The Project Gutenberg EBook of Les historiettes de Tallemant des Réaux, Tome quatrième, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Les historiettes de Tallemant des Réaux, Tome quatrième Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle Author: Various Editor: Louis Monmerqué Hippolyte de Chateaugiron Jules-Antoine Taschereau Release Date: April 8, 2013 [EBook #42497] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HIST. DE TALLEMANT DES REAUX *** Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. MÉMOIRES DE TALLEMANT DES RÉAUX. PARIS, IMPRIMERIE DE DECOURCHANT, Rue d'Erfurth, no 1, près de l'Abbaye. LES HISTORIETTES DE TALLEMANT DES RÉAUX, MÉMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DU XVIIe SIÈCLE, PUBLIÉS SUR LE MANUSCRIT INÉDIT ET AUTOGRAPHE; avec des éclaircissements et des notes, PAR MESSIEURS MONMERQUÉ, Membre de l'Institut, DE CHATEAUGIRON ET TASCHEREAU. TOME QUATRIÈME. PARIS, ALPHONSE LEVAVASSEUR, LIBRAIRE, PLACE VENDÔME, 16. 1834 MÉMOIRES DE TALLEMANT. LA PRÉSIDENTE PERROT. La présidente Perrot est fille de cet impertinent nommé Combaut, à qui M. de Sully, comme on voit dans ses Mémoires, vouloit faire couper le cou à Londres, durant son ambassade; c'est celui-là même pour qui on prit Gombauld, l'académicien. Il étoit fils d'un garde-sacs fort riche. La présidente Perrot est une des femmes du monde qui a le plus de mignon: je dis qui _a_, parce que, encore aujourd'hui, après avoir fait dix-huit enfants, si je ne me trompe, elle est encore jolie, et, quoique petite, elle n'est point devenue trop grosse. Elle a toujours été un peu coquette; mais on ne croit pas qu'elle ait conclu; elle ne manque point d'esprit. D'Ablancourt, cousin-germain de son mari, y mena Patru, avec lequel il avoit fait amitié; ils y étoient tous les jours. Un carnaval, qu'on devoit jouer _les Bergeries_ de Racan, en une société du quartier Saint-André, chez un nommé M. Guiet, greffier du parlement, il prit une fantaisie à un vieux garçon, parent du président, nommé Montgazon, Gascon, et qui avoit vu tout le beau monde, de jouer une farce après cette pastorale: on ne fit que rire de cette pensée. Le lendemain, la présidente, qui étoit en couche, écrit un billet à Patru, qu'il vînt vite, et elle lui dit, quand il fut arrivé: «C'est tout de bon aujourd'hui; Montgazon a déjà fait le plan; ceux qui jouent les _Bergeries_ sont ravis de notre proposition.» Le dessein fut fait pour les acteurs qu'on avoit, et pour se moquer des amants qu'avoit la fille de Guiet. La présidente, quoique, se conservant avec grand soin, elle fût d'ordinaire fort long-temps en couche, se leva pourtant au bout de trois semaines. Elle étoit fort jolie, fort éveillée et fort jeune. Son mari n'étoit alors que conseiller; on donna à la présidente le personnage de la fille à marier; son père se nommoit sire Anselme: c'étoit d'Ablancourt; et la propre demoiselle de la présidente faisoit sa mère. Madame Des Etangs, sœur du président, faisoit la servante; Gros-Guillaume, c'étoit un gentilhomme de Brie, nommé Meneton; Patru étoit le premier amoureux; un conseiller, nommé Ligny, garçon riche, mais assez sot, faisoit un écolier nouvellement revenu d'Orléans; et quoique, comme j'ai dit, ce ne fût qu'un impertinent, il ne laissa de faire fort bien; car, en faisant l'impertinent, il faisoit son personnage. Il étoit encore garçon et un peu feru de la présidente; il gronda quelque temps de ce que Patru avoit fait le premier personnage; mais Montgazon, qui étoit un diseur de vérités, lui dit qu'il se moquoit, et qu'il falloit que chacun fît ce à quoi il étoit propre. Ce Montgazon jouoit une fois contre un homme qui avoit les mains fort noires, et qui fit tomber par mégarde des jetons. «Mais aussi, lui dit-il, monsieur, de quoi vous avisez-vous, de jouer avec des gants?--Je n'en ai point, dit l'autre.--Ah! ma foi, reprit-il, je croyois que vous en eussiez.» Pour revenir à Ligny, il alla dire une fois à Montgazon: «Monsieur, j'ai considéré comment fait Térence, il ne fait pas comme vous.--Quand vous entendrez Térence, lui dit Montgazon, on vous en croira.» On avoit mis un homme du voisinage, nommé Le Fèvre, pour faire le quatrième amoureux. Le président Perrot faisoit le troisième, qui étoit un capitan: c'étoit un assez petit rôle. Ce Le Fèvre en un endroit avoit à dire: «Madame, je l'entendrai volontiers.» Il dit: _voulentiers_, et prit son chapeau par la forme pour faire une révérence. Montgazon dit: «Regardez, de sa vie il n'a dit _voulentiers_, ni n'a pris son chapeau comme cela.» On le cassa. La scène s'ouvrit par madame Des Estangs, en chantant et en filant, deux choses qu'elle faisoit admirablement bien; d'ailleurs, elle étoit née à la comédie, et surtout pour le personnage de servante. Ce début fut si gai et si agréable qu'un Italien, nommé Andreossi, qui avoit résolu de s'en aller dès que la pastorale seroit finie, lui qui avoit vu tous les bons farceurs de delà les monts, y demeura jusqu'à quatre heures du matin, encore qu'il n'eût point soupé. D'Ablancourt, au jugement de tous, passa de bien loin Gauthier-Garguille, dont il avoit imité l'habit. Il chanta aussi une chanson comme lui. En un endroit de la pièce, Meneton surpassa aussi Gros-Guillaume, car ils paroissoient l'un et l'autre aussi naturels que ces deux excellents acteurs, et avoient bien plus d'esprit. Ils furent fort plaisants dans l'entretien qu'ils eurent sur le Grand-Caire, où sire Anselme avoit, disoit-il, été consul de la nation françoise. «Ah! vraiment, disoit Agathe (la présidente s'appeloit ainsi), nous ne dînerons de long-temps; voilà mon papa sur son Grand-Caire!» Patru et elle se dirent de fort plaisantes choses. Elle lui reprocha sa petite vie, car elle n'ignoroit pas l'histoire de madame Levesque[1], et lui ne l'épargnoit pas, car il la connoissoit fort bien; il savoit qu'elle eût bien voulu qu'il eût été de ses adorateurs, et lui ne vouloit point avoir affaire avec une fine mouche qui ne prétendoit que badiner[2]. La demoiselle faisoit si bien que, quand elle se mettoit en colère, les veines du col lui enfloient gros comme le doigt; et elle étoit ravie de pouvoir gronder sa maîtresse, et lui dire ses vérités impunément. [1] On a vu plus haut l'histoire de madame Lévêque (t. III, p. 278). [2] Si quelqu'un en a eu quelque chose, ç'a été le fou de président de La Barre. (T.) En une scène, sur la fin, sire Anselme, qui vouloit honnir sa servante, qu'il avoit surprise en flagrant délit, consultoit avec son valet; Gros-Guillaume étoit d'avis qu'on la mît sur le cheval de bronze avec un écriteau: «Voire, dit l'autre; mais qui t'a dit que le cheval de bronze porte en croupe.» Il dit un million de folies, et quasi rien de ce qu'on avoit prémédité. Et la seconde fois, il dit toutes choses nouvelles. Il a l'esprit admirablement vif. Aux noces de sa fille, il se mit à danser _la Pavane_, et on dit qu'il n'y a jamais rien eu de si plaisant. Feu M. le comte (_de Soissons_), qui en ouït parler, voulut voir cette farce, car elle fut jouée deux fois. L'autre fois, ce fut chez la mère de la présidente; mais on lui fit dire que s'il venoit on ne joueroit point. Patru dit qu'il n'a jamais tant ri qu'il rit aux répétitions. Pour le reste on l'a oublié[3]. [3] Cette description d'une farce jouée en société, du temps de Louis XIII, est une des choses les plus curieuses que Tallemant nous ait transmises. Les autres Mémoires du temps n'offrent rien d'analogue. PERROT D'ABLANCOURT[4]. D'Ablancourt en ce temps-là avoit le plus beau feu du monde. On lui avoit donné je ne sais quel dogue à cause qu'il logeoit vers le Luxembourg: le chien aboyoit toute la nuit. Il le vendit en disant: «J'aime bien mieux être volé deux fois l'année que de ne dormir point toutes les nuits.» En ce temps-là il jouoit, et, comme il perdoit, son laquais le vint tirer par-derrière et lui dit: «Mordieu! vous perdez là tout notre argent, et tantôt vous me viendrez battre[5].» [4] Nicolas Perrot d'Ablancourt, né à Châlons-sur-Marne le 5 avril 1606, mort à Paris le 17 novembre 1664. [5] Ce même valet, qui avoit été nourri avec lui, se mit en tête de le marier; mais d'Ablancourt manquoit toujours aux entrevues. Une fois il lui dit: «Mais ne me faites donc plus comme cela; je n'ai que des reproches de vous.» (T.) Le père du président, nommé Cyprien Perrot, conseiller à la grand'chambre, étoit un homme de mérite, et qui ne craignoit rien. Sa famille l'enferma le jour qu'on jugea la maréchale d'Ancre, car il n'eût pas manqué de l'absoudre. Ce fut lui qui sauva Théophile. Son père, Nicolas Perrot, dont l'anagramme est: _portera conseil_, étoit chancelier du duc d'Alençon, et eût été chancelier de France, si son maître eût survécu à Henri III: ce chancelier étoit un grand personnage. Cyprien Perrot avoit beaucoup d'estime pour son neveu d'Ablancourt, et, voyant que M. de La Salle son cadet, qui s'étoit fait huguenot, avoit laissé ce garçon, qui étoit son fils, fort jeune, il l'empauma, et lui fit changer de religion. Il étoit sur le point de lui faire avoir une abbaye quand il prit je ne sais quels remords à d'Ablancourt; il n'avoit pas la conscience en repos; il s'en va étudier en théologie en Hollande. La présidente disoit à Patru que toute sa frayeur étoit que d'Ablancourt ne se fît ministre. Au retour de là il se mit à travailler, car il avoit mangé une partie de son bien, et le père, qui étoit naturellement fainéant, non pas à écrire, car en vers et en prose il a fait plusieurs méchants ouvrages, lui disoit toujours: «Ma surdité... (Il en étoit incommodé; et de là vient qu'un Italien disoit de d'Ablancourt, _stentoreggia sempre_, car il étoit accoutumé à parler à un sourd.) Ma surdité, disoit ce bon homme, m'a empêché de faire quelque chose.» Comme d'Ablancourt étoit en Hollande, un libraire lui dit: «Monsieur, ne vous plairoit-il point acheter un gentil poète françois?» Il trouva que c'étoit son père. D'Ablancourt étoit un esprit comme Montaigne, mais plus réglé; il s'est amusé par paresse aux traductions, et n'a rien produit de lui-même que la préface de _l'Honnête femme_[6]. Lui et Patru raccommodèrent fort le livre du Père du Bosc qui a ce titre. Cette préface fut faite avant que d'Ablancourt allât en Hollande. Après avoir bien lu les Pères, il dit que pour trouver du sens commun il faut aller au-dessus de Jésus-Christ. Il disoit à l'Académie, sur le mot _apostoliquement_: «On dit _prêcher apostoliquement_, pour dire prêcher mal.» Une fois voyant Patru qui se tourmentoit de ce qu'on alloit mettre une sotte phrase dans le Dictionnaire, il lui dit: «Ne te mets point en peine; puisque je tiens aujourd'hui la plume, j'y mettrai bon ordre.» Je ne parlerai point ici de ses traductions ni des libertés qu'il s'y donne. Il faut bien qu'il ait raison, puisqu'on lit ses traductions comme des originaux. Il commença par quelques harangues de Cicéron: _Pro Quintio_, _pro lege Maniliâ_, _pro Ligario_, _pro Marcello_, sont de sa traduction; après il traduisit Minutius Félix, Tacite, Arrien, César, la Retraite des dix mille et Lucien. [6] Ce passage montre que d'Ablancourt a composé la préface de _l'Honnête femme_, par le Père Du Bosc, religieux cordelier, conseiller et prédicateur ordinaire du Roi. Paris, 1658, petit in-12. Nous citons la quatrième édition, qui est sous nos yeux; elle est dédiée à la duchesse d'Aiguillon. La préface, qui sert de défense à l'ouvrage, indique qu'elle n'est pas de l'auteur, mais d'Ablancourt y garde l'anonyme. Il s'est accoquiné à la province, et il ne vient presque plus ici que quand il a un livre à faire imprimer. J'oubliois de dire qu'il copie jusqu'à cinq fois ses ouvrages. C'est un garçon d'honneur et de vertu, et le plus humain qu'on sauroit trouver. Il a peu de santé à présent, et cela l'attache encore plus que jamais à la campagne. Il disoit que la Providence mettoit toujours l'appétit d'un côté et l'argent de l'autre. Sur une contestation qu'ils eurent, Conrart et lui, sur l'orthographe de _fistes_, etc., s'il falloit une _s_ ou non, après avoir disputé je ne sais combien de jours, un matin il lui porta le livre qu'il vouloit faire imprimer: «Tenez, lui dit-il, mettez les _fisstes_ et les _fusstes_ comme vous voudrez. J'ai doublé l'_s_ pour faire sentir qu'il la faut siffler.» Quand, pour excuser un mauvais auteur, on lui disoit: «Mais ne trouvez-vous pas qu'il a bien du feu?--Oui, répondoit-il, mais c'est du feu d'enfer.» Ce fut M. Nau, sieur de Montgazon, qui avoit été avocat, et est mort abbé d'Hermières[7], qui lui inspira l'aversion qu'il eut toute sa vie pour le barreau. Il soutenoit que presque tous les gens de robe étoient des ridicules, et il disoit de Patru: «C'est dommage qu'il soit avocat.» C'étoit un vieux garçon qui avoit vu le beau monde. [7] L'abbaye d'Hermières, près de Tournan en Brie. D'Ablancourt dansoit naturellement en grotesque sans avoir jamais appris à danser; il contrefaisoit si parfaitement Gauthier-Garguille, que ce célèbre acteur ne dédaignoit pas quelquefois de disputer contre lui à qui joueroit le mieux. Tous les soirs il divertissoit son oncle Perrot en contrefaisant tout le voisinage; il contrefaisoit son oncle même, et jouoit le baron d'Auteuil plus que personne. «N'ai-je pas, disoit-il, fait imprimer ma généalogie, mon âge; et l'âge de toutes mes sœurs n'y est-il pas?» Cela faisoit enrager la présidente. Cette grande gaîté s'évanouit par son second changement de religion, ou plutôt, pour parler correctement, par sa récipiscence: il ne fut plus si agréable à beaucoup près. Une fois que Patru alloit plaider: «Ah! lui dit-il, mon ami, je te plains; c'est le malheur des honnêtes gens qu'en quelque lieu qu'ils parlent, il faut qu'ils parlent devant bien des sots.» LE BARON D'AUTEUIL. La présidente Perrot a un frère qui a l'honneur d'être un peu fou par la tête. Il s'avisa en sa petite jeunesse de dire qu'il étoit de la maison de Bourbon, non royale; et s'étant mis à suivre le barreau pour quelques années, pour y faire admirer son éloquence, il se faisoit porter la robe par un page, et s'appela le baron d'Auteuil; il fit une belle généalogie, bien imprimée, et prit l'épée. Après, il se maria à une Bournonville, de bonne maison de Flandre, à la vérité, mais fort gueuse. Cette femme prit la peine de le faire cocu, et de lui aider à se ruiner. Elle mourut jeune, et, comme la présidente alloit pour le consoler, dans le transport, après avoir dit qu'il perdoit une femme de grande vertu, il se mit à genoux, et dit qu'il n'y avoit que Dieu qui lui pût donner la consolation nécessaire, et que c'étoit à lui seul qu'il la falloit demander. Une fois la présidente, voyant son fils aîné folâtrer, dit à d'Ablancourt: «Tiens, il sera fou comme toi.--Dites comme son oncle d'Auteuil, ma cousine, répondit d'Ablancourt; c'est un Perrot enté sur Combault.» Une fois le baron et d'Orgeval, maître des requêtes, se prirent de paroles: le baron conta cela à sa sœur, et lui dit: «Ma sœur, il fut assez insolent pour m'appeler _chevalier de la table ronde_. Je vous jure que sans le respect que je me porte à moi-même, je lui eusse passé mon épée au travers du corps.» Cet homme s'avisa après de faire des livres; et, pour cajoler le cardinal de Richelieu, il alla faire l'histoire de tous les ministres d'État, et il veut, à toute force, que chaque roi ait eu un premier ministre. Depuis, M. le Prince d'aujourd'hui[8], je ne sais par quelle rencontre, l'alla mettre auprès du duc d'Enghien, où il ne fut pas long-temps. [8] Le grand Condé. MADAME COULON. Madame Coulon est fille de Cornuel, contrôleur général des finances[9] et président des comptes, et de sa servante qu'il épousa un peu avant de mourir. Elle fut mariée en premières noces à un marchand qu'on appeloit M. de La Marche; La Marche ne dura guère; elle revint chez son père. Or, il avoit un commis, nommé Argenoust, qui avoit une jolie femme; le président s'en accommodoit, et le commis, par droit de représailles, s'accommodoit de sa fille Cornuel le surprit un jour avec elle: «Monsieur, lui dit cet homme, vous avez ma femme, il est raisonnable que j'aie votre fille». Cornuel mit sa fille à Montmartre, mais elle en sortit. Coulon[10] en devint amoureux. M. d'Elbeuf en étoit aussi épris; et elle est encore bien faite. On fit sur cela ce vaudeville: Bonjour la compagnie, Bonjour monsieur Coulon; La Marche est bien jolie, Mais craignez le bâton, Bonsoir la compagnie, Bonsoir monsieur Coulon. [9] Il étoit beau-frère de madame Cornuel, si célèbre par ses bons mots. (_Voyez_ l'article de cette dernière, p. 72 de ce volume.) [10] Coulon est conseiller au Parlement, et fils d'un homme d'affaires. (T.) On dit pourtant que Coulon coucha avec elle avant que de l'épouser. Durant sa grande amour, Coulon, en allant à la messe pour y voir la belle, demandoit aux gens: «N'avez-vous point vu mon ange? Mon ange est-il passé? Mon ange est-il allé à la messe?» Enfin, il l'épousa du consentement du père. Aussitôt il se met à en conter à celle-ci et à celle-là, et elle à coquetter de son côté. On dit qu'il disoit, voyant qu'il n'avoit point d'enfans, que tous ses amis et lui ne pouvoient faire un enfant à sa femme[11]. Cornuel mort, elle se fit séparer de biens, car c'est un étrange ménage, par le moyen de M. d'Émery, qui, ayant eu la charge de contrôleur général, s'étoit mis à lui faire l'amour; elle sauva la charge de son père et bien d'autres choses. Le prieur Camus fit ce maquerellage; la suivante étoit pour Chabenas. D'Émery faisoit faire plusieurs petites affaires à son inclination qui pouvoient valoir huit mille écus par an. Coulon ne bougeoit de chez le galant de sa femme, et offroit sa faveur à tout le monde; il l'accompagnoit à la campagne, et n'en faisoit point la petite bouche; aussi d'Émery lui rendit-il un grand service; car il fit un garçon à sa femme. L'abbé d'Effiat disoit que cet enfant étoit fort _émérillonné_. Un jour Coulon, en présence de Tallemant, le maître des requêtes, et de sa femme, appela la sienne p..... Elle se mit à pleurer, et lui reprocha que c'étoit lui qui avoit voulu qu'elle se donnât à M. d'Émery, et, avec une naïveté étrange, elle se mit à conter tout cela à madame Tallemant, qui se reculoit et lui disoit: «Madame, en voilà assez; en voilà assez, madame.» D'Émery la quitta pour Marion[12]. Depuis, je ne sais où elle s'étoit gâtée; mais le bruit à couru qu'elle avoit sué la v..... à la campagne, il y a plus de douze ans. [11] Un autre disoit: «Tout le monde couche avec ma femme hors moi.» (T.) [12] Marion de Lorme. (_Voyez_ son article, t. III, p. 141.) Il prit une fantaisie à Coulon, environ en ce temps-là, d'entendre les auteurs latins; il fait venir Pepandre[13], mais ce pauvre diable ne fut pas satisfait du paiement, et il disoit en se plaignant: «Je l'avois rendu digne d'une honnête femme.» [13] Ce nom est incertain dans le manuscrit. Coulon ne manque pas d'esprit; mais il dit des saletés: en présence des femmes, je lui ai ouï dire _sucre_. Au reste, on ne sait comme il a fait; mais, jusqu'à la _fronderie_[14], il a beaucoup dépensé. Sa femme lui donnoit peu; je ne crois pas que quelque vieille l'entretînt; il n'est ni assez jeune, ni assez beau pour cela. Je ne dirai pas aussi que ce fût la fausse monnoie. On parlera de lui amplement dans les Mémoires de la Régence. [14] Le conseiller Coulon s'étoit jeté à corps perdu dans le parti de la Fronde. LA PRÉSIDENTE LESCALOPIER. Lescalopier, président aux enquêtes, épousa une mademoiselle Germain, fille unique, qui étoit riche; depuis, il vendit sa charge, et eut un brevet de conseiller d'État. Ce n'étoit pas un homme trop bien bâti. Etant marié, il se négligea fort, devint bourru, et ne faisoit plus que lire Tacite. Sa femme, qu'on nomma toujours la présidente, étoit blonde et de belle taille, mais un peu gâtée de petite-vérole. Quand ce fou de marquis de Casquès[15], ambassadeur de Portugal, étoit ici, la voyant masquée au Cours, il la crut belle; mais quand, par je ne sais quelle aventure, elle se fut démasquée, il la pria de se remasquer. Elle vouloit pourtant faire accroire qu'il lui avoit envoyé des gants et des parfums, comme il faisoit à celles qui lui avoient plu. Le comte de Charost[16] avoit épousé la sœur de Lescalopier; ils logeoient ensemble. Toutes deux, aussi sottes l'une que l'autre, elles ne se vouloient point céder. «Moi, je suis femme de l'aîné.--Moi, je suis femme d'un capitaine des gardes-du-corps.» Elles se faisoient garder leur place à la table dès que le couvert étoit mis, l'une par un page, l'autre par un laquais. [15] Cascais (T.) [16] Charost, en parlant du cardinal de Richelieu, l'appelle toujours _mon maître_. Cela est bien _valet_. (T.) On dit de la présidente que, croyant que La Rivière, aujourd'hui M. de Langres, l'aimoit, à une collation elle ne mangea point, parce qu'il lui avoit dit que si elle lui vouloit témoigner qu'elle agréoit ses services, elle ne mangeroit point. Il se vouloit moquer d'elle, et en avoit averti la compagnie. Tout le monde se tuoit de la servir. «Je ne saurois manger, disoit-elle; j'ai une cruelle migraine.» Quelque temps après, elle demande un verre d'eau. La Rivière lui fit signe. Elle n'osa boire, et fit semblait qu'un mal de cœur lui venoit de prendre. Brégis, en dansant avec elle les _six visages_, la voulut baiser comme on fait à la fin; elle ne le vouloit pas. Il tâcha de la baiser par force; elle lui donna un soufflet, et lui la décoiffa. Ne voilà-t-il pas des gens bien raisonnables? Montferville a été de ses galans; mais celui qui a fait le plus de bruit, ç'a été Vassé, neveu de d'Ecqvilly, dont nous avons parlé ailleurs, mais qui ne valoit pas son oncle. Elle a dit qu'elle l'avoit aimé, à cause qu'il étoit d'une humeur conforme à la sienne, c'est-à-dire fort étourdi. Il disoit qu'elle étoit si changeante, que quand il avoit été quatre jours à Saint-Germain, il falloit recommencer sur nouveaux frais. Enfin, pourtant cela alla si avant que Charost s'en scandalisa, et mit le feu sous le ventre au mari, qui ne songeoit qu'à son Tacite, et, en plein jour, avec un arrêt du conseil, il la prend, et la mène dans un carrosse aux Feuillantines du faubourg Saint-Victor, où il avoit une parente. Sur cela, l'abbé de Laffemas fit la chanson que voici, qui a tant couru par tout le royaume, et qui en a tant fait faire d'autres: Ce fut entre deux et trois, Qu'une voix S'ouït près de Sainte-Croix[17]: Au secours, on m'assassine, On me _four..._ (_bis_)[18], on me fourre aux Feuillantines. On vit arriver Charost, Au grand trot, Qui lui dit d'un ton fort haut: Celles qui font les badines, Je les _four_... (_bis_), je les fourre aux Feuillantines. Est-ce donc là la douceur, Monseigneur, Qu'on a pour sa belle-sœur? Belle-sœur, tante ou cousine, Je les _four_... (_bis_), je les fourre aux Feuillantines. Voyant venir son époux En courroux, Elle se jette à ses genoux: Je ne serai plus mutine, Sauvez-moi (_bis_), sauvez-moi des Feuillantines. En ce moment a passé Son Vassé[19], Criant comme un insensé: Au secours, voisins, voisines, On la _four_... (_bis_), on la fourre aux Feuillantines. Hélas! pour le passe-temps d'un moment, Faut-il que je souffre tant? Pour avoir été coquette, Faut-il que (_bis_), faut-il que je sois nonnette? Encor si je l'avois fait Tout-à-fait, Je n'y aurois pas regret. Pour n'avoir fait que la mine, On me _four_... (_bis_), on me fourre aux Feuillantines. Les recors et les sergents Sont des gens Qui ne sont point obligeants. Pour gagner pinte ou chopine, Ils vous _four_... (_bis_), ils vous fourrent aux Feuillantines. [17] De la Bretonnerie. (T.) [18] Les femmes disoient bien soigneusement on me _four_.....; elles n'avoient garde d'oublier l'_R_. (T.) [19] Surnommé à la cour _Son Impertinence_. (T.) (_Voyez_ plus bas page 25.) On fit bien d'autres couplets qu'il n'est pas nécessaire de mettre ici[20]. [20] Il y a dans le manuscrit deux autres couplets que Tallemant a biffés. Les voici (le second est de Desbarreaux): Vous qui entendez mes cris, A Paris, N'irritez point vos maris, Car quand on fait la mutine, On vous _four_... (_bis_), on vous fourre aux Feuillantines. Monsieur de Bernay y vint, En satin, Tenant sa lardoire en main; Hélas! c'est notre voisine Que l'on _four_... (_bis_), que l'on fourre aux Feuillantines. Cela fit un bruit du diable, et les enfants se montroient le pauvre Lescalopier par les rues: «Tiens, tiens, disoient-ils, voilà le mari de la _Feuillantine_.» En ce temps-là on s'avisa de faire certaines rissolles au sucre, qu'on appela d'abord des _Florentines_; peut-être que le premier pâtissier qui en fit se nommoit Florent; mais aussitôt de _Florentines_ elles devinrent _Feuillantines_. Elle n'y fut pas long-temps, car la mère, par un arrêt du parlement, fit casser celui du conseil, et un des messieurs l'alla retirer des Feuillantines. Elle alla loger avec sa mère; là elle recommença à mener la même vie. Un jour, à la comédie au Palais-Royal, Vassé se trouva auprès d'elle, et les violons d'eux-mêmes se mirent à jouer les _Feuillantines_ entre les actes. Tout le monde les regarda et se mit à rire. Ce fut une étrange huée. Charost prit son temps et représenta à la Reine que cela étoit de grande conséquence, et fit tant qu'il eut un nouvel arrêt. Elle eut avis qu'avec des gardes-du-corps il vouloit l'enlever; elle se sauva chez le président de Novion, qui la mena à Villebon, d'où elle ne sortit qu'après s'être séparée volontairement de corps et de biens. Le mari lui donna une terre. Depuis elle alla de quartier en quartier, car sa mère même fut contrainte de l'abandonner. Elle reçut les violons ayant le grand deuil de sa belle-mère; il y avoit deux cents hommes et quatre femmes. Elle vendit une partie de cette terre dont elle eut dix mille écus. Un huguenot béarnois, nommé Hitton, qui avoit déjà escroqué une vieille veuve d'un des principaux officiers de la cavalerie des États nommé Valquembourg, lui en arracha dix-huit mille francs. Elle en avoit d'ordinaire deux; l'un qu'elle payoit, et l'autre à qui elle ne donnoit rien, mais qui ne lui donnoit rien aussi. On dit qu'un soir, comme elle avoit du monde à souper, et qu'on vouloit faire des œufs à la huguenotte, le cuisinier dit que M. Hitton avoit affaire du jus de mouton, et qu'il lui en falloit tous les soirs. Cependant elle donna un soufflet à Bouteville qui lui faisoit quelque insolence. Une autre fois qu'elle avoit encore les violons, Bouteville, en présence du prince de Conti, prit en badinant la perruque du chevalier de Roquelaure, et la jeta au milieu de la salle. Le chevalier lui donna quelques coups de poing, et puis dit tout haut: «Ce garçon est incorrigible; les soufflets ne le rendent point sage;» et puis s'en alla en haut dans la chambre du chevalier de Montaigu, car la présidente logeoit en chambre garnie: trente Gascons le suivirent. Pour Bouteville, il demeura sur son siége, et dansa comme si de rien n'eût été. Le prince de Conti les accommoda, et traita cela de badinerie. La _Feuillantine_ étoit ravie de voir que Bouteville avoit encore eu sur les oreilles. Enfin, elle se décria d'une telle force que Ninon s'offensa de ce qu'elle l'avoit fait prier au bal. [1650.] L'été d'ensuite, sa mère la fit mettre dans un couvent de la campagne, car personne n'en vouloit à Paris. Là, le jeune Saucour l'enleva au bout de quelque temps. Le soir qu'il l'attendoit à la porte, elle ne se coucha point, laissa coucher les autres, et quand l'heure fut venue, elle menaça, un couteau à la main, de tuer une tourière si elle ne lui ouvroit. Cette fille épouvantée, et peut-être bien aise d'en être défaite, lui ouvrit. Saucour et elle allèrent joindre M. le Prince. Elle a fait cent extravagances depuis, et étoit comme en plein b....l. Enfin, en 1666, vers la fin, elle persuada à son mari de la reprendre, qu'aussi bien elle n'étoit plus d'âge à pouvoir faire des folies. En effet, par principe de conscience ou autrement, il se remit avec elle. M. DE BERNAY. M. de Bernay étoit des Hennequins, bonne famille de Paris, et dont on dit: _Hennequin, plus de fous que de coquins_[21]. Il étoit conseiller à la grand'chambre, et abbé de Bernay en Normandie, une abbaye d'importance. C'étoit un bel homme et propre; mais il étoit tellement féru de la vision de tenir la meilleure table de Paris, qu'il en étoit ridicule. On l'appeloit le _Cuisinier de satin_, car il alloit dans sa cuisine; on lui mettoit un tablier; il tâtoit à tout, et faisoit tout cela fort sottement. L'archevêque de Rheims le faisoit tout autrement galamment que lui: c'étoit, s'il faut ainsi dire, un pédant de bonne chère, car il étoit esclave de l'ordonnance de ses plats. Les jeunes gens de la cour prenoient plaisir à lui-mettre tout en désordre. Il disoit de Martin, autre _happeur_, qu'il ne lui pouvoit pardonner de mettre du persil sur une carpe; que tout homme de bon sens ne feroit jamais cette faute. Un de ses dits notables, c'est qu'il n'y avoit rien si ridicule que de servir une bisque aux pigeonneaux après Pâques; qu'il ne falloit que cela pour lui donner mauvaise opinion d'un homme. Il disoit: «Mangez de cela, vous n'en trouverez pas de si bien apprêté ailleurs.» Il vouloit qu'on tâtât de tout. Il lui arriva une fois une étrange aventure. On jouoit chez lui; et le bruit couroit qu'il partageoit l'argent des cartes avec ses gens. Je ne sais quel brutal y alla dîner, et le bonhomme s'étant scandalisé de quelque chose qu'il avoit dit, il le traita de cabaretier, et lui dit que sa maison étoit une maison publique; que si on n'y payoit pas son écot, on payoit en donnant pour les cartes, et que, de ce profit-là, il tenoit cette table où il étoit certain qu'en bonne justice tout le monde devoit être reçu. [21] Boinville, qui fut trouvé caché sous le lit de la Reine-mère, qui alla à Saint-Gervais avec un habit et un chapeau blanc, et qui, ensuite, fut enfermé par ses parents, étoit Hennequin. (T.) Cet homme légua son cuisinier par testament au président Le Cogneux. Aussi infatué de la cour que de la bonne chère, dans la maladie dont il mourut, tout son chagrin étoit que le Roi, la Reine, ni le cardinal n'envoyoient point savoir de ses nouvelles. «Hélas! disoit-il, ne suis-je pas aussi bon serviteur du Roi qu'à la dernière maladie que j'ai eue? Le Roi me fit bien l'honneur d'y envoyer.» Pour le satisfaire, on fit venir des gens apostés qui, de temps en temps, venoient de la part du Roi, etc. Il mourut ainsi le plus content du monde. Peut-être en avoit-on usé ainsi l'autre fois? M. DE VASSÉ. Vassé étoit si décrié qu'on le surnomma _Son Impertinence_, et plus il va en avant, plus on trouve qu'il est bien nommé. Ce fut Rouville qui lui donna ce surnom. Il devint amoureux de Ninon, et la convia à un cadeau à Saint-Cloud. Il mit La Mesnardière de la partie. Cet homme, alors médecin-domestique de la marquise de Sablé, et auteur de profession, vint avec des bas couleur de feu, et, quoique Vassé eût quatre pages à cheval, il le laissa sur l'estrapontin, et se mit au fond auprès de la demoiselle, à qui il vouloit toujours parler bas. Scarron disoit que quand La Mesnardière avoit ses jambes couleur de feu, il croyoit enflammer tout le monde. Il étoit fils d'un apothicaire du Maine; et de _Julien_ qu'il s'appeloit il s'appela _Jules_, en l'honneur de Jules-César. Il a fait une poétique, où il donne pour modèle de la tragédie une pièce de théâtre qu'il avoit faite, nommée _Ælinde_; mais lorsqu'on voulut la jouer, elle fut sifflée. Revenons à Vassé. Ninon lui donna avis qu'il n'avoit pas l'haleine douce. «Que m'importe, répondit-il, je ne m'en tourmente pas.--Je vois bien, reprit-elle, ce que c'est: vous laissez ce soin-là à vos amis.» M. de Vassé, pour s'être marié, ne renonça pas à la galanterie. Il a épousé mademoiselle de Lansac. Dans son voisinage à la campagne, auprès de Tours, il y avoit une jeune femme fort jolie dont voici l'histoire. Une bretonne, nommée madame de Limoges, avoit une fille unique qu'elle accorda dès l'âge de dix ans, contre l'avis du tuteur de sa fille, à un cadet de la maison de Maillé[22]. Le tuteur fit signifier des défenses du parlement à la mère et à l'accordée. Les raisons de la mère étoient qu'elle ne prétendoit pas qu'on mariât sa fille comme on l'avoit mariée; qu'elle avoit épousé qui son tuteur avoit voulu. On passe outre; mais le mariage est rompu au parlement; la fille est mise en séquestre aux filles Sainte-Élisabeth. Au bout de quelque temps on accommode l'affaire; on les remarie; ils demeurent pendant quelques mois à Paris, où, par malheur, la mère et la fille, aussi étourdies l'une que l'autre, firent connoissance avec une mademoiselle Alain, femme d'un huissier du conseil, dont on conte maintes belles choses. Bientôt cette Alain fut leur confidente. Le mari fit ce qu'il put pour leur ôter cette connoissance, et la mère n'ayant point voulu cesser de voir cette demoiselle, un beau jour il loue un logis, et y emmène sa femme. Mais cela ne fit que jeter de l'huile dans le feu, car la demoiselle Alain, qui déjà étoit en colère de ce que mesdemoiselles de Carman[23], sœurs de Maillé, et le comte de La Marche, son frère, l'avoient priée un peu fortement de ne plus voir leur belle-sœur, résolut de leur donner de l'exercice. Elle se rend si bonne amie de la petite femme, qu'elle l'avoit des journées entières chez elle en cachette, et eut tout le loisir de lui mettre la galanterie dans la tête, et de lui donner de l'aversion pour son mari. La mère aussi servit à le lui faire haïr. Vassé, qui à cause de la terre de Lansac qu'il a eue de sa femme, étoit voisin de cette petite emportée, la trouvant aigrie contre son mari, s'en prévalut, et fit si bien qu'elle se résolut à se laisser enlever par lui pour se faire démarier après; pour cela elle se dérobe. Le mari, qui n'est qu'un veau, l'avoit laissée seule, sans mettre des gens sûrs auprès d'elle. Les gens de Vassé l'enlevèrent, et lui, à ce qu'on dit, se trouva sur le chemin à une journée de là, et l'accompagna à Paris secrètement. Il fut si sot que de la mener toujours à cheval; peut-être avoit-il peur qu'un carrosse ne fût plus aisé à découvrir. Elle n'avoit que quinze ans; elle vint vite; elle étoit délicate; cela la fatigua fort. On dit même qu'elle étoit toute meurtrie. Ici elle prit qualité de fille, et fut quinze jours avec mademoiselle Alain. Au bout de cela il lui prit un repentir; elle va trouver madame d'Angoulême, la veuve du bonhomme, qui loge aux filles de Sainte-Élisabeth, et qui y est toute puissante. Elle la connoissoit fort; elle étoit masquée, et la pria de trouver bon qu'elle ne se démasquât point qu'elles ne fussent seules. Madame d'Angoulême fut bien surprise de la voir. La petite femme la supplie de faire en sorte qu'on la reçoive dans ce couvent. «On n'y reçoit point, dit-elle, des personnes qui se veulent démarier.--Mais, madame, j'ai du regret de ce que j'ai fait; ce n'est qu'en attendant qu'on puisse accommoder mon affaire que je prétends demeurer céans.--N'importe, cela est impossible; mais allons à Pique-Puce, chez madame de Bouchavanes[24].» Comme elle y fut entrée, au bout de deux jours elle tombe malade. Le mari arrivé envoya, par l'avis d'un de ses amis, savoir comment elle se portoit, et lui dire qu'il étoit à Paris. Cet envoyé parle à madame de Bouchavanes, qui lui promet de ramener cet esprit tout doucement, et lui parle de son mari. «Ah! dit-elle, madame, il ne me pardonnera jamais.--Ne vous mettez point cela dans la tête, reprit l'autre; il est à Paris, et envoie savoir de vos nouvelles.--Il est à Paris, dit-elle, toute surprise, il est à Paris.» Et au même temps s'étant tournée de l'autre côté, elle entra en convulsion, et mourut ce jour même. Le mari et Vassé après quelques poursuites se sont accommodés. [22] Leonor-Charles, comte de Maillé, épousa, le 21 octobre 1653, Marie de Peschart, fille de François de Peschart, seigneur de Limoges, et d'Olive du Coudray. [23] Ce nom se prononce _Carman_, mais il s'écrit _Kerman_. [24] Une veuve dévote qui a un petit couvent. (T.) LE SAULNIER. LE ROI D'ÉTHIOPIE. Un conseiller au parlement, nommé Saulnier, jeune homme riche, mais fils d'un apothicaire, avoit une maison à Brie, proche Saint-Maur; il voulut voir le voisinage, et alla à Gournay, qui appartenoit à Guepean, président au Grand-Conseil. Ce président avoit un frère qui portoit le nom de Concressault. Ce frère, après avoir long-temps entretenu sa servante, l'épousa enfin; il en eut une fille; mais il ne la traita pas autrement en fille. De sorte qu'étant venu à mourir, Guepean, qui vouloit avoir le bien de son frère, éleva cette nièce comme une bâtarde, jusque-là, que feu M. d'Épernon en eut des enfants, et qu'elle fut même quelque temps au lieu d'_honneur_. Quand Saulnier alla à Gournay, cette nièce étoit avec madame de Guepean; il en devint amoureux; elle étoit belle, et puis il ne savoit rien de sa vie passée; et, la voyant auprès de madame de Guepean, qui étoit une grande prude, il n'eut pas le moindre soupçon, et s'enflamma si bien qu'il l'épousa. Ses parents plaidèrent pour faire rompre le mariage. Lui-même disoit qu'il avoit été ensorcelé, qu'on avoit usé de charmes. Guepean sollicite pour sa nièce. Saulnier, voyant que l'air du bureau n'étoit pas pour lui, n'attendit pas un arrêt, et s'accommoda. Guepean fut attrapé lui-même, car il fallut qu'il donnât vingt-cinq mille écus à sa nièce, à quoi il fut condamné. C'étoit un méchant homme, il en a été puni; il est mort sur un fumier. La Saulnier étant dans la dévotion, à ce qu'elle disoit, quand le roi d'Éthiopie vint à Paris[25], elle l'alla voir par curiosité comme les autres; et, sachant la réputation qu'il avoit pour ces choses de nuit, et que, comme un galant de l'Amadis, il se servoit dans ses combats d'une antenne au lieu d'une lance, elle eut bientôt conclu avec lui. Le mari ne s'en doutoit point; mais Des Roches[26], chanoine de Notre-Dame, enragé de ce que Zaga-Christ (on l'appeloit ainsi) lui enlevoit ses amours, car on a tout su ensuite par une lettre, le fit avertir de tout. Ce Des Roches faisoit l'ami de Saulnier, et lui avoit fait vendre sa charge, lui promettant de le faire conseiller d'État; il ne le put, et l'autre eut des lettres de vétéran, car il avoit vingt ans de service. Le mari fait informer des déportements de sa femme. Les amants, voyant cette persécution, résolurent de s'enfuir, et prirent ce qu'ils purent. Mais ils furent arrêtés à Saint-Denis. Elle fut mise en religion, où elle traita avec son mari. Elle disoit qu'elle aimoit mieux quatre mille écus dans son buffet qu'un sot sur son chevet. Zaga-Christ ne voulut point répondre devant Laffemas au Fort-l'Evêque, et dit que les rois ne répondoient qu'à Dieu seul. Pour faire le conte bon, on accusoit Laffemas d'avoir été comédien; on disoit que Laffemas avoit dit: «Qu'on m'apporte donc ma robe de Jupiter.» Le feu évêque d'Angers trouvoit ce conte si plaisant, qu'il appeloit sa plus belle robe de chambre, _sa robe de Jupiter_. Et dans son testament, il y avoit un endroit en ces termes: _Item_, je lègue ma robe de Jupiter, etc. [25] Madame de Rambouillet alla voir dans Ramusio, et trouva que les esclaves en Éthiopie étoient marqués au-dessus du sourcil. On dit qu'on lui trouva cette marque. Il y a une relation imprimée de son voyage et de sa fuite, ou plutôt un roman; car ce n'étoit en effet qu'une fable. (T.) Zaga-Christ se donnoit pour être fils du roi d'Abyssinie. C'étoit vraisemblablement un imposteur. Il se fit entretenir à Rome et à Paris, où il arriva en 1634. Il mourut en 1638, au château de Ruel, où il a été enterré. On lui fit cette épitaphe: Ci gît du roi d'Éthiopie L'original.... ou la copie. Le fut-il? ne le fut-il pas? La mort a fini les débats. [26] Michel le Masle, sieur Des Roches, portefeuille du cardinal. Il a de bons bénéfices. (T.) Depuis, M. de Ventadour, le chanoine de Notre-Dame, voulut tenter de la remettre avec son mari; il va le trouver; et, comme il parloit à lui, cette femme entre à l'improviste et se va jeter à ses genoux; lui saute à une épée, et la vouloit tuer si le chanoine ne l'eût fait sauver. Saulnier mourut vers le commencement de la conférence de Ruel (en 1649). Il laissa trois cent mille livres de bien. Cette femme, malgré deux arrêts du parlement qui avoient confirmé le traité que son mari avoit fait avec elle, vouloit entrer chez lui; et les héritiers furent contraints d'y faire mettre un corps-de-garde. M. DE LAFFEMAS[27]. M. de Laffemas étoit fils d'un tailleur de cour, surnommé Beausemblant. Il étudia et fut avocat; mais il s'attacha au Conseil, et enfin se fit secrétaire du Roi; il étoit tout ensemble secrétaire du Roi et avocat au Conseil. Le père avoit été à Henri IV, et ce garçon étoit assez connu du feu Roi qui lui témoignoit de la bonne volonté. Comme il avoit de l'esprit, il se poussa. On le fit procureur général de la chambre de justice; après, le Roi voulut qu'il fût reçu maître des requêtes; il avoit vingt ans de service d'avocat. On lui donna une partie de sa charge. Ce n'est pas qu'il n'eût de quoi la payer; car un commissaire au Châtelet, son parent, qui mourut garçon, et avoit cent mille écus vaillant, lui avoit laissé tout son bien, comme au plus honnête homme de sa parenté, et qui étoit le plus en état de faire quelque chose. Cette charge étoit nouvelle; cela de soi ne plaisoit guère aux maîtres des requêtes; d'ailleurs, leur corps s'opposa à sa réception comme d'une personne indigne. De Pleix, avocat assez satirique, mais mauvais plaisant, fut choisi pour plaider contre lui. On mit en fait qu'il avoit été comédien, et avoit fait le _fariné_. La vérité est qu'il faisoit assez bien Gros-Guillaume, qu'il avoit joué plusieurs fois, mais en particulier, comme tout le monde peut faire. On disoit encore qu'il avoit joué de ses propres pièces dans une troupe de comédiens de campagne, et qu'il s'appeloit _le berger Talemas_[28]. Je doute même, comme quelques-uns l'ont soutenu, qu'amoureux de quelque comédienne, il ait suivi une troupe, et que par hasard il lui soit arrivé de monter sur le théâtre, une ou deux fois, pour l'amour d'elle. [27] Isaac de Laffemas, d'abord avocat au Parlement de Paris, ensuite maître des requêtes, né en 1589, lieutenant civil en 1638, mourut vers 1650. [28] A Navarre, étant écolier, il fit une pastorale, qui y fut jouée, où il y avoit un berger _Lefamas_, ou _Lemafas_, ou _Falemas_, et un _Semblant beau_. (T.) Montauban[29], autre avocat qui plaidoit contre lui, dit: «On me demandera si je le reconnoîtrois bien? Non. Il étoit toujours enfariné; mais il avoit un gros porreau velu à la fesse gauche, qu'on voyoit bien clairement quand, pour faire rire, il montroit son c.l. S'il plaisoit au conseil d'ordonner qu'il vînt en un coin mettre chausses bas, etc.» Le chancelier de Sillery se mit à rire, et dit: «Montauban, vous êtes un goguenard.» Laffemas plaida lui-même sa cause et la gagna. Bois-Robert se vante de lui avoir fort servi auprès du cardinal de Richelieu. Le cardinal de Richelieu disoit: «Ce M. de Laffemas est venteux; s'il employoit à bien faire le temps qu'il met à parler, ce seroit un grand personnage.» [29] Ce Montauban, en lisant les auteurs, mettoit ce qu'il y trouvoit de beau sur de petits morceaux de papier, et jetoit tout cela dans un tiroir; puis quand il faisoit un plaidoyer, il tiroit une poignée de ces billets au hasard, et il falloit que tout ce qu'il avoit tiré entrât dans ce plaidoyer. (T.)