles n'ont fait aucun effet sur vous. - Don Juan - Vite a souper. - Sganarelle - Fort bien. ----------- Scene XI. - Don Juan, Sganarelle, La Violette, Ragotin. - Don Juan - (se mettant a table.) Sganarelle, il faut songer a s'amender pourtant. - Sganarelle - Oui-da. - Don Juan - Oui, ma foi, il faut s'amender. Encore vingt ou trente ans de cette vie-ci, et puis nous songerons a nous. - Sganarelle - Ah ! - Don Juan - Qu'en dis-tu ? - Sganarelle - Rien, voila le souper. (Il prend un morceau d'un des plats qu'on apporte, et le met dans sa bouche.) - Don Juan - Il me semble que tu as la joue enflee : qu'est-ce que c'est ? Parle donc. Qu'as-tu la ? - Sganarelle - Rien. - Don Juan - Montre un peu. Parbleu ! c'est une fluxion qui lui est tombee sur la joue. Vite une lancette pour percer cela ! Le pauvre garcon n'en peut plus, et cet abces le pourrait etouffer. Attends, voyez comme il etait mur ! Ah ! coquin que vous etes ! - Sganarelle - Ma foi, Monsieur, je voulais voir si votre cuisinier n'avait point mis trop de sel ni trop de poivre. - Don Juan - Allons, mets-toi la, et mange. J'ai affaire de toi quand j'aurai soupe. Tu as faim a ce que je vois. - Sganarelle - (se mettant a table.) Je le crois bien, Monsieur, je n'ai point mange depuis ce matin. Tatez de cela, voila qui est le meilleur du monde. (A Ragotin, qui, a mesure que Sganarelle met quelque chose sur son assiette, la lui ote des que Sganarelle tourne la tete.) Mon assiette, mon assiette ! Tout doux, s'il vous plait. Vertubleu ! petit compere, que vous etes habile a donner des assiettes nettes ! Et vous, petit la Violette, que vous savez presenter a boire a propos ! (Pendant que la Violette donne a boire a Sganarelle, Ragotin ote encore son assiette.) - Don Juan - Qui peut fraper de cette sorte ? - Sganarelle - Qui diable nous vient troubler dans notre repas ? - Don Juan - Je veux souper en repos, au moins ; et qu'on ne laisse entrer personne. - Sganarelle - Laissez-moi faire, je m'y en vais moi-meme. - Don Juan - (voyant venir Sganarelle effraye.) Qu'est-ce donc ? qu'y a-t-il ? - Sganarelle - (baissant la tete comme a la statue.) Le... qui est la. - Don Juan - Allons voir, et montrons que rien ne me saurait ebranler. - Sganarelle - Ah, pauvre Sganarelle, ou te cacheras-tu ? ----------- Scene XII. - Don Juan, La Statue du Commandeur, Sganarelle, La Violette, Ragotin. - Don Juan - (a ses gens.) Une chaise et un couvert. Vite donc. (Don Juan et la statue se mettent a table.) (A Sganarelle.) Allons, mets-toi a table. - Sganarelle - Monsieur, je n'ai plus de faim. - Don Juan - Mets-toi la, te dis-je. A boire. A la sante du commandeur ! je te la porte, Sganarelle. Qu'on lui donne du vin. - Sganarelle - Monsieur, je n'ai pas soif. - Don Juan - Bois, et chante ta chanson, pour regaler le commandeur. - Sganarelle - Je suis enrhume, Monsieur. - Don Juan - Il n'importe, Allons. (a ses gens.) Vous autres, venez, accompagnez sa voix. - La Statue - Don Juan, c'est assez, je vous invite a venir demain souper avec moi. En aurez-vous le courage ? - Don Juan - Oui, j'irai, accompagne du seul Sganarelle. - Sganarelle - Je vous rends grace, il est demain jeune pour moi. - Don Juan - (a Sganarelle.) Prends ce flambeau. - La Statue - On n'a pas besoin de lumiere quand on est conduit par le ciel. ACTE CINQUIEME. --------------- Le theatre represente une campagne. Scene premiere. - Don Louis, Don Juan, Sganarelle. - Don Louis - Quoi ! mon fils, serait-il possible que la bonte du ciel eut exauce mes voeux ? Ce que vous me dites est-il bien vrai ? ne m'abusez-vous point d'un faux espoir, et puis-je prendre quelque assurance sur la nouveaute surprenante d'une telle conversion ? - Don Juan - Oui, vous me voyez revenu de toutes mes erreurs ; je ne suis plus le meme d'hier au soir, et le ciel tout d'un coup, a fait en moi un changement qui va surprendre tout le monde. Il a touche mon ame et dessille mes yeux ; et je regarde avec horreur le long aveuglement ou j'ai ete, et les desordres criminels de la vie que j'ai menee. J'en repasse dans