The Project Gutenberg eBook of Félicité, by Robert de Montesquiou-Fézensac
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Title: Félicité
Étude sur la poésie de Marceline Desbordes-Valmore
Author: Robert de Montesquiou-Fézensac
Release Date: July 31, 2021 [eBook #65969]
Language: French
Character set encoding: UTF-8
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK FÉLICITÉ ***
Au lecteur
Table
A. Devéria del.
Mme. Desbordes-Valmore.
COMTE ROBERT DE MONTESQUIOU-FEZENSAC
LES AUTELS PRIVILÉGIÉS
FÉLICITÉ
Étude sur la Poësie
de Marceline DESBORDES-VALMORE
SUIVIE D’UN ESSAI DE CLASSIFICATION
DE SES MOTIFS D’INSPIRATION
Avec un portrait de Madame VALMORE d’après DEVÉRIA
PARIS
A. LEMERRE, ÉDITEUR
23, 31, passage Choiseul
1894
Et nul ange ici-bas n’a vengé sa douceur.
FÉLICITÉ
Dolorosa.
Elle s’occupe aussi des choses de la terre
Car la feuille du lys est courbée en dehors.
Victor Hugo.
AVANT-PROPOS
Les gens en parleront, n’en doutez nullement,
et
bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.
Les deux consolants conseils de La Fontaine ont
répondu d’avance aux objections que je relève, comme
à toutes autres objections, au reste.
Néanmoins, je veux m’efforcer de réfuter plus spécialement
quelques-unes d’entre elles.
Essayons, toutefois, si par quelque manière,
Nous en viendrons à bout.
J’ai tenté, en témoignage partiel d’une piété que
j’espère attester plus complètement aujourd’hui, comme
en manière d’une rétrospective compensation, dont
plusieurs ont apprécié l’intention et goûté le contraste,
de donner bien moins à ma glose qu’à une muse, de
son vivant la plus infortunée, un auditoire élu de
distinction intellectuelle et de noble élégance. Les
malicieux en ont voulu faire une manifestation précieuse
dans le fâcheux sens de ce mot, quand la présence
[p. II]
de beaucoup de bons esprits empêchait pourtant
l’équivoque de bel esprit sous laquelle on n’eût pas été
fâché de discréditer la réunion et de gâter la chose.
J’ai récité alors les deux premiers chapitres de
l’étude qui suit, plus la troisième partie du chapitre IV.
Je marque aujourd’hui d’un astérisque dans ces pages,
où pas un mot n’a été changé, trois passages dont les
expressions faussement ou incomplètement citées ont
été relevées plaisamment, et je les livre à une critique
plus attentive.
Mais, ce qu’il y eut d’un peu déroutant, pour ma
bonne foi, ce fut, en même temps que le reproche d’une
prononciation trop martelée,—sans doute encore insuffisante,—la
soi-disant citation en italiques et entre
guillemets, dans plusieurs compte-rendus, de locutions
cocasses telles que «encélesté, lavabo de pensée! superlativement
liliale. Il y a une grande injustice à réparer,
le mage a dit...» dont mon texte n’a jamais porté
trace.
Quant à la trop spirituelle accusation de songer à
réhabiliter Loïsa Puget, d’une part—à savoir de
traiter une matière comiquement rococo;—et ailleurs,
d’avoir, par le choix d’un sujet, pourtant toujours
ouvert—et sur lequel naturellement tout le monde
avait à m’en remontrer—cherché à me parer de ce
qui revenait à d’autres: il faut pourtant qu’on opte
entre ces deux griefs qui s’annihilent.
[p. III]
Un mot pour chacun:
Nul musicien de génie qui ait, que je sache, consacré
la petite metteuse en musique de tant de romances
aux harmonies justement moquées. Mais les rieurs
qui attendent mon panégyrique de Loïsa Puget, parce
que j’ai célébré Marceline Valmore, savent-ils bien
qu’il n’y a guère de rehaut ni de grâce à ne point être
touché par les accents de Celle dont Michelet a écrit:
«Cette puissance d’orage qu'elle seule a jamais eue sur
moi.»
Certes, j’ai voulu, moins révéler certaines parties
de l’œuvre que relever toute la figure, un peu brumeuse
et oubliée, quoi qu’on en puisse dire, entre les
buissons de ses poësies enchevêtrées de lierres et de
lianes, de clématites et de chèvre-feuilles, de vignes
vierges et de viornes, ainsi qu’une Belle-au-bois-dormant
du rêve attendant le réveil de quelque
songeur épris de son silence harmonieux, de son souffle
et de son soupir.
Mais, ce que j’ai aussi souhaité, c’est de rafraîchir
les fleurs et les palmes d’illustres ex-votos spontanés,
entrelacés autour du souvenir de Marceline Desbordes-Valmore,
par tant de mains généreuses; c’est de faire
revivre l’encre mystérieuse et sympathique des litanies
de la glorieuse admiration et de l’estime impérissable
signées de noms prestigieux ou sublimes.
Une lecture entière de cet essai, pour ceux qui ont
[p. IV]
souci d’autre chose que de chicanes taquines, renseignera
sur ma tentative et sur son dessein. J’ose espérer
qu’ils ne seront pas reconnus vains, mais me donneront
droit d’inscrire mon nom au-dessous de nobles commentateurs,
dont le plus récent fut M. Verlaine, parmi
ceux qui ont promené au moins un fil et projeté une
lueur entre les beautés emmêlées de touffus bosquets,
de bouquets diffus.
R. M. F.
Versailles,
Janvier 1894.
... relisant à froid ces pages... Je pensais que cet enivrement
paraîtrait sans doute ridicule, présenté à des lecteurs distraits;
mais aussi, je songeai à ceux qui se pénètrent plus profondément
des émotions qui naissent d’une œuvre sérieuse, et il me sembla
que je leur devais un compte fidèle du travail que je venais de
faire, et qu’il fallait les faire remonter jusqu’à la source même
des idées dont ils avaient suivi le cours.
C’est pour cela que, m’attendant bien à paraître extraordinaire,
j’ai voulu passer par dessus ce qu’il y a de puéril et d’exagéré
dans l’inspiration, aux yeux des gens froids.
ALFRED DE VIGNY
A LA MÉMOIRE DE MA BELLE-SŒUR
PAULINE DE SINETY
COMTESSE GONTRAN DE MONTESQUIOU-FEZENSAC
Je redis vos vers, Marceline,
Harpe plaintive et cristalline,
Le cœur ému, les yeux en pleurs.
Je les dédie à vous, Pauline,
A vous, sa compagne en douleurs!
[1]
R. M. F.
PROLOGUE
Je voudrais dire à mon tour, et, s’il se peut, plus
synthétiquement qu’il n’a été fait jusqu’ici, une
poëtesse admirable, ensemble merveilleuse et sublime,
la Sapphô chrétienne, Marceline Desbordes-Valmore.
Pas un de nous en qui ces musicales syllabes,
cristallines comme le son d’un harmonica, ne résonnent
familièrement. A tous, notre mémoire d’enfant signe
de ce nom
Un tout petit enfant s’en allait à l’école...
et tels autres menus poëmes appropriés, dont se
désennuyait notre étude, car
Le maître est tout noir...
Le doux nom estampille encore pour tous quelques
romances où notre adolescence s’égaya, et qui font
sourire. Puis c’est tout. Peu se doutent que le gentil
nom est celui de la poëtesse admirable, ensemble
merveilleuse et sublime, la Sapphô chrétienne. Et
c’est vraiment pour quelques-uns seulement qu’il
[p. 12]
commence de se nimber du halo d’une auréole qui est
une aurore non qui se révèle, mais qui se relève.
Sur la pierre des morts croît l’arbre de grandeur.
Le sublime vers de Vigny, prélude pour celle dont
la renommée, entre toutes, a ceci d’étrange, qu’appréciée
à sa vraie valeur par les plus illustres de ses contemporains,
Lamartine, Hugo, Vigny, Michelet, Dumas,
Sainte-Beuve qui se faisaient honneur de son amitié,
traitée à peu près dignement par la postérité banale
qui consacre d’un nom de rue, sa vraie gloire est,
jusqu’à ce jour, fermée ainsi que fut son âme, et
pourtant, comme elle, toute pleine de ferveurs en puissance,
de clartés latentes, et de virtuelles vertus.
Appliqué depuis déjà des ans à tenter d’en fomenter
l’éclat, il m’eût été douloureux de n’être pas des
premiers de cette seconde période à divulguer nettement
la bonne nouvelle dont se sont déjà plus ou
moins brièvement et secrètement réjouis, après les
maîtres dont je parlais tout à l’heure, Gautier, Baudelaire,
Banville, Barbey d’Aurevilly et M. Verlaine.
Pour cela, je suis venu à vous aujourd’hui, et vous
demande de me suivre à travers cet exquis calvaire,
ce douloureux et délicieux dédale, où les propres vers
de Marceline, délicatement parfilés, nous serviront de
fil conducteur en même temps que de sympathique
lien.
I
*
On remet un jour à Hugo,—selon une anecdote
plus ou moins véridique—une lettre adressée Au
plus grand Poëte de France. Il la fait porter chez
Lamartine, qui la retourne au premier.—«Nul ne
saura jamais, aurait ajouté Vigny, lequel des deux
s’est décidé à l’ouvrir.»
Que la suscription ait revêtu: Au plus mystique,
c’était lui-même; au plus plastique, Gautier; au
plus précordial, Valmore.
Il y a dans une des pièces du poëte qui nous occupe,
un vers, surtout un verbe, très simple, dont je ne
retrouve nulle part ailleurs l’émouvante affixe et le
significatif figuré:
Beaux innocents morts à minuit
Desserrez mon cœur qui me nuit.
Le cœur serré n’est que trop connu: cette étrange
étreinte intérieure d’anxiété angoisseuse et froissante.
[p. 16]
Il s’agissait de desserrer cela, dénouer, délacer ce
vêtement invisible et subcostal ❋ immatériel et pourtant
si réel, qui appuie et qui nuit.
C’est la propre action des poësies de madame
Valmore; de cette main mystérieuse et incorporelle
qui s’immisce à travers l’âme qu’elle surprend et
apaise, pour aller plus avant, descendit ad inferos,
desserrer le cœur qui nuit.
Le seul mythe de Parsifal, la seule minute où le
regard de la Sainte Lance, miraculeusement assainit,
retire de leur cauchemar d’angoisse et palpitation
d’arrachement la tête et le cœur d’Amfortas, le noble
prêtre qui a péché (et que Madame Valmore paraît
avoir prévu dans ces deux vers:
Alors posant ma main où la douleur s’élance
Je ressentis au cœur comme un grand coup de lance!)
peuvent équivaloir au réveil désenfiévré qui suit
une pleine lecture tardive de cette poësie. On passe la
main sur son front, d’un geste d’habitude, pour en
chasser un nuage qui n’y est plus. On la porte à son
flanc pour assagir sa plaie, et, comme Sainte-Élisabeth,
on ne rencontre plus, sous son manteau, qu’un bouquet
de roses...
Quel doux ravissement se glisse entre mes larmes;
Quelle main me caresse et s’arrête à mon cœur?
[p. 17]
Alors, ainsi que le Pur-Simple, cœur desserré sous
l’onde baptismale, on murmure: «D’où vient que
tout me semble si bel aujourd’hui?...»—C’est qu’en
ce jour quelqu’un a pâti pour toi. Car, seule, la passion
peut racheter la souffrance; et l’hostie blanche,
la pure colombe a rougi, pleuré, saigné. Car il y a
vraiment d’un christ féminin dans cette sainte
femme
Dont nul ange ici bas n’a vengé la douceur.
✻
J’ai dit lecture tardive. Oui. Les éditions éparpillées
et incomplètes sinon interdirent, du moins entravèrent
longtemps le vol d’oiseau sur cette œuvre. Les trois
volumes de M. Lemerre permettent aujourd’hui[2] de
diviser tour à tour et recomposer une grande partie
du faisceau lumineux pour se délecter du détail ou se
réjouir de l’ensemble.
Il y avait encore cet inéluctable silence qui succède
[p. 18]
aux oraisons funèbres, où se restreint presqu’intégralement
encore le formulaire de la poëtesse. Baudelaire,
pourtant son plus subtil bien que bref panégyriste,
apparaît visiblement gêné par ce manque de cohésion
dans la gerbe des recueils. Nul doute que son bel article
n’eût étendu ses accents, élargi ses accords sous
la révélation plus tard totalement proférée; à l’effluve
surtout de ce recueil posthume qui résume l’essence
du flacon, la quintessence de l’essence.
Enfin, et de par la loi du suranné qui n’est déjà
plus le démodé, et cependant pas l’ancien encore, mais
bien la chrysalide à travers laquelle l’un devient
l’autre,—entre notre génération et celle qui tenait
encore à la contemporaine par le de visu, voltigeait ce
prestige fané d’époque, ce brin un peu risible de coiffure
en couette, par-dessus l’attitude troubadouresque
et dessus de pendule, l’écho de «ce petit côté secret qui
rend populaire, ce presque rien qui fait tache[3]» et
grâce auquel notre mémoire d’enfant nous donnait la
dame pour à peu près connue. Une résonnance de tous
ces pianos mentionnés par Sainte-Beuve, et sur lesquels
s’est transposé et tapoté le plus chantant de la
lyre du poëte, tandis que le silence en retient encore
[p. 19]
les traits les plus fulgurants et les plus suaves soupirs.
Une odeur de Quel est ce gant rose—qui n’est pas le
mien, invétérée en une récurrence, et longtemps
empêchant de croire que s’y pût loger la main dont
s’étancheraient nos douleurs.
Oui, ces romances où des beautés sont souvent
recélées, et dont, ailleurs, l’inconscient comique aboutit
à quelque chose de touchant comme la demi-lyre de la
gravure de Monziès, cet élément Pauline Duchambge,
ce bout d’écharpe envolée dont les biographes entortillent
le sujet trop complaisamment, n’ont plus qu’un
intérêt parasite et documentaire; et la prétentieuse
brume en fond au feu de ce qu’elle abrite et qui les
habite; et le ruban de Desbordes-Valmore s’en ira
rejoindre le turban de Staël, les cornettes de Sévigné,
les bandeaux de Sand et les bandelettes de Sapphô,
dans ce ❋ vestiaire des siècles où les atours s’évanouissent,
pour laisser s’épanouir, hors du temps, la beauté
nue.
✻ ✻
Elle «résout la sécheresse du cœur», Michelet l’a dit,
qui, seul, a légué les formules vraiment caractéristiques
de ce doux-amer génie. Elles flottent par-dessus
toutes autres paraphrases et surnagent ainsi qu’une
arche par un déluge, ou tout au moins comme le
manuscrit de Camoëns pouvait reluire au-dessus du
flot.
Les voici. C’est avec celle sur «le don des larmes, ce
don qui perce la pierre», trois autres encore: «Le
sublime est votre nature.»—«Mon cœur est plein d’elle.
L’autre jour en voyant Orphée, elle m’est revenue avec
une force extraordinaire, et toute cette puissance d’orage
qu’elle seule a jamais eue sur moi.»—Enfin: «Je ne
l’ai connue qu’âgée, mais plus émue que jamais; troublée
de sa fin prochaine, et, on aurait pu le dire, ivre de mort
et d’amour!»
Ces quatre paroles constituent l’évangile de Madame
Valmore. Quoi qu’on puisse écrire d’elle désormais,
ne saurait que graviter autour de cette quadruple
épigraphe succincte, synthétique, suggestive.
[p. 21]
Tous ceux qui abordent cette mémoire et en tirent
du relief sans lui pouvoir ajouter de lustre (car la
seule donnée en illumine l’interlocuteur de son
approche d’arche sainte), brassent la légende en quatre
versets, sans paraître se douter du dessous qu’ils infligent,
de ce fait même, à leurs variations et à leurs
trilles.
Au reste, du contingent biographique où se recrutent
à peu près ordinairement ces appendices, devrait-on
même user? La grille du tombeau n’a-t-elle pas droit
de suture immédiate au mur de la vie privée? L’amalgame
de la personne double de l’artiste et de l’être
représente un des plus déplorables postulats et l’une
des plus fâcheuses exigences du public sur le mage.
Les parterres insuffisamment renseignés et attentifs
qui ne sauraient l’aller chercher là qu’il réside uniquement,
à savoir dans l’Œuvre, exigent néanmoins (et
d’autant plus!) de le toucher, sans l’atteindre, par la
frange de son manteau, et, mieux encore, par l’ouverture
de ses plaies, où quelque secret espoir de faire
expier le mérite de l’esprit prompt, met en quête d’une
tare de la chair faible...
Mais, pour nous autres, à vrai dire, qui avons
démêlé, ressenti, goûté tout le parfum dans l’extrait,
toute la griserie dans la liqueur, peu nous chalent des
[p. 22]
pétales froissés ou des baies flétries; plutôt nous craindrions
volontiers d’amoindrir notre extase par d’inopportuns
contrôles, de rétrospectifs examens sur une
grappe tarie ou une fleur séchée.
Bien mieux, nous tiendrions de celui qu’importunent
ces bravos adressés au gosier de l’interprète plutôt
qu’à la sonorité éparse de son chant, et qui se recule
et recueille au fond de la loge, craintif de voir attribuer
le charme qui l’enchaîne encore à quelque vieux
visage de ténor teint ou de cantatrice déteinte.
Les métiers, d’où vers nous chatoient les joyeuses
aunes des tissus fleuris, ne sauraient se démonter
qu’en bois et cordes. N’est-il pas plus sage d’oublier
canuts et tisserands pour voir courir des rinceaux sur
des fonds, revoir rêver des oiseaux entre leurs branchages
brochés, suivre revivre et s’iriser des iris sur
de la soie?
✻ ✻ ✻
C’est elle seule la douloureuse Félicité qu’il sied
interroger sur elle-même. A cette confession surtout,
à cette autoconfrontation vraiment nous aident les
[p. 23]
biographies. Sachons-en gré, rendons grâces. Le plus
clair de l’éloge de Sainte-Beuve ne consiste et
réside-t-il pas en ces extraits de lettres où reluisent
tant de familières splendeurs?
Le meilleur et le pire de ces aveux, le plus sui
generis du type, le plus ❋ artésiennement explicatif et
révélateur de ce moi, c’est bien cette profession de foi
de son arcane poëtique: «A vingt ans, des peines profondes
m’obligèrent de renoncer au chant PARCE QUE MA
VOIX ME FAISAIT PLEURER; mais la musique roulait
dans ma tête malade, et une mesure toujours égale
arrangeait mes idées à l’insu de ma réflexion».
Hélas! nul ne s’est encore trouvé, parmi les indiscrets,
pour nous révéler l’«homme d’un talent
immense», le «fauteur de ces peines profondes...»
.....................