--Si ce fait n'est pas exact, c'est au moins une critique spirituelle de l'abus qu'on faisoit alors dans les plaidoyers des citations sacrées et profanes. Chastelet, maître des requêtes, est celui qui lui a fait le plus de mal; car on a une satire de lui contre Laffemas, qui est sanglante, et il y a pourtant des endroits plaisants. Il insiste sur sa comédie et sur ses cruautés. Laffemas a passé pour un grand bourreau; mais il faut dire aussi qu'il est venu en un siècle où l'on ne savoit ce que c'étoit que de faire mourir un gentilhomme; et le cardinal de Richelieu se servit de lui pour faire ses premiers exemples. M. Despeisses le définissoit ainsi: _Vir bonus, strangulandi peritus_[30]. Il s'est vanté plusieurs fois de faire le procès à quiconque auroit manié l'argent du Roi, et d'avoir une manière d'interroger toute particulière pour tirer les vers du nez d'un criminel. Le cardinal de Richelieu voulant faire pendre un nommé Du Bois, qui, avec une canne percée dans laquelle il y avoit de l'or qu'il en fit couler dans une épreuve qu'il fit, lui avoit fait accroire qu'il avoit trouvé la pierre philosophale, et s'étoit fort diverti, au bois de Vincennes, à ses dépens; le voulant faire pendre, il le mit entre les mains de Laffemas, qui dit: «Au pis aller, nous l'accuserons de magie.» Je ne sais pas comment on s'y prit, mais Du Bois fut pendu. Je sais d'original une chose dont je ne saurois l'excuser. Il interrogeoit un marchand de Limoges, nommé Rouillac, accusé à tort de la fausse monnoie, et qui fut absous ensuite. Il fit tout ce qu'il put, quoique cela soit défendu par les ordonnances, pour obliger ce marchand à embarrasser dans ce crime Tallemant, trésorier de Navarre, père du maître des requêtes, à cause qu'il le haïssoit pour quelque amourette. Il étoit vindicatif et ambitieux. [30] Bois-Robert disoit que quand Laffemas voyoit une belle journée, il s'écrioit: «Ah! qu'il feroit beau pendre aujourd'hui!» (T.) Laffemas est passé à la postérité sous le poids de l'exécration. Juge inique, dévoué au cardinal de Richelieu, son nom est devenu le synonyme d'homme sans conscience, et presque de _bourreau_. Il trouva son second en Angleterre, George Jefferys, chancelier sous Jacques II. On se moque dans cette satire de Chastelet de ce qu'il condamna le cheval de bataille du baron de Siré à tirer le tombereau dans lequel étoit l'effigie de son maître. Un maître des requêtes, intendant d'armée, fit bien mieux, car il condamna les chevaux d'un homme comme cela à tirer à la charrette de M. l'intendant. Il étoit dévoué au ministère[31]. A la vérité, quand le cardinal de Richelieu lui fit exercer par commission la charge de lieutenant civil, il acquit beaucoup de réputation, et ôta bien des abus. A vivre en saint, comme on dit, mais ce n'est pas en saint de paradis, la charge peut valoir vingt mille livres; il n'en tiroit que six: aussi n'avoit-il rien donné pour cela; au lieu que Moreau avoit emprunté pour être lieutenant civil. On disoit: «Cet homme s'acquitte bien de sa charge,» car il voloit en diable et demi. [31] Il étoit mal avec le chancelier et avec Bullion, à qui il dit en plein conseil, qu'il seroit ravi d'avoir la commission de lui faire son procès, et qu'il ne le feroit guère languir. Bullion alla au cardinal faire ses plaintes, et lui dit qu'il falloit que lui ou Laffemas se retirât. On obligea Laffemas d'aller aux champs pour six semaines. (T.) Laffemas n'avoit pas passé pour voleur dans les intendances qu'il avoit eues. Je crois qu'il avoit les mains nettes[32]. Il étoit effectivement bonhomme; je ne lui ai jamais vu rien reprocher que ce que je viens de marquer. J'ai dit qu'il avoit de l'esprit. Il a fait plusieurs épigrammes; il n'y en a guère de bonnes que les premières faites. Il n'avoit pas grand jugement, ni grand savoir, ne se connoissoit que médiocrement aux choses, et avoit assez des défauts du peuple. Il s'avisa mal à propos d'aller faire des stances, en 1650, pour montrer que la Fronde n'avoit fait que du mal. On lui répondit avec ce titre: _Au Mazarin enfariné_; mais, quand on imprima la réponse, on ôta le titre. [32] Tardieu, lieutenant-criminel, l'alla accuser en plein conseil. «Il ne se contente pas, messieurs, dit-il, d'avoir sa charge pour rien, il empiète sur la mienne qui me coûte si cher.» Le chancelier, Bullion et tous les pendards étoient pour Tardieu. Laffemas répondit: «Je n'ai que deux mots à dire pour confondre M. le lieutenant-criminel. Un marchand de la rue Aubry-Boucher avoit quinze mille livres en argent dans un petit coffre-fort: des voleurs rompent sa boutique, entrent et emportent le coffre. Ils n'étoient pas encore à cinquante pas que des gens qui partoient à la petite pointe du jour viennent à passer par cette rue: les voleurs ont peur, et laissent le coffre sur une boutique. Un marchand se lève de bon matin, et trouve ce coffre; il vient me présenter requête, dit qu'il est prêt de le rendre à qui il appartient, et demande quelque chose pour son droit d'avis; le maître se trouve, et se présente avec la clef et le bordereau des espèces; je fais ordonner cinquante écus pour le droit d'avis. N'est-ce pas une affaire civile? Pour les voleurs, que M. le lieutenant-criminel les pende, je les lui abandonne; mais qu'a fait ce pauvre coffre-fort pour tomber entre ses mains?» Tout le monde se mit à rire, et Tardieu fut baffoué. (T.) Il avoit épousé la fille d'un riche notaire, nommé Haudessens; il en eut bien des garçons et bien des filles. Il ne leur donnoit rien, et ne maria jamais que deux filles. L'aîné de ces garçons étoit conseiller à Metz; il fut six ans sans lui parler, quoiqu'il mangeât à sa table, lui qui parloit tant aux autres gens. Il avoit un fils qu'on appeloit l'abbé. Ce garçon a de l'esprit, fait des bagatelles en vers assez bien; il fit plusieurs épîtres contre le Mazarin, durant la Fronde; mais il a l'honneur de n'avoir pas un grain de cervelle. Il le fit mettre en sa jeunesse à Saint-Victor. Le père disoit: «C'est un débauché, il a fait _les Feuillantines_[33].» Le fils disoit: «C'est un vieux bourreau.» [33] _Voyez_ plus haut, page 19 de ce volume, la chanson dite _des Feuillantines_, sur la présidente Lescalopier. HAUDESSENS. Le fils de ce notaire, dont nous venons de dire que Laffemas avoit épousé la fille, étoit bien fait et avoit quelque esprit; mais il étoit hâbleur et étourdi pour le moins autant qu'un autre. Il disoit quelquefois de plaisantes choses; il se fourroit partout. On dit qu'il n'a pas été malheureux en amourettes; on l'appeloit le marquis de la Barre-du-Bec, parce que son père, qui étoit homme habile et homme de bien, y logeoit. Coursy-Aubry et Haudessens prirent une telle aversion l'un pour l'autre, qu'ils se sont battus plusieurs fois à coups de poing, et quelquefois à coups de bâton. Haudessens fut le dernier à bâtonner l'autre, et puis s'en alla en Espagne. Ils étoient assez bon nombre de François. Il persuada aux autres de faire passer quelqu'un d'entre eux pour marquis, et que les autres se diroient ses suivants; que sous ce prétexte ce marquis de comédie seroit reçu partout, et qu'eux par conséquent verroient bien plus à leur aise tout ce qu'il y avoit à voir. Les autres y consentirent, et le choisirent pour faire le marquis. Il arriva à Madrid lorsque M. de Rambouillet y étoit ambassadeur extraordinaire. Il alla chez lui tout couvert d'or, et lui conta l'invention dont il s'étoit avisé; après il le pria de ne le pas découvrir. M. de Rambouillet en rit, et à une course de taureaux il lui fit donner un échafaud; il le dit pourtant au comte-duc, et au Roi même, qui trouvèrent cela assez plaisant, et le laissèrent jouir de sa grandeur imaginaire. Il prit un valet espagnol qui le quitta à Paris, en lui disant: «Vous n'êtes point gentilhomme, et moi je suis soldat.» C'est quelque chose en Espagne, _soldado del Rey_. Il alla après à Constantinople, où il s'avisa de _vagheggiare_[34] les sultanes autant qu'il lui étoit possible; et, comme il rôdoit autour du sérail, on le prit et on lui donna bon nombre de coups de latte. Il disoit qu'il avoit quatre-vingt-une religions, et qu'il les trouvoit aussi bonnes l'une que l'autre. Depuis, il se maria à Montpellier, où il se fit maître des comptes et conseiller de la cour des aides; tout cela est ensemble. [34] _Vagheggiare_, lorgner. En ce pays-là il eut une querelle. Un homme l'attaqua l'épée à la main. Lui qui n'en avoit point se jeta à corps perdu sur cet homme et lui ôta son épée. «Hélas! disoit-il en racontant cet exploit, jamais je ne fus si étonné que de me trouver vaillant.» BEAULIEU-PICART. La famille des Picart est une des plus anciennes de la robe. Il y a des grotesques comme dans toutes les maisons où l'on se pique de noblesse. Il disoit: «Je ne sais quelle reine Blanche épousa en cachette un Picart, dont ils viennent.» Son père mourut pauvre par mauvais ménage, et laissa assez d'enfants. Ils étoient trois frères et trois sœurs. L'aîné de tous étoit un garçon bien fait; il se poussa à la cour; il étoit adroit à toutes choses, et principalement à dresser toutes sortes d'oiseaux. Cela fit ombrage à M. de Luynes, qui commençoit à se mettre bien dans l'esprit du Roi. En effet, il lui fit dire que le Roi ne le voyoit pas de trop bon œil, et qu'il feroit bien de se retirer. Il donna dans le panneau; il fit le froid avec le Roi, qui le chassa enfin. Ce fut lui qui mit ses frères dans le jeu, disant que, par le jeu, des jeunes gens qui n'avoient guère de bien s'introduisoient partout et trouvoient moyen de subsister. Beaulieu-Picart, dont nous écrivons l'historiette, s'y rendit fort adroit et pipoit aussi bien qu'homme de France. Son aîné avoit un maître à piper, et tous les grands joueurs s'en escriment. Ils disent que c'est pour s'empêcher d'être trompés. Cet aîné mourut à vingt-cinq ans, après avoir été long-temps incommodé d'un coup que lui donna Souscarrière. Pour avoir prétexte de se battre, sans encourir la peine de l'édit, ils firent semblant de se quereller sur un coup en jouant à la paume; ils prennent leurs épées qui étoient sous la corde; Beaulieu passe et va à Souscarrière, qui recula jusqu'à la grille, et là, par un coup de prévôt de salle, le blesse et lui fait tomber son épée. Le blessé enrageoit, car il ne faisoit nul cas de l'autre, et ne voulut jamais s'accommoder que Souscarrière n'avouât qu'il avoit reculé jusqu'à la grille. Beaulieu-Picart, pour sauver la charge de son aîné qui étoit ordinaire[35] chez Monsieur (il n'avoit voulu disposer de rien), se met dans le lit comme s'il eût été le malade, et dicte un beau testament; le voilà ordinaire chez Monsieur. Tout ce qu'il put avoir de cette charge et tout ce qu'il pouvoit attraper d'ailleurs, car ç'a toujours été un homme de bien, tout cela s'en alloit en braverie. C'étoit un garçon fort bien fait, fort propre, et qui ne manquoit pas d'esprit. Foucault, depuis conseiller au parlement en la place de son père, devint amoureux d'une de ses sœurs, et l'épousa en dépit de tout le monde. Il auroit bien mieux fait d épouser la fille du clerc de son père, qui avoit quatre cent mille livres de bien, car il ne prêteroit pas sur gages comme il fait, pour se récompenser, dit-il, d'avoir épousé une femme par amour. Il disoit une fois à ce secrétaire: «Je veux bien que vous sachiez que je suis le soleil levant, et que mon père n'est que le soleil couchant.» Depuis cela, Patru, qui en sa petite jeunesse étoit de leurs amis, pour dire le soleil couchant, disoit toujours: «M. Famant le père.» Durant la colère de son père il faisoit toujours des harangues, et il disoit: «Si on m'appelle au parlement, vraiment je sais bien ce que je dirai.--Hé! que diras-tu? lui disoit Patru.--Je dirai ma femme est ma femme, car je l'ai épousée.» [35] Gentilhomme ordinaire. Beaulieu se mit en ce temps-là à faire l'amour à la fille de Francini[36], à qui Patru donna le surnom de Petit Ange, tant elle étoit jolie. C'est aujourd'hui la veuve de Du Peray, frère du président Le Bailleul, gouverneur de Corbeil, que le feu Roi appeloit Plante-Bourde. Patru, Perreau, le trésorier de France, et Beaulieu en étoient tous trois un peu épris. Les deux autres, voyant que Beaulieu étoit le plus épris, la lui cédèrent, c'est-à-dire n'allèrent point sur ses brisées. Un jour qu'elle lui avoit donné rendez-vous pour un moment à la porte de la rue, tandis qu'on servoit sur table, elle lui dit: «Dépêchez-vous, car il faut que je m'en _vase_ souper.--Que je m'en _vase_, reprit-il; Jésus! comme vous parlez!» Il ne fit que se moquer d'elle d'avoir dit ce méchant mot, lui qui avoit été si long-temps à avoir cette petite audience, et qui savoit bien qu'on parloit de la marier. Une autre fois il n'avoit fait que de l'entretenir des _reines Blanches_ de sa race. Je me souviens qu'on le faisoit passer pour un garçon qui écrivoit bien, et c'étoit Patru qui lui faisoit toutes ses lettres. [36] Fontainier italien. (T.) Il apprit à faire la petite voix, comme l'_Esprit de Montmartre_[37], et, avec cette invention, il a fait cent espiégleries et cent escroqueries. Il eut une fâcheuse affaire, car il se trouva à un vol d'argent du Roi; et, s'il n'eût eu bon bec et bien des parents dans le parlement, il en tenoit; mais on gagna les témoins. Au bout de quelques années de campagne, car il fallut aller à la guerre pour purger un peu sa réputation, un de ses parents, qui, faute de bien, avoit été contraint de se faire curé-prieur de la Haute Maison, en Bourgogne, lui donna avis que M. de la Haute Maison, gentilhomme de quinze mille livres de rente, n'avoit qu'une fille à qui, non plus qu'à sa femme, il ne faisoit manger que des croûtes; qu'il y falloit songer, et qu'il l'allât trouver en Bourgogne. Il y fut, et fit connoissance avec elle. Depuis, il arriva par bonheur que Foucault fut rapporteur d'un procès de ce gentilhomme. On vient à Paris; la fille ne bougeoit de chez madame Foucault, à qui le curé l'avoit recommandée. Là, Beaulieu s'en fit aimer. Il étoit beau, et elle n'étoit point belle. Il fut question d'épouser en cachette; un prêtre de Saint-Innocent fit l'affaire pour cent pistoles; par l'avis de Patru, il se saisit de l'extrait baptistère: le mariage fut consommé chez sa sœur Foucault. La sœur de Beaulieu, celle qui n'est point mariée, faisoit la sentinelle à la porte. Le procès gagné, elle retourne avec son père et sa mère en Bourgogne, où elle s'ennuyoit fort de n'avoir point son mari, qui étoit d'avis d'attendre que le père ou la mère qui étoient vieux allassent en l'autre monde. Pour déterminer son mari à venir la rejoindre, elle feignit qu'on la vouloit marier. Beaulieu consulte avec ses sœurs, et ils prenoient de _fichues_ résolutions, quand Patru y arriva, à qui il dit qu'il étoit résolu de l'enlever. «Il faut donc, lui dit cet ami, avoir vos alibi bien prouvés.» Et il lui en dit les moyens. Beaulieu part et l'enlève. Il ne la mena d'abord que dans un bois, à demi-lieue de la maison, où elle passa la nuit; lui cependant galope au prochain bourg, y bat exprès un valet d'hôtellerie; en sort aussitôt; va à un autre, y fait encore quelque désordre, et ainsi à un troisième, afin qu'il y eût bien des procès-verbaux contre lui. Il étoit bien accompagné; il faisoit des insolences impunément. Le lendemain matin il alla reprendre sa femme et la mena à Paris chez madame d'Elbœuf, qui lui donna une chambre, sans s'informer pourquoi la jeune Beaulieu gardoit sa belle-sœur, et il n'y entroit que lui. Le beau-père l'accusa de rapt; mais il fut condamné aux dépens. Depuis, on les accommoda; mais le vieillard, qui ne valoit guère mieux que son gendre, mit dans l'accommodement qu'on ne lui demanderoit aucune dot. Beaulieu vint au conseil à Patru, qui lui dit: «Allez-vous-en chez lui avec bien du train; il s'en ennuiera bientôt, et là peut-être lui persuaderez-vous de vous céder quelque rente, ou quelque maison. (Il avoit une rente sur M. d'Angoulême, qui avoit été rachetée.) Vous lui direz: «Monsieur, vous ne tirez rien de cette rente; et vous avez souffert qu'on s'emparât à vil prix de cette maison que vous aviez vers Orléans. Cédez-moi ces deux pièces, et, par le moyen de mes beaux-frères et de mes autres parents du parlement, j'en tirerai bien quelque chose.» Mais, gardez-vous bien, dit Patru, de laisser la minute de la donation chez le notaire du village, car le bonhomme la retireroit d'autorité.» Il va chez son beau-père avec une meute de chiens courants anglois qu'il avoit gagnée à un Anglois à qui auroit le cheval le plus vite. Beaulieu et cet Anglois avoient quelquefois dupé les sots, et on sait qu'ils s'entendoient ensemble, et profitoient des paris que l'on faisoit. Le beau-père en fut bientôt las, et lui fait la donation. Beaulieu retire la minute, et va à M. d'Angoulême qui le paie d'une quittance. Il va à cette terre; on lui montre un contrat de vente en bonne forme; il présente requête, expose que son beau-père l'a trompé; ordonné qu'il donneroit en autre nature de biens ce à quoi montoit ce qu'il avoit donné. Il fut donc contraint de lui donner la terre de Senelé de huit cents écus de revenu. Dans cette terre, il faisoit apparemment la fausse monnoie, rançonnoit ses paysans, mais les exemptoit de gens de guerre, troquoit des chevaux, et avoit trois fois plus de train qu'il n'en pouvoit nourrir en homme de bien. Il se faisoit craindre par sa _fanfare_, et ne voyoit point M. le Prince, parce que, disoit-il, il se moque des gentilshommes. [37] _Voyez_ plus bas, p. 49. Il mourut, il y a trois ans, à Rouen, en poursuivant un procès. Depuis la mort de son beau-père, Patru avoue qu'il étoit embarrassé de cet homme; qu'il avoit honte qu'on le vît chez lui; mais qu'il ne pouvoit s'en défaire à cause de la vieille connoissance. De ses deux autres sœurs, l'aînée épousa un baron de Maudestour, un diable qui, ayant dessein d'étrangler sa première femme pour épouser une de ses proches parentes, alla s'informer avant combien il lui coûteroit pour la dispense, étrangla effectivement sa femme, mais n'épousa point cette parente. Je ne sais pourquoi ce diable la laissa veuve. La dernière alla demeurer avec son frère en Bourgogne. Avant ce mariage, et dans leur grande misère, une de ses cousines nommée Charpentier, qui avoit épousé Dalibert, aujourd'hui surintendant de la maison de M. d'Orléans, pour trouver de quoi l'assister, s'avisa de dire à Dalibert que toutes les servantes ferroient la mule, qu'elle vouloit aller elle-même au marché. Et elle se chargea de tout ce soin pour épargner, afin de donner à sa cousine. L'ESTOILE[38] ET SAINT-THOMAS. L'Estoile, l'Académicien, étoit fils d'un audiencier de la chancellerie[39]; mais d'une des plus anciennes familles de Paris, jusques à y trouver un chancelier de France[40], il y a long-temps. Il avoit eu quelque bien de patrimoine, mais il en mangea une bonne partie en amourettes. Il en contoit à la fille d'un procureur nommé Sandrier: elle étoit jolie, mais fort coquette; elle prenoit son argent, se moquoit de lui, et en aimoit d'autres. A la vérité c'étoit un visage extravagant et difforme tout ensemble. Beaulieu-Picart, qui, comme nous venons de voir, étoit honnêtement insolent, se voulut mêler aussi de la cajoler. Il y fut un jour avec Patru; il y avoit ordre de lui dire qu'elle n'y étoit point; cependant, la porte étant ouverte, il demande à se reposer dans la salle; là il se met à pester, et vouloit rompre les vitres. Patru, pour le détourner de cette folie, lui dit: «Beaulieu, je te prie, faisons réponse aux vers que l'Estoile a mis sur le luth de sa maîtresse[41].» Voici les vers: Je dois bien faire des jaloux Lorsque je baise devant tous Le sein de ma belle maîtresse. Aux amants qui sont sous sa loi Elle fait bien quelque caresse; Mais elle n'embrasse que moi. Ils mirent au-dessous, et ce fut de la main de Beaulieu: Que te sert de baiser le sein De ta belle maîtresse? Insensé tu...... en vain, Et te flatte d'une caresse; Car jamais tu n'iras Ni plus haut ni plus bas. [38] Claude de L'Estoile, membre de l'Académie françoise, mort vers 1652. [39] Pierre de l'Estoile, audiencier de France, devenu célèbre par le livre Journal sur lequel il inscrivoit l'événement de chaque jour. Les Mémoires qu'il nous a ainsi laissés sont un des ouvrages les plus curieux qui nous restent sur les règnes de Henri III et de Henri IV. [40] La mère de Pierre de L'Estoile étoit fille de François de Montholon, garde des sceaux sous François Ier. Il n'y a pas eu de chancelier de L'Estoile. [41] Elle chantoit aussi et dansoit fort joliment; elle avoit de l'éclat et étoit fort agréable. (T.) L'Estoile a avoué depuis qu'il en pensa enrager, qu'il ratissa le mot déshonnête, et qu'il fut tenté de se battre contre Beaulieu; mais je m'arrêtai en disant: «Il me battra et se moquera doublement de moi.» Il passa maintes nuits à la porte de sa maîtresse, car il étoit poétiquement amoureux. Après, il se maria aussi poétiquement avec la fille d'un procureur, car ces filles de procureur lui étoient fatales[42], et celle-ci n'avoit point de bien. Il en fut si jaloux qu'elle mourut du chagrin que lui donnèrent les bizarreries de son mari. Il y avoit quelque chose d'extravagant dans cet esprit-là. D'abord il parloit de lui comme d'un écolier; puis pour peu qu'on le mît en train, il se mettoit au-dessus de Malherbe. Il y a pourtant bien à dire, et il ne savoit presque rien. Jamais il ne lui prenoit envie de vous dire des vers que dans les rues ou sous quelque porte, et il ne travailloit qu'après avoir fait fermer tous les volets et allumer de la chandelle, quand même c'eût été en plein midi. Jamais homme n'eut plus l'air et l'esprit d'un poète que celui-là. Un jour chez Gombauld un gentilhomme saintongeois demanda à Gombauld s'il ne connoissoit point un tel qui faisoit si joliment des vers: «Non,» dit Gombauld. L'Estoile, qui se promenoit dans la chambre, et qui n'avoit pas desserré les dents, dit comme s'il eût prononcé un arrêt: «C'est un grand malheur à un homme qui se mêle d'écrire, que nous ne le connoissions point.» Chez Malleville, il foula aux pieds, comme un monstre, une méchante pièce dont Malleville se divertissoit, et prononça anathème contre elle d'un ton de voix foudroyant. [42] Je ne sais s'il se repentoit d'avoir eu affaire avec des procureurs, mais ayant été poussé assez incivilement au Palais par un procureur, il demanda son nom. «Il s'appelle Fléau, lui dit-on.--Vraiment, ce nom ne lui convient pas mal; je serois d'avis, dit-il, qu'on appelât ainsi tous les procureurs.» (T.) Un jeune auteur[43] lui lisoit un jour une pièce de théâtre[44]. Il écouta les deux premières scènes; à la troisième, où un roi parloit, il s'écria: «Le roi est ivre.» Un soir, comme il rajustoit un vers en se retirant, on lui prit son chapeau; il ne s'en avisa que quand il eut trouvé le mot qu'il cherchoit, et après il se mit à crier: _Aux voleurs_; mais il n'étoit plus temps. Il n'étoit point âgé quand il mourut; sa maladie fut bizarre, car tout est bizarre en lui. Il s'étoit mis en fantaisie de ne manger que des confitures, et cela lui causa une indigestion étrange: il rendoit les choses comme il les prenoit, et ne sentoit point de douleur. Il en trépassa pourtant. On dit que, par résignation à la volonté de Dieu, il donna tous ses vers à un janséniste. Je ne sais ce que ce janséniste en a fait[45]. [43] Le Clerc. (T.)--Michel Le Clerc, de l'Académie françoise. On ne connoît de lui que deux tragédies, _la Virginie romaine_, et _l'Iphigénie_, qu'il eut la maladresse de faire représenter peu après celle de Racine. [44] _Ramire._ (T.) [45] Les poésies de L'Estoile sont éparses dans les Recueils du temps. On a de lui _la Belle Esclave_, tragédie, 1643, et _l'Intrigue des filoux_, comédie, 1648. Pour la Sandrier, elle eut bien des galants. Saint-Thomas, qui faisoit, en Savoie, la charge de conseiller d'État, étant ici, en devint amoureux, et l'emmena en Savoie, lui promettant de l'épouser, afin de l'ôter aux autres. Elle prétend qu'il l'a épousée, mais qu'il lui a volé toutes les pièces justificatives de leur mariage. Pour moi, je ne le crois pas. Elle ajoute qu'il l'a voulu empoisonner: elle a tâché d'en tirer quelque chose en plaidant; mais je pense qu'elle n'en a guère eu. Elle revint à Paris il y a bien dix-sept ans, où elle se mit à chanter des airs italiens; elle avoit appris à Turin. Elle fit bien du bruit, mais cela ne dura guère; plusieurs trouvent même qu'elle chante mal, car c'est tout-à-fait à la manière d'Italie, et elle grimace horriblement; on dirait qu'elle a des convulsions. Elle est fort fardée, et se mêle d'esprit. Je ne sais comment elle subsiste. Autrefois elle a eu quelques galants. Le président de Thou d'aujourd'hui en a été un. Peut-être a-t-elle épargné quelque chose. L'ESPRIT DE MONTMARTRE ET RACONIS[46]. Un nommé Collet, qui demeuroit au faubourg Montmartre, fut surnommé _l'Esprit de Montmartre_, à cause qu'avec une petite voix qu'il faisoit, il sembloit que ce fût un esprit qui parlât de bien loin en l'air[47]. [46] Charles-François d'Abra de Raconis, né vers 1580, au village de Perdreau, près de Montfort-l'Amaury, évêque de Lavaur, en 1639, mort en 1646. [47] Il paroît que le nom de ventriloque n'étoit pas connu alors. Avec cette voix, il a fait dire bien des messes pour tirer des âmes du purgatoire; il a pensé faire mourir des gens de peur, et a fait venir la fièvre à d'autres. Une fois le cardinal de Richelieu, qui se vouloit railler de celui qui a été évêque de Lavaur, que les Jansénistes ont si bien étrillé, fit que cet homme se fourra dans la foule de ceux qui accompagnoient le cardinal aux Tuileries, du nombre desquels étoit notre évêque. Il se mit au milieu de la grande allée à appeler: «_Abra de Raconis! Abra de Raconis!_» c'est son nom. Tout le monde avoit le mot. Raconis, s'entendant nommer, tourne la tête, mais ne dit rien pour cette fois. La voix continue: il commença à s'épouvanter. Enfin, tout d'un coup il s'écrie: «Monseigneur, je vous demande pardon si je perds le respect que je dois à Votre Eminence; il y a déjà quelque temps que je me contrains: j'entends une voix dans l'air qui m'appelle.» Le cardinal et tous les autres dirent qu'ils n'entendoient rien. On prête silence, et la voix lui dit: «Je suis l'âme de ton père qui souffre il y a long-temps en purgatoire, et qui ai eu permission de Dieu de te venir avertir de changer de vie. N'as-tu pas de honte de faire la cour aux grands, au lieu d'être dans les églises?» Raconis, plus pâle que la mort, et croyant déjà avoir le diable à ses trousses, proteste qu'il n'est à la cour qu'à cause que Son Eminence lui avoit fait espérer qu'il lui pourroit rendre ici quelque service; mais, etc. Après qu'on s'en fut bien diverti, on le mena à son logis où il pensa mourir de frayeur, et on fut plus de quatre jours avant que de le pouvoir désabuser[48]. Le cardinal en eut quelque petite honte, et, le faisant évêque, lui envoya ses bulles gratis. Dès qu'il fut évêque, il prit un page. Il donna son nom de Raconis à un hameau qui s'appeloit Perdreau, près de Montfort-l'Amaury. Là, il a bien fait de la dépense fort mal à propos, car sa maison ne vaut pas l'entretien, et il l'a substituée à son neveu, sans avoir payé ses dettes[49]. Une de ses plus belles qualités étoit de bien jouer au ballon; il étoit gentilhomme. Il confessa à un de ses amis dans la maladie dont il est mort que le déplaisir d'avoir été si malmené par ces messieurs de Port-Royal le mettoit au tombeau[50]. [48] Cette anecdote semble être la plus ancienne de toutes celles qui se rattachent à la bizarre faculté des ventriloques. [49] Morery fait naître Abra de Raconis _au château de Raconis_, que cet évêque a bâti dans sa vieillesse. Il en fait même un grand prélat, et c'est comme cela qu'on écrit l'histoire! [50] Raconis, auteur d'une philosophie imprimée en 1617, se montra fort opposé aux Jansénistes. Despréaux l'a cité dans le quatrième chant du Lutrin. ...... Alain, ce savant homme, Qui de Bauny vingt fois a lu toute la Somme, Qui possède Abéli, qui sait tout _Raconis_, Et même entend, dit-on, le latin d'A-Kempis. Ce même Collet fit un tour tout pareil, et au même lieu, à M. Mangot, maître des requêtes. Il le fit mettre à genoux comme Raconis. Neufvillette avoit dans son régiment de chevau-légers un cavalier qui faisoit la petite voix, et se faisoit apporter par les paysans, où il lui plaisoit, leur argent, leurs habits, tout ce qu'ils avoient, et puis l'alloit prendre quand ils étoient partis. MADAME DE MONTANDRE. La veuve du baron de Montandre est une petite femme qui peut encore passer pour belle; mais, ce qu'elle a de plus beau, c'est les mains. La Reine, qui s'en pique, et avec raison, les voulut voir. Entre autres belles choses qu'elle dit à Sa Majesté, elle lui dit: «Ah! madame, que vous avez l'esprit _pénétratif_.» Il n'y a jamais eu de plus extravagante créature. Elle va par pays avec des habits de Cléopâtre, je veux dire de la force de ceux des comédiennes, quand elles représentent quelque grande reine. Elle a quelquefois dix ou douze officiers vêtus de velours ou de satin noir, avec de petites bottes comme des gens de ville, et ils la suivent à cheval à ses journées; l'un est joueur de luth, l'autre violon, l'autre musicien, parfumeur, distillateur, etc. Sur son lit, dans les hôtelleries, elle a plus de vingt carreaux. Elle fut une fois deux jours à un petit bourg du bas Poitou, nommé Bressuire, où il n'y a qu'un cabaret borgne; elle s'y promenoit en carrosse avec une femme-de-chambre laide comme le diable au côté d'elle et un joueur de luth au-devant, et changeoit trois fois d'habit par jour. La dernière fois qu'elle vint à Paris, l'argent lui manqua dès Orléans; comme elle s'en retournoit à la province, elle fit marché à un batelier pour la conduire et la nourrir elle et tout son monde, jusqu'à Ussé, entre Tours et Saumur. Le batelier, qui savoit qu'elle avoit la moitié à cette terre, s'y accorda. Le fermier vint au-devant d'elle et capitula à quatre-vingts pistoles, pourvu qu'elle n'entrât point dans le château. Elle n'a pas plus tôt l'argent, qu'elle y entre, fait battre les grains, et en vend le plus qu'elle peut. Son mari l'avoit fort tenue de court. On le blâmoit; mais, à cette heure, on l'excuse. MADAME DE CHAMPRÉ ET LES AUTRES DAMES DE NOYON. Madame de Champré est fille d'un conseiller au parlement, nommé Henri; mais il portoit le nom de la terre de Gerniou. Sa mère avoit été mariée en premières noces avec un secrétaire du Roi, si je ne me trompe, qu'on appeloit La Fontaine, et en avoit eu deux garçons. La mère fut galante en son temps; mais non pas en comparaison de la fille; car, dès treize ans, elle fut débauchée par un homme qui lui montroit à jouer du luth, et on dit que le père, à la chaude, intenta un procès contre cet homme qu'il ne poursuivit pas ensuite. Après la mort de son père, elle fut mariée au fils de Ferrier, qui avoit été ministre; ce garçon étoit lieutenant de l'artillerie. Ferrier s'en contenta, et lui fit de grands avantages en l'épousant. Elle étoit belle et friande.........; cela ne dura guère. Les parents, qui, comme vous avez vu, sont fort avares, enrageoient de payer un gros douaire à une si jeune femme; il y eut procès. En voyant ses juges, un d'eux devint amoureux d'elle, c'est Mesnardeau Champré. Il étoit veuf, et n'avoit pas été trop heureux en premières noces. Sa femme, qui étoit demoiselle, l'avoit toujours méprisé, et il n'en avoit point eu d'enfants; il étoit riche; il avoit cinquante ans, petit, de fort mauvaise mine, et à tel point, qu'un laquais lui donna un soufflet au Palais, le prenant pour un huissier de la chambre des eaux et forêts. Il le fit emprisonner, et lui pardonna lorsqu'il ne tenoit qu'à lui de le faire pendre; c'étoit un bon conseiller, mais c'étoit tout. Un jour il dit à la belle veuve qu'il falloit qu'elle se remariât, et que si elle l'en vouloit croire l'affaire seroit bientôt faite. «Je connois, dit-il, un conseiller....» Il se dépeint. Elle vit facilement que c'étoit de lui-même qu'il vouloit parler; et, après y avoir pensé, elle accepta le parti. Je pense que ce qui la fit résoudre, ce fut qu'un conseiller accrédité viendroit à bout de toutes les affaires qu'elle avoit, bien mieux qu'un autre homme. Ce qui arriva. Un an, ou environ, après, elle alla faire une promenade à Courance[51], où étoit Poinville, cadet de Gallard, maître de cette maison. Ce garçon ne faisoit que sortir du collége, et ne demandoit qu'à faire galanterie; il étoit riche. Elle, par je ne sais quelle gaillardise, alla avec madame Aubert, des Gabelles, et quelques autres jouer du luth, dont elle jouoit aussi bien que personne, dans la chambre de Poinville qui dormoit; cela l'acheva de vaincre, car déjà il l'avoit trouvée fort à son gré. Elle avoit bonne mine, n'étoit point trop grosse en ce temps-là, aux tétons près, grande, fort blanche par la gorge et par le visage, même trop pâle, le reste n'est pas de même; et, avec cela, elle dansa bien. Il est vrai que ses tétons marquoient un peu trop la cadence. Pour la voix, elle l'avoit d'une harangère ivre, et médiocrement d'esprit. Elle vouloit être brave; Poinville donnoit; l'affaire fut bientôt conclue. Le mari amoureux d'elle lui donnoit les violons pour la voir danser. [51] Courance étoit un très-beau château du Gâtinois. Il a été gravé. Les frères s'aperçurent bientôt de cette galanterie, et en conscience cela n'étoit pas difficile; en sorte que Poinville n'osoit plus aller chez elle. Cela ne plaisoit guère aux amants, qui, pour se voir plus à leur aise, se mirent d'une partie de promenade qui a bien fait du bruit. Une madame d'Ecquevilly et une madame de Turgis, toutes deux jolies, mouroient d'envie d'aller voir Liancourt et Blérancourt[52]. Elles en parlent à leurs galants, Mandat et La Barroullière, tous deux conseillers au Grand-Conseil. On y ajoute madame de Champré et Poinville, et pour grands chaperons mesdemoiselles Ogier, deux filles d'esprit, déjà âgées, sœurs de cet Ogier dont nous avons parlé ailleurs[53]; point de demoiselles, point de femmes-de-chambre. Les voilà tous huit dans un carrosse à six chevaux. On dit, pour faire le conte bon, que madame de Turgis dit à son mari, le plus ancien des maîtres des comptes, que M. de Champré seroit du voyage, et que les deux autres dirent à leurs maris que ce seroit Turgis qui les accompagneroit. [52] Le château de Liancourt, auprès de Clermont-Oise, et le château de Blérancourt, bâti par Bernard Potier, près de Noyon. [53] C'étoient sans doute les sœurs d'Ogier _le Danois_, et du prieur Ogier, le prédicateur, dont il a été parlé plus haut dans l'article de M. d'Avaux, (tome 3, page 385). On ajoutoit que quand elles furent parties, les trois maris se rencontrèrent au palais, et qu'ils furent aussi étonnés que si cornes leur fussent venues. Comme cette partie étoit faite avec beaucoup de prudence, elle ne manqua pas d'avoir le succès qu'elle devoit avoir. La compagnie de M. d'Orléans étoit logée à Noyon. Les officiers, qui virent de jolies femmes avec des jeunes gens, et qui ne vivoient point comme s'il y eût eu quelque mari dans la troupe, ne les traitèrent pas avec tout le respect imaginable. Sur cela on dit à Paris qu'elles avoient passé par les piques, que les Ogier avoient été pour les gendarmes, et les trois dames pour les officiers, et que les galants avoient été malmenés, et avoient eu bien de la peine à retirer leurs belles des mains des soldats à force d'argent. On en fit une chanson qui commençoit ainsi: Trois jeunes dames Sont allées à Noyon; Trois forts gendarmes Leur y ont pris... Les pauvres dames! On leur a pris... Dedans Noyon[54]. Cette aventure fit tant de bruit, que, pour dire une gaillarde, on disoit: _Une dame de Noyon_. Pour madame de Turgis, je ne voudrois pas assurer qu'elle ait conclu; mais c'étoit une des plus fines coquettes de Paris. Il y avoit un vaudeville qui tranchoit le mot avec La Barroullière; mais quelquefois les vaudevilles sont aussi mal informés que les autres gens. Elle eut du déplaisir de ce voyage; mais pour cela elle n'en fut pas plus prude; à la vérité elle ne fut plus tant dans le grand monde; elle est morte jeune. [54] Il y avoit encore un couplet sur l'air: _La, sol, fa, mi, ré, Jacquet_. Vous, coquettes de Paris, Qui n'êtes pas satisfaites De vos cocus de maris, En savez-vous la défaite? Il faut aller à Noyon Avec chacun son mignon. D'Ecqvilly, Turgis, Champré Vous en diront des nouvelles. Qui font la, sol, fa, mi, ré Sans en demander congé. (T.) Turgis étoit et est encore la plus grosse bête de toute la chambre. Sa femme le traitoit fort de haut en bas, ne vouloit point coucher avec lui. Tous les vingt mois la famille s'assembloit pour l'y obliger, et c'étoit un enfant fait sans y manquer. Le soir elle l'envoyoit souper, et elle soupoit seule, sous le prétexte de quelque indisposition; car elle étoit fort délicate. Il laissoit les gens avec elle, revenoit après souper et s'endormoit fort souvent. Durant ce temps-là elle faisoit quelque petite coquetterie; mais elle ne concluoit pas. Lui, comme elle causoit avec Rambouillet, et ceux au milieu desquels elle étoit, couloit sa main tout doucement pour lui toucher le bras, et ne disoit jamais un mot. C'est pour elle que Sarrasin a fait _la Souris_[55]. Elle étoit jolie; mais elle n'avoit point de belles dents. Le chagrin du voyage de Noyon l'a tuée; elle n'eut plus de santé depuis. [55] La pièce est intitulée: _Galanterie à une dame à qui on avoit donné, en raillant, le nom de Souris_. (_Œuvres de Sarrasin_; Paris, 1685, t. 2, p. 146.) Pour madame d'Ecquevilly, elle avoit aimé Mandat étant fille; et l'on dit que, dans une grande maladie qu'il eut, elle alla plus de six fois le voir, la nuit, et, pour cela, il falloit passer le Pont-Neuf; car M. Sarus, conseiller au Parlement, son père, logeoit sur le quai de la Mégisserie, et le galant vers les Augustins. Perrachon[56], partisan huguenot, n'étoit pas mal avec elle. Elle étoit cajolée d'assez de gens. Ecquevilly, fils de ce M. de Boinville (Hennequin) qui fut trouvé caché sous le lit de la Reine-mère, dont il étoit amoureux[57], l'épousa; il portoit l'épée. Au retour, je vous laisse à penser si Poinville voyoit facilement sa dame. Ils n'eurent pas l'esprit de trouver une confidente, et cette sottise fit un jour un grand scandale. Madame de Champré, qui apparemment avoit eu des nouvelles de son galant, alla exprès jouer chez la présidente de La Barre, sa voisine, qui alors étoit retirée chez M. de La Gallissonnière, son père, au coin de la rue du Bouloi dans la rue Coquillière; car tout cela est nécessaire à savoir: c'étoit un peu après la Saint-Martin. Sur les sept heures du soir un petit laquais lui vint dire un mot à l'oreille; il avoit un flambeau. Elle se lève aussitôt, dit qu'elle avoit un peu affaire, et donne son jeu à un autre. La présidente, qui lui portoit envie, fit appeler un de ses cousins, nommé le chevalier Barin (c'est le nom de la famille de La Gallissonnière), jeune garçon plein de cœur, et qui en avoit voulu conter à la dame, et le prie de la suivre. Il part un moment après, et la trouve le dos contre le coin de la rue Coq-Héron, contiguë à celle du Bouloi, et Poinville........ devant elle. Il fit semblant de venir de la ville, et lui dit d'un ton étonné: «Jésus! madame, que faites-vous là?» Poinville, qui l'avoit d'abord reconnu, car il le craignoit, et la nuit étoit assez claire, s'étoit avancé vers la rue du Bouloi qui va à la Croix-des-Petits-Champs, et elle le suivit sans rien répondre. Le chevalier lui offrit la main; elle ne voulut pas qu'il la menât, et, ainsi dans la crotte, et sans flambeau, ils allèrent jusqu'à la Croix. Là un homme de Poinville lui vint dire: «Madame, on vous attend.» Le chevalier lui dit: «Que son maître la vînt chercher s'il vouloit, et qu'il n'étoit guère civil.» Voyant cela, elle fut contrainte de revenir chez elle, et le chevalier la quitta quand elle fut près de son logis. Les gens de Poinville l'avoient toujours côtoyé jusque là, et la belle, quoi qu'il fît, ne lui voulut jamais dire une parole. La servante, qui lui vint ouvrir, s'écria, la voyant ainsi crottée, et elle, qui n'eut pas l'esprit de se laisser tomber, comme si elle eût fait un faux pas, lui dit qu'elle avoit tant tournoyé, pour trouver la porte, qu'elle s'étoit ainsi gâtée. Notez qu'il n'y avoit qu'une maison entre deux, et qu'il n'y avoit nulle apparence qu'on l'eût laissée sortir sans lui éclairer; mais, comme j'ai remarqué, son laquais avoit un flambeau. [56] La Sarus aime Perrachon, Encor qu'il ait l'œil de cochon. Cette fille aime qui la paie; Daye dandaye, Daye dandaye. (T.) [57] C'étoit un maître des requêtes. Il faisoit des présents à la Reine, qui les renvoyoit à sa femme. Une fois il se fit mener dans une charrette de paille, de peur qu'on ne le découvrît, à une maison où étoit la Reine. Elle ne voulut pas qu'on lui fît rien quand on le trouva sous son lit. (T.) La présidente de La Barre conta cela à tout le monde. Un maître des requêtes crut être obligé d'en avertir le bonhomme Champré, qui s'en plaignit aux deux frères de sa femme; et, comme l'aîné lui eut remontré qu'il étoit trop bon, il lui promit de faire tout ce qu'il voudroit. Ce garçon lui fit promettre de ne parler à sa femme de six jours, et de lui témoigner, par toutes ses actions, qu'il étoit fort en colère: «Et cependant, lui dit-il, je parlerai à ma sœur.» Trois jours ne furent pas plus tôt passés, que ce pauvre homme alla trouver son beau-frère, et le pria de se dépêcher: «Car, lui dit-il, je ne saurois bouder si long-temps.» Le frère lui promit de voir la dame avant midi. Il y fut, et la fit pleurer. Le mari, qu'elle appeloit _Petit-Cœur_, survint, la belle étant encore en larmes. A ce spectacle le cœur grossit à _Petit-Cœur_, et, pleurant à son tour, il lui dit qu'il la prioit de lui pardonner sa cruauté, et que c'étoit son frère qui lui avoit fait faire. La crainte que le galant avoit des frères lui fit trouver un lieu où la voir; mais comme cette femme lui coûtoit furieusement, car elle étoit magnifique, et jouoit gros jeu, il se lassa de la dépense, et ensuite il se fit conseiller à Toul, où j'ai ouï dire qu'il étoit aussi sot qu'à Paris. Depuis elle se vantoit que Toré lui avoit voulu donner un collier de douze mille écus, mais je n'en crois rien; elle n'étoit pas si sotte que de le refuser. Elle alla quelque temps après à La Chapelle[58], entre Lagny et Coulommiers, chez la veuve de Camus, procureur-général de la cour des aides, celle qui entretenoit Tillier, aujourd'hui intendant des finances, qu'elle a épousé depuis. Elle y perdit tout son argent, à un quart d'écu près. Il lui prit une vision de dire qu'elle donneroit ce quart d'écu à celui de tous les jeunes gens qui étoient là, qui auroit le plus beau c... Aussitôt les voilà tous chausses bas. Elle jugea que Bermont, conseiller au Grand-Conseil, méritoit le quart d'écu. Il y a eu un vaudeville: Qui veut avoir empire Sur la Champré, Il ne faut, sans lui dire, Que lui montré Que lui montrer le c.., Que lui montrer. Ce fut à la Chapelle Chez la Camus, Que Bermont devant elle Montra son c.., Montra son c.. camus, Montra son c... [58] A cette maison de la Chapelle, il arriva une fois une assez plaisante chose. Un curé de Montevrin, vers Lagny, y étoit soir et matin; c'étoit un homme qui faisoit des malices à tout le monde, et tout le monde lui en faisoit aussi. En badinant on lui mit un casque qui fermoit avec je ne sais quel ressort; et après on envoya à Paris un valet qui le savoit ouvrir; de sorte que le pauvre curé fut vingt-quatre heures, mangeant, buvant, disant son bréviaire, l'armet en tête. (T.) Peut-être cela se fit-il d'une façon moins gaillarde qu'on ne le conte; mais il y a fondement à l'histoire. Elle eut pour le jeu une grande querelle avec madame d'Ecquevilly. Elles aimoient à jouer gros jeu, et, de peur qu'on ne grondât, la d'Ecquevilly lui dit: «Faisons semblant de jouer la moitié moins que nous ne jouerons.--Mais vous n'en tomberez pas d'accord, dit l'autre.