mon esprit toutes les abominations, et m'etonne comme le ciel les a pu souffrir si longtemps, et n'a pas vingt fois sur ma tete laisse tomber les coups de sa justice redoutable. Je vois les graces que sa bonte m'a faites en ne me punissant point de mes crimes, et je pretends en profiter comme je dois, faire eclater aux yeux du monde un soudain changement de vie, reparer par la le scandale de mes actions passees, et m'efforcer d'en obtenir du ciel une pleine remission. C'est a quoi je vais travailler ; et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien contribuer a ce dessein, et de m'aider vous meme a faire choix d'une personne qui me serve de guide, et sous la conduite de qui je puisse marcher surement dans le chemin ou je m'en vais entrer. - Don Louis - Ah ! mon fils, que la tendresse d'un pere est aisement rappelee, et que les offenses d'un fils s'evanouissent vite au moindre mot de repentir ! Je ne me souviens plus deja de tous les deplaisirs que vous m'avez donnes, et tout est efface par les paroles que vous venez de me faire entendre. Je ne me sens pas, je l'avoue ; je jette des larmes de joie ; tous mes voeux sont satisfaits, et je n'ai plus rien desormais a demander au ciel. Embrassez-moi, mon fils, et persistez, je vous conjure, dans cette louable pensee. Pour moi, j'en vais, tout de ce pas, porter l'heureuse nouvelle a votre mere, partager avec elle les doux transports du ravissement ou je suis, et rendre graces au ciel des saintes resolutions qu'il a daigne vous inspirer. ----------- Scene II. - Don Juan, Sganarelle. - Sganarelle - Ah ! Monsieur, que j'ai de joie de vous voir converti ! il y a longtemps que j'attendais cela ; et voila, graces au ciel, tous mes souhaits accomplis. - Don Juan - La peste le benet ! - Sganarelle - Comment, le benet ? - Don Juan - Quoi ! tu prends pour de bon argent ce que je viens de dire, et tu crois que ma bouche etait d'accord avec mon coeur ? - Sganarelle - Quoi ! ce n'est pas... Vous ne... Votre... (a part.) Oh ! quel homme ! quel homme ! quel homme ! - Don Juan - Non, non, je ne suis point change, et mes sentiments sont toujours les memes. - Sganarelle - Vous ne vous rendez pas a la surprenante merveille de cette statue mouvante et parlante ? - Don Juan - Il y a bien quelque chose la dedans que je ne comprends pas, mais quoi que ce puisse etre, cela n'est pas capable, ni de convaincre mon esprit, ni d'ebranler mon ame ; et si j'ai dit que je voulais corriger ma conduite, et me jeter dans un train de vie exemplaire, c'est un dessein que j'ai forme par pure politique, un stratageme utile, une grimace necessaire ou je veux me contraindre, pour menager un pere dont j'ai besoin, et me mettre a couvert, du cote des hommes, de cent facheuses aventures qui pourraient m'arriver. Je veux bien, Sganarelle, t'en faire confidence, et je suis bien aise d'avoir un temoin du fond de mon ame, et des veritables motifs qui m'obligent a faire les choses. - Sganarelle - Quoi ! vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous eriger en homme de bien ? - Don Juan - Et pourquoi non ? il y en a tant d'autres comme moi qui se melent de ce metier, et qui se servent du meme masque pour abuser le monde. - Sganarelle - (a part.) Ah ! quel homme ! quel homme ! - Don Juan - Il n'y a plus de honte maintenant a cela : l'hypocrisie est un vice a la mode, et tous les vices a la mode passent pour vertus. Le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse jouer. Aujourd'hui, la profession d'hypocrite a de merveilleux avantages. C'est un art de qui l'imposture est toujours respectee ; et quoiqu'on la decouvre, on n'ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposes a la censure, et chacun a la liberte de les attaquer hautement ; mais l'hypocrisie est un vice privilegie qui, de sa main, ferme la bouche a tout le monde, et jouit en repos d'une impunite souveraine. On lie, a force de grimaces, une societe etroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les attire tous sur les bras ; et ceux que l'on sait meme agir de