La vraie Valmore à édifier et déifier est une Valmore
de vers, de ses vers groupés à l’entour de son
nom en la délicate élite et la délicieuse prédilection
d’une dédicace réversible. La citation est ardue en ces
textes. Nuls autant ne menacent de la rendre envahissante;
puisque le il faudrait tout citer de cliché immémorial
est ici la vérité même. Telles pièces sont plus
parfaites, plus délibérément réussies, mais qu’on
n’oserait guère déclarer plus que d’autres adéquates à
[p. 24]
leur visée, mieux moulées sur nature. Fût-ce les trop
célèbres romances, plusieurs drôlement datées et démodées
et pour lesquelles l’indulgence tourne presque à
du goût. «Dans Shakspeare, j’admire tout comme une
brute,» fait un dire célèbre de Victor Hugo. Dans
Valmore, faudrait-il varier, j’aime tout comme une
âme; d’amant? non, d’enfant. Et c’est à noter que
toutes les gloses meilleures ou pires exercées sur cette
mémoire, en tirent la même fascination de mise en
présence de leur âme enfantine et juvénile, de leurs
«jeunes annales».
Ah! qui n’a souhaité redevenir enfant?
.................
Là de la vague enfance un regret qui sommeille
Dans les fleurs du passé vaguement se réveille;
Il reparaît vivant à nos yeux d’aujourd’hui!
On tend les bras, on pleure en passant devant lui.
[4]
Quels doigts au velouté de pistils, quelle âme à
l’haleine de calice—non de quelle Fille-Fleur, à la
façon de Wagner, mais de quelle Fleur-Flamme et
Fleur-Femme s’approprieraient à ce précieux labeur?
Combien d’heures enchanteressement passées à parfiler
[p. 25]
brin à brin, ligne par ligne, l’étoffe de cette poësie,
pour en isoler les fils les mieux aimés, les plus émus.
Voilà de ces travaux auxquels il est plus suave de
penser que, risquer, sage. Et quel autre qu’un immatériel
Ariel oserait songer à parfaire un pastel avec du
pollen récolté ou de la poudre d’aile de papillon prélevée?—Et
puis la grosse besogne des heures nous
réclame. Puissions-nous, une fois, nous abstraire assez
idéalement pour volatiliser ce sublimé, que, nul autre
jour, notre âme ne saurait se doser à l’état d’exquise
transparence qu’exigent ce choix impondérable, cet
impalpable tri.
Le moins massivement possible, une heure, nous
tenterons d’offrir une épreuve de cette mellification
artiste. Mais il faudrait pour y exceller ou même
atteindre, toute la courte vie d’une géniale jeune fille
marquée à l’aube comme un fruit touché et dont résorberait
toute la sève immaturée d’un talent condamné,
cette filiale tâche de tendresse, sans rien des odieux
extraits; plutôt une de ces versicolores et vétilleuses
couronnes que tresse un Breughel des plus larges et
menues flores doctement entremélangées autour d’un
médaillon de madone.
Quelque chose de tendre y languissait; du lierre
Y tenait doucement la vierge prisonnière.
II
*
L’impression qui succède à celle que je viens de
dire (à savoir notre rachat par cette souffrance, notre
rafraîchissement par cette brûlure, notre apaisement
par cette ardeur), c’est une impression d’immersion,
puis de submersion. Nous sommes noyés d’efflorescences
et d’effluves, de sourires, de soupirs et de souvenirs.
C’est à cet assaut par une tempête de feux et de
pleurs qu’il faut sans doute attribuer l’air d’incomplet
et de vague même des meilleurs essais autour de cette
œuvre. Études sous forme d’articles, reprises avec
ardeur, puis qu’on dirait rebutées, et qui ont de la
lutte des barques contre une mer démontée, une
phosphorescente mer faite de larmes et de flammes.
Après bien des reprises, je vous livre la ruse dont
j’usai pour essayer de vaincre cette tempête, en
enfermer dans mes outres les ouragans et les caresses,
les bises et les brises pour les y retrouver à loisir,
vous les distiller et vous les dire. Puisse, au nom de
[p. 30]
cet inestimable bienfait, le subterfuge ne pas vous
paraître puéril, si le service vous est tant soit peu
rendu.
Au cours de mes promenades et mes rêveries entre
les mystérieux bocages du sentiment, de ces volumes,
ainsi que les nomme prestigieusement Baudelaire, il
me sembla pourtant finir par en démêler le méandre.
Et ce ne fut pas sans exultation qu’en ayant tracé et
dressé le plan, je le vis subdivisé en autant de charmilles
et de chapelles qu’en avait taillées et ciselées
notre poëtesse; et que j’en fis et y fis tour à tour rentrer
son multiforme génie ainsi qu’il arriva à ce
Protée du conte Oriental qui se réintégra en sa fiole.
Mais si ce livre est bocage, il est aussi buisson
ardent. Océan ou forêt l’amour y brûle et roule
L’amour, ce ciment des âmes
................
Amour, divin rôdeur glissant entre les âmes
suivant ses appellations mêmes.
Promise aux profondes amours selon son expression
propre, l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore est
un Univers d’Amour.
[p. 31]
Il est doux d’être aimé, cette croyance intime
Donne à tout on ne sait quel air d’enchantement.
.....................
Ne vous étonnez pas en recevant la vie,
De tout ce qu’elle offrait, je n’ai vu que l’amour,
Mon cœur le respirait avec l’air et le jour...
Amour, hâtons-nous de le dire, et que là est le
neuf et le merveilleux, d’autant plus passionné qu’il
est plus pur.
Chaque écrivain, nous dit en substance Madame
Valmore dans une de ses lettres, prodigue souvent à
son insu un vocable qui, de par son intensité et sa
fréquence, révèle et trahit son auteur: «Madame
Sand en a un comme cela: étreindre!»—Le mot de
Marceline, ne serait-il pas innocence?
J’ai soif de sommeil, d’innocence,
.....................
N’entendra-t-elle plus mon passé d’innocence
Comme un oiseau sans fiel plaider avec son cœur?
.....................
Toi qui ris de nos cœurs prompts à se déchirer
Rends-nous notre innocence ou laisse-nous pleurer!
.....................
Beau fantôme de l’innocence
Vêtu de fleurs
[p. 32]
Innocence! Innocence! éternité rêvée
Au bout des temps de pleurs serez-vous retrouvée?
Êtes-vous ma maison que je ne puis rouvrir?
Ma mère, est-ce la mort? Je voudrais bien mourir.
.....................
Inexplicable cœur, énigme de toi-même,
Tyran de ma raison, de la vertu que j’aime,
Ennemi du repos, amant de la douleur,
Que tu me fais de mal, inexplicable cœur!
Cœur du cœur, l’expression qui lui est commune
avec Shakspeare, et qui la mène à l’amour de l’amour
comme pour redoubler sa tendresse, fournit ce vers à
madame Valmore quand elle parle de son enfant:
Oh! que vous me manquiez, jeune âme de mon âme!
Donc Amour sous forme sextuple: Amoureux, amical,
filial et maternel, charitable et divin. Ajoutez l’amour
de la nature, et l’amour prorogé au delà du trépas,
vous aurez les six divisions sous lesquelles m’ont paru
pouvoir se ranger toutes les phases de cette âme
incoërcible, les phrases de cette œuvre vagabonde. A
savoir: Amour, Tendresse-Tristesse, Maternité,
Foi, Nature, Éternité.[5]
J’ai vécu d’aimer, j’ai donc vécu de larmes.
[p. 33]
Entre toutes séductions, celle du regard fascinait
Marceline. Ses propres larmes et celles qu’elle consolait
diamantaient sa vie.
Le son de la voix la captivait aussi.
Les Yeux et les pleurs et la Voix subdivisent donc
naturellement cette grande division de l’amoureux
amour.
Tendresse-Tristesse enferme Prisons et Exils, les
deux misères qui l’apitoyaient le plus éloquemment, et
qu’elle a le mieux pleurées.—Ipsa contient ce qui
semble le plus avoir trait à la personne même de
l’artiste.
Maternité, c’est la mutuelle réversibilité de ce sentiment
double, ascendant et descendant au cours
comme au décours de ses jeunes annales: celles où elle
joue le rôle de l’enfant; et d’autres où elle porte elle-même
la croix de la Mère Douloureuse.
Nulle avant elle, nulle après elle, comme elle, n’aura
dit et ne dira cet incessant échange, ne fera frôler et
gravir en ses deux sens l’échelle de Jacob de l’amour
successivement filial et maternel par les ailes de tant
d’expressions ingénieuses, caressantes et pures, pour
parler tour à tour de celle qu’elle nomme divinement
[p. 34]
Ma tige maternelle enlacée à ma vie!
et de ceux qu’elle appelle non moins célestialement
Un enfant! un enfant! O seule âme de l’âme!
Palme pure attachée au malheur d’être femme.
Éloquent défenseur de notre humilité
Fruit chaste et glorieux de la maternité.
.....................
C’est notre âme en dehors en robe d’innocence.
.....................
De la foi des époux sentinelle sans armes,
Visible battement de deux cœurs dans un cœur!
.....................
Image de Jésus qui se penche vers nous
Pour relever sa mère humble et née à genoux.
Oui le bréviaire de l’amour filial est révolu. Nous la
devons à Valmore cette
Voix du berceau lointain qui ressaisit le cœur.
Il semble, entre ces autobiographies d’une enfance
indéfiniment évoquée, il semble que ce menu tableau
lumineux de résurgence des jours premiers dont on
dit qu’il apparaît au noyé près de s’engloutir, se
découpe incessamment pour notre poëte toujours prêt
à sombrer, et charitablement l’isole des circonvolutions
poignantes, le fascine et tire hors de soi. C’est le
magique miroir où la Belle revoyait le foyer quitté
du fond du royaume de la Bête.
[p. 35]
Parle-moi, je t’écoute, éloquent souvenir.
Qui ne s’est détourné d’un trompeur avenir
Pour chercher dans le fond de son âme attendrie,
Tes regrets, tes leçons, ta tristesse chérie?
Ce tableau vague et doux qui repose les yeux,
Qui nous rend l’innocence et le pardon des cieux.
Ce vocabulaire, y peut-on ajouter? J’ose dire qu’on
ne saurait l’égaler. En tout cas, le surpasser, jamais.
Centre de ce double courant de passion entre ses
propres enfants et cette mère dont le souvenir, parmi
cent apostrophes qui font sursauter, lui dicte cette
pièce: Quand je pense à ma mère, elle-même pieuse
fille et «pâle couveuse d’immobiles tourments,» ainsi
qu’elle se qualifie, elle polarise tous les rayons de la
maternité et de la filialité, passez-moi ce terme.
Ces apostrophes, en voici:
La mère, n’est-ce pas un long baiser de l’âme,
Un baiser qui jamais ne dit non ni demain.
.....................
Quand elle m’avait dit: Vous êtes mon enfant!
Le ciel, c’était mon cœur à jour et triomphant.
.....................
Comme le rossignol qui meurt de mélodie
Souffle sur son enfant sa tendre maladie,
Morte d’aimer, ma mère, à son regard d’adieu,
Me raconta son âme et me souffla son Dieu.
Enfin, ce passage qui rappelle et regrette les sépultures
disposées jadis au pourtour extérieur des églises:
[p. 36]
C’était beau d’enfermer dans une même enceinte
La poussière animée et la poussière éteinte.
C’était doux, dans les fleurs éparses au saint lieu,
De respirer son père en visitant son Dieu.
Quant à l’éloquence de sa maternité propre, je ne
crois pas qu’on ait jamais parlé avec cette nostalgie
des entrailles.
Jugez-en plutôt. Récemment mère, elle se plaint de
ne plus faire corps avec son nouveau-né.
J’aurais voulu voir Dieu pour te créer plus beau!
.....................
Et j’allais au soleil couchant sécher mes pleurs
Pour te rendre suave et pur comme les fleurs.
Et enfin, peut-être le vers d’imagination, de sensibilité
et de formule, le plus curieux de toute l’œuvre:
Car, si près que tu sois, l’air circule entre nous!
Foi
La foi, c’est l’haleine des anges,
C’est l’amour sans flammes étranges!
C’est l’amour, toujours dévorant, mais transposé et
sublimé, qui fait trouver à la muse devenue ange pour
l’absorption finale, la résorption rédemptrice de sa
[p. 37]
terrestre passion contrainte dans le foyer de la ferveur
éternelle, des images comparables aux seules Dantesques
descriptions du paradis—mais avec moins
de blancheur.
Seigneur! Qui n’a cherché votre amour dans l’amour?
.....................
Comme un oiseau s’enfuit, je m’en vais dans l’espace
Chercher l’immense amour où mon cœur s’abreuva...
et par les plus touchantes variantes de charité et de
prière, de croyances et de sentiments, atteindre, en
même temps que Dieu même, les plus fluides matérialisations
de la pensée et du langage.
Je vous obtiens déjà, puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.
Nature, c’est l’amour—je dirais volontiers atmosphérique,
tant le poëte y fait entrer de parcelles
vivantes et vibrantes du Cosmos—de tout ce qui
l’entoure, et tant son art spontané met de passion
dans ses paysages, comme tout à l’heure il mêlait et
fondait de chaleur et de lumière dans sa tendresse
qui lui faisait s’écrier:
C’était un jour de charité divine
Où, dans l’air bleu, l’éternité chemine.
.................
C’était partout comme un baiser de mère!
[p. 38]
Les deux aires de ce naturel amour sont l’Amour
des fleurs.
A quelque chère idole en tous temps asservie,
Je tombais à genoux pour adorer des fleurs,
...................
Il semble que les fleurs alimentent ma vie.
Et l’Amour de l’eau, dont je ne crains pas de dire
qu’il pourrait bien être solidaire du goût de cette
tendre femme pour les larmes, si j’en crois ce mystérieux
vers.
Et dans les flots du moins mes larmes se perdront
et ces autres:
Enfant, l’onde est molle et pure
Mais elle a soif de nos pleurs.
que je rapproche de celui-ci, de Vigny:
Penche sa tête pâle et pleure sur la mer!
L’amour de l’eau déjà attribué à plusieurs poëtes par
Victor Hugo, dans ce joli distique:
Georges Sand a la Gargilesse
Comme Horace avait l’Anio.
L’eau où Marceline voit se réverbérer tous ses âges
dans cette Scarpe qui lui était, comme à Brizeux, son
[p. 39]
Ellé. L’eau où nous lirons avec elle, et sous mille
formes
Son visage étoilé dans les cercles humides
Parsemant leurs clartés de sourires limpides...
L’onde enfin d’où découle son rythme.
Sonore tremblement qui m’attriste et que j’aime
auquel ne peut plus succéder que l’amour du silence,
sa suprême passion:[6]
Moi, je veux du silence, il y va de ma vie!
..................
Couvrez-moi de silence...
Ce silence qui nous mène à la dernière de ces divisions,
si vous le voulez, factices, mais, certes point arbitraires:
la mort, disons mieux: l’ÉTERNITÉ puisque
c’est sous ce consolant aspect qu’apparaissent à Madame
Valmore tant de tombes qu’elle a mélodiquement
enguirlandées.
Mais plusieurs sont absents, et leur nom sous des fleurs.
.....................
Et mon cœur sait la place où je leur dois des pleurs.
.....................
[p. 40]
On verra, par mes soins quelque feuille de lierre
De son étroit asyle embrasser le contour.
.....................
Depuis j’allai m’asseoir aux tombes délaissées.
Leur tranquille silence éveillait mes pensées,
Y cueillir une fleur me semblait un larcin.
.....................
L’homme revient seul où son cœur le ramène.
Où les vieux tombeaux l’attirent pour pleurer.
«Abîme à franchir seule!» cette définition en commun,
cette fois, avec Pascal,
..... porte ces mots à sa douleur brûlante:
Viens! ne crains pas la mort, on aime dans les cieux!
et la mort qui couronne son œuvre de vie, comme elle
couronne toute vie, n’apparaît jamais hideuse à notre
poëte, mais toujours fleurie et touchante, puisqu’elle
lui rouvre tous les paradis pleins de ses anges envolés.
Tous les êtres aimés, sans oublier l’être aimé, voire à
commencer par lui (selon une magnifique interpellation:
Croyance); «Albertine, âme en fleur!» et d’autres
amies de jadis; et cette noble tige maternelle, enlacée,
cette fois à l’éternité, auprès de ces enfants
enfuis:
Car vous aurez, un jour, une joie immortelle
Et vos petits enfants souriront dans vos bras.
.....................
[p. 41]
Non, jamais rien de plus sereinement détaché, de plus
véritablement et vénérablement sur le seuil, et déjà
presque au-delà, n’a su se proférer pour nous parler de
la mort, avec ce que j’appellerai une pareille liberté
d’allures mortelles; nous apprivoiser avec cette «cueilleuse
d’âmes» qui
Ne les moissonne pas pour en tuer les flammes,
Mais pour les délivrer de leur lourd vêtement,
Comme on ôte le sable où dort le diamant.
.....................
Tous mes étonnements sont finis sur la terre
Tous mes adieux sont faits, l’âme est prête à jaillir
Pour atteindre à ces fruits protégés de mystère
Que la pudique mort a seule osé cueillir.
.....................
Béni soit Dieu puisqu’après la tourmente,
Réalisant nos rêves éperdus
Vient des humains l’infatigable amante
Pour démêler les fuseaux confondus.
Fidèle mort, si simple, si savante,
Si favorable au souffrant qui s’endort,
Me cherchez-vous, je suis votre servante:
Dans vos bras nus, l’âme est plus libre encor.
III
*
Ainsi catégorisés les termes d’association de ces
divers sujets d’inspiration, il nous sera utile—et plus
facile de grouper les rythmes dont le poëte les revêtit.
Jamais de poëme à forme fixe. Muse bien trop débordante,
déchaînée avec résignation mais tumultueuse et
torrentueuse—pour se ranger à si étroites digues, la
muse à la fois digne et familière qui ose risquer cette
déclaration à la Vierge:
Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu,
Ce fut le vôtre; eh bien: parlez-en donc à Dieu.
Je distingue une première sorte ou famille de pièces,
divisées en strophes, le plus souvent de quatre hexamètres
(quelquefois plus; rarement de distiques). Pièces
d’ordinaire peu étendues, mais d’allure large, sans
doute les plus parfaites, presque en forme de menu
poëme à forme fixe pour soi, et pleines à leur manière
de l’immortelle vibration du
Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine
[p. 46]
de Victor Hugo; sans le charme ou le discrédit que
confèrent à d’autres pièces, des passades de rythmes
non suivis, de vers irréguliers entrecoupés fortuitement,
bizarrement, dithyrambiquement.
A cette première famille ressortissent La vie et la
mort du ramier, Renoncement, La couronne effeuillée,
etc., etc.; et de plus longues, Le mal du pays, Tristesse,
Départ de Lyon, etc.[7] J’énumère les titres des principales
pièces englobées par chacun de ces groupements,
dans une note dont la nomenclature n’offrirait point
ici d’intérêt, outre que l’auteur n’excelle point aux
intitulés. Les siens (loin de cet art du titre qui nous
semble devoir être fait d’un mot synthétique, jamais
renouvelé au cours de la pièce qu’il désigne), les siens,
dis-je, sauf parfois quelque douce ingéniosité telle que
le Soleil des morts pour la Lune—ne contiennent que
[p. 47]
l’appel ou le rappel du sujet, sans dédaigner Simple
Histoire ni même Merci mon Dieu! La croix de ma
mère—qui n’y est point—s’y fût-elle rencontrée,
qu’on en eût presque pu rapporter la vieille trouvaille
à cette loi foi de Baudelaire: «Beauté du lieu commun.»