--Monsieur, répliqua la d'Ecquevilly, en sera témoin.» C'étoit un ami commun. La Champré gagne mille écus; l'autre ne lui veut donner que cent pistoles, et encore en nippes. Elle en vouloit pour trois cents, et encore, disoit-elle, que c'étoit assez de grâce de prendre ainsi des bagatelles. Elles se séparèrent assez mal; et la Champré, s'en allant, disoit: «Cette petite p..... ne me paiera pas.» Et l'autre disoit: «Cette grosse tripière ne me quittera rien.» Depuis, elles s'accommodèrent. Je ne sais si elle gagna davantage depuis; mais elle fit faire un carrosse si beau, que la Reine s'arrêta en passant devant la boutique du sellier pour le voir. Le mari, ayant su cela, dit qu'il y vouloit mettre le feu. Elle fut contrainte de le revendre. Au mois de novembre 1658, madame de Champré alla avec Ninon chez madame Burin; le luth et l'humeur _vituperosa_ ont fait leur amitié, car Ninon a trop d'esprit pour faire aucun cas de cette balourde, qui pourtant, à cause de l'abbé Du Buisson, son galant, garçon rimant, se veut mêler de parler de vers; elles avoient vingt-quatre chevaux et l'équipage de Termes. Boyer, ci-devant capitaine aux gardes, étoit avec elles. Dès le soir même, Ninon demanda du papier et écrivit à Termes et à l'abbé Du Buisson, qui étoient à Fromont, chez Nouveau, à la chasse: «Ne fatiguez point trop votre équipage; venez ici; il y a de toutes sortes de bêtes: vous n'aurez qu'à vous garantir de prendre le change.» Elle demande quelqu'un pour porter cette lettre. La Cour Des Bois-Girard, frère du président de Tillet, qui est galant de la Burin, en donna un; mais il ouvrit la lettre, car il avoit remarqué que Ninon avoit assez méprisé les gens. Madame Burin, voyant cela, dit qu'elle avoit partie faite pour le lendemain chez Bregis à Tigery, où il y devoit avoir une chasse; elle fait dîner, déjeûner et part avec ordre à ses gens de ne rien donner. Termes et l'abbé arrivent. Madame de Champré veut qu'il y ait à souper; elle eut prise avec la femme de charge, et même lui donna un soufflet. L'autre le lui rendit en quelque sorte, au moins elle tendit le coude de façon que madame de Champré s'y heurta bien fort. Voilà les galants et Ninon qui disent qu'il la falloit abandonner à leurs laquais. Cependant les gens de la maison et du voisinage s'échauffent, et madame de Champré fut toute heureuse de se mettre en chemin, quoiqu'il fût déjà assez tard; elle arriva à Paris à minuit. Burin, qui a des affaires au parlement, fit satisfaction à M. Mesnardeau; mais madame Burin ne voulut jamais aller voir madame Champré. Quelqu'un avertit Burin (on dit que cela vient d'elle) que La Cour Des Bois étoit à pot et à rôt avec sa femme; il alla à La Grange, où il ne le trouva plus; il entra dans la chambre, l'épée à la main; la femme se sauva du lit, et voilà tout. Elle vit à son ordinaire. C'est une impertinente, une folle; mais elle est obligeante au dernier point. Burin y est retourné depuis dans la maison à Paris; pour La Grange, la femme n'y a pas été. Ce fut Burin qui mena Montreuil[59] à sa femme, disant qu'il falloit attirer les gens d'esprit. Elle ne songeoit pas avant cela à la galanterie. [59] Mathieu de Montreuil, auteur de quelques madrigaux pleins de délicatesse. Mademoiselle lui dit une fois: «Madame, quand vous vendrez votre garde-robe, faites-moi la grâce de m'en faire avertir; j'y enverrai acheter vos nippes.» Depuis, elle corrompit son mari qui, jusque là, étoit en assez bonne réputation dans le Palais; durant la _fronderie_, elle le fit _Mazarin_. Il y a gagné, comme nous verrons dans les Mémoires de la Régence; car alors on tendoit les bras à tout le monde. Elle disoit: «Il faut bien que je fasse encore une jupe, car, que diroit la Reine?» Elle est présentement plus magnifique en toutes choses que jamais, mais plus grosse et plus pâle sans comparaison. Elle entretient l'abbé Du Buisson à cent livres par mois. C'est le fils de Du Buisson, qui étoit gouverneur de Ham, petit homme assez étourdi, qui fait des chansonnettes et des vers burlesques assez méchants. Il dit qu'il ne conçoit pas pourquoi on a imprimé Malherbe; il est amoureux d'une autre bonne dame à qui il porte ce qu'il peut tirer de la _grosse dame de Noyon_. Mais je pense qu'il est souvent court d'argent et d'autre chose. On faisoit encore un conte de madame d'Ecquevilly. En passant dans le bois de Boulogne, on dit que son carrosse rompit, et que M. le Prince, qui revenoit de Saint-Cloud, la trouvant la plus jolie (il y en avoit d'autres avec elle), la prit et la mena dans le bois. Les petits messieurs s'accommodèrent des autres. Il y avoit une madame De Séve, de l'île[60], la femme de Coquerel, et une veuve, aussi de l'île, appelée madame de Bourneuf. Pour faire le conte meilleur, on disoit que madame d'Ecquevilly crioit à Le Prestre, son galant et son cousin germain: Mon cousin, mon cousin, ôte-moi, je te prie, Du malheur où je suis[61]; et qu'après, madame de Bourneuf disoit: «Pour vous autres, vous avez des maris; mais, pour moi, quel scandale seroit-ce?» Ce Le Prestre est ce grand joueur, ci-devant conseiller à la cour des aides; constamment il a vécu avec la d'Ecquevilly. C'est une grande coquette; mais c'est en même temps une grande ménagère. Elle paroît autant qu'une autre qui fera trois fois plus de dépense qu'elle; elle est adroite; elle se lève à Paris à sept heures tous les jours, quelque tard qu'elle se couche: à la campagne, c'est bien pis. Elle eut, il y a six ans, une grande maladie; elle disoit à la cadette Ogier, sa confidente: «Je n'ai nul regret à quitter le monde, moi qui semblois tant l'aimer.--Et vos enfants?--M. d'Ecquevilly les aime; il en aura soin.» On n'a jamais rien vu de si constant; cependant son mari est mort devant elle. Depuis Le Prestre, et cela a cessé il y a long-temps, je n'ai pas ouï dire qu'elle eût aucun galant. Le jeu est sa passion dominante. [60] Du quartier de l'île Saint-Louis. [61] Vers de Malherbe. (T.) Pour mesdemoiselles Ogier, la cadette a bien plus d'esprit que l'aînée; elle fait des bagatelles en vers fort joliment. Ceux qui les connoissent disent que ce sont d'honnêtes filles, mais peu scrupuleuses, et qui, faute de bien, ont été contraintes de se fourrer dans les compagnies qui les ont bien voulu recevoir, sans regarder trop exactement si les choses s'y faisoient dans l'ordre. D'AMBOISE, PÈRE ET FILS. M. d'Amboise étoit maître des requêtes. Son père avoit été premier chirurgien du Roi. Un jour, le feu président de Mesmes lui reprocha en bonne compagnie que son père étoit chirurgien. «Il est vrai, répondit-il, et il me souvient qu'il me disoit qu'il n'avoit jamais pu vous guérir de la ladrerie, ni votre père, ni vous[62].» Ce bon M. d'Amboise ne rencontroit pas si bien en toutes choses, témoin la préface qu'il a mise au-devant des œuvres d'Abailard. Il avoit une grande bibliothèque. Un jour, comme il changeoit de logis, et qu'il faisoit emporter ses livres, un crocheteur, qu'il avoit un peu trop chargé, lui dit: «Monsieur, vous m'en donnez plus qu'il ne m'en faut.--Vraiment, lui dit-il, il te fait beau voir de ne pouvoir porter ce peu de volumes; je porte bien tout ce qu'il y a ici dans ma tête.--Saint Jean, dit le crocheteur, il faut donc que vous ayez une belle paire de cornes!» Le crocheteur disoit mieux qu'il ne pensoit; car madame d'Amboise se réjouissoit, et principalement avec un jeune homme, dont le mari étoit si jaloux qu'enfin il se résolut de la mettre en procès, et faisoit tous les jours interroger ses valets pour la convaincre. Un de ses amis lui en fit honte, et le fit résoudre à cesser ses poursuites, pourvu que ce galant ne vît plus sa femme. On y fit consentir le jeune homme, qui chercha fortune ailleurs. [62] Ils en sont accusés; et le plus fâcheux, c'est qu'une de leurs sœurs mourut, il y a quelques années, toute dévisagée de ladrerie. (T.) Son fils ne fut pas plus heureux en mariage; aussi ne prit-il pas trop garde où il se mettoit, comme vous verrez par la suite. Il prit l'épée, et, pour s'appuyer d'une bonne alliance, il épousa mademoiselle de La Hillière de Touraine. Mais soit qu'elle le méprisât, ou qu'elle ne voulût pas dégénérer, elle se mit à faire galanterie. Son mari, pour faire le petit seigneur, acheta auprès d'Amboise une maison de plaisance que Le Gast, favori de Henri III, avoit fait bâtir pendant qu'il en étoit gouverneur; et, afin qu'un jour lui et ses descendants pussent passer pour des gens de la véritable maison d'Amboise, il prêta de l'argent au comte d'Aubijoux, qui en est, afin qu'il lui permît de faire enterrer un de ses enfants dans une certaine cave où l'on mettoit les seigneurs d'Amboise. Il étoit d'ailleurs fort civil; mais cette sotte vanité le rendoit ridicule. Il s'avisa que la fille d'un nommé Floriot, beau-frère de feu Lambert le riche, qui, en mourant, laissa beaucoup à sa nièce, seroit bien le fait d'un fils de treize ans qu'il avoit; et, comme le père et la fille passoient entre Orléans et Blois, Amboise enleva cet enfant, qui n'avoit que dix ans, et retint le père et une tante. Le marquis de Sourdis, gouverneur de Beauce, et aussi gouverneur d'Amboise, étoit avec son ordre à la tête des enleveurs. Il fallut composer à vingt mille livres. Floriot donna une partie de l'argent pour ravoir sa fille, et quand il fut à Paris, il présenta requête au parlement. Mais M. de Beaufort, à cause du marquis d'Aluye, qui étoit du parti de Paris (c'étoit durant la _Fronderie_), l'intimida, et il fallut donner le reste. Depuis, d'Amboise est mort, et sa veuve s'est fait épouser par un Crevant que son père a déshérité à cause de cela. L'ABBÉ DU LANDAYE. La mère de madame de La Hillière concubinoit avec un garçon de Paris, nommé Le Roi, fils d'un huissier au conseil, dont la femme avoit été galante. Ce garçon trouva le moyen d'avoir l'abbaye du Landaye dans le voisinage de cette madame de La Hillière, et c'est de là que vint la connoissance. Elle en étoit folle. Il étoit le maître de tout, et elle lui donnoit tout ce qu'il vouloit. Ses fils, dont l'un étoit mestre-de-camp d'un régiment d'infanterie, et d'Amboise, qui l'étoit aussi, se résolurent de se défaire de M. l'abbé. Ils étoient d'autant plus irrités que le galant homme s'étoit vanté que la vieille lui livreroit une jeune fille fort jolie qu'elle avoit. Un soir, ils l'attrapèrent sur le Pont-au-Double[63]. La Hillière et d'Amboise avoient avec eux quinze ou vingt de leurs soldats; ils n'osèrent le jeter dans la rivière, mais ils résolurent de lui couper le nez, et donnèrent pour cela un couteau à un soldat. L'abbé ne perdit point le jugement, et dit à La Hillière: «Monsieur, c'est vous que j'ai offensé; c'est à vous à me punir, et non pas à vos soldats; que ce soit, je vous prie, de votre main.» La Hillière prit le couteau, mais il n'eut pas l'inhumanité de lui couper le nez, et le galant en fut quitte pour une petite balafre. [63] Pont situé au midi de l'église de Notre-Dame; il est adossé aux bâtiments de l'Hôtel-Dieu qui traversent la rivière. DU BURCQ. Du Burcq est un garçon de Bordeaux, fils d'un trésorier de France, qui étoit riche. Pour son malheur, il s'est mis de tout temps dans la tête qu'il avoit bien de l'esprit et bien du mérite. Dès qu'il fut arrivé ici, il voulut plaider, pour montrer son éloquence, quoiqu'il eût la plus pitoyable voix du monde. Un jour, il commença son plaidoyer par ces mots: «_Messieurs, à juger par les apparences, qui ne prendroit Jésus-Christ pour un imposteur, les apôtres pour des séducteurs et la Vierge pour une femme de mauvaise vie?_» Son père avoit soin des affaires de madame d'Aiguillon, en Guyenne; cela fut cause qu'elle lui fit donner la présentation au parlement de Bordeaux du comte d'Harcourt pour gouverneur de la province. Elle et madame Du Vigean voulurent voir ce qu'il avoit fait, et, en un endroit, elle avoit mis: _Cui bono_. Je ne sais comment elles y avoient pu rien comprendre, car quand il montra son ouvrage à M. Conrart, ce ne fut que par lambeaux, non que ce ne fût l'ouvrage entier, mais il étoit écrit par-ci par-là sur des chiffons de papier; cela réussit de sorte qu'il n'y eut que son père qui en fut content. C'est le plus gascon de tous les hommes. Il pria Conrart de le mener chez Patru: «Bien, lui dit l'autre, j'aurai un carrosse (ni l'un ni l'autre n'en avoient en ce temps-là).--Oh! j'en aurai un moi, dit-il, et je vous viendrai prendre, car il m'est bien plus aisé qu'à vous. J'en sais un dont je dispose absolument.» Devinez quel carrosse c'étoit, dont il disposoit absolument. C'étoit celui de mon père, qui en avoit assez affaire. Et voyez la discrétion de cet homme: il le lui emprunta un dimanche, et il fallut remettre au carrosse des chevaux qui venoient de Charenton; il ne le put avoir qu'à cinq heures. Il va quérir Conrart, et se mit toujours à la place la moins honorable, afin qu'on crût que le carrosse étoit à lui. Pour se vanter en Gascogne qu'il avoit traité les beaux esprits, il convia Conrart, Patru et Darbo à dîner. Ils prirent jour après en avoir été pressés un mois d'avance. Le pauvre M. Conrart arriva tout en eau, tant il s'étoit hâté d'aller à une affaire importante, afin de ne pas manquer à ce beau repas. Les voilà tous. Il n'y avoit rien de prêt. Ils dînèrent d'une soupe de la vierge Marie, dont le diable avoit emporté la graisse, et d'un misérable chapon, sec comme du bois, qu'on alla quérir à la rôtisserie. Quelque temps après, il lui arriva une terrible aventure. Lui et un autre Gascon, nommé Desrain, avoient emprunté cinquante pistoles solidairement, car le père de Du Burcq étoit avare. Le terme étant échu, on met Du Burcq en prison; il disoit que Desrain en devoit payer la moitié; l'autre répondoit: «C'est un ingrat, je lui ai fait cinq plaidoyers; ils valent bien peu s'ils ne valent cinq pistoles pièce.» Ainsi Du Burcq paya tout. Par fanfare, il avoit marchandé toutes les charges d'avocat-général l'une après l'autre, et il sembloit qu'il fût fâché qu'on ne se fût pas assez moqué de lui, tant il avoit envie de parler encore en public. Balzac n'a pourtant pas laissé de le traiter de grand personnage dans ses _Lettres choisies_, car notre Gascon n'avoit garde de manquer à lui envoyer du galimatias de sa façon. Depuis, dans les troubles, la charge du président d'Affis, de Bordeaux, qui étoit venu à mourir, lui fut donnée ici moyennant tant qu'en tiroit le cardinal. Lui voulut traiter avec la veuve qui n'y voulut point entendre. A Bordeaux, on lui fit cent affronts. La cour, voyant cela, supprima la charge. Pour Desrain, il étoit parent d'un Gascon nommé La Borde, qui étoit argentier du cardinal de Richelieu. Son parent le fit prêcher, et le fit entendre au cardinal. Notre homme, comme étant d'un pays dont les gens disent: _Nous autres nous avons du feu, mais du plus brillante, pour le jugement, nous n'en tenons compte_, ne manqua de débiter hardiment bien des sottises. Mais, comme le cardinal aimoit assez les grotesques, il ne lui déplut pas, et il semble qu'il en vouloit faire un prédicateur à sa mode. Quoi qu'il en soit, Desrain en eut un bon prieuré de huit cents écus de rente. Le cardinal mourut peu de temps après. Notre Gascon se mit à cajoler la servante de M. Mulot, qui fit tant que son maître résignait son galant sa prébende de la Sainte-Chapelle; et lui après fut si bon que de la donner au fils d'une femme dont il devint amoureux. MADAME CORNUEL. Madame Cornuel étoit fille unique d'un M. Bigot, qu'on appeloit Bigot de Guise, parce qu'il étoit intendant de feu M. de Guise. Cette fille avoit été furieusement dorlotée. Le père, qui étoit riche, fit quelque méchante affaire; il fut tout glorieux de la donner à Cornuel, frère du président Cornuel, dont nous avons parlé. Cet homme en devint amoureux à l'enterrement de sa première femme, et l'épousa peu de temps après. C'étoit une jolie personne et fort éveillée. Il n'y avoit pas long-temps qu'ils étoient ensemble quand elle s'avisa d'une plaisante folie. Un soir, qu'elle avoit fait semblant d'aller dehors à une assemblée du voisinage, elle s'habille comme on représente les âmes qui reviennent, et sur le minuit va tirer les rideaux de ce pauvre homme, et lui fit des reproches de son ingratitude, et après elle se mit à rire comme une folle. Elle a été galante, et elle fut cruellement déferrée par Francinet. C'étoit le fils d'une m........., ou au moins d'une femme qui avoit passé pour cela dans le monde; mais quoique petit, il est bien fait, avoit de l'esprit, dansoit bien, et étoit bien venu partout, à la cour et à la ville. Il devint fou tout-à-coup, lui qui n'avoit eu aucune pente à la folie; il commença par mettre sa tête en un seau d'eau, en disant qu'il falloit quitter les vanités: il mourut fou quelque temps après. Or, comme toutes les personnes de sa connoissance y alloient, madame Cornuel y fut aussi: elle voulut faire la rieuse, et l'interroger pour se divertir: «Hé! madame, lui dit-il, vous ne me connoissez plus? Je suis Genlis, madame; je suis Genlis, ce garçon si bien fait, qui a de si belles dents.» Elle demeura muette, car on avoit fort parlé de ce Genlis avec elle. C'étoit un gentilhomme de qualité, de Picardie. Elle a de l'esprit autant qu'on en peut avoir; elle dit les choses plaisamment et finement[64]. Une fille de la première femme de son mari, qu'on appelle mademoiselle Le Gendre, et une fille de M. Cornuel et de cette première femme qu'on appelle encore aujourd'hui _Margot Cornuel_[65], ont aussi toutes deux bien de l'esprit, et de cet esprit un peu malin, qui est celui qui plaît le plus. Tout cela attiroit bien du monde chez elle, car ces trois personnes étoient toutes trois jolies[66]. [64] Les bons mots de madame Cornuel sont épars dans tous les ouvrages du temps. Madame de Sévigné en rapporte les plus saillants. [65] L'abbé de La Victoire l'appelle, à cette heure, _la reine Marguerite_. (T.)--Il existe un portrait de mademoiselle Cornuel, sous le nom de la reine Marguerite, composé par M. de Vineuil, et adressé au duc de La Rochefoucauld. On le trouve à la suite des _Mémoires de mademoiselle de Montpensier_, tome 7, page 22; édition de Londres, 1746. [66] Il est fait allusion à l'esprit fin et caustique de madame Cornuel, et des deux autres dames qui demeuroient avec elle, dans les vers suivants, tirés d'une épître anonyme adressée à mademoiselle de Vandy. Elle est dans la manière de Benserade: Chez Cornuel, la dame accorte et fine, Où gens fâcheux passent par l'étamine, Tant et si bien qu'après que criblés sont, Se trouve en eux cervelle s'ils en ont; Si pas n'en ont, on leur fait bien comprendre Que fats céans onc ne se doivent rendre, Et six yeux fins, par s'entre-regarder, Semblent leur dire: Allez-vous poignarder. (_Nouveau Recueil des plus belles poésies_; Paris, Loyson, 1654; in-12, p. 352.) Le mari, qui se voyoit fort riche en rentes sur l'Hôtel-de-Ville, ne prévoyant pas qu'elles seroient réduites, négligea son cadet, le président, qui avoit pris Margot chez lui, à dessein de la faire son héritière. La femme, aussi peu sage que lui, se brouilla aussi avec cet homme, et ils retirèrent cette fille. Il ne laissa pas en mourant de lui donner dix mille écus. Le mari de notre madame Cornuel a été étourdi en toutes choses, et a bâti à la campagne le plus mal propos du monde. On a fort médit du marquis de Sourdis. Autrefois elle faisoit la maîtresse chez lui, et d'une manière assez haute. La marquise en enrageoit. Il prit une vision à madame de Bonnelle, quelques années après son mariage, de s'en aller à minuit heurter chez madame Cornuel, et demander M. de Sourdis. «Il n'y est pas.--Je sais bien qu'il couche céans cette nuit, dit-elle; qu'on me fasse parler à lui.» Et après elle s'en alla. On croyoit que madame Cornuel se vengeroit de cela, mais elle avoit fait le calus sur cette amourette, il y avoit long-temps, et n'en fit ni mise ni recette. Une fois qu'elle le fit trop attendre, pour se désennuyer, il engrossa sa femme-de-chambre. Elle ne la chassa point, la fit accoucher secrètement, et entretint l'enfant, en disant: «Il a été fait à mon service.» Enfin, cette amourette s'est changée en une bonne amitié, car elle dure encore. Elle conte de plaisantes choses de cet homme, car elle dit les choses d'une manière toute particulière. «C'est, dit-elle, un gouverneur d'eau douce. J'appelle ainsi les gouverneurs de la rivière de Loire, car hors Saumur il n'y en a pas un qui soit le plus fort dans sa ville[67].» A Orléans, il s'est rendu ridicule; il y vit mesquinement, et cependant il est constant qu'il dépense plus qu'il ne devroit dépenser: il aime le grand train, et donne terriblement dans la livrée. Il n'iroit pas à Jouy, qui n'est qu'à quatre lieues de Paris, sans tous ses mulets, son chariot et son fourgon, et je ne sais combien de gens à cheval. «Que vous voilà aise! lui dit un jour madame Cornuel, il me semble que c'est Jacob et ses chameaux.» Il laisse des valets dans ses maisons jusques à la quatrième génération, et ne daigne pas faire la moindre réparation. Lui, sa femme et son fils ont tous leurs officiers séparés, et sont presque toujours ensemble. Pour revenir à Orléans, il n'y donne jamais à manger à qui que ce soit, et n'y a jamais brûlé de bougies. Il y devint amoureux d'une fille de quinze ans, car il dit qu'à vingt les esprits d'Orléans ne sont plus traitables. Il la menoit à la promenade avec d'autres fillettes de marchands, et jamais la collation ne passoit le biscuit. L'hiver, la mère de la fille s'ennuya de voir tant de gens chez elle, car il y avoit bien de la petite jeunesse qui s'y rendoit. Le marquis trouva une veuve qui lui prêta une arrière-boutique, pour y faire leurs gambades, mais à condition que chacun paieroit deux sols marqués pour le bois. M. le gouverneur avoit beau trembler, la veuve ne faisoit point allumer le fagot qu'il n'y eût nombre compétent, «car, disoit-elle, l'argent n'y suffiroit pas.» Là, il dansoit _grand Guénippe_, _la Diablesse_, _etc._, jouoit au _gage touché_ et _à votre place me plaît_: les courtauts lui donnoient de grands coups de chapeau; et au _roi Artus_, ils lui donnoient d'une serviette mouillée par le nez. Au carnaval il alloit en masque avec un habit loué à la fripière d'Orléans. Une fois on tira un coup de pistolet dans son carrosse, et on coupa le nez à un de ses gens. Ses enfants ayant un peu maltraité à la chasse quelque jeunesse de la ville, ils les envoyèrent appeler en duel par un hobereau. Lui les fit prendre par le prévôt des maréchaux. Le lieutenant-général, homme sage et aimé du peuple, lui dit que s'il ne les faisoit point mettre en prison, il lui promettoit de lui faire faire toutes les satisfactions imaginables. Le marquis ne le voulut pas croire: il vouloit les faire traiter prévôtalement, et se porta partie faute d'autre. Il ne l'eut pas plus tôt fait que le peuple s'émut, mit ces gens hors de prison hautement. «Je lui disois, ajoutoit madame Cornuel: Depuis que vous avez pris l'aune, tout le monde vous mesure à la sienne.» Mademoiselle, quand elle escalada Orléans, en 1652, se moqua fort de lui, l'hiver suivant, d'aller en masque à la campagne avec un habit fourré chez une dame dont il étoit amoureux. «J'écrivis sur cela à une de mes amies, disoit madame Cornuel, et, je l'appelois Cupidon. Ce Cupidon, disois-je, n'avoit qu'une seringue pour tout carquois. Il en bouda longuement, et, comme je prétendois me retirer à Orléans, à cause des troubles, lui et sa femme l'empêchèrent de peur que je ne les tournasse en ridicule.» Il avoit raison le marquis, car feu La Feuillade disoit que si elle vouloit elle tourneroit la bataille de Rocroy en ridicule, qui étoit, disoit-il, la plus belle chose qui se soit faite depuis les Romains. Elle dit que les cornes sont comme les dents; elles font du mal à percer, et après on en rit. Ce fut elle qui donna le nom d'_Importants_ aux gens de la cabale de M. de Beaufort, parce qu'ils disoient toujours qu'ils s'en alloient pour une affaire d'importance. Elle a dit depuis que les Jansénistes étoient des _importants spirituels_. Il n'y a pas long-temps que son mari prit la peine de se laisser mourir. Madame Pilou l'alla voir, et lui dit: «Ma mie, ne vous affligez point, votre mari est mort bien gentiment, et bien gentiment on l'a enterré.» Par ce _gentiment_ elle vouloit dire bien chrétiennement. Toute la cour y alla. [67] Voyez le portrait que madame Cornuel a tracé du marquis de Sourdis, dans la Lettre adressée à la comtesse de Maure, que nous plaçons à la suite de cet article. LETTRE DE MADAME CORNUEL A LA COMTESSE DE MAURE[68]. Ce 23 octobre 1659. «Nous avons vu le marquis de Sourdis céans; si M. le comte de Maure se récria du portrait que j'en fis il y a quinze jours, ce n'est rien de le peindre de mémoire, il en faut faire un sur l'original. Vous savez, madame, qu'il n'y avoit pas trois semaines qu'il étoit parti de Paris, dimanche qu'il arriva céans le matin. Il a donc vu quatre de ses maisons, Amboise, Tours, des religieuses proche de Tours; affermé et rehaussé des terres, vendu des hauts bois[69], gagné (cela entre nous) cent mille francs sur le marché avec le Roi; mais, s'il vous plaît, n'en dites rien. Il a bâti en deux maisons, abattu à Amboise, ordonné des levées de la rivière de Loire, avancé pour cela son argent, fait sa provision de vin, de bougie, et enfin tant de choses que _reçu de l'argent_ m'échappe de la mémoire, aussi bien que quelques légers arbitrages. Vous croyez donc, madame, qu'à tout cela et n'être que deux jours en chaque lieu, il n'a pas eu de temps de reste, excusez: il a fait un roman, vers, prose, aventures. Je vous ai souhaitée à la lecture qu'il en fit, car rien n'est pareil à un homme âgé et veuf qu'il décrit, dont toute la contrée est dépendante par la considération de son âge et de ses richesses. Sa femme est morte d'une maladie incurable, et, dès son vivant, chacun songeoit à l'épouser. Il le fait amoureux d'une personne qui se marie en diligence sans qu'il en sache rien. Cela est plaisant à nous qui savons l'histoire de madame Le Coigneux[70]. Mais lui se remarie à une personne représentée comme vous ou madame de Rambouillet. Ce n'est qu'une des dix ou douze histoires de ce roman. [68] Nous croyons faire plaisir aux lecteurs en plaçant à la suite de cet article une lettre de madame Cornuel, qui est vraisemblablement la seule que l'on ait conservée. C'est encore une obligation que nous avons à Conrart; il a copié lui-même cette lettre qui se trouve à la bibliothèque de l'Arsenal dans le manuscrit nté 902, in-folio. (_Belles-Lettres françoises_, t. 11, p. 1293.) [69] _Des hauts bois_: des bois de futaie. [70] La sœur de l'avocat Galland, qui épousa, en secondes noces, le président Le Coigneux. Tallemant a parlé fort au long, ainsi que Conrart, des orages qui ne tardèrent pas à troubler cette union. «De la même plume il prend un autre portefeuille, et a écrit même un traité de la grâce, un de la médecine, et quelqu'autre de la physique. Dans le carrosse il fait des devises avec D. André, lesquelles mon ignorance ne connut que pour emblêmes très-chétives. Je m'enhardis de le lui dire; il en convint, mais disant qu'elles étoient meilleures ainsi qu'autrement pour mettre sur les cheminées. «Vous ne vous étonnez pas s'il ne m'a pas demandé comme je me portois, ni dit un mot de ma maladie en sorte quelconque. M. l'évêque d'Orléans et M. d'Entragues dînèrent céans comme lui. Il arriva trois heures avant eux, et coucha céans deux nuits; les deux autres n'y firent que dîner. Ce fut pour traiter du raccommodement avec Monsieur[71] que je ne vois pas si aisé à cause des gens qui l'approchent, et qui ont des vues d'en éloigner le marquis de Sourdis, pour profiter de quelques-unes de ses dépouilles. Mais il vivra long-temps, quoique je l'aie trouvé aussi changé qu'il m'a pu trouver changée, s'il y a regardé; mais il y a lieu d'en douter, ne m'en ayant pas dit un mot. D. André m'en voulut parler, il coupa le discours pour dire ce qu'il avoit dans sa tête. Vous le connoissez assez bien, et ne vous étonnez donc plus, ni moi aussi, s'il ne vous a jamais parlé de votre raccommodement avec M. le cardinal, et de tout ce qui s'en est suivi; car à la quantité de choses qui lui passent dans la tête, rien ne peut y demeurer assez de temps pour passer au cœur; les frivoles bouchent le passage aux sérieuses.» [71] Gaston de France, duc d'Orléans. BOUTARD. Boutard, dont nous avons parlé dans l'historiette de Gombauld, est de Chartres; c'est un petit homme qui a un fort grand nez, mais il a la langue encore plus longue. Il disoit un jour que dans sa famille ils aiment tous à parler, et faisoit un conte d'une de ses tantes qui, étant au sermon, et voyant que le prédicateur ne pouvoit trouver le nom d'un instrument à cultiver la terre, et qu'il avoit dit plusieurs fois une...., une....., se leva enfin, et dit: «Là, là, mon père, n'annonez point tant, c'est une pioche.--Une pioche donc, dit le père, puisque pioche y a. Nous l'eussions bien trouvée sans vous.» Cela me fait souvenir d'un miroitier de Châlons, qui entendoit un sot prédicateur qui, faisant le panégyrique de saint Étienne dans l'église de ce saint, disoit: «Où mettrons-nous ce protomartyr? A la dextre, ou à la senestre de Dieu, etc.--Mettez-le en ma place, s'écria le miroitier, aussi bien suis-je las d'y être,» et il s'en alla. Le chapitre de saint Étienne, par calomnie ou autrement, tint cet homme quatre ans en prison, et, pour l'en tirer, il le fallut déclarer fou. Boutard est un homme à faire peur aux gens. Vous avez vu la méchanceté qu'il fit à Gombauld[72]. Il étoit plaisant; il n'y avoit que lui qui se divertît de l'Académie de la vicomtesse d'Auchy[73]; il harangua le jour du mardi-gras dès l'escalier; feignant d'avoir rencontré quelqu'un de la compagnie, il entre dans la chambre tout en parlant, se sied sans cesser; il y avoit un gros quart d'heure qu'il haranguoit sans qu'on s'aperçût qu'il haranguât: il traita des diverses façons de cracher; il en trouva cinquante-deux, dont il fit la démonstration aux dépens du tapis de pied de la vicomtesse. [72] _Voyez_ l'article de Gombauld, t. 2, p. 389. [73] _Voyez_ son article, t. 1. Il s'étoit si bien accoutumé à prendre des lavements qu'il n'alloit point où vous savez sans cela, ou du moins bien rarement. Il avoit un certain laquais qu'il vouloit chasser: «Ah! monsieur, lui dit ce garçon, si vous saviez combien je vous ai épargné d'argent, vous ne me chasseriez pas! car souvent j'ai fait mes affaires dans votre bassin, afin que vous crussiez que vous aviez fait quelque chose; et, ainsi, je vous ai sauvé bien des clistères.» Il fut secrétaire de M. de Fontenay-Mareuil[74], en l'ambassade de l'Angleterre. On l'accusoit d'avoir, là et ailleurs, fait quelques petites gaillardises: il étoit avare, et, dès qu'il vit Paris bloqué, lui qui est garçon, il se défit d'une partie de ses valets. Je trouve cela bien inhumain. Il est aujourd'hui président des trésoriers de France à Montpellier; c'est quelque charge nouvelle, je pense qu'il y a de la maltôte à son affaire. Il demeure, nonobstant cette charge, à Paris; je crois qu'il cherche à la vendre. [74] François Du Val, marquis de Fontenay-Mareuil. (_Voyez_ précédemment la note 2 de la p. 69 du t. I.) Il contoit que la _Pecque_[75] Cornuel, c'est ainsi qu'il l'appeloit, l'avoit voulu marier avec Marion (mademoiselle Legendre), et qu'elle lui avoit fait un grand dénombrement des avantages qu'il auroit. «Je lui ris au nez, disoit-il, et lui dis qu'elle oublioit la faveur de M. de La Rivière.» Or, La Rivière concubinoit et concubine, je pense, encore avec elle. Elle est à cette heure comme sa ménagère, et, à Petit-Bourg[76], on l'a vue quelquefois avec un trousseau de clefs. Autrefois il y avoit un couplet qui disoit: Il court un bruit par la ville, Que Marion Cornuel Voudroit bien faire un duel Avec monsieur de Rouville; Qu'ils aillent chez la Sautour[77]; C'est là que l'on fait l'amour. [75] _Pecque_: Expression de mépris, pour dire une femme ridicule, et qui fait l'entendue. (_Dict. de Trévoux._) [76] Le beau château de Petit-Bourg, auprès de Corbeil, construit par Galland, secrétaire du conseil, appartenoit alors à l'abbé de La Rivière, favori de Gaston. Il étoit avant la révolution à la duchesse de Bourbon; il est aujourd'hui propriété de M. Aguado. [77] Mère de madame de Boudarnau et de madame de Beaujeu. (T.) MADAME D'AMET. Madame d'Amet est fille de M. de Favas, homme de qualité d'auprès de Bordeaux; elle est veuve d'un cadet de La Force: ç'a toujours été une enragée. Du vivant de son mari, elle se mit tellement en colère contre la nourrice de sa fille, que cette femme tenoit alors, qu'elle lui donna un coup de pied. La nourrice pare de l'enfant, qui reçut le coup dans l'estomac, et dont la petite-fille pensa mourir. Madame de Favas prit cette petite. Le mari mort, ce fut encore bien pis. Un jour, étant logée en une maison garnie au faubourg Saint-Germain, elle battit sa demoiselle à outrance, et, non contente de cela, elle l'enferma dans un grenier, à dessein de la revenir battre au retour de la ville. Cette fille cria, et ceux qui logeoient dans cette maison attachèrent deux échelles ensemble, et la tirèrent de là. Depuis cette fille se revengea, et, à son tour, elle battit sa maîtresse; cela les mit si bien ensemble qu'elles ne pouvoient plus se quitter. Elle battit tant, il y a dix ou onze ans, le seul fils qu'elle a, qui pouvoit alors avoir neuf ans, qu'on crut qu'il le faudroit trépaner. Quand il fut guéri, il s'enfuit chez son grand-père de La Force, où il a toujours demeuré jusqu'à la mort du bonhomme, et depuis, avec le fils, car sa mère a changé de religion. La mine de cette femme est la plus trompeuse du monde; elle paroît douce; elle est naïve avec cela. Aux premiers troubles de Bordeaux, elle étoit chez son père. Chambret, le soudart, qui commandoit les troupes de Bordeaux, y alla loger. Elle fit la diablesse, dit qu'il ne falloit point souffrir un rebelle, et écrivit à la cour qu'elle supplioit la Reine de ne la mettre pas au rang des coupables, encore qu'elle fût dans une maison qui étoit ouverte aux séditieux; et cela pensa faire piller la maison de son père. Elle étoit au carnaval à Paris, en 1651, où elle avoit bonne envie que M. de Maisons l'épousât; mais il fut assez imprudent pour laisser échapper une si grande fortune. Elle s'avisa un jour de convier bien des gens à la comédie; puis, quand la pièce fut achevée, elle fit fermer la porte de la salle, et, avec une porcelaine, alla quêter tous les hommes qui, pour sortir, furent contraints de payer. COSTAR[78]. Costar est fils d'un chapelier de Paris, qui demeuroit sur le pont Notre-Dame, à _l'Ane rayé_[79]. Son père le fit étudier; il réussit, et, ne manquant pas de vanité non plus que d'esprit, il se voulut dépayser, et demeura presque toujours dans la province; de sorte que la première fois qu'il revint ici il se vouloit faire passer pour un provincial. Mais quelqu'un lui dit joliment qu'il feroit tort à Paris de lui ôter la gloire d'avoir produit un si honnête homme, et que, quand il le nieroit, _Notre-Dame_ pourroit fournir de quoi le convaincre. La première chose qu'il fit ce fut un sermon qu'il montroit à tout le monde. Un jour il le lut à M. Le Maistre, à M. Patru et à M. d'Ablancourt. Il y avoit une comparaison d'un vent coulis qui se glisse entre deux montagnes: cela donnoit une assez vilaine idée. Le Maistre étoit derrière lui, et lui tiroit la langue d'un pied de long. Costar disoit: «Il y a eu de sottes gens à la province qui n'ont pas trouvé que cela fût bien.» Les auditeurs, qui mouroient d'envie de rire de cette grotesque et de plusieurs autres, prenant prétexte de rire des provinciaux, se mirent à rire de lui-même[80]. [78] Pierre Costar, né à Paris en 1603, mourut le 13 mai 1660. [79] On dit que son véritable nom est _Coustar_: il a cru se déguiser en ôtant un _u_. (T.)--Il signoit _Costar_. [80] Le père Du Bosc, qui le voyoit un jour faire de grands compliments à bien des gens, disoit: «Bon Dieu, le grand paraphraseur de _votre serviteur très-humble_, que voilà.» (T.) En ce temps-là les Odes de M. Godeau et de M. Chapelain, à la louange du cardinal de Richelieu, parurent, et ensuite M. Chapelain eut une pension de M. de Longueville. Costar, par une étrange démangeaison d'écrire, et pensant se faire connoître, en fit une censure, qui le fit connoître en effet, mais non pas pour tel qu'il croyoit être; il n'y avoit que de la chicanerie, et, ce qui ne se pouvoit excuser, sans avoir jamais vu M. Chapelain, et sans avoir rien ouï dire qu'à son avantage, il s'écrioit en un endroit: «Jugez, après cela, si M. de Longueville n'a pas bien de l'argent de reste, de donner deux mille livres de pension à un homme comme cela?» Cette censure ne fut point imprimée; elle courut pourtant partout. Cheselles lui écrivoit une fois: «Ne pensez pas me fouetter avec vos verges encore toutes dégoûtantes du sang des Godeaux et des Chapelains.» Quelques années après, il se donna à l'abbé de Lavardin, aujourd'hui M. du Mans, qui, après avoir déclaré qu'il se retiroit au Maine pour étudier cinq ou six ans, et qu'il n'en reviendroit point qu'il ne fût bien sûr de son bâton, s'y retira effectivement; mais, au bout de ce temps-là, cet homme, qui devoit jeter de la poudre aux yeux à tout le monde, ne réussit pas autrement, et eût même le malheur de demeurer court en un sermon devant la Reine-régente. Madame de Cavoye, dont nous parlerons ensuite, dit plaisamment «qu'il avoit fait le vidame en chaire.» C'est que le vidame, fils aîné du duc de Chaulnes, ne fit rien la première nuit à la veuve de Tournon (fille de Villeroy) qu'il avoit épousée, quoiqu'elle fût jeune et jolie. Costar, qui étoit venu à Paris avec l'abbé, reconnut bien qu'il n'avoit rien fait qui vaille de s'attaquer à des personnes dont la réputation étoit établie. Il change donc de batterie, et se met à courtiser Voiture plus qu'il n'avoit fait par le passé; car il y avoit long-temps déjà qu'ils se connoissoient, afin que, par son moyen, il pût avoir accès à la cour, et réparer, s'il pouvoit, sa faute. Un jour que M. Chapelain étoit avec Voiture, Costar y vint, et, n'ayant pas été averti que c'étoit M. Chapelain, ils s'entretinrent longuement sans que jamais l'offensé, qui le connoissoit fort bien, fît semblant de le connoître. Enfin, Chapelain s'en alla, et Costar, qui l'avoit trouvé d'agréable conversation, demanda à Voiture qui il étoit. «C'est, lui dit Voiture, M. Chapelain, cet homme que vous avez tant étrillé.» Costar fit le désespéré d'avoir désobligé un si honnête homme, et pria Voiture de faire en sorte que M. Chapelain le lui pardonnât; que c'étoit _delicta juventutis_: notez qu'il avoit trente-huit ans quand il fit cette _jeunesse_. Voiture y travailla, et Chapelain, pour assoupir cette querelle et ne plus faire parler le monde, souffrit cette réconciliation. Costar alla donc le trouver, et se mit à genoux devant lui. Chapelain, honteux de cette ridicule soumission, tourna la tête. «Ah! monsieur, lui dit l'autre, regardez l'état où je suis.» Car, comme s'il avoit eu un robinet à chacun de ses yeux, il jeta, sur l'heure, une grande abondance de larmes: c'est un fort bon comédien. Chapelain, cette fois-là, fut tout-à-fait déferré, et ne savoit que lui dire. Enfin, _tàm ambitiosus imber_[81] cessa quand il plut à Dieu. Avec tout cela, Costar ne persuada jamais personne, et n'a jamais pu passer pour sincère. Vous verrez, par ce que je vais vous dire, qu'on lui faisoit justice. [81] _Cette pluie produite par l'ambition._ Il disoit que Ménage étoit son meilleur ami: il lui écrivit un jour qu'il le prioit d'aller pour quelque affaire voir un homme de lettres qui demeuroit avec feu M. d'Amiens, et qu'aussi bien il seroit sans doute bien aise de le connoître. Ménage lui manda qu'il iroit un tel jour. Costar, qui étoit au Maine, croyant qu'il n'auroit pas manqué à y aller, comme il lui avoit écrit, laissa passer quelques jours, et puis lui écrivit une belle lettre dans laquelle il y avoit: «Au reste, monsieur, un tel est si satisfait de votre visite, que, etc.» Et, après avoir dit bien des flatteries à Ménage, il ajoutoit: «Mais il faut le laisser parler lui-même;» et il feignoit que quatre ou cinq lignes qu'il avoit mises ensuite étoient extraites de la lettre de cet homme. Il se trouva que Ménage avoit eu affaire, et n'avoit point fait cette visite; et, ayant reçu cette lettre, il fit une réponse qui commençoit ainsi: «A d'autres, à d'autres, monsieur Costar, etc.» Costar lui répliqua que c'étoit par prophétie qu'il avoit écrit de la sorte, et qu'il n'avoit fait que prévenir les pensées de son ami. A propos de lettres, voici encore une bonne histoire[82]. M. de Laval ayant été tué à Dunkerque, M. d'Avaux écrivit une lettre bien faite et bien civile à la marquise de Sablé, qui, n'étant pas encore trop en état d'écrire, pria Costar de répondre pour elle. Lui, qui ne demandoit pas mieux, fit une réponse et la lui porta: elle fit semblant d'en être contente; mais, à peine eut-il le dos tourné, qu'elle s'écria: «Ah! mon Dieu! la méchante lettre! que je n'ai garde de l'envoyer!» Costar, qui n'étoit pas de son avis, en avoit gardé copie, et aussi de celle de M. d'Avaux, et fut ravi d'avoir une occasion de se pouvoir louer en tierce personne. Il va donc chez madame de Saint-Thomas, dont il faisoit le galant, sans scandale, ce lui sembloit, à cause qu'il est un peu son parent. Là, il se mit à lire la lettre de M. d'Avaux; on la trouva fort belle. «La réponse, dit-il, est tout autre chose.» Il la prend et en fait admirer jusqu'aux virgules. Il se trouva d'assez sottes gens chez cette femme auxquels pourtant il ne put refuser d'en laisser prendre copie; de sorte que l'une et l'autre lettres coururent bientôt les rues. Quelques jours après, M. de Maisons, le fils, demanda à la marquise s'il n'y avoit point moyen d'avoir copie de la lettre qu'elle avoit écrite à M. d'Avaux. Elle lui dit que jamais de sa vie elle n'avoit donné copie d'aucune lettre qu'elle eût écrite. Le lendemain il y retourne, et lui dit en entrant: «Madame, voilà ce que vous me refusâtes hier.» Elle, bien étonnée, prend le papier, et trouve que c'étoit la réponse de Costar; elle lui conta l'histoire, et qu'elle avoit fait une autre lettre qu'elle avoit envoyée à Munster. [82] Tallemant a déjà rapporté cette anecdote, avec quelques différences, dans l'article sur Voiture, t. 2, p. 284. Il avoit une telle bassesse, en faisant la cour à Voiture, qu'il lui rapportoit tout ce qu'on disoit de lui. Il arriva que M. de Montausier dit qu'il faudroit changer quelque chose à ce sonnet qu'il a fait sur les machines des comédiens italiens. Costar alla dire à son ami que le marquis avoit dit que pour raccommoder ce sonnet il ne falloit refaire que quatorze vers. Toutes ces choses ensemble déplurent tellement à madame de Rambouillet qu'elle ne voulut jamais qu'on lui menât cet homme. Il n'a pas laissé pourtant de lui donner de l'encens dans ses ouvrages, car il ne veut pas qu'on croie qu'il n'étoit pas connu d'une si illustre personne. Je l'ai vu ici faire le beau, nonobstant sa goutte, à l'âge de cinquante ans, et il mettoit ses cheveux sous son bonnet; il n'alloit qu'en habit court; mais il s'en avisa sur le tard, car il avoit le visage un peu bien usé, et les yeux un peu bien rouges. Je crois qu'il n'avoit pas été mal fait dans sa jeunesse[83]. Il s'avisa même de copier Voiture; mais il le copioit misérablement, car il étoit toujours guindé, toujours sur le bien dire, et il lui échappoit souvent de grandes grotesques. Il disoit sans cesse de puantes flatteries. [83] Voici le portrait de Costar fait par un auteur anonyme qui étoit son commensal. Nous le tirons d'une Vie manuscrite de Costar adressée à Ménage: «Il étoit, comme vous savez, monsieur, d'une taille assez haute, fort agréable et fort dégagée. Il avoit le visage rond, et de vives et belles couleurs y paroissoient toujours dans sa santé; mais il avoit la vue fort courte, et ce défaut ayant commencé à sa naissance, il ne fit que s'augmenter et devenir presque extrême par l'âge. Ses dents étoient mal arrangées, et plus jaunes que blanches. Ses cheveux étoient d'un châtain fort brun, et se frisoient naturellement; tout son air avoit quelque chose de propre et d'élégant qui auroit extrêmement plu, et qui l'auroit rendu très-aimable, s'il n'y eût point eu aussi en tout cela de l'affectation et de la contrainte. L'une et l'autre se trouvoient même en son entretien, où, quoiqu'il parlât très-éloquemment, et que ce qu'il disoit ne fût pas vide de pensées subtiles, raisonnables et surprenantes, par tout ce qu'elles avoient de nouveauté et de justesse, d'ingénieux et de savant, il y avoit néanmoins toujours je ne sais quoi de trop peiné, qui en ôtoit la grâce, en faisant voir qu'il avoit trop d'application à mettre en ordre ce qu'il disoit, et trop de soin de l'embellir et de l'orner. Ce fut cela même qui obligea un jour M. Scarron, dont l'esprit étoit vif et tout rempli de naïves grâces, qui ne connoissoient aucune étude, et qui agissoient partout librement, de dire de lui à l'oreille de quelqu'un de ses amis: «Bon Dieu! que j'aimerois bien mieux qu'il dît sans y prendre garde _mangy_ pour _mangea_, et qu'il donnât des soufflets à Ronsard, que de parler toujours si bien et si juste!» (_Vie de Costar_, suivie de la _Vie de Louis Pauquet_, manuscrit du temps, communiqué par M. Aimé Martin. Nous nous proposons de donner ces deux ouvrages à la suite de ces _Mémoires_.) Un jour que madame de Longueville étoit au Cours, le laquais de Costar, qui, selon le proverbe: _Tel le maître tel le valet_, étoit un beau garçon, bien civil et bien disant[84], alla pour aider à raccommoder quelque chose qui s'étoit rompu à son carrosse, et fit cela avec beaucoup de zèle et d'un air fort galant. Madame de Longueville fut surprise de l'honnêteté de ce laquais, et lui demanda à qui il étoit. «Je suis à M. Costar, madame.