The Project Gutenberg EBook of Proses moroses, by Remy de Gourmont

This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
whatsoever.  You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
www.gutenberg.org.  If you are not located in the United States, you'll have
to check the laws of the country where you are located before using this ebook.

Title: Proses moroses

Author: Remy de Gourmont

Release Date: August 17, 2018 [EBook #57712]

Language: French

Character set encoding: UTF-8

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PROSES MOROSES ***




Produced by Clarity, Pierre Lacaze and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by The Internet Archive/Canadian Libraries)






[Pg 2]

PROSES MOROSES

DU MÊME AUTEUR

ROMAN:
Sixtine (2e édition) 3 fr. 50
Le Fantôme (2 lithographies de Henry de Groux) 4 fr. »
Histoires magiques (lithographie de Henry de Groux) 5 fr. »
THÉATRE:
Théodat 2 fr. 50
Lilith (2e édition) 3 fr. »
Histoire tragique de la princesse Phénissa 2 fr. 50
PROSES:
Litanies de la Rose (presque épuisé) 2 fr. »
Fleurs de Jadis 2 fr. 50
CRITIQUE:
Le Latin Mystique (préface de Huysmans, dessin de Filiger) (2e édition) 12 fr. »
L'Idéalisme (dessin de Filiger) 2 fr. 50

Il reste de ces éditions quelques exemplaires sur divers papiers de luxe, Hollande, Chine, Japon, etc.

[Pg 3]


REMY DE GOURMONT

PROSES

MOROSES

A PARIS ÉDITION DU MERCVRE DE FRANCE XV, RUE DE L'ÉCHAUDÉ

Deuxième édition.

[Pg 5]


LIVRE I

QUELQUES UNS


[Pg 7]

DISTRACTION MATINALE

A Laurent Tailhade.

Afin d'exercer la plus amère méchanceté, Primary, vêtu ainsi qu'un riche cosmopolite, entra.

«(Amabilités, la pluie, le beau temps, comme si la faillite ne la menaçait pas! Cette femme serait-elle dissimulatrice? Oh! je verrai dans le clair de ses yeux bleus la joie de la résurrection, et tout de suite après, au coin des paupières, deux larmes que j'aurai su évoquer, sans en avoir l'air. Robe noire de veuve, trois petits enfants. Sont-ils gentils, petits anges! On m'a dit cinquante ou seulement trente mille francs? Trente, mais le plus gros chiffre, qui ne me[Pg 8] coûte rien, est une garantie que je dois prendre, dans mon propre intérêt, pour la réussite absolue de l'opération). Il me faut, madame quelques anneaux, boucles, parures, brimborions, mais je suis assez difficile, n'étant pas amoureux, et disposé, opinant pour autrui, sans nulle commission, entendez-le! à de sérieux marchandages. Je ne dépasserai pas, quelle que soit la qualité des tentations (Elle est suspendue à mes lèvres, c'est le mot...), cinquante... Ce sont vos enfants, trois petites filles, en vérité, trois petites filles!... Je ne dépasserai pas, dis-je, cinquante... Charmantes créatures... mille francs (Elle a pâli, elle porte la main à son cœur... Un grand, grand soupir... Nerveusement, elle saisit une des petites filles et la serre contre sa poitrine, l'embrasse, affolée... Elle ouvre la vitrine à double glace, sa main tremble...) Je n'ai que cette somme sur moi et je paie toujours comptant.

—Oh! monsieur, vous êtes de ceux... auxquels... la confiance...

—Voyons, un dernier calcul... oui c'est bien cela, cinquante francs[Pg 9] et rien de plus.

—J'avais cru entendre... Allez-vous-en, mes pauvres petites, allez jouer dans la cour.

«(Elle a senti le coup, elle tombe sur sa chaise, elle souffre... oh! cela va trop vite...) Ai-je dit autre chose que cinquante-mille-francs?

—Oui, oui, oh! pardon, monsieur, que je suis sotte... Vous allez choisir... oh! monsieur, nous nous entendrons facilement... Voici: bagues, boucles d'oreilles, broches, médaillons, parures complètes... oh! que je laisse à bien bon compte... petites breloques... qui seront, si vous le permettez, monsieur, par-dessus le marché... Ah! mon Dieu... où es-tu?... Petites... Mariette... Ah!... C'est un peu d'étourdissement...

«(Elle se remet, bon... très bon... Pourvu qu'elle soit de force à supporter l'expérience... C'est capital... Cela va... Elle sourit, elle est radieuse, empressée... je suis sûr qu'elle me baiserait les mains de bon cœur... Chère petite femme... On peut dire qu'elle nage dans la joie... Elle prononce MONSIEUR, comme une amante le nom de son bien-aimé... Bravo!... Là,[Pg 10] je vais faire un petit tas... Je m'y connais... Il y en a pour cinquante mille, juste). Je crois, madame, que cela ne dépassera pas mon prix.

—Voyons... Oh! non, monsieur, au contraire... trente... trente-trois... quarante... quarante-cinq... quarante-huit... Si vous désirez aller jusqu'au chiffre rond... je mettrai encore ce diamant, il est beau et on l'avait marqué jadis, jadis hélas! cinq mille francs... et vous prendrez dans ces menues fantaisies les objets qui vous plairont...

—Bien, très bien... nous allons, comme vous dites, nous entendre... Oui, tout cela me plaît... oui... oui... (Maintenant, tout en jetant an dernier coup d'œil, tirer son portefeuille et le remettre, cela plusieurs fois de suite... Ah! ah! elle a eu un frisson... Bon... Un geste qui signifie: Décidément, non... puis se lever brusquement et dire de bonnes paroles...) Tout réfléchi, je ne suis pas encore bien décidé... Ayez la bonté... je verrai... je repasserai tantôt... oui... tantôt... mettez-les à part, naturellement... car il est probable, plus que probable... (Elle connaît cela: est-ce[Pg 11] qu'on revient jamais? Allons, encore une petite secousse)... Bah! autant les emporter moi-même!...

—Comme vous voudrez, monsieur...

«(Le timbre de la voix a changé, elle va pleurer... Nous y sommes... Ah! vous voilà, larmes! Il y en a deux... joyaux, vrais joyaux, plus précieux que tous les diamants... oh! comme je voudrais vous boire dans un baiser! Ne sont-elles pas à moi? N'est-ce pas à mon commandement qu'elles ont jailli du fond de ton cœur, pauvre petite femme, pauvre petite mère?...) Au fait, non, j'ai une course à faire... tantôt... A tantôt, madame, comptez sur moi... Et en tous cas, mille pardons. (Elle est brisée... Elle est vraiment brisée!...)

«Ah! me voilà dehors, je respire... Cela finissait par devenir trop émouvant... Il ne faudrait pas abuser de ces distractions matinales.»


[Pg 12]

LA CLOISON

A Louis Denise.
Un mois à la campagne.
Ce n'est pas dans la montagne,—
Ni au bord de la mer,—
Où l'air est amer.

Un mois à la campagne dans un château tout neuf (des vieilles verdures, très bien rapiécées, y font tapisserie).

Par la fenêtre, la petite dame Doucin vagabonde: là-bas les bœufs dormants attroupés sous la lune. Pas un ne beugle à la lune, mais quelques uns ruminent.

«Vraiment très satisfaite d'une telle villégiature: son Primary en est, son cher amour de Primary que depuis[Pg 13] trois mois elle adore, oh! un vrai Amour,—sans compter qu'on écrit à ses amies de l'ex-Rue-aux-Ours sous cet en-tête: Château de la Corbeille, par la Clôture-sur-Prime (petite rivière aux sables dorés, qui sait, peut-être AURIFÈRES?)...

«... Primary, quel amant! Ce qu'elle aime au-dessus de tout, c'est des mots passionnés, spirituels et indécents, susurrés dans l'oreille: cela caresse en même temps l'âme, le cœur et l'autre. Eh bien, pour déverser une pareille jouissance en son petit corps nerveux comme un jet d'épine et ployable comme une branche de saule, Primary est unique: Primary trouve. Ainsi, tenez, hier soir, pendant que minuit sonnait au beffroi blanc et propret de l'église voisine (genre XIIe siècle, au moins), Primary disait: «Où vais-je baiser ma petite amie pour la réveiller? Sur ses cheveux? Sont dorés, mais ne dorment pas. Sur ses yeux? Sont dorés mais ne dorment pas. Sur sa toison? Oui, petite amie, sur ta toison, car ta toison dort.»

«Ça, ce n'est pas des choses qui s'oublient.

[Pg 14]

«Cette nuit, la toison d'or, la toison dormira seulette, et tout le monde dort, même la petite madame Crocœur, une autre blondinette qui s'ennuie et donne des coups de tête dans la cloison pour se distraire.

«Aucun bruit: adieu les bœufs qui ruminent sous la lune. Je ferme la fenêtre, me couche, souffle... Hé! on parle chez la petite Madame Crocœur... Ah! cette voix... non... lui!.. lui! Primary, mon amour? Il me trahit et j'entends, et il faut que j'entende... Ah! Don Juan, je sais bien que tu me trompes, mais fais-le plus loin... C'est bien lui, c'est sa voix... Il dit... que dit-il?.. Il dit:

«Où vais-je baiser ma petite amie pour la réveiller? Sur ses cheveux? Sont dorés, mais ne dorment pas. Sur ses yeux? Sont dorés, mais ne dorment pas. Sur sa toison? Oui, petite amie, sur ta toison, car ta toison dort.»

La petite Madame Doucin crut qu'elle allait pleurer, elle n'en fit que la grimace: les nerfs de sa face révolutionnée se contractaient, elle voulait pleurer, elle n'en faisait que la grimace...

[Pg 15]


Premier déjeuner. On descend en toute petite toilette, un à un: des bonjours ensomeillés. Primary est là, qui guette:

«Pourvu qu'elle ait entendu! Petite pâlotte, petite langoureuse, petite fondante, tu avais besoin d'un coup de fouet... Hé! elle aura été cinglée... Quelques zébrures, oh! qu'un seul baiser effacera! Je ne suis pas si méchant qu'on le dit, oh! non, puisque je me contente de les faire saigner par métaphore, pauvres anges!»