Car n’est-ce pas du fait de cette beauté trop prisée
que le lieu commun est devenu tel; mais qu’il porte en
soi la force ou le charme de vaincre cette période de
profanation, et le voilà promu lieu éternel.
La strophe large, abdiquant l’hexamètre, s’allège et se
familiarise, comme dans l’Élégie à Pauline Duchambge.
Et c’est alors une autre veine où la précieuse élégance
des Émaux et Camées, comme dans Un arc de triomphe,
s’allie au virtuose esprit des Rues et des bois pour
procréer un second groupe, dépendant du premier,
qu’il égaie et subtilise[8]. Un troisième naît du mélange
de l’hexamètre et de vers plus légers, toujours également
disposés dans des strophes régulières. C’est
Un billet de femme, le Soleil lointain; mais cette forme
sert tout aussi souvent des poëmes de la seconde
famille[9].
[p. 48]
Joignez-y les pièces en hexamètres[10] non divisées
en strophes (Avant toi, La Fleur d’eau, L’Augure, etc.),
et enfin celles où se faufile, puis se glisse et s’irrue le
vers irrégulier, quelquefois un seul dans toute une
longue pièce, comme dans La Maison de ma Mère,
A mes Sœurs, Au Poëte prolétaire, et ce sera (surtout de
par ces dernières, les plus nombreuses),[11] la famille
complète des poëmes plus ou moins descriptifs.
Voici ce que, dans une étude précédente abandonnée,
me suggéraient ces entraînants irréguliers employés
par Madame Desbordes-Valmore, avec, en une verve différente,
un bonheur parfois égal à celui de La Fontaine:
«Un réseau de poëmes moins ordonnés, mais dont les
beautés partielles sont peut-être les plus ad imaginem
[p. 49]
de cette âme. Quand il est bien frappé un vers de cette
lyre, suivant la banale expression, cette fois ennoblie,
est si intense qu’il se suffit à lui-même, et, presque ne
pourrait qu’être gêné par le voisinage d’un aussi puissant.
Il y aurait superfétation, étouffement, comme sur
de ces orangers replets et redondants qui ressemblent
à de vastes boules de senteurs, encombrés, presque
incommodés qu’ils peuvent être à la fois par plusieurs
sortes et règnes de végétation et de poussée: feuilles,
fleurs, fruits nouveaux—et jusqu’à des fruits de deux
ans s’assurant plus de suavité et de saveur d’un second
retour de sève!
Cette clairière de poëmes moins touffus, plus aérés
par l’étirement ad libitum de la pièce, parfois le vers libre
intromis avec une aisance qui, chez tout autre serait
licence, mais ouvre là visiblement comme une prise
d’air pour une poitrine oppressée, c’est le vrai champ
d’évolution, la vraie aire de Valmore. Pas de dilettantisme
exquis comme de l’y voir et suivre volter, voler,
virevolter, courir, sourire, mourir... et se reprendre
tout innocemment, inconsciemment, inconsidérément,
d’enrythmie native et d’ingéniosité ingénue, d’où ses
compositions héritent de ce galbe unique de complication
naturelle et de simplicité si précieuse.
[p. 50]
C’est là que sur la piste infailliblement originale
jusqu’en la banalité, et captivante même en la niaiserie,
éclatent avec plus de miracle, se détachent et
s’isolent de ses prouesses consacrées inégalables par
l’arbitre de ces tournois comme le scrutateur accompli
de tous les creusets d’esthétique théorique: j’ai nommé
Charles Baudelaire.»
La deuxième famille est toute chantante: ode ou
cantique, berceuse ou romance. L’auteur y englobait
modestement toute son œuvre: «Quelques chansons
méritent-elles que l’on s’occupe de moi et que l’on
m’admette au livre de la science?»
L’Ode, c’est Au soleil, Au Christ, Chant des Mères,
les Oiseaux, etc. Le Cantique, c’est Prière des orphelins,
les Enfants à la communion, etc. Les deux Berceuses
sont spécifiées telles par leurs titres: Dormeuse et
Pour endormir l’enfant. Et il n’y aurait aucunement
lieu d’être surpris d’apprendre que cette naïve inspirée
qui nous avoue: «La musique roulait dans ma tête
malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes
idées à l’insu de ma réflexion...» d’apprendre enfin
qu’elle n’aurait composé ses Dormeuses que pour avoir
trouvé leur rythme et leurs rimes, leur matière et
leur manière tout simplement les mieux aptes à faire
descendre le sommeil.
[p. 51]
Sommeil, ange invisible aux ailes caressantes.
.....................
Ciel! où prend donc sa voix une mère qui chante
Pour aider le sommeil à descendre au berceau?
Dieu mit-il plus de grâce au souffle d’un ruisseau?
Pour les romances qui ne sont point toujours celles
que le poëte a étiquetées ainsi, et dont les plus belles
concertent souvent ailleurs, elles sont sans nombre—rarement
sans agrément, parfois pleines d’envol.
LES CLOCHES ET LES LARMES
Sur la terre où sonne l’heure,
Tout pleure, ah! mon Dieu, tout pleure.
L’orgue sous le sombre arceau,
Le pauvre offrant sa neuvaine,
Le prisonnier dans sa chaîne
Et l’enfant dans son berceau;
Sur la terre où sonne l’heure,
Tout pleure, ah! mon Dieu, tout pleure.
La cloche pleure le jour
Qui va mourir sur l’église,
Et cette pleureuse assise,
Qu’a-t-elle à pleurer?... L’amour.
Sur la terre où sonne l’heure,
Tout pleure, ah! mon Dieu, tout pleure.
Priant les anges cachés
D’assoupir ses nuits funestes,
Voyez aux sphères célestes
Ses longs regards attachés.
Sur la terre où sonne l’heure,
Tout pleure, ah! mon Dieu, tout pleure.
[p. 52]
Et le ciel a répondu:
«Terre, ô terre, attendez l’heure!
J’ai dit à tout ce qui pleure
Que tout lui sera rendu.»
Sonnez, cloches ruisselantes!
Ruisselez, larmes brûlantes!
Cloches qui pleurez le jour:
Beaux yeux qui pleurez l’amour!
IV
*
Sur ce sujet de Madame Desbordes-Valmore, j’ai lu
les articles et le volume de Sainte-Beuve, un article de
M. Montégut (remarquable par un juste tableau de
l’isolement de cette mémoire), la préface de M. Lacaussade,
l’appendice de M. Hippolyte Valmore. Tous travaux
intéressants à des valeurs inégales, nourris de
faits un peu répétés, de documents similaires, d’appréciations
simultanées, néanmoins éloquents, utiles
et nobles. Le volume de Sainte-Beuve est non seulement
un bel acte, mais une bonne action. On y sent
du cœur et de l’amour. Après qu’on fut tenté de
trouver fastidieuse l’énumération de tant de noms
vains et obscurs, l’idée qui la suggère au Maître critique
apparaît touchante: «J’avais songé, dit-il, par
une compensation bien due à réunir d’autre part
autour d’elle, quelques-uns des noms dont elle eût le
plus à se louer, bon nombre des êtres bienfaisants et
secourables qu’elle avait rencontrés sur sa route et qui
[p. 56]
lui avaient été une consolation, une douceur et un
réconfort au milieu de ses maux.»
Je pense de même que, pour en faciliter l’étude et
relever l’éclat, il serait désirable de rassembler en un
seul ouvrage tous les articles et études jusqu’à ce jour
consacrés à cette poétique figure.
L’émouvante correspondance révélée par le livre de
Sainte-Beuve, pourrait aussi en être extraite pour
s’unifier, se compléter.
Les brèves pages de Dumas, de Baudelaire, de Banville
et de M. Verlaine ouvrent des appréciations plus
subtiles. Et le sentiment du second, dans son expression
incisive et pénétrante me paraît encore, pour le
moment, le plus satisfaisant et le mieux venu.
La résultante de lecture de tous ces beaux essais
demeure l’étonnement, non de la méconnaissance, mais
de l’ignorance publique du détail d’une gloire ainsi
révolue, puis résolue; enregistrée et muette: une
renommée sans buccin.
Gloire, Lamartine couronnait déjà du mot Marceline
attendrie et confuse. Et pourtant Baudelaire a
beau se révolter et nous crier justement: «oubliée
par qui, je vous prie? par ceux-là qui ne sentant rien,
ne peuvent se souvenir de rien.» M. Verlaine lui
[p. 57]
répond avec non moins de justesse: «obscurité apparente,
mais absolue.» Et c’est un si indéniable fait, au
sortir de notre étonnement, qui nous sauve du scrupule:
comment oser tenter d’accroître une illustration
si faite et si parfaite?—C’est parce qu’elle est ainsi,
décrétée et accréditée par ces grands qui la goûtèrent...
et moururent, mais forclose à qui aime mieux croire
qu’aller voir, surtout au prix d’un peu d’étude; et
pourtant toute pleine de ce qui parle à tous par l’humanité
poignante, brûlante et pleurante, qu’il faut
s’efforcer de rompre et ce silence et cette digue, de
livrer à ce gave bienfaisant de charité dans la mort
comme durant la vie, bien des âmes désolées à irriguer
et rafraîchir, bien des âmes dévorées à ensoleiller
et consoler.
Toute œuvre, si grand et légitime qu’ait pu en être
l’éclat du vivant de l’auteur, n’existe vraiment qu’à
dater du jour où le silence mortuaire l’ayant ensevelie
comme d’une lave refroidie, une curiosité éclairée et
pieuse en vient retrouver les fragments qui survivent
aux éruptions et aux cataclysmes. Et la vraie vie des
ustensiles d’Herculanum n’est-elle pas sous les vitrines
où la disponibilité et la sinécure de leur silhouette
sans usage nous versent à voir et à boire tant de
rétrospective rêverie. Œuvrons donc de notre mieux
[p. 58]
pour coopérer au livre que requérait Sainte-Beuve
quand il écrit: «Je ne fais qu’indiquer ici un développement
qui sera mieux placé ailleurs, et dans le
livre que je sollicite.» Car c’est encore le propre de la
contagieuse ardeur née de cette œuvre, que chaque
nouvel adepte brûle d’en voir propager le rayonnement,
et convoque dans le présent et dans l’avenir
quiconque peut contribuer à l’étendre.
Mais ce livre tel que le sollicitait l’illustre critique,
n’est sans doute point faisable. Quel portrait écrit ou
peint fût-il réalisé jamais qu’au fur des momentanéités
de l’individu successivement saisies et fixées. Ce livre,
ce sera le souhaitable assemblage des études et des
articles tout à l’heure évoqués, lorsqu’il y en aura eu
encore beaucoup d’autres, toujours et tous beaux au
moins, de leur inclination et de leur visée.
✻
Ce qui me surprend un peu, particulièrement dans
Baudelaire et chez M. Verlaine, c’est l’exagération de
ce reproche: le manque de forme, le vice de forme, le
contenant du revêtement inégal au contenu du rêve.
Je cite les textes de ces deux rhéteurs: «Tout ce qui
lui manque de ce qui peut s’acquérir par le travail...
négligence... cahot... trouble... parti pris de paresse,»
[p. 59]
réquisitoire du premier. «Une langue suffisante et de
l’effort assez pour ne se montrer qu’intéressamment»
ajoute le second déjà moins injuste, et plus loin reconnaissant
à cette muse la priorité de rythmes inusités.
Certes, j’entends comme ces maîtres l’entendent, et
me fais fort de renchérir où il sied; mais là, je m’insurge.
La conclusion de M. Verlaine est exacte, mais
peut-être pas assez ponctuelle. «Sublime artiste, sans
trop le savoir,» c’est possible; mais aussi, et, je veux
bien encore, sans le savoir, merveilleux virtuose.
Guère de malignité, presque de rouerie poëtique qui
n’ait été inventée ou appliquée par cette innocente.
L’allitération, ce ressort du vers, son élasticité et sa
vertèbre, en même temps que sa pulsation et sa respiration,
la circulation de sa vie depuis sa tête jusqu’à
sa rime, l’allitération revêche aux balourdes plumes,
exquise à la fine pointe des styles, dont aucun des élus
ne l’a négligée sous peine de priver sa poësie du plus
idéal de ses trucs et de la plus élégante de ses ailes,
l’allitération chère à Virgile et surtout à Catulle ne
pouvait tirer de plus ingénue justification que de sa
génération spontanée en cette prosodie réputée originelle.
Désenchaîner leurs nuits, désenchanter leurs jours.
.....................
[p. 60]
Quand celui qui me fuit ne songeait qu’à me suivre.
.....................
C’est l’amour qui fermente au fond d’un cœur fermé.
.....................
Madeleine insultée et comme elle indulgente.
.....................
Après avoir souri, se penche pour mourir.
.....................
Point de
lait, point de
lit... il fallait donc mourir
[12]
.....................
[p. 61]
Oui, il semble que ces versatiles registres vont des
vers tout âme par les vers tout nus jusqu’aux mieux
ornés.
Qu’est-ce en effet que ceci:
De longs jours sans manteaux, de longs soirs sans lumières,
.....................
On les croirait
[13] poussés par un ange qui vole
Qui de leurs blonds cheveux leur souffle une auréole.
Non seulement je ne reconnais pas là de date
impliquant et infligeant vis-à-vis d’une génération
intermédiaire, avant définitive consécration, le discrédit
du passé de mode; mais j’y démêle de ces caractères
d’éternellement déroutant qui ne permettent
jamais de ne plus être de l’avenir.
Exemple:
Et montrent l’autre vie au fond du souvenir.
N’est-ce pas bien le contraire de ce qu’on allait dire,
qui eût été banal, et qui se transforme. Tout comme
en cet autre:
Voilà le souvenir au pénétrant silence.
que langage eût été moins beau!
J’étendrai jusque-là mon avocasserie de signaler,
[p. 62]
hors de toute inculpation de pastiche et de plagiat de
part ni d’autre, mais du seul fait d’une de ces fréquentes
réverbérations de pensées, sans enquêtes de
dates, et rien que pour faire ressortir toute l’étendue
de ces vocalises, des parités d’inspiration de notre
poëtesse à de ses grands contemporains comme à de
leurs brillants neveux. Que dis-je? Combien, de coupe
et de couleur répercute en ma mémoire classique
l’illustre strophe:
Source délicieuse en matière féconde,
cette invocation:
Sombre douleur, dégoût du monde,
Fruit amer de l’adversité
Où l’âme anéantie en sa chute profonde
Rêve à peine à l’éternité,
Soulève ton poids qui m’opprime,
Dieu l’ordonne, un moment, laisse-moi respirer.
Ah! si le désespoir, à ses yeux, est un crime,
Laisse-moi donc la force d’espérer.
Madame Valmore est vraiment le seul poëte dont
on puisse parfois inventer les pensées sans les connaître
et répéter les formules sans les avoir ouïes,
parce que sa vision—disons sa voyance allait cueillir
les formes dans le lieu même des idées éternelles,
Ces fruits protégés de mystère.
[p. 63]
que même les plus inspirés d’entre les poëtes appesantissent
en les revêtant fût-ce des plus nobles rhétoriques
terrestres.
De là vient que la poësie de cette muse, maintes
fois exprime l’ineffable où, selon un de ses vers les
plus divins:
Où l’adieu d’un jeune ange épancha quelque miel.
Certains de ses morceaux ne rencontrent que dans
Hugo leur équivalent de souffle et d’allure. Soit le
Soleil lointain qui, par places, m’apporte comme un
fraternel écho de A Villequier:
O vie, ô fleur d’orage, ô menace, ô mystère,
O songe aveugle et beau!
Réponds! ne sais-tu rien, en passant sur la terre
Que ta route au tombeau.
.....................
Vos pieds sont las, pliez. Dieu vous mettra des ailes
Et vous pourrez voler
[14]
me reporte aussi vers la Claire du même maître, que
me rappelle ailleurs lointainement
[p. 64]
C’est beau la jeune fille
Qui laisse aller son cœur
Dans son regard qui brille
Et se lève au bonheur.
[15]
et plus proche
Cette âme où ne tremblait ni repentir ni larme
Aimait! Aimait! Et puis, comme si quelque charme
Mis entre elle et le monde eût isolé ses pas,
Elle errait dans la foule et ne s’y mêlait pas.
[16]
avec enfin
Pleurant comme effrayés d’un sort involontaire.
[17]
mais la Mise en liberté de Hugo, encore, ne s’envole-t-elle
pas tout entière de cette strophe troisième de
l’Esclave et l’Oiseau.
[p. 65]
Va retrouver dans l’air la volupté de vivre!
Va boire les baisers de Dieu qui te délivre!
Ruisselant de soleil et plongé dans l’amour
Va-t-en! va-t-en! va-t-en! sauve-toi sans retour!
Oui, chez le Grand Maître et le Grand Père seulement
se retrouvent des pièces de la tournure de Croyance,
Prison et Printemps, l’Enfant et la Foi, Au Revoir, aux
Nouveau-Nés heureux, Ame et Jeunesse, Jeune fille.
Va, je n’oublierai plus qu’ils me le rappelaient.
n’est qu’une variation probablement anticipée du
Tu me fais souvenir que j’ai tout oublié.
que Hugo reprend lui-même à son Hernani sous cette
forme:
Je ne me souviens plus que d’avoir oublié!
Son:
Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer.
qui n’est autre que l’antique
Centum sunt causæ cur ego semper amem.
s’énamoure plus d’une fois chez notre Flamande:
Qu’elle est à plaindre, elle a d’autres soins que l’amour!
Et mieux:
Il faut aimer pourtant; que faire de son cœur?
[p. 66]
Tel que Marion de Lorme de son Didier, l’enfant
répond, de son ramier: «Je l’aime!»
Comme celle qui croit oublier quelque chose.
et
On est étrange, on veut échanger ce qu’on donne
sont de véritables vers d’Hugo. Combien Le Pauvre a
de lumineux frères dans l’œuvre d’Olympio!—Je rapproche
encore:
Où deux êtres unis marchaient,
Les voilà séparés... mystère!
de
Autrefois inséparables,
Et maintenant séparés!
[18]
Ensuite
... son enfant, seule vie où l’on s’aime
Qui passe devant nous comme on fut une fois.
de
A chaque pas qu’il fait l’enfant derrière lui
Laisse plusieurs petits fantômes de lui-même.
[19]
[p. 67]
Enfin
Buvez en étreignant cette femme penchée
Sur son fruit.
de
La nourrice au sein nu qui baisse les paupières.
[20]
.....................
O Éva[21]
... à l’heure où tout est sombre
Où tu te plais à suivre un chemin effacé,
A rêver appuyée aux branches incertaines
Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines,
Ton amour taciturne et toujours menacé!
voici un écho de ta plainte pourtant sans seconde:
Vous sentiriez alors le besoin de rêver
De livrer au hasard votre marche incertaine
De ralentir vos pas au bruit d’une fontaine
Et de pleurer les maux que je viens d’éprouver.
.....................
