Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843 Author: Various Release Date: August 19, 2011 [EBook #37135] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION *** Produced by Rénald Lévesque L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843 L'ILLUSTRATION, JOURNAL UNIVERSEL. Nº 15. Vol. I. SAMEDI 10 JUIN 1843 Bureaux, rue de Seine. 33, Ab pour Paris.--3 mois, 8 fr..--6 mois 16 fr,--Un an, 30 fr. Prix de chaque Nº 75 c.--La collection mensuelle, 2 fr. 75. Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour l'étranger,--10--20--40 SOMMAIRE Troubles en Irlande. _Portrait d'O'Connell_.--Courrier de Paris.--Suite de concerts de la rue de la victoire. _O Salutaris de Palestrina; rue de la salle des concerts_.--La cour du grand duc, nouvelle, par Eugène Guinot (suite).--Distribution prix de l'Académie des jeux floraux. _Jetons de présence, statue de Clémence Isaure._--Les plaisirs des Champs-Elysées. _L'attelage des chèvres; le pesage; le dynamomètre; le physicien; les chanteurs ambulants; le restaurant Ledoyen._--Compte-rendu de l'Académie des sciences depuis le commencement de l'année.--Météorologie pendant le mois de mai.--La galvanographie.--Trois gravures d'après Garvani.--Théâtre de l'Opéra-Comique. _Une scène d'Angélique et Médor_. --Bibliographie.--Ameublements. Un salon Louis XV. Problèmes divers.--Rébus. Troubles en Irlande. L'Europe est dans l'attente, le sol tremble en Irlande, et la guerre semble près de l'ensanglanter. Jamais O'Connell n'a eu plus de puissance. A sa voix, les populations se lèvent par milliers et lui dressent sur les routes des arcs de triomphe; les laboureurs abandonnent leurs charrues, les artisans leurs ateliers, et le suivent à pied, en chariots, à cheval; les femmes montent en croupe; partout les villages, les villes se dépeuplent pour faire au «grand agitateur» un cortège tel que n'en ont plus les rois, tel que n'avaient point les orateurs antiques, tel que, pour en trouver qui lui soient comparables, il faudrait peut-être remonter par la pensée jusqu'aux annales de la Judée, et se rappeler les multitudes fanatisées, errantes et haletantes aux prédications des prophètes. O'Connell s'arrête et parle: 500 mille hommes s'arrêtent et écoutent. A ses gestes plus qu'à ses paroles, ils relatent tour è tour en applaudissements, en murmures, ils jettent au ciel des cris terribles contre leurs oppresseurs. Mais que le tribun fasse un signe, aussitôt tout rentre dans le silence, dans le calme; attentive et soumise, on dirait que la foule immense n'a comme lui qu'une voix et un coeur. Pareil spectacle ne s'est vu nulle part ailleurs de notre temps et y semble un anachronisme sublime. Quelle émotion profonde s'est donc emparée de cette nation, et quelle est la source de l'autorité de celui qui la guide? Que veut l'Irlande? Ce qu'elle veut? Quand même vous pourriez l'ignorer, répondez avec assurance:--Quoi qu'elle veuille, elle a raison de le vouloir. Quelle que soit sa cause, sa cause est juste et sainte. Une preuve suffit: l'Irlande a les sympathies de la France, et jamais la France ne s'est trompée dans ses sympathies. Certes, la cause politique de l'Irlande n'est pas à beaucoup d'égards celle de la France. Si l'on consulte ses regrets, ses plaintes, ses voeux, on voit aisément qu'entre elle et nous il y a la distance de plusieurs siècles. Il est évident qu'elle aspire à une constitution dont les principaux éléments appartiennent à un passé dont nous ne voulons plus. Supposer que O'Connell ait jamais été sympathique à nos révolutions, supposer que s'il pouvait prendre place parmi nos représentants, il fut disposé le moins du monde à y joindre sa voix à celle des fractions libérales, ce serait assurément une lourde erreur. Il y a plus, s'il faut tout dire; le rappel de l'union, considéré en théorie et en dehors des circonstances qui peuvent en fait le rendre utile et même nécessaire, est une mesure directement contraire aux principes d'unité et d'association des peuples qui ont toujours inspiré et distingué la politique française. Cependant, en prenant parti pour l'Irlande, nous ne sommes pas en contradiction avec nous-mêmes: nous aimons et nous devons aimer l'Irlande; tous nos voeux sont pour elle, parce qu'elle est asservie, opprimée, parce qu'elle souffre parce qu'en elle l'humanité est indignement violée, parce qu'elle a besoin d'être aimée et d'être encouragée, parce qu'enfin il est un principe de morale qui domine toutes les théories politiques: c'est que la charité est le premier de tous les devoirs pour les individus et pour les peuples, comme la liberté est pour eux le premier de tous les biens. [Illustration: O'Connell.] Ajoutons seulement cette autre réserve: les inimitiés de races sont de fausses inimitiés qui doivent tôt ou tard disparaître; la cause du peuple irlandais est au fond celle du peuple anglais; les misères des classes ouvrières anglaises n'excitent pas moins de pitié en Europe que celles des Irlandais; et il y a longtemps que les deux peuples, s'ils avaient pu comprendre quel est leur ennemi commun, se seraient tendu la main et affranchis ensembles. Quoi qu'il en soit, il est trop vrai que l'antipathie de races a fait alliance avec l'esprit de caste, et que de la part de l'Angleterre il y a eu ligue contre les Irlandais entre ces deux principes d'oppression. Nous savons tous que depuis sept siècles, l'Irlande conquise par les Anglais n'a pas cessé jusqu'à nos jours d'être traitée en peuple conquis; nous savons que son histoire, à partir de l'année 1469, en une bule du pape Adrien IV l'a livrée en proie à l'Angleterre, n'est qu'une longue suite de souffrances de constants mais vains efforts pour briser ses fers. Et n'est-ce pas une chose remarquable que cette impuissance absolue de l'Angleterre à s'associer les peuples qu'elle a vaincus, à leur faire oublier ses victoires, à les faire entrer en partage de ses moeurs, de sa civilisation, de sa nationalité? Que ses colonies secouent sans cesse leur joug avec une haine impatiente: que l'Amérique du Nord, malgré la communauté d'origine, ait répudié et énergiquement repoussé au delà des mers sa tutelle tyrannique; que l'Inde énervée et rêveuse, enchaînée pendant son sommeil, ait des réveils parfois si terribles, il n'y a rien qui doive étonner. On conçoit qu'il soit difficile à l'Angleterre d'étendre aussi loin une influence active et soutenue. Mais que sur le même sol pour ainsi dire, qu'entre ces rivages baignés des mêmes flots, que dans les limites restreintes de ce petit archipel où elle a planté comme un sceptre son orgueilleux triplent et d'où elle prétend gouverner le monde, elle n'ait su ni voulu, dans l'espace de sept cents ans, se concilier les sympathies d'une population vive, aimante, accessible à tous les sentiments nobles et généreux; qu'elle n'ait réussi ni par affection, ni par ruse à l'attacher à elle par aucun lieu de fraternité; qu'elle ne l'ait pas même habituée à la résignation, n'est-ce point là une haute et sévère condamnation de son caractère et de la tendance matérialiste de ses instincts? A l'irritation naturelle des Irlandais, après l'injuste envahissement de leur territoire, vint se joindre, dans les siècles suivants un autre sujet de ressentiment non moins légitime et non moins profond, lorsque l'Angleterre fut devenue protestante, elle voulut imposer sa réforme religieuse à l'Irlande; il s'ensuivit des guerres opiniâtres éternelles qui n'eurent d'autres résultats que d'accroître les souffrances et l'humiliation de l'Irlande. Ce malheureux pays fut surchargé d'impôts: il fut obligé de payer d'énormes dîmes au clergé anglican; il lui lut défendu d'exporter le blé, le bétail, tes lainages; des lois furent rendues pour interdire aux catholiques l'entrée au Parlement, les fonctions publiques et jusqu'au droit d'acquérir des biens-fonds. Les Irlandais n'eurent plus d'autres ressources pour vivre que de louer à des prix exorbitants les domaines dont ils avaient été dépouiller. La misère, la corruption, furent les conséquences nécessaires de cette odieuse politique. Au dernier siècle, Swift écrivait: «Traversez l'Irlande, regardez ces figures hâves, ces bouges misérables, ces champs à peine défrichés, ces femmes nues, ces bommes qui ressemblent à des bêtes fauves; dites si le jugement de Dieu n'est pas descendu sur nos têtes. Est-ce l'Irlande ou la Laponie, et reconnaîtrez-vous notre pays où la terre est fertile, le ciel doux, le climat modéré, les hommes doués de qualités souples, variées, heureuses? Des haillons, une détestable nourriture, la désolation de presque tout le royaume; les habitants sans bas, sans souliers, sans abri, vivant de pommes de terre; en aucun pays on ne vit jamais autant de mendiants.» Le spectacle que l'Irlande offre aujourd'hui au voyageur; n'est pas moins déplorable, la misère n'y est pas moins affreuse; mais sous différents rapports, la condition politique du pays, quoique loin d'être ce qu'il faudrait qu'elle fût, s'est considérablement améliorée. L'insurrection victorieuse des colonies anglaises de l'Amérique du Nord ouvrit une ère nouvelle. Ce grand événement inspira à l'Irlande plus de confiance dans l'avenir; pour la première fois, depuis plusieurs siècles, elle se sentit renaître à la vie politique. Ses côtes étaient menacées d'une descente et d'une invasion étrangères; l'Angleterre, occupée à soumettre ses colonies rebelles, ne pouvait la défendre; elle trouva en elle les ressources nécessaires. L'Irlande se couvrit en peu de jours d'une milice volontaire qui s'arma, s'enrégimenta, s'organisa elle-même, nomma ses chefs. Une armée de quarante mille hommes fut sur pied, et dès lors l'Irlande eut le secret de sa force; mais il lui restait à apprendre les moyens de s'en servir. L'Angleterre, au plus fort même de sa tyrannie, avait été contrainte de laisser aux Irlandais des libertés et des droits tels que peu de peuples en possèdent encore aujourd'hui en Europe: ce n'était point générosité de sa part; ses moeurs, ses habitudes, ses préjugés mêmes, l'obligeaient à ces concessions. Ainsi, tandis qu'elle exerçait sur l'Irlande une oppression dont rien n'égale;'iniquité, la presse y était libre et n'avait jamais cessé de l'être. Le principe de la responsabilité des agents du pouvoir devant l'autorité judiciaire était demeuré intact au milieu des plus grands troubles. Les Irlandais ne pouvaient à la vérité se réunir dans leurs églises pour prier Dieu comme il leur convenait, mais ils étaient libres de s'assembler sur les places publiques pour délibérer sur les rigueurs dont ils étaient victimes. Jamais en Irlande le principe du jury n'a été contesté: jamais, et dans aucun temps, le gouvernement anglais n'a mis en doute le droit qu'ont tous les citoyens de s'associer; jamais on ne l'a vu interdire l'usage de peur de l'abus, et prétendre régler ce droit en faisant dépendre son exercice d'une autorisation officielle, comme si la nécessité de l'autorisation n'était pas négative du droit. Les Volontaires se servirent de ces libertés pour entreprendre l'indépendance de l'Irlande. Le jury, la liberté de la presse, le droit d'association, la responsabilité des agents du pouvoir, l'habeas-corpus, devinrent dans leurs mains des armes redoutables, et l'Angleterre comprit enfin qu'il y avait en Irlande des adversaires avec lesquels il fallait compter. Les catholiques y gagnèrent les premiers, et quelques-unes des lois d'oppression qui avaient été dirigées contre eux furent rappelées. L'Irlande avait un Parlement, mais ce Parlement ne pouvait s'assembler sans que les motifs de sa convocation et les projets de loi qu'on se proposait d'y discuter n'eussent préalablement été approuvés par le gouvernement anglais. Sur l'initiative des volontaires, le Parlement irlandaise déclara indépendant, et proclama qu'aucun pouvoir sur la terre n'avait le droit de faire des lois obligatoires pour l'Irlande, hors le roi, les lords et les communes d'Irlande. Ces faits se passaient en 1782. Hardiment engagée dans cette voie de réforme et d'indépendance, l'Irlande travailla rapidement à s'affranchir des entraves que lui avait imposées;'Angleterre: l'explosion de la révolution française accéléra encore ce mouvement. Le gouvernement anglais se hâta de faire les concessions les plus impérieusement réclamées par les réformateurs irlandais, soit protestants, soit catholiques; mais l'appel que les plus ardents d'entre firent aux armes françaises compromit leur cause. L'Angleterre, qui avait toléré assez patiemment l'insurrection légale des Irlandais, ne pouvait souffrir une invasion française; elle défendit sa conquête et ses privilèges par les armes, et l'Irlande retomba sous le joug. Alors, dans la crainte que le Parlement irlandais ne vint à recouvrer encore une fois son indépendance, l'Angleterre voulut lui en ôter les moyens en l'incorporant au Parlement anglais. La corruption unie à la violence triompha des répugnances les plus opiniâtres, et, en 1800, l'union fut prononcée entre l'Irlande et la Grande-Bretagne. Il ne faut pas croire que cette union eut pour effet de confondre l'Irlande avec l'Angleterre, d'en faire une province anglaise, soumise en touts points au même gouvernement, à la même police et aux mêmes lois. L'acte de l'union laissa à l'Irlande toutes ses lois, seulement il établit que désormais toutes les lois nécessaires aux deux pays seraient faites par un parlement commun, où l'Angleterre et l'Irlande enverraient leurs représentants. Jusque-là il n'avait été question en Irlande que de l'indépendance politique: les catholiques, il est vrai, avaient été délivrés des lois les plus oppressives portées contre eux, mais ils étaient encore sous le poids des lois qui les rendaient incapables d'exercer les droits politiques. Le gouvernement anglais s'était engagé à abolir ces lois comme un adoucissement aux rigueurs de l'acte d'union; mais, malgré l'engagement formel pris par Pitt, ces lois ne lurent pas rappelées, par suite de la résistance de Georges III. Dès lors, l'Irlande, avertie par ses malheurs passés, au lieu de recourir à la violence et à la révolte pour obtenir justice, n'employa plus pour obtenir le redressement de ses griefs, que les moyens légaux que lui offrait la Constitution: elle en appela à la presse et à l'association. Vers l'année 1810, un comité de catholiques s'organisa à Dublin pour obtenir l'émancipation catholique; elle avait pour but le progrès légal; elle mit en oeuvre l'agitation sans violence, la résistance sans; révolution; aussi réunit-elle bientôt dans son sein tout ce qu'il y avait en Irlande d'instincts et de besoins d'indépendance. Ce n'était pas assez, pour triompher, d'avoir une cause sainte, de défendre la cause de la liberté politique et religieuse, il fallait être conduits avec sagesse et prudente, il fallait trouver un chef capable de diriger le peuple, qui gagnât la confiance de l'Irlande et n'effrayât pas d'abord l'Angleterre; un homme profondément pénétré de l'état du pays, comprenant également ses besoins et ses périls, assez puissant par la parole pour exciter dans l'âme du peuple des passions ardentes contre ce qui restait de servitude, et assez sage pour en arrêter l'élan à la limite de l'insurrection; qui, jurisconsulte subtil autant que tribun éloquent, assez impétueux pour pousser l'Irlande et assez fort pour la contenir à son gré, sût se contenir dans les bornes de la légalité et défendre lui-même avec succès devant un jury les excès qu'il avait encouragés. Cet homme, ce chef, l'Irlande le trouva dans Daniel O'Connell. Ou se trompe certainement lorsque l'on attribue à O'Connell l'honneur d'avoir réveillé chez les Irlandais la haine de la servitude et d'avoir conquis la liberté religieuse. Le mouvement d'indépendance avait précédé de longtemps l'apparition d'O'Connell sur la scène du monde; mais le mérite de cet homme extraordinaire est d'avoir adopté la défense de son pays malheureux, d'avoir compris les souffrances de l'Irlande, de s'en être fait le représentant, de s'être dévoué à cette noble tâche, et d'avoir hâté, par ses qualités les plus diverses, le triomphe de la cause dont il s'était constitué l'organe. Né à Dublin, d'une famille ancienne et qui descend, dit-on, des anciens rois d'Irlande, O'Connell fut élevé en France dans les colléges catholiques de Saint-Omer et de Douai. Jeune encore, il embrassa la carrière du barreau et se distingua par une éloquence forte et passionnée et par une ardeur intrépide à défendre ses coreligionnaires. Orateur applaudi dans les meetings, il se trouva porté tout naturellement à faire partie de l'association catholique, et il ne tarda pas à en devenir un des directeurs et après quelques années le chef tout-puissant. Assurément, ce qui distingue O'Connell, ce n'est pas l'éclat de telle qualité particulière, c'est plutôt l'assemblage de plusieurs qualités ordinaires, mais dont la réunion est singulièrement rare. Il y a, sans contredit, dans les rangs des catholiques irlandais, des orateurs d'une éloquence plus pure, des écrivains plus remarquables, des hommes d'action aussi courageux et aussi résolus; mais O'Connell réunit les qualités d'orateur, d'écrivain et d'homme d'action, et il les soumet à une prudence consommée qui dirige ses actions les plus spontanées en apparence. Accordez-lui en outre un bon ses parfait, et vous comprendrez la fortune d'O'Connell. Grâce à ces qualités, O'Connell, en prenant en main la direction de l'association catholique, comprit que l'Irlande avait été trop facilement abattue