Tout le monde est descendu: on attend la petite Madame Doucin.

«Elle est si paresseuse, la chère mignonne!» dit la petite Madame Crocœur.

Elle vient, la petite Madame Doucin, elle vient, en songeant: «Je voudrais pleurer et je n'en fait que la grimace... Et toute la nuit, cette grimace! En dormant, je la sentais qui revenait toujours, toujours... Pourvu que cela se passe! Il va me trouver si laide! Oh! monstre, c'est toi! Et je t'adore...»

Elle vient, elle entre, Primary s'avance[Pg 16] et la salue.

Elle va pleurer? Non, elle n'en fait que la grimace... («Mais, elle a un tic!»)... une si vilaine grimace que tout le monde éclate de rire.


[Pg 17]

LES PETITS PAUVRES

A Henri de Régnier.

Les chers petits pauvres de N.-S.-J.-C., Primary les estime beaucoup, les vénère, de même qu'en Bretagne les gens devant les calvaires s'inclinent et se signent, respectueux et déférents.

Humiliée au gibet, humiliée dans la sordide bassesse d'un hypocrite mendiant, la divinité de Jésus saignait sous l'un et l'autre avatar, et même (ne le dirait-on pas?) rougissait.

Situation éminemment incompatible avec l'égalité moderne, car enfin, il n'y a pas de honte à être Dieu.

Primary relève le moral de ces modestes Hosties, en lesquelles le[Pg 18] Fils de la Femme incessamment s'offre au spurieux mépris de ses frères ingrats.

Oui, les chers petits pauvres de N.-S.-J.-C., Primary les vénère.

Si, au coin d'une rue, un gueux immonde soulève avec respect son vieux chapeau troué,—plein de courtoisie, Primary répond par un de ces ineffables saluts d'homme bien élevé, mesurés et discrets, offre comme aumône un fin sourire: tel agréable geste de la main ajoute ce rien d'ironie qui épice et relève toute banalité.


[Pg 19]

LE RÊVE

A Maldoror.

Primary touchait à la cinquantaine, lorsque sa maîtresse lui dit, un matin, avec cet air spécial que prennent les femmes pour annoncer à leur bien-aimé des choses d'un embêtement rare et décisif, mais des choses qui crucifient leur chair, à elles, et qui la flattent, des choses comme seules elles peuvent en dire, des choses représentatives—absolument—de leur sexe:

—Tu sais, je suis enceinte.


—C'est une fille, monsieur, dit la sage-femme, des épingles entre les lèvres. Primary, les yeux vagues, regardait,[Pg 20] sans le voir, l'être à la peau de crevette cuite, le fœtus macéré par les alcools amniotiques: il rêvait: une fille: il la voyait montrant, sous sa robe de huit ans, de fluettes jambes de jeune autruche, courant et s'arrêtant de courir à la caresse d'un désir mâle, grimpeuse volontiers vers des genoux agités et chatouilleurs; il la voyait chuchoteuse et sourieuse, les yeux larges et la bouche gourmande, innocente et tentatrice, angélique et sournoise...

—Ce sera pour ma vieillesse.

—Allez-vous-en, dit la sage-femme, des épingles entre les lèvres.

Et quand il fut sorti, elle se pencha vers la mère plus abolie sous les draps que sous la neige une ellébore,—et familièrement, de femme à femme:—Soyez tranquille, pauvre chérie, il l'aimera bien.


[Pg 21]

LE RACHAT DES LAIDES

A Marcel Schwob.

Les capricantes aiguilles de Popp, les Popp disaient minuit: minuit, les trottoirs et les yeux aigus des femmes blêmes.

«—Minuit, c'est fait, je puis rentrer.»

Tel qu'un peu ivre, il marchait, les jambes lourdes, et des battements de cœur si drus que le sang vers ses tempes rebondissait et bouillonnait.

«—C'est fait, j'en suis sûr. Je les ai séparément prévenus: «Dîner de fondation et refus inadmissible.» J'ai prévenu ma femme: «Ma toute bien-aimée, à minuit je serai rentré,—sans faute.»

[Pg 22]

Il remontait le boulevard Malesherbes.

«—C'est fait. Ah! il le fallait. Elle était si laide! Dix-huit mois de mariage ne m'ont pas habitué à ce nez court, à ces yeux ternes, à ces cheveux durs, à ce teint de métisse, et la taille pas fine, et la gorge, heu! et le reste, vulgaire!

«Il le fallait. J'en avais honte. Ah! mon cher Paul, tu l'as rédimée et tu m'as sauvé, mon cher, si cher ami! Quel autre que toi eût agi avec un désintéressement aussi rare,—quoique inconscient? Ah! demain, comme je t'écraserai les mains dans mes mains réjouies! Oui, je t'embrasserai.

«Il le fallait. Alors, j'ai commencé de les laisser seuls, après avoir excité Paul par de petites tendresses pour ma femme adorée: Je baisais Juliette dans le cou, un peu longuement, puis ceci, puis ça, et je sortais. Une brève course: «Faites donc un peu de musique.»

«Il le fallait. Je sortais, je rentrais en faisant du bruit, et dans le silence du petit salon, un subit accord... «Eh bien, on ne s'est pas trop ennuyé?»[Pg 23] Elle, presque câline et moins laide, déjà: «Non, Paul est si gentil, mais tu abuses de lui!»

«C'est fait. Juliette a un amant. Donc, elle n'est pas si affreuse qu'elle en a l'air. C'est fait. Ah! je n'en suis pas fâché! Tout le temps, je me disais, ce soir: «Il la dévêt, elle sourit, sérieuse un peu, tout de même, il pose ses lèvres ici et là, il la prend en ses bras, il la couche, il vient, etc. Ça fut une pénible soirée. C'est fait.»

Les capricantes aiguilles de Popp, les Popp disaient minuit,—et plus: minuit passé les yeux suraigus des femmes blêmes.

Sonner. Monter. Entrer.

Elle dormichonnait, agitée. La lampe, pas baissée, illuminait sa gorge et ses bras nus.

«—Tu dors, chère? Tiens, cette petite tache rose, au sein, là... Tu te serres toujours trop dans ton corset... Ah! mais, tu sais, je te trouve charmante, ce soir! Oh! ce regard m'excite! Attends, petite coquine!»

Il chantonnait: «C'est fait, c'est fait, c'est fait!»

Après un silence, il redit, se rapprochant du lit:

[Pg 24]

«Est-elle jolie, ce soir, la méchante! jolie, jolie, jolie!»

Et Juliette souriait, si perversement heureuse, qu'elle était presque jolie,—oui, presque.


[Pg 25]

LA CHÈVRE BLONDE

A Albert Samain.

Elle pleurait, la tête sur les genoux de son mari, sa fine peau protégée par un mouchoir de soie, guettant du coin de l'œil une lettre que M. Pariétal relisait, accablé. La main de la petite femme se soulevait, comme à pigeon-vole, prête à un geste vif.

«—Mais non, ma chérie, elle n'est pas anonyme. Elle est signée, signée illisible, mais signée.

«—Montre!»

M. Pariétal inséra la dénonciation dans la poche de son gilet, reboutonna son coin-de-feu, et dit:

«—Pauvre femme!»

[Pg 26]

Madame Pariétal prit le parti de sangloter.

«—Pauvre femme!» répétait M. Pariétal, et la blonde adultère finissait par sangloter sérieusement, n'ayant plus pour se distraire le jeu de pigeon-vole, si captivant!

«—Ah! c'est indigne!» cria tout à coup M. Pariétal en surgissant d'un bond par-dessus sa femme stupéfaite, couchée par le choc, telle qu'une victime.» Ainsi, tu as fait ça, toi? Tu m'as trompé? Réponds!»

Madame Pariétal se relevait. Elle vint vers son mari et lui posant une main sur l'épaule, une main tamponnée de son mouchoir de soie:

«—Écoute et comprends! Ce que j'ai fait? Comprends et compare!... C'était si beau, si bien écrit! Ah! je puis le dire, je fus empoignée!... Voyons, tu devines et tu me pardonnes?... Mon ami, j'ai lu La Chèvre blonde, voilà tout.»

«—Ah! disait M. Pariétal.

«—Oui, hélas! je l'ai réalisée, ta Chèvre blonde, ta chère petite chèvre...

«—Ah! Ah! disait M. Pariétal.

«—J'ai fait ça, oui, mais tu dictais!...[Pg 27] (Spasmes et sanglots). C'est bien malheureux d'avoir un mari qui écrit des choses si passionnantes!... N'est-ce pas à en perdre la tête?

M. Pariétal (la baisant au front généreusement).—«Ah! c'est La Chèvre blonde!... Hein, mes amis, je ne suis pas tout à fait sans influence sur mes contemporains, moi!... Nous sortons, dis, petite?... Ah! c'est ma Chèvre blonde!... Dis, petite, vois-tu d'ici le ravage, la désunion des oreillers bourgeois? (La baisant au front, tendrement). Ah! c'est La Chèvre blonde!... Dis, petite, mets ta robe de dentelle, nous prendrons une voiture.»


[Pg 28]

LE PHONOGRAPHE

A M. Edison (de l'Ève future).

Affaissé dans son fauteuil, confit dans son bocal, ratatiné dans l'huileuse ranceur de l'impuissance, M. Pariétal cligna vers la muette horloge-à-gloire et, en un concordant geste de vérification, fit sourdre de son gousset un somptueux oignon. Il en pleura: l'Heure des indéniables petits Chefs-d'œuvre était passée!

Les valves de sa bouche baillaient; il s'humidifia encore, il devint plus lourd qu'une éponge oubliée dans un baquet: une fumée comme de buanderie embrouillait ses lunettes et sa pipe pendait morte.

A un bruit de déclic issu de l'horloge-à-gloire,[Pg 29] les valves se rejoignirent, une allumette raviva la pipe, un coin de peau de daim débrouilla les lunettes, l'éponge se délesta, la ranceur de l'huile s'amadoua dans le bocal élargi...