--Et qui est ce M. Costar?--C'est un bel esprit, madame.--Et qui te l'a dit?--Si vous ne me voulez pas croire, prenez la peine, madame, de le demander à M. Voiture.» [84] Ce laquais s'appeloit Dugue; il devint valet-de-chambre de Costar. Ce dernier avoit en outre un lecteur nommé Depoix, «plein d'esprit, qui lui lisoit infatigablement tout ce qu'il vouloit lui faire lire, d'une voix nette et claire, sans prendre jamais un mot pour l'autre.» L'abbé Pauquet étoit le secrétaire en titre, «qui lui rendoit les plus grands et les plus importants secours dans toutes ses écritures, dont il avoit besoin de conserver jusqu'aux moindres lignes et aux moindres syllabes. Elles méritoient qu'on eût ce soin, continue l'auteur anonyme, car elles lui avoient été si utiles, qu'elles lui avoient produit dix mille livres de rente; elles lui avoient donné pour près de douze mille francs de vaisselle d'argent, et pour une somme considérable d'autres meubles, qui lui pouvoient servir, et pour le nécessaire et pour le plaisant.» (_Vie Manuscrite_ déjà citée.) Ce beau garçon nuisit peut-être à Costar, et par réflexion à son maître. L'évêque du Mans, celui à qui le feu Roi avoit eu l'audace de donner cet évêché sans en parler au cardinal de Richelieu, étant mort, en 1648, plusieurs y prétendirent. L'abbé de Lavardin en fut un: les habitants le demandoient, à ce qu'on dit, parce que c'est un homme d'une des meilleures maisons du pays, et le peuple a toujours de la vénération pour ceux qui le mangent. Lui, outre cela, prétendoit cet évêché quasi par droit de succession, à cause que son oncle l'avoit eu; et c'est à cause de cela qu'il ne le lui falloit pas donner, car son oncle y a vécu avec toute sorte de libertinage. Or, quand l'abbé en parla à M. Vincent[85], alors chef du conseil de conscience de la Reine, M. Vincent lui dit qu'il avoit tort de penser à l'épiscopat; que sa vie n'étoit pas dans l'ordre, et qu'il avoit chez lui un M. Costar, qui étoit un s........, et qui faisoit profession d'impiété et d'athéisme. Ce fut pour cela que Costar s'en alla à Angers, sous prétexte d'un mariage dont il se mêloit. Pour l'humeur italienne, on l'en a toujours un peu accusé; pour le reste, je n'en ai rien ouï dire. L'abbé ne se rebuta point: il fit la cour trois mois durant à M. Vincent, et disoit tous les jours la messe à Saint-Lazare. Cet homme ne se rendoit point, et lui dit un jour: «Allez, vous avez fait un cours d'athéisme avec votre Costar.» L'abbé lui dit à cela: «Monsieur, je vous prie d'envoyer chez moi saisir tous mes livres et tous mes papiers, et vous verrez si vous trouverez que j'aie noté à la marge aucun passage qui sente l'athéisme, ou qu'il y ait rien de tel dans ce que je puis avoir écrit.» Cela dura depuis le mois de mai jusqu'à la Saint-Martin, que M. le coadjuteur[86], Martineau, chantre de Notre-Dame, nommé évêque de Bazas, feu M. de Senlis (mais il ne s'y trouva pas), et le pénitencier de Notre-Dame, qui étoient du conseil de conscience, eurent ordre d'examiner si l'abbé de Lavardin n'étoit point athée, et si on pouvoit en conscience lui donner un évêché. Martineau et le pénitencier furent d'avis que, pour le scandale que cela avoit causé, on ne le fît point évêque cette fois, et qu'il seroit ridicule de faire évêque un homme dont on a douté qu'il fût chrétien. Mais le coadjuteur l'emporta, et gronda fort le père Vincent de ce que, par le rapport qu'il fit dans l'assemblée, il ne se fondoit que sur ce qu'un homme de condition, qui ne vouloit pas être nommé, avoit dit à un évêque, qui ne vouloit pas être nommé non plus, que l'abbé de Lavardin étoit indigne de l'épiscopat. En effet, il ne faudroit à ce compte-là qu'un ennemi pour perdre un homme de réputation[87]. Ce M. du Mans, pour imiter, dit-il, ses ancêtres, s'est mis à tenir table; mais à sa propre table les gens se moquent de lui. L'abbé d'Effiat un jour avoit des tablettes et écrivoit: _Première plaisanterie de M. du Mans_; _Seconde plaisanterie de M. du Mans_. Lui en rit, car il ne voit pas qu'on le raille. Chez le Roi quelqu'un demanda d'où venoit le mot de prélat; M. du Mans donne dans le panneau et étale ses éruditions. Nogent, quoique méchant bouffon, les mena battant d'une façon pitoyable. [85] Fondateur des Lazaristes, le vénérable saint Vincent de Paul. [86] Le cardinal de Retz. [87] M. du Mans conserva néanmoins une bien mauvaise réputation; car après sa mort, des prêtres ordonnés par lui, et notamment le célèbre Mascaron, furent ordonnés de nouveau sous condition. (_Vie de Saint-Évremont_, par Des Maiseaux, à la tête de ses _Œuvres_, 1753, in-12, t. 1, p. 31.) Pour revenir à Costar, il a quelquefois des raffinements assez bizarres. Il dit qu'il se fit durer la fièvre-tierce six mois, parce qu'au sortir de l'accès il avoit des rêveries agréables. Plusieurs ont remarqué cela aussi bien que lui; mais je ne pense pas que personne se soit encore avisé d'une volupté semblable. Pour ses ouvrages, avant la _Défense de Voiture_, il n'avoit fait que des lettres qu'il n'a pas publiées. C'est un esprit encastelé[88]; mais on ne peut pas dire qu'il n'écrive pas bien à tout prendre. Je lui ai vu montrer avec un plaisir étrange une lettre par laquelle il remercioit M. Servien de l'emploi de secrétaire qu'il lui offroit lorsqu'il croyoit aller en ambassade auprès du Saint-Père; mais la _Défense de Voiture_ est, sans comparaison la meilleure chose qu'il ait faite et qu'il fera; ce n'est pas que Girac et lui ne se trompent tous deux, car Girac accuse Voiture de choses dont il ne le devroit point accuser, comme de libertinage, et d'avoir écrit la lettre de _la Berne_[89] et celle _du Valentin_[90]. Il pouvoit dire, car il prétend qu'il n'a écrit cette lettre que pour Balzac seul, et point pour la faire courir comme a fait Costar, qu'où Voiture badinoit, il étoit inimitable; que son sérieux ne valoit pas grand chose, et qu'à tout prendre il n'écrivoit nullement juste. Costar veut tout défendre, et prend le style sérieux de Voiture pour le style sublime. Cependant la pièce est fort agréable, en ce qu'elle berne Balzac d'un bout à l'autre, qui étoit un des hommes du monde qui avoit donné autant de prise sur lui; ce n'est pas que ce soit une infamie à Costar d'avoir baffoué un homme qu'il avoit baisé au cul. On voit dans la préface que Girard a mise au-devant des _Entretiens de Balzac_, la preuve de ce que je dis. Costar, voyant le succès qu'avoit eu ce livre, en donna un second qu'il appela les _Entretiens de M. de Voiture et de M. Costar_; il y a furieusement de latin et bien des bévues, car il prend souvent _martre_ pour _renard_[91]; et ma foi cela n'est bon que pour faire mieux entendre les lettres que Voiture lui a écrites. Il fait là-dedans le docteur, et il se trouve que Voiture entend tout autrement bien les auteurs que lui, et se moque de lui en plus d'un endroit, sans qu'il s'en aperçoive ou qu'il en ose rien témoigner. Girac a répondu à Costar, et il n'y a déjà que trop de volumes. [88] _Encastelé_ se dit d'un cheval qui a la corne du pied trop serrée. Pris au figuré, il signifie ici un esprit trop étroit. [89] _Voyez_ la Lettre 9 de Voiture, où il raconte à mademoiselle de Bourbon, depuis duchesse de Longueville, qu'il a été _berné_ comme Sancho Pança dans le roman de Cervantes. [90] _Voyez_ la lettre 95 de Voiture, écrite à madame de Rambouillet. Le Valentin est un château situé près de Turin. [91] Allusion à un passage de la _Requête des Dictionnaires_ de Ménage, où il est dit que Colletet prenoit souvent Renard pour Marte. (P. 13 de l'édition in-4º de 1652.) Costar s'avisa, en publiant la _Suite de la Défense de Voiture_, d'écrire à M. le chancelier une lettre qui commence ainsi: _Monseigneur, si vous n'étiez le grand-prêtre de Thémis et le souverain sacrificateur des Muses_, etc. M. Gaulmin[92], qui étoit présent, lui dit: «Monsieur, si vous n'y prenez garde, il vous fera bientôt chanter messe.» Il écrivit aussi au feu premier président, et il y avoit en un endroit: «Monseigneur, que vous êtes beau!» Le premier président, qui ne jugeoit pas trop mal, montrant cela à Bois-Robert, lui dit: «S'en délecte-t-il? est-il du métier?--Oui, oui, dit l'autre.--Il faut donc, reprit-il, que je prenne garde à moi désormais; je n'eusse jamais pensé qu'on me dût traiter de beau!» Toute l'Académie s'en moqua, car on y montra cette lettre au chancelier; et Bois-Robert, pour achever Costar, se mit à lire cette lettre dont j'ai parlé dans son historiette, et il leur disoit, en un endroit qui étoit un peu malin: «M. le maréchal de Schomberg et M. le maréchal de Gramont, qui sont infatués de la _Défense de Voiture_, veulent que j'ôte cela et encore cela: me le conseillez-vous, messieurs?--Gardez-vous-en bien, lui dirent-ils.--Ma foi, je l'enverrai donc, dit-il, comme la voilà.» [92] Gilbert Gaulmin, maître des requêtes, puis conseiller d'État, mourut en 1665, à l'âge de quatre-vingts ans. On a de lui de savants ouvrages; mais il est encore plus célèbre par ses liaisons avec les érudits et les gens de lettres de son temps. Sur cette _Suite de la Défense de Voiture_, Costar pria Conrart de lui dire son avis. L'autre lui écrivit que tout le monde étoit scandalisé de ce qu'il déchiroit M. de Balzac, car cette fois il lève le masque et ne raille plus, et aussi de traiter si mal M. de Girac sur une chose où il n'y avoit motif. C'est sur je ne sais quel passage. Costar lui répondit en colère qu'on avoit bien raison de lui avoir donné avis qu'il étoit plutôt pour Girac que pour lui. Conrart, qui a toujours de la bile de reste, monte sur ses grands chevaux; Costar cale la voile, et lui demande pardon. Girac, dans une réponse qu'il faisoit imprimer contre Costar, en 1658, avoit mis trois ou quatre lettres de Costar assez impies. Courbé, sottement, comme il est l'imprimeur des deux adversaires, communiquoit à l'un et l'autre tout ce qu'il imprimoit. Costar, voyant cela, fait saisir l'impression, et au Châtelet il fut dit que n'étant point question d'accuser le sieur Costar d'impiété, défenses étoient faites d'imprimer le livre qu'il ne fût mis en l'état qu'il devoit être. Costar se sert de la main de Pauquet[93], de sorte qu'on ne sauroit prouver que ces lettres sont de lui. Il y en a une où il dit qu'il veut sacrifier à une religieuse, et joue sur tous les endroits de la messe. Voilà Courbé puni comme il le méritoit. [93] Louis Pauquet, chanoine et archidiacre du Mans, étoit secrétaire, créature et _factotum_ de Costar. Cet homme, né à Bresles, en Bauvoisis, avoit été laquais; il avoit trouvé le moyen d'apprendre le latin, mais il étoit livré à l'ivrognerie de la manière la plus dégoûtante. Costar le tenoit très-sévèrement sur ce chapitre. Après sa mort, Pauquet continua de se livrer à la débauche, il mangea son bien, et mourut âgé de soixante-trois ans, le 14 novembre 1673. (_Vie de Pauquet_, à la suite du manuscrit déjà cité.) Girac a trouvé que Costar, qui le railloit de n'être que fils d'un conseiller d'Angoulême, étoit, comme chacun sait, fils d'un chapelier, et petit-fils d'un gadouard. Dans le premier volume de ses lettres, car quoiqu'il ne se vende point, il en fait imprimer un second, il y en a une (c'est la dernière) où il parle assez mal de _la Pucelle_; cependant M. Chapelain, lâchement, lui écrit tous les ans dix ou douze fois. Le cardinal Mazarin, quand il est assez mal pour ne pas songer aux affaires, se fait lire, pour se divertir, les lettres que Costar lui a écrites. Notre homme avoit si bien su traiter Colbert quand il alloit et revenoit de Mayenne, qu'il le recommandoit au procureur-général[94], et, par ce moyen, il avoit douze cents écus comme historiographe. Rose[95] lui avoit valu cinq cents écus de pension, en faisant goûter au cardinal _la Défense de Voiture_. Il mourut à l'âge de soixante ans[96] dans de grandes douleurs, car sa goutte étoit remontée, mais assez philosophiquement. Il fit tout le bien qu'il pouvoit faire à Pauquet; il lui laissa dix mille écus avec sa prébende du Mans[97]. Pour le reste, aussi bien que pour cela, M. du Mans a suivi la volonté du défunt: il avoit soin de l'éducation du petit de Lavardin; il menoit une vie assez douce au Mans. [94] Nicolas Foucquet, procureur-général et surintendant des finances. [95] Secrétaire de Mazarin; il devint ensuite secrétaire particulier _ayant la main_ du Roi, c'est-à-dire écrivant les lettres qui passoient pour être de la main du Roi. Il a été président de la chambre des comptes, et membre de l'Académie françoise. Il étoit célèbre pour son avarice. [96] Il mourut le 13 mai 1660. (_Manuscrit déjà cité._) [97] Par son testament notarié du 9 juin 1659, Costar fit l'abbé Pauquet son légataire universel, et la veille de sa mort, il lui résigna tous ses bénéfices. Il légua deux mille livres à l'abbé Coustard Du Coudray, curé de Gesvres, son neveu, et fit des dons assez considérables à diverses églises, mais plus particulièrement à celle de Niort, dont il étoit curé. (_Vie manuscrite de Costar._) La comtesse de La Suze dit que Costar est le plus galant des pédants, et le plus pédant des galants. MADAME DE CAVOYE. Madame de Cavoye est fille de Sérignan, gentilhomme de qualité de Languedoc, qui fut maréchal-de-camp en Catalogne; elle épousa en premières noces un gentilhomme nommé La Croix, qui la laissa veuve fort jeune et sans enfants; elle étoit jolie, spirituelle et assez riche. Cavoye, gentilhomme de Picardie, peu accommodé, mais de beaucoup de cœur, étoit à M. de Montmorency, quand il en devint amoureux: il n'avoit pas grande espérance de réussir en sa recherche, quand, ayant été pris pour second par un de ses amis, il alla chez un notaire faire un testament par lequel il donnoit à madame de La Croix tout ce qu'il pouvoit avoir au monde, et après alla dire à une amie commune qu'il venoit de rendre à madame de La Croix la plus grande marque d'amour qu'il lui pouvoit rendre; qu'on trouveroit son testament chez tel notaire, qu'il s'alloit battre, et qu'il la supplioit d'assurer la belle que, s'il mouroit, il mouroit son serviteur; et, après cela, s'en va. Cette femme court le dire à madame de La Croix, qui fit aussitôt monter son père et tous ses amis à cheval. On cherche partout: on trouve que Cavoye avoit eu l'avantage. Elle fut si touchée de ce témoignage d'affection, qu'elle l'épousa. Jamais femme n'a plus aimé son mari. Le cardinal de Richelieu le fit son capitaine des gardes. Quand la cour n'étoit pas à Paris, elle avoit toujours une lettre dans sa poche pour son mari; et dès qu'elle entendoit dire que quelqu'un alloit à la cour, elle lui donnoit sa lettre; celle-là partie, elle en alloit faire une autre; et tel jour elle lui en a envoyé plus de trois. Un jour le cardinal lui demanda lequel elle aimoit le mieux de lui ou de son mari: «Monseigneur, répondit-elle, Votre Éminence ne m'en voudra point de mal s'il lui plaît; mais je lui avouerai franchement que j'aime mieux mon mari. Vous ne me donnez que de l'inquiétude, je suis toujours en peine pour votre santé, et lui me donne du plaisir.--Mais lequel aimeriez-vous mieux, ajouta le cardinal, que M. de Cavoye mourût ou tout le reste du monde?--J'aimerois mieux que tout le monde mourût.--Mais que feriez-vous tous deux tous seuls?--Nous ferions ce qu'Adam et Ève faisoient.» Elle dit qu'elle avoit tout le soin des affaires et du ménage: «Quand il revenoit au logis, je le caressois; je me faisois toute la plus jolie que je pouvois pour lui plaire: il n'entendoit parler de rien de fâcheux, point de plaintes, point de crierie, point d'affaires. Enfin, c'étoit comme si le sacrement n'y eût point passé.» Elle dit un jour à mademoiselle de Bussy, avec laquelle elle causoit il y avoit une demi-heure: «Mademoiselle, nous nous ennuyons l'une l'autre, adieu; il vaut mieux se séparer; je vois que la conversation languit.» Une fois, au retour de la campagne, quand ce mari fut couché, et qu'il eût fait le devoir, ils parlèrent un peu de leurs petites affaires: «J'ai, lui dit-il, plus dépensé que je ne pensois; la nourriture a été fort chère; j'ai été contraint d'emprunter tant.--Hé bien! dit-elle, patience, je trouverai bien de quoi remplacer cela.» Après il recommença: «Oh! lui dit-elle, Cavoye, tu as fait encore _quauque_ dette.» Car elle a un petit accent, et quelques mots du pays, qui donnent encore plus de grâce à ce qu'elle dit. Ce mari mourut avant le cardinal de Richelieu. La pauvre madame de Cavoye en fut terriblement affligée. Madame de Bomelle y alla comme les autres, et, comme elle prit congé: «Hélas! dit l'affligée, que je serois heureuse, mon enfant, si j'étois aussi oison que toi! je ne sentirois pas ce que je sens.» D'Ornano, le dévot, y fut aussi, et avoit avec lui deux vilains grimauds d'enfants: «Sont-ils à vous? lui dit-elle.--Oui, madame.--Hé! mon pauvre monsieur, s'écria-t-elle, priez bien Dieu, et ne faites plus d'enfants.» Elle avoit une fille bien faite, mais fort éveillée; elle ne la perdoit point de vue: «Cela a le sang trop chaud, disoit-elle; il faut que je lui donne un mari de Languedoc.» Elle lui en donna un; et sa fille, après quelques années, étant venue ici avec son mari (c'étoit un assez pauvre homme), elle tâcha de faire quelque chose pour lui à la cour; mais comme elle vit qu'il ne s'aidoit point: «Petite, dit-elle à sa fille, remène ton mari à la province, je n'en sais que faire ici.» Quoique chargée de beaucoup d'enfants, elle fait si bien qu'elle subsiste honorablement; elle a eu la moitié du don des chaises de Souscarrière[98] dès le temps du feu cardinal, et cela lui vaut beaucoup. Elle fait la cour; elle est adroite et aimée de tout le monde, pleure encore quand on lui parle de son mari. Il sera parlé d'elle dans les Mémoires de la régence, car elle dit toujours quelque chose de plaisant. Elle, madame Pilou et madame Cornuel, ce sont trois originaux. Elle est fort libre. Un jour, un garçon, c'est l'abbé Testu, l'aîné, la menoit chez madame de Chamguy: «Mon pauvre abbé, lui dit-elle en passant dans une grande salle, tourne la tête.» Et après elle se met à pisser dans une cuvette. Elle a cinquante ans, et, après douze grossesses pour le moins, la gorge aussi belle qu'à quinze ans; elle n'a jamais eu le visage fort beau, mais agréable; pour le corps, il n'y en avoit guère de mieux fait. [98] C'étoit apparemment un privilége pour des chaises à porteur. L'usage en fut introduit en France par le marquis de Montbrun, fils naturel, mais légitime, du duc de Bellegarde. (Voyez les _Antiquités de Paris_, par Sauval, t. 1, p. 192.) LE CARDINAL DE RETZ[99]. Jean-François de Gondy, aujourd'hui cardinal de Retz, est un petit homme noir qui ne voit que de fort près, mal fait, laid et maladroit de ses mains à toute chose[100]. Quand il écrit, il fait toujours des arcades; il n'y a pas une ligne droite, et ce n'est que du _griffonis_. J'ai vu qu'il ne savoit pas se boutonner. Une fois, à la chasse, il fallut que M. de Mercœur lui remît son éperon; il n'en put jamais venir à bout. Il ne connoissoit autrefois de toutes les monnoies qu'une pistole et un quart d'écu. Il fut destiné à être chevalier de Malte, et, étant né durant un chapitre, il fut chevalier dès ce jour-là; de sorte qu'il auroit été grand'croix de bonne heure. Il avoit deux frères, tous deux ses aînés, le duc d'aujourd'hui, et un qu'on appeloit le marquis des Isles d'Hières: celui-là étoit blond. M. de Bassompierre disoit: «Pour celui-là, on ne peut pas dire qu'il ne soit de ma façon.» J'ai dit ailleurs que la mère étoit une grande prude. Ce garçon disoit qu'il vouloit être cardinal, afin de passer devant son frère: il avoit de l'ambition; mais il mourut misérablement à la chasse; étant tombé de cheval, la jambe engagée dans l'étrier, il fut tué d'un coup de pied que le cheval lui donna par la tête. Ce garçon mort, on changea de pensée, et on destina le chevalier à l'Eglise. Le voilà donc l'abbé de Buzay; c'étoit une abbaye en Bretagne[101]. La soutane lui venoit mieux que l'épée, sinon pour son humeur, au moins pour son corps. Tel que je l'ai représenté, il n'avoit pas pourtant la mine d'un niais; il y avoit quelque chose de fer dans son visage[102]. [99] Né en 1613, mort à Paris le 24 août 1679. [100] Son père n'étoit pas brave: M. de Guise l'en méprisoit, et cela fut cause en partie de l'acharnement qu'il eut contre lui dans la prétention que le général des galères devoit être dépendant de l'amiral du Levant; M. de Guise l'étoit. Il avoit cela tellement en tête, qu'il ne parloit d'autre chose. (T.) [101] Près de la Loire, et non loin de Nantes. [102] Ce mot est douteux dans le manuscrit autographe. Il semble que l'auteur a écrit _quelque chose de fer_, on pourroit aussi lire _quelque chose de fier_; mais la première leçon nous semble la plus vraisemblable, surtout si on la rapproche de ce qui suit du caractère connu du cardinal, et des portraits gravés qui nous sont restés de lui. Dès le collége, l'abbé fit voir son humeur altière: il ne pouvoit guère souffrir d'égaux, et avoit souvent querelle; il montra aussi dès ce temps son humeur libérale; car ayant appris qu'un gentilhomme qu'il ne connoissoit point étoit arrêté au Châtelet pour cinquante pistoles, il trouva moyen de les avoir et les lui envoya. Au sortir de là, ce nom de Buzay approchant un peu trop de _buse_, il se fit appeler l'abbé de Retz. Ce n'étoit pas encore trop la mode en ce temps-là de ne porter pas le nom de son bénéfice; à cette heure il n'y a si petit ecclésiastique qui ne s'appelle l'abbé, et ceux qui le sont effectivement prennent le nom de leur famille aussi bien qu'eux. Il m'a dit que le gros comte de La Rocheguyon lui vouloit donner tout son bien, à condition qu'il prendroit le nom et les armes de Silly[103]; mais qu'à sa mort les parents empêchèrent qu'on ne lui fît venir un notaire. En me contant cela, il me disoit que, s'il eût été d'épée, il eût fort aimé à être brave, et qu'il auroit fait grande dépense en habits; je souriois, car, fait comme il est, il n'en eût été que plus mal, et je pense que ç'auroit été un terrible danseur, et un terrible homme de cheval: d'ailleurs, il est malpropre naturellement, et surtout à manger: il est aussi rêveur; de sorte qu'à table, par malice, on lui mettoit une tête de perdrix sur son assiette; il la portoit à la bouche sans y regarder, et mettoit les dents dedans. La plume lui sortoit de tous les côtés. Il ne mange jamais que du plat qui est devant lui; il n'y a guère d'homme plus sobre. [103] La mère du cardinal de Retz s'appeloit Françoise-Marguerite de Silly, dame de Commercy. Il est enclin à l'amour, a la galanterie en tête, et veut faire du bruit; mais sa passion dominante, c'est l'ambition; son humeur est étrangement inquiète, et la bile le tourmente presque toujours. Dans sa petite jeunesse, il voyoit fort sa parenté, et principalement madame de Lesdiguières. Je crois qu'il en a été amoureux, aussi bien que de madame de Guémenée. Il voyoit fort aussi M. d'Ecquevilly, son parent, dont nous avons parlé ailleurs. Ce M. d'Ecquevilly n'avoit guère de meilleurs yeux que lui, et on dit qu'un jour ils se cherchèrent un gros quart-d'heure dans une grande cour, sans se pouvoir retrouver, et qu'il fallut à la fin que deux gentilshommes les prissent chacun par la main pour les faire joindre. Dans la société de la famille (madame de Guémenée en étoit), on se divertissoit, entre autres choses, à s'écrire des questions sur l'_Astrée_, et qui ne répondoit pas bien, payoit pour chaque faute une paire de gants de frangipane. On envoyoit sur un papier deux ou trois questions à une personne, comme, par exemple, à quelle main étoit Bonlieu, au sortir du pont de La Bouteresse, et autres choses semblables, soit pour l'histoire, soit pour la géographie; c'étoit le moyen de savoir bien son _Astrée_. Il y eut tant de paires de gants perdues de part et d'autre, que, quand on vint à conter, car on marquoit soigneusement, il se trouva qu'on ne se devoit quasi rien. D'Ecquevilly prit un autre parti. Il alla lire l'_Astrée_ chez M. d'Urfé même, et, à mesure qu'il avoit lu, il se faisoit mener dans les lieux où chaque aventure étoit arrivée. Notre abbé étoit fort mal avec sa cousine de Schomberg, car il y avoit deux partis, celui de la maréchale et celui de madame de Lesdiguières; le dernier étoit le plus fort. Dans une assemblée de la parenté, madame de Lesdiguières obligea l'abbé à aller prendre à danser madame de Schomberg, qui étoit toute contrefaite, et qui avoit les pieds tout tortus, et ne pouvoit quasi marcher; cela la pensa faire enrager; on la haïssoit; elle étoit laide et méchante. En ce temps-là, un homme proposa à l'abbé d'épouser je ne sais quelle grande héritière d'Allemagne, catholique, dont je n'ai pu savoir le nom; que ses parents luthériens la violentoient, et qu'on la vouloit donner à un Weimar, qui étoit à l'Académie à Paris. Il y entend, et promet à cet homme une de ses deux abbayes (il en avoit deux); l'autre se nommoit Quimperlay; elles valent dix-huit mille livres de rente, ou environ. Je n'ai pu savoir tout ceci qu'imparfaitement. Il fit un voyage où il parla à cette fille; même il se battit contre ce Weimar, et eut l'avantage, non par adresse, mais par bravoure, car il n'est pas moins vaillant que M. le Prince. Ce n'est pas le seul combat qu'il ait fait; il s'est battu une autre fois, je pense que c'étoit contre le comte d'Harcourt[104]. Je lui ai ouï dire à lui-même que cet homme lui disoit: «Je vous aurai bientôt culbuté, ce n'est pas là votre métier.--Cependant il laissa, je ne crois pas que ce fut exprès, un grand baudrier de buffle, sans lequel je l'eusse bien blessé, car je donnai droit dedans.» Il me contoit tout cela, sans nommer personne, et je n'ai jamais su d'où venoit leur querelle. [104] Le cardinal le dit positivement. (_Mémoires du cardinal de Retz_, dans la collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, 2e série, t. 44, p. 87.) Il m'a dit aussi, et j'ai appris depuis, que c'étoit lui-même qu'un homme de la cour étant une fois enfermé dans une chambre avec une femme de qualité dont il étoit possesseur, ayant ouï du bruit, fut obligé d'ouvrir de peur d'être surpris; c'étoient des gens armés qui l'attaquèrent. Il les repoussa de la porte, la referma, et retourna caresser la belle, comme s'ils eussent été dans la plus grande sûreté du monde. «Il faut, me disoit-il, n'avoir guère peur pour cela. Ce même homme, ajoutoit-il, quoiqu'on lui eût donné avis que le mari le vouloit faire assassiner, ne laissa pas d'aller partout à son ordinaire, et sans être autrement accompagné.» Si cette aventure est vraisemblable, je m'en rapporte; mais, par là, on jugera de l'humeur du personnage. Il fit encore un combat contre l'abbé de Praslin, aujourd'hui le marquis de Praslin, qui a épousé mademoiselle d'Escars, cadette de madame d'Hautefort: il eut l'avantage; mais le comte d'Harcourt, qui servoit Praslin, battit le second de l'abbé de Retz[105]. [105] Le cardinal a parlé de ce duel dans ses Mémoires. Le second de Praslin étoit le chevalier du Plessis, et non pas le comte d'Harcourt. (_Mémoires du cardinal de Retz_, audit lieu, p. 93.) Il a toujours été d'humeur remuante; il s'est vanté de savoir bien des choses des desseins de M. le comte (_de Soissons_), et qu'un jour il rendit un paquet aux Tuileries à M. de Thou, qui lui dit après: «Ma foi! monsieur l'abbé, il faut que vous me croyiez bien homme d'honneur pour m'avoir rendu ce paquet; car cela est bien gaillard[106].» [106] Le cardinal de Retz parle dans ses Mémoires des menées qu'il fit à Paris pour le comte de Soissons, mais il ne nomme pas M. de Thou. (_Ibid._, p. 109 et suivantes.) La violence que le cardinal de Richelieu fit au père de Gondy pour la charge des galères qu'il lui fit vendre en dépit de lui, avoit outré l'abbé: sans cela, sur ma parole, notre homme n'eût pas laissé d'être son ennemi. Il étoit trop ambitieux; il se vantoit que son père, son frère et lui avoient été les seules personnes de condition qui n'eussent point plié. Quand il fut question de prendre en Sorbonne le bonnet de docteur, il dédia ses thèses à des saints pour n'être point obligé de les dédier aux puissances. Il voulut l'emporter de haute lutte sur l'abbé de Souillac (de La Mothe-Houdancourt), parent de M. de Noyers; c'est aujourd'hui M. de Rennes[107]. On fit intervenir l'autorité du cardinal; on proposa assez de choses à l'abbé de Retz; jamais il ne voulut démordre, et il harangua fort fièrement. Il est vrai que la Sorbonne, en considération du cardinal de Gondy, soutint ses intérêts, et représenta, je pense, au cardinal, qu'ils ne pouvoient pas abandonner le neveu d'un prélat à qui ils avoient tant d'obligation. Il l'emporta donc sur l'autre, et le cardinal depuis cela l'appela toujours _ce petit audacieux_, et il disoit qu'il avoit une mine patibulaire. Cette contestation fut cause que ses parents trouvèrent à propos qu'il fît un voyage en Italie[108]. Deux de mes frères et moi ayant dessein d'y aller, le priâmes de trouver bon que nous lui tinssions compagnie. Je l'entretins presque toujours durant dix mois; et, comme il a autant de mémoire que personne, car il savoit par cœur tout ce qu'il avoit jamais appris, il me conta et me dit bien des choses. [107] Disputant un jour contre l'abbé de Souillac en Sorbonne, il cita un passage de saint Augustin, que l'autre dit être faux. Il envoya quérir un Saint-Augustin, et le convainquit. Souillac, qui, quoiqu'il ne soit pas ignorant, parle pourtant fort mal latin, dit pour excuse: _Non legeram ista toma_. Le docteur qui présidoit lui dit plaisamment: _Ergo quia vidisti, Thoma, credidisti_. (T.) [108] Voyez _les Mémoires du cardinal de Retz_, _ibid._, p. 100. Je remarquai que le premier ouvrage qu'il fit, hors quelques sermons, ce fut _la Conjuration de Fiesque_[109]; car cela convenoit assez à son humeur. Il avoit fait l'épitaphe du comte de Soissons en prose, où il l'appeloit _le dernier des héros_. [109] C'est peu de chose, et ce qu'il fait est assez médiocre. Il a pourtant bien de l'esprit; mais il ne pense point assez aux choses, et ne se met pas même en peine de les apprendre. Il avoit beaucoup pris du Mascardi. (T.)--Augustin Mascardi, auteur de l'Histoire de la Conjuration de Fiesque, 1629, in-4º. Cet ouvrage a été traduit en françois par Fontenay-Sainte-Geneviève; Paris, 1639, in-8º. Il ne pouvoit pardonner à don Thadée, neveu du pape Urbain, alors régnant, de ne s'être pas emparé de l'Etat d'Urbin qui retourna alors à l'Eglise, faute de mâles. Nous ne passions pas devant une place qu'il ne la prît ou par assaut ou autrement. Il parloit sans cesse de sa naissance. Il fut fort caressé à Florence par le grand-duc; il logea chez le chevalier de Gondi, qui faisoit la charge de secrétaire d'État, et qui avoit été résident en France. Le chevalier avoit les portraits des Gondis de France dans sa salle, car ils ne sont pas si grands seigneurs en Italie qu'ici; ils sont pourtant gentilshommes: j'en ai vu assez de marques dans Florence; mais la question est de savoir si cela n'est point depuis la faveur d'Albert, et si ceux-ci en sont. Quillet dit que ce chevalier de Gondi se mit à rire un jour qu'il lui demanda si les Gondis de France étoient effectivement des vrais Gondis. Le cardinal de Retz dit qu'il n'y a que lui en France qui puisse fournir ses trente quartiers[110]. [110] Villani et Machiavel ne parlent point des Gondis; M. de Thou les dit fils d'un banquier. (T.) Albert, qui a fait la fortune de la maison ici, étoit fils d'un banquier florentin qui demeuroit à Lyon, nommé Gondy, seigneur Du Perron, dont la femme, aussi italienne, avoit trouvé moyen d'entrer au service de la reine Catherine de Médicis, et avoit eu charge de la nourriture des Enfants de France au maillot. On disoit qu'elle avoit donné une recette à la Reine pour avoir des enfants[111]; car la Reine fut dix ans sans en avoir; et cela fit que la Reine l'aima tant, qu'étant parvenue à la régence, en moins de quinze ans, elle avança si fort les enfants de cette femme qui, au jour que le Roi mourut, n'avoient pas tous ensemble deux mille livres de rente, qu'Albert, à la mort de Charles IX, étoit premier gentilhomme de la chambre et maréchal de France avec des gouvernements, avoit cent mille livres de rente pour le moins en fonds de terre, et, en argent et en meubles, plus de dix-huit cent mille livres; son frère, Pierre de Gondy, étoit évêque de Paris, et avoit encore trente ou quarante mille livres de rente en bénéfices, et, en meubles, la valeur de plus de deux cent mille écus; et M. de La Tour, le cadet des trois, étoit, quand il mourut, capitaine de cinquante hommes d'armes, chevalier de l'ordre comme son aîné, et maître de la garde-robe, et tous trois du conseil privé. Voilà ce que j'ai appris d'un homme de ce temps-là, et qui le savoit bien. [111] J'ai ouï dire que la gloire en est due à Fernel. Ce garçon, qui avoit été des _capettes_ du collége de Montaigu, fut quelque temps à délibérer s'il suivroit le barreau ou s'il se feroit d'église; mais ne se trouvant pas assez de voix, ni pour prêcher, ni pour plaider, il se résolut d'étudier en médecine. Ce qui le mit en réputation, ce fut la cure qu'il fit d'un gentilhomme qui étoit au Roi: ce gentilhomme en parla à Sa Majesté qui n'avoit point encore d'enfants. Le Roi le fit venir, et, quoique Fernel fût assez jeune encore, le Roi, sur le témoignage du cavalier, ajouta foi à ce qu'il lui dit. Le Roi obligea la Reine à dire à Fernel toutes les particularités qu'il falloit savoir. Il dit au Roi qu'il croyoit que la Reine pourroit concevoir s'il la voyoit dans le fort de ses purgations; ce qu'il fit. Mais en récompense la plupart de ses enfants n'étoient pas de trop bonne constitution. Fernel ensuite fut premier médecin du Roi. On a su cette particularité de ceux de sa famille qui la reçurent par tradition. (T.) J'ai ouï conter une chose assez judicieuse de ce maréchal de Retz. Charles IX avoit une levrette admirable qu'il aimoit fort; il sut qu'un gentilhomme de Normandie en avoit une fort bonne; il la fait venir, et le gentilhomme aussi. On court un lièvre avec ces deux chiennes: la levrette du gentilhomme faisoit mieux que la sienne. Le Roi, déjà fâché de cela, voyant que ce gentilhomme, qui étoit sans doute assez mauvais courtisan, dans l'ardeur de la chasse l'avoit devancé, il lui donne brusquement un coup de houssine. Le lendemain le maréchal vint au lever du Roi, fort triste. «Qu'avez-vous?--C'est, sire, que vous avez perdu le cœur de toute votre noblesse.--Je vous entends, dit le Roi, j'ai tort; je ne suis que gentilhomme, je le veux satisfaire.» En effet, le Roi le pria de l'excuser devant tout le monde[112]. En cet instant on eut avis qu'un petit gouvernement vaquoit; le maréchal dit au Roi: «Sire, il le lui faut donner.» Le Roi le lui donna. Il en usoit bien, ce favori; car il vouloit toujours qu'il parût que le Roi donnoit de son propre mouvement. [112] C'est on fort beau trait; mais Louis XIV fut plus grand quand il jeta sa canne par la fenêtre dans la crainte de succomber à la tentation d'en frapper Lauzun. Le cardinal sut qu'il y avoit chez messieurs Du Puy un manuscrit de M. de Brantôme, de la maison de Bourdeilles, contenant plusieurs volumes, dans un desquels étoient les amours de la duchesse de Retz, femme d'Albert, où il y avoit maintes belles choses à l'honneur de la dame. Il n'eut jamais de repos que messieurs Du Puy ne lui eussent permis d'effacer tout ce qui étoit contre sa grand'mère, et le manuscrit est effacé de façon qu'on ne sauroit déchiffrer un mot[113]. [113] Il seroit impossible de vérifier ce point, quoique la plupart des manuscrits originaux de Brantôme existent à la Bibliothèque royale, ainsi que les copies que MM. Du Puy en ont fait faire. Les passages indiqués devroient se trouver dans le volume des _Dames galantes_, et le manuscrit original de ce volume paroît avoir été détruit. (Voyez la _Notice sur Brantôme_, t. 1, p. 95; Paris, 1822, in-8º.) Il y avoit ici un Gondy dans les partis: ce fut celui qui bâtit l'hôtel de Condé, et qui fit le jardin de Gondy à Saint-Cloud. C'étoit un homme fort voluptueux: on dit que dînant chez un de ses amis, à cinq lieues de Saint-Cloud, où il n'y avoit point de verres de cristal, il dit à un de ses gens: «Va m'en quérir un à Saint-Cloud, et ne te soucie pas de crever mon cheval.» Il y va. Le cheval crève en arrivant, et le valet en descendant cassa le verre. Cet homme méritoit bien de mourir gueux comme il est mort. Pour revenir où nous en étions: à Florence, un jeune gentilhomme qui étoit à lui, car il en avoit quatre, et le reste à l'avenant, s'avisa de faire faire un pourpoint de taffetas à bandes sans les ourler. Un jour au Cours la grande-duchesse mère et mademoiselle de Guise vinrent à passer, qui se crevoient de rire de voir cette extravagance, car cet homme étoit à la portière, et sembloit être vêtu de toiles d'araignées, tant il avoit de filets aux bras et au corps. La grande-duchesse étoit une des plus belles personnes d'Italie, mais elle avoit affaire à un pauvre mari: il avoit cinq ou six calottes l'une sur l'autre, et en ôtoit et en mettoit selon que son thermomètre l'ordonnoit. Quand il couchoit avec elle, tout l'État de Toscane étoit en prière: cela n'arrivoit pas souvent. Je pense qu'enfin elle a eu un héritier. A Venise, où nous allâmes ensuite, l'ambassadeur de France[114] (c'étoit le président Mallier, un vrai cheval mallier) le logea seul avec un valet-de-chambre. Le comte de Laval, frère de M. de La Trimouille, étoit retiré à Venise. Je pense qu'il dit, en parlant de l'abbé: «Il ne manquera pas de me venir voir.» L'abbé n'y alla point, et en parloit avec fort peu d'estime. Il disoit que quand le comte alla à La Rochelle, les Rochellois mirent sur sa porte: «Ni plus ni moins,» voulant dire qu'ils ne se tenoient pour lui ni plus ni moins. [114] L'ambassadrice étoit si sotte qu'elle disoit: «Ma charge,» en parlant de l'ambassade. (T.)--Cet ambassadeur est appelé _de Maillé_ dans les Mémoires du cardinal. (_Mémoires du cardinal de Retz_ déjà cités, p. 102.) A Rome, il se logea bien, et tenoit assez bonne table; on en faisoit cas à cause qu'il en savoit plus que beaucoup de cardinaux et de prélats. Il nous voulut faire accroire que le connétable Colonne, à la maison duquel il disoit que celle de Gondi étoit alliée étroitement, s'étoit fort plaint de ce qu'il ne l'avoit pas vu; mais qu'il n'avoit osé à cause que le connétable étoit du parti des Espagnols, car c'étoit de Naples qu'il étoit connétable. Il n'étoit pas moins inquiet à Rome qu'à Paris, et il nous fit faire au mois de novembre un fort ridicule voyage pour voir des mines d'alun. Nous partîmes, comme s'il eût été question de quelque chose d'importance, par une fort grosse pluie, et les Italiens disoient: «_Questo è partir à la francese._» Nous ne fûmes pas plus de trois mois et demi à Rome, et il nous en fit partir à Noël, pour revenir en France. Il feignit qu'un homme l'étoit venu trouver dans une église, et qu'il lui avoit donné un avis qui l'obligeoit à quitter l'Italie promptement[115]. Quoique je n'eusse que dix-huit ans, je vis bien que l'argent commençoit à lui manquer; et if eût même été embarrassé en arrivant, car ses lettres de change tardèrent, sans que nous lui donnâmes tout ce que nous avions à recevoir. Il le faut louer d'une chose, c'est qu'à Rome, non plus qu'à Venise, il ne vit pas une femme, ou il en vit si secrètement, que nous n'en pûmes rien découvrir. Il disoit qu'il ne vouloit pas donner de prise sur lui. [115] C'étoit à la naissance du Roi. (T.)--En 1638. Après la mort du cardinal de Richelieu, M. l'archevêque trouva bon que, pour épargner un loyer de maison, il se logeât au petit Archevêché, où il a toujours logé depuis, car il ne dépensoit que trop, et la galanterie de madame de Pommereuil avoit déjà commencé[116]. [116] _Voyez_ l'article de Bezons, et celui de la présidente de Pommereuil qui suit. Le reste se trouvera dans les Mémoires de la régence. LA PRÉSIDENTE DE POMMEREUIL. Bordeaux, aujourd'hui intendant des finances, a quatre filles: l'aînée, qui est celle dont nous parlons, eut ordre du père de regarder Fromont, qui est mort, l'un des secrétaires des commandements de M. d'Orléans, comme un homme qui seroit son mari. Après, tout d'un coup, Bordeaux change d'avis, et tombe d'accord d'articles de mariage avec Pommereuil, président au grand-conseil, qui étoit veuf nouvellement. Il le mène à la campagne, et, en badinant avec sa fille, il lui fait signer des articles, et après il lui déclare que c'est tout de bon. Pommereuil, car l'un et l'autre ne doutoient pas qu'elle ne fût engagée d'affection avec Fromont, avoit porté des perles, etc. Elle les refusa, et lui déclara qu'elle ne l'aimeroit jamais: elle se jeta aux genoux de son père; mais en vain. On les maria la nuit. Elle ne vouloit pas dire oui, car elle espéroit que Fromont viendroit l'enlever; mais quand elle vit l'heure passée, de dépit, elle dit oui. D'autres disent que le père lui donna un soufflet pour le lui faire dire. Quoi que c'en soit, son mari et elle firent un terrible ménage. Elle ne revenoit avec sa sœur de Cossigny qu'à cinq heures du matin; et lui, qui avoit fait enrager sa première femme, trouvoit bien à qui parler. Il y eut bien des galanteries, et, au bout de dix ans, ils se séparèrent. BEZONS[117]. .... Bazin, seigneur de Bezons, est fils d'un trésorier de France, et petit-fils d'un médecin de Troyes, qui étoit de basse naissance. Sa mère étoit Talon. C'est un petit homme tout rond, et joufflu comme un des quatre vents, et aussi bouffi d'orgueil qu'il y en ait au monde, et qui se prend autant pour un autre. Étant avocat, mais ce n'étoit qu'en attendant quelque charge d'avocat-général, car il a toujours eu de l'ambition, il se fit je ne sais quelle société au faubourg Saint-Germain, où l'on avoit la comédie quelquefois. Un jour, ce petit monsieur qui en étoit, à tout bout de champ venoit sur le théâtre, ordonnoit, décidoit, parloit aux comédiennes, et faisoit furieusement l'empressé... Des gens de la cour qui étoient là demandèrent qui il étoit. Quelque femme assez simple, pensant accoucher de gros, leur dit: «Messieurs, c'est M. de Bezons.