par l'Angleterre dans toutes ses tentatives d'insurrection pour qu'elle dût demander désormais aux armes la justice qu'elle demandait de l'Angleterre. Un zèle imprudent eût fait perdre les lentes acquisitions des cinquante dernières aimées, et avant de songer à une indépendance complète, il fallait user de tous les moyens que fourniraient les droits que l'Angleterre avait reconnus à l'Irlande. Demeurant strictement dans les limites de la légalité, O'Connell entreprit de donner à son pays la seule situation qui pût le satisfaire, et tenir l'Angleterre dans une inquiétude favorable à l'Irlande; il établit un état permanent de guerre constitutionnelle, si l'on peut se servir de cette expression, une paix sans cesse agitée, un état intermédiaire entre le régime des lois et l'insurrection. C'est dans la conduite de cette association qu'il faut admirer le génie d'O'Connell. Il lui a donné les bases d'un parlement régulier; elle est représentée par un comité central séant à Dublin et composé de membres dont le mode d'élection a varié suivant les circonstances. Ce comité, sous l'inspiration d'O'Connell, s'assemble régulièrement, examine les lois proposées, les discute, censure les actes du pouvoir et ses agents, prend des résolutions, les publie dans un journal spécial. Comme tous les gouvernements établis, l'association lève des impôts en échange de la protection qu'elle donne. Elle commande, et l'Irlande obéit. Dès qu'elle l'ordonne, toutes les paroisses d'Irlande s'assemblent; des réunions se forment le même jour dans tout le pays. Elle s'établit comme la patronne de tous les citoyens; elle provoque et reçoit les plaintes de quiconque a des griefs contre l'autorité publique, contre les ministres protestants, contre les magistrats. C'est elle qui conduit les élections. Telle est l'oeuvre la plus imposante d'O'Connell. Ce n'est pas tout que d'organiser, il faut constituer et maintenir. C'est encore à O'Connell que l'association doit d'avoir traversé tous les obstacles que lui imposait le gouvernement anglais. C'est à sa sagacité et à son incomparable intelligence des détours de la chicane, que l'association a dû son salut, car toujours il a su mettre en défaut la haine de ses antagonistes, et toujours il a su trouver pour elle la forme que le législateur avait oublié d'interdire. «Il est bien aisé, s'écriait un jurisconsulte expérimenté, il est bien aisé de dire qu'il faut arrêter M. O'Connell et le livrer à la justice; mais la difficulté est de le surprendre en défaut et de trouver une loi qu'on puisse l'accuser d'avoir formellement violée.» Singulière situation de l'Angleterre, gênée par ses propres lois dans ses plus ardents désirs d'oppression! Ou trouver ailleurs une tyrannie qui tolère, dans un pays vaincu et enchaîné, la liberté de la presse, le jury et le droit de s'associer le plus illimité? _(La suite à un autre numéro.)_ Courrier de Paris. En arrivant sur le boulevard Saint-Antoine, un peu avant la place de la Bastille, si vous jetez les yeux du coté opposé à la place Royale, vous verrez trois maisons neuves qui montrent aux passants leur blanche façade de pierre de taille et de moellons. Les toits sont à peine achevés; les fenêtres, encore dépouillées de boiserie et de vitres, permettent à l'oeil de pénétrer par leurs ouvertures béantes dans cette solitude pleine de tristesse des bâtiments en construction. Laissez passer quelques jours, et ce désert sera peuplé et bruyant, du rez-de-chaussée à la mansarde; à peine attendra-t-on que la dernière pierre soit posée et que le maçon ait donné le dernier coup de truelle. Le Parisien n'y regarde pas de si près; dès qu'il voit les choses, il faut qu'il en jouisse; le proverbe: _Qui va doucement va sûrement_, n'est pas fait pour son usage; vivement et promptement, telle est sa divise, et Dieu pour tout le monde! Si M. le préfet de police le laissait faire, il essaierait de traverser les ponts dont une seule arche serait construite; les murs sont encore humides, les poutres tout au plus assurées, l'escalier et les cours pleins de poussière et de chaux, et le voilà qui s'installe dans la maison! Que la chose soit possible, en attendant l'achèvement des fondations et des voûtes, il se logera dans la hotte du plâtrier! Médecins et pharmaciens retirent le bénéfice le plus net de cette ardeur de location expéditive; les migraines, les rhumes et les maux de poitrine fleurissent à l'ombre des fraîches murailles.--Mais revenons à nos trois maisons. En elles-mêmes, elles n'ont rien de particulier ni de remarquable. Figurez-vous trois maisons comme Paris en bâtit tous les jours par centaines: une boutique et six étages, voilà l'architecture actuelle; le métier du tailleur de pierres y prend plus de part que l'art de Vitruve et de Palladio. Mais si vous interrogez le sol sur lequel pèsent ces masses énormes, ces espèces de casernes où les Parisiens s'entassent, le sol vous répondra quelque chose. Il n'y a pas, en effet, un seul de ces entassements de pierres et de charpentes qui ne recouvre pour ainsi dire un lieu célèbre par un homme ou par un événement. Que voulez-vous? cette terre parisienne a de tout temps, été si féconde en grands crimes et en grandes actions! Dans chaque sillon de ce champ immense, remue depuis des siècles, quelque chose d'illustre ou de fatal a germé. Les générations y sommeillent l'une sur l'autre, couche par couche; la pioche n'y tombe pas sans heurter un nom; l'architecte n'y pose pas une fondation qui ne s'appuie à un souvenir. Sous ce Paris visible, sous ce Paris palpable, qui étale aux yeux ses hommes, ses maisons et ses rues, il y a le Paris qu'on ne voit plus, le Paris qu'on ne touche ni du doigt ni de l'oeil, le Paris qui se tient enseveli et caché dans ses propres entrailles: la ville vivante a le pied sur la ville morte. L'histoire du Paris souterrain, du Paris à fleur de terre, est une histoire à faire. Remuez le terrain où s'élèvent nos trois maisons neuves: qu'y trouvez vous? Eh! mon Dieu, tout simplement la philosophie du dix-huitième siècle, la souveraine audacieuse et irrésistible qui a changé la France de fond en comble et conquis le monde. Ces trois lourdes maisons froidement alignées, ces boutiques qui attendent le boulanger ou la mercière du coin, ces appartements innocemment destinés à d'honnêtes rentiers de la place Royale ou de la rue Saint-Louis n'intéressent ni votre âme ni votre imagination; mais prêtez l'oreille aux échos du passé, mais regardez à travers le linceul de la mort, aussitôt tout change et tout s'anime sur ce sol que vous fouliez aux pieds avec indifférence; ce n'est plus une habitation banale, ouverte au premier bourgeois et au premier marchand venus qui paierait leurs loyers, C'est le rendez-vous des esprits les plus entreprenants, des imaginations les plus ardentes du siècle dernier. Vous êtes là en plein dix-huitième siècle; vous vivez de sa vie, à la fois frivole et sérieuse, dogmatique et sensuelle; dans cette demeure ainsi reconstruite, les affaires, le plaisir, la philosophie se donnent la main et combattent en même temps; Ia passion, le rude sarcasme, la raillerie légère, sont les hôtes du logis. Que vous dirai-je? Vous n'êtes plus dans mes trois maisons neuves, mais dans la maison de Beaumarchais; et ne voyez-vous pas là-bas, sur les murailles, une ombre leste et souriante? C'est l'ombre de Figaro qui passe; on aperçoit encore le bout de sa résille, le manche de sa guitare, un éclair de son oeil provoquant et spirituel, et la lame de son rasoir affilé comme sa langue à deux tranchants? A cette place même, un peu avant la Révolution, Beaumarchais s'était fait bâtir une habitation immense et magnifique; Voltaire en était le dieu lare: sa statue en décorait l'entrée; son portrait se répétait de salon en salon. Traversez ces sentiers de sable qui se croisent dans le jardin, passez sous ces rochers postiches, sous ces massifs de verdure, vous découvrez un temple d'une forme antique. Quelle est la divinité qu'on y encense? Est-ce la sage Minerve, ou Apollon aux flèches rapides, ou Mars au casque retentissant? Non: c'est encore Voltaire. Beaumarchais s'était d'ailleurs soumis scrupuleusement à cette doctrine que son dieu Voltaire enseigne quelque part: _le superflu, chose si nécessaire_. Le nécessaire, selon la doctrine de Voltaire, se montrait partout dans la maison de Beaumarchais: riches peintures, magnifiques statues, adorables bas-reliefs; Rome, la Grèce et l'art de Jean Goujon. La philosophie d'une part, de l'autre Hébé et Ganimède; ici une sentence de quelque sage gravée en lettres d'or; là cet apophthègme en latin macaronique inscrit au fronton de la salle à manger: ERENT TEMPLUM A BACCHO, AMISQUE GOURMANTIBUS. Curieux mélange de raillerie et de gravité, de foi et de scepticisme, où se trouve résumé d'une manière originale le caractère singulier de ce siècle qui se passionnait et souffrait avec Jean-Jacques pour la cause et l'avenir de l'humanité, et d'autre part se livrait au plaisir et au doute avec insouciance, disant comme Figaro: «Qui sait si le monde durera trois semaines?» Ainsi la maison de Beaumarchais n'existe plus; abattue, il y a déjà plusieurs années, pour les menus plaisirs du canal Saint-Martin, elle était restée longtemps à l'état de terrain vague. L'oeil rencontrait avec tristesse, cette immense et stérile solitude dans le voisinage d'un faubourg si actif et si peuplé Maintenant ce désert est bâti du haut en bas, ou peu s'en faut, bâti par des maçons et rien de plus: il ne faut pas compter sur l'étrusque et l'ionique que Beaumarchais n'avait pas épargné, ni sur des frises imitées du temple d'Antonin et de Faustine. Cependant les maçons ont eu beau faire, un homme d'un peu de savoir, de coeur et d'esprit, ne passera par-là sans dresser l'oreille et sans ouvrir les yeux, comme s'il entendait encore la voix mordante de Figaro, comme s'il voyait briller derrière la jalousie le regard amoureux de Rosine et la vive prunelle de Suzanne. De la guitare de Figaro au cor de M. Vivier, il y a la différence du cuivre à la corde, mais, au fond, il s'agit de la même chose, c'est-à-dire de deux artistes; l'un toutefois l'emporte sur l'autre, comme le chêne sur l'humble charmille, et je suis obligé de le dire, au risque de froisser l'amour-propre du barbier de Séville, ce n'est pas Figaro qui est le chêne. Après tout, qu'importe à Figaro? il n'a jamais eu la prétention d'être un virtuose: Figaro n'a été musicien que par hasard et en payant, comme il a été tant d'autres choses; poète, barbier, diplomate, auteur dramatique, journaliste, commis, médecin, apothicaire même, suivant les évolutions de son étoile. Si Figaro portait une guitare, celait seulement pour accompagner sa philosophie: Le vin et la paresse Se partagent mon coeur. Si l'une est ma maîtresse, L'autre est mon serviteur; et aussi pour fredonner de temps en temps un air tendre sous le balcon de quelque piquante Lisette andalouse, tandis que le seigneur comte Almaviva engluait les Rosines.--Quant à M. Vivier, c'est autre chose: M. Vivier n'a jamais couru en aventurier les rues île Séville, ni livré bataille aux Bartholo et aux Basile, et ceci explique comment M. Vivier est devenu un artiste remarquable, un joueur de cor, ou, pour parler la langue technique, un corniste étonnant, tandis que Figaro n'a jamais fait que racler de la guitare. M. Vivier est à Paris depuis quelques semaines; jusque-là il n'était pas autre chose qu'un homme comme un autre, parfaitement inconnu. Employé à Lyon dans une maison de commerce, M. Vivier ressemblait en apparence à un simple commis tenant la partie double et vantant la marchandise. Mais, à peine le métier laissait-il à notre jeune homme une heure de loisir, qu'aussitôt le commis faisait place à l'artiste: M. Vivier s'enfermait dans sa mansarde; là, s'attaquant corps à cor au dur et rebelle instrument, à force de courage, d'adresse et de persévérance, il est parvenu à le dompter, à le soumettre, à le rendre plus docile, plus obéissant, plus fécond qu'il ne s'est jamais montré sous la main de ses dominateurs les plus heureux et les plus célèbres. En un mot, M Vivier lui arrache des secrets qu'il semblait dérober aux autres. Giulu Paër, le Messie du cor. Punto et Rodolphe, ses apôtres, Gallay, Dauprat, Duvernoi, Meugal, et d'autres aussi fameux n'ont pas obtenu ce qu'il accorde à M. Vivier. Que leur disait-il, en effet? Il répondait à leur provocation par un son unique, par des notes successives. Nos maîtres avaient l'exciter à parler davantage, avec tout l'art imaginable, ils n'en tiraient pas un mot de plus, M. Vivier, et c'est là le merveilleux de sa découverte, M. Vivier a donné à l'instrument soliloque une double, une triple voix; avec M. Vivier, le cor chante la romance de Richard, une _Pierre brûlante_ et, du même coup, vous entendez la partie de Blondel et la partie de Richard. Vous plaît-il d'écouler la _Chasse du jeune Henri?_ notre cor, en véritable sorcier qu'il est, exécute par trois sons simultanés les marches d'harmonie les traits de violon et la fanfare. Si M. Vivier ne s'entend pas avec le diable, il ne s'en faut guère; c'était du moins l'avis d'Auber, d'Halévv et d'Adolphe Adam, qui se trouvaient là avec nous autres ignorants, tandis que M Vivier faisait ses tours de force. Comment est-il parvenu à cette découverte et à ce prodige d'acoustique? c'est son secret et il le garde.--Dieu ou diable, toujours est-il certain que M. Vivier vient d'augmenter le bataillon des phénomènes vivants que Paris recrute incessamment. L'été n'est pas favorable aux cornettistes; mais arrive janvier et la saison des concerte, ce cor diabolique fera fureur. Notre virtuose ne posséderait pas son secret miraculeux, qu'il lui resterait encore un moyen de faire du bruit et d'être remarqué; M. Vivier se rattache à une haute parenté; un sang fameux coule dans ses veines; il est positivement le neveu d'un des hommes les plus étonnants du dix-neuvième siècle, de M. de Perpignan, ce héros aussi modeste que brave, qui a laissé un de ses membres sur tous les champs de bataille, depuis le passage des Thermopyles jusqu'à la prise de la Casauba. Après avoir cueilli de sanglantes moissons de lauriers et dispersé plusieurs armées de sa propre main, M. de Perpignan se repose des fatigues de la guerre dans les arts de la paix. Comme Apollon, il préside aux concerts et s'adonne aux Muses, particulièrement à Thalie et à Melpomene; Momus et ses grelots lui sont également familiers. Quelle joie pour ce vénérable guerrier de voir que son exemple fructifie dans sa famille, et que les arts y fleurissent à l'ombre de ses cicatrices! Chargé d'ans et de décorations, obligé de faire halte après avoir parcouru le monde l'épée à la main et renversé tant de citadelles, il est bien doux à ce Nestor des soldats français, le soir, quand ses blessures se rouvrent, d'avoir un neveu près de son chevet et de pouvoir lui dire: «Joue-moi un air de cor.» On sait que le bazar Bonne-Nouvelle a ouvert un champ d'asile aux peintres proscrits par le jury d'examen. Là, le paysage, le tableau d'histoire, le portrait, la miniature, le crayon et le pastel, exilés des honneurs du Louvre, sont venus s'abriter, non sans douleur, non sans rancune, non sans lamentation; dans ce Louvre au petit pied, image de la patrie absente, peu à peu nos peintures proscrites se sont acclimatées, et le public leur a rendu visite dans ce bazar hospitalier. Deux hommes pleins d'activité et d'intelligence, M. Techner et Guillemin, ont résolu de faire succéder à cette exposition passagère une exposition permanente qui réunira à la fois les oeuvres des vieux maîtres et les productions des peintres vivants. Les artistes, obligés de disséminer leurs ouvrages chez les marchands de tableaux, auront «un musée perpétuel» et de vastes salles éclatantes de lumière, au lieu de la sombre nuit et du faux jour des étroites boutiques. Une riche bibliothèque destinée à seconder les études des artistes servira de complément à l'entreprise; enfin on nous promet un journal consacré tout entier au monde des beaux-arts, c'est-à-dire au mouvement si curieux et si varié des idées, des travaux, des affaires qui l'animent. A peine MM. Techner et Guillemin avaient-ils fait entendre le premier bruit de cette vaste entreprise, que les artistes en comprenaient l'utilité et l'importance. Beaucoup de talents et de noms honorables ont déjà donné leur adhésion; les autres viendront certainement compléter la liste, et Paris possédera bientôt un magnifique établissement dont Londres, sa rivale, lui donnait depuis longtemps l'exemple, et qu'il n'avait pas encore songé à s'approprier. Ainsi, dans notre ville prodigieuse, toujours debout, toujours curieuse de nouveautés, toujours ardente et infatigable, chaque matin amène une amélioration ou une découverte; tout s'agite, tout se renouvelle, tout change, tout s'agrandit, et la civilisation y gagne quelque chose. L'auteur de _Lucrèce_, M. Ponsard, a quitté Taris; M Ponsard est devenu un personnage; il est naturel que nous tenions note de son départ. Où va M. Ponsard? le jeune poète retourne tout simplement dans sa province, sans plus de mystères ni de fracas; après le grand éclat de sa tragédie. M. Ponsard aurait pu exploiter sa célébrité à l'exemple de certains poètes et de certains fabricants de drames que tout le monde devine, ce qui nous dispense de les nommer; qui empêchait M. Ponsard de se montrer dans les différentes cours de l'Europe comme un géant ou un Hercule du Nord, ni de crier partout: Me voilà! acceptez ma dédicace! Un cardan, un crachat, quelques roubles, s'il vous plaît.