M. Pariétal trempa hardiment sa plume dans la bouteille à l'Encre-des-Petits-Chefs-d'œuvre,—et surgirent ces mots:

VOLUPTÉS FAUNESQUES

Il raya voluptés et, avec moins d'entrain, écrivit:

PLAISIRS FAUNESQUES

Il raya plaisirs et écrivit:

RÊVERIES FAUNESQUES

Il raya faunesques et écrivit:

RÊVERIES PRINTANIÈRES

Il raya printanières et écrivit:

RÊVERIES JUVÉNILES

Il raya juvéniles et écrivit:

RÊVERIES ENFANTINES

La valve se rouvrait, pleine de perles noires: la pipe tomba; le bocal devint une fiole, et la sauce, si stupidement amère que M. Pariétal, récupérant la queue de sa fuyante énergie, la pinça plus férocement que ne pince un crâbe.

Arthémise entra:

[Pg 30]

«Ah! Monsieur doit être dans un état!... Je n'ai pas remonté le phonographe, ce matin!... Sale bête, ça donne plus de mal qu'un enfant!...»

Et, sans ajouter nul éclaircissement qui pût faire comprendre si «sale bête» s'adressait au phonographe ou à M. Pariétal, elle tournait la mécanique. Vlan! un coup de pouce pour regagner le temps perdu. «Chante, perroquet!»

Elle fit claquer la porte, pendant que le sagace Instrument disait:

«—Avez-vous lu, mon cher, le dernier livre de Pariétal?—Les Variétés démoniaques? Évidemment.—C'est exquis, n'est-ce pas?—Un indéniable Petit-Chef-d'œuvre! Beaucoup de talent, Pariétal.—Et même du génie.—Oui, soyons justes et avouons-le: Pariétal a du génie.—Ne trouvez-vous pas que son front est impressionnant?—Comme la montagne qui récèle l'abîme...»

M. Pariétal chantonnait, débourrait sa pipe à petits coups, en mesure, se trémoussait dans son fauteuil, dressait son papier, lorgnait le bec de sa plume,—enfin, avec une solide[Pg 31] verdeur de geste, récrivait son premier titre:

VOLUPTÉS FAUNESQUES

Il rédigea, là-dessous, d'affriolantes déductions, ne s'interrompant que pour recligner de l'œil vers l'horloge-à-gloire et susurrer:

«Voyons, mes chers amis, ménagez-moi!»


[Pg 32]

XÉNIOLES

I

A Jules Soury.

Le pasteur des Mensonges, après déjeuner, trucidait, en souriant, quelques textes.

Son sourire était doux, et les textes, ainsi que de folles mouches, ronronnaient autour de ses lèvres sucrées.

D'une encore preste main, il captait l'un, l'autre, arrachait, selon sa passagère fantaisie, les pattes, la queue, la tête, les ailes, et (roulés un peu dans le miel de ses doigts), en de larges bocaux, jadis pharmaceutiques, les classait.—La gouvernante[Pg 33] étiquetait ces pots de confitures.

«—Ah! dit la vieille bretonne (qui conserva toujours la candeur et la coiffe de Trèg), des jeunes gens vont venir saluer le Maître, faut-il...

«—Les recevoir? Oui, j'aime la jeunesse (hup!)... Oh! les jeunes gens, ils sont si amusants (hup!)... Ah! ma bonne Anne, si amusants (hup!)... Ils sont sincères! (hup!)...»

(La vieille, attendrie, essuyait la salive, qui découlait, telle qu'un sirop, par le coin des lèvres sucrées.)

II

A Bernard Lazare.

Il faisait un temps blond et bleu, un temps de Sainte-Enfance abandonnée (ou coupable).

Les Sénateurs rêveurs, les Sénateurs du Saint-Empire prussien considéraient les dos brodés de leurs cochers, et l'âme de ces bons vieillards se brodait à l'unisson d'aigles rouges et de lilas futurs.

Alors, il y eut des Sénateurs français qui passèrent, pas beaucoup. Ils avaient l'air humanitaire et stérile, et[Pg 34] leur âme était si peu brodée que c'en était pénible.

Ils mangèrent tous ensemble pendant deux heures et demie, en parlant des autres,—de ceux qui ne mangent pas du tout.

Cependant, tout cela, c'était du pur symbole: il fallait agir. On changea de marque: le nouveau champagne activa les consciences et les Sénateurs se mirent à penser, et même un des honorables Français, pensant trop, éclata (son bouillon de culture se peuplait d'une infinité de microbes spirituels et sempiternels—et rien ne résiste à leur expansion, pas même une peau de crocodile): il pensait à tout, à mil huit cent quarante-huit, à la pureté de sa vie, à des fesses artistiques et célèbres.

Il éclata. Ses lèvres philosophiques ne purent retenir ces paroles, que ponctuaient des larmes:

«Messieurs, je bois à l'humanité souffrante!»

III

A Paul Adam.

Il faisait nuit, la nuit de l'histoire, hier, et presque roi, sans couronne,[Pg 35] mais en habit noir, noir comme la nuit de l'histoire, hier, ou bien en rêve, il songeait, il évoquait,—il disait:

«Aïeul, mon bon aïeul, mon sanglant aïeul, le sang des têtes coupées, coupées par ta signature, couperet sûr, couperet prudent, couperet décent, ô mon honnête aïeul, le sang des têtes coupées a taché ma chemise de roi, car je suis presque roi; elle en est rouge encore, de droite à gauche, toute rouge: ô trophées! ô chères têtes! chères têtes coupées! ô exemples!

»Aïeul, mon bon aïeul, mon sanglant aïeul, sans toi elle serait rouge à peine d'un liseré ridicule, ma chemise de presque roi. J'ai fait trouer une douzaine de seins de femmes,—misère! ça rendait plus de lait que de sang: exercice de tir utile, assurément, patriotique et moral, mais quelles pitoyables cibles,—ça ne rend que du lait, hé! hé! hé! La vierge au mai, rien! une bougresse anémique! Deux gouttes, pas plus, de ses veines rompues me sautèrent aux lèvres: du sang de poulette!

«O trophées, ô têtes chères, chères[Pg 36] têtes coupées, ô exemples, ne suis-je donc qu'un symbole?»

La voix répondit:

» Tu n'es rien. Moi, nous, symboles à cette heure exténués et plus défoncés que la gloire secrète d'un callipyge, nous qui mourons sous le rut séculaire d'une foule obscène,—nous vécûmes: nous étions forts, nous étions féroces. Pareils à la chute d'une montagne, nous écrasâmes la vie sous le poids de nos reins vierges,—et que nous fûmes donc d'heureux égorgeurs avec l'acier de nos ongles imbrisables!

«Alors, les symboles rugissaient, mordaient à même la chair: nous bûmes tout le vieux sang de la France dans un soulier de marquise,—et nous devinmes si grands et si vastes que nulle maculature n'a marqué sur notre peau, et si solides que l'amour infâme d'une multitude de brutes nous tue sans nous déshonorer.

«Et nous sommes des symboles: nous pouvons revivre, car la renaissance est notre droit.

«Mais toi, signifies-tu même l'indiscutable médiocrité de ton siècle, pour avoir criblé quelques ventres[Pg 37] de femelles et quelques culs-tout-nus d'enfants pauvres? Oh! oh! oh!

«Laisse rire les ombres,
laisse dire les ombres:

«Mon bon, mon cher, mon adorable nécroman, tu n'es pas un symbole, tu es à peine une métaphore, tu n'es qu'une périphrase.»


[Pg 38]

LA TOUR SAINT-JACQUES

A Alfred Vallette.

La Tour Saint-Jacques, solitaire et honteuse de sa beauté démodée, la vieille tour aux bêtes parlantes, aux bêtes de pierre et de rêve...

Ils s'adonnaient rapidement ce jour-là, à une brève et instructive promenade: un Américain de marque (c'est-à-dire semblable à tous les Américains, la distinction étant désormais dans la parité) et notre ami M. Virgile-Austère Méliorat.

«—Voilà bien, murmurait le voyageur attristé, ces vieux Européens... Garder et entourer de grilles quelques pierres déformées et périmées... Pourquoi? Parce que c'est ancien!...»

[Pg 39]

Élevant la voix, il ajouta, l'air négligent, la main dressée vers la vieille tour solitaire et honteuse:

«—Naturellement, ça ne sert à rien!

«—Comment, répondit notre ami, d'un ton où se mêlaient les reproches, la colère, la stupeur, à rien? Y songez-vous? Nous prenez-vous pour des enfants? L'heure des jouets n'est plus, monsieur... Nous avons appris à tirer parti des choses. Cette tour est utile: elle sert, monsieur, elle sert à la Science. Elle abrite, sous les ridicules symboles de ses moellons déchiquetés: 1º un laboratoire de physique expérimentale; 2º un baromètre à eau (30 mètres de haut), à stylo-traceur électrique... Hein? Vous voyez?... Oh! ce vieux tube, cette antique coquille, ça ne doit pas être un fameux laboratoire, mais c'était tout fait, ça épargne de la maçonnerie...

«—Avouez-le, répliqua, glacial et goguenard, l'Américain,—vous en êtes encore à respecter ça, ça...

«—Mais non, cria presque en colère M. Virgile-Austère Méliorat, mais non, je vous jure que non!...»

[Pg 40]

Ils passaient vite, hâtant leur instructive promenade, tournant le dos,—enfin!—à la vieille tour solitaire et honteuse de sa beauté démodée, à la vieille tour aux bêtes parlantes, aux bêtes de pierre et de rêve...


[Pg 41]

LIVRE II

QUELQUES UNES


[Pg 43]

LES CYGNES

A Ferdinand Herold.

Des cygnes nageaient le long du Louvre; deux cygnes plus las que nos cœurs,—et le courant les emportait; deux cygnes plus sauvages que nos désirs,—et des femmes guettaient les naufragés.

L'âme de Bonhomet planait sur la Seine.

Des femmes élevaient leurs manchons, très haut, très haut, comme un signal de capture; des enfants jetaient des pierres à la drôle de bête; deux mariniers partirent: ils ramaient avec ferveur, et la foule songeait: «En cage, en cage, qu'on les mette en cage, avec une grande[Pg 44] baignoire pour se distraire, en cage!»

L'âme de Bonhomet planait sur la Seine.