Un Arc de Triomphe avec ses
Mille doux cris à têtes noires
n’offre-t-il pas, le paradoxe est fort: quelque mine des
Émaux et camées?
Qu’est-ce que
Une voix seule éteinte en changeait le concert
[p. 68]
sinon
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.
[22]
ou réciproquement?
Ne parle pas, je ne veux pas entendre
n’irait-elle pas jusqu’à évoquer Celle qui est trop gaie
elle-même? Pourquoi non? puisque du même Baudelaire
pourrait s’échanger contre
Il est de longs soupirs qui traversent les âges
son plus nerveux et verveux
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge.
Et, de nos jours
Dis aux petits que les étés sont courts
tinte bien le chant des oiseaux des courts étés, de
Sully-Prudhomme.
Et pour finir, n’est-ce pas comme une surprenante
[p. 69]
résonnance préventive du lied de Tristan dans Wagner,
cette dernière strophe du Dernier rendez-vous.
Je viendrai, car tu dois mourir
Sans être las de me chérir
Et comme deux ramiers fidèles
Séparés par de sombres jours
Pour monter où l’on vit toujours
Nous entrelacerons nos ailes,
Là les heures sont éternelles.
[23]
✻ ✻
Il faudrait bien, bien des pages, encore et toujours
des pages pour désenfiler toutes les blandices, Baudelaire
l’écrit: les perpétuelles trouvailles de cette poësie.
Même sans parler de ses curiosités pittoresques de
locutions ou de métaphores, telles que,
Jusqu’au chaume enlierré que j’appelais maison
.....................
Pour un marin qui trace l’onde
.....................
[p. 70]
Il voit rire un jardin sur l’étroit cimetière
Où la lune souvent me prenait à genoux.
L’ironie embaumée a remplacé la pierre
Où j’allais, d’une tombe indigente héritière,
Relire ma croyance au dernier rendez-vous.
Je dis, de cette poësie aux énoncés si touchants et
toujours imprévus; de ces hirondelles qui sont
Mille doux cris à têtes noires;
non loin de ce rossignol qu’elle dénomme:
Douce horloge du soir au saule suspendue;
de ce bal qui tourne
Dans leur nuit de lumière, et d’encens, et de soie;
de ce médecin de la maison de sa mère, ce docteur ami
à qui l’auteur écrit
Quand Dieu sous ta figure y désaffligeait l’heure;
de ces fillettes dans un décor de nature qui s’enjolive
d’un vocabulaire de mobilier vieillot:
Les ruisseaux des prairies
Font des psychés
Où, libres et fleuries,
Les fronts penchés,
Dans l’eau qui se balance
Sans se lasser
Nous allons en silence
Nous voir passer.
[p. 71]
Si féerique mirage que peut-être je ne lui préférerais
rien, s’il n’y avait encore, et, sans doute par dessus
tout, ceci:
SOIR D’ÉTÉ
Un danger circule à l’ombre
Au chant de l’oiseau
Qui descend dès qu’il fait sombre
Se plaindre au roseau.
Alors tout ce qui respire
Se prend à rêver,
Et le ruisseau qui soupire
Semble l’éprouver.
Partout les nids et les ailes
Tremblent doucement
Dénonçant des tourterelles
L’entretien charmant.
L’été brûle avec mystère
Dans les lits en fleurs,
Des seuls amants de la terre
Sans blâme et sans pleurs.
Été, si trop jeune encore
Pour fuir un danger,
L’enfant rêveur que j’adore
S’attarde au verger,
Laisse dans l’errante nue
Ton charme cruel,
Et sauve l’âme ingénue
Du plaisir mortel!
[p. 72]
Ce commentaire, point par point, fleur par fleur, pleur
par pleur, perle par perle, devra être l’œuvre d’un autre,
je voudrais du prochain des coryphées de ce chœur qui
se fera longtemps gloire et joie d’exalter cette unique
muse. Je fais seulement remarquer ici, en passant, la
noblesse dont elle sait empreindre l’usage familier du
mot Madame[24]:
Madame,
[25] le plus beau des temples
C’est le cœur du peuple, entrez-y:
Le Roi des Rois l’a bien choisi.
..............
Quand vous m’avez écrit tout ce que, femme ou mère
Écrira de plus doux,
Je me plaignais, Madame, à cette vie amère,
Je lui parlais de vous.
.....................
Ainsi, Madame, allons, l’augure a trop de charmes
Pour n’être pas certain;
Allons! Et dans la nuit tournons nos yeux en larmes
Vers le soleil lointain.
.....................
[p. 73]
Distraite de souffrir pour saluer votre âme,
Voilà mon âme: elle est où vous souffrez, Madame.
Puisse mon travail d’aujourd’hui faciliter la suite
que je lui désire, de par cette classification que je
revendique, et que je crois utile et bonne; elle
n’était guère plus aisée que celle dont parle le conte
de fées, de ces duvets de mille couleurs emplissant une
chambre, et qu’il s’agissait de répartir et de trier. La
princesse y parvint pourtant; non, à vrai dire, sans
des secours féeriques, qui, je crois bien, ne m’ont pas
fait défaut. Les fées existent toujours. C’est un blasphème
que de n’y point croire. Elles s’en vengent en
ne secondant que ceux qui les en prient.
Le temps, je le répète, qui sculpte et polit, selon
leur dureté et leur beauté, ce que nous lui laissons de
nos œuvres, ainsi que le flot fait des rocs et des
falaises, respectera, chaque jour davantage, l’œuvre
dont nous nous entretenons. Il le témoignera en en
déblayant les entours et facilitant les approches, quand
il aura découvert et compris que ce qu’il prenait pour
une fragile et friable grève était un marbre, et que ce
marbre fut ciselé par la nature et l’art associés, à l’égal
d’un de ces monuments aux si capricieuses arabesques,
qu’ils ne paraissent point bâtis de main d’homme, mais
[p. 74]
éclos, en une nuit, de quelque rêve, en guise de palais
d’Aladin.
Mais s’il fallait qu’un détestable et imprévu désastre
détruisît l’œuvre en n’en laissant subsister que
les parcelles que je vous soumets, l’avenir, je n’en
doute pas, se pencherait sur elles, tout comme nous
faisons sur les vers isolés de ce Publius Syrus et de
cette Sapho qui avaient écrit tant de mimes et de
poësies dont il ne reste que des débris et des fragments
pareils à des pulvérisations d’étoiles.
Ma collection, c’est un herbier—immarcescible.
Je l’ai fait sans presque y songer, aux coups pressés
d’une lame émue qu’annotent les touches rapides
d’un crayon sensible de fasciné. Plus d’ordre et de
mesure, de pause et de dosage dans le choix sont
malaisés et dangereux devers cette poësie fugace, et
risquent toujours l’excès ou le manque. La fleur se
fond en rosée ou s’enfuit en papillon.
J’éclos pour m’envoler et je risque mes ailes!
C’est ma cueillette. Le massif, qui est une forêt
mouillée, de combien de larmes! peut fournir cent
autres bouquets renouveaux et surdivers au gré du
style qui rédige et du cœur qui dirige.
Oui ce sont fleurs dont la sève est de sang et le
[p. 75]
rorate de larmes. Pleurs et Fleurs dont l’inconscient
virtuose n’a su oser que partiellement le magnifique
titre, devrait être celui de son édition ne varietur. A
cette double source, le reproche encouru de monotonie
n’est-il pas vain? Le chacun son métier, pour
notre ouvrière se résolvait en larmes.
Sédentaire à l’église et bornée à ses pleurs
Son œuvre est un éloge des larmes. Celle qui cessait
de chanter parce que sa voix la faisait pleurer, ne
devait-elle pas rencontrer les plus bouleversants des
accents tracés?...
Moi, je me récuse, ou plutôt, j’abdique. A d’autres;
Quasi cursores vitæ lampada tradunt
que si l’on requérait pourtant ceux des vers de
Madame Valmore que je distingue par préciput sans
omettre certains cris tels que:
Où va-t-on vers ce qu’on espère?
et
Oh! que l’âme est troublée à l’adieu d’un prestige!
j’élirais entre beaucoup
Triste comme à ténèbre au milieu de mon âme.
.....................
Moi seule en mon chemin et pleurante au milieu
et
Comme un fil noir à l’or enlacé tristement.
[p. 76]
Exegi. Je conclus et clos ces pages qui ont du moins
pour elles de ne pas ouvrir par «Marceline, Félicité,
Joséphe... naquit à...» et sauves, j’espère, du vernis
souvent un peu boursouflé des faiseurs d’exégèses qui
semblent croire qu’ils décorent le sujet—au lieu de
s’en couronner.
Et je signe... cette critique? Dieu m’en garde!—Ce
cantique?...—Je voudrais!
✻ ✻ ✻
Une dernière réflexion pour finir:
D’abord disons que ce qui précède n’a trait absolu
qu’à l’édition Lemerre, et que les extraits en sont prélevés;
cette édition étant, jusqu’à ce jour, la seule sur
laquelle se puisse exercer une vue d’ensemble un peu
intégrale. En cela, nous devons trop à son éditeur
pour pouvoir que le remercier. Nonobstant, et grâce à
ce zèle communicatif qu’engendre l’œuvre de Madame
Valmore, il y a lieu de croire que les éditeurs
aussi se relaieront dans le futur pour assurer toujours
plus d’ampleur et d’envergure au geste entier de la
poëtesse.
[p. 77]
Mais il sied aujourd’hui de constater un fait: l’édition
n’est pas complète. Et puisque le bon goût qui y
présida ne fait pas de doutes et que, d’autre part,
d’importants fragments, voire de fort belles pièces en
sont absents, il y a lieu d’attribuer cette lacune à une
émotion filiale éliminant de parti-pris tout ce qui lui
semblait trop avoisiner cette double flamme; d’abord
la passionnelle, déterminante de tout cet embrasement;
puis la purifiante par le feu scrupuleux et sacrilège de
quelque vengeur enfer de vertus:
Expiant, Dieu le veut, le nom de ta maîtresse.
et
Je vois le Purgatoire au fond de ma pâleur
voilà les deux notes qu’il s’agit, sinon d’étouffer, d’assoupir
du moins.
Qu’un pareil ange, selon le mot de M. Verlaine se
montre plus ou moins timoré, bourrelé même, ce n’est
qu’une aile de plus dont la candeur et la splendeur
(plutôt que se voiler de silence imprudent et de réserves
irrévérencieuses) doivent éclater en la pleine lumière
de ce feu, lui-même générateur de tout ce buisson
[p. 78]
ardent, et si solidaire de l’amour divin qu’il ne saurait
que refleurir et tout droit, en paradis.
Seigneur qui n’a cherché votre amour dans l’amour
et jusqu’à ce radieux blasphème
Le ciel illuminé s’emplit de ta présence;
Dieu te mit devant moi, je compris sa puissance;
En passant par tes yeux mon âme a tout prévu
Dieu, c’est toi pour mon cœur; j’ai vu Dieu, je t’ai vu!
La figure de Valmore, loin d’être définitive, s’ébauche
à peine. Son œuvre est de celles dont la méconnaissance
du vivant et l’oubli au sortir du trépas composent
les deux premières phases d’engendrement
naturel à la postérité; et qui, pour atteindre leur plein
degré de manifeste et d’influence, doivent être retrouvées,
ainsi qu’une Pompéï ou des grains de blé
endormis renferment des germes de moisson en puissance.
Rougir pour cette plaintive sublime amante du
feu qui la dore, serait d’un culte inéclairé, sinon d’une
offense aveugle. La suprême, décisive et impérissable
Valmore doit entrer
Entrer sous ton aile enflammée
Où l’on entre par le tombeau
dans le temps et l’éternité, je l’ai dit au début, en
Anactoria chrétienne, en Francesca pardonnée illuminant
[p. 79]
de son idolâtrie innocentée et couronnée un
Phaon inconnu, un Paolo mystérieux de qui toute la
gloire est d’avoir allumé cette ardeur dont elle résume
la foi et le dogme dans sa magnifique Croyance:
Son souffle lissera mes ailes sans poussière
Pour les ouvrir à Dieu.
Et nous l’attendrirons de la même prière,
Car c’est l’éternité qu’il nous faut tout entière,
On n’y dit plus adieu!
APPENDICE
J’augure un autre travail de réparation, de répartition
et de décor dans la future réunion des lettres
déjà publiées, entre elles, puis à d’inédites. On en tirera
une autre clef de ce cœur; clef de cloître, clef de voûte,
ou du moins clef musicale révélant bien, cette fois, la
délicieuse définition de Shelley: Clef d’argent de la
fontaine des larmes.
Mon désir d’encadrer un poëme manuscrit de celle
que je vénérais me mit d’abord en possession d’une ou
deux de ses lettres dont le nouveau filon d’attendrissement
auguste me rendit insatiable jusque là de me
faire successivement acquérir une centaine de ces
autographes (que j’ai le bonheur de posséder aujourd’hui),
et dirai-je pour quel gros chiffre menu qui
rendrait surprises et confuses (autant que le purent
être certains dessins de Millet, si les choses qui ont
des larmes ont aussi des sourires) ces mêmes lettres
qui attendaient le départ, quelquefois de longs jours,
tout écrites, faute de l’affranchissement de leur timbre?
[p. 82]
«C’est un affreux malheur, mais le plus beau malheur
possible» écrit quelque part Vigny. Propre chanson
pour l’air de cette correspondance, indiscontinûment
variée sur le leitmotiv plus ou moins lancinant, toujours
détaché et digne de ce qu’elle y baptise elle-même
son parfait tombé d’espoir. Lisez encore: «Le
malaise que je traîne après moi dans tous mes vœux
déçus». Et plus grièvement: «Les peines, la terreur,
l’humiliation ne tuent pas, et je vis enfin à travers
des choses bien blessantes et que j’aurais jugées mortelles.»—«Je
ne voudrais pas que mon sort changeât
au prix de certaines démarches suppliantes qui me
rendraient les douceurs accordées d’une amertume
douloureuse.»—«Je retourne à souffrir.» concluait-elle
dans une lettre déjà éditée.
Les rumeurs du jardin disent qu’il va pleuvoir;
Tout tressaille averti de la prochains ondée.
Ces deux vers de l’auteur devraient épigraphier sa
correspondance où l’on sent à chaque ligne une spirituelle
et naturelle allégresse prête à éclore, refoulée
par cette trop prochaine ondée des larmes, pour les
siens, pour les autres,—ah! que si rarement et discrètement
pour soi! Et cela sans jamais de ton pleurnicheur
ni même larmoyant, en une si haute tenue de
[p. 83]
style et d’attitude non voulue que du fait d’une nature
fière avec modestie, humble avec noblesse.
Ajouterai-je que plus des deux tiers de ces lettres ne
sont que de jolis placets implorant secours pour plus
pauvre que soi. Il semble, et l’épistolière le dit, que
l’expérience toujours plus aiguë et raffinée du malheur,
n’ait pour effet que de la gagner plus effectivement et
affectivement aux endolorissements d’autrui.
De ces pages, il y en a pour de ses amis Tripier-Lefranc,
Derains, Nairac, Branchu, etc., puis a des
illustres: Dumas, Auber, Chaix d’Estanges, etc., en
lesquels son inlassable zélation rencontre des aides.
Presque chaque épître enveloppe, disons entortille
d’une grâce qui se fait chatte quand il s’agit du bien
du prochain un petit drame de misère adroitement
présenté au profit d’un nouvel inconnu; de quelle
grâce variant à l’infini la courtoisie des formules polies
et jolies bien savoureuses et surprenantes à relire en
notre ère de lettres de quête autographiées et pas
même signées de la main de la demanderesse.
Voici d’abord des extraits, de mélancoliques, de
spirituels:
[p. 84]
Ici, madame, tout s’absorbe jusqu’à la mélancolie. C’est un mot
élégant qui ne passe pas dans une ville de commerce, et vous êtes
bien bonne de l’avoir lu sur ma figure.
.....................
Allez, monsieur, je sais beaucoup de vos peines, et si vous allez
sur ces tombes d’amour et d’amitié pour être entendu, dites-moi
quelque chose, je l’entendrai, je crois, car en vérité, la vie est
souvent triste et isolée comme la mort.
.....................
Que je vous sais gré d’y être pour vous mêmes (à Paris,) car
enfin c’est encore là où on peut choisir ce qui convient le mieux aux
goûts de l’esprit et de l’humeur. Ici (à Lyon) il faut prendre de la
boue et des rubans, des rubans et de la boue, c’est la carte. L’autre
printemps, c’était... affreux; des boulets et du sang, du sang et des
boulets. Il m’en reste un horrible souvenir dans l’âme et dans les
nerfs.
.....................
Monsieur Dutillœul me dit encore d’obtenir que Bra écrive au
maire qui l’aime beaucoup; je n’oserai le faire de mon côté que si
mon cousin m’appuie, car cela me paraît bien hardi pour une
femme d’écrire à un maire, et de demander des grâces.
.....................
[p. 85]
Sachez que je viens de recevoir un programme de la fête de
Gayant. Il sent le gâteau, la bière et le jambon. J’ai eu presque
faim en le lisant, et il y a bien longtemps que je n’ai eu faim.
.....................
Vous m’avez honorée d’un témoignage de votre amitié, beau pour
toujours, cher Monsieur. Vous savez que c’est à cette seule condition
du pour toujours que mon fils adorait la pomme ou les bonbons
que je lui donnais.
.....................
Vos confitures ont-elles réussi? Moi je manque toutes mes
romances.
Puis, intégralement une de ces belles et simples
suppliques de recommandation.
Madame,
Je commence par vous demander humblement pardon d’une
démarche qui n’a d’appui que votre extrême bonté.
Si vous vous étonnez, madame, que sans avoir l’honneur d’être
connue de vous je me sente assez de courage pour recommander
quelqu’un à votre sérieux intérêt vous penserez avec raison qu’il
faut avoir entendu sur votre caractère un récit bien encourageant
pour avoir enhardi jusque-là mon humilité.
Il a été dit devant moi que monsieur le Duc et madame la
[p. 86]
Duchesse de Luynes n’avaient pas encore arrêté le concierge qui
doit garder prochainement leur nouvel hôtel.
Si j’étais assez heureuse pour que le pur motif d’obliger une
honnête famille me fût inspiré par la Providence, qui se sert des
plus faibles quelquefois pour ses desseins d’ordre et de charité, je
me féliciterais d’avoir à signaler à madame la Duchesse les nommés
Roblin, concierges de la maison d’assurance et de gaz, rue de
Richelieu no 89. Cette vaste maison devant être prochainement
démolie laisse un père de famille très probe et très intelligent à la
triste liberté de chercher un autre asyle. Les répondants les plus
graves et les plus honorables viendraient à l’appui de mon humble
supplique près de madame la Duchesse, et justifieraient avec
empressement les premières paroles portées jusqu’à vous, madame,
par votre plus humble servante.
Mme Desbordes-Valmore.
89, rue de Richelieu.
Ensuite deux lettres, deux placets à Alexandre
Dumas. On en admirera le tour fémininement fraternel.
Lyon, le 29 mai 1835.