--M. Ponsard reste dans sa modestie et dans sa simplicité: il part, il abandonne Paris pour retrouver la paix des heures studieuses, isolées et paisibles; M. Ponsard se soucie fort peu de baiser la main ou la semelle des ducs héréditaires et des autocrates: il n'adore qu'une divinité, la Poésie! Il n'encense qu'un roi, l'Art! C'est une religion trop rare aujourd'hui pour qu'on n'encourage pas les jeunes lévites qui y reviennent. M. Ponsard, dans sa retraite, s'occupera de sa seconde tragédie; il l'a promise au Théâtre-Français pour l'hiver de 1845, c'est-à-dire dans dix-huit mois. Notre poète veut pas s'enrôler dans le régiment des improvisateurs à tant la ligne et des génies de pacotille.--Cependant on annonce que M. Alexandre Dumas vient d'achever trois romans, quatre drames en cinq actes, douze vaudevilles, et de recevoir sa cent-cinquante-septième décoration du shah de Perse. M Harel ne se tient pas pour battu; nous parlions tout à l'heure de Beaumarchais; après la chute du _Barbier de Séville_, Beaumarchais fit une foudroyante préface: M. Harel va, dit-on, l'imiter. La chute _des Grands et des petits_ l'autorise à prendre cet exemple et cette consolation. Public, critiques, directeurs. M. Harel doit passer tous ses ennemis au fil de sa plume. On cite déjà quelques traits de cette attaque à coups d'épigrammes. En voici qui frappent à bout portant sur un certain commissaire du roi, accrédité auprès d'un certain théâtre. M. *** est un homme comblé, qui n'a rien demandé à l'éducation de ce que lui a refusé la nature. Allons! courage M. Harel, singez Beaumarchais; mais rappelez-vous que le _Mariage de Figaro_ suivit de près la préface du _Barbier de Séville._ Hier, une foule immense encombrait le boulevard Bonne-Nouvelle.--De quoi s'agit-il? D'un escamoteur qui déjeune avec un sabre! Paris est toujours ce Paris que faisait dire à Rabelais: «O peuple! tant sot par nature qu'ung bateleur, ung vendeur de rogaston, ung mulet avec ses cymbales, ung vieilleux, au mylieu d'un carrefour, assemble plus de gents que ne ferait onc ung prescheur évangélique!» Salle de concerts de la rue de la Victoire. C'est M. Henri Herz, l'habile et célèbre pianiste qui en est propriétaire, et qui l'a fait construire il y a peu d'années. Elle n'a rien de commun avec celle du conservatoire, dont nous faisions remarquer naguère l'extrême simplicité. Celle-ci au contraire, est brillante, somptueuse et tout à fait mondaine, de vives peintures la décorent; d'élégantes arabesques l'enveloppent de leurs replis onduleux; l'or y étincelle de toutes parts, à la clarté de mille bougies.... Mais que vais-je faire, essayer de la peindre avec des paroles? Dieu m'en préserve! Pour en donner au lecteur une idée complète. _L'Illustration_ a des moyens bien plus sûrs que la description la plus exacte et la plus détaillée. Donc, en ce lieu si richement et si coquettement orné, l'élite de la société parisienne se réunit chaque hiver toutes les fois qu'un artiste français ou étranger vient invoquer son suffrage. Aréopage quelquefois sévère, plus souvent bienveillant, mais toujours éclairé, et dont les arrêts sont à peu près sans appel. C'est là que madame Damoreau est venue prouver récemment que ce terrible vent du nord, l'ennemi mortel de tous les gosiers mélodieux, qu'elle avait osé braver au centre même de son empire, avait désarmé devant elle, ci n'avait altéré ni l'étonnante justesse de ses intonations, ni la délicatesse de ses indexions, ni la vibration douce et veloutée de sa voix. C'est là que M. Servais a fait admirer, dans quatre concerts successifs, cette puissance d'archet, cette audace de doigté, cette richesse de style, qui font de lui le plus étonnant des violoncellistes. C'est là que M. Ponsard a révélé au public dilettante un talent si puissant dans ses effet et si original dans ses moyens, que personne, avant de l'avoir entendu, n'aurait pu s'en faire une idée. C'est là que mademoiselle Lia Duport, madame Iweins, MM. Ponsard, Géraldy, Sivori... Mais, hélas! pourquoi ces doux souvenirs sont-ils déjà si loin de nous? Pourquoi le temps, à Paris, court-il si vite? Voilà plus d'un mois déjà que les violons sont rentrés dans leurs bulles et les flûtes dans leurs étuis, et que toutes ces bouches harmonieuse sont fermées; pourquoi troubler un repos si respectable et si bien gagné? Parler de musique au mois de juin, ne serait-ce pas d'ailleurs le même anachronisme que si nous parlions du rossignol et des russes au mois de décembre? Nous ne pouvons nous dispenser pourtant de dire quelques mots des dernières expéditions musicales dont la salle de M. Herz a été le théâtre, et qui ont eu lieu sous le commandement de M. le prince de la Moscowa. Depuis quelques mois, en effet, M. le prince de la Moscowa est à la tête d'une armée chantante, la plus nombreuse qu'on ait encore vue peut-être, la mieux disciplinée, la plus riche en soldats exercés et dévoués. Ces soldats ne sont point des artistes; c'est bien mieux vraiment. Allez donc demander aux artistes ce zèle, cette ardeur, cet enthousiasme, et surtout ce désintéressement personnel qui fait que chaque exécutant s'oublie et ne songe qu'à l'effet général! Un amateur fait de la musique pour son plaisir, et, s'il est habile, pour le plaisir des autres, et voilà pourquoi il la fait bien; mais l'artiste est toujours préoccupé de quelque arrière-pensée: il a sa fortune à faire, sa réputation à établir ou à étendre, et les occasions de se mettra en contact avec le public ne sont pas assez fréquentes pour qu'il néglige d'en tirer parti. Ne lui proposez donc pas de jouer son rôle dans un choeur ou dans un morceau d'ensemble, ce serait pour lui du temps et des sons perdus. S'il consent à figurer dans un duo où il lui faudra partages les applaudissements de l'auditoire, soyez bien sûr qu'il vous fait un sacrifice: ce qu'il recherche, ce qu'il choisit de préférence, ce sont les airs et surtout les cavatines modernes où abondent les difficultés mécaniques, où il est sûr enfin de briller, et de briller tout seul; mais ne venez pas lui parler d'un psaume de Marcello, d'un motet de Haydn, d'un madrigal de l'abbé Clari, d'un choeur de Haendel ou de Palestrina. Palestrina! Haendel! Marcello! qu'est-ce que cela? à peine en a-t-il entendu parler dans sa jeunesse; que voulez-vous qu'il fasse de pareille denrée? Le discrédit où était tombée depuis longtemps la musique d'ensemble, et surtout la musique ancienne, avait produit une large lacune, un vide immense, que déploraient amèrement les vrais amateurs, ceux qui ne cherchent dans l'art musical que les pures jouissances qu'il procure et les nobles sentiments qu'il fait naître, C'est pour combler ce vide que M le prince de la Moscowa, musicien habile, et qui a déjà fait ses preuves comme compositeur, vient d'organiser la SOCIÉTÉ DES CONCERTS DE MUSIQUE VOCALE, RELIGIEUSE ET CLASSIQUE. Tout ce qu'il y a dans Paris d'amateurs distingués a compris immédiatement sa pensée et s'est empressé de répondre à son appel, et la société a déjà donné, dans la salle de M. Herz, trois séances également remarquables par l' intérêt qu'elles ont excité et par le succès qui a couronné les efforts des exécutants. Ainsi que nous l'avons déjà dit, la musique ancienne fait tous les frais de ces réunions, et presque exclusivement la musique d'ensemble. Les deux illustres chefs de l'école du Midi et de l'école du Nord, Palestrina et Roland Lassue, y ont occupé, comme de raison, lu place d'honneur. Avec eux, Marcello, Clari, Martini, Haendel, Joseph Haydn, Sébastien Bach, etc., etc., viennent figurer tour à tour, et recueillir leur part d'admiration et d'hommages. Il faut le dire, on entendrait difficilement ailleurs les grandes pensées de ces vieux maîtres interprétées avec autant d'intelligence et par des voix aussi harmonieuses. Madame de Sparre, madame Merlin, madame Dubignon, mademoiselle de Chaucourtois, mademoiselle Thoru, M. le prince Belgiposo, en savent tout autant que des artistes, et ne sont point des artistes; c'est là justement la cause de leur supériorité. Leur organe ne s'est point fatigué, leur goût ne s'est point émoussé dans cette lutte sans repos que les chanteurs de profession sont obligés de soutenir contre les trompettes, les trombones, les timbales et tout ce barbare fracas qui a pris, dans nos théâtres, la place de l'harmonie; ils n'ont perdu ni le sentiment des nuances délicates, ni cette calme et pure vibration à laquelle la voix humaine doit son plus grand charme et ses effets les plus délicieux. Aussi, quand toutes ces voix si intelligentes et si doucement sonores se réunissent pour l'exécution d'une composition chorale, l'harmonieux ensemble qui en résulte Jette dans l'âme des auditeurs une émotion profonde et mystérieuse que nous chercherions en vain à définir et que nous renonçons à décrire. L'entreprise de M. le prince de la Moscowa est noble et belle, et nous ne doutons pas qu'elle n'exerce l'influence la plus puissante et la plus salutaire sur les destinées ultérieures de l'art musical. [Partition musicale illustrée: O SALUTARIS HOSTIA. Musique de PALESTRINA.] [Illustration: Salle de concerts de la rue de la Victoire.] La cour du grand-duc. NOUVELLE. Suite.--Voir page 213. Les malheurs du prince avaient tellement absorbé l'attention et la sensibilité de Balthazard, que le souvenir de ses propres embarras s'était complètement effacé pendant cette soirée où le grand-duc lui avait révélé les secrets de sa position politique et financière. Ce ne fut qu'après être sorti du palais, qu'il fit un retour sur lui-même. Comment se tirer d'affaire avec les acteurs engagé et amenés à deux cent lieues de Paris sur la foi des traités? que leur dire, et comment leur faire entendre raison? Le malheureux directeur passa une mauvaise nuit. Aussitôt que parut le jour, il se leva, demandant à la fraîcheur du matin de calmer ses esprits agités, et de lui inspirer quelque bonne et habile manoeuvre pour sortir de ce mauvais pas. Dans une promenade de deux heures, il eut tout le loisir de parcourir Carlstadt et d'admirer les agréments de cette capitale. Carlstadt était une ville élégante, coquette, oisive, avec des rues larges et droites qui la perçaient de part en part, de jolies maisons bien alignées, dont les fenêtres étaient armées de petits miroirs indiscrets qui reflétaient les passants et transportaient dans les appartements les scènes de la voie publique; de sorte que les habitants pouvaient, grâce à ce daguerréotype animé, satisfaire leur curiosité sans se déranger. C'est là une innocente récréation que se donnent volontiers les bourgeois allemands. Du reste, la capitale du Grand-Duché de Noeristhein paraissait ne s'occuper que fort peu d'industrie et de commerce; le mouvement y était modéré, le luxe en était banni, et sa prospérité tenait surtout aux goûts modestes, à la philosophie flegmatique de ses citoyens. Une troupe de comédiens, ne pouvait pas faire fortune dans un pareil pays.--Il faudrait absolument reprendre le chemin de la France, pensa Balthazard après avoir fait le tour de la ville; puis il consulta sa montre, et, jugeant que l'heure était convenable, il se dirigea vers le palais, où il entra sans plus de façon que la veille. Le fidèle Wilfrid, remplissant les fonctions de gentilhomme ordinaire le reçut comme une vieille connaissance, et s'empressa de l'introduire dans le cabinet du grand-duc. Son Altesse lui parut plus soucieuse que la veille. Le prince marchait à grands pas, le front baissé, les bras croisés, et tenant à la main des papiers dont la lecture l'avait évidemment contrarié. Pendant quelques instants il garda le silence; puis, s'arrêtant devant Balthazard, il lui du tristement: «Vous me trouvez ce matin moins calme qu'hier soir; c'est que je viens de recevoir d'assez mauvaises nouvelles, et je ne sais pas me défendre contre une première impression... Ah! vraiment, tout cela me pèse, et je leur abandonnerais de grand coeur cette pauvre souveraineté, cette couronne d'épines qu'ils me disputent, si l'honneur ne me commandait de soutenir jusqu'au bout mes droits légitimes... Oui, en ce moment je n'ambitionne qu'un sort paisible, et je donnerais volontiers mon grand-duché, mon titre, ma couronne, pour aller vivre tranquillement à Paris en simple particulier, avec trente mille livres de rentes. --Je le crois bien!» s'écria Balthazard qui, dans ses plus beaux rêves, n'avait jamais élevé si haut ses voeux téméraires. Cette naïve exclamation fit sourire le prince. Il ne fallait que peu de chose pour chasser ses ennuis et lui rendre cette légère dose de bonne humeur qui flottait habituellement à la surface de son caractère. --Je comprends, reprit-il gaîment; vous trouver, que je ne suis pas dégoûté! Dépenser trente mille francs de revenu dans l'indépendance et les plaisirs de la vie parisienne est un sort plus digne d'envie que gouverner tous les grands-duchés du monde. Vous avez, raison, et je le sais par expérience, car il y a une dizaine d'années, lorsque je n'étais encore que prince héréditaire, j'ai passé six mois à Paris, libre, riche, insouciant, et mes souvenirs me disent que ces jours là ont été les plus beaux de ma vie. --Eh bien! est-ce qu'en liquidant tout ce que vous avez ici vous ne pourriez pas réaliser cette fortune? D'ailleurs, ce cousin dont vous me faisiez l'honneur de me parler hier vous assurerait avec plaisir vos trente mille francs de rente, si vous lui cédiez votre place qu'il envie... Mais, monseigneur, voulez-vous que je vous parle franchement? --Je ne demande pas mieux. --Une existence paisible et modeste aurait sans doute beaucoup de charme pour vous, et vous le dites dans la sincérité de votre âme; mais d'un autre côté vous tenez essentiellement à votre couronne, et ce n'est pas seulement par ces raisons d'honneur que vous invoquiez tout à l'heure. On a beau dire et s'exagérer les douceurs du calme et de la retraite dans un moment de fatigue et d'orage, un trône, tout boiteux qu'il soit, est un siège que l'on ne saurait quitter sans regrets... Voilà mon opinion, formée à l'école dramatique; c'est peut-être une réminiscence de quelque ancien rôle, mais on trouve parfois la vérité au théâtre. Or donc, puisque, à tout prendre, ce qui vous convient le mieux est de rester en place, vous devriez... Mais pardon, mes paroles sont peut-être trop libres... --Parlez en toute liberté, mon cher directeur, je vous le permets et je vous en prie. Je devrais donc, disiez-vous?... --Vous devriez, au lieu de vous livrer au découragement et aux idées poétiques, ne pas attendre le coup qui vous frappera, ne pas vous contenter de tomber noblement. Les circonstances sont favorables, vous n'avez plus de ministres ni conseillers d'État pour vous induire en erreur et vous embrouiller dans vos projets. Fort de votre bon droit et de l'amour de vos sujets, il est impossible que vous ne trouviez pas un moyen d'assurer votre position et de rétablir vos finances. --Il n'y en a qu'un seul. --Cela suffit. --Un bon mariage. --Au fait, c'est vrai, je n'y pensais pas, vous êtes garçon!... Eh bien! vous voilà sauvé, un bon mariage!... C'est comme cela que les grandes maisons se consolident quand elles sont menacées de tomber en ruines. Épousez-moi une grosse héritière, la fille unique de quelque riche banquier. --Vous n'y pensez pas! une mésalliance! --Ah! si vous faites le fier!... --Ce n'est pas moi, je n'ai pas de préjugés; mais que dirait l'Autriche si je me permettais de déroger? Ce serait un nouveau grief dont on ne manquerait pas de se servir contre moi. Et puis, les millions d'un banquier ne me suffiraient pas; il me faut une alliance avec une famille puissante sur laquelle je puisse m'affermir. Cette alliance, telle que je la souhaite, s'offrait à mes voeux; il y a quelques jours encore je pouvais prétendre à ce moyen de salut. Un de mes voisins, le prince Maximilien de Hanau, qui est très bien en cour de Vienne, a une soeur à marier: la princesse Edwige est jeune, belle, aimable et riche; c'est un excellent parti, et j'avais déjà entamé les préliminaires d'une demande en mariage; mais deux dépêches que j'ai reçues ce matin renversent toutes mes espérances. Voilà le motif de l'abattement dans lequel vous m'avez trouvé tout-à-l'heure. --Voyons reprit Balthazard. Votre Altesse est peut-être trop prompte à se décourager. --Jugez-en vous-même. J'ai un rival, l'électeur Biberick; ses États sont moins considérables que les miens, mais il est plus solidement établi dans sont petit électorat que je ne le suis dans mon grand-duché. --Permettes, monseigneur, j'ai vu l'année dernière à Bade l'électeur de Biberick, qui s'y trouvait en même temps que nous; sans flatterie, ce prince ne saurait soutenir aucune comparaison avec Votre Altesse: vous avez à peine trente ans et il en a plus de quarante; vous êtes bien fait de votre personne, il est lourd, épais et mal bâti; vous avez le visage agréable et noble, sa figure est commune et disgracieuse; vos cheveux sont du blond le plus pur et les siens d'un rouge flamboyant. La princesse Edwige ne peut manquer de vous donner la préférence. --Fort bien, mais on ne lui laissera pas le choix; elle dépend de son auguste frère, qui la mariera sans la consulter. --Voilà ce qu'il faut empêcher. --Comment? --En inspirant de l'amour à la jeune personne. Il y a tant de ressources dans le sentiment! On voit tous les jours des mariages de convenances détruits et rompus au profit