Alors, celle qui s'appuyait à mon bras, le serrant très fort, me dit à l'oreille (si joliment!): «Oh! du bouillon de cygne!» Et dans ses yeux de poitrinaire,—un peu sinistres!—étincelant le désir fou d'une cuisine blasphématoire.

L'âme de Bonhomet planait sur la Seine.


[Pg 45]

PARAPHRASES

(D'après l'anglais)

A André de Gourmont.

Brodée d'aurore et de plaisances, comme elle verdoyait jolie, la petite fille aux si blonds cheveux.

La vie, autour d'elle, pour elle, était gaie et rafraîchissante comme les heures matinales de Mai.

Ni bobos, ni chagrins, ni vilains croquemitaines: mais des anges et des fées, et des joies, des bonbons.

«—Maman, maman! Ils m'ont brisé ma poupée!... Sa tête! Sa jolie tête!...»

Les heures matinales pleuraient toutes les larmes de leurs yeux.

[Pg 46]

«—Maman! que je suis malheureuse!»

«—Pleure pas, mignonne! oh! petit gros cœur, apaise-toi. Voyons, ce n'est rien. Malheureuse? Ah! si tu savais? Pleure pas, tu seras heureuse,—demain!»


Brodée de soleil pâle, comme elle fuselait et s'adornait de gemmes, fleurs futures, la jolie plante, la jolie fillette aux si blonds cheveux.

La vie, tout autour d'elle, pour elle, était douce et tiédissante comme les secondes heures des jours de Mai.

Ni fiévrettes, ni langueurs, ni vilaines jalousies, mais des jeux et des rires, et des cris, des mamours.

«—Maman, maman! Ils m'ont brisé mon ombrelle!... Sa pomme! Sa jolie pomme!...»

Les secondes heures pleuraient toute la pluie de leurs nuées.

«—Maman! que je suis malheureuse!»

«—Pleure pas, mignonne! oh! petit gros cœur, apaise-toi. Voyons,[Pg 47] ce n'est rien. Malheureuse? Ah! si tu savais? Pleure pas, tu seras heureuse,—demain!»


Brodée d'or et de lumière, comme elle fleurissait, comme elle s'épanouissait en odeurs de délectation, la jolie fille aux si blonds cheveux.

La vie, tout autour d'elle, pour elle, était folle et violente comme les orages adorables et royaux des tierces heures de Mai.

Ni migraines, ni ennuis, ni vilaines envies, mais des roses et des perles, des jacinthes, des parfums.

«—Maman, maman! Ils m'ont brisé mon cœur!... Mon cœur! Mon joli cœur!...»

Les tierces heures pleuraient toute la grêle de leurs nuages.

«—Maman! que je suis malheureuse!»

«—Pleure pas, mignonne! oh! petit gros cœur, apaise-toi. Voyons, ce n'est rien. Malheureuse? Ah! si tu savais? Pleure pas, tu seras heureuse,—demain!


[Pg 48]

SŒUR ET SŒURETTE

A Jean Lorrain.

Sœurette, dit un jour Sœur, avec des yeux très doux de vierge consolable, écoute-moi, Sœurette. Avons-nous, oui ou non, l'âge des révélations définitives? Sommes-nous, toi la blonde et perpétuelle adolescence, moi la brune et précoce maturité, sommes-nous, Sœurette, une couple de futiles cyclamens incueillables et nuls?

«Réponds, Sœurette, en me donnant tes lèvres!»

«Sœurette, dit encore Sœur, avec des yeux très noirs de vierge exaspérée, sommes-nous, toi la fille aux seins blancs comme un mois de[Pg 49] Marie, moi plus vermeille qu'un Saint-Ciboire, sommes-nous, Sœurette, des chairs que promène en landeau une attendrissante maman; ou des chairs dont on montre le tiers au bal immaculé de la princesse Unique; ou des chairs enfin que les hommes en frissonnent, parce qu'on livre avec deux, ou trois fois leur poids d'argent?

«Réponds, Sœurette, en me donnant tes lèvres!

«Sœurette, dit encore Sœur, avec les yeux terribles d'une vierge qui se fait comprendre, sommes-nous, toi le flacon des odeurs mourantes, moi la fiole aux stridents parfums, sommes-nous, Sœurette, les occultes amantes d'un prudent chuchoteur, ou les patientes fiancées d'un épouseur distrait?

«Réponds, Sœurette, en me donnant tes lèvres! Réponds, Sœurette:—Si nous nous aimions entre nous, tout simplement?»


[Pg 50]

LA FILLE DE LOTH

A Camille de Sainte-Croix.

Le plaisir sortait furieux, tel qu'un jet de fonte ardente et rouge: Loth s'affaissa sur la chair de l'opprimée. L'idée du sang le tourmentait: «Quelle bouche, ou quelle blessure de virginité a revomi sur ma face?» Le flot du vomissement cloîtrait ses yeux, scellait ses lèvres, aveuglait comme un masque, le torrent de son haleine.

«L'Autre: elle avait nom la Mère... Quelle confusion dans les générations!... Avec l'autre, ils allaient au plaisir en des tremblements de saints qui tomberaient à l'impureté,—mais l'Exultation, fantôme exquis né de[Pg 51] leurs souffles, planait, le front haut et rayonnant, tout paré de fleurs fraîches.

«Celle-ci: quand la mère fut morte, Loth aima sa fille, la fille de Loth; il l'aimait d'une sensualité de prêtre chaste, il se mortifiait...

«Vainement!

«Elle dormait... C'était tantôt, non, c'était il y a un instant, un seul instant... Elle dormait. Elle ne cria point. Sa mère non plus n'avait pas crié. Ah! c'est ma fille, ma vraie fille,—mais quelle confusion dans les générations futures!

«Elle dormait, elle ne dort plus. Évidemment,—et c'est surtout désagréable parce que de quels yeux irrespectueux ne doit-elle pas, en ce moment même, fixer son père, de quels yeux sournois et, qui sait? goguenards, des yeux à cracher dedans... Si elle pleurait, au moins, je la consolerais. J'ai envie de la battre!

«Ah! voilà que le masque se recollait sur sa figure, et ses membres ligotés ardaient en un enfer de cohabitation un peu excessif. Sa tête, sous l'imaginaire étau de sang glacé, se brisait comme un os dans une gueule[Pg 52] de chien,—et l'Ironie l'épouvantait, comme s'épouvante un assassin qui veut, et ne peut, paralysé, redoubler le coup de grâce...»

Il articulait, sans parole extérieure, des chapelets de «pardon, pardon, pardon»: à Dieu, à Elle, à toute la vie, à toutes les choses, au lit creusé tel qu'un tas de sable fuyant vers un abîme, aux cheveux blonds mouillés par la sueur de l'angoisse, aux seins violentés... au Christ de l'alcôve, au Christ de cuivre, qui souriait aux lumières, si amèrement... à tout, à la porte brisée, au gynécée troublé dans son silence, à la bouche écrasée par les morsures...

... A la bouche surtout,—mais la bouche de vierge et maintenant de femme, la bouche d'enfant et maintenant d'amoureuse, la bouche adorable de la fille de Loth s'ouvrit et murmura dans un baiser:

«Je t'aime!»


[Pg 53]

PETIT SUPPLÉMENT

A Arthur Symons.

Contrat d'irrégulière union.

Ainsi je me suis assuré des jours tissés d'un or et d'une soie vraiment supérieurs. Les seings sont signés, les sceaux sont scellés. Tout est prévu, hormis l'imprévu qui papillon se glisse, dort chrysalide, ver se réveille entre les feuilles des traités. Première partie: l'extérieure et matérielle vie, ce qui se mange, ce qui se vêt, ce qui brille, toutes les mondaines fulgescences, ce qui roule, ce qui hennit, ce qui obéit, etc. Laissons.

Au contraire, sur le chapitre des transcendances, revenons.

—Tu m'aimeras!

[Pg 54]

—Je te montrerai de l'amour.

—Tu seras fidèle?

—Comme une femme qui connaît le prix de la fidélité.

—Tu seras tendre?

—Une atmosphère de tendresse te circonviendra.

—Complaisante?

—Serve.

—Ah! jolie? Tu t'y engages?

—J'ai, selon les saisons, des crèmes assorties, et, pour les intimités, la Brise-vespérale, la Rosée-lunaire, le Petit-lait-du-regard-matinal, la Pâte-illusion-des-nuits-blanches.

—Auras-tu, chère, des pleurs de jalousie, quand il le faudra?

—Je sais pleurer.

—Et les rires? Par exemple, le rire-il-m'aime!-décidément-j'étais-une-sotte-de-me-tourmenter?

—Mon rire-il-m'aime!-décidément-j'étais-une-sotte-de-me-tourmenter est une perle. Tu verras.

—Et les sourires? Il me faut les sourires.

—Je les ai tous, ami: le sourire-plein-de-promesses, le sourire-adorable-de-mutinerie, le sourire-troublant-du-Sphynx, le sourire-voilé-de-larmes...[Pg 55] j'ai le sourire-sarcastique, le sourire-sardonique, le sourire-malicieux, le sourire-vainqueur, j'ai le poétique-sourire et le sourire-nuancé-de-mélancolie... je les ai tous, te dis-je. Sans vanité, mon écrin de sourires est très complet. J'ai même le sourire-après, si rare! le sourire-je-t'aimais-bien-avant-mais-comme-je-t'aime-maintenant-il-n'y-a-pas-de-comparaison! Tu vois...

—Dis-moi, et les amoureuses pâmoisons?

—Oh! je crois bien! A quoi penses-tu? Mais c'est le B, A, BA! BA, BE, BI, BO, BU! Voyons, pour quelle ingénue prenons-nous notre Adorée!

—Nous monterons au ciel, au septième, n'est-ce pas?

—Au septième, j'ai des ailes.

—Redis-moi encore que tu m'aimeras, ma Bien-Aimée!

—Mon amour t'appartient.

—Tu m'aimeras passionnément?

—Ah! pour cela, mon cher, permettez. Avec un petit supplément, oui. Je sais le rôle. Volontiers, mais que cela soit bien entendu, la Passion se paie à part.


[Pg 56]

LES CORRESPONDANCES

A Edouard Dubus.