Je saisis à travers une pluie d’orage, la bonne et belle occasion
de me rappeler à vous. C’est pour vous rappeler que vous venez
d’être encore pour moi aussi bon, aussi obligeant que si je le
méritais. Je ne peux pas vous dire combien je vous sais gré d’être
obligeant comme un enfant pour les enfantillages de tous ces
hommes mûrs à moustaches noires ou grises. Ce brave Algérien
eût été bien heureux de vous devoir (après son sabre) le bouquet
de cerise qu’il voulait remporter à sa boutonnière; mais il m’a
avoué qu’il était aussi fier de vos démarches pour lui et de votre
[p. 87]
accueil, que du ruban qu’il croit mériter. Que je vous aime donc
de l’avoir consolé! et que j’ai à cœur votre gloire, votre bonheur
en tout! Je vous conjure d’y travailler, de nous jeter vos fleurs,
vos Christine, vos âmes de femmes qui doivent vous étouffer.
Donnez-moi la joie de vos succès, car je vois bien que je n’en aurai
jamais d’autre avec vous, et qu’il me sera toujours impossible de
vous être bonne à rien sur la terre qu’à me faire du bien comme
vous en avez pris l’habitude.
Soyez heureux!
Marceline D. Valmore.
Paris, 16 août 1837.
Quand vous n’êtes plus là, je ne suis bonne à rien pour moi ni
pour les autres.
Si vous étiez à Paris, vous prendriez par la main un charmant
enfant qui n’a ni père ni mère, et que nous avons fait entrer
à l’Opéra pour jouer des petits génies et des demi-dieux, ce qu’on
lui fait jouer avec beaucoup de bonté, jusqu’à l’avoir admis aux
fêtes de Versailles, en Mercure, ce qui l’a rendu à peu près fou
de joie et de surprise. Mais les demi-dieux mangent, et depuis son
admission (il y a trois mois) dans les classes de MM. Coraly,
Mérante et Barré, le pauvre orphelin a reçu douze francs, pour prix
de ses jolies petites jambes.—Vous le prendriez donc par la
main, j’osais le penser, et vous diriez à M. Dupré, tout-puissant
sur M. Duponchel, de donner quelque humble appointement à ce
jeune garçon que nous avons fait monter dans la diligence sur la
route de Lyon à Paris.
Envoyez-moi deux lignes de votre nom pour que j’ose moi-même
chercher un appui à cet enfant. Je ne vous demande point
pardon d’aller vous étouffer de mes prières. A qui voulez-vous que
je demande de la bonté qui ne se lasse pas? Pas plus que je ne
me lasse de vous aimer et d’être à vous de tout mon cœur.
Marceline Valmore.
[p. 88]
Enfin cet étonnant compliment de noces:
A Monsieur Alexandre Wattemart.
Madame Valmore est allée avec empressement pour assister à
la bénédiction nuptiale.
Il était près de midi. Après le temps de prier et d’attendre, nul
mariage n’a eu lieu. Quelque obstacle a donc rendu, ce jour-là,
Notre-Dame-de-Lorette, déserte de cette solennité, sur laquelle
Madame Valmore appelle toutes les bénédictions du ciel.
Mme Valmore
22 février 43.
Essai de Classification
des Motifs d’inspiration
de la Poësie de Marceline DESBORDES-VALMORE
AMOUR
Amour divin rôdeur glissant entre les âmes.
[p. 95]
L’heure qui nous sépare, au temps est inutile.
—
Enfin le jour se cache et me prend en pitié.
—
Tout ce qui manque à ta tendresse
Ne manque-t-il pas à mes vœux?
—
Et le bonheur du souvenir
Va se confondre encore avec le bonheur même.
—
Comme la route au loin se prolonge isolée.
—
Je suis seule et là-bas sous de noirs arbrisseaux
La moitié de mon âme est errante et voilée.
—
J’ai cru respirer l’air qui va nous réunir.
—
Forcez-moi de parler, car j’ai peur de mourir.
—
«Dans mes ennuis, dit-il, j’ai fait une couronne
Elle est fanée, hélas! pourtant je te la donne.»
Je l’ai sentie alors descendre sur mes yeux
Et je n’y voyais plus; mais sa voix est si tendre...
Et quand on n’y voit plus, ma mère, on entend mieux.
—
[p. 96]
J’ai langui sans bonheur, de moi-même arrachée
—
Toi qui m’a tout repris jusqu’au bonheur d’attendre
Tu m’as laissé pourtant l’aliment d’un cœur tendre,
L’amour et ma mémoire où se nourrit l’amour.
Je lui dois le passé, c’est presque ton retour.
.....................
C’est là que sans fierté je me révèle encore
Ma vie est dans ce rêve où tu ne fuis jamais.
.....................
Tu t’éveilleras seul dans la foule distraite
Où des amis d’un jour s’entr’égare l’essaim.
.....................
Oui, plus que toi l’absence est douce au cœur fidèle
Du temps qui nous effeuille elle amortit les ailes.
—
L’amour m’enveloppa de ton ombre chérie
Et malgré la saison l’air me parut brûlant.
.....................
Je devinai ton âme, et j’entendis mon cœur.
.....................
L’âme du monde éclaira notre amour.
—
Je croyais que les cieux ne donnaient tant d’amour
Que pour en éclairer une autre âme à son tour.
—
Le doute est le seul bien que m’ait laissé le sort.
—
Et mon dernier adieu dans les airs s’est perdu.
—
Loin de moi, s’il se peut, ma sœur, emportez-moi.
Mon mal est dans sa vue, et lorsque j’y succombe
[p. 97]
Mon mal doit vous toucher, ce n’est pas le remord.
—
Mais tout ce qu’il m’apprend, lui seul l’ignorera.
—
Veux-tu? mais ne dis pas que l’heure est trop rapide,
Veux-tu voir la montagne et le courant limpide,
Veux-tu venir au pied du grand chêne abattu?...
—Moi, je ne réponds pas, pour écouter «Veux-tu?»
«Veux-tu? mais ne dis pas que la lune est cachée,
Veux-tu voir notre image au bord des flots penchée?
Ne tremble pas, tout dort, l’oiseau même s’est tu.»
Et mon refus se meurt en écoutant: Veux-tu?
—
Ah! je t’en prie, il ne faut plus venir
Redemander mon âme presque heureuse.
.................
Je ne t’accuse pas! qui sait si le tombeau
Sera froid sur mon corps si mon souffle t’effleure.
.....................
L’été, j’attends de toi la grâce des beaux jours
.....................
Chaque désir trahi me rend à la douleur.
—
C’est l’orgueil: il sépare, il ressemble à la haine.
—
J’ai contemplé longtemps ma mort dans leur bonheur
—
Je n’ai plus qu’à subir sa tranquille douceur.
—
Tout change, il a changé, d’où vient que j’en murmure?
.....................
Ton nom, comme un écho, lui parlera de moi.
[p. 98]
Qu’il soit son seul reproche en ta douleur modeste.
.....................
Et ce morne silence où parlent les douleurs.
—
On dirait que la mort a passé sur mon cœur.
.....................
Quand j’expire à sa porte on ne m’y connaît pas.
.....................
Quittez l’envie
De rappeler le temps où j’ai cru le haïr.
D’un souvenir si doux l’erreur évanouie
Laisse au fond de mon âme un long étonnement.
—
Pour qu’il soit le bonheur, je l’ai trop attendu.
—
Moi, troubler son bonheur? c’est celui qui me reste!
—
Quand ton nom
mêlé dans mon sort[26]
.....................
♦Lien de
Amour
avec
Éternité.
Fragment.♦
Prends mon deuil: un pavot, une feuille d’absinthe,
Quelques lilas d’avril dont j’aimai tant la fleur,
Durant tout un printemps, qu’ils sèchent sur ton cœur;
Je t’en prie un printemps; cette espérance est sainte
J’ai souffert, et jamais d’importunes clameurs
N’ont rappelé vers moi ton amitié distraite;
Va! j’en veux à la mort qui sera moins discrète.
Et je ne serai plus quand tu liras: «Je meurs.»
[p. 99]
Porte en mon souvenir un parfum de tendresse.
Si tout ne meurt en moi, j’irai le respirer.
Sur l’arbre où la colombe a caché son ivresse
Une feuille, au printemps suffit pour l’attirer.
S’ils viennent demander pourquoi ta fantaisie
De cette couleur sombre attriste un temps d’amour,
Dis que c’est par amour que ton cœur l’a choisie,
Dis-leur qu’amour est triste ou le devient un jour;
Que c’est un vœu d’enfance, une amitié première;
Oh! dis-le sans froideur, car je t’écouterai!
Invente un doux symbole où je me cacherai:
Cette ruse entre nous encor... C’est la dernière.
.....................
Contente de brûler dans l’air choisi par toi!
—
Si l’amour a des pleurs, la haine a des tourments.
—
Parle-moi doucement, sans voix, parle à mon âme.
.....................
Altérés l’un de l’autre et contents de frémir
—
On a si peu de temps à s’aimer sur la terre,
Ah! qu’il faut se hâter de dépenser son cœur!
[27]
—
Ce bonheur accablant que donne ta présence
Trop vite épuiserait la flamme de mes jours.
....................
Le même ange peut-être a regardé nos mères
Peut-être une seule âme a formé deux enfants.
[p. 100]
Oui la moitié qui manque à tes jours éphémères
Elle bat dans mon sein où tes traits sont vivants.
—
Et comme une fleur sur sa tige
Je tremblerais sur tes genoux.
.............
Mais le jour luit, mon rêve tombe,
Au soleil les rêves ont peur,
Et les ailes de ma colombe
Vont seules te porter mon cœur.
Elle a respiré l’air où j’aime
Dans mes bras son vol a frémi:
Triste comme un peu de moi-même
Caresse-la, mon seul ami!
—
Il ne viendra jamais, pourquoi le lui défendre?
—
Quand vivre était le ciel—ou s’en ressouvenir!
.....................
Quand mes deux bras s’ouvraient devant ces jours...
—
Pour entr’ailer nos jours d’un fraternel essor
.....................
Tu ne sauras jamais comme je sais moi-même,
A quelle profondeur je t’atteins et je t’aime,
.....................
On est étrange, on veut échanger ce qu’on donne
[28]
.....................
Née avant toi... Douleur. Tu le verrais peut-être
[p. 101]
Si je vivais trop tard. Ne le fais point paraître,
Ne dis pas que l’Amour sait compter, trompe-moi:
Je m’en ressouviendrai pour mourir avant toi:
—
Je t’aime comme un pauvre enfant
Soumis au ciel quand le ciel change
...............
Je rends les fleurs qu’on me défend.
—
Qui doucement essuyait ma pensée
Du rêve amer qui fait aimer la mort?
...............
O jours d’hier, ô jeunesse envolée
Avant notre âme, autre oiseau gémissant
—
C’est moi qui viens poser mon nom sur ta pensée
—
Toi, ton doux cri pardon qui brisait ma colère,
A qui le diras-tu, qu’il sache tant lui plaire?
.....................
N’en cherche plus l’écho c’est moi qui le recèle?
.....................
Mais te créer l’effroi de ma fidélité
.....................
De ce qui fut à nous emporte le bonheur
Je n’en avais besoin que quand j’avais un cœur;
C’est là que je souffrais, c’est là que je suis morte.
.....................
Jours fiévreux pleins de bruits que nuls bruits ne défont
.....................
Tu viendras, tu verras, nous pleurerons ensemble:
C’est là le sort de tout ce que le temps rassemble,
[p. 102]
Comme l’ombre de nous, tu me regarderas,
Tu verras mieux mon âme, alors tu pleureras.
Ma plus profonde vie, hélas! que Dieu te garde:
A travers mon regard que le ciel te regarde
Comme tu regardais à travers mes cheveux
Que je laissais déjà retomber sur mes yeux;
...................
Allez! midi n’est pas l’heure du souvenir
.....................
Et vous direz mon nom en cherchant dans les autres
—
C’est le poignard levé qui nous frappe au réveil (le doute)
—
Pour se perdre des yeux c’est bien assez du soir
—
L’ombre est si belle où m’attire ta main
—
Les joyaux n’échauffent point l’âme,
Un cheveu qu’on aime est plus fort.
—
Quel démon en chemin
L’a saisi? c’est qu’il aime, il a trouvé son âme!
—
Tu m’as connue au temps des roses
Quand les colombes sont écloses
..............
A l’étonnement de nos âmes
Tout jetait des fleurs et des flammes
..............
Nous n’étions mortels qu’à demi
—
N’écris pas, je suis triste, et je voudrais m’éteindre,
[p. 103]
Les beaux étés, sans toi, c’est l’amour sans flambeau,
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre
Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
.....................
Au fond de ton silence écouter que tu m’aimes
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
—
Tu n’en sauras rien sur la terre
Flamme invisible en ton chemin,
Je vivrai d’un ardent mystère
Sans avoir rencontré ta main.
[29]
LES YEUX ET LES PLEURS
J’ai vécu d’aimer, j’ai donc vécu de larmes!
[p. 107]
On dirait que le jour est rentré dans ses yeux.
[30]
—
Et qu’en chantant surtout on est près de pleurer.
—
Tes beaux yeux en s’ouvrant un jour à la lumière
Ont condamné les miens à te pleurer toujours.
—
Si tes yeux ont des pleurs, regarde-moi toujours.
.....................
Que j’aimais de tes yeux la brûlante douceur!
—
... Oh! l’ange qui pardonne
Doit regarder ainsi quand il ouvre les cieux.
—
Du charme de ses yeux il m’accablait encore.
....................
Que la vie est rapide et paresseuse ensemble
Dans ma main qui s’égare, et qui brûle et qui tremble
Que sa coupe est fragile et lente à se briser.
Ciel! Que j’y bois de pleurs avant de l’épuiser.
—
[p. 108]
Oui, pour ne les plus voir j’abaisse ma paupière.
Je m’enfuis dans mon âme et j’ai revu ses yeux!
—
Quand ton sein se brisa dans une lutte affreuse
On ignorait encore qu’il était plein de pleurs.
—
Ainsi qui lit trop loin ne voit plus que des larmes.
—
Les pleurs silencieux attendent les plus doux
Ils souffrent sans le dire, ils meurent à genoux.
[31]
—
[p. 109]
... Un charme est dans mes pleurs,
L’air est chargé d’espoir, il revient, je le jure.
—
Car ce qui nous aima nous le pleurons toujours.
—
Ce qui m’a fait pleurer jamais je ne l’oublie.
Cache-moi ton regard plein d’âme et de tristesse.
—
C’était ton regard pur qui répandait sa flamme
Sur notre plus beau jour réfléchi dans tes yeux.
—
Allez, Dieu comptera vos pleurs
Au fond d’une âme solitaire.
—
Que le pleur plein d’un triste charme
Dont tes chants ont mouillé mes yeux.
—
Ainsi pour m’acquitter de ton regard à toi,
Je voudrais être un monde et te dire: «Prends-moi.»
—
.....................
Ni ces heures sans nom dans le temps balancées
Dont les ailes pliaient d’un tel bonheur lassées
Alors que je laissais pour unique entretien
Mon regard ébloui s’abriter sous le tien.
...................
Et fondre dans mes yeux quelque doute rêveur.
—
Et mon cœur sait la place où je leur dois des pleurs
—
Qu’ils me font mal sur d’autres que les miens (les yeux).
—
[p. 110]
Et Dieu vous bénira qui dans vos chastes yeux
Infiltra le symbole et la teinte des cieux.
—
Laissez tomber sans voix les larmes de mes yeux
Qui cherchent leur chemin pour arriver aux cieux.
—
Quand tout y devient froid, jusqu’aux pleurs de leurs yeux.
—
Mais des sanglots lointains dirigent nos adieux
....................
Et le deuil de la terre encense leur malheur.
—
Tout ce qui pleure est beau...
—
Bénis soient donc vos pleurs dont l’intérêt s’amasse
—
Dieu vous garde à qui pleure, à qui va de vos charmes
Humecter sa prière, attendrir ses regrets!
Inclinez-vous, ce soir, sous les dernières larmes
Qui s’épanchent sur vous du fond de mes secrets.
... j’ai peur de ma mémoire,
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
[p. 113]
Pour retrouver ma voix qui manque à son oreille
—
Et moi, dans un accent qui trouble et qui captive
Naguère un charme triste est venu m’attendrir.
—
Mes lèvres loin de toi retenaient tes accents,
Et ta voix, dans ma voix, troublait encor mes sens.
—
Une nouvelle voix à son oreille est douce.
—
Une voix qui réponde aux secrets de sa voix.
—
Oh! que j’aimais mon nom dans ta voix argentine.
—
Rends-moi le son chéri de cette voix fidèle,
—
Dans mon nom qu’il dit tristement
—
S’arracher aux accents
Que l’on écoute absents.
—
Peut-être un jour sa voix tendre et voilée
M’appellera sous de jeunes cyprès.
TENDRESSE-TRISTESSE
Mais de nouveaux sentiers s’ouvrent à ma tristesse.
[p. 117]
Quand les jours sont moins longs cessent-ils de courir?
.....................
Un cœur tendre s’y cache au jour qu’il semble craindre
—
A force de bonheur soyez encor plus belle.
Et qu’au réveil l’amour vous le dise à genoux.
—
Le cœur qui vous aima ne peut jamais changer.
—
Quand je vous y vois prendre en secret pour vous-même (au miroir)
Tout le plaisir que l’on goûte à vous voir.
—
Votre bonheur me tenait lieu du mien.
—
Pour beaucoup d’avenir j’ai trop peu de courage.
—
Je vais d’un jour encore essayer le fardeau.
—
Et pour d’autres que moi le printemps était beau.
—
Sa fuite entre nos bras n’avait plus de passage.
—
Il est doux en passant un moment sur la terre
D’effleurer les sentiers où le sage est venu;
[p. 118]
D’entretenir tout bas son malheur solitaire
Des discours d’un ami qu’on pense avoir connu.
—
Chaque pleur de mes yeux me rappelle son nom.
.....................
Cette âme où ne tremblait ni repentir ni larme
Aimait! aimait! et puis, comme si quelque charme
Mis entre elle et le monde eut isolé ses pas,
Elle errait dans la foule, et ne s’y mêlait pas.
—
Mot sans faste, mot vrai, lien de l’âme à l’âme. (au revoir)
—
Pour aider tes chagrins, j’en ai fait mes douleurs,
—
Que vous soyez pour nous la charité qui pleure
Ou la muse qui chante afin d’arrêter l’heure
Ou la femme rêveuse au bord de son miroir
Vous êtes toujours vraie et toujours belle à voir.
—
L’âpre misère enfin, cette bise inflexible
Qui détruit lentement ce que Dieu fit sensible.
—
Enfant plein de musique et de mélancolie.
[33]
.....................
Tout est dans ce beau livre écrit avec des flammes
Reliquaire d’amour qui fait rêver les femmes.
.....................
Non la vierge allaitante et ruminant le ciel
N’a pas souri plus vierge aux mains de Raphaël.
—
[p. 119]
Léopardi, doux Christ oublié de son père,
Altéré de la mort sans le ciel qu’elle espère
.....................
Ne pas consoler l’ange attristé dans son cœur.