d'un mariage d'inclination. --Oui, cela se voit dans les comédies... --Qui fournissent d'excellentes leçons... --Aux gens d'un certain monde; mais nous autres princes, nous n'avons pas le bénéfice de ces suites de combats où l'accord de deux coeurs bien épris fait plier tous les obstacles. --Sur ce point-là, monseigneur, j'ose ne pas être entièrement de votre avis. Les maîtres de l'art que j'étudie et que je pratique depuis trente ans m'ont appris que ces sortes d'affaires se traitent dans les palais à peu près comme ailleurs; toute la différence est dans la forme, plus pompeuse chez vous. Du reste, pourquoi ne feriez-vous pas une tentative? Si j'avais un conseil à vous donner, ce serait de vous mettre en route dès demain, et d'aller faire une visite au prince de Hanau. --C'est inutile. Pour voir le prince et sa soeur je n'ai pas besoin de me déranger; une de ces dépêches m'annonce leur prochaine arrivée à Carlstadt. Comprenez-vous maintenant tout le malheur de ma position? Ils arrivent! Au retour d'un voyage qu'ils viennent de faire en Prusse, ils traversent mes États et s'arrêtent dans ma capitale, où ils me demandent l'hospitalité pour deux ou trois jours. Vous voyez bien que je vais être perdu dans leur esprit. Que penseront-ils de moi quand ils me trouveront seul, abandonné, dans mon palais désert? Croyez-vous après cela que la princesse soit tentée de partager mon sort et de passer sa vie dans ma triste solitude? L'année dernière elle est allée à Biberick; l'électeur l'a dignement reçue. Il avait du moins à lui offrir les plaisirs d'une cour animée; il pouvait mettre à ses ordres des gentilshommes, des chambellans; il pouvait lui donner des concerts, des fêtes, des bals. Et moi, rien! Suis-je assez malheureux! assez humilié! Et pour qu'aucun affront ne me soit épargné, mon rival veut que son mariage soit négocié ici même; oui vraiment! l'électeur me brave à ce point! Il vient de m'expédier un ambassadeur, le baron Pépinster, chargé, dit-il, de conclure un traité de commerce qui serait fort avantageux pour moi; mais cette affaire n'est qu'un vain prétexte. Le baron n'a d'autre mission que de s'entendre avec le prince de Hanau; cette rencontre est habilement ménagée, pour que la négociation conjugale s'accomplisse secrètement et sans appareil. Voilà ce qu'il me faudra voir! Je serai contraint de subir cet outrage, de dévorer l'injure, de donner au prince et à sa soeur le spectacle de ma misère, de mon abaissement!... Ah! que ne ferais-je pas pour me soustraire à cette honte! --Il y aurait peut-être un moyen! s'écria Balthazard après un instant de réflexion. --Un moyen? Parlez, quel qu'il soit, je l'adopte. --Un moyen bizarre et hardi! continua Balthazard. --N'importe! je suis prêt à tout risquer. --Il vous faut dissimuler votre abandon, repeupler ce palais, avoir une cour? --Oui. --Pensez-vous que les courtisans qui vous ont délaissé répondraient à votre appel, consentiraient à revenir? --Jamais. Ne vous ai-je pas dit qu'ils étaient gagnés par mes ennemis? --Pourriez-vous en trouver d'autres parmi vos sujets les plus distingués? --Impossible! Il n'y a que très peu de gentilshommes parmi mes sujets Ah! si une cour pouvait s'improviser! dussé-je prendre les derniers bourgeois de Carlstadt... --J'ai mieux que cela à vous offrir. --Quoi donc? --Mes comédiens. --Comment? vous voulez que je me compose une cour avec vos acteurs? --Oui, monseigneur, et vous ne sauriez trouver mieux. Remarquez que mes comédiens sont habitués à jouer tous les rôles, et qu'ils seront tout de suite à leur aise dans l'emploi de grands seigneurs. Je vous réponds de leur talent comme de leur discrétion et de leur probité. Dès que vos illustres visiteurs seront partis, dès que vous n'aurez plus besoin d'eux, ils donneront leur démission Songez d'ailleurs que vous n'avez pas à choisir. Le temps presse, le danger est à vos portes, il ne vous est pas permis d'hésiter. --Mais, cependant, si une pareille ruse venait à se découvrir!... --Ceci n'est qu'une supposition, une crainte chimérique. Si, au contraire, vous ne voulez pas risquer la partie que je vous propose, votre malheur est certain.» Le grand-duc se laissa aisément persuader. Sous une apparence insouciante et molle, son caractère ne manquait ni de résolution, ni d'un certain penchant vers les entreprises étranges et hasardeuses. Il n'ignorait pas que la fortune favorise ceux qui osent, et il avait toute l'audace que donne une situation désespérée.--L'expédient de Balthazard fut donc adopté avec une joyeuse intrépidité. «A merveille! s'écria le directeur; vous ne vous repentirez pas de votre détermination. Vous voyez en ma personne un échantillon de vos futurs courtisans, et puisqu'il s'agit ici de se partager les honneurs et les grandes charges de l'État, nous allons, si vous voulez, bien, commencer par moi. Je crois être déjà dans l'esprit de mon rôle en vous adressant cette requête. Un homme de coeur doit toujours demander, toujours se hâter, et profiter de l'absence de ses rivaux pour obtenir ce qu'il y a de mieux. Que votre altesse soit donc assez bonne pour me nommer premier ministre. --Accordé! répondit gaîment le prince. Votre excellence peut entrer immédiatement en fonctions. C'est ce que mon excellence ne manquera pas de faire, en vous demandant votre signature au bas de quelques actes dont je vais m'occuper tout de suite. Mais d'abord, souffrez, monseigneur, que je vous adresse deux ou trois questions, afin de me mettre au courant. Quand on est nouveau venu dans un pays et novice au ministère, on a besoin de s'instruire.... S'il vous fallait déployer l'appareil de la force pour faire exécuter vos ordres, le pourriez-vous? --Mais, sans aucun doute. --Votre altesse a des soldats? --Un régiment. --Combien d'homme? --Cent vingt environ, sans compter la musique. --Sont-ils obéissants, dévoués? --Obéissance passive, dévouement sans bornes; soldats et officiers se feraient tuer pour moi. --C'est leur devoir. Maintenant autre chose: Avez-vous une prison dans vos huis? --Certainement. --Mais, je veux dire, une bonne prison, forte et bien gardée, des murs épais, de solides barreaux, des geôliers incorruptibles et farouches? --J'ai tout lieu de croire que le château de Ranfrang possède toutes ces qualités. Le fait est que je m'en suis très peu servi: mais il a été bâti par un homme qui s'y entendait, mon aïeul, le grand-duc Rodolphe l'Inflexible. --Beau surnom pour un souverain! Celui-là, j'en suis sûr, n'a jamais manqué d'argent ni de courtisans. Vous, monseigneur (souffrez que votre ministre vous parle le langage de la vérité), vous avez peut-être eu tort délaisser sans locataires ce domaine de la couronne, une prison a besoin d'être entretenue par l'habitation. Aussi le premier acte de l'autorité que vous avez bien voulu me confier sera consacré à une salutaire mesure d'incarcération. Je pense que le château de Ranfrang peut contenir une vingtaine de prisonniers? --Quoi! vous voulez, faire enfermer vingt personnes? --Peut-être plus, peut-être moins; car je ne sais pas au juste Combien votre ancienne cour contenait de grands dignitaires. Ce sont ces déserteurs que je veux mettre à l'ombre des hautes murailles construites: par Rodolphe l'Inflexible C'est indispensable. --Mais c'est illégal! --Vous dites?... Pardon, monseigneur; vous vous êtes servi d'un mot que je ne comprends pas bien. Il me semble que, dans un bon gouvernement allemand, ce qui est absolument nécessaire est nécessairement légal; voilà ma politique. D'ailleurs, en qualité de premier ministre, je suis responsable. Que vous faut-il de plus? Vous sentez bien que si nous laissions libres vos courtisans, il n'y aurait pas moyen de jouer la comédie que nous préparons; ils nous trahiraient. Le salut de l'État exige donc que ces messieurs soient emprisonnés, et ce sera justice; car enfin ils remplissent leur office depuis douze ou quinze ans, terme moyen; et quel est, je vous prie, le courtisan qui en douze ou quinze ans n'a pas mérité quelques jours de prison? D'ailleurs, vous l'avez dit vous-même, ce sont des traîtres, ne les ménagez donc pas; et pour votre Sûreté, pour le succès de vos projets qui doivent assurer le bonheur de votre peuple, écrivez les noms des coupables, signez l'ordre, et infligez sans remords à ces déserteurs le trop doux châtiment d'une semaine de captivité.» Le grand-duc écrivit les noms et signa plusieurs ordres qui furent aussitôt remis aux officiers les plus alertes du régiment, avec injonction d'exécuter sur l'heure leur mission, et de conduire les prisonniers au château de Ranfrang situé à trois quarts de lieue de Carlstadt. «Il ne reste plus à présent qu'à faire venir votre cour, dit Balthazard. Votre altesse a-t-elle des carrosses? --Oui, certes! une berline, une calèche et un cabriolet. --Et des chevaux? --Six de trait et deux de selle. --Je prends la berline, la calèche et quatre chevaux; je vais à Krusthal, je ramène ce soir nos acteurs que je mets au fait de leur rôle; nous arrivons à la nuit et nous nous installons au palais, pour vous servir, monseigneur. --Très bien; mais, avant de partir, répondez, je vous prie, au baron Pépinster qui me demande une audience. --Deux lignes bien sèches, bien ministérielles, qui l'ajourneront à demain. Il faut qu'il nous trouve sous les armes... Voilà le billet écrit, mais comment signer? Le nom de Balthazard ne convient guère à une excellence allemande. --Vous avez raison; il vous faut un autre nom, accompagné d'un titre; Je vous fais comte de Lipandorf. --Merci monseigneur. Je porterai noblement ce titre, et je tous le rendrai fidèlement, avec mon portefeuille, lorsque la comédie sera finie.» Le comte de Lipandorf signa le billet que Wilfrid fut chargé de remettre au baron de Pépinster; puis aussitôt que les voitures furent attelées, il partit pour Krusthal. Eugène Guinot (La fin à un prochain numéro.) Distribution des prix de l'Académie des Jeux floraux. [Illustration: Jeton de présence mainteneurs des Jeux floraux.] Au mois dernier, pendant que nous courions en wagon, pour la plus grande gloire de l'industrie, Toulouse célébrait une fête en l'honneur des beaux-arts; l'Académie des Jeux floraux tenait sa séance annuelle. Aucun journal n'en a fait mention; la cérémonie s'est passée à huis clos, relativement au reste de la France; les noms des poètes couronnés n'ont pas été proclamés au delà des départements méridionaux, et les applaudissements ont à peine trouvé des échos à Marseille et à Montauban. Il y a cinq cent vingt ans, plusieurs siècles avant la création de l'Académie française, sept _trobadors_ de Toulouse établirent _une compagnie du gay savoir_. Au mois de novembre 1323, le mardi qui suivit la fête de la Toussaint, ils envoyèrent, dans les pays de _la Langue-d'Oc_, une lettre circulaire en vers par laquelle ils ouvraient un concours, dont le prix était une violette d'or fin. Disem, per dreit jutjamen, A cel que la fara plus nèta, Donaren una violeta De fin aur, en senhal d'amor. Le 1er mai de l'année suivante, des poètes affluèrent de toutes parts au lieu du rendez-vous, dans un verger du faubourg des Augustines, au pied d'un gigantesque laurier. Un jour entier fut consacré à la lecture des pièces de vers; le second jour, les sept troubadours délibérèrent, après avoir entendu la messe, et le troisième, leur sentence fut prononcée en présence de deux _capitouls_, ou consuls de la ville. La violette fut décernée à maître Arnaud Vidal, de Castelnaudary. _E yazuhet la violeta de l'aur a Tonena, nès a saber la premiéra que si dona_. Après l'adjudication des prix, les _capitouls_ décidèrent que dorénavant, _d'uqui en avant_, la violette serait achetée aux frais de la ville. Les années suivantes les fondateurs prirent la qualification de _mainteneurs_, s'adjoignirent un chancelier et un bedeau, et rédigèrent leurs statuts. Le Conseil municipal leur vint en aide, vota des fonds pour deux nouveaux prix, l'_églantine_ et le _souci_ et accorda au _Collége du gay savoir_, l'autorisation de siéger à l'hôtel-de-ville, connu des lors sous le nom pompeux de _Capitole_. L'institution acquit tant de célébrité, qu'en 1388, Jean d'Aragon, par une ambassade expresse, priait Charles VI de lui expédier des poètes languedociens, afin d'introduire la gaie science en Espagne, _studia partices quam gayam scientiam vocabunt instituerentur_. Peu de rois s'aviseraient aujourd'hui de demander à leurs voisins un assortiment de littérateurs; on aimerait mieux en exporter. Pendant le quinzième siècle, la société _du gay savoir_ tint régulièrement ses assemblées. Un dame noble et riche, Clémence Isaure, acheva de consolider l'oeuvre des _mainteneurs_, en lui consacrant _plusieurs grands et notables revenus_. Il est resté si peu de documents sur l'histoire de cette femme célèbre, que plusieurs écrivains graves, Catel, Lafaille, Cazeneuve, et tout récemment les auteurs de _l'Histoire de la ville de Toulouse_, ont trouvé plaisant de présenter Clémence Isaure comme un personnage imaginaire. Après sa mort, on lui éleva une statue, qui figura d'abord sur le mausolée de l'illustre dame, les mains jointes et un lion à ses pieds. Le conseil municipal imagina, en 1627, de la mutiler sous prétexte de l'embellir. Deux artistes, les nommés Aure et Pascot, furent chargés de _raccommoder et blanchir le visage, de lui ôter le chapelet qu'elle avait, de refaire les bras, de couper le lion qui était sous ses pieds, et d'en faire une plinthe._ [Illustration: Statue de Clémence Isaure, en marbre blanc, dans la salle du grand Consistoire, au Capitole de Toulouse.] La salle où elle est aujourd'hui placée sert aux séances particulières des académiciens. Sur le piédestal, on lit une épitaphe, dont voici la traduction: «Clémence Isaure, fille de Louis Isaure de la célèbre famille des Isaures, vécut cinquante ans dans le célibat et la vertu; elle établit pour l'usage public de sa patrie des marchés au blé, au vin, au poisson et aux herbes; elle les légua aux capitouls et citoyens de Toulouse, à condition qu'ils célébreraient tous les ans les _Jeus floraux_ dans la Maison-de-Ville qu'elle avait fait bâtir à ses frais; qu'ils iraient jeter des roses sur son tombeau, et que le reste des revenus serait employé à un banquet. Si l'on néglige d'exécuter sa volonté, que le fisc s'empare du legs de plein droit, et exécute la condition ci-dessus. Elle a voulu, de son vivant, qu'on lui érigeât ce monument où elle repose en paix.» La société littéraire des Jeux floraux, érigée en Académie par lettres patentes de Septembre 1694, a conservé ses vieux usages presque aussi religieusement que ses vieux souvenirs. Les revenus de la place _de Ia Pierre_, l'un des immeubles légués à la ville par dame Clémence, contribuent encore aux frais de la cérémonie annuelle. L'Académie, après avoir suspendu ses séance de 1790 à 1806, les a reprises et continuées paisiblement jusqu'à nos jours, et les récompenses qu'elle distribue ne sont pas sans influence sur l'état intellectuel du midi. Le nombre des _mainteneurs_, fixé à trente-six par les lettres patentes, est de quarante depuis un édit de 1725. Le préfet de la Haute-Garonne et maire de Toulouse sont _académicien né_. On compte parmi les membres du docte tribunal le baron de Lamothe-Langon, le comte Jules de Rességuier, M. Alexandre Soumis (de l'Académie française), et le baron de Montbel, ancien ministre. Ceux qui ont obtenu trois prix, autres que le lis, peuvent demander à l'Académie des lettres de _Maîtres ès jeux floraux._ MM. Victor Hugo, de Chateaubriand, Babur-Lormian, Bignan, Rebout de Nîmes, sont maîtres des jeux floraux. On voit que les sept présidents de la _gaie compagnie_ ont d'assez dignes successeurs. L'Académie a cinq fleurs à distribuer: 1. L'amarante d'or, d'une valeur de 100 fr., prix de l'ode, institué par les lettres patentes de 1694; 2. La violette d'argent d'une valeur de 200 fr., prix du poème, de l'épître ou du discours en vers; 3. Le souci d'argent, d'une valeur de 200 fr., prix de l'églogue, de l'idylle, de l'élégie, ou de la balade; 4. Le lis d'argent, d'une valeur de 60 fr., d'un hymne ou d'un sonnet à la _Vierge_ fondé sous Louis XV, par M. Malepèvre; 5. L'églantine d'or, d'une valeur de 150 fr., prix d'un discours dont l'Académie donne le sujet. La cérémonie annuelle a lieu chaque année le 3 mai. Les lettres de 1691 avaient assigné aux séances la salle du Capitole, appelée le _grand consistoire_; mais un édit de 1773 a ordonné qu'elles se tiendraient dans la salle des _illustres_, où sont rangés les buste des principaux personnages dont s'honore Toulouse. Il est d'usage, depuis 1527, que la _Fête des Fleurs_ débute par l'éloge de Clémence Isaure, que suit immédiatement le rapport du secrétaire perpétuel sur les résultats du concours. Cependant une députation de _mainteneurs_ se rend processionnellement à l'église de la Daurade, où Clémence Isaure repose sous le maître-autel. Les fleurs y sont déposées le matin; le curé les bénit et les remet aux commissaires de l'Académie, qui retournent au Capitule, en ayant soin de passer par la rue de Clémence Isaure. On proclame les vainqueurs; on les invite à faire la lecture de leurs ouvrage, et la séance se termine par l'indication du sujet du discours pour l'année suivante: _ê sempre cosi_. Les pièces couronnées en 1843 sont: _Simon de Monfort_, ode, par M. Jallus; les _Enfants de Moncode_, poème, par M. Vincent Bataille; la _Prière des petits enfants_, hymne à la Vierge, par M. Lébraly. Six autres compositions ont obtenu des _fleurs réservées_ c'est-à-dire des prix qui n'avaient pas été adjugés dans les concours précédents: _Le dévouement_, ode par H. Lébraly; les _Adieux à Ia Mer_, ode, par madame Thore; _Épître à un centenaire_, par M. Magnien; Épître à M. l'abbé L. B., par M. Baudin; le _Ver luisant_, idylle, par M. Granger; _le Rêve de la Chatelaine_, ballade, par M. Rocher. L'Académie propose, pour le concours de 1844, _l'éloge de Dante Alighieri_ A l'oeuvre donc, prosateurs et poètes taillez vos plumes et grattez-vous le front. Animez-vous au souvenir des hommes célèbres qui ont conquis à diverses époques, les fleurs rémunératrices; Ronsard, Baif, Maynard, le président Hainault, La Monnoye, La Motte Houdard, Fayard, Marmontel, Mallevoye, Chenedullé, Mollevant, d'Avrigny, Victor Hugo! Quel concours a de plus favorables conditions? Point de sujets donnés, sauf ceux du discours en prose et de l'hymne; rien qui gêne l'élan poétique, rien qui entrave l'essor de la pensée: il faudrait avoir l'imagination bien stérile pour ne pas risquer au moins une ode à cette glorieuse loterie des Jeux floraux. Les plaisirs des Champs-Elysées. I. [Illustration: Champs-Elysées.