«Il est étonnant que l'homme ne sache pas encore que son Mental est dans une lumière absolument autre que la lumière du monde; mais tel est l'état des choses, que pour ceux qui sont dans la Lumière du monde, la Lumière du ciel est comme des ténèbres...»

Emmanuel Swedenborg.

Les Arcanes célestes, 3224.

Mi-dévêtue, il la prit sur ses genoux et le jeu des doigts en promenade signalait à mesure la localisation des Correspondances. Ton des explications: cette affectueuse ironie qui réussit à capter l'attention des petits enfants.

—«Mais oui, chère, le corps humain, tout son interne mécanisme, tout le geste, tous les organes sont[Pg 57] en homologie avec le monde spirituel avec le Ciel-Enfer, vaste espace en forme humaine, Très Grand Hermaphrodite habité selon les régions par des créatures célestes, infernales, purgatoriales: les infernales végètent parmi les excrétions, les choses mortes.

Ce ne sont pas des symboles bien complexes: aux yeux correspondent les anges de lumière; au cœur, des anges d'amour; aux poumons, des anges de foi; aux bras, les anges de la Force: «Un Bras nu m'est apparu, qui avait en lui une grande force...»

Cette vie résolue, les avares vont s'enclore dans la geôle de l'estomac; les improbes barboteront dans les marécages du fiel; les stupides et les vaniteux, dans l'égout du colon; quant aux glorieux massacreurs, ils expieront dans le perpétuel in-pace du rectum la joie des champs de bataille.

Âmes tendres qui adorâtes les enfants—et qui en fîtent—la matrice de l'Hermaphrodite sera votre palais.

—Oh! que tu m'ennuies!

—Tiens, là,—et au contact indicateur elle s'ennuyait déjà moins,—entre[Pg 58] les jambes divines de l'Infini, c'est la demeure des bonnes amoureuses.

—Je ne comprends pas.

—Voyons, figure-toi des organes immenses, et tu te promènes, tu respires des odeurs de rut, tu te roules dans la neige des germes, tu cueilles des fleurs phalliques, l'herbe est douce et crêpelée, les désirs, comme des aromates, sont vaporisés dans l'air et le vent chante des vers d'amour...

—Et tu seras avec moi?

—Eternellement!

—Oui, mais tout ça n'est pas vrai.

—Oh! enfant, tout est vrai. Crois,—et crois aussi quand je te dirai le contraire de ceci, car il n'est pas nécessaire de croire toujours la même chose. La route ne traverse pas d'identiques paysages. Soyons successivement dupes des perspectives qui violentent nos yeux: c'est le moyen de ne pas s'ennuyer.

—Après?

—Si tu étais une chaste vierge, je te prometterais d'attachantes fonctions. Tu résiderais dans les reins de l'insigne Hermaphrodite et là, tu veillerais à ce que les vaisseaux spermatiques[Pg 59] n'enlevassent pas au sang, pour d'abusifs coïts, toute son essence et toute sa vitalité.

—Est-ce fini?

—Oh! non, il y en a très long. Mais, écoute. Ma belle, j'ai bien peur qu'au lieu des dilections du paradis génital, nos péchés ne nous destinent aux excrémentiels enfers, ne nous duisent irrévocablement sous les fesses du Grand Corps, parmi les adultères, les sensuels, les dévergondés de la charnalité...

—Tout cela est bien malpropre!

—Comme la vie, ma chère âme, comme la vie!..»


[Pg 60]

LE CRIME DE LA RUE DU CIEL

A Alexis Lauze.

Dire que cela évoluait dans sa rue! Dans sa rue!

Le fantomatique feuilleton se créait là.

Un sou! Et on avait de quoi rêvasser toute la journée, au bruit de l'aiguille, de quoi enfiévrer les heures mornes! La couture s'en allait brodée d'or et soutachée de sang, et les fièvres du jour émanaient dans la nuit des transes frissonnantes de morgue et d'échafaud.

C'était terrible et c'était bon.

L'amour sanglotait, le crime riait, les poignards crevaient les bourses et les ventres, ça pantelait, ça ruisselait.[Pg 61] Ah! on se sentait vivre! Et le cœur? Être aimé aussi! Ah! Ah! Ah! L'heure du déjeuner s'évaporait.

Un matin les draps sont lourds comme des suaires.

Rien de rare: une de ces faiblesses où défaille la chair des filles anémiées aux pâles nourritures; l'aveuglement dès que le pied droit s'avance devant le pied gauche; les menottes qui tremblotent comme la feuille menue.

L'hôpital? Ah! bien non, par exemple! Plutôt aller voir tout de suite si le pavé est loin de la fenêtre!

Les camarades du quartier défilèrent:

«Cette pauvre Adèle, elle a mangé plus de pain qu'elle n'en mangera.

«—Allez-vous-en vous tuer le corps pour en arriver là!

«—Elle a des nerfs, elle s'en relèvera.

«—Il y en a d'autres qu'elle qu'en passeront par là.»

Huit jours. Vers la nuit, elle dit à Jeanne qui entrait, à la muette, avec deux sous de lait et le sucre de son café dans un coin de journal:

«Je ne dors pas, va! et je ne dormirai plus qu'une fois. Ça galope,[Pg 62] pa-ta-tan, pa-ta-tan... Il y en a deux, ma chère, de chevaux! Tiens, ils s'arrêtent,... Ah!...»

Plus personne.

Victorine ouvrait la porte.

«Retourne! La voilà évanouie! Tâche de ramener un curé. Elle est finie.»

Deux trous noirs s'ouvrirent dans le masque blanc. Une voix lointaine soufflait:

«Tout de même, en voilà un qu'est canaille.—Et Paolo, montrant le cadavre, leur dit: Un homme en blouse, entré et sorti par cette fenêtre, a poignardé le comte, emmené l'ouvrière. La fin a demain.» Ah! je ne veux pas mourir. La fin, la fin! Mon Dieu! que je vive seulement jusqu'à demain, jusqu'au jour! Dis, Jeanne, tu me feras vivre jusqu'à demain? Jeanne, Jeanne, ma petite chérie, écoute bien! quand ça serait ma dernière heure, ma dernière minute, tu me le lirais, n'est-ce-pas le feuilleton de LA FIN, comme tu m'as lu tous les autres? Dis, tu me le jures? Dis, dis? La fin! la fin!

—Pensez à votre âme, récita le prêtre, dès la porte, demandez pardon[Pg 63] à Dieu de vos fautes, mourez chrétienne. Sa miséricorde infinie, n'attend qu'un mot, un signe, une pensée de regret, un acte de foi et de soumission à sa divine volonté pour vous ouvrir ses bras cléments!»

«—La fin! la fin! Je veux savoir. Non, non, pas mourir encore!

«—Résignez-vous, mon enfant! Dites seulement: Seigneur, pardonnez-moi, parce que j'ai péché! Si vous saviez comme il est bon, comme il aime ses créatures même pécheresses! Bientôt vous le saurez, si le repentir... Vous saurez...

«—Je saurai, je saurai! Là haut je saurai LA FIN?

Elle s'était dressée, les yeux brûlés aux flammes du désir. Le vent d'outre-vie la coucha disant:

«Alors, je puis mourir.»


[Pg 64]

ARIANE

HÉROÏDE MODERNE

A Camille Mauclair.

Ah! mon ami, vers quelle aventure! Quel rôle m'avez-vous distribué, à moi, entre toutes les femmes? Maîtresse abandonnée! Les Ariane! Ariane, ma sœur, me faudra-t-il mourir comme toi, blessée, laissée? Contre le tueur de lions, tu n'eus pas d'autres rébellions: Ariane est morte. Fatalité poétique et miséricordieuse, ma fatalité, la mienne est supérieure, fatalité de l'argent, supérieure, moderne! je suis moderne, je puis souffrir, mais je comprends.

«Vous me le dîtes, que de fois![Pg 65] On se fatigue de tout hormis de comprendre. Je comprends, j'espère même, que cela me délassera d'aimer!

«Pas de mélodrame! fut encore une de vos paroles les plus favorites, et, comme vous saviez faire tenir, en cette éponge, sans nulle effusion maladroite, votre expérience de la vie pratique! Au contraire, un peu de raison, que diable! La qualité de l'amour se révèle à la finesse des épidermes, et les hommes ni les femmes ne mûrissent en l'état de fruits uniques à l'arbre de la vie. C'est comme dans un panier de pommes: plus d'une pomme vaut la bonne. On peut trouver à se rapparier, sans même sortir de son quartier: remarque parfaitement juste, mais enfin, cela n'empêche pas qu'il n'y ait un petit moment difficile à passer.

«Car, tout arrive, supposez que je ne trouve pas. Alors, que faire? Vous me livrez, inerme, aux cruautés de l'inquiétude. Oh! mon ami, ce n'est pas un reproche. Les reproches sont vains, je le sais, et gaspillent les minutes, cette monnaie du temps, bien inutilement. Donc, pas de reproches,[Pg 66] et respectons les choses sacrées. On ne s'en va pas opposer à un intérêt de premier ordre, l'argent, telle minuité, le sentiment. Non, ce que j'en dis, c'est pour me distraire seulement, je ne suis qu'une femme: il m'est permis, n'est-ce pas? d'être légère, un peu. Légère! Passez-moi cela et souffrez, sans hausser les épaules, que je m'amuse à des bulles. Voyons, je vous en prie, pas de fâcherie, il faut laisser jouer les enfants.

«Hé! Dix ans! Dix ans, mon cher, que je m'adonne à vous aimer. J'aurais pu glorifier des écrans de soie ou faire des enfants, je vous aimai, et je croyais que cela durerait toujours: C'était ma vocation.

«Je vous aimais, c'est dire que je m'étais logée en vous, comme une seconde âme, tout à fait persuadée que la mort, seule, l'expulserait de l'habitacle choisi. Je n'avais pas d'existence séparée, j'étais la greffe qui vit à même la sève de l'arbre, maintenue, chair contre chair, par le jonc du jardinier. Amour, que tu fus un mauvais jardinier! Croyez-vous que je n'aie pas saigné à la rupture?[Pg 67] Me voilà tombée comme une branche morte.