--Ah! ah! dirent-ils tout haut, le nom est aussi plaisant que l'homme;» et le bernèrent tout leur saoul. Ce petit monsieur traita après de la charge d'avocat-général au grand-conseil, et avoit mis le siége devant la présidente de Pommereuil, pour parler comme Charleval[118], qui datoit _du camp devant une telle_, quand l'abbé de Retz s'y attacha. Pour ne pas effaroucher le président, on trouva à propos de ne se pas défaire de Bezons, afin que le mari crût que c'étoit cet homme-là, et non l'abbé, qui en contoit à sa femme. Quelque temps après on parla de le marier avec une parente proche de M. Conrart qui, s'informant de lui à Patru, lui demanda, entre autres choses, s'il étoit vrai qu'il eût tant d'attachement à madame de Pommereuil. «Que cela ne vous mette pas en peine, dit Patru, je vous promets qu'il ne tient à rien de ce côté-là.» Le voilà marié sur la parole de Patru, qui répondit qu'il avoit certainement quarante mille écus de biens. Il fallut, au bout d'un an, parler à la présentation d'Hocquincourt à la charge de grand-prévôt. Notre petit homme, qui ne sait rien, y étoit bien empêché. Conrart et lui vont trouver Patru qui, sur l'heure, dressa une harangue qui fut le lendemain en état d'être prononcée. Conrart, par cabale, comme j'ai dit ailleurs, voulut faire son allié de l'Académie[119]; Patru fit encore le compliment ou la petite harangue qu'on a accoutumé de faire quand on est reçu, et la fit devant eux deux; ce que je ne conçois pas, car, pour moi, quoique je n'aie pas plus de peine qu'un autre à composer, je ne pourrois pourtant rien produire si je n'étois seul, et, en cette rencontre, je serois un peu _greffier de Vaugirard_. Mais voici une chose qui m'étonne bien plus, c'est que ce petit homme eut l'insolence de lire ces deux pièces comme siennes, en présence de Patru, même chez le premier président de la cour des Aides. Patru m'a dit: «Mon ami, j'en étois déferré moi-même.» On en fit une à M. le chancelier protecteur. En ce temps-là Bezons disoit: «J'ai la place de M. le chancelier, je lui succède.--C'est bien, lui dit Patru, c'est signe que vous lui succéderez aussi un jour en celle de chancelier.» Une fois il disoit: «Si je n'eusse été hier à l'Académie, le plus sot avis du monde eût passé.» Un jour il dit à M. Conrart, parlant d'un docteur de Sorbonne, nommé d'Autry, qui avoit été précepteur de M. Talon: «Le bon homme a demandé en grâce qu'on l'enterrât dans notre chapelle. Vous savez bien, ajouta-t-il, comment cela s'entend; c'est-à-dire d'être enterré à nos pieds.--Oui, dit Conrart, comme Bertrand Du Guesclin aux pieds des rois de France.» [117] Claude Bazin, seigneur de Bezons, conseiller d'État, membre de l'Académie françoise, mourut en 1684. [118] Charles Faucon de Riez, seigneur de Charleval, poète d'un tour fin et délicat. Scarron disoit de lui que les Muses ne le nourrissoient que de blanc-manger et d'eau de poulet. Il mourut en 1693. [119] On a déjà vu une partie de ces faits à l'article de Conrart. Les titres de Bezons à l'Académie françoise étoient bien légers; on lui attribuoit la traduction _anonyme_ d'un traité de paix. Vous avez vu quelles obligations il avoit à Patru; cependant il fut cause que M. de Rohan-Chabot ne lui donna pas la première cause de l'affaire contre Tancrède, disant qu'il avoit la voix pitoyable (il ne l'a que foible). Véritablement il l'a belle, lui qui ne sauroit prononcer un _r_, et qui semble avoir toujours la bouche pleine de bouillie. Pour ne rien dire de pis, je ne saurois croire que ce fût par envie; car il faut quelque espèce d'égalité pour cela. Conrart disoit que, s'il eût fait cela avant que d'épouser sa cousine, il auroit rompu le mariage. Il vendit sa charge, et, par le crédit de son oncle Talon, il eut un brevet de conseiller d'État, et ensuite je ne sais quelle intendance de Soissons; or, il faisoit si fort l'entendu, que Patru l'appeloit _le Roi de Soissons_. Une fois il fut diablement relancé chez M. Du Puy. «J'ai trouvé, disoit-il, à mon retour de mon intendance[120], les maximes toutes changées; car on dit que nos biens ne sont point au Roi.--On ne l'a jamais dû dire autrement,» dit brusquement M. Du Puy l'aîné, qui le traita d'ignorant et de suppôt de tyrannie. Il eut ensuite l'intendance de l'armée de Catalogne, et après, celle de Languedoc où il est encore. Dans la régence, nous parlerons de ses fredaines et de ses méchantes plaisanteries. [120] En 1648 qu'on commençoit à fronder. (T.) SALOMON-VIRELADE[121]. Il faut accoupler Salomon à Bezons: ils ont été tous deux compagnons à la charge d'avocat-général du grand-conseil, et reçus en même temps à l'Académie, _Arcades ambo_. M. Chapelain le fit recevoir, disant qu'il falloit mettre des gens de qualité. A la vérité, il est fils d'un conseiller au parlement de Bordeaux; mais il n'est pas d'une fort bonne famille[122]. Si ce que disoit M. Chapelain eût été véritable, il falloit mettre à l'Académie M. d'Usez et M. de Montbazon[123]. Il voulut faire accroire gasconnement que M. le chancelier l'en avoit pressé terriblement, et ce fut lui qui l'en pressa. Ce garçon n'étoit point mal fait, mais il étoit et est encore un grand fat. Dès qu'il fut ici, il voulut se faire auteur: il débuta par faire imprimer des vers latins sur la naissance du Roi, et un méchant _Benedicite_ en vers françois, où il y avoit, entre autres sottises, que les montagnes sont les mamelles de la nature, et que les rivières et les fontaines couloient d'argent potable; et il se trouva qu'il avoit volé cette belle pièce à un moine de son pays qui la réclama à corps et à cris, comme un grand joyau. Non content de cela, il adressa à M. Grotius, alors ambassadeur de Suède en France, qu'il ne connoissoit point, un discours[124] auquel il avoit fait un mauvais commencement et une mauvaise fin; mais le reste étoit de Balzac. Là, il parloit à M. Grotius comme à son ami familier, et Grotius disoit qu'il ne le connoissoit point. Quand Ménage étoit après à entrer chez l'abbé de Retz, «Il faudra, lui dit-il, que nous fassions cela pour vous.» Et depuis il fut assez sot pour aller prier Ménage de le présenter à l'abbé de Retz. Ménage fut le plus surpris du monde de cette effronterie-là. [121] François-Henri Salomon-Virelade, conseiller d'État, membre de l'Académie françoise, mourut en 1670. Ses titres littéraires étoient tout aussi légers que ceux de Bezons, et néanmoins il l'emporta sur P. Corneille, parce qu'il avoit le mérite de demeurer à Paris, tandis que Corneille habitoit Rouen. [122] On n'en a pas moins fait à M. Salomon-Virelade une belle généalogie, tout aussi fausse que ses titres littéraires. (Voyez _les Mélanges d'histoire et de littérature de Vigneul de Marville_, tome 3, page 393.) [123] Ils étoient tous les deux renommés pour les inepties qui leur échappoient, comme à d'autres des bons mots. (_Voyez_ plus haut l'article de M. de Montbazon.) [124] _Discours d'État à M. Grotius, sur l'histoire du cardinal Bentivoglio_; Paris, 1640, in-8º. Il vouloit épouser madame de Cominges, alors fille[125]; elle étoit de Bordeaux; elle n'en voulut point. Un jour qu'il parloit à Darbo de cette recherche: «Il n'y a plus, disoit-il, que quelques petites difficultés. Mon père n'en a pas trop d'envie, au moins il ne veut pas assez donner. La mère de la fille ne le veut guère, et la fille presque point. Cela sera fait pourtant.» Il parla un an durant d'acheter une charge de maître des requêtes qu'il n'acheta point, et en parlant de ces charges-là, comme s'il en eût eu une, il disoit: «Cela fera enchérir nos charges, cela fera diminuer nos charges.» Enfin il s'en alla à Bordeaux, où il épousa une fille du président de La Lane, veuve d'un vicomte d'Oreillan, de bonne maison du Limousin. Lui acheta la charge de lieutenant-général, et prit le nom de Virelade: c'est une terre. Sa femme est fort laide et fort fardée, le méprise fort, et le fait fort cocu. Cet été, elle étoit à Paris publiquement logée avec un La Nogarède, son galant: elle se mêla de jouer, et perdit ce qu'elle avoit. Virelade, au bout d'un an et plus, vint à Paris, autant pour affaire que pour cela: or, dans l'auberge où il logeoit, il y avoit bien de la jeune noblesse. Quelqu'un d'eux fit une chanson, _Quand la baleine arriva_, où il y avoit que madame de Virelade avoit la bouche plus grande et le ... plus grand que la baleine. Elle s'en offensa; il y en eut qui prirent son parti. Voilà un appel de quatre contre quatre. Les maréchaux de France les accommodèrent, et la dame avec le mari fut ouïe, et on lui fit satisfaction. Quand elle vint, un page alla dire: «Messieurs, voilà cette dame _de la baleine_ qui est là-dedans.» [125] Sibille-Angélique-Émilie d'Amabli épousa, en 1643, le comte de Cominges. MADAME DE LA GRILLE. Un vieux cavalier, qui avoit eu bonne part aux guerres civiles de Languedoc et de Dauphiné, s'avisa de se marier pour avoir lignée, et épousa la fille d'un président de la cour des Aides de Montpellier, nommé Tuffani; mais il se prenoit pour un autre, et ne faisoit pas autrement qu'il falloit pour cela. Le père de la fille, qui avoit envie de ne pas laisser échapper le bien de cet homme (il avoit au moins trente mille livres de rente), fait une assemblée de parents, et leur propose de remontrer à sa fille que ce seroit un coup d'habile femme de donner un héritier à cet homme qui en seroit ravi, et de conserver ses richesses en même temps. On en parle à la dame, et on lui nomme tout d'un train trois hommes bien faits, ni trop jeunes ni trop vieux, et qu'on croyoit propres à faire lignée. Elle s'y résolut, et choisit un conseiller de la cour des Aides, nommé M. Deyde; c'étoit un garçon de trente-cinq ans ou environ; comme ce conseiller n'étoit pas trop dans la galanterie, on se servit d'une mademoiselle Marquise pour les faire joindre. Cette femme, qui étoit gaie, alla trouver ce M. Deyde, et, en folâtrant, lui demanda s'il n'avoit point quelque inclination. «Hélas! lui répondit-il, ma bonne demoiselle, qui voudroit de moi? je ne suis plus jeune.--Qui voudroit de vous? répliqua-t-elle, je sais bien une dame qui est une des plus belles et des plus qualifiées du pays qui ne vous hait pas;» elle la lui nomma. «Et pour vous montrer, ajouta-t-elle, que je ne mens point, vous n'avez qu'à vous trouver en tel lieu, elle y sera; tâchez seulement de l'approcher; prenez-lui la main si vous pouvez, elle ne manquera pas de vous la serrer.» Cela arriva comme elle l'avoit dit; de sorte que le conseiller eut bientôt mis l'aventure à fin. Au bout de quelque temps la belle se sentit grosse, et quand elle en fut bien assurée, un jour que le conseiller pensoit se divertir comme de coutume, elle lui déclara toute l'affaire, et lui dit qu'elle étoit fondée sur un avis de parents; qu'elle lui avoit l'obligation de tout son bonheur, et qu'elle le supplioit de n'en rien dire à personne. Elle eut un garçon qui ressembloit fort à son véritable père, et qui fut héritier de son père putatif. MENILLET. Voici une histoire qui a du rapport à l'autre en quelque chose. Un gentilhomme de Champagne, nommé Menillet, qui étoit capitaine dans un régiment de gens de pied, comme il étoit un hiver en garnison à Montauban, devint amoureux de la femme de son hôte, qui étoit un bourgeois assez à son aise; mais quoiqu'il y employât tout ce qu'il savoit de l'art d'aimer, il ne put pourtant rien gagner. Enfin il usa de stratagême; et, ayant remarqué que le mari se levoit d'ordinaire avant le jour pour aller vaquer à ses affaires, une fois qu'il étoit sorti du logis de grand matin, le capitaine entre dans la chambre de cette femme et se couche auprès d'elle, qui, tout endormie, ne discerna pas trop bien la voix de son mari, et prit pour bonnes les raisons qu'il lui dit pourquoi il se recouchoit. Le galant ne perdit point de temps; mais il y alloit tellement en gendarme qu'elle s'aperçut bientôt de la tromperie. Il lui en demanda pardon. Cette femme, outrée de déplaisir, alla conter sur l'heure sa déconvenue à sa mère qui fut d'avis d'envoyer quérir le cavalier. Il y alla, et elles lui firent promettre qu'il n'en diroit rien à personne. Quelques années après, il passa par Montauban, et, comme il ne songeoit à rien moins, une femme en deuil et voilée lui dit tout bas, en passant, qu'elle le prioit de la suivre. Il la suivit, et, quand ils furent dans le logis de cette femme: «Comment, lui dit-elle, monsieur,» en ôtant son voile, en cape de deuil qu'on porte en ce pays-là, «vous ne vous souvenez plus de votre hôtesse?» Elle lui conta après qu'elle lui avoit l'obligation de tout le bien de son mari, «car, lui dit-elle, je devins grosse de la tromperie que vous me fîtes, et mon enfant a hérité de son père putatif.» Pour reconnoître ce bienfait, elle lui avoit promis de l'épouser au retour de la campagne; mais il y fut tué. MÉNAGE[126]. Ménage est fils d'un avocat du Roi d'Angers: il fut quelque temps ici au barreau, mais sans plaider. Il est vrai qu'il n'y étoit pas sans parler, car il disoit tout ce qui lui venoit à la bouche, et médisoit du tiers et du quart. Il n'a jamais plaidé qu'une cause, à ce qu'on dit, encore ne fut-ce à Paris, et ne put-il achever, car il demeura court. Ce fut pour cela, dit-on, qu'il quitta le palais; c'étoit aux grands jours de Poitiers. Là il devint amoureux d'une dame, et fit assez rire le monde, car il avoit des galants[127] vert et jaune, et il alla voir comme cela feu M. Talon qu'il connoissoit. En causant, M. Talon lui arracha presque tous ses galants. Son père lui donna sa charge: il ne la fit que six mois, et après la rendit à son père; cela les mit mal ensemble. Il disoit, pensant dire une belle chose, qu'il ne s'étonnoit pas de n'être pas bien avec son père, qu'il lui avoit rendu un _mauvais office_. Il disoit aussi de son père qu'il étoit comme Jean de Vert, qu'il ne donnoit point de _quartier_, voulant dire qu'il ne lui payoit point sa pension. Et dans les lettres qu'il lui écrivoit, il ne pouvoit s'empêcher de le railler. [126] Gilles Ménage, né à Angers en 1613, mort à Paris en 1692. [127] Nœuds de rubans qu'on portoit à la jarretière. Sans connoître autrement Patru, il disoit de lui, parce qu'il le trouvoit toujours propre, «que c'étoit _Orator optimè vestitus ad causas dicendas_[128].» A Angers, quoique tout Angevin, pour l'ordinaire, soit goguenard et médisant, il étoit fort décrié pour la médisance. Une fille (mademoiselle de Mouriou), dont nous parlerons ailleurs, lui en faisoit un jour la guerre. «Mais savez-vous bien, lui dit-il, ce que c'est que médisance?--Pour la médisance, dit-elle, je ne saurois bien dire ce que c'est; mais pour le médisant, c'est M. Ménage[129].» Il étoit sujet à la sciatique. A Angers, il souffrit fort patiemment qu'on lui appliquât des fers chauds à l'emboîture de la cuisse, et n'en fut pas pourtant guéri. Il étoit beau garçon; mais il n'a jamais eu une santé vigoureuse. [128] Quintilien dit cela d'un homme de son temps. (T.) [129] Cette même fille étoit cajolée par un garçon qui, jaloux, quand ce fut à son tour à chanter une chanson, en dit une où il y avoit qu'il romproit ses fers. Elle, car elle chanta après lui, se met à en dire une avec feu, dont la reprise étoit: Hélas! mon ange, mes amours, M'aimerez-vous toujours? (T.) Il disoit qu'il y avoit trois plaisants prédicateurs à Angers: Costar, qui n'avoit qu'un sermon; le prieur des Matras, qui n'en avoit que la moitié d'un, car il demeura à mi-chemin, et le prieur de Pommier, qui demeura la bouche ouverte, et ne prononça pas une parole. Il disoit que la traduction de M. d'Ablancour étoit comme une femme d'Angers qu'il avoit aimée, belle, mais peu fidèle. D'Ablancour le laissoit dire, et disoit: «Nous sommes amis; mais je ne prétends pas l'empêcher de babiller. Nous faisons comme l'empereur et le Turc qui laissent un certain pays entre eux deux, où il est permis de faire des courses sans rompre la paix.» Après une épreuve qu'on venoit de faire que les chiens ne mangeoient point de viande noire, Ménage dit à une dame fort brune: «Regardez, vous n'êtes pas bonne à donner aux chiens.» Montmort, le maître des requêtes, qui est de l'Académie, et s'appelle Habert, parent de l'abbé de Cerizy, dit qu'il faudroit obliger Ménage à se faire de l'Académie, comme on oblige ceux qui ont honni des filles à les épouser. Il ne fut pas plus tôt de retour de la province, qu'il débuta par une satire contre toute l'Académie; c'est ce qu'il appelle _la Requête des Dictionnaires_. C'est ce qu'il a fait de meilleur, quoique la versification n'en soit nullement naturelle, et qu'il y ait par endroits bien de la _traînasserie_. En ce temps-là il logeoit chez un auditeur des comptes, nommé Aveline, qui avoit épousé la sœur de Ménage; c'étoit au-devant du logis de madame de Cressy[130], fille de La Martellière, fameux avocat. Cette femme étoit fort coquette, et toute propre à faire donner dans le panneau un homme de lettres comme Ménage; d'ailleurs elle étoit ravie d'avoir un homme de réputation pour son mourant[131]. Comme il conte volontiers tout ce qu'il croit à son avantage, il a conté à quiconque a voulu l'entendre, que cette femme l'aimoit, et qu'il en avoit eu assez de faveurs; mais, par ma foi, elle s'en moquoit. Il se pique d'être galant; cependant je l'ai vu dans l'alcôve de madame de Rambouillet se nettoyer les dents par dedans avec un mouchoir fort sale, et cela durant toute une visite. Cette madame de Cressy a dit qu'il faisoit le désespéré devant elle, jusqu'à se donner de la tête contre la muraille; mais il prenoit garde que ce fût en un endroit où il y eût une baie de porte ou de fenêtre derrière la tapisserie. Ce ne fut pas faute d'occasion s'il n'en vint à bout, car s'étant brouillé avec son beau-frère, Cressy le prit en pension. Il fit long-temps le fou; il se guérit; il eut des rechutes, témoin l'élégie où il y avoit: Logé dans votre hôtel, assis à votre table, etc.[132]. Peut-être l'a-t-il changé. D'ailleurs le mari cherchoit fortune où il pouvoit, n'étoit point jaloux, et la dame ne passoit pas pour fort cruelle. On en avoit fort médit avec M. de La Vrillière, et on appeloit certaines avances, qui avoient figure de cornes, que Cressy avoit faites à une maison qu'il a fait bâtir dans une place qui venoit de La Vrillière, _les cornes de Cressy_. A la fin lui et la dame se querellèrent tout de bon; car l'ayant rencontrée en une visite, ils se _harpignèrent_. Elle lui dit qu'elle ne l'avoit jamais trouvé bon qu'à être le précepteur de ses enfants, que c'étoit un beau prêtre crotté (il porte toujours la soutane): «Vraiment, lui répondit-il, vous n'en êtes pas de même; on vous lève si souvent vos jupes qu'elles n'ont garde d'être crottées.» [130] Cressy est un gentilhomme. (T.) [131] Son amant, se mourant d'amour. [132] On lit dans la _Rechute amoureuse_: J'ai failli, je l'avoue, adorable Uranie, Et ma faute mérite une peine infinie. J'ai rompu mes liens, j'ai forcé ma prison, J'ai du joug de vos lois affranchi ma raison. J'ai brisé vos autels.... .... _Logeant en même lieu, vivant à même table_, Je crus que mon bonheur étoit incomparable, Que j'étois de la terre élevé dans les cieux, Et buvois le nectar à la table des dieux, etc. Le vers cité par Tallemant l'a sûrement été de mémoire, car on trouve l'autre dans le _Miscellanea_ de 1652, comme dans l'édition Elzevir de 1663, et vraisemblablement dans toutes les réimpressions des poésies de Ménage. Il eut prise avec l'abbé d'Aubignac sur une comédie de Térence, et ils ont écrit l'un contre l'autre; Ménage n'est pas le plus fort[133]. Pour exercer son humeur mordante, il s'avisa de faire la Vie de Montmaur, le Grec; c'étoit un impertinent et insolent pédant; mais, ma foi, il falloit bien avoir envie de mordre pour s'amuser à mordre un pauvre diable comme celui-là. Cependant tout un temps ce fut la mode, car le centon latin que Ménage fit contre (j'appelle ainsi cette Vie[134] composée de pièces rapportées des anciens) réussit assez, et ce fut ce qui servit le plus à le faire entrer chez l'abbé de Retz, qui, sur la recommandation de M. Chapelain principalement, le reçut de fort bonne grâce; car n'ayant point de chambre chez lui (il étoit déjà au Petit Archevêché), il envoya ordre partout le cloître de ne louer aucune chambre à M. Ménage, et il lui en loua deux à ses dépens quasi vis-à-vis de son logis. [133] Voyez le _Discours sur l'Héautontimoruménos de Térence_ et la _Réponse_ de Ménage dans les _Miscellanea_; Paris, 1652, in-4º. [134] _Vita Gargilii Mamurræ Parasitopædagogi, scriptore Marco Licinio_, dans les _Miscellanea_ déjà cités. Ogier, le prédicateur, fit en ce temps-là un sonnet qui disoit qu'il étoit surpris de voir que Ménage persécutoit un pédant bien moins pédant que lui. On croit que ce _maltalent_[135] d'Ogier vient de ce qu'un jour qu'il avoit prêché, Ménage, à la collation du prédicateur, dit: A la santé de monsieur Ogier! (_bis._) Ogier crut qu'il vouloit dire qu'il avoit déjà prononcé deux fois ce sermon. Cela étoit peut-être vrai; mais l'autre n'y pensoit pas, il n'est pas malin. Ogier est hargneux et grossier, et peut-être aussi pédant pour le moins qu'un autre. Pour l'éloquence, il se prend pour le premier homme du monde. On les accommoda. [135] _Maltalent_, du mot italien _maltalento_, mauvaise volonté, disposition défavorable. Ce fut après l'édition de la Vie de Montmaur, et des vers latins et françois, que Ménage et ceux à qui il en avoit demandé avoient faits[136], que la _Requête des Dictionnaires_ courut les rues. Girault, beau garçon, qui étoit l'apprenti de Ménage, comme Pauquet[137] l'est de Costar, dit que Montreuil, surnommé le fou, lui avoit escroqué cette pièce. Je ne sais ce qui en est, mais l'auteur est assez vain pour l'avoir laissé aller. Plusieurs de l'Académie s'en offensèrent, mais surtout Bois-Robert qu'il y traitoit de _patelin_ et de s......., sans qu'il lui eût jamais rien fait. Bois-Robert fit une méchante réponse, et après il fit amitié avec lui. Les plaintes de Bois-Robert et des autres recommencèrent quand Ménage, faisant imprimer ses _Miscellanea_, y mit cette pièce, lui qui avoit dit qu'elle avoit couru sans son consentement. Bois-Robert dit qu'un de ses neveux, qui portoit l'épée, attendit Ménage trois heures à une porte du cloître pour lui donner des coups de bâton, mais que Ménage sortit par l'autre. Il fit une satire contre Ménage, où il l'accuse de se servir de Girault à bien des choses. Cette seconde querelle se raccommoda comme la première, mais il faut avouer qu'il n'y a guère l'exemple d'une pareille chose, qu'on aille imprimer une pièce comme celle-là, qui est contre tout un corps d'honnêtes gens, et qu'on ait la hardiesse d'y mettre son nom; c'est là qu'est ce livre _adoptivus_, à la manière de Balzac; car, pour grossir son volume, il y a ajouté toutes les pièces qui s'adressèrent à lui. [136] L'abbé de Retz étoit déjà coadjuteur. (T.) [137] _Voyez_ plus haut la note sur l'abbé Pauquet, page 96 de ce volume. Il avoit déjà imprimé, avant cela, _les Origines de la langue françoise_, qui est la plus utile chose qu'il ait faite; sa vanité y paroît encore, car en un endroit il dit: «Cela se prouvera par la Relation que M. de Loire[138] me doit dédier.» Et de Loire ne la lui dédia point. [138] C'étoit un gouverneur des pages de M. d'Orléans, qui avoit fait un voyage. (T.) Vaugelas, Chapelain, Conrart et les politiques de l'Académie, craignant sa _mordacité_, se firent de ses amis. J'ai cent fois ri en mon âme de voir ce pauvre M. de Vaugelas envoyer bien soigneusement l'un après l'autre les cahiers de ses _Remarques sur la langue françoise_ à un homme qui n'a nul génie, et qui ne s'entend point à tout cela, quoiqu'à le voir faire, il semble qu'il n'y ait que lui qui s'y entende. Pour Chapelain, comme j'ai remarqué ailleurs, il lui montrait tout ce qu'il faisoit; et, quand il crut mourir, il avoit ordonné que ce seroit Ménage qui reverroit _la Pucelle_; cependant il avoit avoué à Patru que ce n'étoit qu'un étourdi. Il n'a pas épargné _la Pucelle_ non plus que les autres. Pour moi, je ne nierai pas qu'il n'ait bien la lecture, que ce ne soit, si vous voulez, un _savantasse_ (il ne l'est pas tant pourtant qu'on disoit bien), mais il n'écrit point bien, et pour ses vers il les fait comme des bouts rimés; il met des rimes, puis il y fait venir ce qu'il a lu, ou ce qu'il a pu trouver. Il a dit parfois les choses assez plaisamment; mais ce n'est nullement un bel esprit. Sa vision d'écrire en tant de langues différentes, car j'espère qu'au premier jour il écrira en espagnol, est une preuve de la vanité la plus puérile qu'on puisse avoir. D'Ablancour lui disoit: «J'ai mauvaise opinion de tes vers grecs, car je les entends trop aisément.» Je ne veux pas dire qu'il ait de la malice, mais au moins n'a-t-il guère de charité ni de jugement. Il se mit à décrier les sonnets de Gombauld, et porta chez MM. Du Puy, qui ne s'y connoissoient point, les premières feuilles de ses poésies. On le pria de ne point nuire à ce pauvre homme. Il retourne chez MM. Du Puy, et dit devant cent personnes: «Je n'oserois plus rien dire de Gombauld, car ses amis m'en ont prié.» A la vérité, on ne peut pas nier qu'il ne serve ses amis quand il peut; mais on ne sauroit aussi nier qu'il ne s'en vante furieusement. Il n'est point intéressé; mais, comme nous le verrons par la suite, il fait aussi terriblement le libéral, et encore plus l'homme d'importance. Il a quelque fierté, et jamais personne n'a plus fait claquer son fouet: il est de ceux qui perdroient plutôt un ami qu'un bonnet. Dès qu'on parle de quelque chose: «Vous souvient-il, dit-il, du mot que je dis sur cela?» car jamais il n'y eut une plus sèche imagination, et il n'entretient les gens que de mémoire. Toutes les fois qu'il a mangé chez moi, nous avons pris plaisir à lui faire dire une même sottise. On n'avoit qu'à lui dire: «Monsieur Ménage, je vous prie, donnez-moi une pomme de reinette; il me semble que vous vous y connoissez bien.--Vous avez raison, disoit-il aussitôt, car je me pique de me connoître en trois choses, en œufs frais, en pommes de reinette et en amitié.» Voyez le bel assemblage. Cela me fait souvenir de M. de Mâcon (Lingendes), qui disoit «que les trois livres qu'il aimoit le mieux, c'étoit la Bible, Érasme et l'Astrée.» Et aussi de M. de Beaufort. Un jour qu'il étoit chez madame de Longueville, cette princesse dit qu'il n'y avoit rien au monde qu'elle haïsse plus que les araignées; mademoiselle de Vertus dit qu'elle ne haïssoit rien tant que les hannetons. «Et moi, dit M. de Beaufort, je ne hais rien tant que les mauvaises actions.» Voilà qui étoit à peu près assorti comme les œufs frais, les pommes de reinette et l'amitié. D'abord, comme c'étoit par estime que l'abbé de Retz l'avoit voulu avoir, il fut comme une espèce de petit favori; mais cela ne dura pas toujours. Il se vouloit tirer du pair, et se mêloit même de donner des avis aux autres de la maison. Rousseau, l'intendant, qui étoit bien avec le coadjuteur, ne fut pas fâché que notre homme donnât prise sur lui; et le docteur Paris, un fin Normand qui avoit autrefois servi le coadjuteur dans ses études, homme accrédité de longue main, et duquel il sera parlé souvent dans les Mémoires de la Régence, car il a rendu de grands services au coadjuteur durant la _Fronderie_, et encore plus durant sa prison. Je dirai, en passant, que ce docteur, ayant un procès avec l'abbé de La Victoire pour un bénéfice (il en plaidoit toujours plusieurs à la fois), le coadjuteur voulut les accommoder. Paris lui dit: «Monsieur, taillez, rognez, faites comme il vous plaira.» Ce Paris donc étoit fort familier avec le coadjuteur. Ménage s'avisa de lui dire qu'il ne vivoit pas avec assez de respect; cet homme le remercia bien humblement, et un jour que quelqu'un, comme Bragelonne, qui étoit de longue main au coadjuteur, et qu'il avoit fait chanoine, s'émancipoit un peu: «Chut! lui dit Paris, en lui montrant Ménage du doigt, vous aurez tantôt une censure.» Il dit familièrement qu'il ne voit que lui d'homme d'honneur. Il s'étoit engagé à un de ses amis, nommé Lafon, de lui faire obtenir de M. le chancelier des lettres de vétéran au parlement de Rouen, où il n'avoit guère été conseiller. M. le chancelier lui dit: «Cela n'est pas juste, monsieur.--Pour une chose juste, je ne vous la demanderois pas en grâce; je l'ai promis, il faut bien que cela soit.» Le chancelier le fit. A Servien, il s'agissoit des gages d'un cocher chassé, il dit: «Monsieur, pour les cinquante écus dont il s'agit, j'ai promis de les lui faire toucher; je les paierai si vous ne les payez.» Servien les paya. Le coadjuteur prit quelque temps après un Ecossois, nommé Salmonet, qui devoit être évêque en son pays, mais qui fut contraint d'en sortir à cause des troubles. Il a des lettres, et ne manque point d'esprit: je suis assuré qu'il vendroit Ménage et le livreroit sans que l'autre s'en aperçût. Le coadjuteur lui fit donner une pension du clergé, car il s'étoit fait catholique; outre cela, le coadjuteur prit encore deux ecclésiastiques. Regardez combien en voilà, sans compter un vieux prêtre qui avoit été son précepteur et qui lui servoit d'aumônier. Cependant le coadjuteur n'avoit jamais un ecclésiastique avec lui, mais parfois son écuyer ou un autre gentilhomme. Le père de Gondy s'en fâcha. Il fallut donc mener des gens d'Église. Ménage s'en plaignoit hautement, et disoit que de toutes les visites qu'il faisoit avec M. le coadjuteur, il n'y en avoit aucune qu'il ne pût faire de son chef; les autres, qui s'estimoient autant que lui, n'y vouloient point aller s'il n'y alloit, et ne trouvoient nullement bon qu'il se prétendît mettre entre leur maître et eux. La Fronde l'acheva, car il se mit à pester, et disoit qu'elle lui ôtoit trois mille livres de rente en bénéfices qu'il auroit sans doute si M. le coadjuteur ne s'étoit point avisé de fronder. Non content de cela, il disoit des choses dont il se fût fort bien passé: «A quoi bon tenir table, disoit-il, quand on doit, et qu'on n'a encore récompensé personne?» Après, il blâmoit toujours le parti du coadjuteur. Avant la Fronde, il avoit déjà témoigné assez de chagrin d'être à quelqu'un, surtout depuis la mort de son père, qu'il se voyoit du bien honnêtement; mais il eût bien voulu faire rouler un carrosse, et, pour cela, il lui falloit demeurer chez le coadjuteur. «Morbleu! disoit-il quelquefois, je veux faire plus de bien à Girault que M. le coadjuteur ne m'en fera.» Cependant, c'est une chose constante, qu'il est obligé au coadjuteur et au grand abord de sa maison, de presque toute la réputation, et de presque toutes les connoissances qu'il prise le plus, je veux dire celle des grands seigneurs et des grandes dames. Enfin, le coadjuteur s'en fâcha, et, en pleine table, aussi imprudemment que l'autre, dit tout haut, Chapelain y étant présent, que Ménage étoit un étourdi, et pria Chapelain de lui dire qu'il n'étoit nullement satisfait de sa petite conduite[139]. Ménage s'emporta, dit qu'il avoit fait trop d'honneur au coadjuteur. «Si je jouissois de mon bien, dit-il, si l'Anjou étoit paisible, je le planterois là.» Et après il fut quatre jours sans aller chez lui. Chapelain raccommoda la chose, et fit tant que le coadjuteur alla chez Ménage, le prit par la main et le mena dîner avec lui. L'été suivant, dans le dessein d'aller en Anjou, où il vouloit mener deux laquais, il en prit un de plus, et le faisoit manger chez le coadjuteur. Cela n'étoit pas raisonnable, et on ne souffre point ces choses-là dans les grandes maisons, à cause des conséquences; on lui en dit quelque chose; il répondit que ce n'étoit que pour huit jours. Ce laquais y fut quatre mois, et Ménage vouloit que l'argentier prît tant par jour pour la dépense de son laquais, «ou bien, disoit-il, je jetterai cet argent dans la rivière.--De quelle manière mettrai-je cela sur mon compte, disoit cet homme, et prétendez-vous que M. le coadjuteur ait tenu le laquais de M. Ménage en pension?» Au retour, ce même laquais y fut encore un mois. [139] C'étoit à la fin de 1649. (T.) Il fait profession d'être le plus fier des humains, et dit familièrement qu'il ne voit que lui d'honnête homme. Si fier se prend simplement pour vain, d'accord; mais vous voyez bien que l'affaire de ce laquais n'a que voir avec le magnanime. Il se trouvera par la suite quelque autre chose qui n'y convient peut-être pas plus que celle-là. Son orgueil est bon à quelque chose, à rabattre le caquet à des petits Barillon et autres jeunes gens comme cela. Quand il vit le coadjuteur cardinal, il se radoucit pourtant un peu pour lui. En ce temps-là lui et Girault se séparèrent. Il s'est vanté diverses fois qu'il avoit donné mille écus à Girault pour amortir la pension d'une prébende du Mans qu'il lui avoit fait avoir; qu'outre cela, il lui donnoit trois cents livres de pension viagère, et qu'il l'avoit fait faire bibliothécaire de M. le cardinal de Retz. Ce petit fat de Girault devint tout-à-coup si fier qu'il fit son apologie à un homme qui le rencontra à pied dans la rue Coquillière, disant qu'il n'avoit pu trouver de chaise. Ménage, entre autres dames, prétendoit être admirablement bien avec madame de Sévigny la jeune[140], et mademoiselle de La Vergne, aujourd'hui madame de Lafayette. Cependant Le Pailleur m'a juré qu'il leur avoit ouï dire qu'elles aimoient mieux Girault que lui, et qu'elles le trouvoient plus honnête homme; et la dernière, un jour qu'elle avoit pris une médecine, disoit: «Cet importun Ménage viendra tantôt.» Mais la vanité fait qu'elles lui font caresse. Il y a bien des hommes qui ont cette foiblesse. Un jour qu'il étoit chez Nanteuil, le graveur, avec Lionne qui se faisoit faire sa taille-douce, il parloit sans cesse et disoit «qu'il avoit sept cents pistoles qui ne devoient rien à personne; qu'il avoit envie de les employer à un voyage de Rome.--Vous ferez bien mieux, lui dit Nanteuil, de m'en envoyer dix que vous me devez de reste de votre portrait.» Cela le mortifia un peu. Il y a autour de ce portrait: _Ægidius Menagius, Guillelmi filius_. Son père a fait je ne sais quel petit Traité. «Venez une autre fois tout seul, dit Nanteuil à Lionne.--Voyez-vous, dit l'autre, cela nous sert dans le monde de mener de ces beaux-esprits avec nous.» [140] Marie de Rabutin-Chantal, dame de Sévigné, notre immortelle épistolaire. Il y avoit une autre dame de Sévigné (ou Sévigny), belle-tante de Marie de Rabutin; c'étoit la mère de madame de Lafayette qui avoit épousé, en secondes noces, le chevalier René Renaud de Sévigné. Il est quelquefois bien grossier et bien peu civil chez lui; il s'est rogné une fois les ongles devant des gens avec lesquels il n'étoit point familier. Je lui ai ouï dire à deux fort jolies femmes, et il n'y en a pas à la douzaine d'aussi bien faites: «Mesdames, excusez si je vous rends si peu de visites, je ne vois plus que des héroïnes.» Un jour il étoit dans le carrosse de M. de Laon, fils du maréchal d'Estrées; Quillet y étoit aussi. M. de Laon lui dit: «Il faut que j'aille chez M. de Senecterre (Ménage ne le connoissoit pas), après nous irons nous promener.» M. de Senecterre n'y étoit point: «Dites, dit M. de Laon, que c'est l'évêque de Laon, qui étoit venu pour avoir, etc.--Dites, dit Ménage ensuite, qu'un nommé Ménage étoit aussi venu pour avoir l'honneur de le voir.» Quillet, quelques jours après, alla chez la comtesse de Charrost avec M. de Laon. Elle n'y étoit pas: «Dites, dit-il, que c'est l'évêque de Laon.--Dites, ajouta Quillet, que c'est aussi M. Ménage qui, etc.» M. de Laon dit que madame de Sévigny est dans les ouvrages de Ménage ce qu'est le chien du Bassan dans les portraits de ce peintre; il ne sauroit s'empêcher de l'y mettre. Quelquefois il a mieux rencontré que cela, témoin un jour que le feu premier président voulant dire le conte de Du Montier, _le Bourguemestre de Sodome_, et ne sachant que mettre au lieu de Sodome, Ménage dit: «Il ne faut que dire, _Bourguemestre de Vendôme_.» J'ai déjà remarqué ailleurs qu'il n'étoit pas aimé chez le cardinal de Retz, si ce n'est des gens de livrée et des bas officiers, à cause qu'il leur donnoit les étrennes avec trop de profusion. Outre cela, il se vantoit d'être libre, de n'être à personne. Il disoit des choses messéantes à table, comme de dire que le petit Scarron alloit tenir b..... de filles et de garçons à Saint-Cloud, pour gagner plus que la Durier; tantôt il alloit en Italie, tantôt en Suède, dont la Reine lui avoit envoyé une chaîne d'or; je crois que ce fut pour l'épître qu'il lui fit en lui dédiant les vers de Balzac, car je ne pense pas qu'il y en ait une plus pédantesque au reste du monde. Il y a quelque chose de démonté dans cet esprit, car au même temps qu'il faisoit le libéral, qu'il disoit qu'il n'étoit à personne, il ne laissoit pas d'envoyer quérir tous les soirs sa chandelle chez le cardinal, quoiqu'il ne fût plus logé si près de chez lui, et il se faisoit fort bien saigner, quand il en avoit besoin, par le chirurgien des domestiques, avec lequel on étoit abonné à quinze sols pour saignée; cela se voit par les comptes qu'on m'a voulu montrer. Il se vantoit d'avoir plus acheté de _Cyrus_ que personne, et d'en avoir le moins lu. Il employoit son argent à aller en chaise, à faire peindre celle-ci ou celle-là, et à envoyer tous les livres nouveaux au maréchal de Brezé, qui, à la vérité, lui demandoit souvent son mémoire; mais Ménage n'avoit garde de le lui envoyer. Le maréchal avoit tort. Ménage, comme j'ai dit, n'est pas vilain, mais il est vain à outrance. Tout ce que j'ai dit faisoit qu'il n'y avoit pas un ecclésiastique, pas un suivant chez le cardinal qui ne lui en voulût; il arriva une aventure qui le fit bien voir. Un président de Pau, qui croyoit avoir obligation à Rousseau, comme intendant du cardinal de Retz, le convia à dîner dans un jardin avec l'abbé Rousseau son frère, Ménage, Salmonet et cinq autres personnes de la maison. On fit carrousse[141]; on se jeta des bouteilles et des verres après dîner dans ce jardin (c'étoit au mois d'août 1652). Rousseau et trois autres prirent Ménage en badinant, et, l'élevant en l'air, se mirent à dire: «Voilà notre philosophe, il faudroit le mettre dans ce tonneau, ce seroit Diogène.» Ménage crut qu'on se vouloit moquer de lui; il dit qu'il ne prenoit point plaisir à cela, et en mordit un bien serré. Rousseau en voulut faire réprimande à Ménage, quoique le blessé n'en eût pas fait grand bruit. Ménage ne reçut pas bien cela; ils se querellèrent; Rousseau lui donna un soufflet, et son frère l'abbé, qui est un vrai crocheteur, lui donna en même temps un coup de poing à assommer un bœuf, comme s'il falloit tant de gens contre un philosophe. Salmonet voulut faire passer tout cela pour jeu d'ivrognes; l'intendant offrit de lui demander pardon, et son frère aussi, et d'avouer qu'ils étoient ivres: Ménage n'y voulut point entendre, et s'en alla tout furieux dire au cardinal, après lui avoir fait ses plaintes, qu'il ne lui demandoit pas qu'il chassât son intendant qui, quoique insolent, fripon, stupide, lui étoit pourtant nécessaire; mais qu'il le supplioit de lui permettre par un billet signé de sa main de lui faire donner des coups de bâton; et qu'à moins de lui laisser prendre cette petite vengeance, il sortiroit de la maison. Avez-vous jamais vu une plus belle proposition? Le cardinal le regarda comme un homme en colère, tâcha de l'apaiser, mais pourtant ne le mit point en balance avec son intendant. On en fit des contes par la ville. Mademoiselle de Longueville s'en moqua, et on disoit qu'on avoit joué d'une étrange façon à _Remue-Ménage_; et, pour faire l'histoire meilleure, on disoit que Ménage étoit entré d'un côté en criant au cardinal de Retz: _Sire, sire, justice!_ et que Rousseau de l'autre avoit dit: «_Ah! sire, écoutez-nous_, etc.