--L'attelage de chèvres.] Dans quelle catégorie les rangerons-nous? Les plaisirs des Champs-Elysées sont-ils forains, champêtres ou urbains? N'aperçois-je point les pénates roulants des directeurs de phénomènes? Polichinelle ne dresse-t-il point son théâtre nomade entre un Hercule du nord et un lion de Némée, bête farouche qui a laissé les poils de sa crinière aux mains des gamins de nos quatre-vingt-six département? Décidément nous sommes dans une foire. Mais non, regardez là-bas ces joueurs de boules et de mail, et, plus loin, cet individu étendu sur l'herbe fraîche à la manière de Corydon, et cet autre, qui parcourt lentement les longues allées, un volume de vers à la main. Les boules, le mail, un sommeil sur l'herbe, la lecture sous les arbres verts, tout cela ne fait-il pas naître dans l'imagination des idées champêtres et bucoliques? On se croirait à vingt lieues de Paris, si tout à coup le passage d'un omnibus ou d'une brillante calèche, le bruit de la foule devant la porte d'un théâtre, la présence des sergents de ville et des gardes municipaux ne vous tirait brusquement de votre erreur. Foire bruyante, retraite silencieuse, rendez-vous du monde élégant, les Champs-Elysées sont tout cela à la fois. Ou y trouve tout, même la solitude. Il y a là de quoi défrayer tous les âges, tous les états, tous les goûts, l'enfance, la jeunesse, l'âge mur, la vieillesse; l'artisan, l'homme de lettres, fashionable s'y rencontrent à la fois. Là, viennent se résumer les mille variétes de l'existence parisienne; là, s'étalent les notabilités, les excentricités, les prodiges, les phénomènes de tous les pays. Nous avons vu passer tour à tour sur la chaussée, espèce de voie romaine qui mène à l'Arc-de-Triomphe, des Chinois, des Persans, des Arabes, et jusque des naturels des Sandwich. Le monde entier traverse perpétuellement au trot ou au galop cette longue avenue de Paris. Dites-moi ce qu'on ne fait pas et ce qu'on ne voit pas aux Champs-Elysées? On y mange, on y joue, on y danse, on y dort. On y voit Moscou en flammes, des chevaux qui valsent, des chiens qui font tourner le roi à l'écarté, des géants et des nains, et mille autres choses encore dont l'éloquence et les poumons de Bilboquet pourraient seuls entreprendre la nomenclature. [Illustration: Champs-Elysées.--Pesage.] Il n'est personne qui n'éprouve de temps en temps le besoin de redevenir enfant. Souvent les longs voyages de la pensée ramènent l'homme, de circuits en circuits, parmi la verdure et les fleurs des impressions premières. On cherche à ressaisir le rêve évanoui de l'enfance. Comme le bon Pérégrinus, du conte d'Hoffmann, il est inutile d'attendre la veille de la Noël pour satisfaire ce désir. N'achetez pas des bonbons et des joujoux, n'allumez pas vos bougies, ne vous enfermez point dans votre salon, ne jouissez pas dans la solitude de ces plaisirs rétrospectifs, mais prenez le chemin des Champs-Elysées, vous y retrouverez toutes les émotions enfantines de votre printemps. Choisissez pour accomplir ce pèlerinage une de ces belles journées d'été pendant lesquelles le crépuscule, en se prolongeant, fait pour ainsi dire un jour nouveau dans le jour; mêlez-tons à tous les jeux, arrêtez-vous devant tous les spectacles, écoutez la parade de Pierrot et la chanson du troubadour nomade, achetez pour un sou votre avenir renfermé dans une coquille de noix, et vous redeviendrez enfant pendant quelques heures. Le souvenir rajeunit. Je suppose que votre première station sera pour Polichinelle: à tout seigneur tout honneur. Hélas! s'il faut en croire un de ses plus grands admirateurs, Polichinelle, qui avait déjà de si grands défauts, est allé en empirant: aujourd'hui il fait parade de sa violence comme d'une vertu, il est devenu l'effroi de ses voisins, il a tué les gardiens de la paix publique, les soldats, les magistrats, les juges, et bien plus que cela, les femmes et les enfants! M. Polichinelle a porté ses défis jusqu'au diable qui l'inspirait, mais qui savait le punir, et dont il ne reconnaît plus le pouvoir. Polichinelle est odieux! Qui oserait regarder Polichinelle, après avoir appris que c'est son Plutarque, son ami, Charles Nodier enfin, qui a fulminé contre lui cet anathème? Il faut donc reporter votre esprit et vos yeux sur des idées et des spectacles plus riants. Entre deux rangs de chaises, s'avance une calèche en miniature traînée par des chèvres; le capricieux animal a subi enfin le joug de l'homme. Ces chèvres indociles que Virgile aimait tant à voir pendantes, _pendentes_ au sommet des roches moussues, posent maintenant un pied réglé sur le sable lin des allées. Une petite fille blanche et rose s'étale comme une duchesse sur les coussins de la voiture; sur le siège, son frère, armé d'un long fouet, tient les rênes et fait semblant de guider le fringant attelage. L'automédon de dix ans n'ose tourner son regard ni à droite ni à gauche, tant il comprend la gravité et les périls de sa mission. Les deux amalthées cheminent cependant paisiblement, et se résignent à leur abaissement en songeant qu'en amusant des enfants elles sont encore dans leur rôle de nourrices. L'équipage enfantin attire à lui toutes les sympathies. Involontairement on se souvient de cet autre enfant, qui se promenait ainsi, ses beaux cheveux blonds dénoués, sur la terrasse des Tuileries, souriant à la foule, et saluant les vieux grenadiers de son père qui lui portaient les armes. L'idée du roi de Rome est liée à celle de ces voitures qui furent inventées pour lui. Les deux chèvres marchent ordinairement au pas, mais quelquefois, à un coup de fouet intempestif du jeune cocher, elles se lâchent, s'emportent, et se mettent à cabrioler au milieu de la promenade. Il faut alors entendre les cris des mères épouvantées! Heureusement le danger n'est jamais considérable; le loueur retient d'une main son attelage par les cornes, de l'autre il soutient la calèche qui commence à loucher, et les enfants descendent, après avoir subi toutes les péripéties d'une chute qui n'a pas eu lieu; les mères se remettent de leurs émotions, et le public, qui a fait tout de suite cercle autour de l'accident, se retire après s'être donné gratis la distraction de voir des chèvres prendre le mors aux dents. Seuls les enfants du riche peuvent se permettre cette distraction à tant l'heure; les autres enfants contemplent de loin la calèche coquette ou la suivent d'un pas envieux. Que ne donneraient-ils pas, eux aussi, pour s'asseoir sur ces coussins de soie! Quel que soit votre désir de redevenir enfant, il n'est pas probable que vous le poussiez jusqu'à vouloir vous donner le plaisir de la locomotion par les chèvres. Ce plaisir que vous n'osez prendre, procurez-le à un de ces pauvres enfants dont le coeur palpite rien qu'en entendant sonner les grelots qui pendent au cou des chèvres Plus tard, il se souviendra qu'il a eu aussi son jour de fortune, qu'il a guidé des chevaux et roulé carrosse à son tour. [Illustration: Champs-Elysées.--Dynamomètre.] Mais tous les plaisirs des Champs-Elysées ne sont pas destinés à l'enfance, il en est qui peuvent piquer la curiosité de l'âge mur. Voici d'abord le dynamomètre, invention toute philanthropique, au moyen de laquelle l'homme peut faire l'essai de ses forces de la façon la plus pacifique, un simple coup de poing, appliqué sur un plastron rembourré, devient le témoignage irrécusable de votre vigueur ou de votre faiblesse. Le dynamomètre a pris naissance à Tivoli. Dans les premières années qui suivirent 1820, les femmes récemment émancipées par les romans à la mode, recherchaient toutes les occasions de déployer les qualités qui appartiennent à un autre sexe. Le dynamomètre, sans cesse entouré d'athlètes féminins, répondait continuellement par zéro à tous ces efforts qui n'aboutissaient qu'à rompre la couture fragile de quelques gants parfumés. Aujourd'hui les femmes semblent avoir compris que le pugilat n'est point de leur domaine, s'il faut s'en fier à l'état d'abandon dans lequel elles laissent le dynamomètre des Champs-Elysées, qui n'attire plus que les coups de poing distraits des rares amateurs de cette boxe innocente. [Illustration: Champs-Elysées.--Le physicien.] Si vous vous êtes livré par hasard aux fatigues de cette gymnastique, asseyez-vous sur ce fauteuil surmonté d'un dais, et placé sur une estrade comme un trône oriental. Tout en goûtant les douceurs du repos, vous mettrez en pratique la maxime du sage; _Connais-toi toi-même._ Tout à l'heure vous vous rendiez compte de votre force, maintenant vous allez connaître votre poids. Le fauteuil sur lequel vous êtes assis est une balance. D'une semaine, d'un mois, d'une année à l'autre, vous pouvez mesurer les progrès de votre maigreur ou de votre embonpoint, et par suite mobilier votre régime. Cette consultation hygiénique coûte cinq centimes, et elle en vaut bien une autre. Maintenant la science nous réclame. Les secrets de la physique vont nous être dévoilés par un profiteur en plein vent. Les auditeurs sont nombreux, les appareils déployés sur une grande table. La machine électrique fonctionne; pour un sou on se fait électriser, on assiste à la formation de la foudre, les phénomènes de l'électricité n'ont plus de secret pour personne, la bouteille de Leyde éclate pour tout le monde. Qui voudrait pour la bagatelle de cinq centimes refuser de se donner l'innocente frayeur de l'étincelle électrique? Ce cours de physique ambulant est aussi suivi que ceux de la Sorbonne et du Collège de France. Tout ce qui est mystérieux intéresse vivement les masses; aussi la physique serait-elle sans rivale dans l'empressement de la foule, si la musique n'existait pas. Autrefois les chanteurs nomades pullulaient, pour ainsi dire, dans Paris; pas de rue, pas de place publique, pas de carrefour qui ne retentit des accents de ces bohémiens de l'art. La poésie populaire avait en eux d'infatigables interprètes. Malheureusement ils ne se sont pas contentés de chanter les refrains inspirés par la muse familière, ils ont voulu aborder la cavatine, le nocturne, la romance et même le _lied_. Leur ambition les a perdus. Chassés des cafés, des restaurants, sous prétexte qu'ils offensaient l'oreille délicate des habitués, à peine si les lointains établissements du faubourg Saint-Jacques et du quartier latin leur offrent encore de temps en temps une hospitalité humiliante et pleine de périls. Nulle part ils ne sont reçus, les malheureux ne sont que tolérés; de n'est plus avec l'audace triomphante des anciens jours qu'ils se présentent avec leur guitare fêlée et leur redingote en lambeaux. Leur air est modeste, et leur allure timide. Ils ne chantent pas, ils fredonnent. Pauvres chanteurs ambulants, rapsodes du pauvre, chaque jour voit disparaître une de vos illustrations. Ce n'est pas l'âge, ce n'est pas la misère, ce n'est pas l'indifférence populaire qui cause votre perte, c'est l'avidité barbare de ceux qui exploitent les oeuvres de la pensée. Il y a un au à peine nous avons vu traîner sur les bancs de la police correctionnelle ce doyen des chanteurs en plein vent, ce représentant de la gaie science, ce troubadour en haillons, ce fameux musicien qui, tour à tour basse ou baryton, ténor grave ou doux, a charmé les échos de tous les carrefours, de toutes les barrières, de tous les villages, de tous les hameaux, ce père Aubert enfin dont la réputation est universelle. Quel crime, direz-vous, avait donc pu commettre le père Aubert? Sa voix chevrotante l'aurait-elle trahi? l'obole du peuple aurait-elle cessé de remplir son escarcelle? Chaste poésie, voile ta face, muse, remonte au cieux! Le père Aubert aurait-il mendié? Rassurez-vous le père Aubert n'est ni un mendiant ni un vagabond. Ou l'accuse d'avoir violé les lois sur la propriété littéraire. Les éditeurs patentés prétendent qu'en vendant leurs chansons aux ouvriers, aux bonnes d'enfants, aux paysans, aux grisettes, le père Aubert nuit essentiellement à la vente, et leur avocat conclut à 500 francs de domages-intérêts contre le délinquant. Où diable le père Aubert aurait-il pu prendre 500 francs? Le tribunal a eu pitié de la musique nomade. Euterpe n'a été condamnée qu'à 25 francs d'amende. Le père Aubert laissera plus d'une brillante recette aux buissons du fisc, si le fisc parvient jamais à l'attraper: car qui pourrait dire où est le père Albert? Peut-être chante-t-il la _Marseillaise_ dans les villages des frontières, peut-être dort-il au bord de quelque fossé du sommeil du juste et du ménestrel, ou bien encore charme-t-il de la Champagne avec les refrains de la grâce de Dieu. Ses petits cahiers se vendent à foison, les sous pleuvent autour de lui. Père Aubert, vous êtes heureux, vous recommencez la ritournelle, vous mettez une chanterelle neuve à votre violon, tremblez, malheureux troubadour, un huissier vous guette et va saisir votre recette parce que vous vous êtes permis de chanter _Cinq sous! cinq sous!_ sans la permission d'un éditeur. Cette jurisprudence éloigne de Paris tous les chanteurs ambulants. Ils ne veulent pas s'exposer aux dangers de faire la contrebande lyrique. Voilà donc une nouvelle puissance qu'on enlève au peuple. Chassé des théâtres par la cherté des places il avait les chanteurs nomades, les trouvères de l'atelier, on les lui enlève; il ne lui reste plus que les joueurs d'orgue. Nous nous attendons un de ces jours à voir une coalition d'éditeurs réclamer 1000 francs de dommages-intérêts à des montreurs de singes sous prétexte qu'il font voir leurs animaux sur des airs de Meyerbeer ou de Loïsa Pujet. En attendant cette recrudescence de persécution, la musique instrumentale triomphe. Le violon, la basse, la clarinette, retentissent aux Champs-Elysées, bien plus que la voix humaine. L'orchestre a tué les choeurs. C'est à peine si de loin en loin on entend une basse ou un soprano modulant _le feu de Tolède_ ou _Adieu, mon beau navire_. Plus de sûreté d'intonation, plus d'audace dans les fioritures, plus de liberté dans le point d'orgue. Et comment le virtuose pourrait-il donner un libre essor à ses inspirations, quand il lui faut tendre l'oreille, non pas à la mesure, mais au pas d'un huissier qui les guette au milieu de leurs roulades, et attend le moment de les surprendre en flagrant délit de contrefaçon? [Illustration: Champs-Elysées.--Les chanteurs ambulants.] Cette première excursion aux Champs-Elysées ne serait pas complète si nous ne jetions un rapide coup d'oeil sur la gastronomie locale. Nous ne parlerons pas des pommes de terre frites dont la renommée est reconnue dans le monde entier, nous laisserons les détails de côté, ce sujet nous entraînerait trop loin. Entrons dans le restaurant Ledoyen, non point pour y commenter la carte, mais pour y évoquer les souvenirs de notre histoire. Nous sommes dans un restaurant politique. C'est ici que tous les ministères tombés viennent oublier leur chute le verre à la main Nous ne savons ce qui a valu à Ledoyen l'insigne et difficile honneur de consoler les estomacs déchus du ministère. Que de secrets renfermés dans ce cabinet particulier, qui a vu passer tour à tour MM. de Villèle, de Martignac, Molé, Thiers, et bien d'autres encore dont le nom n'est pas moins illustre! Que de confidences échangées entre la poire et le fromage! Que de fois les ministres déchus auraient pu en sortant de chez Ledoyen se donner le plaisir de commander la carte de leurs successeurs! [Illustration: Champs-Elysées.--Restaurant Ledoyen.] La nuit est venue. Renvoyez votre promenade à demain, à moins que vous ne préfériez courir la bague ou tourbillonner en carrousel, si vous êtes assez heureux pour que les révélations de la balance publique ne vous aient point interdit ces jeux. Académie des sciences COMPTE-RENDU DES TRAVAUX DU PREMIER TRIMESTRE DE 1843. (Suite.--Voir page 217.) II.--Zoologie. _Animaux phosphorescents_.