bonne foi la-dessus, et que chacun connait pour etre veritablement touches, ceux-la, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent bonnement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglement les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j'en connaisse qui, par ce stratageme, ont rhabille adroitement les desordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et sous cet habit respecte, ont la permission d'etre les plus mechants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues, et les connaitre pour ce qu'ils sont, ils ne laissent pas pour cela d'etre en credit parmi les gens ; et quelque baissement de tete, un soupir mortifie et deux roulements d'yeux rajustent dans le monde tout ce qu'ils peuvent faire. C'est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en surete mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j'aurai soin de me cacher, et me divertirai a petit bruit. Que si je viens a etre decouvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes interets a toute la cabale, et je serai defendu par elle envers et contre tous. Enfin, c'est la le vrai moyen de faire impunement tout ce que je voudrai. Je m'erigerai en censeur des actions d'autrui, jugerai mal de tout le monde, et n'aurai bonne opinion que de moi. Des qu'une fois on m'aura choque tant soit peu, je ne pardonnerai jamais, et garderai tout doucement une haine irreconciliable. Je serai le vengeur des interets du ciel ; et, sous ce pretexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiete, et saurai dechainer contre eux des zeles indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement, de leur autorite privee. C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siecle. - Sganarelle - O ciel ! qu'entends-je ici ! il ne vous manquait plus que d'etre hypocrite, pour vous achever de tout point ; et voila le comble des abominations. Monsieur, cette derniere-ci m'emporte, et je ne puis m'empecher de parler. Faites-moi tout ce qu'il vous plaira : battez-moi, assommez-moi de coups, tuez-moi, si vous voulez ; il faut que je decharge mon coeur, et qu'en valet fidele je vous dise ce que je dois. Sachez, Monsieur, que tant va la cruche a l'eau, qu'enfin elle se brise ; et comme dit fort bien cet auteur que je ne connais pas, l'homme est, en ce monde, ainsi que l'oiseau sur la branche ; la branche est attachee a l'arbre ; qui s'attache a l'arbre suit de bons preceptes ; les bons preceptes valent mieux que les belles paroles ; les belles paroles se trouvent a la cour ; a la cour sont les courtisans ; les courtisans suivent la mode ; la mode vient de la fantaisie ; la fantaisie est une faculte de l'ame ; l'ame est ce qui nous donne la vie ; la vie finit par la mort ; la mort nous fait penser au ciel ; le ciel est au-dessus de la terre ; la terre n'est point la mer ; la mer est sujette aux orages ; les orages tourmentent les vaisseaux ; les vaisseaux ont besoin d'un bon pilote ; un bon pilote a de la prudence ; la prudence n'est pas dans les jeunes gens ; les jeunes gens doivent obeissance aux vieux ; les vieux aiment les richesses ; les richesses font les riches ; les riches ne sont pas pauvres ; les pauvres ont de la necessite ; necessite n'a point de loi ; qui n'a pas de loi vit en bete brute, et par consequent vous serez damne a tous les diables. - Don Juan - O le beau raisonnement ! - Sganarelle - Apres cela, si vous ne vous rendez, tant pis pour vous. ----------- Scene III. - Don Carlos, Don Juan, Sganarelle. - Don Carlos - Don Juan, je vous trouve a propos, et suis bien aise de vous parler ici plutot que chez vous, pour vous demander vos resolutions. Vous savez que ce soin me regarde, et que je me suis, en votre presence, charge de cette affaire. Pour moi, je ne le cele point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur ; et il n'y a rien que je ne fasse pour porter votre esprit a vouloir prendre cette voie, et pour vous voir publiquement confirmer a ma soeur le nom de votre femme. - Don Juan - (d'un ton hypocrite.) Helas ! je voudrais