«En deux mots, je vous dirai ce que j'ai sur le cœur: j'aurais voulu vieillir avec toi.

«C'est fini, n'en parlons plus, mais soyez sûr, mon ami, que je ne vieillirai pas seule: d'abord, n'ai-je pas votre souvenir, et toujours autour de ma vie, en mon crépuscule définitif, l'ubiquité de ton corps familier? Et aux heures nocturnes, le souffle révélateur de votre haleine, et durant les jours, les longs jours, le murmure obscur et doux de tes mots d'autrefois?

«Nous y sommes.

«Vous croyez m'avoir abandonnée? Mais non, mon ami, ceci n'est pas en votre pouvoir, par la raison assez plausible que je ne le veux pas. Je me serais résignée à n'être pour toi qu'une vaine passance? Mais non. Tu vivais en moi et tu régnais sur moi, simulacre créé par moi et couronné par moi; roi, je ne t'ai déposé, tu règnes; amant, je ne t'ai pas tué, tu vis. Tu règnes et tu vis, parce que je t'aime: ah! comment faire pour n'être pas aimé?

[Pg 68]

«Comprends-tu ce miracle de mon plaisir? Tu ne m'as pas quittée un seul instant, ô mon cher amant, mon roi cher, pas un seul instant entre tous les instants où s'équilibre notre vie, pas un seul, et tu ne me quitteras jamais.

«Je vois, je sens, je touche mon amour. Je t'aime. Ecoute: je t'aime. C'est moi qui te possède, moi, la reniée, et non pas l'autre, la chérie. Pauvre chérie! Va, je ne suis pas jalouse de son illusion, mais elle, dis-moi, si elle savait?

«Ah! tu croyais qu'on peut se reprendre? Quelle sottise pour un homme si intelligent, si pratique! Tu t'es donné, n'est-ce pas? Et bien, je te garde et je t'emporterai avec moi.

«Oui, mon ami, ta précieuse vie est à ma discrétion? et quand je serai sommée à l'éternité, en mes bras je te prendrai, créature de mon cœur, et c'est avec toi que je jouirai de la profonde et inhumaine joie d'aimer infiniment en un amour infini!

«Nous irons au ciel ensemble, ma chère ombre, et ensemble transfigurés, mon cher souvenir, nous vivrons éternellement.»


[Pg 69]

LIVRE III

QUELQUES AUTRES


[Pg 71]

VISION

A G.-Albert Aurier.

Elle était dorée sous ses voiles pâlement bleus, tel qu'un struc florentin. Comme je m'en étonnais:

—C'est que je suis un trésor!

Je répondis:

—Raison bien élémentaire.

Elle dit encore:

—C'est que je suis élémentaire.

—Qui es-tu?

—Je suis celle que tu vois.

—Veux-tu que je t'aime?

—Je le veux bien.

Elle arrêta, par un strident rire, mon geste humble et amoureux de baiser ses pieds dorés.

Je cherchai, inquiet, les yeux[Pg 72] de la vierge en or, mais je vis bien de l'or, je ne vis pas les yeux.

Elle dit, souriante:

—Essaie!

—Oui, je frôlerai d'un peu de ma chair, cette chair d'ostensoir. Oh! que je le désire! Laisse-moi faire.

Ma tête s'inclina vers les pieds dorés et aussitôt tout disparut.

—Là! mon cher, chuchotait la voix du Lointain, te l'avais-je dit? D'or, de marbre, de chair, je m'évanouis à l'épreuve d'un contact. Je suis l'intouchable, c'est-à-dire la Femme.


[Pg 73]

PROSE POUR UN POÈTE

A Saint-Pol-Roux.

«Pense, disait le Poète, pense au pâle abandon...»

Il faut savoir qu'elle était pas jeune, jolie plus guère,—et parmi l'artificiel glacis blond des cheveux fins, tel qu'en un ciel enflammé des avant-crépuscules, de blanches stries se couchaient, primevères à l'agonie parmi les soucis incandescents.

Il faut savoir tout ce que savait le Poète: encore ceci, que la pas jeune et plus guère jolie femme, un désolant caprice la délaissait: «Il ne l'aimait plus!» Ah! même dans un grand calme de ton et avec gestes à la Tant-pis-que-voulez-vous?—ça contenait[Pg 74] bien des sanglots, et pas si effarouchés qu'ils ne montassent résolument à l'assaut du pauvre cœur...

Il faut savoir encore qu'elle dit, après un silence: «Me voilà toute seule. Reste à s'organiser, arranger sa vie»; et qu'en disant, elle torturait par des poses inaccoutumées ses bras,—oh! eux, très beaux encore et même relativement superbes, relativement à l'inconsistante jeunesse,—ses bras veufs du cou très cher qu'elle aurait eu tant de joie à étrangler pour qu'il ne se pliât pas une fois de plus sous l'étreinte de bras différents—oh! oui, on pouvait le dire—des siens!

Il faut savoir encore qu'elle avait un vrai gros chagrin, en la pantomime des simagrées obligatoires,—car seule ou pas seule, est-ce la même chose, voyons?—et que, si elle avait été seule, toute seule, elle se serait vautrée sur ses tapis, se serait saoulée de larmes amères et de «Ah! mon Dieu!» toutes les deux secondes, et de «Qu'est-ce que je vais devenir?» dans les intervalles et de—car elle avait de la religion—«Sainte Vierge Marie, rendez-le moi!»

[Pg 75]

Il ne reste plus rien à savoir, hormis ceci, que le Poète avait beaucoup d'esprit et qu'il faisait des vers des vers «Ah! ma chère! des vers! oh! une grâce! un charme! Enfin, avouez qu'ils sont bien. Des caresses, vraiment oui, inexprimables, des caresses, des caresses...»

«Pense, disait le Poète, pense au pâle abandon...» Et la pas jeune et guère plus jolie femme devenait toute gracieusement pâle et finalement,—tel qu'un ciel enflammé des avant-crépuscules qui s'atténue vers les candeurs de l'agonie, toute blanche, toute blanche...

Ah! prends garde aux poètes consolateurs, prends garde au Verbe, à la magie des réalisations, prends garde aux Mots qui se dressent et vivent, aux évocations improvisées, aux incantations créatrices, prends garde aux logiques de la Parole:—toutes les syllabes ne sont pas vaines.

Le Poète disait:

«Pense au pâle abandon des vieux lys solitaires.»


[Pg 76]

L'OPÉRATEUR DES MORTS

A Rachilde.

J'étais près de celle qui ne remuera plus, jamais,—j'étais à genoux et je pleurais près de celle qui n'aura plus, jamais, de pleurs.

Je pleurais,—intérieurement, car j'avais trop peur pour pleurer des larmes humaines,—je pleurais divinement.

On entra. C'était un personnage vêtu de noir, de tenue probe, et ganté de noir.

J'interrogeais par le simple geste de la tête dressée, tournée un peu du côté de l'intrus.

D'une voix basse, calme et presque[Pg 77] vive, pourtant,—oui, d'une voix presque vivante, il répondit:

«Madame, je suis l'Opérateur des morts.»

Et comme je comprenais, trop bien hélas! ce qu'il fallait laisser faire, je me levai, m'écartant du lit, les doigts encore joints, presque crispés sur mon chapelet.

Il se pencha vers la morte adorée,—je regardais,—il replia le drap jusqu'au dessous des seins morts de ma morte, et, appuyant l'index au bord intérieur de la mamelle gauche:

«C'est là» dit-il.

Il l'avait mise en travers de sa bouche, l'épingle des cœurs morts, la grande épingle, pour l'avoir à portée de la main et frapper vite.

Il dit: «C'est là,»—et du coup il piqua, d'un seul coup.

Le visage de ma morte était toujours pareil: elle n'était pas plus morte maintenant qu'on l'avait tuée deux fois,—mais peut-être que son cœur immortel subissait, dans les au-delà, la transfixion!

Ah! lance métaphorique du soldat romain qui tous les jours transperces Jésus, et toi, épée mortuaire, n'êtes-vous[Pg 78] pas du même fer?

Alors, avec un sourire de complaisance consolatrice, il dit:

«Elle ne sera pas enterrée vivante.»

Il parlait de ma bien-aimée et me tendait un papier.

Je lui fis signe: Sur la cheminée. Ayant déféré à ma douleur avec l'assentiment poli qui signifie: Je suis sûr de vous,—il sortit.

Je me penchai vers la morte adorée: c'était une longue épingle d'acier à pommeau d'argent bruni, en forme de croix,—une épée de croisé, une épée de milicien du Christ... Ah! le symbole, amie, se réalisait donc,—puisque tu l'avais réelle et sanglante en ton sanglant cœur, la Croix!


[Pg 79]

L'ENFER

A Louis Dumur.

Dans son humble cellule, traversée d'étranges lueurs qui ne provenaient ni de l'aube naissante, ni de la lampe moribonde, l'illustre Hérétique écrivait.

Au début de son léger Monitoire, il avait posé cet indéniable aphorisme, base de toute morale vraiment sérieuse:

Il y a un enfer

Maintenant, en de rougeoyantes cornues, il distillait les immondes sulfures, activait dans les marmites du diable les soupes à la poix, cuisinait les sauces au bitume, dosait les rations d'huile bouillante, trempait[Pg 80] dans la résine, pour des illuminations anniversaires, les cheveux blonds des Biens-Aimées et la barbe des Amants; il élargissait de vastes étangs d'alcool où, comme des ronds de citron dans un punch, des énergumènes flottaient, sommés de flammes vertes; il arrosait de plomb fondu les crânes rebelles au Verbe éternel, et la chair dévorée renaissait magiquement pour grésiller encore sous l'immortelle pluie de feu; ici, un terrible hachoir hachait les mains menteuses; là, un racloir, d'un mécanisme surhumain, raclait sur leurs os gémissants la chair stérile des vierges folles;—et des cœurs tombaient sous la meule infernale aussi pressés que des grains de blé.

L'illustre Hérétique n'oubliait pas les âmes, fourbissait, avec le plus grand soin, les fourches de la peur, les flèches du remord, les colliers de l'angoisse, les marteaux de l'effroi, les chaînes de la honte, les tenailles de la désolation.