--M. de Quatrefages a continué ses recherches sur l'anatomie des animaux inférieurs qui habit eut les côtes de la France. Ses études sur la phosphorescence de quelques-uns d'entre eux l'ont conduit aux conclurions suivantes: 1º Il y a chez ces animaux production de lumière sous forme d'étincelles dans l'intérieur du corps à l'abri du contait de l'air; 2º cette production de lumière est indépendante de toute sécrétion matérielle; 3º elle se rapproche sous ce point de vue de la sécrétion de lumière observée chez plusieurs poissons; 4º cette lumière se montre uniquement dans le tissu musculaire et au moment de la contraction; 5º la production de cette lumière épuise rapidement l'animal. Ces observations sont intéressantes en ce qu'elles tendent à lier deux ordres de phénomènes dont l'analogie n'avait été qu'entrevue auparavant: savoir la phosphorescence et l'électricité animales. _Foie des insectes._-M. L. Dufour, l'un des plus habiles entomologistes dont s'honore la France, a fait une étude approfondie de la structure et des fonctions du foie dans les insectes. On avait cru que dans ces animaux cet organe sécrétait à la fois la bile et l'urine; mais il a prouvé qu'on s'était laissé abuser par des apparences, et que dans ces animaux comme dans l'homme le foie sécrète seulement de la bile. Ces recherches sont d'autant plus intéressantes que les fonctions du foie étant encore mal connues, ou s'était élevé de cette double fonction chez les insectes pour établir entre la sécrétion de la bile et celle de l'urine une analogie qui n'exista pas. _Lézard d'Afrique._-H. Guyon a découvert à Alger l'animal connu des Romains sous le nom de _Jaculus_ et à la côte Barbaresque sous celui de Zureig, qui exprime la même idée. Cet animal avait été entrevu par Desfontaines, qui raconte qu'il le vit courir avec une rapidité telle qu'il ne put s'en faire une image exacte; il le prit pour un serpent. M. Guyon vient de constater qu'il appartient à l'ordre des sauriens (lézards), et au genre _seps_. Sa course est d'une rapidité dont rien ne saurait donner l'idée. III.--MÉTÉOROLOGIE. _Incendies allumés par des aréolithes_.--Lorsque des granges ou des meules de blé sont consumées par le feu, il arrive quelquefois que les recherches les plus minutieuses ne peuvent faire découvrir l'origine de l'incendie, que l'on attribue en général à la malveillance. Le juge de paix de Moutierender a remarqué que ces incendies commençaient toujours dans les combles et les bâtiments où il n'y a point de foyer. En comparant les circonstances qui ont accompagné quatre incendies dans le voisinage du lieu qu'il habile, ce magistrat fait voir que les incendies ont été accompagnés ou précédés de chutes de globes de feu, qui ne sont rien autre chose que des aréolithes, ou étoiles filantes en ignition. Ainsi, le 18 novembre 1842, à onze heures du soir, une jeune fille entrant dans sa chambre, ayant jour sur un jardin clos, vit une forte lueur passer et frapper les vitres de sa fenêtre. Elle pensa que quelqu'un traversait le jardin, portant un falot ou une chandelle allumée; ayant ouvert la fenêtre, elle ne vit plus rien et n'entendit personne. Le lendemain à deux heures du matin, le grenier de cette chambre et ceux de quatre maisons étaient enflammés avant qu'aucun secours eût pu être porté. Dans les premiers jours de décembre, entre cinq et six heures du matin, on vit un globe lumineux jetant une si grande lumière que plusieurs personnes sortirent de la maison. Suivant le rapport de plusieurs individus, ce globe alla descendre dans une forêt. L'auteur de la lettre cite encore d'autres exemples qui ne sont pas moins probables. M. Arago accepte pleinement cette explication, qui doit être connue des magistrats, afin que on ne cherche pas de coupable là où il n'y en a point. IV.--SCIENCES PHYSIQUES ET CHIMIQUES. _Nouvel acide du soufre._--La découverte de ce composé est la plus intéressante dont l'Académie ait eu à s'occuper. MM. Furdos et Gélis, en examinant avec soin l'action de l'iode sur les hyposulfites et plus particulièrement sur ceux de soude et de baryte, ont reconnu ce nouvel acide, qui peut être appelé acide hyposulfurique bisulfuré. Il est incolore et sans odeur, d'une saveur acide très prononcée, il n'a que peu de stabilité, et même, à la température ordinaire, ses éléments subissent peu à peu une dissociation de laquelle résulte du soufre, de l'acide sulfureux et de l'acide sulfurique. La série des combinaisons oxygénées du soufre, à laquelle M. Langlois a ajouté, il y a deux ans, l'acide hyposulfurique, vient donc de s'accroître d'un nouveau composé qui est aujourd'hui le sixième connu. Le rapport de M. Pelouze, sur le travail de MM. Fordos et Gélis, a été très favorable: «L'Académie, a-t-il dit, voudra encourager les efforts de deux jeunes chimistes qui, dans une position modeste, cultivent les sciences avec tant d'ardeur et de succès.» _Chimie moléculaire_-M. Pelouze avait lu un mémoire sur l'acide hypochloreux, suivi de quelques observations sur les mêmes corps considérés à l'état amorphe et à l'état cristallisé. Cet académicien avait conclu de ses expériences qu'il était important d'établir une distinction, même au point de vue purement chimique, entre des corps qui ne diffèrent que par un état particulier d'agrégation, tels que l'oxyde de mercure précipité d'une dissolution mercurielle, et l'oxyde obtenu par la calcination du nitrate, ou encore la craie et le spath d'Islande. M. Gay-Lussac, «tout en s'associant pleinement aux éloges que mérite la première partie du mémoire de M. Pelouze,» a critiqué les conclusions de la seconde partie. Il a donné le détail de nouvelles expériences desquelles il semble bien résulter que l'on ne saurait voir dans la différence d'action du chlore, sur les deux oxydes de mercure, autre chose que l'effet d'une cause purement mécanique. Il a rappelé aussi que MM. Dumas et Stas ont fait brûler le diamant dans l'oxygène plus facilement que l'anthracite et aussi bien que le carbone ordinaire. _Chimie appliquée._--Depuis longtemps M. Biot poursuit ses travaux si remarquables sur la polarisation circulaire et sur l'application des propriétés optiques à l'analyse chimique des mélanges liquides ou solides dans lesquels le sucre de canne cristallisable est associé à des sucres incristallisables. On comprend de suite toute l'importance des procédés de ce genre pour prévenir des fraudes commerciales trop fréquentes. On sait en effet que les sirops de sucre et les cassonades sont souvent falsifiés à l'aide de sucre de fécule ou de raisin (glucose), dont le prix est moindre et dont la composition chimique est aussi différente. On sait d'ailleurs que l'action de la chaleur détermine, dans les solutions de sucre de canne, la formation d'une quantité de mélasse ou de sucre incristallisable d'autant plus considérable que cette action est prolongée plus longtemps. Ou pourra donc également se servir des procédés optiques de M. Biot pour mesurer les proportions de sucre de canne cristallisable qui restent dans les mélasses, en décolorant par le charbon animal les solutions que l'on en formerait. Quelques essais de ce genre, tentés sur des mélasses des colonies provenant des raffineries les mieux dirigées, y ont fait découvrir au savant académicien des proportions de sucre cristallisable très considérables, qui se sont élevées à plus de 40 p. 100 de leur poids. Des expériences directes de M. Pelouze ont confirmé ces résultats de M. Biot. «Ce serait un beau problème commercial à résoudre que d'extraire des mélasses, par quelque procédé économique, une partie, sinon la totalité, de ce sucre cristallisable qu'elles renferment pour employer le reste, avec les portions incristallisables, à enrichir les sucres de fécule fabriqués par les acides.» _Photographie._--M. Moeser, physicien de Koenisberg, paraît être le premier qui ait signalé un nouveau genre d'images produites sous l'influence de la lumière, sur une surface polie, par un corps placé très près de cette surface. Les images de ce genre se forment sur un verre de montre placé bien près du cadran, sur les verres placés au devant des gravures encadrées, etc.. M. Moeser attribue ce curieux phénomène à des radiations lumineuses; M. Knoor de Kazan y voit l'influence de la chaleur, et donne le nom de _thermographie_ à l'art nouveau qu'il veut créer. M. Fixeau rattache tout simplement la formation des images de Moeser à l'existence bien constatée des matières grasses et volatiles qui souillent la plupart des corps à leur surface. Enfin, en plaçant une médaille sur une plaque de verre au-dessous de laquelle se trouve une plaque métallique, M. Karsten (le fils du minéralogiste) a reconnu qu'il se forme une image sur la surface supérieure du verre, lorsqu'on fait tomber l'étincelle d'une machine électrique sur la médaille. Si la médaille repose sur plusieurs plaques de verre, et que la dernière soit en contact avec une plaque de métal, l'étincelle engendre des images sur toutes les plaques, mais seulement à leurs surfaces supérieures. Les images les plus faibles correspondent aux plaques les plus éloignées de la médaille. L'étincelle est nécessaire; M. Karsten n'a pas réussi avec l'électricité de la pile: les images, d'ailleurs, ne deviennent visibles qu'en les exposant à une vapeur; mais le souffle le plus léger suffit. La vapeur d'eau se dépose en gouttelettes sur toutes les parties dont l'état moléculaire a changé, tandis qu'elle se répand uniformément là où l'électricité n'a pas sensiblement altéré la plaque. L'effet est instantané et les dessins de la plus grande pureté. Peu de temps après le vote de la loi qui accordait une récompense nationale à MM. Daguerre et Niepce, M. Arago avait indiqué une expérience très curieuse à faire au moyen du daguerréotype. M. Ed. Becquerel, répondant à ce appel, projeta un spectre solaire et stationnaire sur une plaque iodurée; et il reconnut, après l'expérience, que la matière chimique était restée intacte le long des stries qui correspondaient précisément aux raies que Frauenhofer a découvertes dans le spectre. Sur une nouvelle indication de M. Arago, M. Ed. Becquerel a renouvelé l'expérience en plongeant la plaque iodurée par moitié dans l'eau et dans l'air, et il a constaté qu'il n'y a aucune différence bien sensible entre les deux moitiés de l'image du spectre sur cette plaque. M Arago a donné à ce sujet des développements très curieux et propres à avancer la théorie de la lumière. M. Daguerre a communiquée l'Académie, entre autres observations curieuses ou utiles sur l'art qu'on lui doit, un nouveau procédé de polissage des plaques. Au moyen de ce procédé, on obtient des résultats identiques tant que les circonstances extérieures restent les mêmes. _Physique expérimentale._--L'Académie a reçu un assez grand nombre de communications intéressantes qui se rattachent à ce titre, M. Dupré a imaginé un appareil très simple et très ingénieux pour remplacer la machine d'Atwood, employée exclusivement jusqu'à ce jour, dans les cours publics, à la démonstration _à posteriori_, des lois de la pesanteur. M. Mateucci, qui s'est livré spécialement depuis quelques années à l'étude des phénomènes électro-physiologiques des animaux, a fait, sur ce point important, des découvertes fort curieuses. D'abord, il a réussi à composer une véritable pile voltaïque avec des Grenouilles disposées de telle sorte, que les jambes de l'une posent sur les nerfs de l'autre; et il a constaté avec le galvanomètre que le courant propre de cet animal augmente dans l'acte de la contraction. Bien plus, il a reconnu le courant électrique musculaire dans toutes les masses musculaires, quel que soit l'animal. Ce courant est considérablement affaibli chez les animaux qui ont été tués par l'hydrogène sulfuré; il l'est aussi par l'influence du refroidissement et par celle de l'opium ingéré dans l'estomac. L'opinion que l'huile répandue à la surface des flots peut produire du calme est fort ancienne. Elle a été reproduite récemment par M. Van Beek, qui a rédigé à ce sujet un mémoire inséré dans les _Annales de chimie et de physique_ du mois de mars 1842. Après avoir rapporté plusieurs témoignages à l'appui de cette propriété merveilleuse, l'auteur émet l'idée que l'on pourrait trouver dans l'emploi de l'huile, pendant les tempêtes, un moyen de protéger les digues et autres constructions maritimes contre la violence des vagues, en la versant sur l'eau près du rivage. M. Van Beek qui est membre de l'Institut naval des Pays-Bas, a même fait, l'année dernière, à cette société savante, une proposition tendant à obtenir du gouvernement qu'il fît exécuter des expériences à ce sujet. Une commission de cinq membres nommée _ad hoc_ a fait un seul essai duquel elle a tiré des conclusions défavorable à l'idée de M. Van Beek. Cependant deux des commissaires avaient fait séparément une expérience en versant une petite quantité d'huile dans un ruisseau, un jour où le vent soufflait avec violence, et ils observèrent un changement dans l'aspect et dans le mouvement de l'eau. Un autre membre de la commission avait obtenu ce même résultat dans une expérience semblable. Aussi M. Lipkens l'un des commissaires, a-t-il écrit à M. Arago pour réclamer contre la manière dont ses collègues ont opéré en son absence. Il a fait ressortir la nécessité d'opérer sur de flots soulevés par le vent et non par des brisants, et a montré que le jugement de la commission hollandaise ne pouvait être considéré comme décisif. --M. Régnault a présenté à l'Académie, de la part de M. Reizet, une pile d'une construction nouvelle, remarquable par ses effets énergiques. Cette pile, imaginée par M. Bunsen, professeur de chimie à l'université de Marbourg, est formée de quarante éléments, occupe très peu d'espace et suffit pour produire tous les effets qu'on n'obtient ordinairement qu'avec un nombre d'éléments beaucoup plus considérable. L'Académie a pu en juger par les expériences qui ont été faites sous ses yeux.--M. Bunsen a fait des essais relatifs à un mode d'éclairage produit par un jet de lumière du courant entre deux pointes de charbon. Il s'est pour cela servi d'une batterie de quarante-huit couples. Le jet de lumière, en éloignant les pointes de charbon, pouvait être allongé jusqu'à 7 millimètres. M. Bunsen évalue l'intensité de cette lumière à celle de 572 bougies stéariques. La dépense, pour entretenir cette lumière pendant une heure, était: pour le zinc, 300 grammes, pour l'acide Sulfurique, 456 grammes, et pour l'acide nitrique, 608 grammes. Le mois de mai. Le mois de mai 1843 a eu à supporter les imputations les plus graves et on l'a accusé d'être plus froid, plus humide, plus variable, plus maussade que tous ses prédécesseurs. Les jardiniers, les promeneurs, les poètes, les fleuristes, les tailleurs, les couturières l'ont accablé d'imprécations. Voyons si ces accusations sont fondées. Plus heureux que les magistrats, forcés d'écouter des avocats, vous n'aurez pas, ô lecteur! de plaidoyer à subir, vous n'aurez point à peser en vous-même la valeur douteuse d'un argument et démêler la vérité au milieu des sophismes dont on cherche à l'obscurcir: tout se réduit à une question de chiffres. Un mois de mai froid, c'est celui où la température moyenne a été au-dessous de la température moyenne générale du mois de mai, considéré dans un grand nombre d'années Or, la température moyenne du mois de mai, déduite de quarante années d'observations métérologique faites à l'Observatoire de Paris, est de 14°, 4. Le mois de mai 1843 a donc été un mois froid, puisque sa température (13º, 6) est au-dessous de la moyenne générale. Cette température a-t-elle été extraordinairement basse? En aucune manière: il suffit, pour s'en convaincre de jeter les yeux sur le tableau suivant, qui présente la température moyenne et la quantité d'eau tombée pendant les mois de mai des vingt-trois années qui viennent de s'écouler. Années Température Quantité de pluie moyenne. centimètres. 1820 14,1 9,106 1821 12,1 4,610 1822 16,7 4,605 1823 15,2 5,430 1824 12,6 7,596 1825 14,2 6,436 1826 12,6 4,470 1827 14,6 11,620 1828 13,1 6,490 1829 14,9 9,030 1830 14,6 12,340 1831 14,2 6,420 1832 13,2 5,428 1833 17,7 2,305 1834 18,2 4,380 1835 13,8 4,955 1836 12,4 2,624 1837 11,0 7,921 1838 14,2 4,704 1839 13,6 3,382 1840 15,1 3.381 1841 17,3 4,606 1842 14,5 2,415 Depuis vingt-trois ans, il y a donc eu six mois de mai plus froids que celui de 1843: ce sont ceux des années de 1821, 1824, 1826, 1832, 1836, 1837, et un aussi froid, celui de 1839. Ainsi donc le mois de mai qui vient de s'écouler n'est point extraordinaire sous le point de vue de la température; seulement sa moyenne est de 0º, 8 au-dessous de la moyenne générale. A-t-il été plus pluvieux qu'il ne l'est habituellement à Paris? Ici encore la statistique nous montre qu'il y a eu, depuis 1820 huit années dans lesquelles la quantité d'eau tombée est supérieure à celle de 1843, et nous voyons qu'il en est deux (1827 et 1830) où elle a été presque double. En grand coupable qui comparait devant un tribunal après des gens accusés de peccadilles inspire beaucoup plus d'horreur que s'il venait précédé de scélérats qui ont fait pire que lui. En général, le jugement sera plus sévère; c'est ce qui est arrivé au mois de mai 1843, dont nous instruisons le procès en ce moment. En 1840, 1841 et 1842, la température avait été supérieure à la moyenne et la quantité de pluie peu considérable, surtout en 1840 et 1842. Il en est résulté pour le mois de mai passé un effet de contraste tout à son désavantage et dont il a été la victime. En résumé, on ne le citera jamais parmi les mois qui tendent à réhabiliter sa vieille réputation en réalisant les fictions des poètes; mais ce n'est pas non plus un de ces mois qui bouleversent les notions astronomiques du tranquille citadin, et réveillent dans son esprit des idées mal effacées sur le refroidissement du globe ou un changement dans l'inclinaison de l'équateur sur l'écliptique. C'est un mois de mai un peu au-dessous du médiocre de médiocre et ici exactement égal à 14º, 4, parfaitement en harmonie avec tout ce qui se fait aujourd'hui, _Lucrèce_ et _l'Illustration_ exceptés. OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES. FAITES À L'OBSERVATOIRE DE PARIS 1843.