—
C’est beau la jeune fille
Qui laisse aller son cœur
Dans son regard qui brille
Et se lève au bonheur.
—
Oui la vie est malade avant que tu l’effleures.
—
Car on dirait que créés pour souffrir
Nous ne pouvons qu’à peine être heureux sans mourir.
—
La fange des ruisseaux qui consterne mes pas,
Et la foule déserte, où tu ne descends pas.
PRISONS ET EXILS
L’anneau tombé gêne encore pour courir.
[p. 123]
♦Fragment♦
C’est que l’exil est triste; il fait rêver l’enfance,
Le jeune voyageur n’a d’ami que le ciel;
Il erre sans asile, il pleure sans défense
Comme un oiseau perdu loin du nid paternel;
Son ramage se change en plaintes douloureuses;
Des oiseaux inconnus les cris le font frémir
Et même en retournant sur des routes heureuses,
S’il veut chanter, longtemps il semble encore gémir.
A ses regrets en vain la patrie est rendue
L’orage a dispersé la couvée éperdue,
Les frères sont partis; le nid vide est tombé;
En s’envolant, peut-être un d’eux a succombé;
[34]
....................
Voilà sur son chapeau sa guirlande encor verte
....................
Que devient l’infortune à la fuite imprévue
D’un ami distrait ou honteux?
—
Qui n’a quelque pitié des brebis voyageuses
Laissant à quelque haie un peu de leur toison.
Oh! que de fils brisés dans ma trame affaiblie,
Que d’adieux recélés dans le fond de mon cœur!
—
[p. 124]
Ainsi, mon Dieu, sur la route lointaine
Semez vos dons à mon cher voyageur!
Ne souffrez pas que quelque voix hautaine
Sur son front pur appelle la rougeur.
Que ma prière en tout lieu le devance!
Dieu! Que pas un ne le nomme étranger!
Aidez son cœur à porter notre absence
Et que parfois le temps lui soit léger!
—
Et le vieux prisonnier de la haute tourelle
Respire-t-il encore à travers les barreaux?
Partage-t-il toujours avec la tourterelle
Son pain qu’avaient déjà partagé ses bourreaux?
—
♦Fragment♦
Cette fille de l’air à la prison vouée
Dont l’aile palpitante appelait le captif,
Était-ce une âme aimante au malheur envoyée?
Était-ce une espérance au vol tendre et furtif?
Oui: si les vents du nord chassaient l’oiseau débile,
L’œil perçant du captif le cherchait jusqu’au soir;
De l’espace désert voyageur immobile
Il oubliait de vivre; il attendait l’espoir,
Car toujours, jusqu’au terme où nous devons atteindre
Jusqu’au jour qui n’a plus pour nous de lendemain,
Le flambeau de l’espoir vacille sans s’éteindre
Comme un rayon qui part d’une immortelle main.[35]
.....................
Doux crime d’un enfant, clémence aventureuse.
.....................
♦Fragment♦
[p. 125]
La liberté, ma fille, est un ange qui vole.
Pour l’arrêter longtemps la terre est trop frivole.
Trop d’encens lui déplaît, trop de cris lui font peur;
Elle étouffe en un temple, et sa puissante haleine
Qui cherche les parfums et l’air pur de la plaine
Rafraîchit en passant le front du laboureur.
On dit qu’elle descend rapide, inattendue;
Que son aile sur nous repose détendue...
Hélas! où donc est-elle? En vain j’ouvre les yeux;
Loin, bien loin des palais, au toit du pauvre même
Où l’on travaille en paix, où l’on prie, où l’on aime
Où l’indigence obtient une obole et des pleurs,
La déesse en silence aime à jeter ses fleurs.
Les fleurs tombent sans bruit, et, de peur de l’envie,
On les effeuille à Dieu qui dit: «
Cache la vie».
[36]
Ainsi priez, ma fille, et marchez près de moi.
Un jour tout sera libre, et Dieu seul sera roi.
—
Dieu laissez-moi goûter la halte commencée;
Dieu laissez-moi m’asseoir à l’ombre du chemin
Mes enfants à mes pieds, et mon front dans ma main.
Défendez aux chemins de m’emmener encore
—
Un ami me parlait et me regardait vivre!
Alors c’était mourir... Ma jeune âme était ivre
De l’orage enfermé dont la foudre est au cœur.
Il eut mit tout un jour à comprendre une larme
De nos printemps égaux lui seul portait les fleurs.
IPSA
D’avance je traînais les maux qui m’attendaient.
[p. 129]
Qui ne veut rien du Temps, mais qui craint sa vitesse
.....................
Et je ne fus jamais à demi malheureuse.
.....................
Qu’il est beau, le miroir qui double ce qu’on aime,
Ce portrait qui se meut...
—
Toi que dans le fond des chaumières
On appelle avant de mourir,
Pour aider une âme à souffrir
Par ton exemple et tes prières
.............
Oh! donne-moi tes cheveux blancs,
Ta marche pesante et courbée
Ta mémoire enfin absorbée
—
Vois-tu d’un cœur de femme il faut avoir pitié,
Quelque chose d’enfant s’y mêle à tous les âges.
—
C’est qu’ils parlaient de toi, quand loin du cercle assise,
Mon livre trop pesant tomba sur mes genoux;
C’est qu’ils me regardaient quand mon âme indécise
Osa braver ton nom qui passait entre nous.
.....................
[p. 130]
Quel effroi de ramper au fond de sa mémoire
D’ensanglanter son cœur aux dards qui l’ont blessé
De rapprendre un affront que l’on crut effacé
Que le temps... que le ciel a dit de ne plus croire
Et qui siffle aux lieux même où la flèche a passé!
—
Et j’ai hâte, et j’ai peur d’amasser les instants
....................
Tout ce que j’aime est frêle et meurt, et pour vous suivre,
Mes chers anneaux brisés, mon cœur se brisera.
—
J’ai soif d’un frais oubli, d’une voix qui pardonne,
D’amour, d’un long silence écoulé sans effroi
—
Et quand je vacillais, luciole éphémère.
—
S’en aller à travers des pleurs et des sourires
Achever par le monde un sort amer et pur,
User sa robe blanche, et, pour une d’azur,
En laisser les lambeaux aux ronces des martyres,
C’est ma vie. Un roseau semble plus fort que moi,
Je ne m’appuie à rien que je ne tombe à terre,
Et je chante pourtant l’ineffable mystère
Qui de mon cœur trahi fait un cœur plein de foi.
.....................
Ils ont soufflé loin d’eux mes mobiles revers.
.....................
Ville austère où j’appris à pleurer,
Où j’apportais un cœur si tendre à déchirer.
.....................
Au milieu de leurs jours inoffensive et frêle
Mort, oublieuse Mort, je passe sous votre aile
[p. 131]
Et je n’alourdis pas mon vol de haine...
.....................
♦Fragment♦
Vraiment le pardon calme à défaut d’espérance
Il détend la colère; on pleure, on apprend Dieu,
Dieu triste, comme nous voyageur en ce lieu,
Et l’on courbe sa vie au pied de sa souffrance.
Ceux qui m’ont affligée en leurs dédains jaloux
Ceux qui m’ont fait descendre et marcher dans l’orage
Ceux qui m’ont pris ma part de soleil et d’ombrage
Ceux qui sous mes pieds nus m’ont jeté leurs cailloux,
N’ont-ils pas leurs ennuis, leurs jaloux, leurs alarmes,
Leurs pleurs, pour expier ce qu’ils m’ont fait de larmes?
Quoi donc! aux durs sentiers qu’on a tous à courir
Seigneur, ne faut-il pas mourir et voir mourir?
N’est-ce pas au tombeau que cheminent leurs peines,
Leurs enfants, leurs amours qui rachètent leurs haines?
Oh! qui peut se venger? oh! par notre abandon
[37]
Seigneur, par votre croix dont j’ai suivi la trace,
Par ceux qui m’ont laissé la voix pour crier grâce,
Pardon pour eux! pour moi! pour tous! pardon! pardon!
—
Seigneur un cheveu de nous-même
Est si vivant à la douleur.
—
[p. 132]
Vous surtout que je plains si vous n’êtes chéries
Vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes sœurs
C’est à vous qu’elles vont mes lentes rêveries,
Et de mes pleurs chantés les amères douceurs
[38]
.....................
Tant que l’on peut donner on ne veut pas mourir.
—
Pour me plaindre ou m’aimer je ne cherche personne
.....................
Dans le fond de mon cœur je renferme mon sort
—
Tout le concert se tenait dans mon âme
.................
Le front vibrant d’étranges et doux sons
Toute ravie et jeune en solitude
.................
J’étais l’oiseau dans les branches caché,
S’émerveillant tout seul, sans qu’il se doute
Que le faneur fatigué qui l’écoute
Dont le sommeil à l’ombre est empêché
S’en va plus loin tout morose et fâché.
—
De vous dont l’esprit pur, dont la grâce rêveuse
Dont les regards charmants
Ont versé leurs rayons sur moi pâle couveuse
D’immobiles tourments
—
J’ai dit ce que jamais femme ne dit qu’à Dieu,
—
[p. 133]
Facile à me créer des thèmes ravissants
J’ai chanté comme vrais bien des bonheurs absents
—
Le jour douteux et blanc dont la lune a touché
Tout ce ciel que je porte en moi-même caché.
—
Que mon nom ne soit rien qu’une ombre douce et vaine
Qu’il ne cause jamais ni l’effroi ni la peine
Qu’un indigent l’emporte après m’avoir parlé
Et le garde longtemps dans son cœur consolé.
MATERNITÉ
ET
ENFANCE
La mère, n’est-ce pas un long baiser de l’âme?
Un baiser qui jamais ne dit non, ni demain.
[p. 137]
Confiants, vous dansez quand votre mère chante
Son baiser nous délasse et nous mène au sommeil.
Sans prévoir que souvent la voix qui nous enchante
Va prier dans les pleurs jusqu’à votre réveil.
.....................
Et je sentais naître ma fille
Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur.
.....................
Moi seule en vous berçant d’amour, de mélodie
Je vous inoculai ma douce maladie.
....................
Je vous aide à m’aimer autant que je vous aime.
.....................
Un jour vous serez seuls par la sentence amère
Qui sépare de force entre eux les voyageurs.
—
Un bouquet de cerise, une pomme encore verte,
C’étaient là des festins savourés jusqu’au cœur.
—
Entre les cailloux bleus que mouillent le grand puits.
De sa fraîcheur lointaine il lave encor mon âme
Du présent qui me brûle il étanche la flamme,
Ce puits large et dormeur au cristal enfermé
Où ma mère baignait son enfant bien-aimé.
Lorsqu’elle berçait l’air avec sa voix rêveuse
[p. 138]
Qu’elle était calme et blanche, et paisible le soir
Désaltérant le pauvre assis, comme on croit voir
Aux ruisseaux de la bible une fraîche laveuse!
Elle avait des accents d’harmonieux amour
Que je buvais du cœur en jouant dans la cour.
Ciel! où prend donc sa voix une mère qui chante
Pour aider le sommeil à descendre au berceau?
Dieu mit-il plus de grâce au souffle d’un ruisseau?
Est-ce l’Eden rouvert à son hymne touchante,
Laissant sur l’oreiller de l’enfant qui s’endort
Poindre tous les soleils qui lui cachent la mort?
Et l’enfant assoupi sous cette âme voilée
Reconnaît-il les bruits d’une vie écoulée?
Est-ce un cantique appris à son départ du ciel
Où l’adieu d’un jeune ange épancha quelque miel?
Merci, mon Dieu. Merci de cette hymne profonde
Pleurante encore en moi dans les rires du monde
Alors que je m’assieds à quelque coin rêveur
Pour entendre ma mère en écoutant mon cœur:
Ce lointain au revoir de son âme à mon âme
Soutient en la grondant ma faiblesse de femme.
Comme au jonc qui se penche une brise en son cours
A dit: «Ne tombe pas. J’arrive à ton secours.»
Elle a fait mes genoux souples à la prière...
.....................
Triste de me quitter, cette mère charmante
Me léguant à regret la flamme qui tourmente
Jeune, à son jeune enfant tendit longtemps sa main,
Comme pour le sauver par le même chemin.
Et je restai longtemps, longtemps sans la comprendre,
Et longtemps à pleurer son secret sans l’apprendre,
A pleurer de sa mort le secret inconnu
Le portant tout scellé dans mon cœur ingénu
[p. 139]
Ce cœur signé d’amour comme sa tendre proie,
Où pas un chant mortel n’éveillait une joie.
On eût dit à sentir ses frêles battements
Une montre cachée où s’arrêtait le temps.
On eût dit qu’à plaisir il se retînt de vivre.
Comme un enfant dormeur qui n’ouvre pas son livre
Je ne voulais rien lire à mon sort, j’attendais;
Et tous les jours levés sur moi, je les perdais.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée
Ma mère était partie et tout m’avait quittée,
Le monde était trop grand, trop défait trop désert
Une voix seule éteinte en changeait le concert
Je voulais me sauver de ces dures contraintes
J’avais peur de ses lois, de ses mots, de ses craintes
Et ne sachant où fuir ses échos durs et froids,
Je me prenais tout haut à chanter mes effrois.
[39]
.....................
—
Oui l’enfance est poëte. Assise ou turbulente
Elle reconnaît tout empreint de plus haut lieu,
L’oiseau qui jette au loin sa musique volante
Lui chante une lettre de Dieu.
Ma sœur, ces jours d’été nous les courrions ensemble,
Je reprends sous leurs flots ta douce main qui tremble,
Je t’aime du bonheur que tu tenais de moi.
Et mes soleils d’alors se rallument sur toi.
.....................
—
Elle n’a plus d’enfant, sa tendresse est déserte!
Plus un rameau qui rit, plus une branche verte,
[p. 140]
Plus rien. Les seules fleurs qui s’ouvrent sous ses pas
Croissent où les vivants ne les dérobent pas.
—
♦Fragment♦
Ces beaux enfants si fiers d’entrer dans nos orages,
Rêvant leurs horizons, leurs jardins, leurs ombrages,
Moi, quand je les vois rire à ce prisme trompeur
Je veux rire et je
fonds en larmes dans mon cœur[40]
Et vous, n’avez-vous pas de ces pitiés profondes
Qui vous percent le sein comme feraient les ondes
En creusant goutte à goutte un caillou. Mille fois
J’ai voulu les instruire et j’ai gardé ma voix.
Que fait la chèvre errante au rocher suspendue
Qui rêve et se repent de sa route perdue?
Ose-t-elle effrayer, penchés sur le torrent,
Les chevreaux pris aux fleurs qu’emporte le courant?
Qu’irions-nous raconter à leur jeunes oreilles?
Que sert d’en soulever les couronnes vermeilles
Dont il plaît au printemps d’assourdir leur raison?
Ils ont le temps, pas vrai? Tout vient dans sa saison.
Oh! laissons-les aller sans gêner leur croissance.
Oh! dans leur
vie à jour[41] n’ont-ils pas l’innocence
Au pied d’un nid charmant parle-t-on d’oiseleur?
Tournons-les au soleil et restons au malheur!
Ou plutôt suivons-les: quelle que soit la route
Nous montons, j’en suis sûre, et jamais je ne doute;
J’épèle, comme vous avec humilité
Un mot qui contient tout, poëte: Éternité!
[p. 141]
De chaque jour tombé mon épaule est légère,
L’aile pousse et me tourne à ma nouvelle sphère[43]
A tous les biens ravis qui me disent adieu
Je réponds doucement: «Va m’attendre chez Dieu!»
Qu’en ferais-je après tout de ces biens que j’adore
Rien que les adorer, rien que les perdre encore!
J’attends. Pour ces trésors donnés, repris si tôt.
Mon cœur n’est pas éteint: il est monté plus haut.
—
Écoliers de ce temps, troupe alerte et bruyante
Où sont-ils vos présents jetés à l’eau fuyante,
Le livre ouvert, parfois vos souliers pour vaisseaux
Et vos petits jardins de mousse et d’arbrisseaux?
—
Et leur timbre profond d’où sort l’entretien sûr. (les parents)
—
Beau jardin si rempli d’œillets et de lilas
Que de le regarder on n’était jamais las.
.....................
Pour atteindre un rameau de ces calmes séjours
Qui souple s’avançait et s’enfuyait toujours:
Que de fois suspendus aux frêles palissades
Nous avons savouré leurs molles embrassades.
.....................
Nous faisions les doux yeux aux roses embaumées
Qui nous le rendaient bien, contentes d’être aimées!
.....................
C’était la seule porte incessamment ouverte
Inondant le pavé d’ombre ou de clarté verte
[p. 142]
Selon que du soleil les rayons ruisselants
Passaient ou s’arrêtaient aux feuillages tremblants.
.....................
♦Fragment♦
On ne saura jamais les milliers d’hirondelles
Revenant sous nos toits chercher à tire d’ailes
Les coins, les nids, les fleurs et le feu de l’été
Apportant en échange un goût de liberté.
.....................
C’était vous! D’aucuns nœuds vos mains n’étaient liées,
Vos petits pieds dormaient sur les branches pliées
Toute libre dans l’air où coulait le soleil
Un rameau sous le ciel berçait votre sommeil
Puis le soir on voyait d’une femme étoilée
L’abondante mamelle à vos lèvres collée.
Et partout se lisait dans ce tableau charmant
De vos jours couronnés le doux pressentiment.
De parfums, d’air sonore incessamment baisée
Comment n’auriez-vous pas été poétisée?
Que l’on s’étonne donc de votre amour des fleurs!
Vos moindres souvenirs nagent dans leurs couleurs
Vous en viviez, c’étaient vos rimes et vos proses
Nul enfant n’a jamais marché sur tant de roses!
Mon Dieu s’il n’en doit plus poindre au bord de mes jours
Que sur ma sœur de Flandre il en pleuve toujours.
—
Vois, si tu n’a pas vu, la plus petite fille
S’éprendre des soucis d’une jeune famille
Éclore à la douleur par le pressentiment
Pâlir pour sa poupée heurtée imprudemment
[p. 143]
Prier Dieu, puis sourire en berçant son idole
Qu’elle croit endormie au son de sa parole:
Fière du vague instinct de sa fécondité
Elle couve une autre âme à l’immortalité.
Laisse-lui ses berceaux: ta raillerie amère
Éteindrait son enfant... Tu vois bien qu’elle est mère!
—
Je ne dis rien de toi, toi, la plus enfermée
Toi
rentrée en mon sein[44]
—
Vos longs soleils, votre ombre, et vos vertes fraîcheurs.
Où les anges riaient dans nos vierges délires
Où nos fronts s’allumaient sous de chastes rougeurs.
.....................
O mes amours d’enfance, ô mes chastes amours!
.....................
O vous dont les miroirs se ressemblent toujours!
—
Qui, lorsque l’insomnie ouvrait mes yeux dans l’ombre
Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil?
—
La réputation commence avec la vie.
.....................
Vieux, va t’asseoir paisible au banc du souvenir.
—
Mes jours purs sous tes traits repassent devant moi.
.....................
Mon cœur a fait le tien, il s’y renfermera
.....................