Ensuite, il passa aux preuves.

Il évoquait de sinistres damnés, de lamentables cadavres surgissant et disant avec des yeux pleins d'une[Pg 81] épouvante infinie: «Je suis en enfer!» Ratbod, roi des Frisons, émergea ainsi du fond des abîmes, vint secouer devant ses officiers surpris des menottes de fer rouge. De même, le comte Orloff, quittant pour un instant les géhennes, manifesta, grâce à sa présence insolite en pantouffles et en robe de chambre, la vérité de l'enfer niée par un incrédule général. Et d'autres, et combien d'autres, rejetés momentanément par le gouffre, marquèrent sur les vivants, sur les meubles, sur les tentures, les traces carbonisées de leurs doigts en feu, ou bien, avec une jovialité véritablement démoniaque, s'amusèrent, comme ce damné fameux, dont parle Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, à revenir asperger d'innocentes créatures avec un liquide plus corrosif que l'eau seconde, en criant d'une voix non dénuée d'une certaine ironie: Voici l'eau froide dont on se rafraîchit en enfer.


Des nuages couvraient le ciel, l'humble cellule était traversée de lueurs qui ne provenaient ni du soleil voilé ni de la lampe morte.

[Pg 82]

L'illustre Hérétique avait incliné vers la table sa tête médiatrice, il la releva soudain, et, pris d'un douloureux ricanement, il proféra ces quelques syllabes:

Et moi aussi, j'irai en enfer

... Et des cœurs tombaient sous la meule infernale aussi pressés que des grains de blé.


[Pg 83]

PRESCIENCE

Sol de Stella
Saint Bernard
A moi-même.

Elle ouvrit sa fenêtre:

C'était un paysage de printemps, jeune, pas fini, un paysage d'aube attardée et de lueurs attendues,—des cieux pâlement fleuris, l'envers d'une soie brochée, une broderie de feuillages en enfance sur du tulle mauve...

Il y eut un arrêt, avant l'exaltation certaine des lueurs attendues. Quelque chose de clarifiant allait surgir dans une bénédiction prochaine. L'Étoile mystique accouchait du Soleil d'Amour...

[Pg 84]

Elle referma sa fenêtre, disant:

«Et moi, j'attends Celui qui ne viendra jamais.»


[Pg 85]

LES JOIES PRIMITIVES

A moi-même.

Que me veux-tu, ombre des Joies primitives, et pourquoi reviens-tu m'obséder tous les ans, à la même heure, à la dernière?

... Parfums des résédas épars et des tilleuls, charme des ancolies en deuil, franges des végélias! Fraîcheur des ruisseaux clairs sous les aunes jaloux, menthes où s'est tapie l'angélique grenouille aux yeux doux!...

—Tout cela, dit l'Ombre, c'est pour te rappeler aussi l'odeur des ciguës, des suprêmes ciguës coupées dans la verdeur matinale, c'est pour te rappeler la ciguë et son odeur exceptionnelle, et criminelle.


[Pg 86]

CHAMBRE DE PRESBYTÈRE

A Émile Barbé.

On pouvait communier sans honte avec la tristesse de l'herbe. C'était, sous les pommiers amaigris, la languide rousseur d'un gazon mort, enfin décoloré par les gelées: la neige avait fondu qui, la veille encore, jetait sur cette désolation la fadeur naïve de son penaillon sentimental. L'hiver grelottait tout nu, et parmi la noire dentelle des arbres en coupelle, un ciel bourbeux dormait, tel que l'eau de ces mares hantées où flottent, à la tombée de la nuit, des cadavres d'enfants étranglés sans baptême.

Il venait de se lever, de se vêtir vite, car, hors du lit riche en plumes[Pg 87] et en laines, cette vaste cellule sans tapis, ni tentures, sans feu, refusait l'offrande du plus humble réconfort. Un hexagonal pavé de briques roses avec des trous qui faisaient hancher les lyres des chaises rempaillées et déniaient tout aplomb à la table de bois blanc, vêtue de toile écrue, où s'érigeait dans sa cuvette exiguë et carrée, la fleur urcéolée d'un pot de faïence de Rouen; des murs plâtrés peints couleur d'ocre avec l'unique attirance, sur une planchette, de la Vierge au rosaire, porcelaine blanche et souriante, vers qui se penchaient, innocents acolytes, deux tiges de lis, en boutons vierges, fuseaux pareils au pénis immaculé d'un enfant; le lit à colonnettes, à ciel, à rideaux pers écartés des pieds et du chevet par des tringles à soroses d'or: ainsi la chambre où l'Ami, en cette matinée de décembre, songeait.

Il laissa sur les vitres verdies retomber la mince cotonnade jaune, de celles qui obstruent les fenêtres des séminaires, et lâchement enfonça sous les draps encore tièdes ses mains glacées.

Ce lit, d'une grossière et lourde[Pg 88] volupté, lui apparaissait, dans cette salle morne, comme un péché, seul, dans la vie d'un cénobite.


[Pg 89]

L'ENTRÉE DES HOMMES D'ARMES

A P.-N. Roinard.

Il regagna les premières maisons du petit bourg féodal, s'engagea dans les étroites rues, passa sous un antique porche où pointaient encore les dents rouillées d'une herse. Franchie cette menaçante voûte, on apercevait de monumentales arcades, des ogives fleuries d'écussons. Dans ces solides ruines, une auberge s'abritait, dominée par le puissant donjon dont les créneaux émergeaient d'un fouillis de lierres. La cour était vaste, enclose de vieilles murailles, déserte, animée seulement par les cris effarés des corneilles nichées dans les meurtrières.

[Pg 90]

Le donjon, le lierre, les corneilles, les murs anciens, les ogives, toute cette vétusté pleine d'une si noble paix! Il se posa sur un banc, éprouvant une réelle joie, le contentement de vivre, quelques instants, au milieu de pierres qui avaient vu d'autres faces, d'autres gestes, d'autres fêtes que les faces avides, les gestes pressées, les fêtes grossières d'un siècle mercantile.

Il déjeuna en plein air, servi par une alerte fille aux yeux bruns dont la coiffe en mitre arrondie, inclinée vers la nuque, s'accommodait à l'ensemble de la vision.

Une pareille péronnelle jadis avait dû capter par ses sourires la maussaderie des soudards anglais, ou arrêter, par un sérieux regard des mêmes yeux bruns et doux la lourde effervescence des reîtres bourguignons: peut-être que des sabots de cheval allaient retentir sous le porche, des lances cliqueter sur les cuissards d'acier... Il entendit la sonnaille des cottes de mailles, le grincement des solerets; des voix sourdement juraient sous la visière grillée des salades empanachées...


[Pg 91]

UNE MAISON DANS LES DUNES

A Paul Blier.

Jadis, au temps des Antoine et des Paphnuce, la Thébaïde l'eût tenté, avec ses cavernes et ses arènes muettes. Presque seul, vraiment seul, dans le désarroi des deuils récents et la survivance illogique des vieilles habitudes,—mort à ce qui n'était pas très loin, très haut ou très absurde,—il habitait une grande maison carrée, couvent égyptien, lourde blancheur écrasée dans l'or pâle des sables.

Terres conquises sur la mer, le sol en avait gardé la nostalgie; les herbes qu'il nourrissait avaient des formes marines; il cédait sous les pieds[Pg 92] comme le flot cède au poitrail des barques;—et les pins, ceinture sacrée qui enserrait la maison, s'étaient courbés sous l'éternel vent de l'Océan, ainsi que de fuyantes voilures.

Il crut, rentrant chez lui, qu'il allait visiter ses frères en monastère; il attendait sur le seuil la coule noire du père Hilarion...

Là bas, le phare d'Alexandrie dardait une flamme vive dans le couchant assombri.


[Pg 93]

NOUVELLES DES ÎLES INFORTUNÉES

A Jules Renard.

C'était un pays doux, triste et vert, comme recueilli dans une infortune ancienne, une vaste plaine affligée et résignée. Je pris un sentier serré entre deux haies d'épines sans fleurs, de lamentables épines qui semblaient pleurer sur la cruauté de leur destination, et, après avoir marché pendant des heures en la prison des lamentables épines, je fus arrêté par une barrière érigée telle qu'une absurde estacade entre moi et l'infini.

Les madriers brutalement équarris s'entrecroisaient, délimitant d'étroits losanges de lumière, je regardai et je vis:

[Pg 94]

Un jardin doux, triste et vert, où, fraîches et pommées, tristes, tendres et vertes, des salades poussaient, rien que des salades, rien que des laitues, et parmi ce tendre pâturage un troupeau de femmes nues. Je ne m'y trompai pas un instant; les descriptions des voyageurs étaient précises; je n'avais jamais vu de femmes: j'en voyais.

Ce spectacle m'intéressa.

La femme m'apparut alors comme un animal assez gracieux, que je classai immédiatement entre la sarigue et le kanguroo; mais elle différait de ces types par quelques détails fort caractéristiques. Ainsi, comme le cheval, les femmes ont une crinière, noire, baie, alezane, qui leur retombe sur les yeux et traîne jusqu'à terre; leur poil est rare, dru à certaines places, plus clair ou plus foncé que la crinière; elles n'ont pas de queue; pour se gratter, elles relèvent la patte de devant, contrairement à la plupart des autres animaux qui relèvent la patte de derrière; leurs mamelles sont pectorales, tandis que chez la plupart des mammifères elles sont inguinales.

[Pg 95]

Elles allaient çà et là, broutant de la tendre et verte laitue, ici une feuille, là une autre feuille, l'air inquiet, l'air quêteur, flairant pendant des minutes une salade qui, moi, m'aurait fort bien satisfait, mais qu'elles dédaignaient pour une autre toute pareille ou même moins appétissante.

Malgré leur apparence d'inquiétude, il me sembla qu'elles se courbaient avec plaisir vers la terre, contentes de justifier leurs appétits matériels, car pendant plus d'une heure que je les examinai, pas une, une fois, ne releva la tête: la salade, la bonne laitue faisait toute leur passion.