bien de tout mon coeur vous donner la satisfaction que vous souhaitez ; mais le ciel s'y oppose directement ; il a inspire a mon ame le dessein de changer de vie, et je n'ai point d'autres pensees maintenant que de quitter entierement tous les attachements du monde, de me depouiller au plus tot de toutes sortes de vanites, et de corriger desormais, par une austere conduite, tous les dereglements criminels ou m'a porte le feu d'une aveugle jeunesse. - Don Carlos - Ce dessein, don Juan, ne choque point ce que je dis ; et la compagnie d'une femme legitime peut bien s'accommoder avec les louables pensees que le ciel vous inspire. - Don Juan - Helas ! point du tout. C'est un dessein que votre soeur elle-meme a pris ; elle a resolu sa retraite, et nous avons ete touches tous deux en meme temps. - Don Carlos - Sa retraite ne peut nous satisfaire, pouvant etre imputee au mepris que vous feriez d'elle et de notre famille ; et notre honneur demande qu'elle vive avec vous. - Don Juan - Je vous assure que cela ne se peut. J'en avais, pour moi, toutes les envies du monde ; et je me suis, meme encore aujourd'hui, conseille au ciel pour cela ; mais lorsque je l'ai consulte, j'ai entendu une voix qui m'a dit que je ne devais point songer a votre soeur, et qu'avec elle, assurement, je ne ferais point mon salut. - Don Carlos - Croyez-vous, don Juan, nous eblouir par ces belles excuses ? - Don Juan - J'obeis a la voix du ciel. - Don Carlos - Quoi ! vous voulez que je me paye d'un semblable discours ? - Don Juan - C'est le ciel qui le veut ainsi. - Don Carlos - Vous aurez fait sortir ma soeur d'un couvent, pour la laisser ensuite ? - Don Juan - Le ciel l'ordonne de la sorte. - Don Carlos - Nous souffrirons cette tache en notre famille ? - Don Juan - Prenez-vous-en au ciel. - Don Carlos - He quoi ! toujours le ciel ! - Don Juan - Le ciel le souhaite comme cela. - Don Carlos - Il suffit, don Juan, je vous entends. Ce n'est pas ici que je veux vous prendre, et le lieu ne le souffre pas ; mais, avant qu'il soit peu, je saurai vous trouver. - Don Juan - Vous ferez ce que vous voudrez. Vous savez que je ne manque point de coeur, et que je sais me servir de mon epee quand il le faut. Je m'en vais passer tout a l'heure dans cette petite rue ecartee qui mene au grand couvent ; mais je vous declare, pour moi, que ce n'est point moi qui veux me battre : le ciel m'en defend la pensee ; et si vous m'attaquez, nous verrons ce qui en arrivera. - Don Carlos - Nous verrons, de vrai, nous verrons. ----------- Scene IV. - Don Juan, Sganarelle. - Sganarelle - Monsieur, quel diable de style prenez-vous la ? Ceci est bien pis que le reste, et je vous aimerais bien mieux encore comme vous etiez auparavant. J'esperais toujours de votre salut ; mais c'est maintenant que j'en desespere : et je crois que le ciel, qui vous a souffert jusques ici, ne pourra souffrir du tout cette derniere horreur. - Don Juan - Va, va, le ciel n'est pas si exact que tu penses ; et si toutes les fois que les hommes... ----------- Scene V. - Don Juan, Sganarelle ; un spectre, en femme voilee. - Sganarelle - (apercevant le spectre.) Ah ! Monsieur, c'est le ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous donne. - Don Juan - Si le ciel me donne un avis, il faut qu'il parle un peu plus clairement, s'il veut que je l'entende. - Le spectre - Don Juan n'a plus qu'un moment a pouvoir profiter de la misericorde du ciel ; et s'il ne se repent ici, sa perte est resolue. - Sganarelle - Entendez-vous, Monsieur ? - Don Juan - Qui ose tenir ces paroles ? je crois connaitre cette voix. - Sganarelle - Ah ! Monsieur, c'est un spectre, je le reconnais au marcher. - Don Juan - Spectre, fantome, ou diable, je veux voir ce que c'est. (Le spectre change de figure, et represente le Temps, avec sa faux a la main.) - Sganarelle - O ciel ! Voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ? - Don Juan - Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur ; et je veux eprouver avec mon epee si c'est un corps ou un esprit. (Le spectre s'envole