[142].» Dans sa fureur Ménage disoit qu'il feroit donner des coups de bâton à Rousseau; que pour cent pistoles il le pouvoit faire assassiner; que dès le soir même on s'étoit offert à lui pour cela. Depuis, il mit de l'eau dans son vin, et se contenta de sortir d'avec le cardinal de Retz. Quelques-uns de ses amis vouloient qu'il y demeurât, et qu'il essuyât plutôt toutes les railleries qu'on pouvoit faire, que de n'avoir pas de quoi vivre comme il avoit accoutumé; d'autres dirent qu'il avoit bien fait. Pour moi, je lui dis que j'eusse pris congé du cardinal avant tout cela, car il ne savoit que trop qu'il n'y étoit plus bien. [141] Débauche. [142] Paroles du _Cid_, acte 2, scène 9. Depuis la plainte qu'il fit au cardinal de Retz, il ne mit pas le pied chez lui, ni le cardinal ne lui fit pas dire la moindre parole de consolation, ni ne lui parla point d'aller à Compiègne avec lui, quoiqu'il y menât tout son monde. Il s'en plaignit hautement, dit qu'il avoit mangé douze mille écus à son service, et perdu dix ans de temps. Le cardinal disoit que Ménage ne lui avoit jamais rendu le moindre service en tout ce temps-là. Ménage dit et écrit à toute la terre que s'il n'eût point été au cardinal, Boislève[143] ne lui eût point enlevé une prébende d'Angers qui lui venoit par l'indult que lui avoit donné M. de La Margrie; mais que M. le chancelier ne la voulut jamais signer, et lui en envoya faire des excuses, disant qu'il en avoit ordre: «Ni le cardinal Mazarin, ajoutoit-il, ne m'eût point ôté le joyeux avénement sur Angers que M. de Lionne m'avoit fait avoir.» Mais, comme j'ai déjà remarqué, ni La Margrie ni Lionne ne lui eussent rien donné s'il n'eût été comme le petit favori du coadjuteur. Enfin, le cardinal de Retz a été ravi de s'en défaire. [143] Depuis évêque d'Avranches. (T.) Sarrazin, son ami, ayant appris cette aventure, lui fit écrire par le prince de Conti. La lettre étoit fort civile; le prince lui demandoit son amitié, et Sarrazin lui offroit toutes choses de sa part, mais il n'accepta point, «parce que, disoit-il, il ne vouloit plus de maître.» Ce lui fut une grande consolation que cette lettre, car il la porta trois mois dans sa poche, et la lisoit à tout le monde. A un an de là ou environ, mademoiselle de Rambouillet lui fit un étrange compliment: «Monsieur, lui dit-elle, j'ai ouï dire que vous me mêliez dans vos contes, je ne le trouve nullement bon, et vous prie de ne parler de moi ni en bien ni en mal.» Pour moi, si elle m'en avoit dit autant, je n'aurois pas mis le pied à l'hôtel de Rambouillet qu'elle n'eût été mariée, quoique ce soit peut-être un terme bien long[144]. Il ne laissa pas d'y aller et de manger même avec elle à la table de M. de Montausier. Cela ne s'accorde guère avec ce qu'il conte de M. de Rohan-Chabot: «M. de Rohan, disoit-il, qui m'avoit quelque obligation, car je l'ai servi en ce que j'ai pu, et je lui conseillai de se battre après qu'il fut marié (il me sembloit qu'il avoit besoin d'un combat), s'avisa de me dire que dès qu'il seroit à Angers il feroit mettre mon frère, lieutenant particulier, en prison (c'est qu'il étoit maire et ne s'accordoit pas avec lui). Je ne pus souffrir cela, et lui en dis mon sentiment. Depuis, je le saluai très-humblement chez madame de Sévigny en une petite chambre, face à face: il n'ôta point son chapeau. Je déclarai à tout le monde et à ses gens que je ne le saluerois plus: je ne l'ai jamais salué depuis. A Angers, il m'auroit fait assommer: à Paris, on a une liberté qui ne se peut payer.» [144] Mademoiselle de Rambouillet épousa le comte de Grignan, comme on l'a déjà vu plus haut. Pour subsister, Ménage vendit une terre, qu'il avoit eue en partage, à M. Servien, qui lui fait la rente de l'argent au denier dix-huit. En ce temps-là on le pria de faire quelque chose pour le bonhomme Gombauld; Servien promit de lui faire toucher quinze cents livres, mais il ne se hâtoit pas autrement. Ménage lui déclara qu'il ne signeroit point le contrat de vente de cette terre (que Servien avoit achetée) qui étoit à la bienséance de Sablé, qu'il ne lui tînt parole touchant M. Gombauld. Et cela fut fait; mais il l'a tant chanté que Gombauld ne put s'empêcher de faire cette épigramme, car quoiqu'il ne l'ait point montrée, et qu'il le nie comme beau meurtre, je suis certain que c'est ce qui lui en a fait venir la pensée. La voici: Si Charles[145], par son crédit, M'a fait un plaisir extrême, J'en suis quitte; il l'a tant dit, Qu'il s'en est payé lui-même. [145] Il n'a pas osé mettre _Gilles_. (T.) Il disoit aussi: «M. Servien et M. le premier président sont de mes amis; Scarron me divertit; par leur moyen je lui ai fait toucher treize cents livres; et à cause de madame de Rambouillet, deux cents livres à ce pauvre diable de Neuf-Germain[146].» A l'entendre, mademoiselle Scudéry ne touchoit de l'argent que par son moyen. Trillepert[147], que Sarrazin et lui ont cabalé depuis long-temps, et qui se croit un grand personnage, à cause qu'ils l'ont mis dans un dialogue, lui donna son indult qu'il mit sur Clugny. Cela lui a valu le prieuré de Montdidier qui, dit-on, est, en bon temps, de quatre mille livres de rente; il a eu bien des procès pour cela, et je ne sais où il en est présentement, mais il est M. l'abbé; il n'a pourtant point de carrosse encore. [146] On a vu précédemment un article sur ce poète ridicule. [147] Trillepert étoit l'un des fils du président Aubry. (_Voyez_ l'article de la présidente Aubry et de son mari.) Ménage de tout temps avoit aimé à voir bien du monde chez lui: quand il fut sorti de chez le cardinal de Retz, il se mit à faire une espèce d'académie où M. Chapelain a encore moins manqué qu'au samedi; il y a bien du fretin. Je ne sais quel président mena une fois son fils à Ménage, c'étoit au mois de septembre, et le pria de trouver bon que ce jeune garçon allât _à ses petites académies_; Furetière, qui étoit présent, dit malicieusement à ce président: «Mais, monsieur, vous ne songez pas qu'il n'est pas encore la Saint-Rémi.» C'est cette ridicule académie qui a fait faire tant d'épigrammes et de bagatelles contre M. Chapelain et les autres, car ce fut là que les petits Linières, les petits Boileau, etc., firent connoissance avec Chapelain; et Linières ayant offert à M. Chapelain de le mener chez une dame avec laquelle il vouloit faire connoissance, Chapelain s'y fit mener par un autre, ne voulant pas peut-être être présenté de sa main; cela lui fit faire une ou deux épigrammes contre lui, et ensuite contre Conrart, Pellisson, mademoiselle de Scudéry, et enfin contre les principaux de l'Académie, jusques au marquis de Coislin: même on disoit que celui-là le devoit payer pour tous les autres. Ménage fit en ce temps-là l'églogue intitulée _Christine_; il la fit imprimer avec ce titre: CHRISTINE. ÉGLOGUE. On dit que le commandeur de Souvré dit, en voyant cela: «Je ne croyois pas que la reine de Suède eût deux noms,» et qu'on lui fit accroire qu'il y avoit une famille d'Églogues comme de Paléologues. Je ne saurois croire que cela soit vrai; le commandeur n'est pas tel qu'on l'a chanté; il est toujours fâcheux qu'on lui ait mis cela sur la tête. Or, il faut conter d'où vient l'_Avis à Ménage_[148] sur cette églogue. Boileau[149], jeune avocat de vingt-deux ans, fils du greffier de la grand'chambre, porta un jour à Ménage une élégie latine qu'il avoit faite; car il veut faire des vers et en latin et en françois, quoiqu'il n'y soit nullement né; Hallé, poète royal, étoit alors avec Ménage. Boileau dit qu'_Ægidius Menagius, Guillelmi filius_, le traita fort de petit garçon en présence de cet homme, et lui dit: «Nous lirons cela une autre fois; mais lisez mon élégie latine à la reine de Suède; vous en apprendrez plus là que chez tous les anciens.» Le jeune homme, qui naturellement est mordant, fut bien aise d'avoir trouvé un homme sur qui il y avoit à mordre; mais il ne considéroit pas qu'il imitoit celui à qui il donnoit sur les doigts en entrant comme lui dans le monde par une médisance; il fit l'_Avis à Ménage_. Bautru, que Ménage croyoit de ses meilleurs amis, en eut une copie, je ne sais comment; car le jeune homme, qui avoit tant promis de n'en point donner, fit comme Ménage à la _Requête des Dictionnaires_; il la montra au premier président, qui dit à Boileau, qui s'étoit attaché à lui, qu'il la falloit faire imprimer. Le premier président n'avoit trouvé nullement bon que Ménage les eût mis, Servien et lui, comme des égaux; il lui conseilla d'y ajouter quelque chose sur la pédanterie, en cet endroit où il dit que Pour lui seul les Bergères Cessent d'être légères[150]. «Voyez-vous, lui dit-il, si vous étiez des gens d'épée, il y auroit du danger; mais pour des gens de lettres, ils ne versent que de l'encre.» Au bout de quelque temps on vit cet _Avis_ imprimé. Le petit Boileau dit qu'il en avoit donné copie au bon homme Pailleur, et qu'à sa mort, quelqu'un, l'ayant trouvée dans ses papiers, la fit imprimer. Le Pailleur en avoit donné copie à mademoiselle de La Vergne; Ménage l'a su, et il en a été furieusement piqué. Mais ils ont fait leur paix. Il y avoit trois mois que cette pièce couroit, mal imprimée et pleine de fautes, que Ménage, qui l'avoit vue, à ce qu'il dit, ne savoit de qui elle étoit. Quand il sut qui l'avoit faite, la colère le saisit; il vouloit répondre. Chapelain lui conseilla de n'en rien faire. En effet, qu'y avoit-il à dire contre un garçon qu'on ne connoissoit point encore? et pour la critique, c'eût été une chose pitoyable et que personne n'eût lue. Il y eut quelque misérable réponse d'un certain Le Bret qui alloit à son Académie; mais on conseilla à Ménage de la faire supprimer; en effet, il en acheta tous les exemplaires. Il changea donc de batterie, et dit: «Pour Boileau le fils, n'importe, pourvu que le père n'écrive point contre moi.» Et quand on lui demanda: «Qu'avez-vous fait à ce garçon?» il répondit: «Je lui ai fait son Épictète[151].» Boileau, piqué de cela, prend prétexte de ce que sa pièce étoit mal imprimée, et se met à la faire imprimer avec un endroit où il donne sur les doigts à Costar, qui avoit dit dans la _Suite de la Défense de Voiture_, adressée à Ménage: «Vous avez donc trouvé aussi votre Girac.» Costar n'a osé répondre non plus que l'autre. Avant cela, dès qu'il eut avis de ce que Boileau vouloit faire, il écrivit à quelqu'un une lâche lettre qu'on me fit voir pour l'en empêcher; mais cela ne l'empêcha pas. Patru avoit obtenu de Boileau qu'il se contenteroit de faire imprimer sa lettre, mais qu'il n'y ajouteroit rien; mais Conrart, irrité contre Costar de ce qu'il déchiroit Balzac, avoua à Boileau qu'après ce que Costar avoit dit de lui, il pouvoit mettre tout ce qu'il voudroit. Pellisson, qui est joint par cabale à Ménage, déclara assez brusquement à Boileau que s'il imprimoit, il ne seroit plus son ami ni son serviteur. Il eut tort de prendre parti; car c'est aux amis communs à réconcilier leurs amis; et peut-être s'il n'eût point fait cela, ne se seroit-il point fait certains couplets de chanson contre lui et mademoiselle de Scudéry. [148] _Avis à M. Ménage sur son Églogue intitulée Christine._ Cette pièce a été réimprimée par La Monnaie dans son _Recueil de pièces choisies_. La Haye, 1714, in-8º, 1re partie, p. 277. [149] Gilles Boileau, frère aîné de Despréaux. [150] Indication de ces vers de la deuxième églogue de Ménage: De ces aimables lieux les nymphes, les bergères, Pour toi seul aujourd'hui cessent d'être légères. [151] La Vie et la Morale d'Épictète; cela est imprimé pour la deuxième fois. (T.) Patru, qui ne trouvoit point qu'il fût avantageux à Boileau non plus qu'à Ménage, de rendre cette pièce plus publique qu'elle n'étoit, alla porter parole à Ménage que Boileau supprimeroit tout ce qu'il faisoit imprimer, quoique cela lui coûtât trente pistoles; qu'après il le lui amèneroit, et que Boileau le prieroit d'oublier le passé, etc. Ménage fit le fier mal à propos, et dit: «Je ne lui veux point de mal, je lui rendrai ses trente pistoles s'il veut; mais je ne puis souffrir qu'il mette le pied céans.» Tout le monde dit que ce procédé étoit ridicule, et le premier président dit: «Refuser d'en croire M. Patru (car le premier président étoit fort persuadé de son mérite)! je vous conseille de mettre cela au bout de votre lettre.» Ménage voulut gronder de ce que Patru et quelques autres, quand Boileau leur demandoit leur avis sur des façons de parler qu'il employoit dans cette lettre, lui dissent leur sentiment et le corrigeassent. On lui répondit: «Pourvu qu'on ne lui donne point de mémoires contre vous, vous ne sauriez vous plaindre qu'on corrige ce qu'il fait contre vous; on corrigera de même ce que vous ferez contre lui. On a fait ce qu'on a pu pour empêcher que vous n'eussiez ce déplaisir, vous ne voulez pas; que voulez-vous qu'on y fasse?» Chapelain disoit: «Ménage est fou, et il lui en cuira.» En effet, jamais rien ne s'est mieux vendu, et je n'ai vu quasi personne qui ne fût bien aise qu'on eût donné sur les doigts à la vanité de Ménage. On disoit: «Gilles a trouvé Gilles (ils s'appellent tous deux ainsi); mais Ménage est Gilles le niais (un enfariné qui s'appelle ainsi).» Je ne voudrois pas jurer qu'on n'eût fait dire à Scaramouche, pour se moquer de Ménage, ce qu'il dit une fois; car, en faisant le pédant, il disoit: «_La regina de Suecia scrive à me._» Depuis, Boileau a encore ajouté la preuve des larcins de Ménage à une nouvelle édition, et cela se vend comme le pain. M. Nublé, avocat, homme de bon sens et de vertu, ami de Ménage de tout temps, et qui ne peut pardonner à Boileau, dit chez M. Lefèvre Chantereau[152], qui a écrit des généalogies de Lorraine et autres, en présence de messieurs Valois et d'un garçon nommé Sauval[153], «qu'il ne trouvoit pas supportable ce qu'avoit fait Boileau contre Ménage,» et s'emporta terriblement. Sauval lui fit l'apologie de Boileau. Nublé lui dit que c'étoit être fou que de défendre une si méchante cause. «Vous êtes fou vous-même, lui dit brusquement l'aîné Valois; vous parlez bien haut; il n'y a que trois jours que vous ne souffliez pas; et vos Ménage et vos Costar ne m'envoient-ils pas tous les jours leur latin et leur grec à corriger? et il y a souvent des barbarismes et des solécismes.» Dans les Mémoires de la Régence il sera encore parlé de Ménage à propos de la reine de Suède. [152] Ce M. Lefèvre est président des bureaux des trésoriers de France, à Soissons. Ce fut autrefois le premier intendant qu'on envoya en Lorraine; il ne tint qu'à lui d'y gagner deux cent mille écus. Tout le conseil étoit étonné de la fidélité et de l'intégrité de cet homme: il en eut pour toute récompense le remboursement d'un office de vingt mille écus qui avoit été supprimé. En voici un exemple. Il amassa de lui-même pour plus de quatre cent mille livres de grains de çà et de là, sans que la cour le sût; il eut ordre d'en acheter pour l'armée qui y alloit. Il manda qu'il en avoit déjà pour quatre cent mille livres. Il n'y avoit rien plus aisé que de prendre tout cet argent. Il n'a pas été employé depuis. (T.) [153] Sauval est un garçon de Paris qui fait trois volumes in-folio, intitulés: _Paris ancien et moderne_, où il remarque tout ce qu'il y a de beau. Ce travail sera utile. Furetière disoit: «Les gens de lettres qui voient cela disent: Je pense que pour ce qui est de la peinture et de l'architecture, il en parle bien; mais pour le reste, ce n'est point bien écrit; et que les peintres et les architectes disent: Nous croyons que cela est bien écrit; mais il ne parle point bien de l'architecture ni de la peinture.» (T.) Les recherches de Sauval ont été publiées depuis en trois volumes in-folio, sous le titre d'_Antiquités de Paris_. Boileau dit de la préface de Pellisson sur Sarrazin, et de la lettre dédicatoire de Ménage du même livre, que Pellisson disoit: «Il n'y a rien de si beau que l'Épître dédicatoire;» et que Ménage disoit: «Il faut avouer que la préface est divine.» Quand Ménage eut cinquante ans, il alla chez toutes les belles de sa connoissance prendre congé d'elles, comme un homme qui renonçoit à la galanterie. Hélas! il n'avoit que faire de cette déclaration; ses galanteries n'ont jamais fait mal à la tête à personne. M. DE LAVAL. M. de Laval[154] étoit le second fils de la marquise de Sablé; il fut destiné à être chevalier de Malte. Il y fit quelque caravane au retour, dans le dessein de se faire connoître; et, ne pouvant tirer grand secours de sa maison, il prit une compagnie au régiment de la marine. Le cardinal de Richelieu en eut de la joie, car il étoit bien aise d'avoir un chevalier de Bois-Dauphin capitaine dans son régiment; ce régiment fut embarqué sur l'armée navale que commandoit l'archevêque de Bordeaux[155]. Le chevalier n'y fut pas long-temps sans se faire aimer de tout le monde; il y accordoit les querelles et étoit en grand crédit auprès du général. Je veux croire que sa beauté n'y avoit pas nui; car c'étoit un des plus beaux gentilshommes et des mieux faits de France. Le cardinal mort[156], le chevalier s'attacha à M. d'Enghien, acquit beaucoup de réputation à la bataille de Rocroy et au siége de Thionville, et fut député pour porter la nouvelle de la prise. Il fut reçu admirablement bien à la cour; on le regarda comme une personne qui avoit bien servi, et que M. d'Enghien affectionnoit. Il eut quatre mille livres pour son voyage, et la Reine lui fit donner mille écus de pension. Cela le mit en équipage; d'ailleurs il étoit logé et nourri chez sa mère, alors veuve, qui pour lui avoit vaincu l'aversion qu'elle avoit à voir de grands enfants autour d'elle. En ce temps-là madame de Coislin, fille du chancelier, veuve depuis quelques années[157], visitoit fort souvent la marquise de Sablé, qui logeoit alors à la Place-Royale avec la comtesse de Maure. La jeune veuve logeoit assez près de là dans la rue Barbette, dans la maison de Goulas, secrétaire des commandements de M. d'Orléans, à cette heure l'hôtel d'Estrées[158], dont elle donnoit deux mille écus de loyer; car ce fut elle qui fit enchérir les maisons au point où nous les avons vues. La marquise n'avoit pas autrement recherché l'amitié de madame de Coislin, qui est une personne comme cent autres: on dit même qu'elle est naïve, et qu'il n'y a pas long-temps que, croyant faire plus d'honneur à madame de Longueville, elle mit au-dessus d'une lettre, _A madame, madame de Longueville, Longueville_[159], mais elle n'avoit pu s'empêcher de la recevoir, tant cette pauvre femme s'étoit donnée à elle à corps perdu. Or, Chabot avoit fait connoissance avec madame de Coislin, un peu après la mort du mari, chez madame de Sully; et, quoiqu'il eût déjà mademoiselle de Rohan en tête, il voyoit pourtant si peu de jour à ce qui est arrivé depuis, qu'il voulut tenter cette aventure, et il y réussit si bien, que s'il eût poussé, il l'eût assurément épousée; mais il en fit sa cour auprès de mademoiselle de Rohan, et lui dit ensuite que si, en méprisant l'avantage qu'il trouvoit, il étoit assuré de faire quelque chose qui lui fût agréable, il n'y penseroit jamais. Il ajouta ensuite tout ce qui pouvait servir à son dessein; car on dit qu'il ne s'y entendoit pas mal. Mademoiselle de Rohan fut touchée de cette générosité; et, comme j'ai dit ailleurs, elle lui donna assurance que ses services seroient reconnus. Dès ce moment Chabot négligea un peu madame de Coislin, et à mesure qu'il s'avançoit auprès de mademoiselle de Rohan, il s'éloignoit de notre veuve. Durant ce refroidissement elle rencontra un jour sur l'escalier de la marquise le chevalier de Bois-Dauphin, qui se sauvoit de crainte d'être arrêté, car il alloit voir mademoiselle de Pons[160] dont il étoit amoureux. Il donna dans les yeux à madame de Coislin; par bonheur il étoit ce jour-là ajusté comme un amant qui espère voir ce qu'il aime. La veuve monte, et dit à la marquise: «Je viens de trouver M. le chevalier de Bois-Dauphin; vraiment, il est bien fait.» Ensuite, toutes les fois qu'elle alloit là-dedans, elle demandoit toujours où étoit M. le chevalier de Bois-Dauphin. Enfin elle le demanda tant, que la marquise fut obligée de lui promettre qu'elle le lui enverroit. On eut assez de peine à l'y faire aller; car c'étoit un vrai jeune homme qui ne songeoit qu'à suivre ses inclinations; il y fut pourtant, et, comme il en sortoit, il trouve madame la chancelière dans la cour, qui dit à sa fille en riant, après avoir demandé qui il étoit, qu'elle ne prendroit point plaisir à trouver souvent de grands chevaliers comme cela auprès d'elle. [154] Guy de Laval Bois-Dauphin, dit _le marquis de Laval_, mort en 1646. [155] Henri d'Escoubleau de Sourdis, frère du cardinal de ce nom, fut nommé archevêque de Bordeaux après la mort de son frère, et lui succéda en 1628. Par un abus très-commun en ce temps, il allia les commandements militaires aux dignités de l'Église. [156] Tallemant nous semble ici confondre Henri de Sourdis avec le cardinal, son frère. Henri n'a pas été revêtu de la pourpre. Ses différends avec le duc d'Épernon lui ont donné de la célébrité. [157] Son mari fut tué à Aire. (T.) [158] C'étoit vraisemblablement l'hôtel qui est maintenant une succursale de la Légion-d'Honneur. Il appartenoit, avant la révolution, à M. de Corberon dont il portoit le nom. [159] Cela me fait souvenir d'un enfant qui, voulant écrire au valet-de-chambre de son père, sans lui mettre _monsieur_, mit _à Chaumat, Chaumat_; c'étoit le nom du valet, et celui de l'enfant c'est Marbaut, dont il sera parlé dans l'Historiette de la Gaillonnet. (T.) [160] C'étoit vraisemblablement Bonne de Pons, depuis marquise d'Heudicourt, amie de madame de Maintenon. On verra plus bas, dans l'article de M. de Guise, petit-fils du Balafré, comment mademoiselle de Pons vint à la cour, et y fut nommée fille d'honneur de la reine Anne d'Autriche. Quelque temps après, M. d'Enghien alla en Allemagne mener des troupes au maréchal de Guébriant; ce voyage ne fut pas long; cependant notre veuve s'ennuyoit fort de ne point voir le chevalier qui avoit suivi M. d'Enghien; elle en parla tant que la marquise crut qu'elle en tenoit, et un jour elle lui dit: «Vous parlez tant de ce chevalier, comment l'entendez-vous? N'avez-vous pas conclu avec Chabot?--Vraiment, lui dit l'autre, c'est un plaisant homme que Chabot.» Elle se mit sur sa friperie. Chabot avoit le nez mal fait, Chabot avoit de petits yeux, Chabot ne savoit pas même danser. Le chevalier revient; sa mère lui parle sérieusement, et, à force de le haranguer, le fait résoudre à quitter mademoiselle de Pons, et à penser à sa fortune. Il y eut de la répugnance; mais quand une fois il eut donné sa parole, il fit tout ce qu'on voulut. La marquise, qui est très-adroite, ne trouva pas à propos que le chevalier allât chez madame de Coislin. Il ne la voyoit que chez sa mère. De longue main les gens de madame de Coislin avoient accoutumé de s'en retourner quand elle étoit chez la marquise, où elle dînoit ou soupoit de deux jours l'un. Le chevalier ne mangeoit pourtant point avec elle; car la marquise tient pour maxime qu'il faut qu'un amant ne fasse devant sa maîtresse que ce qui est de l'essentiel de l'amour, et que, par exemple, il ne faut qu'une grimace en mangeant, ou quelque petite indécence pour tout gâter. Elle appelle cela faire des _mortalités_. Ces entrevues se faisoient secrètement, car qui que ce soit ne se seroit avisé qu'un garçon comme lui fût si souvent avec sa mère, et puis on savoit, comme j'ai déjà dit, qu'elle n'aimoit point à voir ses enfants. Elle aimoit si fort celui-ci, qu'avant cette amourette, comme il ne se retiroit qu'à minuit, pour avoir le plaisir de l'entretenir, elle veilloit fort souvent jusqu'à trois heures du matin. Ces entrevues durèrent quatre mois. Elle qui s'ennuie quasi de tout, jugez comment elle se divertissoit là. Tantôt elle lisoit, tantôt elle leur disoit en passant: «Mais pensez-vous que je ne sois point lasse de vos coquetteries? Cela durera-t-il long-temps?» ou quelque autre chose de semblable. Enfin mademoiselle de Chalais[161] revint de Sablé fort heureusement pour la marquise, car elle la déchargea d'une partie de la peine, même elle l'en déchargea tout-à-fait; car elle dit du troussement que tout cela n'étoit rien si on n'épousoit. On lui faisoit la guerre de ce qu'elle avoit dit: Si on ne couchoit ensemble; la marquise de Sablé et la veuve eurent dispute, sur ce que cette innocente disoit qu'elle vouloit bien épouser, mais non pas coucher. [161] Mademoiselle de Chalais étoit dame de compagnie de la marquise de Sablé. Voiture lui a adressé plusieurs lettres. La résolution prise d'épouser, la marquise en parla à ses amis, et entre autres à son frère le commandeur de Souvré, qui demanda au cardinal Mazarin sa protection. Le cardinal promit tout ce qu'on voulut, et l'on étoit assuré de l'amitié de M. d'Enghien. On presse donc tout de nouveau madame de Coislin, qui, éprise du chevalier, ne put résister davantage. On fait jeter un ban sous leurs véritables noms, à quelque chose près; il n'y avoit que Saguier pour Séguier, et Lavau pour Laval, et cela pouvoit passer pour une faute de copiste. Pour le nom du marquis de Coislin, il étoit connu de fort peu de gens, et on ne savoit guère qui étoit César Du Cambout[162]. Pour les deux autres, on en eut dispense. Ils vouloient avoir permission d'épouser en quelque village, car la veuve craignoit d'être reconnue de son curé[163]. Le grand-vicaire, car il n'étoit pas sûr de s'adresser à l'archevêque, qui eût tout reconnu incontinent, dit qu'il ne pouvoit donner la dispense, et qu'il les renvoyoit pour cela à leur curé. Le curé refuse. On retourne encore au grand-vicaire, qui renvoie une seconde fois au curé. [162] Pierre-César Du Cambout, marquis de Coislin, colonel-général des Suisses. [163] Loisel, curé de Saint-Jean en Grève. (T.) Cependant on avoit pris jour pour épouser, et madame de Coislin devoit se rendre chez la marquise le lendemain à dix heures du matin. La marquise, qui avoit de bons espions, fut avertie, avant que de se coucher, que La Feuillade[164], qui fut depuis tué à Lens avec le maréchal de Gassion, avoit été le soir jusqu'à minuit chez madame de Coislin. Il s'étoit avisé, depuis quinze jours ou environ, qu'elle eût bien été son fait, et elle, qui avoit à faire le lendemain une si grande affaire, souffroit un galant chez elle jusqu'à minuit. On a remarqué depuis que cette femme, tant qu'elle a un mari, ne souffre pas la moindre ombre de galanterie, mais que dès qu'elle est veuve elle écoute tout le monde. Pour sa personne, elle est assez belle, mais il n'y a point d'excès. La marquise n'en passa pas mieux la nuit pour avoir su que La Feuillade avoit été si tard chez madame de Coislin; elle se défioit fort de la cervelle de la dame; car une autre fois qu'elle devoit se rendre en un lieu, où l'on croyait les épouser, ne prévoyant pas la difficulté qui se rencontroit, elle n'y alla point pour ne pas perdre une comédie. Le lendemain donc, jour assigné pour épouser, le chevalier de Bois-Dauphin et le chevalier de Rivière[165] avec Couleau, homme d'affaires de la marquise, furent à Saint-Jean; ils demeurèrent à la porte, et Couleau seul entra pour demander au curé permission d'épouser à Saint-Laurent, hors la ville. Le curé, bien loin de la lui donner, se douta de quelque chose, et ne voulut plus rendre la dispense des deux bans que Couleau lui avoit mise entre les mains. Couleau la lui voulut arracher, et rompit un petit morceau du papier qu'il fut contraint de lui laisser, et va conter tout le désordre aux deux chevaliers. Le chevalier de Bois-Dauphin, sans s'émouvoir autrement, voyant qu'il n'y avoit pas moyen d'épouser ce jour-là, s'en alla en franc jeune homme chez les baigneurs; car il s'étoit levé de bonne heure, et n'avoit pas eu le loisir de s'ajuster. Cependant madame de Coislin, qui devoit venir à dix heures, n'étoit pas venue à onze: elle arrive enfin sur le midi, dit pour ses excuses que Pepin, son intendant, l'avoit arrêtée; elle parut assez froide et assez interdite; elle étoit étonnée de ce qu'elle alloit faire. Couleau arrive là-dessus qui conte toute la déconvenue: voilà tout le monde bien déferré. On envoie chercher le commandeur; sa sœur le prie d'aller parler au curé. Il y va et retire la dispense; ensuite il va trouver le grand-vicaire, qui refuse la permission et renvoie encore au curé. Jugez de l'inquiétude de la marquise. Elle voyoit que beaucoup de gens savoient la chose, car elle avoit été obligée de la dire à tous ses amis. Il y avoit jusqu'à quatre-vingts personnes qui savoient ce secret, en comptant M. d'Enghien et la Reine, à qui le cardinal l'avoit dit le matin. Cependant, comme on l'a su depuis, ils ne s'en étoient rien dit l'un à l'autre, et chacun, hors la Reine, le savoit du chevalier, de la marquise ou de son frère. A la vérité, il faut avouer que le peu de cas que l'on faisoit du chancelier avoit fort contribué à faire garder le secret. La marquise craignoit que le curé n'eût lu les noms et n'y eût fait réflexion, ou même que le grand-vicaire ne se doutât de quelque chose; mais ce qui la fâchoit le plus, c'étoit que son fils y eût mis autant de légèreté. Dans ce chagrin on servit à dîner, car on s'attendoit de venir dîner après avoir épousé; mais personne ne put jamais se résoudre à manger, et on fut contraint de tout remporter. Madame de Coislin et la marquise se grondèrent un peu, et l'amante, avec un ton aigre, demanda où étoit donc M. le chevalier de Bois-Dauphin. La marquise l'excusa du mieux qu'elle put, et on passa le temps fort mélancoliquement jusqu'à quatre heures que le chevalier arriva. Sa mère et mademoiselle de Chalais lui parlèrent avant qu'il vît sa future épouse, et le haranguèrent bien pour lui faire promettre qu'il la presseroit d'épouser de quelque façon que ce fût. Il le leur promit; mais il ne le fit que foiblement, ou plutôt ne le fit point du tout; car il lui sembloit que cela n'étoit pas dans la bienséance: il avoit l'âme belle et généreuse; je l'ai remarqué encore à une chose. Il s'étoit fait peindre en Achille, et, pour marquer que c'étoit Achille, le peintre avoit voulu mettre dans l'éloignement, comme il traînoit Hector autour de Troie. Laval lui dit: «Mettez-y autre chose, je vous prie; je n'approuve nullement cette cruauté.» Dès qu'il parut on n'eut plus de peine après madame de Coislin, et elle étoit d'autant plus gaie qu'elle voyoit la nuit approcher (c'étoit l'hiver), pensant qu'elle n'épouseroit point ce jour-là. Elle reculoit toujours par timidité, craignoit le pouvoir d'un chancelier de France, et considéroit que son père l'aimoit tendrement, et beaucoup plus que son autre fille. J'oubliois que la marquise gronda un peu le chevalier, toutefois elle étoit ravie de le voir; car elle avoit appréhendé que, ne croyant pas qu'il y eût rien à faire ce jour-là, il ne retournât qu'à minuit, à son ordinaire. Cependant quarante gentilshommes ou environ qu'il avoit priés de se promener aux environs de Saint-Laurent deux à deux, et tous séparément sans faire semblant de rien, se promenèrent tout leur soûl, car il les oublia et ne leur envoya rien dire. [164] Léon d'Aubusson, comte de La Feuillade, tué à la bataille de Lens, en 1647. C'étoit le frère aîné du maréchal de La Feuillade. [165] Le chevalier de Rivière fit une chanson sur l'air de _Catane la belle jardinière_: Beau, bien fait, de grande naissance Vous êtes, mon cher Bois-Dauphin; Mais avouez, en conscience, Que c'est un grand coup du Destin, Que le cadet d'un pauvre frère Soit gendre de la chancelière. Quand le galant vit l'assemblée Qui assistoit à son bonheur, Il dit d'une voix non troublée: Messieurs, vous me faites honneur, Ma foi! monsieur l'évêque d'Aire, Vous me tirez de grand'misère. (T.) Le chevalier de Rivière a fait beaucoup de chansons et vaudevilles; on lui attribue les recueils de ces sortes de pièces. La marquise, voyant que le commandeur n'avoit fait qu'une partie de ce qu'il falloit, conclut qu'il falloit les faire épouser par le premier prêtre, parce qu'il étoit impossible que la chose ne se sût, et, qu'elle, qui avoit bien des affaires, s'alloit mettre pour rien un chancelier de France sur les bras. Pour cela elle envoya prier l'évêque d'Aire[166] de prendre la peine de venir chez elle; il avoit été élevé auprès de M. d'Auxerre, frère de la marquise, et lui devoit toute sa fortune. M. d'Aire arrive comme on ne trouvoit point de prêtre: «Vraiment, dit-il, ce seroit une étrange chose que, faute d'un prêtre, l'affaire manquât, je les marierai plutôt moi-même; car je ne doute pas, ajouta-t-il, que M. de Saint-Jean ne me donne la permission.» Il y va. Le curé la lui donne à condition qu'il se chargera de l'événement. L'évêque prend ce qu'il falloit pour les marier (un livre et un surplis), et le donne à un de ses parents, qui depuis a été à M. de Laval, pour le porter chez la marquise. Et lui, au lieu d'aller vite achever une affaire si importante et si délicate, s'en alla à une comédie où M. de Bordeaux l'avoit convié. Celui qui avoit apporté le livre pour marier étoit un jeune homme qui s'en alla dans la cuisine de la marquise, et se mit à lire dedans. «Oh! dit-il, c'est un livre à marier.» Le bruit s'épand aussitôt parmi les domestique, les laquais du commandeur et ceux du chevalier de Rivière, qu'on devoit marier quelqu'un ce soir-là. Enfin M. d'Aire arrive à dix heures du soir et les marie[167]. Après tout le monde les laissa, et ils furent une heure et demie ensemble. Les gens de madame de Coislin vinrent à minuit, selon l'ordre qu'ils en avoient. Elle leur dit qu'ils étoient venus bien tard, et s'en retourna comme si de rien n'eût été. Le nouveau marié alla courir chez ses amis pour le leur dire, et éveilla madame de Lansac, sœur de sa mère, à trois heures du matin, et de là il s'alla reposer chez Prudhomme[168]. Le matin, dès cinq heures, il y avoit trois laquais avec des billets à la porte de la marquise pour lui en faire compliment. Madame de Lansac vint après qui lui dit que tout le monde le savoit, et qu'il falloit mettre madame de Coislin en lieu de sûreté. Elle étoit encore au lit que Pepin, son intendant, lui vint dire que tout le monde par la ville disoit qu'elle avoit épousé M. le chevalier de Bois-Dauphin. Elle fit la rieuse au commencement; mais enfin elle le lui avoua. M. le chancelier fut celui qui le sut le plus tard. Sa femme pensa attraper madame de Laval (ce fut ainsi que le chevalier l'appela après avoir été marié, car il est de cette maison) chez la marquise: elle n'eût que le temps de sortir par la porte de derrière. On la mena au Palais-Royal, dans la chambre de madame d'Hautefort qui lui avoit offert retraite. [166] Boutaut, de Tours. (T.) [167] Il lui assigna son douaire sur une pièce de vingt francs; c'est qu'il tira un quadruple, quand il fallut donner une pièce, comme on les épousoit. (T.) [168] Un baigneur célèbre. (T.) Ce fut le cardinal qui le dit au chancelier. Cet homme, assez étonné de ce que le cardinal le mandoit, car ils avoient parlé ensemble le jour même au conseil, alla au Palais-Royal avec quelque inquiétude. Le cardinal lui dit: «Monsieur, j'ai une mauvaise nouvelle à vous dire.» Le chancelier crut qu'on lui alloit ôter les sceaux, et lui répondit: «Monsieur, il y a long-temps que je m'y prépare.» Le cardinal continua, et lui conta le mariage de sa fille. On a cru que le cardinal lui voulut donner exprès l'épouvante, afin que, trouvant moins de mal qu'il n'en avoit attendu, il fût plus disposé au pardon; mais je croirois, tout au contraire, que cela fut cause en partie de l'éclat qu'il fit après, fâché de la frayeur qu'il avoit montrée, et d'avoir témoigné qu'il se défioit de son crédit, car il s'emporta autant qu'on se peut emporter. Avant que sa colère eût fait du bruit, M. d'Émery le fut trouver, et lui donna un conseil judicieux: «Vous êtes, lui dit-il, monsieur, en une place où vous ne pouvez vous cacher. Si vous voulez éclater, allez jusqu'au bout; sinon, pardonnez de bonne heure.» Le chancelier ne fit ni l'un ni l'autre, comme on verra par la suite. D'abord il jeta feu et flamme; envoya tout saisir chez sa fille, jusqu'aux chevaux, et prit ses petits enfants chez lui. La chancelière, qui n'aime que sa fille de Sully, la cadette, ou du moins qui l'aime sans comparaison plus que l'autre, elle est plus aimable aussi, l'aigrissoit autant qu'il lui étoit possible; car elle est même jalouse de l'amitié qu'il a pour l'aînée. Ce fut elle qui l'empêcha de voir son gendre pendant un an entier. Les nouveaux mariés se retirèrent pour quelque temps à Berny; on voulut donner cette petite satisfaction au chancelier. On dit que les gueux qui avoient accoutumé de se bien trouver de la cuisine de madame de Coislin, quand ils virent que M. le chancelier faisoit emporter les meubles de chez sa fille, disoient entre eux: «Vraiment, ce M. le chancelier est plaisant de se fâcher; il a marié sa fille une fois à un petit bossu mal bâti, et il trouve mauvais qu'une autre fois elle se soit mariée à un gentilhomme qui est aussi beau qu'un ange.» Cependant M. le cardinal, M. d'Enghien et cent autres ne perdoient pas une occasion de parler au chancelier pour les nouveaux époux, et ils firent tant qu'il consentit que M. de Meaux, son frère, et M. et madame de Sully les vissent; et quelque temps après il promit lui-même de les voir, mais il ne dit pas quand ce seroit. En ce temps-là M. d'Enghien fut demander à M. le chancelier la grâce de Saint-Etienne[169]: M. le chancelier la lui refusa, dont le prince irrité lui dit des choses assez fâcheuses, et entre autres qu'on voyoit qu'il faisoit cela à cause de Laval. Laval ayant su la chose, alla vite trouver M. d'Enghien, et lui dit: «Ah! monsieur, vous m'avez perdu.» M. d'Enghien dit qu'il feroit tout ce qu'il voudroit pour raccommoder ce qu'il avoit gâté. En effet, il vit M. le chancelier en lieu tiers, et le satisfit. Le chancelier vit en cela l'estime qu'on faisoit de son gendre, et que sans lui il n'auroit reçu aucune satisfaction de l'injure qu'on lui avoit faite. [169] Saint-Etienne, dont le père étoit gouverneur de Château-Renault, avoit enlevé, à Reims, mademoiselle de Sallenauve, et il s'étoit battu en duel. (Voyez plus bas l'article de mademoiselle de Sallenauve.) Il arriva encore une autre aventure dont Laval tira avantage; car, comme si les gens eussent pris à tâche de faire insulte au chancelier, Tréville, dont la compagnie de mousquetaires avoit été cassée au commencement de la régence, avoit eu un don qui étoit fort à la charge du Béarn, sa patrie; M. le chancelier refusa de lui en donner les expéditions, et lui, par une insolence inouie (c'est un homme fort brutal), rompit les lettres en plein sceau, et se retira en menaçant. Le chancelier faisoit état de s'en plaindre au conseil d'en haut; le lendemain, Laval en est averti par Sainte-Maure, un brave homme de ses amis; il l'envoie appeler Tréville; Tréville dit qu'il voyoit bien d'où cela venoit, et qu'il ne se vouloit point battre: l'autre lui propose tous les expédients imaginables pour faire passer cela pour une rencontre. Tréville n'y voulut jamais entendre, dit qu'il ne se cacheroit point, et qu'on se rencontreroit bien toujours. Sainte-Maure le menace de dire à tout le monde qu'il a refusé un appel. «Je ne m'en soucie pas, dit Tréville, on sait assez qui je suis.» L'appel se sait, et, en même temps, la cause de l'appel; la Reine, pour satisfaire le chancelier, fit tenir prison à Tréville durant quelques jours. Le chancelier fut touché de la bravoure et de la générosité de son gendre, et le vit bientôt après. La chancelière enrageoit, et fut trois semaines à Pontoise sans vouloir revenir que le chancelier n'eût donné une assez grosse somme d'argent à madame de Sully. Voilà notre cavalier aux bonnes grâces de son beau-père. Le chancelier ne pouvoit plus vivre sans lui, et lui ne perdoit point occasion de lui rendre ses devoirs. Le désordre de Saint-Eustache servit encore à le faire aimer et estimer du chancelier; voici comment cela arriva. Le curé de Saint-Eustache étant mort, Merlin, un de ses neveux, et le frère d'un maître des requêtes, nommé Poncet, disputèrent cette cure. Les femmes de la paroisse, au moins celles des halles, se trouvèrent au grand conseil le jour de l'audience; ensuite tout le menu peuple de cette grande paroisse s'émut; et, parce que le chancelier portoit Poncet, près de quatre cents femmes voulurent aller chez lui pour lui parler en faveur du neveu de leur curé; car le peuple espéroit qu'il seroit aussi charitable que son oncle avoit été. Le suisse ouvrit pour les repousser, mais il ne put refermer la porte, et ces femmes le pressèrent tellement qu'il fut contraint de s'enfuir, et il se sauva dans une maison vers Saint-Eustache, où il s'enferma: c'étoit le matin. On en vint avertir M. de Laval, qui logeoit dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre; il n'étoit pas achevé d'habiller; il prend son pourpoint à la main, et se fait mener par le carrosse de madame Lansac qui étoit chez lui; il s'habille en chemin faisant. Ses gens avec des armes arrivent presque aussitôt que lui chez le chancelier; ils suivirent leur maître, qui passa sur le ventre à toute cette populace émue, car on avoit sonné le tocsin, et il alla délivrer le suisse. Cet exploit ne se fit pas sans péril, il essuya bien des coups de pierre, et entre autres un gros grès qu'on jeta d'une fenêtre, et qui tomba justement à ses pieds. Avant que d'y aller, il avoit envoyé son frère le chevalier demander à la Reine une compagnie des gardes; cette compagnie fut long-temps à venir, et le suisse étoit délivré quand elle arriva. Dès qu'il ouit le tambour, il y courut encore, et avec ce renfort perça jusqu'à Saint-Eustache, et on a dit qu'à la chaude il tira un coup de pistolet dans l'église. Pour achever l'histoire de l'émeute, j'ajouterai que les femmes des halles allèrent en corps au Palais-Royal, et que là une dame Denise dit à la Reine qu'ils vouloient ce curé-là, parce qu'ils avoient accoutumé de les avoir de père en fils, et qu'ils n'avoient que faire de cet _adultère_ de Poncet; elles vouloient dire _indultaire_[170]. Enfin, comme on vit que cela alloit trop loin, on fit dire aux paroissiens par Tubeuf, alors marguillier de la paroisse, que la Reine, à leur prière, donnoit la cure au neveu du feu curé. On en chanta le _Te Deum_, et le peuple disoit que ce M. Tubeuf étoit un honnête partisan. On ajoute encore qu'un charbonnier alla embrasser le nouveau curé, et que, comme l'autre lui disoit: «Vous me gâtez mon surplis,» il lui répondit: «J'ai encore un quart d'écu, monsieur le curé, pour le faire savonner; laissez-moi vous embrasser tout à mon aise.» [170] Poncet avoit droit à cette cure en vertu de l'Indult, qui appartenoit à son frère, comme maître des requêtes. Depuis le désordre de Saint-Eustache jusqu'à sa mort, Laval fut le tout puissant chez le chancelier, et la marquise de Sablé y étoit quasi aussi bien que lui. Par une bonté assez rare à la cour, il avoit toujours sur lui une liste de ceux dont il vouloit recommander les affaires à son beau-père. Outre qu'il étoit aimable de sa personne, quoiqu'il commençât un peu à grossir (son père étoit fort gros), il étoit fort civil et dans un perpétuel enjouement. Partout où il se trouva, il fit toujours tout ce qu'un homme de cœur pouvoit faire, et s'il eût vécu, il eût sans doute été bien loin. Le chancelier se résolvoit à ouvrir la grand'bourse pour lui acheter quelque belle charge. A Dunkerque, où il fut tué, il avoit acquis tant de réputation que M. d'Enghien le regardoit comme un appui de sa grandeur. A ce siége pourtant il fit une jeunesse peu excusable. Lui et quelques petits maîtres faisoient la débauche dans une maison devant laquelle on alloit pendre un soldat; ils étoient déjà gaillards, quand quelqu'un, peut-être fut-ce lui-même, car il étoit pitoyable, dit dans la chaleur du vin: «Il faudroit sauver ce pauvre diable et tuer le bourreau.» En effet, ils tirèrent et tuèrent, non pas le bourreau, mais un soldat qui assistoit à l'exécution. Cela fit du désordre: cependant on l'apaisa. On conta cela à la Reine, et le vin fit tout excuser. Il se piqua de faire un logement qui étoit si important que de là dépendoit le succès du siége; il y alla après que deux autres maréchaux de camp en eurent été repoussés. Il avoit avec lui un ingénieur huguenot, nommé Dutens, qui lui dit qu'il n'y iroit sans casque. Laval lui donna un chapeau de fer qu'il avoit, et après fit le logement; mais il y reçut un coup de mousquet par la tête, dont il mourut au bout de dix-sept jours. Le chevalier Chabot, autre maréchal de camp, garçon de cœur et de mérite, y fut aussi tué en même temps. Cependant, quoiqu'il fût fort estimé, Laval l'obscurcit de telle façon qu'on ne songea pas à le plaindre. Le chancelier pleura de la mort de son gendre comme un enfant, et eut cent fois plus de déplaisir de sa perte, qu'il n'en avoit eu de son mariage. Pour madame de Laval, au bout de quelque temps elle s'apaisa, et bientôt il n'y parut plus. On disoit qu'elle étoit entre deux selles, le cul en terre, parce que sa sœur et les sœurs de son premier mari avoient toutes le tabouret. Deux mois après, elle fut passer l'automne à Saint-Liébaud[171], vers Moret. Vardes, qui l'avoit vue en divers lieux, mais sans lui en conter, au lieu de prendre occasion du voisinage et de la parenté qui étoit entre lui et l'abbé de Bois-Dauphin[172], qui étoit avec elle, s'avisa mal à propos d'envoyer un gentilhomme à la belle avec une lettre dont elle se mit fort en colère. Il demandoit permission de l'aller voir, et aussi, je pense, de la servir. L'abbé, qui alloit à la chasse, ayant appris cela, rentre et l'apaise du mieux qu'il peut, puis le lendemain va trouver Vardes: «On ne ferme pas la porte aux gens comme vous, lui dit-il; vous n'en deviez point user ainsi.» Vardes confessa qu'il avoit tort. Le chancelier, et c'est ce qui fit parler, prit cela de travers, crut que sa fille vouloit encore se marier à sa fantaisie, et, bien loin de la laisser revenir à Paris, il l'obligea à aller pour quelque temps à Sully. [171] Une des terres que le chancelier a eues à vil prix. (T.) [172] Aujourd'hui évêque de Léon. (T.) Elle dit qu'elle est encore un peu jalouse de celles que M. de Laval a aimées, et qu'une de ses plus grandes joies seroit de voir que quelqu'une de celles-là fût devenue laide. Elle prend plaisir, quand elle est en confidence avec quelqu'un, à parler de la passion qu'elle a eue, à dire ce qu'elle a senti et ce qu'elle sent encore, et elle n'a garde de faire tant la coquette cette fois-ci que l'autre. ESPRIT. Esprit[173], l'académicien, sortit de chez le chancelier à cause de ce mariage; car jamais le chancelier ne se put persuader qu'un homme qui ne bougeoit de chez madame de Laval ignorât cette amourette: cependant la marquise (de Sablé) et mademoiselle Chalais jurent qu'il n'en savoit rien. Esprit avoit un frère aîné, petit homme, mais qui a de l'esprit comme un lutin: il étoit précepteur de l'abbé de Fiesque, parent de madame de Rambouillet; ainsi il eut entrée à l'hôtel de Rambouillet, et il y introduisit son second frère, aujourd'hui premier médecin de M. d'Anjou[174]; le troisième, dont nous parlons, y fut aussi introduit. A son arrivée de Béziers, lieu de leur naissance, il faisoit de si longues visites qu'on croyoit qu'il vouloit demeurer à coucher chez les gens. [173] Jacques Esprit, de l'Académie françoise, né à Béziers en 1611, mourut dans sa patrie en 1678. L'abbé de Cerizy, qui étoit chez M. le chancelier, fit en sorte que le chancelier le prit; après on le fit de l'Académie. Il ne sait pourtant quasi rien, et n'avoit que quelques paraphrases de psaumes assez médiocres[175]. Là il intriguoit assez, servoit qui il pouvoit, et parloit plus hardiment que les autres beaux esprits de la maison; car il a toujours fait le plaisant, mais quelquefois il ne l'est guère. Or, un jour Verpillière, qui étoit à madame de Longueville, et dont il sera parlé amplement dans les Mémoires de la Régence, ayant quelque chose à demander à M. le chancelier, Chapelain écrivit à Esprit qu'il se rencontroit la plus belle occasion du monde pour un coquet comme lui, qu'une des plus belles filles de France, etc. Il fit ce qu'on souhaitoit de lui; de sorte que, quand il fut dehors de chez le chancelier, il s'alla loger auprès de l'hôtel de Longueville, où Verpillière le mit bien avec sa maîtresse. Il a eu, par sa faveur, deux mille livres de rente sur une abbaye qu'on donna à La Croisette, intendant de la maison. Il avoit déjà mille livres de pension sur le prieuré d'Argenteuil, que depuis il a remise par scrupule. Madame de Laval les lui avoit fait donner. Il suivit madame de Longueville à Munster; on parlera de lui ailleurs. [174] Frère de Louis XIV, depuis duc d'Orléans, et père du régent. [175] On a de l'abbé Esprit le livre _de la Fausseté des vertus humaines_, ouvrage médiocre, qui est une faible contre-épreuve des _Maximes_ du duc de La Rochefoucauld. On croit qu'il n'a pas été étranger à la composition de ce dernier ouvrage, et que la marquise de Sablé y a aussi eu quelque part. Depuis, passant du blanc au noir, après la délivrance de M. le Prince, il se mit dans l'Oratoire où son frère aîné étoit déjà. A cause de ses austérités, il avoit là des maux de tête qui l'eussent rendu tout-à-fait fou, si le médecin ne l'en eût fait sortir. Ce médecin se plaignoit de lui, et disoit: «Quelle folie! il leur faut une inspiration du Saint-Esprit pour se laisser voir à leur parents.» Au sortir de là, il alla se promener. Il fut voir M. et madame de Montausier à Angoulême; il alla en Languedoc, où il se donna au prince de Conti, avec lequel il est présentement; mais il n'est pas si dévot qu'on diroit bien. Depuis il s'est marié avec une assez belle fille, et cela, dit-il, pour l'acquit de sa conscience. Sa maison a une porte dans le jardin du Palais-Royal; on l'y voit toujours avec sa femme. L'abbé d'Effiat prétend qu'elle a dit: «Mon Dieu! je ne m'aperçois point que ce soit par principe de conscience que M. Esprit s'est marié!» Elle l'a dit comme moi. SARRAZIN. Sarrazin[176] étoit fils d'un homme de Caen qui étoit comme le parasite d'un vieux garçon nommé Foucault, qui étoit trésorier de France à Caen. Foucault le logeoit chez lui, et enfin lui vendit sa charge, dont il ne toucha que sept ou huit mille livres, qui étoit peut-être tout le vaillant de Sarrazin; le reste se devoit prendre sur les émoluments de l'office. Foucault mourut au bout de deux ans, et Sarrazin épousa la gouvernante du vieux garçon, pour ne rien dire de pis. La donzelle et lui s'étoient apparemment entendus ensemble à piller le vieux garçon. Le Roi obligea les trésoriers de Caen de se faire conseillers de la cour des Aides de Rouen que l'on fit semestre en ce temps-là. Voilà comment notre Sarrazin étoit fils d'un trésorier de France à Caen, et conseiller de la cour des Aides de Rouen. C'étoit si peu de chose pour la naissance qu'il y a encore en Normandie un de ses cousins germains qui est fils d'un ciergier, et qui est curé de village. Cependant quand il vint à Paris, il faisoit l'homme de bonne naissance, et l'homme accommodé. Il eut d'abord la connoissance de mademoiselle Paulet qui, en le présentant, ne manquoit jamais de dire que c'étoit une personne de bon lieu et fort à son aise. Il est vrai qu'il avoit un carrosse; mais ses chevaux étoient les plus mal nourris de France. [176] Jean-François Sarrazin, né en 1605, mort en 1655. Il s'amusa ici à _pindariser_, et fut contraint d'épouser une vieille madame Du Pile, veuve du maître des comptes. Il a toujours fait le plaisant, et il s'avisa de faire je ne sais quels articles de mariage en prose, qui étoient, à dire vrai, une assez mauvaise galanterie. Il y avoit, entre autres choses, qu'il ne seroit plus _sans croix ni pile_. A rendre turlupinade pour turlupinade, on lui eût pu dire assez long-temps qu'il n'étoit point _sans croix_, mais bien _sans pile_; car sa femme le tourmentoit et ne lui donnoit pas un sou. Elle lui devoit donner mille écus; mais elle vouloit qu'il couchât avec elle; lui ne le vouloit point. «Mais, lui disoit Ménage, que n'y couchez-vous?