--MAI. 1 Jours du mois. 2 Hauteur du baromètre réduite à la température de 0 à midi. 3 Températures extrêmes de la journée. 3a Minimum. 3b Maximum. 4 Températures moyennes calculées. 5 État du ciel à midi. 6 Vents à midi. 1 2 3 4 5 6 3a 3b 1 757,19 11,0 21,9 16,0 Nuageux. S. S. E. 2 753,01 9,0 22,1 15,0 Beau, quelques nuages. E. N. E. 3 754,63 8,0 21,9 14,4 Orages, tonnerre, faible pluie. N. 4 754,01 8,9 19,0 15,0 Assez beau. S. O. 5 752,31 7,7 21,1 15,9 Nuageux. S. O. 6 748,31 11,5 21,0 15,9 Couvert, pluie. O. fort 7 748,26 6,6 17,8 11,7 Couvert. S. S. E. 8 745,00 5,5 13,9 9,4 Très nuageux. N. O. 9 749,74 4,5 11,9 7,9 Couvert. S. O. 10 756,31 4,3 16,2 9,8 Nuageux. S. O. 11 760,96 8,9 19,9 13,9 Très nuageux. N. E. 12 762,00 7,5 20,2 15,3 Couvert. S. O. 13 758,60 12,0 17,8 13,2 Couvert. O. N. O. 14 751,87 7,0 21,0 15,4 Couvert. S. S. E. 15 749,80 10,0 19,8 14,5 Couvert. O. N. O. 16 745,20 8,2 16,0 11,8 Pluie. S. O. fort. 17 746,17 6,0 16,0 10,6 Couvert. O. S. O. 18 750,33 8,5 15,3 11,6 Couvert. N. N. O. 19 754,90 8,3 15,1 11,4 Couvert. O. N. O. 20 752,36 9,8 25,0 15,9 Très nuageux. E. 21 751,48 11,0 19,0 14,7 Couvert. S. O. 22 752,24 10,8 18,8 14,5 Couvert. O. S. O. 23 748,68 11,0 22,8 16,4 Couvert. S. E. 24 746,74 13,3 19,0 15,9 Couvert. S. S. E. 25 749,92 15,1 20,8 17,7 Nuageux O. 26 754,62 10,4 17,8 13,6 Couvert. S. E. assez fort. 27 750,28 12,0 19,2 15,3 Couvert. S. O. 28 750,28 11,0 17,3 13,9 Couvert. O. S. O 29 757,24 10,3 18,0 13,8 Couvert, pluie. O. fort. 30 760,98 8,1 17,8 12,6 Couvert O. N. O. faible 31 757,75 12,0 20,8 16,0 Couvert S. S. O. 752,63 9,3 18,8 13,6 (Moyenne) Pluie dans la cour, 8 cent. 355 Pl. sur la terrasse, 5 cent. 930. De la galvanographie. Il y a déjà quelques années qu'un savant anglais, M. Thomas Spencer, de Liverpool, en étudiant l'action réductive exercée par les courants galvaniques sur les métaux dissous, découvrit que le cuivre ainsi revivifié de ses dissolutions dans les acides possédait la propriété de mouler la surface métallique sur laquelle on le précipitait, avec une exactitude telle, que les moindres modifications de cette surface, les stries du poli et jusqu'aux accidents de coloration, étaient reproduits avec la plus merveilleuse fidélité. En donnant la publicité à cette curieuse découverte, M. Spencer indiqua les principales applications qui en pourraient être faites aux arts plastiques et à l'industrie; et il fit voir comment, en envisageant un dessin comme une surface présentant à la fois des saillies et des dépressions, on pourrait arrivera transformer directement, et sans aucun recours au burin, le travail du dessinateur en une planche en cuivre gravée soit en relief soit en creux. Quelque temps après, M. Jacobi de Saint-Pétersbourg, fut également conduit à découvrir cette curieuse propriété plastique du cuivre réduit par courant galvanique; et il donna au public connaissance de sa découverte, d'abord dans une lettre adressée à Michael Faraday et publiée par celui-ci dans le _Philadelphia Magazine_ (septembre 1839), puis dans une série de lettres écrites au prince de Démidoff, et qui parurent en 1840 dans le journal _'Artiste._ C'est depuis cette époque surtout que de nombreuses tentatives ont été faites pour résoudre le problème indiqué par M Spencer, tentatives qui n'ont point encore obtenu un plein succès, mais dont les résultats déjà acquis permettent d'affirmer que, dans un avenir qui n'est pas éloigné, le travail du graveur pourra être entièrement supprimé, et l'oeuvre du dessinateur pourra être placée, par une simple opération chimique, dans des conditions qui en permettront la reproduction indéfinie. La reproduction d'une oeuvre d'art ou d'un signe graphique quelconque par la voie de l'impression est aujourd'hui effectuée à l'aide de trois procédés différents, dont nous devons indiquer les caractères distinctifs: l'impression typographique, l'impression en taille douce et l'impression lithographique. Ces trois procédés exigent également que l'oeuvre à reproduire soit tracée sur une surface résistante et dont la planimétrie soit parfaite, c'est là leur caractère commun: ils diffèrent en ce que, dans le premier procédé, le trait ou la ligne qui doit marquer fait saillie au-dessus du plan de la surface; dans le second il est au contraire déprimé au dessous de ce plan, et dans le troisième, il est contenu dans le plan, et n'est représenté que par un état particulier de la surface elle-même. Ces trois artifices ont le même but; celui de permettre que l'encre d'impression, distribuée sur ces surfaces à l'aide d'un tampon ou d'un rouleau, aille s'arrêter ou s'accumuler en quantités rigoureusement déterminées sur certaines portions de la surface seulement, de telle sorte que ces portions-là seules puissent donner épreuve en transmettant sous le foulage de la presse, à la feuille encore humide de papier, les portions d'encre qu'elles ont reçues. Dans l'impression typographique les lignes à reproduire font saillie sur le plan métallique mobile que l'on appelle la forme. Un rouleau cylindrique, formé d'une pâte molle et élastique, et dont la surface lisse et unie est revêtue d'une mince couche d'une encre épaisse et grasse, effleure rapidement les lignes en saillie, laissant sur chacune d'elles une portion de son encre sans atteindre les fonds ou le intervalles qui les séparent, la quantité d'encre que reçoit chacune d'elles étant proportionnelle à sa largeur et à sa hauteur absolue au-dessus du plan de la forme. Alors un plateau métallique parfaitement plan et parfaitement parallèle aussi à la surface de la forme, s'abaisse sur celle-ci, et comprime sur les saillies noircies d'encre la feuille de papier qui en doit recevoir l'empreinte et dans laquelle elles s'impriment. Avec les dispositions mécaniques que l'on possède aujourd'hui, l'opération tout entière s'exécute en moins de cinq secondes. Dans l'impression en taille-douce, au contraire, les lignes à reproduire sont entaillées plus ou moins profondément dans une planche métallique d'acier, de cuivre ou d'étain. L'encre d'impression, distribuée d'abord grossièrement sur toute la surface de la planche, est ensuite ramenée avec soin dans toutes les tailles, et enlevée avec plus de soin encore de toutes les parties qui doivent venir blanches à l'épreuve; puis la planche de métal et la feuille de papier passent toutes deux entre deux cylindres de fonte, et, sous l'écrasement d'une pression énorme, le papier pénètre jusqu'au fond des tailles, et s'y imprègne de l'encre que la main de l'imprimeur y a laissée. L'impression en taille-douce est, à vrai dire, un procédé de moulage, et la pile du papier humide est une matière plastique qui donne la contre épreuve en relief du moule en creux, la planche gravée. Les procédés de l'impression lithographique reposent sur une tout autre donnée: c'est la propriété, commune à toutes les surfaces polies de se comporter d'une façon toute spéciale suivant qu'elles ont été primitivement souillées par un corps gras ou un liquide aqueux, par l'huile, par exemple, ou par l'eau. Il n'est personne peut-être qui n'ait remarqué que certaines surfaces polies à un haut degré, celles des bois vernis, de la glace, du marbre, et plus spécialement encore toutes les surfaces métalliques parfaitement nettes et brillantes, ne se mouillent pas d'ordinaire au contact de l'eau. Ce contact a beau être prolongé, on a beau lasser sa plieuse à étaler le liquide dans l'espoir d'en former une pellicule uniformément étendue sur toute la surface polie, il semblerait que celle-ci exerce sur le liquide une sorte d'action répulsive, et qu'elle le contraint à se retirer sur lui-même en gouttelettes sphéridales qui ne conservent avec cette surface que les rapports les plus limités possibles. Si maintenant, sur une surface polie qui présente ce phénomène de ne point mouiller avec l'eau, on verse une goutte d'huile, un phénomène tout inverse du premier se produit. La gouttelette, d'abord globuleuse, s'aplatit de plus en plus et devient lenticulaire; les bords vont sans cesse s'élargissant pour envahir un espace plus grand, et la surface entière, si grande qu'elle soit, pourra être complètement recouverte par une toute petite goutte d'huile qui y formera une pellicule adhérente, sans solution de continuité aucune, et tellement mince qu'elle pourra paraître irisée comme la paroi d'une bulle de savon. Mais si, au contraire, par un artifice quelconque, la surface polie a été mise dans des conditions telles qu'elle mouille avec l'eau, alors, sur cette surface une fois humide, il sera impossible de faire adhérer l'huile, et le rôle de ces deux liquides sera complètement interverti. En fait, une surface polie est indifférente soit à l'huile soit à l'eau; mais aussitôt que l'un de ces liquides vient à toucher cette surface il y adhère en formant une pellicule infiniment mince, et c'est cette pellicule du premier liquide, quel qu'il soit, qui exerce une action véritablement répulsive sur le second. C'est cette propriété des surfaces polies qui est mise en oeuvre dans l'impression lithographique et dans certains procédés de transport sur métal, dont nous aurons peut-être à parler par la suite, et qui paraissent destinés à prendre une grande extension, sinon à remplacer complètement les procédés du stéréotypage. Un dessin sur pierre n'est autre chose, en effet, qu'une surface polie dont certaines portions, les traits du dessin, mouillent avec l'huile et les corps gras, tandis que les autres, les blancs ne mouillent qu'avec l'eau ou les liquides aqueux. Sur cette surface l'imprimeur passe alternativement une éponge imbibée d'eau et un cylindre imprègne d'une encre grasse: les deux liquides s'arrêtent, se déposent, se limitent là où l'état spécial de la surface les retient, et la feuille de papier, sous le foulage de la presse, va à son tour s'en imprégner. Ces détails étaient nécessaires pour faire comprendre les difficultés pratiques de la question que nous allons maintenant aborder; ils étaient nécessaires surtout pour que l'on pût bien saisir l'énorme importance de la gravure en relief, de celle dans laquelle les traits à reproduire, faisant saillie sur le fond de la planche, donnent épreuve à la presse typographique. Une seule planche en cuivre» gravée en relief, pourra fournir au tirage mécanique jusqu'à 15,000 épreuves par jour, et cela pendant tant de jours que l'on voudra, ou peu s'en faut; et la même planche, gravée en creux, ne donnera guère à la presse en taille-douce que 3,000 épreuves en tout, à raison de 200 épreuves par jour. Les procédés de transport sur pierre ou sur métal sont plus limités encore, et la cinq-centième épreuve d'un dessin sur pierre n'est plus qu'une grisaille où l'on ne reconnaît plus ni couleur, ni modelé, ni forme. Or, c'est dans la possibilité de multiplier indéfiniment, avec une rapidité extrême et à très bas prix, le nombre des épreuves, que git aujourd'hui tout le problème: ce n'est plus que sur des tirages de dix, de vingt, de trente mille exemplaires que peuvent être basées les bonnes opérations de librairie. Cela dit, voyons par quels artifices on peut, à l'aide d'un courant galvanique, transformer le dessin d'un artiste en une planche en cuivre gravée en relief, et capable de donner un nombre indéfini d'épreuves à la presse typographique. Toutes les applications qui ont été faites jusqu'ici des courants galvaniques aux besoins de l'industrie reposent sur la propriété suivante: Lorsque qu'on fait passer, à l'aide de deux surfaces métalliques, un courant galvanique à travers une solution saline convenablement choisie, la surface par laquelle le courant débouche dans la solution est attaquée, corrodée, dissoute, et le métal entraîné est charrié par le courant vers l'autre surface, sur laquelle il est revivifié et précipité à l'état métallique. Mais, pour que cette action ait lieu également? sur toute l'étendue des deux surfaces, il faut que ces deux surfaces soient sur toute leur étendue dans des conditions identiques et également exposées à l'action du courant; car si certaines portions de ces surfaces, et certaines portions seulement, étaient recouvertes d'une courbe protectrice quelconque, celles-là ne seraient pas modifiées par le passage du courant, dont l'action s'exercerait exclusivement sur les parties qui ne seraient pas ainsi protégées. [Illustration.] Or, la surface métallique par laquelle le courant galvanique débouche dans la solution saline, ainsi que celle par laquelle il s'en échappe, peut-être du dessin, et l'action du courant qui passe peut être utilisée soit à déposer du métal sur les traits du dessin au pôle négatif, soit à enlever du métal d'entre les traits du dessin au pôle positif. Voici comment. [Illustration.] Soit une planche de cuivre rouge dont le poli et la planimétrie soient suffisamment parfait pour satisfaire aux exigences du tirage typographique. Sur cette planche un étale à chaud une couche si mince que l'on voudra d'un vernis résineux quelconque, et les vernis dont on fait usage sont en général composés de térébenthine de Venise, de poix blanche, de suif et de noir de fumée. Cette planche ainsi préparée est livrée à l'artiste, qui y trace son idée à l'aide d'un stylet suffisamment résistant pour entamer l'épaisseur du vernis. Son travail terminé, la planche est pour l'artiste un véritable dessin dans lequel les noirs sont représentés par les surfaces de cuivre mises à nu, les blancs ou les clairs par les surfaces intactes. Pour le chimiste, au contraire, cette planche ne sera qu'une surface métallique dont les différentes portions sont placées dans des conditions différentes, celles-ci étant livrées unes à l'action d'un courant, celles-là étant complètement abritées de cette action sous leur couche de vernis. Que l'on dispose, en effet, une planche ainsi préparée dans une solution d'un sel de cuivre, au pôle par lequel le courant s'échappe de la solution, incontinent le métal que le courant charrie avec lui se déposera sur tous les points où la surface du cuivre a été mise à nu, et il ne s'en déposera pas un atome en aucun autre point. Molécule par molécule le dépôt s'agrandira là où une fois il a commencé de s'effectuer, et les traits du dessin s'élèveront comme de petites murailles, et se détacheront en saillie sur le plan du vernis. Renversons les conditions de l'expérience. Soit, comme tout à l'heure, une planche métallique convenablement dressée, et supposons que l'artiste trace sur cette planche son dessin avec une encre grasse, siccative et inattaquable aux acides. Que la planche ainsi préparée soit placée dans une solution d'un sel de cuivre, mais cette fois-ci au pôle par lequel le courant y débouche; et aussitôt l'action du courant s'exercera à entailler le métal dans l'intervalle des traits; et ceux-ci, au bout d'un certain temps fort court, surgiront en relief, leurs bords taillés à pic avec une netteté et une précision auxquelles le burin le plus hardi et le plus habile ne saurait atteindre. Telles sont les deux idées principales sur lesquelles reposent toutes les tentatives sérieuses de galvanographie: obtenir un relief par dépôt au pôle négatif, par érosion au pôle positif. Viennent maintenant les difficultés d'exécution, et celles-ci sont nombreuses et malaisées à surmonter. Dans le procédé opératoire que nous avons indiqué en premier lieu, c'est le trait même du dessinateur qui devient le moule dans lequel vient se déposer le cuivre réduit; et les moindres intentions de l'artiste se trouvent ainsi reproduites avec cette merveilleuse fidélité qui caractérise le moulage galvanique. Mais ce sillon lui-même, tracé avec une pointe conique ou triangulaire, est une tranchée à bords obliques dont le bord seul représente le trait du dessinateur. A mesure que ce sillon est comblé par les molécules de cuivre qui s'y précipitent, le trait s'élargit, et le premier mérite du procédé, sa merveilleuse exactitude, est dès lors sacrifié. Pour qu'il en fût autrement, il faudrait que la taille faite par le stylet dans le vernis fût à bords verticaux; et c'est déjà là une condition à peu près impossible à réaliser. D'ailleurs, cette condition fut-elle réalisable, la solution du problème n'en serait guère plus avancée pour cela. En effet, la taille dont il est question forme, à la vérité, une digue qui limite le dépôt de cuivre tant que cette taille n'est pas comblée; mais aussitôt que cette limite est franchie, le cuivre déborde de toutes parts: les lignes voisines se confondent par leurs sommets, et pour peu que les tailles du dessin soient serrées, le dépôt ne forme plus qu'une croûte massive et continue, dans laquelle les formes les plus saillantes de l'oeuvre sont à peine indiquées. A la vérité, l'on a tiré parti de ce résultat pour résoudre le problème sous une autre forme. Considérant un dessin tracé dans un vernis, à l'aide d'une pointe, comme un moule à bon creux dont toutes les parties sont de dépouille, on a déposé dans ce moule du métal plastique, et on a prolongé le dépôt jusqu'à former une masse solide et continue: puis on a détaché la contre-épreuve du moule. Ici le travail du dessinateur était bien représenté par une planche en cuivre gravée en relief; mais ce relief n'avait, et ne pouvait avoir, que l'épaisseur même de la couche de