Jamais en vérité des animaux ne m'avaient intéressé à ce point; j'aurais voulu les voir de près, les toucher: je sifflai, j'appelai, j'imaginai les modulations les plus douces; comme au jardin des plantes, je passai ma main à travers la barrière, faisant des signes d'appel, feignant de détenir en mes doigts de bonnes choses: le troupeau ne fut pas ému.

J'étais impatient, je devins colère, je lançai des pierres sur les belles bêtes, mais je visais mal, je n'atteignis aucune croupe et le troupeau ne fut[Pg 96] pas ému.

Pourtant, je voulais une de ces bêtes!

La haie d'épines, la lamentable haie, triste de sa destination, encerclait le jardin d'une inéluctable défense, mais la barrière était franchissable. Je montai à l'assaut de mon désir, je réussis, et la ruse de tomber à quatre pattes me fit approcher inaperçu d'une petite alezane écartée du gros de la troupe. Elle fut saisie, jetée sur mes épaules; je me retrouvai, après une fiévreuse escalade, de l'autre côté de la barrière, sans que la conscience bien nette de ce rapt étrange s'affirmât en mon esprit, et, troublé, affolé, n'ayant repris haleine, ni regardé derrière moi, je m'enfuis, heureux de mon fardeau, de la bonne bête volée,—qui gémissait un peu, mais se laissait faire avec une inertie singulièrement douce.

Que se passa-t-il chez moi, dans la petite maison que je m'étais organisée près de la côte, en attendant le navire aux ailes blanches qui devait m'enlever aux Iles Infortunées?

Hélas! je ne saurais le dire.

Mais, dès que j'eus déposé la femme[Pg 97] dans mon enclos, dès que je l'eus flattée, dès que j'eus, par jeu, baisé son agréable crinière, dès que, prenant sa tête entre mes mains, j'eus fixé mes yeux sur ses yeux verts, ses yeux en vérité couleur de fraîche, de tendre, de verte laitue,—oui, à ce moment-là, dès que les yeux verts de la belle bête, ses yeux noyés dans une brume si animalement ingénue, ses yeux profonds comme l'idée du printemps éternel, ses yeux résignés et pleins d'une impérieuse charité, dès que ses yeux, des yeux comme je n'en avais jamais vu, m'eurent imprégné de leurs fluides,—je devins ivre, et peut-être fou.

Que se passa-t-il?

Rien que je puisse dire, puisque j'étais ivre et peut-être fou.

Mais depuis ce moment-là, la bête, dressée sur deux pattes, la bête devenue toute pareille à ce que j'étais, me domine et me dompte.

Et c'est moi qui broute la salade, la fraîche, la tendre, la verte laitue.

Et, je le sais maintenant, nul navire aux ailes blanches ne viendra m'enlever à la prison que je me suis faite, aux Îles infortunées.


[Pg 98]

UN ÉPISODE DU JUGEMENT DERNIER

A Charles Wiest.

Alors furent jugés ceux qui avaient reçu le don de l'intelligence et ceux qui avaient simulé l'intelligence.

Pendant que les invocateurs de Satan tombaient comme des balles de plomb dans l'excrémentiel marécage de leur propre crédulité, ils s'avancèrent donc sous la garde des anges indifférents, les favoris de la Parole.

Et parmi eux marchait un humble.

Ils furent tous jugés selon leurs œuvres, et leurs œuvres étaient si mauvaises que chaque démon reçut son bouc.

«Et toi, humble, demanda Notre-Seigneur[Pg 99] Jésus-Christ,—que m'apportes-tu?»

«Hélas! Rien, Seigneur. Je n'ai pas œuvré, je n'ai pas écrit;—clos dans un rêve d'amour, j'ai prié. O Seigneur, que je ne sois pas jugé selon mon néant, mais selon votre miséricorde! Vous m'aviez donné l'intelligence, le Verbe murmurait en moi, et je n'ai pas fait fructifier mon intelligence et j'ai fermé l'oreille aux murmures sacrés du Verbe éternel. Le champ de votre gloire est resté stérile sous mon inerte charrue; j'avais pour mission d'évoquer sur la terre nue la splendeur des moissons et la grâce des herbes: la splendeur et la grâce sont demeurées enfouies dans le sol confié à mon génie;—et pendant que les bœufs, couchés sous le joug inutile, dormaient, piqués des mouches, à la chaleur du jour, et pendant que le soleil illuminait la glèbe et lui donnait l'essence de la fertilité,—ah! Seigneur, qu'allez-vous dire?—retiré à l'ombre, à genoux et les yeux fermés, les mains jointes, je priais!»

«Viens, répondit Notre-Seigneur, viens, unique agneau qui me ressembles,[Pg 100] enfant de mon amour, fils de celle qui me fit homme, ami de mon père, agneau comme moi et innocent, viens que je sois ton frère, et Dieu te baise au front.

«Tu compris, toi, en la pureté de ton âme, ce que je demandais à ton génie, et la vanité de l'œuvre et la méchanceté du travail, Tu sus, laissant aux tristes l'âpreté des sueurs sous le soleil, gagner l'ombre divine que je suis et te réjouir sous mes feuilles, agneau avide de la fraîcheur répandue par l'arbre de vie.

«Tu avais reçu l'intelligence, homme, tu multiplias le don premier; je te donnai un cerveau, tu t'en fis trois: un sur les épaules et un à chaque genou.

«Tu priais, ami,—c'était l'Œuvre que je t'avais dévolue.

«Ah! poète vrai et sûr qui ne fus pas, comme d'autres, l'entremetteuse de l'idéal, qui ne fis pas le trottoir dans l'irréel, qui ne fus pas la putain du symbole,—tu le gardas donc pur de toute commixtion, ton génie, et les sots ne burent pas à ta cruche!

«Fontaine scellée, l'eau qui dormait en toi s'est gelée selon le cristal[Pg 101] des Douze Pierres et tu contrescelleras, à côté de la Pierre Angulaire, la porte désormais close de l'éternelle Jérusalem.

«—et cela, parce que tu as compris que le génie ne doit travailler que pour Dieu, pour Dieu seul,

«—et te voilà innocent de la fornication de l'esprit,

«—te voilà chargé de plus de chefs-d'œuvre et de plus de mondes que mon amour n'en avait conçu.

«Entre et sois la joie des Inconsolables: la Prière a tué l'Orgueil.»


[Pg 103]

TABLE

LIVRE I. Quelques uns
Distraction matinale
La Cloison
Les petits Pauvres
Le Rêve
Le Rachat des laides
La Chèvre blonde
Le Phonographe
Xénioles I, II, III
La Tour Saint-Jacques

LIVRE II. Quelques unes
Les Cygnes
Paraphrases
Sœur et Sœurette
[Pg 104] La fille de Loth
Petit Supplément
Les Correspondances
Le Crime de la rue du Ciel
Ariane, héroïde moderne

LIVRE III. Quelques autres
Vision
Prose pour un poète
L'Opérateur des morts
L'Enfer
Prescience
Les Joies primitives
Chambre de presbytère
L'Entrée des hommes d'armes
Une Maison dans les dunes
Nouvelles des Iles infortunées
Un épisode du Jugement dernier

LE MANS.—TYP. ED. MONNOYER






End of the Project Gutenberg EBook of Proses moroses, by Remy de Gourmont

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PROSES MOROSES ***

***** This file should be named 57712-h.htm or 57712-h.zip *****
This and all associated files of various formats will be found in:
        http://www.gutenberg.org/5/7/7/1/57712/

Produced by Clarity, Pierre Lacaze and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by The Internet Archive/Canadian Libraries)

Updated editions will replace the previous one--the old editions will
be renamed.

Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
law means that no one owns a United States copyright in these works,
so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
States without permission and without paying copyright
royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
of this license, apply to copying and distributing Project
Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive
specific permission. If you do not charge anything for copies of this
eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook
for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports,
performances and research. They may be modified and printed and given
away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks
not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the
trademark license, especially commercial redistribution.

START: FULL LICENSE

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full
Project Gutenberg-tm License available with this file or online at
www.gutenberg.org/license.

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project
Gutenberg-tm electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or
destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your
possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound
by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the
person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph
1.E.8.

1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the
Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
works in the collection are in the public domain in the United
States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
United States and you are located in the United States, we do not
claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
displaying or creating derivative works based on the work as long as
all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting
free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm
works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily
comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when
you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
in a constant state of change. If you are outside the United States,
check the laws of your country in addition to the terms of this
agreement before downloading, copying, displaying, performing,
distributing or creating derivative works based on this work or any
other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no
representations concerning the copyright status of any work in any
country outside the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear
prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work
on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the
phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed,
performed, viewed, copied or distributed:

  This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
  most other parts of the world at no cost and with almost no
  restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
  under the terms of the Project Gutenberg License included with this
  eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the
  United States, you'll have to check the laws of the country where you
  are located before using this ebook.

1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is
derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
contain a notice indicating that it is posted with permission of the
copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
the United States without paying any fees or charges. If you are
redistributing or providing access to a work with the phrase "Project
Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply
either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm
trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works
posted with the permission of the copyright holder found at the
beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
any word processing or hypertext form. However, if you provide access
to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
version posted on the official Project Gutenberg-tm web site
(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
provided that

* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
  the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
  you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
  to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
  agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
  Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
  within 60 days following each date on which you prepare (or are
  legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
  payments should be clearly marked as such and sent to the Project
  Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
  Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
  Literary Archive Foundation."

* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
  you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
  does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
  License. You must require such a user to return or destroy all
  copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
  all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
  works.

* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
  any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
  electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
  receipt of the work.

* You comply with all other terms of this agreement for free
  distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The
Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm
trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
electronic works, and the medium on which they may be stored, may
contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium
with your written explanation. The person or entity that provided you
with the defective work may elect to provide a replacement copy in
lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
or entity providing it to you may choose to give you a second
opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
without further opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of
damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
violates the law of the state applicable to this agreement, the
agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
www.gutenberg.org



Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
volunteers and employees are scattered throughout numerous
locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
date contact information can be found at the Foundation's web site and
official page at www.gutenberg.org/contact

For additional contact information:

    Dr. Gregory B. Newby
    Chief Executive and Director
    gbnewby@pglaf.org

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
state visit www.gutenberg.org/donate

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate

Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.