dans le temps que don Juan veut le frapper.) - Sganarelle - Ah ! Monsieur, rendez-vous a tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir. - Don Juan - Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis-moi. ----------- Scene VI. - La Statue du Commandeur, Don Juan, Sganarelle. - La Statue - Arretez, don Juan. Vous m'avez hier donne parole de venir manger avec moi. - Don Juan - Oui. Ou faut-il aller ? - La Statue - Donnez-moi la main. - Don Juan - La voila. - La Statue - Don Juan, l'endurcissement au peche traine une mort funeste ; et les graces du ciel que l'on renvoye ouvrent un chemin a sa foudre. - Don Juan - O Ciel, que sens-je ? un feu invisible me brule, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent ! Ah ! (Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands eclairs sur don Juan. La terre s'ouvre et l'abime ; et il sort de grands feux de l'endroit ou il est tombe.) ----------- Scene VII. - Sganarelle. - Sganarelle - Ah mes gages ! mes gages ! Voila, par sa mort, un chacun satisfait. Ciel offense, lois violees, filles seduites, familles deshonorees, parents outrages, femmes mises a mal, maris pousses a bout, tout le monde est content ; il n'y a que moi seul de malheureux. Mes gages, mes gages, mes gages ! FIN DU FESTIN DE PIERRE. ------------------------------------------------------------------------- Notes [from 1890 edition] ----------- (1) "Aga" est une interjection d'admiration encore usitee dans quelques pays de France. Elle n'est point tiree du grec, comme plusieurs hellenistes l'ont pense. La nature l'a fournie a nos ancetres comme les autres interjections "ah !" "oh !" "eh !" (Men.) ----------- (2) Ce proverbe, fonde sur quelque superstition populaire, se trouve dans la "Comedie des Proverbes", d'Adrien de Montluc : "Tu as la berlue ; je crois que tu as ete au trepassement d'un chat, tu vois trouble." (A.) ----------- (3) "Ardez", abreviation de "regardez". ----------- (4) On dit figurement, il en a pour "sa mine de feves", pour, il a ete attrape, il en a eu pour son compte. La "mine" est une mesure qui contient la moitie d'un setier. ----------- (5) "Engingorniaux", parure, ornement de cou. Ce mot patois est probablement compose de l'ancienne expression "engin", invention, et de "gorgere", "gorgias", gorge, invention pour le cou. Ce qui a frappe Pierrot, c'est ce "grand mouchoir de cou a reseau avec quatre grosses houpes de linge qui qui leur pendaient sur l'estomac". ----------- (6) Les villageoises portaient alors sur leur jupon une espece de tablier appele "garde-robe". Ce mot a perdu cette signification. ----------- (7) Le creux qui est en haut de l'estomac. Ce mot derive de l'allemand "brechen", rompre, couper. (Men.) ----------- (8) Mot qui exprime la niaiserie et l'inexperience, par allusion aux jeunes oiseaux, qui naissent presque tous avec le bec jaune, et qui, en termes de fauconnerie, se nomment des "niais". Montrer a quelqu'un son "bec jaune", c'est lui montrer qu'il est un sot. ----------- (9) Autre locution proverbiale qui exprime la honte de n'avoir pas reussi dans une entreprise. "Voila des harangueurs bien connus", dit Montaigne. ----------- (10) Tous les mots places entre deux crochets ne se trouvent que dans la premiere edition. ----------- (11) Fantome cree par l'imagination du peuple, et qu'on representait courant la nuit dans les rues pour maltraiter les passants. ----------- (12) "Chevir", c'est-a-dire, venir a "chef" et a bout de quelque chose, car il vient de "chef", ainsi qu'achever. Selon ce, on dit "chevir" d'un homme reveche, d'un cheval farouche : c'est en venir a bout, et le mettre a la raison (Nic.) ----------- *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, DON JUAN, OU LE FESTIN DE PIERRE *** This file should be named 8djua10.txt or 8djua10.zip Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 8djua11.txt VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 8djua10a.txt Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. 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