[p. 144]
Que tes cheveux sont doux étends-les sur mes larmes
Comme un voile doré sur un noir souvenir!
.....................
Qu’un si petit visage enferme de portraits:
De tout ce que j’aimais tu m’offres quelques traits
Que d’anges envolés sans pouvoir les décrire
Dans ton sourire errant reviennent me sourire!
.....................
Quand on me leva seule et comme trop légère...
.....................
O femme aimez-vous par vos secrets de larmes,
Par vos devoirs sans bruit où s’effeuillent vos charmes;
Après vos jours d’encens dont j’ai bu la douceur
Quand vous aurez souffert appelez-moi: ma sœur!
—
Car au soleil couchant du fond de leurs familles
Glissaient au rendez-vous les plus petites filles
Pareilles aux ramiers que l’on se plaît à voir
S’abattre et s’étaler au bord de l’abreuvoir
Dans le gravier qui brille étaler leur plumage
Et roucouler entre eux leur bonheur sans nuage
.....................
Et quand vient me chercher le rêve aux longues ailes
—
Et je devins confuse en pesant mon devoir
.....................
♦Fragment♦
Nous qui portons les fruits sur la terre où nous sommes
Si fortes pour aimer, nous tendres sœurs des hommes
O mères, pourquoi donc les mettons-nous au jour,
Ces tendres fruits volés à notre ardent amour?
A peine ils sont à nous qu’on veut nous les reprendre
O mères, savez-vous ce qu’on va leur apprendre?
A trembler sous un maître, à n’oser, par devoir,
[p. 145]
Qu’une fois tous les ans demander à nous voir,
A détourner de nous leurs mémoires légères.
Alors que sauront-ils? Les langues étrangères,
Les vains soulèvements des peuples malheureux,
Et les fléaux humains toujours armés contre eux.
C’est donc beau? Mais le temps saurait les en instruire,
Candeur de mon enfant on va bien vous détruire!
—
Dire qu’il faut ainsi se déchirer soi-même,
Leur porter son enfant, seule vie où l’on s’aime,
Seul miroir de ce temps où les yeux sont pleins d’or
.....................
Son enfant! ce portrait, cette âme, cette voix,
Qui passe devant nous comme on fût une fois
.....................
Ses longs cheveux cendrés que je baisais toujours
[45]
Sans savoir que ce fût le livre de ces jours.
Tu baiseras les miens si l’amour me les donne,
Si tu sais où j’ai pris cette grave couronne.
—
♦Fragment♦
Vous du moins Vierge blanche immobile et soumise
Et seule au bord de l’eau pensivement assise,
Les mains sur votre cœur et vos yeux sur mes yeux,
Parlez-moi, Vierge mère, ô parlez-moi des cieux!
Parlez! vous qui voyez tout ce que j’ai dans l’âme.
Vous en avez pitié puisque vous êtes femme.
Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu
Ce fut le vôtre; eh bien, parlez-en donc à Dieu!
Sans reproche, sans bruit, douce reine des mères,
[p. 146]
Cachez dans vos pardons mes révoltes amères,
Couvrez-moi de silence, et relevez mon front
Baissé sous le chagrin comme sous un affront.
—
O champs paternels hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles
—
Et si tendre et si mère! et si semblable à Dieu!
FOI
Mon Dieu, je n’ose plus aimer qu’à vos genoux.
[p. 149]
La prière m’offrit sa douceur imprévue.
—
Et le pardon qui vint un jour de pénitence,
Dans un baiser de paix redorer l’existence.
—
♦Fragment♦
Et Dieu nous unira d’éternité. Prends garde!
Fais-moi belle de joie! et quand je te regarde,
Regarde-moi, jamais ne rencontre ma main
Sans la presser. Cruel! on peut mourir demain,
Songe donc! Crains surtout qu’en moi-même enfermée,
Ne me souvenant plus que je fus trop aimée
Je ne dise, pauvre âme oublieuse des cieux
Pleurant sous mes deux mains, et me cachant les yeux:
«Dans tous mes souvenirs je sens couler mes larmes;
Tout ce qui fit ma joie enfermait mes douleurs;
Mes jeunes amitiés sont empreintes des charmes
Et des parfums mourants qui survivent aux fleurs.»
—
Car j’ai là comme une prière
Qui pleure pour lui nuit et jour;
C’est la charité dans l’amour,
Ou c’est sa parole première.
Qu’elle enfermait d’âme et de foi.
Sa voix jeune et si tôt parjure.
[p. 150]
J’en parle à Dieu sans son injure
Pour que Dieu l’aime autant que moi.
—
Puis entre Dieu qui juge et ma crainte éblouie
Il étendra sa main
Ce nœud tissu par nous dans un ardent mystère
Dont j’ai pris tout l’effroi,
Il dira que c’est lui, si la peur me fait taire;
Et s’il brûla son vol aux flammes de la terre,
Je dirai que c’est moi.
—
Non qu’en frappant sur moi l’éternité s’apaise
—
Partout quelque oiseau chante au fond de mon sommeil
Naguère quand leurs traits dans l’ombre m’ont touchée
Je m’en allai vers Dieu; j’y retourne aujourd’hui
Car sa main est pour tous, et je m’y sens cachée.
.....................
Et sous cette main qui délivre
J’entrerai comme tous aux cieux.
Là leur or ne pourra les suivre;
Moi je n’y porterai qu’un livre
Fermé maintenant à leurs yeux.
Ce livre, ce cœur plein d’orages
Plein d’abîmes et plein de pleurs
Déchiré dans toutes ses pages
Dieu, sauveur de tous les naufrages
Aura la clef de ses douleurs.
—
[p. 151]
D’où vient, sinon d’en haut cette lumière étrange
Dans les moments profonds que nous ouvre le sort.
—
Sur la terre où rien n’est durable
Que d’espérer.
..............
Dites moi si dans votre monde
La mémoire est calme et profonde.
—
J’ai levé mes deux mains entre vous et ma crainte
.....................
Je fuyais. Mais, Seigneur! votre incessante flamme
Perçait de mes détours les fragiles remparts
Et dans mon cœur fermé rentrait de toutes parts.
—
Quand plus rien ne s’allume aux sombres horizons
Et que la lune marche à travers un long voile
O Vierge! ô ma lumière! en regardant les cieux
Mon cœur qui croit en vous voit rayonner vos yeux.
.....................
Et tous les passagers l’un à l’autre inconnus
Se regardent disant: «D’où sommes-nous venus?»
—
Ne me reviendras-tu que dans l’éternité?
—
La prière toujours allumant son sourire
Quand l’ange gardien passe et l’aide à la mieux dire.
—
[p. 152]
Fais tant et si souvent l’aumône
Qu’à ce doux travail occupé
La mort te trouve et te moissonne
Comme un lys pour le ciel coupé
[46]
—
Elle allait chantant d’une voix affaiblie
Mêlant la pensée au lin qu’elle allongeait
Courbée au travail comme un pommier qui plie
Oubliant son corps d’où l’âme se délie
....................
Ne passez jamais devant l’humble chapelle
Sans y rafraîchir les rayons de vos yeux
....................
Et c’est sans mourir une visite aux cieux.
....................
[p. 153]
N’ouvrez pas votre aile aux gloires défendues,
De tous les lointains juge-t-on la couleur?
Les voix sans écho sont les mieux entendues,
Dieu tient dans ses mains les clefs qu’on croit perdues
De tous les secrets lui seul sait la valeur.
—
Je vais au désert plein d’eaux vives
Laver les ailes de mon cœur
Car je sais qu’il est d’autres rives
Pour ceux qui vous cherchent, Seigneur.
...............
Vous qui comptez les cris fervents
—
Lui dont les bras cloués ont brisé tant de fers
[47]
—
Je vous obtiens déjà puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.
—
Ne dis jamais: «Personne» où l’abandon te prend
—
Sous le toit d’aubépines
Qui lui sert de palais
L’oiseau chante matines
Dans l’arbre pur et frais.
Les enfants du village
Sont ses anges élus
Et les bruits du feuillage
Lui sonnent l’Angélus!
—
[p. 154]
Doux Maître! nous venons sans passé, sans remords
Vous prier tendrement pour nos frères les morts.
Qu’ils sortent du tombeau comme nous de nos langes
Doux Père! accordez-leur encor des ailes d’anges.
Si pour les racheter nous n’avons pas de pleurs,
Dieu des petits enfants, prenez toutes nos fleurs.
—
En regardant couler nos flots
Penché sur ce monde qu’il aime
Jésus triste au fond de lui-même
Retrouve de divins sanglots.
NATURE
Charme des blés mouvants, fleurs des grandes prairies,
Tumulte harmonieux élevé des champs verts.
[p. 157]
L’oiseau silencieux fatigué de bonheur,
Le chant vague et lointain du jeune moissonneur
—
Le printemps est si beau, sa chaleur embaumée
Descend au fond des cœurs réveillés et surpris
Une voix qui dormait, une ombre accoutumée
Redemande l’amour à nos sens attendris.
—
Car l’imprévoyante colombe
Qui librement passait dans l’air
Au trait parti comme l’éclair
Tressaille, tourne, expire et tombe,
Aux pieds du tranquille chasseur
Et nul ange ici-bas n’a vengé sa douceur!
—
Va. Tu n’as que le temps de deviner l’amour! (l’éphémère)
Né dans le feu, ton vol en cercles s’y déploie
Et sème des anneaux de lumière et de joie.
.....................
Nul adieu ne viendra gémir dans l’harmonie
De ton jour de musique et d’ivresse infinie.
.....................
Les feuillets de ton sort sont des feuilles de rose.
.....................
Tu n’as point à traîner ton cœur lourd comme un livre
—
La nuit se sillonnait de songes transparents.
—
[p. 158]
Ils ne se faisaient qu’un pour être à deux toujours!
.....................
On eut dit qu’ils s’aimaient jusqu’à manquer d’haleine.
Je ne les plaignais pas d’être roseaux, j’aimais.
Et de ce frais hymen montait une harmonie
Qui parlait! qui chantait! Triste, intime, infinie
.....................
Souvent d’un rossignol la nocturne prière
Descendait se mouiller dans leurs frissons charmants
—
Viens, on dirait la nuit au fonds des bois couchée,
Pas une aile d’oiseau n’éveille l’air encor.
Le rossignol se tait quand la lune est cachée
Hors toi, sous tes parfums, fleur brûlante et penchée
La nuit enchaîne tout dans son muet accord.
Viens, les premiers lilas sous l’ombre et la verdure
Soufflent au loin leur nom, leur forme, leurs couleurs
La terre ne dort pas, elle ouvre sa ceinture,
Son sourire invisible encense la nature
Et son hymne au soleil va s’élancer des fleurs.
—
Les pigeons sans lien sous leur robe de soie
Mollement envolés de maison en maison,
Dont le fluide essor entraînait ma raison;
Les arbres, hors des murs penchant leurs têtes vertes;
Jusqu’au fond des jardins les demeures ouvertes,
Le rire de l’été sonnant de toutes parts...
—
La lune large avant la nuit levée
Comme une lampe avant l’heure éprouvée
—
Les rumeurs du jardin disent qu’il va pleuvoir.
Tout tressaille averti de la prochaine ondée
....................
[p. 159]
Laissez pleuvoir, ô cœurs solitaires et doux.
—
Là-bas les ramiers blancs flottaient à longues voiles
Et semblaient en plein jour de filantes étoiles
—
Jeune on a tant aimé ces
parcelles de feu.
[48] (abeilles)
Ces gouttes de soleil dans notre azur qui brille
Dansant sur le tableau lointain de la famille
Visiteuses des bleds où logent tant de fleurs,
Miel qui vole émané des célestes chaleurs
J’en ai tant vu passer dans l’enclos de mon père
Qu’il en fourmille au fond de tout ce que j’espère...
—
Pas une aile à l’azur ne demande à s’étendre
Pas un enfant ne rôde aux vergers obscurcis.
—
Oui la nuit à jamais, promets-la moi, je l’aime
Avec ses astres blancs, ses flambeaux, ses sommeils
—
Allez la mer! Allez, navire enflé de voiles
La danse vous salue au fonds de vos couleurs.
—
Ma mère, entendez-vous quand la lune est levée
L’oiseau qui la salue au fond de sa couvée?
Ne fait-il pas rêver les arbres endormis?
[49]
—
Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule,
Sous le cygne endormi, l’eau du lac bleu s’écoule
—
[p. 160]
Le Christ est beau, je l’aime et je joue au calvaire
Où j’ai fait un jardin tout bleu de primevère
—
L’orme et le tilleul versent leur ombre noire
—
Ce papillon tardif que la fraîcheur attire
Baise dans vos cheveux les lilas effeuillés
—
On avait couronné la vierge moissonneuse
Le village à la ville était joint par des fleurs.
L’AMOUR DES FLEURS
Il semble que les fleurs alimentent ma vie.
[p. 163]
Vois dans l’eau, vois ce lys dont la tête abaissée
Semble se dérober au sourire des cieux.
—
Dieu couvrez-le des fleurs qu’en silence il cultive.
—
En voyant fuir mes fleurs que n’attendait personne
—
Fleur naine et bleue et triste où se cache un emblème (myosotis)
Où l’absence a souvent respiré le mot: J’aime!
Où l’aile d’une fée a laissé des couleurs
Toi qu’on devrait nommer le colibri des fleurs
.....................
Va donc comme un œil d’ange éveiller son courage.
—
Quand l’oiseau sans musique erre aux champs sans couleurs,
Je ne me sens pas vivre et je ressemble aux fleurs
Aux pauvres fleurs baissant leurs têtes murmurantes
Et qu’on prendrait de loin pour des âmes pleurantes.
—
Un ruban gris qui serpentait dans l’herbe
De réséda nouant l’humide gerbe
—
Et votre vie à l’ombre est un divin moment
—
Inclinez-vous le soir, sur les dernières larmes
Qui s’épanchent sur vous du fond de mes secrets.
[p. 164]
.....................
Par les beaux clairs de lune aux lambris de ma chambre
Que de bouquets mourants vous avez fait pleuvoir!
.....................
Sortis de vos plis verts où les jasmins respirent
Que de songes sur moi vinrent causer le soir!
—
Croyant que les fleurs ont aussi leurs familles
Et savent pleurer comme les jeunes filles.
L’AMOUR DE L’EAU
Que vos ruisseaux clairs dont les bruits m’ont parlé
Humectent sa voix d’un long rythme perlé...
[p. 167]
Si son ombre a passé dans votre eau fugitive,
Nymphe
.....................
Si l’image qui fuit vous devient étrangère
De quoi vous plaignez-vous, nymphe sans souvenir?
—
Ce ruisseau paraît calme, et pourtant il soupire,
On ne sait trop s’il fuit, s’il cherche, s’il attend,
Mais il est malheureux puisque mon cœur l’entend.
.....................
On le dirait joyeux de caresser des fleurs
.....................
Si je pouvais chanter je ne l’entendrais pas.
—
Que la fleur soit contente en s’y voyant éclore.
.....................
Appelant un secret qu’elle ne comprend pas
.....................
Une image nouvelle y glisse tous les jours
—
Quand le dernier rayon d’un jour qui va s’éteindre
Colore l’eau qui tremble et qui porte au sommeil
—
Si mon étoile brille
Et trace encor mon nom dans la Scarpe d’argent.
—
[p. 168]
Viens ranimer le cœur séché de nostalgie
Le prendre et l’inonder d’une fraîche énergie.
En sortant d’abreuver l’herbe de nos guérets
Viens, ne fût-ce qu’une heure, abreuver mes regrets.
.....................
♦Fragment♦
Sur toi dont l’eau rapide a délecté mes jours
Et m’a fait cette voix qui soupire toujours.
Dans ce poignant amour que je m’efforce à rendre
Dont j’ai souffert longtemps avant de le comprendre
Comme d’un pâle enfant on berce le souci
Ruisseau, tu me rendrais ce qui me manque ici.
Ton bruit sourd se mêlant au rouet de ma mère
Enlevant à son cœur quelque pensée amère
Quand pour nous le donner elle cherchait là-bas
Un bonheur attardé qui ne revenait pas.
Cette mère, à ta rive elle est assise encore,
La voilà qui me parle, ô mémoire sonore!
O mes palais natals qu’on m’a fermés souvent
La voilà qui les rouvre à son heureuse enfant.
Je ressaisis sa robe, et ses mains, et son âme!
Sur ma lèvre entr’ouverte elle répand sa flamme
Non! par tout l’or du monde on ne me paîrait pas
Ce souffle, ce ruisseau qui font trembler mes pas!
—
♦Fragment♦
Un ruisseau, frais enfant d’une source cachée
Promenait sur les fleurs son humide cristal;
L’herbe au pied du miroir n’était jamais penchée;
Il y versait la vie à flot toujours égal.
Harmonieux passant son mobile murmure
Enchantait la nature:
[p. 169]
Un doux frémissement, quand de ses molles eaux
Il mouillait les roseaux
Avertissait au loin quelque nymphe altérée
Qu’un filet d’eau coulait sous les saules tremblants;
Et la bergère, au soir, dans la glace épurée
Venait baigner ses pieds brûlants.
—
♦Fragment♦
Toi ne passe jamais à l’angle de la rue,
Où notre église encor n’est pas toute apparue
Sans t’arrêter au bruit qui filtre sous tes pas
Pour écouter un peu ce qu’il chante tout bas.
Il chante le passé, car il a vu nos pères;
Il a la même voix que dans nos temps prospères!
Livre tes longs cheveux au ruisselant miroir
Et regarde longtemps ce que j’y voudrais voir!
Ton visage étoilé dans les cercles humides
Parsemant leurs clartés de sources limpides
Et les multipliant au fond du puits songeur
Pour y porter le jour, comme ils font dans mon cœur!
Alors qu’il soit béni, le salubre nuage
Ayant de tous les tiens miré l’errante image!
Monte sur la margelle et bois à ton plein gré
Son haleine qui manque à mon sang altéré!
LE RYTHME
Sonore tremblement qui m’attriste et que j’aime.
[p. 173]
Leur prestige est si doux pour un cœur attristé. (les vers)
—
Cet art consolateur d’une âme déchirée.
—
Pourquoi déifier vos immobiles peines?
—
LE SILENCE
Moi, je veux du silence, il y va de ma vie!
[p. 177]
Voilà le souvenir au pénétrant silence;
Sans philtre, sans breuvage, il endort la douleur.
—
Un coin vert où jamais on n’entend rien gémir
J’y voudrais bien aller! j’y voudrais bien dormir!
S’il vous plaît, qu’on m’y porte. Il me faut du silence
Un saule au doux frisson que l’air baigne et balance.
.....................
Tant de bruits sur la terre ont étourdi mon âme!
—
Béni soit le coin sombre où s’isole mon cœur!
—
Cherchant de l’ombre à part afin d’oser dormir!
—
Déjà son esprit prenant goût au silence.
ÉTERNITÉ
Et Dieu nous unira d’éternité...
[p. 181]
Que je lui dise: «Viens, plus d’absence entre nous,
Viens, j’expiai pour toi ton infidèle flamme»
Il me reconnaîtra. Saisi d’un doux remords
Il ne verra plus que mon âme,
Il me trouvera belle alors.