--Couchez-y vous-même, si vous voulez,» lui répondoit-il. Je crois que Ménage l'a assisté, et la table du coadjuteur, dont il lui donna la connoissance, lui fut d'un grand secours. Une fois qu'il y étoit, Du Bois[177], qu'on appeloit vulgairement le fastidieux M. Du Bois, s'avisa, tandis que tout le monde s'étoit levé pour recevoir un évêque, et qu'on faisoit des révérences, d'arranger les siéges derrière chacun; il oublia Sarrazin, qui, croyant trouver son siége où il l'avoit laissé, voulut s'asseoir, et donna du cul à terre. Quand il fut relevé, on lui demanda quelle pensée il avoit eue en ce moment-là; il prit un ton sérieux, et dit: «J'ai songé si j'étois un homme à qui on dût faire un tour comme celui-là.» Le coadjuteur fut obligé de rechercher d'où cela venoit, et de lui dire qu'il en étoit bien fâché. Pour moi, cela me fait croire que Sarrazin n'avoit pas toute la présence d'esprit imaginable, car il falloit faire accroire que c'étoit sa faute, qu'il étoit bien maladroit, etc. [177] L'amant de mademoiselle Paulet. (T.)--C'étoit un docteur en théologie, mais Tallemant dit lui-même qu'on n'en a pas médit. (_Voyez_ l'article de mademoiselle Paulet, t. 1, p. 196.) Il fut près de quatre ans comme le courtisan du coadjuteur, jusqu'à aller à Bourbon avec lui. Je me souviendrai toujours de la burlesque carrossée de gens que c'étoit. Sarrazin, quoique grand et bien fait de sa personne, étoit pourtant ce jour-là terriblement fagoté en auteur, et tous les autres en prêtres de village; cela sentoit la pédanterie à cent pas à la ronde. J'oubliois que Sarrazin fut mis dans la Bastille, comme on verra dans les Mémoires de la Régence, parce qu'on le soupçonnoit d'avoir fait de méchants vers contre le Roi à l'occasion des machines des comédiens italiens. On lui faisoit tort, il ne les eût pas faits si mauvais. Il jura, au sortir de là, de n'en faire plus; mais il recommença dès le blocus de Paris, ou peut-être plus tôt. A la guerre de Paris, le coadjuteur fit tant par le moyen de madame de Longueville, que le prince de Conti prit Sarrazin pour secrétaire. La nécessité, ou l'humeur normande, ou peut-être toutes les deux ensemble, firent que Sarrazin, quoiqu'il eût été couché sur l'état de M. le Prince, à la vérité, c'étoit pour la première place vacante, ne fit aucune difficulté d'accepter cet emploi. Le prince de Conti avoit plus de tort que lui; car tandis que Montereul[178] l'académicien étoit à Rome pour lui avoir un chapeau, il lui ôtoit la moitié d'un emploi pour lequel il avoit refusé les plus belles résidences. Montereul, de retour, ne fit point le fâché; il étoit plus fier que l'autre, c'étoit un Français italianisé, _Francese romanescato_, comme on dit à Rome; et quoiqu'il eût été traité en cadet, lui qui étoit le premier en date, il fit semblant d'être content du partage. Il n'avoit que les bénéfices, et l'autre avoit la maison et le gouvernement (c'étoit la Champagne). On disoit que madame de Longueville avoit porté Sarrazin. Dès la première année, Sarrazin dit à un homme de ma connaissance qu'il n'avoit aucune obligation au coadjuteur de l'avoir fait entrer chez le prince de Conti, et que le coadjuteur lui en devait encore de reste; qu'un temps fut qu'il l'eût voulu voir noyé, et qu'il le donneroit encore au diable sans cet établissement, que quatre ans de son temps ne se pouvoient assez payer. Notez qu'il fût peut-être mort de faim sans lui. [178] Jean de Montereul, frère de Mathieu, duquel on a des lettres et de jolis madrigaux. Il n'existe rien d'imprimé de l'académicien. Dès que la paix fut faite, il fit le petit ministre et l'homme passionné pour son maître. Quelqu'un lui ayant dit: «Qu'est-ce cela? je vous trouve tout triste.--Je ne me porte pas bien, répondit-il gravement, M. le prince de Conti se trouve mal.» Il ne s'épargna pas à faire des friponneries. Le coadjuteur présenta l'abbé Amelot au prince de Conti, à qui l'abbé demandoit quelque prieuré. Le prince de Conti accorda le prieuré. L'abbé, pour plus prompte exécution, donne cent pistoles à Sarrazin; Montereul étoit absent, si je ne me trompe. Le premier président de la Cour des aides demande le même bénéfice; le prince de Conti le lui donne. Voyez quelle manière de faire! L'abbé demande ses cent pistoles à Sarrazin, qui répond: «Il n'a pas tenu à moi que vous n'ayez eu le bénéfice; je tiendrai ce que j'ai promis, faites que M. le prince de Conti en fasse de même.» L'abbé se plaint au coadjuteur qui peste: «Comment! ce _poétereau_, prendre de l'argent de mes amis! un homme dont j'ai fait la fortune!» Sarrazin répondit à cela ce que j'ai déjà dit, qu'il ne lui en avoit aucune obligation, etc. Ménage et lui se brouillèrent là-dessus, et Ménage disoit: «Ils se sont bien rencontrés Montereul et lui pour se tirer de belles bottes de fourberie.» Il s'est trouvé qu'un nommé Du Bois, qui commandoit les chevau-légers du prince de Conti en Champagne, durant le quartier d'hiver, avoit tant volé, que ce prince fut contraint d'envoyer un exempt de ses gardes pour le faire arrêter; il avoit six mille livres en argent qu'il avoit volées en moins de rien, sans toutes les autres choses. Il ne parut point étonné de se voir pris, et dit qu'il savoit bien qu'il ne seroit pas désavoué. Il avoit été résolu que des six mille livres il en rendroit cinq, quand il arriva un ordre de l'en quitter pour trois mille livres; cet ordre venoit de Sarrazin; cela a fait croire que les deux autres mille livres étoient sa part. Un gentilhomme de Brie pria Courtin[179] de parler à Sarrazin pour faire déloger des gens de guerre de son village. Sarrazin lui dit: «Cela vaut fait.» Quatre jours se passent; il fallut quarante pistoles, et le village étoit mangé avant que l'ordre arrivât. Il fit pis que tout cela; car après avoir expédié tout ce qu'il falloit pour un quartier d'hiver à Bourgogne, homme de service qui étoit dans le parti du prince de Conti: «Vous verrez, lui dit-il, s'il n'y auroit point dix pistoles pour nous.» Avec cela il n'a pas eu l'occasion de s'enrichir: les brouilleries lui ont nui, et la cour l'a trompé. Il n'eut rien du cardinal qui lui avoit tant promis. Le mariage du prince de Conti fut fait sans qu'on lui donnât un sou; Cosnac[180] n'eût pas même été évêque sans que le prince de Conti s'y obstina. Ils avoient pourtant tous deux bien servi le cardinal, et fort mal leur maître. [179] Le petit Courtin qui avoit été à Munster; il est maître des requêtes. [180] Daniel de Cosnac, évêque de Valence. Le huitième livre des _Mémoires de Choisy_ lui est presque entièrement consacré. (_Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, tome 63, p. 36.) Sarrazin n'étoit point fin, quoiqu'il fût Normand; il n'a jamais eu de cervelle: pour preuve de cela, il ne faut que dire qu'il affectoit de faire accroire à Bordeaux qu'on lui envoyait de l'argent de chez lui; car ayant fait une garniture de ruban couleur de rose, il dit qu'il avoit reçu une petite lettre de change de Normandie. Madame de Longueville se moqua fort de cette impertinente vanité. Angerville, gentilhomme de Caen, qui étoit au prince de Conti, lui dit: «Notre cher, je vous avertis qu'il n'y a nulle apparence, dans l'emploi que vous avez (Montereul étoit mort), de croire que les gens seront assez sots pour s'imaginer que vous n'y gagnez pour avoir du ruban.» Le lendemain, pensant bien raccommoder la chose, il prit un méchant habit, et fut quelque jour en linge sale. Il vouloit passer pour un homme qui prévoyoit les choses, et toujours il étoit surpris; il se faisoit toujours de fête mal à propos. M. le prince de Conti étant demeuré seul à Bordeaux, et se défiant de Marsin[181], se servoit de Chouppes[182], qui un jour lui voulut faire faire quelque chose contre les ordres de la guerre. Angerville tourna cela en raillerie, et lui dit: «On voit bien que c'est pour nous éprouver.» Sarrazin sait cela; il va dire à Angerville que Chouppes s'étoit plaint, et que M. le prince de Conti étoit mal satisfait de son procédé. Angerville, qui connoissoit bien le pélerin[183], va trouver le prince de Conti, qui lui dit qu'il n'y avoit pas songé, et il vouloit en faire recevoir le démenti à Sarrazin devant tout le monde. Angerville le supplia de n'en rien faire. Cent fois le Prince l'a traité de coquin, de fripon, en présence de ses officiers. L'autre sortoit sans rien dire, et puis revenoit aussitôt en bouffonnant: «Quoi, prince, vous rêvez!» disoit-il parfois, et continuoit sur ce ton-là. Tantôt il rimoit, tantôt il contrefaisoit quelqu'un, et faisoit tant qu'il le faisoit rire. [181] Jean-Gaspard Ferdinand, comte de Marchin (on prononçoit _Marsin_) et du Saint-Empire; il quitta le service de France en 1653 pour passer à celui d'Espagne. C'est le père du maréchal de Marchin. [182] On a du marquis de Chouppes des Mémoires importants qu'on regrette de ne pas trouver dans la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_. Ils forment deux parties in-12. (Paris, Duchesne, 1753.) [183] On surprit une lettre de Sarrazin au cardinal Mazarin, qui commençoit ainsi: «Ce petit bossu, qui fait le vaillant et qui ne l'est pas, vous demande de l'argent pour donner à des gens qui ne vous aiment point.» Le prince de Conti, sur cela, lui dit en particulier (il n'y avoit que le P. Talon, Jésuite, autrefois son précepteur, et un valet-de-chambre): «Traître, tu mériterois que je te fisse jeter par les fenêtres; va, que je ne te voie jamais.» A deux jours de là, le P. Talon, à la prière de Sarrazin, qui pleuroit comme une vache, obtint que cet homme lui donnât la comédie; et il se mit à bouffonner si plaisamment, que le pauvre prince lui sauta au cou. (T.) Pour le mariage, le prince de Conti ne s'y résolut qu'à cause qu'il intercepta une lettre de M. le Prince, par laquelle il ordonnoit aux gens de guerre d'obéir effectivement à Marsin, et en apparence au prince de Conti. Marsin et Lenet[184] avoient brouillé les deux frères. Pour madame de Longueville, ce qui la brouilla avec lui, ce fut la galanterie de Matha[185]; car le prince, qui avoit eu la vision de vouloir qu'on crût qu'il avoit couché avec sa propre sœur, dont il avoit été amoureux, ne trouvoit pas bon que Matha eût l'avantage sur lui. [184] Pierre Lenet. On a de lui des _Mémoires_ assez importants; ils font partie de la deuxième série de la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, dont ils forment le cinquante-troisième volume. [185] Ce Matha devoit être un frère de Barthélemy de Bourdeille, baron de Matha, ou _Mata_, ou _Mastas_. Barthélemy mourut en 1640, laissant un fils posthume. Ce ne peut donc être ni le père ni le fils. Il est vraisemblable que celui dont parle Tallemant est ce Matha dont Hamilton raconte des traits si plaisants dans ses _Mémoires de Grammont_. Pour revenir à Sarrazin, madame de Longueville le méprisoit furieusement et ne le pouvoit souffrir. Il est temps de parler de sa mort. Le prince de Conti ne l'a jamais outragé que de paroles; on a eu tort de dire qu'il l'avoit frappé. On croit qu'il a été empoisonné par un certain Catelan, dont la femme couchoit avec lui, après avoir couché, à ce qu'on dit, avec bien d'autres. On a cru cela d'autant plus aisément, que cette femme tomba malade le même jour, eut les mêmes accidents et mourut le même jour que lui et à la même heure[186]. [186] Le P. Talon dit que la femme ne fut point empoisonnée; que son mari, qui étoit bon gentilhomme, l'épargnoit à cause de ses parents qui étoient plus de qualité que lui; il empoisonnoit les galants d'un poison bien lent. Il croit que M. de Candale en est mort, comme Sarrazin lui fit envie de coucher avec cette femme, lui disant qu'il n'en avoit jamais trouvé de si agréable... (T.) Sa femme s'est encore remariée. Pour ses ouvrages, il n'y a, ce me semble, rien d'achevé. S'il ne se fût point jeté dans la plaisanterie, il eût été capable de quelque chose de grand. La meilleure chose que nous ayons de lui, c'est la _Pompe funèbre de Voiture_, où il ne le traite pas bien; et, pour montrer qu'il n'a pas eu dessein de l'épargner, c'est qu'il ne voulut jamais corriger quelques endroits qui ont empêché qu'on ne l'ait imprimée à la suite des œuvres de Voiture[187]. [187] On a de Sarrazin un poème badin intitulé: _Dulot vaincu, ou la Défaite des bouts rimés_. L'un des éditeurs possède un imprimé en huit pages in-4º, intitulé: _la Défaite des bouts rimés, poème héroïque, par M. Sarrazin, avec les éloges et acclamations des plus beaux esprits de ce temps_. On y lit un _Avertissement de l'imprimeur au lecteur_, par Pellisson, et quelques pièces de vers dont deux sont d'Ysarn. Cette brochure s'est trouvée dans des portefeuilles de Tallemant des Réaux, qui font partie de la bibliothèque de M. Monmerqué. Tallemant y a joint la note suivante: «Sarrazin avoit fait _la Défaite des bouts rimés_, mais il ne la vouloit point donner. C'étoit du temps du mariage du prince de Conti. Pour lui faire malice, Pellisson et Ysarn firent imprimer ceci pour le faire crier devant la porte de Sarrazin. Ce qu'il y eut de meilleur, c'est que l'imprimeur trouvoit la préface admirable.» Cette préface est une véritable facétie. LA MARQUISE DE SY. M. de Sy étoit de la maison de Bourtomont de Lorraine; mais il demeuroit en Champagne. Sa femme étoit une des plus belles femmes, et lui un des plus pauvres hommes du monde: Amoureux d'elle, c'étoit au commencement de leur mariage, il lui faisoit familièrement des caresses en présence de feu M. le comte (_de Soissons_), gouverneur de Champagne. Aussi s'en trouva-t-il comme il méritoit, car M. le comte le fit cocu. Depuis, un nommé Neufchâtel, cadet du baron de Chapelaine, dont le père[188] gagna tout son bien dans les gabelles, acheta la terre de Chapelaine en Champagne, et plusieurs autres, la fit bâtir magnifiquement, et y fit une fort grande dépense. L'Argentier se mit en tête de faire un somptueux bâtiment. A Chapelaine, ce n'est que craie; il fallut faire venir la pierre de fort loin, et le bois aussi. Il y fit porter jusqu'à de la terre, car il n'y pouvoit venir un arbrisseau. Il détourna des ruisseaux, et fit de fort beaux étangs et de beaux moulins. On dit qu'il laissa à son fils quarante mille écus de rente, plus six cent mille livres en argent, sans les meubles. Il y avoit je ne sais quel pronostic, ou plutôt je ne sais quelle vision dans la famille, que cette maison seroit brûlée. Elle le fut, je ne sais comment. Les enfants de Chapelaine ont dissipé la plus grande partie du bien, et sottement rompirent une opale grande comme une assiette pour en avoir chacun un morceau; elle valoit bien quarante mille livres. Cependant il reste encore quarante mille livres de rente dans la maison. [188] Ils s'appellent L'Argentier en leur nom. (T.) Ce Neufchâtel, qui étoit un brave garçon, et fort bien fait, devint amoureux de la belle, et en jouit. L'affaire se faisoit si hautement, que les parents du marquis de Sy l'obligèrent à appeler Neufchâtel. Cet homme, quoique fort peu vaillant, se battit, mais si mal, qu'on voyoit bien qu'il ne s'étoit battu que pour n'avoir osé contrevenir à un avis de parents. Ce combat donna encore plus de liberté à Neufchâtel: il continue à voir la dame avec tant d'autorité, que le mari et lui partagèrent, et même il eut une nuit par semaine plus que le mari. Cette folle se dégoûte du marquis à tel point, qu'elle ne veut plus qu'il couche avec elle. C'étoit, comme j'ai dit, un fort pauvre homme, et de plus fort amoureux de sa femme. Ne sachant plus que faire, il se jette aux genoux de Neufchâtel pour obtenir cette grâce de sa femme qui n'y voulut jamais consentir. Les parents de Lorraine, sans qu'il y fût, viennent avec main forte, et surprennent Neufchâtel couché avec la marquise. Il se sauve pourtant, suivi d'un valet, dans un cabinet au bout d'une galerie. Là, avec quelques armes qu'ils avoient, ils se défendirent, en tuèrent un, et puis se sauvèrent. Tout cela ne servit qu'à rendre ces amants plus insolents: ils vendent les troupeaux et coupent les bois; enfin elle se trouve grosse, et, parce que tout le monde savoit qu'il y avoit deux ans que son mari n'avoit couché avec elle, elle s'en alla en Hollande pour y accoucher. Neufchâtel l'y fut trouver, et après, elle retourna en Champagne. Voici qui est encore pis que tout le reste. Elle maria sa fille, qui n'avoit que onze ans, à Neufchâtel, et le baisoit devant tout le monde comme son gendre, et ils étoient tombés d'accord..... Une nuit qu'elle et Neufchâtel ne pouvoient dormir, ils allèrent fouetter son pauvre mari pour se divertir. Neufchâtel fut tué au blocus de Paris un an ou environ après qu'il se fut marié. Elle remaria sa fille aussitôt à un gentilhomme nommé Juvigny, à condition que le père de ce garçon coucheroit avec elle; mais elle le trouva bientôt trop vieux. Enfin elle en vint jusqu'à ses valets. Elle mourut, il y a cinq ans ou environ, âgée de trente-neuf à quarante ans. SOUSCARRIÈRE[189]. Il y avoit un pâtissier à Paris, à l'enseigne _des Carneaux_, qui traitoit par tête. Ce pâtissier avoit une femme assez jolie, à qui plusieurs personnes firent leur cour, et entre autres M. de Bellegarde. Vers le temps où ce dernier la fréquentoit, cette femme se sentit grosse et accoucha d'un fils. Ce garçon devint adroit à toutes sortes de jeux et d'exercices; il étoit bien fait et heureux au jeu; il se pousse, il gagne. Comme il étoit adroit de la main, il s'adonna à des tours d'adresse, comme de faire tenir une pistole dans la fente d'une poutre, et autres choses semblables. Il y gagna beaucoup, mais son plus grand butin fut dans ce commencement une fourberie. Il trouva un inconnu nommé Dalichon, qui jouoit fort bien à la paume; lui y jouoit bien aussi; il ne faisoit pourtant que seconder; mais c'étoit un des meilleurs seconds de France. Il fait acheter des pourceaux, des bœufs, des vaches à cet homme, et fait courir le bruit que c'étoit un riche marchand de bestiaux, à qui on pouvoit gagner bien de l'argent; que cet homme aimoit la paume: on y jouoit fort en ce temps-là. Souscarrière, c'est le nom d'une maison qu'il acheta dès qu'il eut du bien, faisoit des parties contre cet homme qui faisoit l'Allemand, et découvroit insensiblement son jeu. Notre galant trahissoit ceux qui étoient de son côté, et quand il parioit contre Dalichon, Dalichon se laissoit perdre, et faisoit perdre ceux qui étoient de son côté, ou qui parioient pour lui; et avant que la fourbe fût découverte, on dit que le marchand de bestiaux, à qui Souscarrière ne savoit que donner, gagna plus de cent mille écus. Comme il eut un grand fonds, le petit La Lande[190], qui le connoissoit, étant du même métier, car il avoit appris à jouer à la paume au feu Roi, lui dit un jour: «Pardieu: monsieur de Souscarrière, vous êtes bien fait, vous avez de l'esprit, vous avez du cœur, vous êtes adroit et heureux; il ne vous manque que de la naissance; promettez-moi dix mille écus, et je vous fais reconnoître par M. de Bellegarde pour son fils naturel. Il a besoin d'argent; vous lui en pouvez prêter. Voici le grand jubilé: votre mère jouera bien son personnage; elle ira lui déclarer que vous êtes à lui et point au pâtissier; qu'en conscience elle ne peut souffrir que vous ayez le bien d'un homme qui n'est point votre père.» Souscarrière s'y accorde. La pâtissière fit sa harangue; M. de Bellegarde toucha son argent, et La Lande pareillement. Voilà Souscarrière, en un matin, devenu _le chevalier de Bellegarde_[191]. [189] Pierre de Bellegarde, dit le marquis de Montbrun, seigneur de Souscarrière. [190] Ce petit homme étoit une espèce de m........ et d'escroc. On a dit de lui dans un vaudeville: M........ et franc cocu, Lanturlu. Ses deux filles sont du métier. Ce qu'il y a d'extraordinaire en cet homme, c'est qu'il étoit aussi franc athée qu'on en ait jamais vu: à sa mort il ne se vouloit point confesser. M. de Chavigny, qu'il appeloit Eumènes, parce qu'il étoit secrétaire comme Eumènes, y alla pour le persuader à se confesser. «Bien, lui dit-il, Eumènes, je le ferai pour l'amour de vous, et à condition que le grand _prototrosne_ (il nommoit ainsi le cardinal de Richelieu) croira que je meurs son serviteur.» Sa femme lui dit: «Si vous ne vous confessez pas, nous voilà ruinés; on ne nous paiera plus notre pension.» Il se confessa donc, et en se confessant, il disoit à sa femme: «Voyez, ma mie, ce que je fais pour vous.» (T.)--Eumènes a été secrétaire de Philippe, roi de Macédoine, et ensuite d'Alexandre le Grand. [191] Le Père Anselme a été la dupe de cette reconnoissance; et qui ne l'auroit été, puisqu'il y avoit des lettres de légitimation? Voici la mention de ce généalogiste: «Fils naturel de Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, et de Michelle ou Léonarde Aubin ou Aubert, femme absente de son mari; Pierre de Bellegarde, dit le marquis de Montbrun, seigneur de Souscarrière, près de Grosbois en Brie, fut légitimé par lettres du mois d'avril 1628, etc.» (_Histoire généalogique de la maison de France_, t. 4, p. 307.) Quelques années après, Souscarrière, pour se remplumer de quelque perte qu'il avoit faite, alla en Angleterre pour y attraper aussi les gens, car c'est un maître pipeur; il y mena des joueurs de paume, des joueurs de luth et des chanteurs, et tout cela pour amuser le monde. Il eût bien voulu que Ruvigny, dont la sœur étoit mariée en ce pays-là, eût fait le voyage pour l'introduire à la cour. Ruvigny n'avoit garde de vouloir avoir rien de commun avec un homme comme cela. Souscarrière gagna beaucoup en Angleterre, soit au jeu, soit à ses tours d'adresse; il est vrai qu'une fois il fut attrapé, car comme il s'exerçoit à faire tenir une balle dans un nid de pie, qui étoit sur un arbre dans le parc Saint-James, où le Roi alloit quelquefois se promener, un Anglois qui le vit y alla mettre de la mousse, en sorte que la balle n'y pouvoit tenir. Ainsi, quand Souscarrière, ou _le chevalier de Bellegarde_[192], comme vous voudrez, fit une grosse gageure, se croyant bien assuré de son bâton, l'Anglois, encore plus sûr que lui, gagna tout ce que l'autre voulut, et se moqua fort de lui. A propos de gageure: il fut une fois cause d'une plaisante chose à Ruel, où il y a un jeu de paume. Le cardinal de Richelieu, le maréchal de Brezé et Nogent-Bautru voyoient jouer une partie dont il étoit. Or, il avoit accoutumé de mettre une légère perruque sur ses cheveux, après les avoir bouclés, car il est fort propre, afin de n'avoir qu'à se peigner quand il avoit joué. Le cardinal et le maréchal donnèrent le mot à Souscarrière, afin d'attraper Nogent, qui est avare en diable et demi. Le maréchal commence donc à dire que Souscarrière avoit ce jour-là la tête belle. «Voire, dit Nogent, c'est une perruque.--Gage que non,» dit le maréchal. Ils gagent et qu'on iroit voir quand la partie seroit achevée. Souscarrière cependant est averti que Nogent disoit que c'étoit une perruque; il l'ôte, et Nogent trouva que c'étoit ses cheveux. On fait une autre partie; Souscarrière joue encore. M. de Chavigny arrive. Nogent, qui mouroit d'envie de regagner, fait tomber le discours sur la belle tête de Souscarrière. Chavigny, averti de tout, dit que c'étoit une perruque. Nogent, croyant avoir trouvé sa dupe, gage ce qu'il avoit perdu. Souscarrière eut le mot, remit sa perruque, et Nogent perdit pour la seconde fois. [192] Une fois chez M. d'Olonne, à propos d'un bâtard d'Espagne, Montbrun dit qu'en France on traitoit trop mal les bâtards, etc. Quelqu'un dit: «De quoi se plaint-il? on sait ce que sa mère étoit, une fort honnête femme.» C'est que beaucoup de gens disent que M. de Bellegarde n'avoit point couché avec elle, et qu'il disoit qu'au moins n'en avoit-il nul souvenir. Il étoit fils d'un loueur de chevaux, premier mari de la pâtissière (T.) Ce voyage d'Angleterre lui valut encore beaucoup en une chose, c'est qu'il en apporta l'_invention des chaises_, dont il eut le don en commun avec madame de Cavoie[193]. Pour les faire valoir, il n'alloit plus autrement, et durant un an on ne rencontroit que lui par les rues, afin qu'on vît que cette voiture étoit commode. Chaque chaise lui rend toutes les semaines cent sous; il est vrai qu'il fournit de chaises, mais les porteurs sont obligés de payer celles qu'ils rompent. Souscarrière enleva la fille d'un nommé Roger, écuyer _in_ _ogni modo_, à ce qu'on dit, de feu M. de Lorraine[194]. L'affaire s'accommoda, et on disoit qu'il eût eu beaucoup de bien, sans le désordre qui arriva. Cette femme se laissa cajoler par Villandry, cadet de celui que Miossens tua. Il en découvrit quelque chose. On dit qu'il la menaça du poignard, et qu'il fit semblant de la vouloir jeter dans le canal de Souscarrière (c'est vers Gros-Bois). Enfin il eut avis qu'elle avoit donné un bracelet de cheveux à Villandry, et qu'il y avoit eu des rendez-vous[195]. Notre homme en colère, et sans considérer qu'il avoit jusque là donné assez mauvais exemple sur la fidélité à sa femme, rencontre Villandry aux Minimes de la place Royale, à la messe, où il lui donna un soufflet, et mit l'épée à la main dans l'église. Villandry l'appela, et, craignant un peu son adresse, voulut se battre à cheval contre lui dans la place Royale même; mais il ne laissa pas d'être battu. On dit que Villandry lui dit: «Je vous poignarderois si ma réputation étoit établie; mais il faut que je me batte.» Il lui falloit dire à ce jeune homme: «Mais il faut que vous le battiez;» car c'est justement l'épigramme de Gombauld: Il fut battu, le bon seigneur, En présence de plus de quatre, Et, pour réparer son honneur, Il s'alla faire encore battre. [193] _Voyez_ les _Antiquités de Paris_ par Sauval, t. 1, p. 192. [194] Elle s'appeloit Anne des Rogers; son père étoit intendant de la duchesse Nicole de Lorraine. Elle mourut le 20 août 1650. (Voyez le père Anselme au lieu cité.) [195] Étant à la campagne avec sa femme, il surprit une lettre d'elle à Villandry; il la mena dans le parc, puis il la fit entrer dans un cabinet qui y étoit, et là lui dit en lui montrant sa lettre qu'elle priât Dieu. Ce ne fut point pour faire semblant, car il tira une baïonnette, et lui voulut donner un coup qu'elle para, et eut deux doigts blessés. Voyant son sang, il en eut pitié, et lui pardonna, mais à condition de ne se voir jamais. Il servit deux mille louis d'or dans un plat au roi d'Angleterre en un repas à Paris. Il eut l'insolence de faire prendre le deuil de la duchesse de Lorraine (Nicole) à un bâtard qu'il avoit. (T.) On blâma la Reine de n'avoir point puni l'irrévérence de Montbrun (il s'appela ainsi depuis qu'il fut marié) d'avoir frappé et mis l'épée à la main dans une église, et encore durant qu'on disoit la messe. Montbrun n'avoit point acquis de réputation à l'armée, car il fut à Arras, au moins au convoi; mais il en revint bientôt. Il dit que cette vie-là n'étoit pas sa vie. Montbrun, après le combat, tint sa femme un an et demi dans une religion à la campagne; puis il lui manda qu'elle pouvoit aller où il lui plairoit, mais qu'il ne la tiendroit jamais pour sa femme. Elle se retira en Lorraine. On se moqua fort de Montbrun d'avoir été à la cavalcade du Roi, et encore côte à côte du marquis de Richelieu. Après il s'avisa d'aller faire fanfare tout seul à la place Royale; car il n'y eut que lui qui alla faire comme cela l'Abencerrage. Au reste, c'est un vrai Sardanapale; il a toujours je ne sais combien de demoiselles; il en élève même de petites pour s'en divertir quand elles seront grandes. Il a des valets de chambre qui jouent du violon; il se donne tous les plaisirs dont il s'avise. Il a entre autres une fille d'une bourgeoise huguenotte, qu'on appelle madame Guionches; il avoit fait changer de religion à cette fille dont il a eu des enfants. Or, à Charenton, on ne veut point recevoir la mère à la communion, à cause qu'elle a vendu sa fille. Un matin, pendant que madame de Rohan, la douairière, logeoit avec Montbrun, ils ne s'étoient pas mal rencontrés; il avoit fait ajuster une fort jolie maison, et s'en étoit gardé une partie en la louant. Ruvigny, qui est député général des huguenots, en attendant que madame de Rohan fût éveillée, alla voir Montbrun; il y trouva cette femme qui se vint jeter à ses pieds, et lui dit: «Eh! monsieur, vous qui êtes député général, représentez, s'il vous plaît, à messieurs du Consistoire que si j'ai scandalisé l'Eglise, je l'édifie bien aussi; car voilà M. le marquis, dit-elle en montrant Montbrun, qui vous dira comme j'ai résisté à tous les religieux, à tous les curés, à tous les docteurs qu'il m'a fait venir.--Mais, ma pauvre madame, dit Ruvigny en riant, que veut-on de vous à Charenton?--Ils sont bien difficiles à contenter, monsieur, reprit-elle; regardez quelle injustice; ils veulent que je quitte M. le marquis, à qui nous avons tant d'obligation. Ne seroit-ce pas une ingratitude punissable devant Dieu et devant les hommes?--Oui, dit Ruvigny, ils ont le plus grand tort du monde. Si vous voulez, j'en parlerai à M. le cardinal.» En 1660, au commencement, Montbrun s'avisa de semer tout doucement le bruit que son fils (c'est un bâtard adultérin comme lui) étoit fils d'une personne de fort grande qualité[196]. Et après on contoit qu'en Lorraine autrefois la feue duchesse lui dit un jour: «M. de Montbrun,» ou M. de Souscarrière, je ne sais comment il s'appeloit en ce temps-là, «ne servez-vous point de dame; c'est encore la mode ici. Il faut que vous soyez le chevalier de quelque belle.» On ajoute qu'il lui répondit: «Madame, je n'ose me déclarer, car la seule dame pour qui je le pourrois faire, ne le trouveroit sans doute pas bon; elle m'accuseroit de témérité.--Pourquoi? dites? Nommez-la.» Il lui dit que c'étoit elle. Elle lui en sut si bon gré, que depuis, en France, comme il étoit amoureux à l'hôtel de Lorraine d'une mademoiselle Guerelle, une belle fille qui étoit à elle, la duchesse lui fit si bon visage, qu'enfin il en eut ce petit garçon. Eh bien, ne voilà-t-il pas enchérir sur le jubilé? Quand on lui en a parlé il a fait le fin et n'a pas fait semblant d'entendre. Je ne sais ce qui en est; mais il faut que la duchesse ait eu de grandes privautés avec Termes, frère de M. de Bellegarde-Montespan, car il est constant que M. de Langres (La Rivière) a un diamant qui vient d'elle, et que Termes lui a vendu vingt mille livres. Ce bâtard de Montbrun se noya avec tous ceux qui se trouvèrent dans le vaisseau de la Lune, au retour de Gigery. Montbrun en pensa mourir de douleur. [196] Charles-Henri de Bellegarde, fils naturel de Souscarrière et de Jeanne Corolin, fut légitimé et anobli en décembre 1652. Il mourut en 1668, au retour de l'expédition de Candie. (_Voyez_ le P. Anselme audit lieu). Plus bas Tallemant dit que ce jeune homme fut noyé en revenant de Gigery. A la mort de M. le Grand[197], de Bellegarde-Montbrun se présenta pour le voir; M. de Bellegarde d'aujourd'hui, alors appelé M. de Montespan, voulut s'y opposer. «Capitan, Capitan,» lui dit Montbrun (je ne sais pourquoi il lui donna ce nom, si ce n'est pour se moquer de son peu de bravoure), «il t'en coûteroit la vie.» L'autre, voyant cette fierté, le laissa entrer, et il y eut la bénédiction de M. le Grand. [197] Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, grand écuyer de France, prétendu père de Souscarrière. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-trois ans, en 1646. La fin de Montbrun n'a pas été agréable. J'ai déjà dit qu'il étoit pipeur. Il alloit jouer chez Frédoc. Un jour qu'il jouoit à la prime contre Mongeorge, brave garçon, fils de M. Gomin l'escamoteur, Mongeorge s'aperçut qu'il avoit escamoté une prime qu'il tenoit sur ses genoux. Voilà un bruit du diable. Mongeorge le traite de fripon et de filou. Par bonheur pour lui, le maréchal de La Ferté entre, et, par compassion pour lui, il parvint à obliger Mongeorge à achever la partie. Mais depuis cela il n'osoit plus guère aller chez Frédoc, ou du moins il envoyoit voir si Mongeorge n'y étoit point. Il avoit soixante-dix-sept ans. La vieillesse et le chagrin de cette aventure le tuèrent. LA LIQUIÈRE. C'étoit la femme d'un procureur de Castres nommé Liquière; elle étoit belle, avoit de l'esprit, et étoit d'une complexion fort amoureuse; mais c'étoit une personne assez extraordinaire, car elle donnoit à ses galants, au lieu de recevoir d'eux, et c'étoit la plus grande joie qu'elle pût avoir au monde. Les guerres de la religion obligèrent son mari, qui restoit catholique, à se retirer à Toulouse avec toute sa famille. Comme on commençoit à pacifier toutes choses, un avocat de Castres fut obligé d'aller à Toulouse pour y poursuivre quelques affaires: par hasard il se trouva logé vis-à-vis de cette femme; il la connoissoit déjà: les voilà les plus grands amis du monde. Il devient amoureux d'elle, et lui déclare sa passion. Elle lui répondit naïvement qu'elle étoit engagée ailleurs; «car il faut que vous sachiez, lui dit-elle, que comme je ne puis vivre sans ami, aussi ne puis-je en avoir plus d'un à la fois. Tout ce que je puis faire pour vous présentement, c'est de vous prendre pour mon confident en attendant que la place soit vide; car je vous trouve bien fait et discret, et ce sont les deux seules qualités que j'estime.» Celui qui la possédoit alors étoit un jeune homme nommé Canabère, frère d'un président au mortier, et un des garçons de Toulouse le mieux fait. Le jeune avocat savoit tout ce qui se passoit entre eux, voyoit les poulets du galant, et aidoit quelquefois à la belle à faire réponse; mais quoi qu'il fît, il n'en put jamais rien obtenir, et cette femme, qui gardoit si mal la foi à son mari, la gardoit si exactement à son galant. Enfin Canabère la quitta pour se marier, et, prenant la connoissance du jeune avocat pour prétexte, lui écrivit une lettre pour rompre avec elle. Elle en fut sensiblement touchée, en pleura la moitié d'un jour avec autant de douleur qu'il se pouvoit. Le jeune avocat tâcha de la consoler; mais il n'en put venir à bout. Le soir il la fit souvenir de sa promesse; aussitôt toute son affliction cesse; elle se donne à lui, et d'une extrême tristesse passe en un instant à une extrême joie. Ils vécurent en fort bonne intelligence, et eurent bientôt pour se voir la plus grande commodité du monde; car la chambre de l'édit, qui étoit séparée à cause des troubles[198], se rejoignit après la déclaration du Roi, et fut envoyée à Béziers; de sorte que le mari de cette femme y transporta sa famille; et l'avocat, qui étoit fils d'un conseiller, et qui commençoit à travailler au barreau, fut aussi obligé de s'y rendre. [198] C'étoit du temps de M. de Rohan. (T.) Le mari, qui n'étoit pas autrement satisfait de la conduite de sa femme, étoit en mauvais ménage avec elle, et elle couchoit d'ordinaire seule dans une arrière-chambre, où l'on ne pouvoit aller sans passer par la chambre du père du mari, dans laquelle il y avoit toujours de la chandelle allumée, parce que cet homme étoit extrêmement vieux et incommodé; et, quoiqu'elle eût assez de commodité de voir de jour son galant, elle eut la fantaisie de passer une nuit avec lui. Il fallut obéir, et passer par cette chambre dont je viens de parler. Le vieillard, qui ne dormoit presque point, soit qu'il eût entendu du bruit, ou qu'il eût entrevu quelque chose, se leva du mieux qu'il put, et, prenant la chandelle, trouva les deux amants couchés ensemble. Ce spectacle le surprit, de sorte qu'il laissa tomber sa chandelle, sans dire autre chose que _Jesus Maria_, et s'en retourna comme il étoit venu. La belle voulut persuader au galant de sauter par la fenêtre dans le jardin; mais il ne voulut point quitter un chemin qu'il connoissoit pour un autre qu'il ne connoissoit pas, et, retournant sur ses pas, il ne trouva personne qui l'empêchât de se retirer. Soit que cet accident l'eût dégoûté, ou qu'il pensât à quelque nouvel amour, il commença fort à se relâcher. Il arriva qu'un nommé Gérard, qui étoit de Béziers, s'imagina que ce garçon en vouloit à une personne qu'il aimoit, et, pour se venger, il entreprit de faire l'amour à la Liquière. Elle, qui ne pouvoit endurer qu'on l'aimât à demi, après avoir gagné absolument Gérard, le mit en la place de l'avocat. Sur cela la peste prit à Béziers. Gérard, qui étoit marié, sous prétexte de mettre sa femme et ses enfants en sûreté, les envoya à un village nommé Florensac, après leur avoir promis de les y aller bientôt trouver. La Liquière, de son côté, laissa aussi partir toute sa famille, et, ayant feint d'avoir quelque affaire pour un jour, alla trouver Gérard qui n'étoit point sorti de la ville. Là, malgré la peste et l'affliction générale, ils passèrent le temps aussi tranquillement que de nouveaux mariés eussent pu faire. Cela ne dura guère; car Gérard fut attaqué de la peste, et par conséquent obligé de sortir. Elle le suivit dans la hutte, le servit jusqu'à l'extrémité, et après sa mort, résolut aussi de mourir, baisa cent fois ses charbons, afin de prendre le mal; «car aussi bien, disoit-elle, je me laisserai mourir de faim.» On eut bien de la peine à l'arracher de dessus le corps de cet homme; on la mena dans une autre hutte, où elle fut attaquée. Elle en eut de la joie, et ne recommanda autre chose en mourant sinon qu'on l'enterrât dans la même fosse où l'on avoit mis son amant. M. DE GUISE, PETIT-FILS DU BALAFRÉ[199]. M. de Reims, aujourd'hui M. de Guise, est un des hommes du monde le plus enclin à l'amour. Tandis qu'il possédoit tous ces grands bénéfices de la maison de Guise, il devint amoureux de madame de Joyeuse, fille du baron Du Tour, et femme d'un M. de Joyeuse, de Champagne, de la vraie maison de Joyeuse[200]. Le mari, quoique accommodé, se fit l'intendant du galant de sa femme. Ce Joyeuse étoit si lâche que de prendre pension du marquis de Mouy de la maison de Lorraine, qui étoit aussi un des galants de sa femme. Fabri a dépensé cent mille écus auprès d'elle. Elle ne profitoit point de tout cela, et dépensoit tout. C'étoit une fort bonne femme. Joyeuse étoit un original. Il avoit je ne sais quelle fille avec laquelle il couchoit[201], mais il juroit qu'il ne lui faisoit rien, et qu'en cela il n'offensoit pas Dieu. [199] Henri de Lorraine, duc de Guise, né à Paris en 1614, mort à Paris en 1664. [200] La fille de cette dame de Joyeuse a été la comtesse de Brosses. (_Voyez_ l'article de Maucroix.) [201] Elle s'appeloit Toussine. (_Voyez_ l'article de Maucroix.) Madame de Joyeuse n'étoit plus ni jeune ni belle; mais elle avoit bien de l'esprit et jouoit bien de la harpe. Durant cette amourette, M. de Guise donna au frère de la suivante une prébende de Reims. «Mais je veux, lui dit-il, que tu prennes l'habit de chanoine, car c'est à toi que je donne la chanoinie.» En effet, il lui mit l'habit d'hiver de chanoine, et en cet état la _croqua_. Ce n'étoit pas la première fois. M. de Reims aima ensuite la Villiers, qui est encore à l'hôtel de Bourgogne[202]. Elle n'étoit pas trop belle. Pour lui plaire, il portoit des bas de soie jaune sous sa soutane: elle aimoit cette couleur. [202] Cette actrice mourut en 1670; on l'apprend par une lettre en vers de Robinet, citée par les frères Parfaict dans l'_Histoire du Théâtre-François_, t. 11, p. 119. Elle jouoit les grands rôles tragiques. Son mari, acteur comme elle, a composé plusieurs pièces, et particulièrement la comédie des _Coteaux, ou les Marquis friands_, dont on se souvient à cause de la troisième satire de Despréaux. (_Histoire du Théâtre-François_, t. 8, p. 264.) En ce temps-là, quoique cadet, il le portoit si haut, que, pour imiter les princes du sang, il se faisoit donner la chemise aux plus relevés qui se trouvoient à son lever. Il se trouva huit ou dix personnes qui firent cette sottise-là. Une fois on la présenta comme cela à l'abbé de Retz, qui la laissa tomber dans les cendres et s'en alla. J'ai parlé ailleurs de ses amours avec madame d'Avenet et la princesse Anne[203]. [203] _Voyez_ l'article de madame d'Avenet et de la princesse Palatine, à la suite de l'article de Marie de Gonsague, reine de Pologne, leur sœur, t. 2, p. 435. Etant devenu l'aîné[204], sous prétexte qu'il étoit marié, le cardinal de Richelieu lui voulut ôter ses bénéfices. Cela l'obligea à se retirer à Sedan. Après la mort de M. le comte (_de Soissons_), étant passé en Flandre, il prit l'écharpe rouge[205], et ce fut pour cela qu'on lui fit ici son procès. Là il devint amoureux de la veuve du comte de Bossu, une fort belle personne; il l'épousa du soir au matin, et, parce qu'il y avoit quelque formalité omise, le mariage fut confirmé par l'archevêque de Malines. [204] Le Prince de Joinville, l'aîné, ne fit qu'une seule campagne, en Piémont, l'année que le Roi naquit. Il se déroba ou feignit de se dérober, et alla servir Madame; il mourut de maladie au retour. Il étoit bien fait et fort civil; il étoit accordé avec mademoiselle de Bourbon. (T.) [205] Les couleurs d'Espagne. Des chevaliers de Malte, natifs de Provence, se mirent en fantaisie la conquête de l'île de Saint-Domingue, aux Indes, et jetèrent les yeux sur M. de Reims, depuis M. de Guise, pour le mettre à leur tête. Le dessein étoit bien pris; mais le cardinal de Richelieu ne le voulut pas. M. de Guise revint en France après la mort du cardinal de Richelieu. J'ai dit déjà comme la princesse Anne lui parla et comme elle n'en eut aucune raison. Il alla voir sa sœur l'abbesse de Saint-Pierre à Reims. Il dîna dans un parloir; après il entra dans le couvent comme prince, comme un homme qui avoit été leur archevêque, et comme frère de madame l'abbesse. Là il se mit à courir après les religieuses, et surtout après une qui étoit fort belle fille. «Mon frère, crioit madame de Saint-Pierre, vous moquez-vous? Aux épouses de Jésus-Christ!!!