vernis, dans laquelle le dessin était tracé; et l'on s'est trouvé renfermé entre les deux termes de ce dilemme jusqu'ici insoluble: exécuter le dessin dans un vernis épais, ce qui enlève au dessinateur toute la liberté et la souplesse de son crayon; exécuter le dessin dans un vernis mince, ce qui enlevé à la reproduction les reliefs qu'exigent les procédés de l'impression typographique. Le deuxième mode opératoire que nous avons indiqué offre également des difficultés, mais elles sont d'un autre ordre. Ce ne sont plus les procédés de gravure, mais les procédés de dessin qui sont en défaut. Il ne s'agit plus, en effet, d'édifier une petite muraille de cuivre sur chacun des traits du dessin, mais bien de creuser entre chacun d'eux une fosse plus ou moins profonde; il s'agit, en d'autres termes, d'attaquer, de ronger, de dissoudre toutes les portions de la surface de cuivre que les traits du dessin ne protègent pas, en laissant entièrement intactes celles qui sont ainsi abritées; et pour cela faire il faut bien que toutes les portions qui doivent être enlevées soient également attaquables, que toutes celles qui doivent rester intactes soient également protégées. Ce sont là les deux conditions que devra remplir le procédé de dessin que l'on mettra en usage: et les procédés dont nous avons aujourd'hui connaissance ne nous paraissent pas encore de nature à remplir toujours, partout, et dans tous les cas, ces indispensables conditions. Toutefois, les gravures de W. Rémon, qui accompagnent cet article, et qui ont été obtenues sur de simples dessins, l'aide de procédés semblables à ceux que nous venons d'indiquer, sont de nature à convaincre nos lecteurs que si le problème n'est pas encore entièrement résolu, il touche du moins de bien près à la solution. [Illustration.] Quant à l'avenir qui est réservé à la galvanographie, il est difficile aujourd'hui d'en préciser les limites. Peut-être l'art typographique tout entier touche-t-il à une rénovation complète; et, chose singulière, cette rénovation ne serait qu'une renaissance des procédés anciens, que la découverte de l'imprimerie a fait tomber en désuétude. La tablette enduite de cire et le stylet remplaceraient le papier et le crayon; le copiste ou l'enlumineur succéderait à son tour à l'ouvrier compositeur, qui jadis lui succéda; et l'inépuisable richesse et la variété des anciens manuscrits pourraient bien renaître à la place de la sécheresse et de l'uniformité de notre impression moderne. _N. B._ Les gravures qui accompagnent cet article ont été faites, à titre d'essai, sur des dessins que M. Garvani destine à une importante publication, qui paraîtra en octobre chez M. Hetzel, éditeur du _Voyage où il vous plaira_ et des _Scènes de la vie privée et publique des animaux._ Théâtres. THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE, _Angélique et Médor_ opéra comique en un acte, paroles de M, SAUVAGE, musique de M. A. THOMAS. Nous avons une vieille dette à payer à l'Opéra-Comique. Il y a un mois au moins que ce titre d'un si heureux augure a décoré pour la première fois son affiche, et MM. Sauvage et Thomas ont raisons de se plaindre que nous n'ayons pas encore donné de leurs nouvelles aux lecteurs de _l'Illustration_. Passe encore, si nous n'avions eu à raconter qu'une défaite! Ces messieurs auraient pris patience, sans doute, et nous auraient su gré de nos lenteurs. Mais retarder de quatre semaines le bulletin d'une victoire! voilà qui est impardonnable. Nous confessons humblement notre faute, et nous nous recommandons à la clémence de M. Sauvage et à la grandeur d'âme de M. Thomas. Quoique jeune. M, Thomas a déjà fourni une assez longue carrière dramatique. Il est du petit nombre des lauréats du Conservatoire pour qui se sont ouvertes comme d'elles-mêmes, les portes d'airain de ce sanctuaire de l'Opéra-Comique, accessible à si peu d'élus. M Thomas a déjà produit six partitions pour le moins: _la Double échelle, le Perruquier de la régence, le Panier fleuri, Carmaquala, le guérilléro_ et enfin, _Angélique et Médor_ Si nous omettons quelqu'un de ses titres, qu'il nous le pardonne; l'oubli est tout-à-fait involontaire. A l'Opéra-Comique les essais de M. Thomas ont été plus ou moins heureux; mais enfin il n'a jamais essuyé de revers Les deux campagnes qu'il a faites sur la scène de l'Académie royale de Musique n'ont pas eu un résultat aussi favorable. Est-ce parce que les auditeurs y sont plus difficiles, ou bien parce qu'un terrain plus vaste exige plus de vigueur et d'haleine chez celui qui veut le parcourir? l'un et l'autre peut-être. Mais, sans examiner aujourd'hui cette question, bornons-nous à constater que la place Fayard vient d'offrir à M. Thomas un honnête dédommagement des échecs que la rue Lepelletier lui a vu subir. Les qualités prédominantes chez M. Thomas sont la clarté, la facilité, l'élégance et la grâce; ce qui paraît lui manquer c'est la verve, la force, la passion. On a donc le droit de présumer qu'il réussira sans peine à l'Opéra-Comique, à moins qu'il n'ait à traiter un sujet trop dramatique, et à l'Opéra, il paraîtra souvent au-dessous de sa tâche. _Angélique et Médor_ était justement un livret tel qu'il le faut à ce compositeur. Rien de mieux dans le sujet ni dans les caractères, aucune situation forte, aucune scène trop vive, aucune passion trop énergique; des sentiments tendres, des idées gracieuses ou plaisantes. M. Thomas était là sur son terrain, et tout-à-fait à son aise. Il y a bien paru. Son ouverture n'est, à proprement parler qu'une longue valse, précédée d'une courte introduction. L'introduction est agréablement instrumentée, modulée d'une manière piquante. La valse est fraîche, vive, et légère, et se développe avec une grâce où l'on reconnaît l'habileté de l'auteur. Il y a une très jolie romance, et un de ténor qui nous a paru fort élégant, mais que le chanteur à qui il est confié rend lourd et gauche. Il est presque toujours imprudent de compter sur l'agilité des chanteurs d'aujourd'hui. Ajoutez-y un duo très bien fait, un trio charmant, et deux airs bouffes peu remarquables en eux-mêmes, mais qui, du moins, ne nuisent pas à l'effet des autres morceaux, et vous comprendrez que le total forme un ensemble assez satisfaisant. Il n'en faut pas tant pour faire vivre longtemps et bien une partition en un acte. [Illustration: Théâtre de l'Opéra-Comique.--Une scène d'Angélique et Médor.] La pièce, d'ailleurs, est amusante et spirituelle, et l'on y rit de très grand coeur de la sottise de Joliveau et des méprises de Mirouflet. Joliveau! Mirouflet! voilà des noms qui sonnent bien étrangement à l'oreille, et qu'on ne s'attendait guère à trouver en compagnie de ces noms si poétiques et si mélodieux q'Angélique et de Médor. C'est pourtant l'histoire de Joliveau et de Mirouflet que je vais vous raconter, et aussi celle de Muguet; car, pour ce qui d'Angélique et de Médor, vous en savez sur eux autant que moi, j'aime à le croire. Mirouflet est cordonnier, établi, et exerçant _de père en fils_ sa noble profession rue Brise-Miche, A peine au sortir de l'enfance, Muguet fut placé chez lui en apprentissage; mais la nature n'avait point destiné le jeune Muguet à chausser ses semblables; le cuir lui répugnait et le tranchet lui faisait peur. Vous voyez que ce nom de Muguet lui allait à merveille. Un jour il s'échappa de la boutique du père Mirouflet, et dit adieu pour toujours à la rue Brise-Miche. Que loi arriva-t-il, une fois lancé dans le monde? Sans doute assez d'aventures pour remplir toute une Odyssée; mais, il n'a pas écrit ses confessions comme Jean-Jacques, et il faudra, faute de mieux, vous contenter du dernier épisode. Le voilà donc, cet ancien élève de saint Crépin, coquettement poudré et vêtu à la dernière mode,--mode de 1780, s'il vous plaît,--portant bas de soie, boucles d'or, gilet de satin, jabot de dentelle et habit gorge de pigeon. Où le retrouvons-nous? à l'Opéra, dans le cabinet de M. le secrétaire général de cet harmonieux établissement. Il vient de signer un contrat par lequel il met pour trois ans à la disposition de l'Académie royale de Musique sa jambe faite au tour, ses yeux en amande, sa bouche en coeur et son _la_ de poitrine, le plus beau _la_ de France et de Navarre, Cette supériorité n'a rien d'étonnant: Muguet arrive d'Italie, et c'est à Naples qu'il a trouvé ce _la_ merveilleux. Il y a rencontré autre chose encore: une jeune Française, propriétaire d'un joli visage, d'une tournure élégante et d'une charmante voix. Muguet a donné à mademoiselle Amélie des leçons de chant, dont elle a bien profité; mais, tandis que la bouche du fripon parlait _flautat_ et _trille molle_, il parait que ses yeux disaient tout autre chose, et avaient su se faire comprendre: si bien que maître Muguet, ténor moral et vertueux, se disposait à demander Amélie à sa mère, quant tout à coup cette mère mourut, et mademoiselle Amélie quitta subitement l'Italie. Jugez de la joie du jeune ténor, quand il l'aperçoit, à l'Opéra, dans le cabinet de M. Joliveau! Elle est engagée, comme lui, et doit, le soir même, jouer le rôle d'Angélique dans l'opéra de _Roland_, où il jouera celui de Médor. Malheureusement elle n'est pas seule: un grand personnage, M. le duc de Vaudiéres, la protège, la suit partout, et se mêle de toutes ses affaires: et M. Joliveau prétend qu'un grand seigneur ne fait pas cela pour rien. Le drôle a été nourri dans un sérail, il a de l'expérience, et on peut l'en croire. Muguet l'en croit, mais il veut du moins revoir encore une fois son infidèle, et lui dire tout ce qu'il pense de son procédé. Comment y parvenir? C'est ici que Mirouflet lui est d'un secours inappréciable. Mirouflet est en effet le professeur de chant de mademoiselle Amélie, depuis qu'elle est à l'Opéra. Cela vous étonne, et vous me demandez, sous quel prétexte cet honnête Mirouflet a changé d'état? Rassures-vous, Mirouflet n'a point quitté la rue Brise-Miche. Mirouflet est tout-à-fait incapable d'une infidélité, même passagère envers la botte et l'escarpin. Mois ces deux belles professions, de cordonnier et de maître de chant, ont bien plus d'analogie qu'il ne vous semble. Quel est, des deux côtés, le point essentiel, le fondement de l'art, le principe sur lequel doit être basé l'enseignement? C'est la mesure Exacte et sure, Tout me l'assure, Tout dépend de là. Cette vérité frappe si vivement M. le duc, qu'il exige que sa protégée reçoive la première leçon séance tenante Or, Mirouflet n'a rien à refuser à Muguet. Muguet paraît tout à coup, voyez la gravure, et se glisse entre le maître et l'élève; y a-t-il rien de plus audacieux à la fois et de plus indiscret. Ameublements.--Salon Louis XV. [Illustration:] La Révolution, en nivelant les conditions, a donné à chacun le droit de se meubler suivant son caprice et sa fortune. Mais, avant de jouir de cette liberté, les lambris dorés, les gracieuses peintures des Boucher et des Vanloo ont été badigeonnées, quand trop de zèle n'a pas poussé les iconoclastes politiques à gratter ces chefs-d'oeuvre. Mais quand on eut détruit, il fallut reconstruire. La maison française se reniant elle-même, prit les noms et les vêtements des Grecs et des Romains, oublia que nos moeurs et notre climat s'y opposaient. Les campagnes d'Égypte et d'Italie et les évènements politiques eurent une influence plus ou moins grande sur les costumes et les ameublements. Les arts resteront étrangers pendant longtemps aux décorations intérieures. Les ouvriers ignorants dirigeaient en maîtres absolus. De ce chaos est sorti le mauvais goût généralement désigné sous le nom de modes de l'Empire. Les source auxquelles on avait puisé étaient bonnes sans doute, mais on manquait d'exécution et de sentiment. La paix vint donner un nouvel essor aux arts. On commença à sortir du labyrinthe dans lequel on marchait depuis quarante ans. L'ouvrier, dans le massacre du passé, confondit les époques en croyant inventer: mélange blessant pour l'oeil de l'artiste. Notre époque s'est imposé une tâche digne d'encouragement en rendant à chacun ce qui lui appartient. Dans le brillant salon exécuté par la maison Girond de Gand (et que notre gravure représente), nous ne nous lassons pas d'admirer le goût et le savoir tapissier. Les meubles ne sont pas scrupuleusement de la même époque que les tentures; mais le modèle est choisi dans ce qui s'en rapproche le plus. Les bronzes, quoique lourds, sont d'un beau travail et d'un charmant effet. Nous en dirons peut-être autant du dessin de la cheminée et des vases de Chine qui supportent les candélabres, surtout quand on les compare à la légèreté des rinceaux qui courent autour des glaces, des tapisseries, et s'étendent jusqu'au plafond. En résumé, l'ensemble de ce salon est d'une heureuse invention. Si nous avons fait quelque critiques, c'est dans l'espérance de voir ces légers défauts disparaître. Amusements des sciences. SOLUTION DES QUESTIONS POSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO. I. Donnez un liard et faites rendre un centime à chacune des vingt personnes. Vous aurez distribué vingt liards ou cinq sous, et vous recevrez vingt centimes ou quatre sous. En définitive, vous n'aurez dépensé qu'un sou, qui se trouvera partagé en vingt parties égales. II. 42 59 44 9 40 21 46 7 61 10 41 54 45 8 30 20 12 43 60 55 22 57 6 47 53 62 11 30 25 28 19 38 32 43 54 27 56 23 48 5 63 52 31 24 29 26 37 18 14 33 2 51 16 35 4 49 1 64 15 34 3 50 17 36 La figure précédente indique la solution, lorsque l'on veut partir d'une case située à l'un des quatre angles. Les numéros des 64 cases de cette figure indiquent;'ordre dans lequel elles doivent être successivement parcourues partir de la case 1. Ainsi le Cavalier, posé d'abord sur la case à l'angle 1, sautera sur la case 2, puis sur la case 3, et ainsi de suite jusqu'à la case 64, où se termine sa course. Il est facile de voir que la marche pourrait être suivie en partant de la case 64, parcourant successivement 63, 62, etc., jusqu'à la case 1. Cette solution en comprend donc implicitement 12, puisqu'elle s'étend à trois cases prises pour point de départ sur chacun des quatre angles de l'échiquier. Voici un moyen aussi simple qu'amusant de trouver, à volonté des solutions du problème: prenez 64 petits carrés de carton que vous partagerez en deux cases, dans chacune desquelles sera inscrit l'un des huit nombres compris entre 1 et 8. Cherchez à disposer ces 64 carrés les uns à coté des autres, ou en plusieurs bandes les unes au-dessous des autres, de telle sorte que dans deux carrés successifs la différence des nombres supérieurs soit égale à 1 ou à 2, celle des nombres inférieurs étant 2 ou 1. Vous formerez une suite du genre celle que nous donnons ci-après écrite en quatre bandes parallèles; et, pour faciliter les comparaisons, nous avons répété en tête de chacune des trois dernières bandes le carré qui termine la précédente. On voit facilement que tous les nombres de cette suite satisfont à la condition énoncée. Ainsi dans les deux premiers carrés, la différence entre les nombres supérieurs 8 et 7 est 1; la différence entre les nombres inférieurs 1 et 3 est 2; les différences entre 3 et 1, puis 7 et 8 du sixième et septième carré, sont respectivement 2 et 1. De même pour les autres. 8 7 8 7 5 3 1 2 1 2 4 6 8 7 8 6 - - - - - - - - - - - - - - - - 1 3 5 7 8 7 8 6 4 2 1 2 3 5 7 8 ------------------------------------------------------------------ 6 4 2 1 2 1 3 5 7 6 8 7 8 6 4 2 1 - - - - - - - - - - - - - - - - - 8 7 8 6 4 2 1 2 1 3 4 6 8 7 8 7 5 ----------------------------------------------------------------- 1 2 1 3 5 7 5 6 8 7 8 7 5 3 1 2 1 - - - - - - - - - - - - - - - - - 5 3 1 2 1 1 3 1 2 4 6 8 7 8 7 6 3 ----------------------------------------------------------------- 1 2 4 3 4 6 4 3 5 4 3 5 5 4 3 5 6 - - - - - - - - - - - - - - - - - 3 1 2 4 6 5 4 6 5 3 5 6 4 5 3 4 6 ----------------------------------------------------------------- Cela posé, convenons que le nombre supérieur désigne le numéro d'une case de l'échiquier compté de gauche à droite, et que le nombre inférieur désigne le rang de la bande où est cette case, de haut en bas. 8/1 représentera la huitième case à droite sur la première bande d'en haut; 7/3 sur la septième case à droite de la troisième bande comptée de haut en bas, et ainsi de suite. Alors il ne reste plus qu'à faire suivre au cavalier, sur l'échiquier, la marche indiquée par la suite de nos petits carrés de carton. La figure ci-après est l'expression de la solution donnée par la suite précédente. 34 49 22 11 30 39 24 1 21 10 33 50 23 12 37 40 48 53 62 57 38 25 2 13 9 20 51 54 63 60 41 20 32 47 58 61 36 53 14 3 19 8 55 52 59 64 27 42 46 31 6 17 44 29 4 15 7 18 45 30 5 16 43 28 NOUVELLE QUESTION À RÉSOUDRE Trouver pour le cavalier une marche rentrante, c'est-à-dire une marche telle qu'il puisse revenir de la soixante-quatrième case à laquelle il arrive, sur la première que l'on a prise pour point de départ. Rébus. EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS. Soldats! du haut de ces Pyramides quarante siècles (quatre mille ans) vous contemplent! [Illustration: Rébus.] End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0015, 10 Juin 1843, by Various *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION *** ***** This file should be named 37135-8.txt or 37135-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/3/7/1/3/37135/ Produced by Rénald Lévesque Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: http://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.