—
Et ta main, du repos marquant l’étroit espace
Y jeta quelques fleurs pour y garder ta place.
—
Et moi, quand dans la tombe on me fera descendre
Des papillons légers voleront-ils sur moi?
Les oiseaux viendront-ils y chanter sans effroi?
Les rayons du soleil toucheront-ils ma cendre?
—
Et le pauvre interdit à ta porte fermée
.....................
Humble fille de la nature
[50]
Elle aimait la fleur sans culture
Qui naît et meurt au fond des bois.
Son âme brûlante et craintive
Aimait l’eau mobile et plaintive.
Qui répond aux plaintives voix.
Comme l’impatiente abeille
Quitte une rose moins vermeille
[p. 182]
Emportant dans les airs son parfum précieux
Cette jeune Albertine en silence éveillée
Quittant avant le soir sa couronne effeuillée
Vient de s’en retourner aux cieux.
.....................
Pourquoi ces tendres fleurs dans leur avril écloses
Tombent-elles souvent sans attendre l’été?
—
On verra par mes soins, quelque feuille de lierre
De son étroit asile embrasser le contour.
—
Contemplez ce nuage. Hélas! il nous ressemble,
Il va vite. En courant, levez parfois les yeux.
N’ayez peur, mes amis, je serai dans les cieux.
[51]
—
Depuis j’allai m’asseoir aux tombes délaissées,
Leur tranquille silence éveillait mes pensées,
Y cueillir une fleur me semblait un larcin.
.....................
Autrefois... qu’il est loin le jour de son baptême
Nous entrâmes au monde un jour qu’il était beau:
Le sel qui l’ondoya fut dissous sur moi-même,
Et le prêtre pour nous n’alluma qu’un flambeau.
.....................
Oui, je reconnaîtrai tes traits pâles, charmants,
Miroirs de la piété qui marchait sur tes traces,
Qui pleurait dans ta voix, angélisait tes grâces,
Et qui s’enveloppait dans tes doux vêtements.
.....................
[p. 183]
Oui tu ne m’es qu’absente, et la mort n’est qu’un voile
Albertine! et tu sais l’autre vie avant moi.
Un jour j’ai vu ton âme aux feux blancs d’une étoile,
Elle a baisé mon front, et j’ai dit: «c’est donc toi!»
—
Enfant, quand je pleurais, sans le voir de mes yeux
D’un ange, autour de moi, je sentais la présence.
.....................
Et je ne l’entends plus. J’entends toujours mon âme!
Toujours elle se plaint; jamais elle ne dort:
Et cette âme où passa tant de pleurs, tant de flamme,
Le ciel qui la sait toute en voudra-t-il encor?
—
Car on dit que longtemps encore
L’âme retourne au monument,
Glissant du ciel à chaque aurore
Pour épier ce qu’elle adore
Et que parfois c’est vainement.
—
L’homme achète longtemps le bienfait de la mort.
—
Et le vrai, c’est la mort!—et j’attends son secret.
.....................
Oh! ce sera la vie. Oh! ce sera vous-même,
Rêve, à qui ma prière a tant dit: je vous aime.
Ce sera pleur par pleur et tourment par tourment
Des âmes en douleurs le chaste enfantement.
—
O vie! ô fleur d’orage! ô menace! ô mystère!
O songe aveugle et beau!
Réponds! ne sais-tu rien en passant sur la terre
Que ta route au tombeau?
—«Ingrate, a dit la vie, à qui donc l’espérance,
Fruit divin de ma fleur?
[p. 184]
Vous retournerez-vous vers un jour de souffrance
Dans l’éternel bonheur?
Si vous n’entendez pas tant de voix éternelles,
Que sert de vous parler?
Vos pieds sont las, pliez! Dieu vous mettra des ailes,
Et vous pourrez voler.
De vos fronts consternés, mères inconsolables
Les cyprès tomberont,
Quand, pour vous emmener, messagers adorables,
Vos enfants descendront.
Vos sanglots se perdront dans de longs cris de joie,
Quand vous verrez la mort
Bercer aux pieds de Dieu son innocente proie
Comme un agneau qui dort.
La mort, qui reprend tout, sauve tout sous ses ailes;
Sa nuit couve le jour,
Elle délivre l’âme, et les âmes entre elles
Savent que c’est l’amour!»
[52]
—
Un enfant plus léger, plus peureux de la terre
Et qui s’en retournait habillé de mystère
—
J’ai peur de voir tomber les voiles de mon âme
J’ai peur qu’elle s’en aille à la porte des cieux
Pleurer longtemps et nue, et devant bien des yeux.
—
[p. 185]
Mourir! on ne meurt pas quand on le pense. Une âme
Prend ses ailes longtemps avant de s’envoler.
—
Peut-être qu’à son insomnie
Ton âme suspendue un soir
De sa pénitence finie,
Viendra respirer et s’asseoir
Puis ouvrant doucement la porte
Du séjour où Dieu la remporte
Elle me dira: «Ne crains rien»
Les cieux sont grands, les morts sont bien.
J’ai déjà tant d’âmes aimées
Sous ce lugubre vêtement!
Tant de guirlandes parfumées
Qui pendent au froid monument,
Par le souffle mortel atteintes
D’où mon nom sortait plein d’amour,
Et qui m’appelleront un jour!
Notre corps ne faisait plus d’ombre
Comme dans ce triste univers
Et notre âme n’était plus sombre:
Le soleil passait au travers.
—
La mort vient de fermer les plus beaux yeux du monde,
Nous ne les verrons plus qu’en regardant les cieux.
.....................
O beauté souveraine à travers tous les voiles.
[53]
Tant que les noms aimés retourneront aux cieux
[p. 186]
Nous chercherons Delphine à travers les étoiles
Et son doux nom de sœur humectera nos yeux.
—
Tel qu’un homme hâté s’arrête de courir
Et dit en lui: «C’est vrai pourtant il faut mourir.»
Puis qui reprend sa route avec la tête basse
Comme si d’un fardeau son épaule était lasse?
Ah! c’est que des points noirs troublent un ciel vermeil
Quand nos yeux éblouis ont trop vu de soleil...
—
Elle entre, et bien des yeux qui paraissent fermés (la lune)
Sont par des pleurs sans bruit ouverts et consumés.
.....................
N’as-tu pas pour cortège un flot de jeunes âmes
Mêlant à ses lueurs de vacillantes flammes
.....................
Nous avons mis leurs noms sous des touffes de roses
.....................
Merci! toi qui descends des divines montagnes
Pour éclairer nos morts épars dans les campagnes
Dans leur étroit jardin tu viens les regarder,
Et contre l’oubli froid tu sembles les garder.
.....................
Au bout de tes rayons promenés sur nos fleurs,
Comme un encens amer prends un peu de mes pleurs.
.....................
—
Plus loin des moissonneurs penchés sur leur faucille
Devinaient et plaignaient ce poids de jeune fille
Au deuil blanc, car pressé de vivre et de souffrir
L’homme partout s’attarde à regarder mourir.
—
[p. 187]
Tandis que de ses yeux la mémoire infidèle
S’effaçait, comme on voit aux approches du soir
Par degrés se ternir les clartés d’un miroir
—
Faite à souffrir
Devant pour être morte,
Si peu mourir.
.............
Quand l’autre moissonneuse
Forte en tous lieux
—
Quand la nuit descendit sur l’ardent paysage
Quand tout bruit s’effaça l’astre au tendre visage
Vers une croix nouvelle allongea ses fils d’or
Comme un baiser de mère à son enfant qui dort.
—
Le sourire défaille à la plaie incurable
.....................
Adieu sourire, adieu jusque dans l’autre vie
Si l’âme, du passé n’y peut être suivie!
Mais si de la mémoire on ne doit pas guérir.
A quoi sert, ô mon âme, à quoi sert de mourir?
—
Il est du moins au-dessus de la terre
Un champ d’asile où monte la douleur;
J’y vais puiser un peu d’eau salutaire
Qui du passé rafraîchit la couleur.
—
Par un rêve dont la flamme
Éclairait mes yeux fermés
.............
Viens ne crains pas leur silence
Ni leurs yeux ouverts sans voir
[p. 188]
Le sommeil qui les balance
N’a de vivant que l’espoir.
Sous une forme reprise
Et qui nous ressemblera
Avec un cri de surprise
Chacun se reconnaîtra.
Quoi, c’est lui! c’est toi! c’est elle!
Retentira de partout,
Et l’on proclamera belle
La mort vivante et debout.
[54]
—
Et pour gagner l’autre vie
Retourne avec les mourants.
—
Ah! je sens que je fus colombe
En voyant vos ailes s’ouvrir (oiseaux)
Et pour vous suivre par la tombe
J’ai déjà moins peur de mourir.
—
Oui le Pylade ailé de ta coureuse enfance
Doux et muet témoin de tes ébats naïfs
Qui se laissait aimer et gronder sans défense
Qui savait te répondre en murmures plaintifs
Ton camarade est mort.
....................
Ce qu’on aime est si triste ainsi gisant et froid
....................
[p. 189]
A ton beau ramier bleu tu penseras toujours
—
Dans votre épreuve solitaire
Ne demandez pas le bonheur.
Sa semence est dans votre cœur
Et n’éclora pas sur la terre
—
Et mes bras s’étendaient pour imiter leurs ailes
....................
Oui la rose a brillé sur mon riant voyage
Tous les yeux l’admiraient dans son jeune feuillage;
[55]
L’étoile du matin l’aidait à s’entr’ouvrir
Et l’étoile du soir la regardait mourir.
Vers la terre déjà sa tête était penchée;
L’insecte inaperçu s’y creusait un tombeau
La feuille murmurait en tombant desséchée
Déjà la nuit: déjà... Le jour était si beau!
—
♦Fragment♦
Venez-vous en courant dire: Préparez-vous
Bientôt vous quitterez ce que l’on croit la vie.
Celle qui vous attend seule est digne d’envie:
Ah! venez dans le ciel la goûter avec nous!
Ne craignez pas, venez! Dieu règne sans colère;
De nos destins charmants vous aurez la moitié.
Celle qui pleure, hélas! ne peut plus lui déplaire;
Le méchant même a sa part de pitié.
Sous sa main qu’il étend, toute plaie est fermée;
Qui se jette en son sein ne craint plus l’abandon;
Et le sillon cuisant d’une larme enflammée
S’efface au souffle du pardon.
Embrassez-nous! Dieu nous rappelle
Nous allons devant vous, mères ne pleurez pas!
[p. 190]
—
L’amour ce ciment des âmes
.............
Là-bas où finit la terre
Rejoint la mère à l’enfant
—
De tendresse et de mystère
Dès qu’il eut rempli ces lieux
—
Qui sait si votre enfant qui flotte dans vos larmes
N’a pas au seuil de Dieu rencontré mon enfant?
Qui sait si leurs mains d’ange un moment réunies
N’ont pas pesé là-haut nos peines infinies
Et pleurant de l’amour qu’on leur garde en ce lieu
N’ont pas compté nos pleurs pour les offrir à Dieu?
—
Comme si mon enfant puissante avec douceur
—
Une femme pleurait des pleurs d’une autre femme
Elles ont leurs secrets qu’elles plaignent toujours...
Celle qui regardait reconnaissait son âme
.....................
—
Vous qui n’avez jamais parlé
Dans notre monde désolé
N’apprenez pas la langue austère
Et les durs sanglots de la terre.
Envolez-vous, mais, par pitié,
De nos pleurs portez la moitié
Dans le manteau bleu de la vierge;
Et nous brûlerons un beau cierge
[p. 191]
Au pied de votre blanc berceau
Pour que l’arbre et son arbrisseau
Revivent aux montagnes pures,
Loin des autans, loin des souillures,
Loin de ce monde désolé
Où vous n’avez jamais parlé.
[56]
PIÈCES A LIRE[57]
|
(Édition Lemerre) |
|
Pages |
Tomes |
Les roses de Saadi |
273 |
II |
La prière perdue |
45 |
I |
Croyance |
11 |
II |
La vie et la mort du ramier |
198 |
I |
Les cloches et les larmes |
267 |
II |
Pour endormir l’enfant |
97 |
III |
Dormeuse |
70 |
III |
Le nuage et l’enfant |
109 |
III |
L’enfant et la foi |
206 |
III |
Les enfants à la communion |
201 |
III |
Prière des orphelins |
262 |
III |
Au soleil |
204 |
III |
Prison et printemps |
105 |
II |
Refuge |
336 |
II |
Renoncement |
354 |
II |
La couronne effeuillée |
350 |
II |
[p. 195]
LA VIE ET LA MORT DU RAMIER
De la colombe au bois c’est le ramier fidèle;
S’il vole sans repos, c’est qu’il vole auprès d’elle;
Il ne peut s’appuyer qu’au nid de ses amours,
Car des ailes de feu l’y réchauffent toujours!
Laissez battre et brûler deux cœurs si bien ensemble;
Leur vie est un fil d’or qu’un nœud secret assemble,
Il traverse le monde et ce qu’il fait souffrir:
Ne le déliez pas! Vous les feriez mourir!
Ils ne veulent à deux qu’un peu d’air, un peu d’ombre,
Une place au ruisseau qui rafraîchit le cœur;
Seuls, entre ciel et terre, un nid suave et sombre,
Pour s’entre-aider à vivre, ou cacher leur bonheur!
Quand vous ne verrez plus passer par ce rivage
Cette blanche moitié de la colombe aux bois,
N’allez pas croire au moins que l’un d’eux soit volage:
Bien qu’ils aiment toujours, ils n’aiment qu’une fois!
Laissez-vous entraîner sur leurs traces perdues
Vers le nid, doux sépulcre alors silencieux,
Et vous y trouverez quatre ailes détendues
Sur deux cœurs mal éteints rallumés dans les cieux!
[p. 197]
DORMEUSE
Si l’enfant sommeille,
Il verra l’abeille,
Quand elle aura fait son miel,
Danser entre terre et ciel,
Si l’enfant repose,
Un ange tout rose,
Que la nuit seule on peut voir,
Viendra lui dire: «Bonsoir!»
Si l’enfant est sage,
Sur son doux visage
La Vierge se penchera,
Et longtemps lui parlera,
Si mon enfant m’aime,
Dieu dira lui-même:
«J’aime cet enfant qui dort;
Qu’on lui porte un rêve d’or!
[p. 198]
«Fermez ses paupières,
Et sur ses prières,
De mes jardins pleins de fleurs,
Faites glisser les couleurs.
«Ourlez-lui des langes
Avec vos doigts d’anges,
Et laissez sur son chevet
Pleuvoir votre blanc duvet.
«Mettez-lui des ailes
Comme aux tourterelles,
Pour venir dans mon soleil
Danser jusqu’à son réveil!
«Qu’il fasse un voyage
Aux bras d’un nuage,
Et laissez-le, s’il lui plaît,
Boire à mes ruisseaux de lait!
«Donnez-lui la chambre
De perles et d’ambre,
Et qu’il partage en dormant,
Nos gâteaux de diamant!
«Brodez-lui des voiles
Avec mes étoiles,
Pour qu’il navigue en bateau
Sur mon lac d’azur et d’eau!
[p. 199]
«Que la lune éclaire
L’eau pour lui plus claire,
Et qu’il prenne au lac changeant
Mes plus fins poissons d’argent!
«Mais je veux qu’il dorme
Et qu’il se conforme
Au silence des oiseaux
Dans leurs maisons de roseaux!
«Car si l’enfant pleure,
On entendra l’heure
Tinter partout qu’un enfant
A fait ce que Dieu défend!
«L’écho de la rue
Au bruit accourue,
Quand l’heure aura soupiré,
Dira: «L’enfant a pleuré!»
«Et sa tendre mère,
Dans sa nuit amère,
Pour son ingrat nourrisson
Ne saura plus de chanson!
«S’il brame, s’il crie,
Par l’aube en furie
Ce cher agneau révolté
Sera peut-être emporté!
[p. 200]
«Un si petit être
Par le toit, peut-être,
Tout en criant, s’en ira,
Et jamais ne reviendra!
«Qu’il rôde en ce monde,
Sans qu’on lui réponde!
Jamais l’enfant que je dis,
Ne verra mon paradis!
«Oui! mais s’il est sage
Sur son doux visage
La Vierge se penchera,
Et longtemps lui parlera.»
[p. 201]
RENONCEMENT
Pardonnez-moi, Seigneur, mon visage attristé,
Vous qui l’aviez formé de sourire et de charmes;
Mais sous le front joyeux vous aviez mis les larmes,
Et de vos dons, Seigneur, ce don seul m’est resté.
C’est le moins envié, c’est le meilleur peut-être.
Je n’ai plus à mourir à mes liens de fleurs;
Ils vous sont tous rendus, cher auteur de mon être,
Et je n’ai plus à moi que le sel de mes pleurs.
Les fleurs sont pour l’enfant; le sel est pour la femme:
Faites-en l’innocence et trempez-y mes jours,
Seigneur! quand tout ce sel aura lavé mon âme,
Vous me rendrez un cœur pour vous aimer toujours!
Tous mes étonnements sont finis sur la terre,
Tous mes adieux sont faits, l’âme est prête à jaillir
Pour atteindre à ses fruits protégés de mystère
Que la pudique mort a seule osé cueillir.
O Sauveur! soyez tendre au moins à d’autres mères,
Par amour pour la vôtre et par pitié pour nous!
Baptisez leurs enfants de nos larmes amères,
Et relevez les miens tombés à vos genoux!
[p. 203]
LA COURONNE EFFEUILLÉE
J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute fleur;
J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée:
Mon père a des secrets pour vaincre sa douleur.
J’irai, j’irai lui dire, au moins avec mes larmes:
«Regardez, j’ai souffert...» Il me regardera,
Et, sous mes jours changés, sous ma pâleur sans charmes,
Parce qu’il est mon père il me reconnaîtra.
Il dira: «C’est donc vous, chère âme désolée,
La terre manque-t-elle à vos pas égarés?
Chère âme, je suis Dieu: ne soyez plus troublée;
Voici votre maison, voici mon cœur, entrez!...»
O clémence! ô douceur! ô saint refuge! ô Père!
Votre enfant qui pleurait vous l’avez entendu!
Je vous obtiens déjà puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.
Vous ne rejetez pas la fleur qui n’est plus belle;
Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle,
Non d’avoir rien vendu, mais d’avoir tout donné!
ERRATA
Pages |
Au lieu de: |
Lisez: |
51 |
souvent pleines d’envol |
parfois pleines d’envol |
62 |
le froid |
ton poids |
68 |
complot |
sanglot |
71 |
préférais |
préférerais |
72 |
Gauthier |
Gautier |
99 |
pour quoi |
pourquoi |
153 |
prends |
prend |
186 |
C’est vrai |
C’est vrai pourtant |
TABLE
Avant-propos |
I |
Prologue |
11 |
I |
13 |
II |
27 |
III |
43 |
IV |
53 |
Appendice |
81 |
Essai de classification |
89 |
Pièces à lire |
193 |
IMPRIMERIE G. RICHARD 5, RUE DE LA PERLE, PARIS
Au lecteur.
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