--Ah! ma sœur, disoit-il, Dieu est trop honnête homme pour craindre d'être cocu.» La religieuse, assez fière naturellement, faisoit bien du bruit de cette insolence. L'abbesse eut peur qu'elle n'en fît faire des plaintes à la Reine, et, pour y remédier, elle dit à son frère tout bas: «Faites-en autant à celle-là qui n'est point jolie.--Ma sœur, elle est bien laide. Mais n'importe, puisque vous le voulez, elle sera tâtée.» Cette laide lui en sut si bon gré qu'elle se garda bien de s'en plaindre, et la belle s'apaisa, voyant qu'elle n'étoit pas la seule. Il alla voir madame de Longueville, chez laquelle M. d'Enghien se trouva. Là il se mit à se vanter, et dit, entre autres choses, qu'en une certaine rencontre il avoit commandé l'armée d'Espagne. «Nous y étions, dit M. d'Enghien qui vouloit rire; il me souvient d'un homme fait de telle façon, avec des plumes de telle couleur, monté sur un tel cheval; tout le reste sembloit lui obéir.» M. de Guise donne dans le panneau, et dit: «C'étoit moi. Justement j'étois habillé comme vous dites.» Il ne fut pas long-temps à la cour sans oublier madame de Bossu, tout de même que la princesse Anne: il devint amoureux d'une fille de la Reine nommée mademoiselle de Pons[206]. Elle étoit fille du marquis de La Case, de la maison de Pons; son père et sa mère étoient venus ici pour quelque affaire. Madame d'Aiguillon fit cajoler cette fille, qui, mourant d'envie de demeurer à la cour, changea de religion, afin d'entrer chez la Reine. Madame de Bossu étoit tout autrement belle; celle-ci étoit trop grossière et trop rouge en visage pour des cheveux blonds, d'ailleurs un accent de Saintonge le plus désagréable du monde, et l'esprit comme le corps; mais coquette et folle de beaux habits autant que fille du monde. On en avoit déjà un peu parlé avec le maréchal d'Aumont, qui n'étoit alors que capitaine des gardes-du-corps, mais qui étoit marié il y avoit quinze ans. [206] Bonne de Pons, depuis marquise d'Heudicourt. Elle devoit être très-belle, malgré ce que Tallemant en dit quelques lignes plus bas, car elle fut sur le point de devenir la maîtresse de Louis XIV, et de l'emporter sur madame de La Vallière. (Voyez les _Souvenirs de madame de Caylus_, dans la deuxième série de la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, t. 66, p. 443.) Il a écrit à madame de Bossu qu'il étoit vrai qu'il l'avoit épousée, mais que tant de docteurs lui avoient assuré qu'elle n'étoit pas sa femme, qu'il étoit obligé de les en croire; qu'il alloit mettre ordre à ses affaires et qu'il la satisferoit; car il lui avoit mangé quatre cent mille livres qu'elle avoit, et il la laissa gueuse. Cette femme n'étoit pas de si bonne maison que le comte de Bossu; elle étoit pourtant bien demoiselle[207], et une des plus belles personnes de son temps. Elle vint jusqu'à Rouen, il y a treize ou quatorze ans, déguisée, avec dessein, disoit-elle, de lui demander au milieu du Cours s'il la reconnoissoit pour sa femme, et, s'il disoit que non, de lui tirer un coup de pistolet, et de se tuer elle-même après. Mademoiselle de Rambouillet, aujourd'hui madame de Montausier, qui étoit alors à Rouen pour un procès, quêta pour elle. Le crédit de madame de Guise fit qu'on lui ordonna de se retirer, et elle ne vint point à Paris. [207] Elle s'appeloit Honorée de Glimes, et étoit fille de Geoffroy, comte de Grimberg. Elle étoit veuve d'Albert Maximilien de Hennin, comte de Bossu. Son mariage avec le duc de Guise fut célébré le 11 novembre 1641. M. de Guise fit d'abord entendre à mademoiselle de Pons que son mariage avec madame de Bossu étoit nul, et qu'il le feroit casser si elle vouloit l'aimer. L'ambition d'être duchesse et princesse fit goûter la proposition à la demoiselle, et insensiblement elle s'y engagea si bien, que M. de Guise n'étoit que douze heures du jour avec elle; car en ce temps-là, comme bien depuis encore, la Reine laissoit faire à ses filles tout ce qu'il leur plaisoit, et on les cajoloit à ses yeux. Pour leur chambre, leur gouvernante la pauvre madame du Puys n'y avoit pas grand pouvoir; elles lui faisoient même des malices épouvantables; car non contentes de lui avoir coupé des crins de vergette dans son lit, pour l'empêcher de dormir, à Fontainebleau, un été qu'il fit un chaud étrange (1646), elles lui mirent des réchauds de feu sous son lit. Elle crut que c'étoit l'air étouffé de Fontainebleau qui lui causoit cette incommodité; elle se leva pour respirer à la fenêtre, pensant que son lit, découvert, se rafraîchiroit, et elle le trouva encore plus chaud; elle fut long-temps avant que de deviner ce que c'étoit. On voyoit durant cet amour M. de Guise expliquer devant tout le monde à sa maîtresse un rescrit du pape qu'il avoit obtenu, et elle lui faire des difficultés. Un jour, M. d'Orléans la rencontra seule et lui dit plaisamment: «Mademoiselle, si vous n'y prenez garde, mon frère de Guise vous épousera; au moins, je vous en donne avis.» Toutes les fois que la Reine sortoit, on le voyoit suivre le carrosse des filles, et ses folies amoureuses étoient si publiques, que tous les artisans de la rue Saint-Honoré, approchant du Palais-Royal, ne s'entretenoient d'autre chose. On lui rapporta qu'un médecin nommé ........[208], qui servoit la maison, fit quelques vers où il rioit des amours de M. de Guise et de mademoiselle de Pons. Tout ce qui touchoit cette fille étoit à son égard un crime de lèse-majesté; de sorte que, sans s'informer si ce qu'on lui avoit dit étoit vrai, il fit monter ses gens chez cet homme, et il demeura à la porte tandis qu'on le bâtonnoit. Cela est assez vilain, ce me semble. [208] Le nom est en blanc dans le manuscrit. Un automne que la cour étoit à Fontainebleau, la demoiselle demeura chez sa belle-sœur de La Case, pour se baigner. On la purgea; il se voulut purger aussi. Il prit de la même drogue, la même dose, et de la main du même apothicaire, disant qu'il en avoit besoin, et qu'il ne pouvoit pas se bien porter, puisque mademoiselle de Pons étoit indisposée. Une fois, il lui prit je ne sais quelle vision sur ce qu'elle lui avoit dit qu'il ne l'aimoit point, de tirer son épée, pour se tuer, disoit-il. On entendit un grand cri: on y courut; elle se tuoit de lui dire: «Remettez votre épée, M. de Guise, remettez votre épée, je crois que vous m'aimez plus que votre vie.» M. d'Orléans le fit nommer son lieutenant-général en Flandre. Il ne put se résoudre à partir; il envoya son train. Il fut fort long-temps en juste-au-corps; mais il n'alla pas plus loin que Fontainebleau; là, pour le moins aussi fou qu'à Paris, il prit des eaux parce qu'elle en prenoit; il les prenoit à même heure qu'elle, et avec les mêmes précautions; soit qu'il fût plus échauffé qu'elle, il les rendoit fort mal, quoiqu'elle les rendît fort bien. Pour y remédier, il lui prit une de ses jupes, et se la mettait quand il buvoit, et cela sérieusement. Toute la cour l'a vu en cet état quinze jours et davantage. Il passoit les journées entières avec elle; tout le monde étoit en peine de ce qu'il lui pouvoit tant dire; enfin, on découvrit qu'il lui disoit bien souvent des choses par cœur; et un jour qu'elle lui avoit demandé le second volume de _Cassandre_, il ne le lui envoya pas, mais il le lut toute la nuit, et le lendemain, il le lui récita d'un bout à l'autre, sans s'amuser aux paroles de l'auteur, car il est constant qu'il a la mémoire excellente. Son grand jugement au moins ne l'empêche pas d'en avoir beaucoup. Il sait quelque chose, a de l'esprit, dit les choses agréablement, n'est pas méchant, a de la générosité, du cœur et est fort civil. «C'est dommage qu'il est fou,» comme disoit M. de Chevreuse. A propos de sa civilité, on dit qu'un savetier qu'il salua, car, par une tradition de sa maison, il salue volontiers, lui dit: «Boutez sus, boutez sus; ce n'en est plus le temps;» voulant dire qu'il n'y avoit plus lieu de faire une Ligue. On disoit qu'à une collation à Meudon, il fit venir des marionnettes et des joueurs de passe-passe, et que le bateleur, au lieu de dire à son chien: _Pour le roi de France_, disoit: _Allons, pour mademoiselle de Pons_, et qu'au lieu du roi d'Espagne, il disoit: _Pour madame de Bossu_. Cet amour ne plaisoit nullement à madame ni à mademoiselle de Guise; et cela les mit si mal, qu'il ne les voyoit plus. Un jour, mademoiselle de Guise se résolut de lui parler, et le disposa à voir madame sa mère. Elle n'y perdit point de temps et fit si bien que madame de Guise et son fils conclurent toutes leurs affaires. Or, il y avoit dans la maison pour deux cent mille livres de pierreries; elles lui appartenoient, il les vouloit avoir. Sa mère, qui voyoit bien que c'étoit pour donner à mademoiselle de Pons, fit ce qu'elle put pour ne s'en point dessaisir; mais voyant qu'il s'y opiniâtroit, elle donna les mains, à condition toutefois qu'il trouveroit bon qu'on lui rembourseroit un collier de dix mille livres que mademoiselle de Guise avoit accoutumé de porter. Il n'y voulut pas consentir, et mademoiselle de Guise, indignée de cette dureté, défit ses perles sur l'heure, et les lui alloit donner, quand un homme vint dire quelque chose à l'oreille de M. de Guise. Il y a apparence que c'étoit un message de la demoiselle. Il part sans songer à ses pierreries. Madame de Guise, voyant cela, porte la cassette de pierreries à madame d'Orléans, et, quand M. de Guise la redemanda, on lui dit qu'elle étoit chez Madame. Cela l'irrita tellement, qu'il commanda à un des siens d'aller dire de sa part à madame de Guise qu'elle sortît tout présentement de l'hôtel de Guise. Ce gentilhomme s'en voulut excuser; mais il lui dit que s'il ne le faisoit, il lui feroit sauter les fenêtres. Il y alla donc; mais l'affaire s'accommoda. Madame de Guise, qui avoit tant craint madame de Bossu, eût bien voulu la tenir, tant elle avoit peur de mademoiselle de Pons. Quelque temps après il partit pour aller à Rome, avec un frère de mademoiselle de Pons, qu'on appeloit le comte de Rochefort, disant qu'il vouloit sortir d'embarras; que madame de Guise, avant qu'il aimât mademoiselle de Pons, lui disoit qu'il n'étoit point le mari de madame de Bossu, et qu'à cette heure elle dit que si; et que, pour lui, il s'en vouloit tenir au jugement du Saint-Père. Il ne fut pas plus tôt parti que les rieurs disoient: Que ce Pont pourroit bien être à la fin un _Pont au change_; et d'autres que ce _Pont_ avoit grand besoin d'un _garde-fou_; d'autres que les fondemens n'en valoient rien, et qu'il pourroit bien devenir _Bossu_. Et on dit qu'en passant en Provence, il pria un président de demander pour lui mademoiselle d'Alez en mariage. Il laissa à Paris un train complet dans une maison proche du Palais-Royal, dont mademoiselle de Pons se servoit quand elle en avoit besoin, jusqu'à se faire apporter à manger dans sa chambre, car elle en avoit une à part. Elle y fit même tendre un lit de M. de Guise, parce qu'elle devoit faire des remèdes durant quelques jours, et qu'elle vouloit qu'on la vît dans un beau lit. Son combat avec Coligny, son voyage de Naples, la suite de ses amours et ses autres aventures seront dans les Mémoires de la Régence. M. de Guise parloit un jour d'un jeune garçon nommé Quinault, qui fait des comédies où il y a beaucoup d'esprit. «Vous voyez, dit-il, c'est le fils d'un boulanger; il n'enfourne pas mal. C'étoit le valet de Tristan; Tristan étoit à moi; c'est comme Élie, qui laissa son manteau à Élisée.--Cela seroit bon, dit Bourdelot qui étoit présent, si Tristan eût eu un manteau.» M. de Guise ne sut que répondre, lui qui s'étoit vanté que Tristan étoit à son service[209]. [209] M. Beffara, dont on connoît les patientes et utiles recherches, a retrouvé sur les registres de la paroisse de Saint-Eustache, à Paris, sous la date du 3 juin 1635, l'acte de naissance de Philippe Quinault; il y est dit être fils de Thomas Quinault, _maître boulanger_, et de Perrine Riquier. Quinault n'a jamais servi Tristan l'ermite, mais ce poète l'avoit élevé avec son propre fils qu'il perdit fort jeune. Pénétré de reconnoissance, Quinault demeura près de Tristan, et il tâcha, par ses soins assidus, de le consoler dans sa douleur. (Voyez la _Notice sur Quinault_, à la tête de ses _Œuvres choisies_; Paris, Crapelet, 1824, in-8º, p. 5.) MADAME DALOT. Madame Dalot est fille d'un simple bourgeois d'Agen, qui la laissa en fort bas âge riche de cinquante mille écus. Elle avoit encore sa mère qui avoit aussi du bien. La chambre de l'édit étoit alors à Agen. Viger, conseiller huguenot, songea à épouser la mère, et à faire épouser la fille à son fils; mais la fille étoit si jeune qu'on ne put que les accorder. Elle eut de l'aversion pour ce garçon, et elle n'avoit pas encore douze ans qu'elle devint amoureuse d'un jeune homme de la ville, nommé Dalot, qui étoit bien fait et entreprenant; elle consentit qu'il l'enlevât; mais cela n'étoit pas aisé; car madame de Viger, sa mère, la gardoit soigneusement. Néanmoins, il gagna une servante qui l'avertit de tout, et madame de Viger étant absente, il fut introduit dans la maison trois heures avant jour. Comme il alloit à tâtons, au lieu de sa maîtresse il enleva une jeune fille qui couchoit avec elle. Il étoit déjà assez avant dans la rue quand il reconnut son erreur; il fallut donc retourner. Par bonheur il étoit le plus fort, et encore il avoit eu la prévoyance de mettre des tire-fonds aux portes voisines, de peur qu'on ne vînt au secours. Il sortit avec la demoiselle par un trou qu'il avoit fait faire à la muraille de la ville, et se retira dans un château d'un homme de qualité. Là, il fut assiégé dès le lendemain, et il tint le siége tant qu'il eut des vivres. Une belle nuit qu'il faisoit fort obscur, il se sauva avec sa maîtresse en Rouergue, après l'avoir descendue par une fenêtre; ce fut chez M. d'Arpajon, qui lui donna retraite dans une de ses maisons; mais le crédule Viger lui faisant peur, ils se déguisent en pélerins et prennent le chemin de Notre-Dame-de-Craux. En ce voyage, la pauvre petite eut bien de la peine à s'empêcher d'être reconnue; elle étoit déguisée en homme. Enfin, ils passèrent en Savoie et s'allèrent jeter aux pieds de la princesse de Piémont, aujourd'hui madame de Savoie[210]. Elle les prit en affection et fit instruire la dame en sa créance, car elle étoit huguenote. Viger, qui avoit des amis à la cour, fit tant envers le cardinal de Richelieu, que la princesse fut obligée de la renvoyer à Paris, où elle fut mise chez feu madame la comtesse[211]. On dit que M. le cardinal en devint amoureux, et que Dalot en eut bien de la jalousie. Par arrêt du Conseil, elle fut mise dans un couvent, afin d'être en liberté de dire si Dalot l'avoit enlevée de gré ou de force, et si elle le vouloit toujours pour mari. Quelque temps après étant introduite au Conseil d'en haut, elle dit que Dalot l'avoit enlevée de son consentement, que c'étoit son mari et qu'elle n'en auroit jamais d'autre. Ils retournèrent en Savoie, d'où, je ne sais par quelle aventure, ils s'allèrent établir en Guienne. Dalot mourut bientôt après. Elle disoit qu'elle n'avoit point de peur du Roi ni des princes quand elle parla au Conseil, mais seulement du cardinal de Richelieu, et qu'il la faisoit trembler. [210] Chrétienne de France, duchesse de Savoie, fille de Henri IV. [211] On joint ici une lettre de la princesse de Savoie au cardinal de Richelieu, relative à madame Dalot. Elle fait partie de la collection d'autographes de M. Monmerqué, un des éditeurs: «MONSIEUR MON COUSIN, «Je vous ay fait une prierre sur un fait qui regarde l'Eglise et la religion; je m'asseure que ces raisons vous auront esmue, oultre ma considération, à y porter vostre assistance; de quoy j'ay désiré de vous remercier. Le Roy et la Reyne madame ma mère m'ont fort obligée de considérer à ma prierre les justes plaintes de cette damoiselle fort persécutée en hayne de sa conversion. Je recepveray à beaucoup de faveur sy vous les assistez et secondez les intentions de leurs majestés, affin qu'elle obtienne justice du tort que beau père et mère luy ont fait en sa personne et en ses biens. Le sieur Dallot, son mary, va interiner son abolition. Je vous recommande l'un et l'autre en la suite de cest affaire, parce que je serois bien ayse de les mettre en repos, et que je crois en cela faire une grande charité, en quoy je m'asseure vous voudrez prendre part, et me tesmoigner que vous avez agréables mes prierres, vous asseurant que j'estime tousjours très-véritablement vostre amitié, et que je vous continue la mienne, comme estant, Monsieur mon cousin, Vostre affectionnée cousine, CHRESTIENNE. De Thurin, le 3 janvier 1626.» Il prit une vision à elle et à deux veuves de qualité de faire un couvent comme celui des chanoinesses de Miremont, et elles disoient qu'elles attendoient des bulles du pape pour cela. Cette femme avoit été fort belle et fort galante: elle eut une fille de Dalot, dont elle étoit furieusement jalouse, car elle avoit vingt-trois ou vingt-quatre ans de plus que sa fille, qui n'étoit pas moins belle qu'elle avoit été à cet âge-là. La fille de son côté n'étoit pas moins galante, et elle haïssoit sa mère comme la peste. Toutes deux sont _pestes_, mais ne manquent point d'esprit. Dans les derniers troubles, le comte d'Harcourt coucha, dit-on, avec la mère. Un page de Saint-Luc, qui cherchoit le comte, ne le trouvant point dans tout le logis de madame Dalot (on lui avoit dit qu'il y étoit), ouït du bruit en passant près d'un cabinet; il prête l'oreille, il entend madame Dalot qui disoit: «Ah! mon prince, que faites-vous? que voulez-vous faire?» Parmi cela, il y avoit un bruit de chaises; peu de temps après on ne dit plus mot; il n'y avoit que les chaises qui parloient. Saint-Luc fit faire le conte au page devant tout le monde. Le prince de Conti en conta un peu à la fille; Sarrazin un peu davantage et quelques autres; mais M. de Candalle pouvoit bien avoir mis l'aventure à fin. M. DE ROQUELAURE[212], BOISSAC, MADAME DE LESDIGUIÈRES. Le maréchal de Roquelaure eut des garçons de sa seconde femme, et des filles aussi en assez bon nombre. Du premier lit il n'avoit eu que des filles. Il en maria une à feu M. de Gramont, père du maréchal; une autre à feu M. de Noailles, et une troisième à M. de La Vauguyon, père de feu Saint-Mégrin. L'aîné de ses garçons, qui est aujourd'hui duc à brevet, entra dans le monde long-temps après la mort de son père. La mère a vécu fort long-temps, et ils ont eu bien des choses à démêler ensemble. Il y avoit assez d'argent; mais il n'y avoit que vingt mille livres de rente en fonds de terre. On n'a jamais guère vu un homme plus gascon ni plus haut à la main, sans avoir la réputation de brave. Il avoit un tel empire sur les gens de sa volée qu'il les appeloit presque tous par leur nom, et les autres ne le traitoient guère ainsi. Feu Saintot-Lardenay, maître des cérémonies, pour faire l'homme d'importance, un jour à l'hôtel de Bourgogne, crioit d'une loge à Roquelaure, qui étoit vis-à-vis: _Roquelaure! Roquelaure!_ L'autre lui répondit: _Saintot, este familiarité ne se font_. [212] Antoine, baron de Roquelaure, né en 1543, maréchal de France en 1615, mort à Lectoure en 1625. En une assemblée, un conseiller au parlement, nommé Blancmesnil, de la famille des Potiers, fils de feu M. d'Ocquerre, secrétaire d'État, et par conséquent cousin de M. de Fresnes, eut prise avec lui pour un siége; et, sur ce que quelqu'un dit que c'étoit un conseiller au parlement, «Un conseiller, mesdioux,» reprit-il, «des bâtons, des bâtons.» L'affaire s'accommoda; mais Blancmesnil s'éloigna pour quelque temps; depuis il s'est fait président aux enquêtes. Roquelaure trouva son _Roquelaure_ quelque temps après; car ayant été pris avec Saint-Mégrin à la bataille d'Honnecourt, ce neveu, qui étoit pourtant aussi vieux que lui, en je ne sais quelle rencontre, lui donna un beau soufflet au sortir de prison. Le maréchal de Gramont les accommoda. En une assemblée, madame Aubert, dont nous parlerons ailleurs, l'ayant pris à danser, il se tourna vers un homme de la cour qu'il appeloit son gouverneur: «Mon gouverneur, lui dit-il tout haut, danserai-je avec cette bourgeoise?» Sur cela on fit ce vaudeville: Roquelaure est un danseur d'importance; Mais S'il ne connoît l'alliance, Il ne dansera jamais. On en fit un autrefois qu'il étoit amoureux de madame de Guemenée; c'est, je pense, sa première galanterie. Le voici: Marquis de Roquelaure, Vous êtes un faux galant; Allez, petit frelaure[213], Cajoler la Beaustant; Car pour une princesse, Vos brusques gentillesses N'ont pas assez d'attraits; Retournez au Marais. [213] _Frelaure_, ou _frelore_, vieux mot qui vient de _verloren_, qui signifie en allemand, perdu, gâté. Pendant les guerres de religion, les Landsknechté ou Lansquenets avoient introduit beaucoup de mots dérivés de l'allemand dans la langue françoise. Un jour qu'il étoit dans le carrosse d'un homme de la cour, je n'ai pu savoir son nom ou je l'ai oublié, comme ils passoient par la Place Royale, madame de Guemenée, qui sortoit en carrosse, pria celui avec qui étoit Roquelaure qu'elle lui pût dire un mot. Il arrête, et ils se parlent portière à portière. Roquelaure étoit de l'autre côté, elle ne fit pas semblant de le voir. Son ami l'en railla et lui dit: «Roquelaure, la princesse ne te connoît plus.» Cela le mit en colère. «La princesse ne me connoît plus, dit-il, j'ai pourtant pièces en main pour prouver qu'elle me doit bien connoître.» Il dit encore bien d'autres sottises en divers lieux; et sur cela mademoiselle de Rohan lui ayant voulu faire des reproches de ses médisances, et lui ayant dit que madame de Guemenée étoit une personne de laquelle on ne parloit point: «On parle de tout le monde, lui répondit-il; mademoiselle, on parle même de vous.» Depuis il a dit à M. d'Avaugour, en présence de Barrière: «Te souvient-il, Avaugour, quand je te rencontrai sur les escaliers de la Guemenée, que tu avois une croix du bois de la vraie croix, dont elle t'avoit fait présent? Je venois de la b..... trois fois, ou Dieu me damne! et cependant elle faisoit la bigotte avec d'Andilly. Je me moquois bien de toi, qui pensois gagner quelque chose avec ta croix.» Avant que de parler de madame de Lesdiguières, il faut dire ce qui arriva à Roquelaure en une compagnie particulière. Quelques femmes avoient soupé chez feu Du Gué Bagnols[214], depuis grand janséniste, alors garçon. Madame d'Orgères,[215] qu'on appeloit alors mademoiselle Garnier, aujourd'hui madame de Champlâtreux, y étoit. L'après-souper, Châtillon, La Moussaye, Roquelaure et quelques autres y allèrent. On eut beau dire que c'étoit une compagnie fort particulière, ils entrent; on fut contraint de leur faire bon visage, et enfin chacun s'attacha à celle qu'il rencontra le plus à propos. Il y avoit un lit dans la chambre; plusieurs y étoient couchés: Roquelaure se mit à badiner avec une femme qui lui sembla d'assez bonne composition. Il y avoit du feu; mademoiselle Garnier étoit auprès de la cheminée; la plupart de la compagnie s'en approcha. Le marquis trouva tout assez bien disposé: il tire un homme de sa connoissance à part, et lui dit qu'il le prioit de faire en sorte qu'on amusât mademoiselle Garnier... L'autre y va, et Roquelaure, retourné à sa dame,...... en eut tout ce qu'il voulut sans partir de là. L'insolence qu'il fit à feu madame de Lesdiguières est ce qui a fait le plus de bruit, et avec raison; car un soir, au bal, s'étant mis derrière elle et madame de Longueville, il dit à cette princesse: «Madame, que vous avez été trahie! Toutes les confidences que vous avez faites à cette ingrate, dit-il en montrant madame de Lesdiguières, n'ont pas été tenues secrètes, comme elles devoient. Voici le sein qui les a toutes reçues; c'est à moi qu'elle a tout dit.» Et ensuite, il dit d'étranges choses de la pauvre duchesse. Non content de cela, il écrit au mari même ce qu'il disoit à tout le monde, à savoir que, dans une grande maladie que lui, Roquelaure, venoit d'avoir à Fontainebleau, madame de Lesdiguières, au commencement, avoit envoyé tous les jours pour savoir de ses nouvelles, puis de deux jours l'un, après de loin en loin, et enfin plus du tout; que, le voyant en danger, elle avoit trouvé moyen de retirer toutes ses lettres, et que quand il fut guéri, elle ne le voulut plus recevoir. On dit que se voyant exclu, il dit au suisse: «Suisse, que je voie au moins mon fils; apporte-moi mon fils.» Perdant contre Créqui, héritier présomptif de M. de Lesdiguières avant qu'il eût un fils, il lui disoit: «Créqui, tu te venges, tu te venges. Créqui, sans moi tu eusses eu une belle succession; c'est moi qui lui ai fait un héritier.» On fit en ce temps-là un testament au nom de Roquelaure, où on lui faisoit donner son fils à M. de Lesdiguières, et son esprit à Créqui. Ce M. de Créqui, aujourd'hui premier gentilhomme de la chambre, et duc à brevet, n'a jamais passé pour un grand personnage. On disoit, pour rire, que, quand on manda par lui au cardinal de Valençay qu'il se retirât, le cardinal avoit dit: «Je vois bien qu'on veut que je m'en retourne; car on m'a envoyé un cheval.» Roquelaure disoit qu'il avoit dépensé quarante mille écus auprès de cette _carogne_; il l'appeloit ainsi. Une demoiselle qu'elle avoit nommée Saint-Nazaire en avoit un diamant de douze cents écus. Le jeu, où il est très-heureux, lui fournissoit de quoi faire toute cette dépense. On disoit qu'il avoit pris quelque jalousie de M. d'Enghien, qui pourtant ne s'est jamais attaché à elle, quoiqu'elle fût bien faite, et qu'elle ne manquât point d'esprit; il avoit le cœur ailleurs. Cette insolence fit un bruit épouvantable. Le coadjuteur, cousin germain de la duchesse, qui avoit été un peu amoureux d'elle, et qui dès le temps de la princesse de Guemenée en vouloit déjà à Roquelaure, le coadjuteur donc, voyant que son frère le duc de Retz ne s'en remuait pas autrement, alla trouver le cardinal Mazarin et lui dit: «Si on ne fait taire Roquelaure, je ne réponds pas que mes amis, que j'ai eu de la peine à retenir, ne le punissent de son insolence.» Le cardinal promit d'y mettre ordre. Le jour même, Roquelaure étant allé, assez bien accompagné, aux Tuileries, le duc enfin se réveilla, et avec ses amis et ceux de son frère y alla si bien secondé que le marquis fut contraint de se retirer. Roquelaure envoya sur cette insulte appeler le duc, qui fut trois quarts d'heure à l'attendre au rendez-vous (c'étoit à la Place Royale), jusqu'à ce qu'un des siens l'y surprit; car il étoit seul. Il envoya ce gentilhomme dire à Roquelaure qu'il falloit aller derrière les Petits-Pères, et qu'il se pourvût d'un second. Roquelaure s'y fait porter en chaise; mais la chose étoit si secrète que ses porteurs le savoient, et le furent dire à Montauron, qui étoit dans l'église à la messe; car il étoit fête; ainsi ils furent arrêtés. Il y en a qui ne le content pas si à l'avantage de ce duc, qui à la vérité n'est pas un grand personnage; mais j'ai ouï dire à gens non suspects une chose de lui qui me feroit croire qu'il n'a pas manqué au rendez vous, c'est qu'un simple gentilhomme de Bretagne l'ayant fait appeler, il y alla. C'est un si grand rêveur, qu'une fois il se jeta, en rêvant, dans un canal où il se pensa noyer. Une fois il fit une sottise sans rêver. A Ingrande, sur la rivière de Loire, il y a une espèce de barque armée pour les traites foraines qui va visiter les bateaux: il crut qu'on lui faisoit tort d'en user ainsi envers lui, et fit jeter dans l'eau le commis sans dire gare; après il se trouva que le commis lui venoit présenter des melons. [214] Il a été intendant de Lyon. La spirituelle madame de Coulanges étoit sa fille. [215] Voyez plus bas l'article de madame d'Orgères. Pour Roquelaure, il est fanfaron. Je crois qu'il ne s'est battu qu'une fois, où il n'eut qu'un coup dans ses chausses pour toute blessure: jamais on ne put l'obliger à changer d'habit, et il alla faire des visites avec ce haut-de-chausses. Le coadjuteur, avec son empressement, fit un peu rire les gens, et on disoit: «Ce prêtre en veut donc aussi à la duchesse.» M. de Lesdiguières ne s'ébranla point pour tout cela, et fit par stupidité tout ce qu'un autre auroit pu faire par philosophie. Enfin Roquelaure eut ordre de s'éloigner pour quelque temps. Roquelaure ne fut pas plus tôt de retour que le bruit courut, car il suffit qu'un homme soit en réputation de bonnes fortunes pour lui en attribuer cent, que madame de Sully, fille du chancelier, avoit pris la place de madame de Lesdiguières, et qu'on y avoit vu entrer Roquelaure par la porte de derrière à heure indue. On l'y avoit vu entrer parce qu'étant sur le soir avec d'autres fainéants comme lui, il leur dit: «Vous autres, vous allez les uns au Palais-Royal, les autres jouer, moi je vais à dames;» disant cela, en se peignant et faisant l'homme accablé de bonnes fortunes. On le suivit et on le vit entrer à l'hôtel de Sully, comme j'ai dit; mais c'étoit pour une suivante appelée Pelloquin[216]. Roquelaure dit qu'il avoit gagné la confidente de madame de Lesdiguières, et que M. le duc d'Enghien, comme il l'avoit su d'elle, écrivoit à madame de Lesdiguières dans les lettres de madame de Longueville. M. le duc fit une fête pour elle, où Roquelaure ne vouloit pas qu'elle allât. Elle s'excusa sur ce qu'il avoit eu tort de la laisser engager, et qu'elle ne pouvoit pas du soir au matin feindre une maladie; elle y fut donc quoiqu'il fût encore venu pour la prier de n'y pas aller; cela acheva de le désespérer. Il dit pour ses excuses du vacarme qu'il fit, qu'elle le menaça de le faire maltraiter. Je doute que cela soit vrai. [216] Il y avoit un maréchal-ferrant de ce nom-là à la rue Saint-Antoine, qui avoit un mouton qui le suivoit partout; il lui disoit toujours: «Plus tu deviens grand, plus tu deviens bête.» Cela a fait un proverbe: _il ressemble au mouton de Pelloquin, plus il devient grand, plus il devient bête_. (T.) Madame de Lesdiguières, pour vérifier la médisance de Roquelaure, souffrit depuis les galanteries de M. d'Émery: on voyoit Césarin, fils de l'intendant de la duchesse, aller et venir sans cesse dans le cabinet de cet homme. Dès le vivant du maréchal de Créqui, son beau-père, elle avoit fait parler d'elle. C'est sur cela que Boissat[217] l'académicien, frère de Boissat, bon officier de cavalerie, s'avisa de lui donner la _baie_, comme font les masques en Dauphiné et en Provence. Au carnaval, c'étoit à Grenoble, il s'habilla donc en sage-femme, et avoit un écriteau sur l'estomac, où il y avoit: Il n'y a que moi de _sage-femme_. Il dit quelque chose à la dame dont elle s'offensa fort, outre qu'elle prit l'écriteau à son désavantage. Il lui dit aussi en lui présentant des ciseaux, «qu'il les lui donnoit parce qu'elle découpoit fort bien.» Irritée au dernier point, et fière de sa lieutenance de roi, car M. le comte de Soissons, qui étoit gouverneur de Dauphiné, vivoit encore, elle obligea son mari, qu'on appeloit alors le comte de Saulx, à le faire maltraiter. Boissat eut des coups de bâton, et fut fort blessé à la tête. Par une démangeaison d'écrire, il écrivit sa déconvenue à l'Académie; car il croyoit qu'elle engageroit le cardinal de Richelieu à venger l'affront fait à une personne du corps. Mais il n'avoit pas plus de jugement en cela qu'en autre chose[218]. C'est un homme d'esprit, mais il est hâbleur en diable. Ce qu'il a fait en vers et en prose n'est que médiocre. Je me souviens qu'il vint à Paris incontinent après, et que madame d'Harambure qu'il vit de nuit, car il ne se montroit point, lui ayant dit: «Oseroit-on vous parler d'oublier?--Ah! répondit-il, j'ai reçu des coups trop près de la mémoire.» [217] Pierre de Boissat, de l'Académie françoise, mourut en 1662, âgé de cinquante-huit ans. [218] Pellisson a donné la relation détaillée de ce différend. On y lit toutes les pièces du procès, à l'exception de la première lettre dans laquelle Boissat racontoit les traitements dont il se plaignoit. On voit plus bas qu'il en avoit demandé lui-même la suppression. (Voyez l'_Histoire de l'Académie françoise_; Paris, 1730, t. 1, p. 183.) La Noye, aujourd'hui le marquis de Piennes, son ami, dès le temps que Monsieur étoit en Flandre (ils l'avoient suivi tous deux), tâcha de faire que le comte de Saulx se battît contre Boissat; mais il n'en put venir à bout. Quand Pellisson fit l'_Histoire de l'Académie_, on voulut savoir de lui s'il trouveroit bon qu'on y mît sa lettre à l'Académie, comme on y mettoit toutes celles qui avoient été écrites à la Compagnie. Il dit qu'on supprimât la première lettre; et quand on lui demanda si on mettroit le reste, il ne répondit rien. Voilà son silence pris pour approbation. On croit que, comme feu M. de Créqui avoit dit qu'il n'étoit gentilhomme, il ne fût fâché qu'on vît dans ce livre une assemblée de noblesse en sa faveur. Depuis, il s'est ravisé, et un an après a demandé qu'on ôtât tout cela. On lui a promis de l'ôter à la seconde édition; mais à quoi cela servira-t-il? La première édition en sera plus chère. Si j'étois en la place du libraire, je garderois dès à présent ce qui reste, je ferois une seconde édition, et je vendrois sous main les premières; car on dira: Je veux des bons, je veux de ceux où sont les coups de bâton de Boissat. Il est devenu dévot, a fait des vers latins de dévotion, et s'est marié à Vienne; on ne l'a point revu à Paris. Il dit une plaisante chose, une fois, à un gueux du Cours: «Mon ami, lui dit-il, je m'appelle Boissat, je suis à Monsieur, et je viens de Flandre.» Reprenons madame de Lesdiguières. Elle eut depuis un autre garçon. On a parlé depuis de M. d'Humières avec elle. La petite de La Vergne[219], fille de La Vergne, gouverneur de M. de Brezé, qui, dit-on, ressemble à madame de Lesdiguières, dit un jour à Roquelaure, comme il se mettoit auprès d'elle: «Monsieur, prenez garde à la ressemblance.--Mademoiselle, répondit-il, prenez-y garde vous-même.» [219] Marie-Madeleine-Pioche de La Vergne, depuis comtesse de La Fayette, auteur de _Zayde_ et de _la Princesse de Clèves_. Aymar de La Vergne, son père, étoit gouverneur du Havre. Il nous semble qu'on ignoroit jusqu'à présent qu'il eût été attaché à l'éducation du maréchal de Brézé. Enfin, il falloit que Roquelaure fût puni de toutes ses insolences en apprenant ce que c'est que jalousie. Il devint amoureux de mademoiselle Du Lude, une des plus belles, pour ne pas dire la plus belle de la cour. Il promit cinq cents pistoles à une femme de la mère, si l'affaire réussissoit; car la pucelle eût mieux aimé Vardes que lui, qui n'étoit plus jeune. Le comte Du Lude, depuis un combat qu'il fit avec Vardes durant le blocus de Paris, où ils se blessèrent tous deux cruellement, avoit fait une amitié étroite avec ce jeune cavalier, vouloit lui donner sa sœur et disoit: «Je n'aurai point d'enfants, ma femme est stérile.» (C'est une chasseuse à outrance et qui joue ici au mail publiquement en justaucorps[220].) «J'aime mieux que mon ami ait tout qu'un autre.» Cependant l'affaire réussit, car il fit bien de l'avantage à sa femme; et le lendemain des noces Roquelaure compta les cinq cents pistoles à la suivante, et lui dit: «Mademoiselle, en voilà encore cent par-dessus; mais prenez la peine de vous aller marier où il vous plaira.» Il ne la voulut plus souffrir auprès de sa femme. Nous en parlerons amplement dans les Mémoires de la Régence. [220] Rénée-Éléonore de Bouillé, princesse, femme du comte Du Lude. Madame de Sévigné la présente aussi dans ce caractère, mais elle la peint de cette manière qui lui est propre: c'étoit en 1672, au moment où l'armée se rendoit sur les bords du Rhin. «Je fus hier à l'Arsenal,...... je trouvai La Troche qui pleuroit son fils, et la comtesse Du Lude qui pleuroit son mari: elle avoit un chapeau gris, qu'elle enfonçoit dans l'excès de ses déplaisirs; c'étoit une chose plaisante; je crois que jamais chapeau ne s'est trouvé à pareille fête: j'aurois voulu ce jour-là mettre une coiffe ou une cornette. Enfin ils sont partis tous deux ce matin, la femme pour le Lude, et le mari pour la guerre.» (_Lettre_ à madame de Grignan, du 27 avril 1672.) Deux ans après, il lui vint huit mille livres de rente d'une plaisante façon. Un gentilhomme gascon, vieux garçon, en colère contre ses parents, sur le point de mourir, voyant par sa fenêtre une maison qui est à Roquelaure: «Je donne tout mon bien à M. de Roquelaure, dit-il. Ecrivez, notaire. Sa terre m'a fait souvenir de lui.» Quand il recherchoit mademoiselle Du Lude, la comtesse, mère de la demoiselle, alla naïvement s'informer de lui à madame de Lesdiguières, qui ne put s'empêcher d'en rire, et après lui en dit bien sérieusement ce qu'elle en pensoit, c'est-à-dire que si sa fille vouloit avoir de la complaisance, elle serait fort heureuse avec lui. En effet, Roquelaure est bon mari. LA TOUR ROQUELAURE. La Tour, surnommé La Tour-Roquelaure, étoit bien parent de Roquelaure, mais n'étoit point de la même maison, si ce n'est par les femmes; mais on l'appela ainsi à cause qu'il étoit toujours avec le marquis, et que ce fut lui qui l'introduisit dans le monde. Il étoit bien fait et dansoit fort bien; vrai parent de Roquelaure pour l'insolence. Il eut une forte galanterie avec madame de Montglas[221]. Un jour qu'il étoit brouillé avec elle, il dit à la comtesse de Fiesque: «Pensez-vous que je m'en soucie? J'en ai eu assez de choses.» Il dit aussi qu'il avoit couché avec madame de Comminges, avec madame de Fosseuse et avec madame d'Uxelles[222]. «Qui vous croiroit? dit la comtesse, vous n'avez pas une lettre.--Vous avez raison, dit-il, je suis un fat. Je ne coucherai plus avec pas une qu'elle ne m'ait écrit auparavant. Cette Montglas ne m'a jamais voulu écrire à cause de cela.» Leur querelle vint de ce qu'elle ne vouloit pas qu'il entrât, je ne sais quel jour qu'elle avoit fait quelque remède; il entra pourtant et lui parla du style de son cousin. On disoit à cette femme, en la consolant des insolences de cet homme, qu'il falloit pardonner aux amoureux. «Ah! pour amoureux, dit-elle en franche coquette, il l'est autant qu'on le peut être.» [221] Cécile-Élisabeth Hurault de Cheverny, petite-fille du chancelier, avoit épousé, en 1645, François de Paule de Clermont, marquis de Montglas. Elle a été maîtresse de Bussy-Rabutin, qu'elle abandonna dans sa disgrâce. Le comte se vengea en la faisant peindre sous les traits de la Fortune, avec cette devise: _Ambo leves, ambo ingratæ_. (Voyez les _Souvenirs d'une visite aux ruines d'Alyse, et au château de Bussy-Rabutin_, par M. Corrard de Breban; Troyes, 1833, in-8º, pag. 18.) [222] Marie de Bailleul, mariée, en 1645, à Louis Châlons Du Blé, marquis d'Uxelles, mère du maréchal. Son mari étoit gouverneur de Châlons, et n'étoit pas riche. Elle passoit pour galante; on fit sur elle le couplet suivant: Mon mari s'en est allé A Châlons, en Champagne; Il m'a laissé sans argent, Mais avec mon enjouement J'en gagne, j'en gagne, j'en gagne. (_Airs et vaudevilles de cour, dédiés à Mademoiselle_; Paris, Sercy, 1665, p. 295.) Le comte de Fiesque écrivit en ce temps-là un billet sans signer à Belesbat en ces termes: «M. de Belesbat est prié de se trouver chez M. le marquis de Roquelaure pour, conjointement avec M. de La Tour, vaquer aux affaires de leur vacation.» La Tour fut fort déferré de cette équipée. On lui proposa, pour se raccommoder avec tout le sexe, de faire la fête du Menteur, et que celles qui s'y trouveroient seroient obligées de le recevoir chez elles; car les dames lui avoient fermé la porte. Il n'y mordit point. Avant cela, se trouvant en lieu obscur ou écarté avec madame d'Uxelles, il voulut entreprendre quelque chose; elle le repoussa rudement. «Pardioux, lui dit-il, madame, qu'auriez-vous dit d'un gascon qui n'eût rien entrepris en si belle occasion?» La Tour fut tué à la guerre. La comtesse de Fiesque écrivit un jour à madame de Montglas: «Ma chère, venez me voir; il est quatre heures, et il n'est venu encore personne; je suis au désespoir.» Au carnaval de 1652, madame de Montglas fit une plaisante extravagance chez la présidente de Pommereuil. On y devoit jouer _Pertharite, roi des Lombards_, pièce de Corneille qui n'a pas réussi[223]. Mademoiselle de Rambouillet dit à Segrais, garçon d'esprit, qui est à cette heure à Mademoiselle[224], qu'elle n'avoit point vu _l'Amour à la mode_[225]; et qu'elle l'aimeroit bien mieux. «Dites-le à la comtesse de Fiesque.» La comtesse le dit à Hippolyte; c'est le fils du président de Pommereuil du premier lit, un benêt qu'on appeloit ainsi parce qu'on lui faisoit la guerre qu'il étoit amoureux de sa belle-mère. Hippolyte, qui étoit épris de la comtesse, alla dire aux comédiens que, quoi qu'il coûtât, il falloit absolument jouer _l'Amour à la mode_, et les envoya changer d'habits. On joue; madame de Montglas réclame et fait bien du bruit. La comtesse et elle se harpignèrent; les autres ne dirent rien. Au troisième acte, patience échappa à madame de Montglas; elle crie tout haut: «Mon carrosse est-il venu?--Non, madame.--Celui de l'abbé de Richou y est-il? (Notez que c'étoit son galant.)--Oui, madame.» Elle sort, et, par une plaisante rencontre, le comédien qui étoit sur le théâtre dit: Retraite ridicule et fort extravagante. C'étoit justement où il en étoit, et dans la comédie une femme se retiroit comme cela brusquement. Cela fit rire jusqu'aux larmes. [223] _Pertharite_, tragédie de Pierre Corneille, ne fut représentée qu'une seule fois, en 1653. [224] Il s'étoit attaché au comte de Fiesque, quand ce dernier fut relégué en Normandie. Segrais est de Caen. (T.) [225] Comédie de Thomas Corneille, en cinq actes, représentée en 1653. LE CHEVALIER DE ROQUELAURE. Le chevalier de Roquelaure[226] est une espèce de fou, qui est avec cela le plus grand blasphémateur du royaume. On dit qu'il s'est un peu corrigé. A Malte, il fut mis dans un puits, où on le laissa quelque temps par punition. A l'armée navale, le comte d'Harcour fut sur le point de le faire jeter dans la mer avec un boulet au pied. Cela ne le rendit pas plus sage[227]; car quelques années après, ayant trouvé à Toulouse des gens aussi fous que lui, il dit la messe dans un jeu de paume..., baptisa et maria des chiens, et fit et dit toutes les impiétés imaginables. On en avertit la justice. On y fut; mais ils se défendirent. Enfin pourtant il fut pris. Quelques jours après il corrompit le geôlier moyennant six cents pistoles: le geôlier se sauva avec lui, dont mal lui en prit, car le chevalier lui prit son argent, et le renvoya comme un coquin. On les suivit, et le chevalier fut repris. Son frère aîné ne perdit point de temps, et obtint une évocation à Paris, ou, pour mieux dire, une jussion de ne passer point outre. Cela lui sauva la vie. Voilà le chevalier à Paris, qui, au lieu de se retirer, ou du moins de vivre modestement, se promenoit à la vue de tout le monde, ne bougeoit du cabaret, et menoit toujours sa vie ordinaire. Quelques dévots représentèrent à la Reine que sa régence ne prospéreroit point si elle laissoit ce sacrilége impuni. On donne donc ordre, à l'insu du cardinal Mazarin, au prévôt de L'Ile de prendre le chevalier; ce qu'il fit, non sans perdre de ses archers; et, du côté du chevalier, Biran[228], un de ses frères, grand gladiateur, y fut blessé. On le mena à la Bastille, où il fut assez long-temps. Le cardinal assura le marquis de la vie de son frère; car pour la prison, ses parents eussent été ravis qu'on l'y eût tenu à perpétuité. A la cour on murmuroit de cette sévérité, et les femmes même disoient tout haut: «qu'on n'avoit jamais vu arrêter un homme de condition pour des bagatelles comme cela.» Madame de Longueville étoit de ce nombre. Après il fut mené à la Conciergerie, et on parla tout de bon de lui faire son procès. En ce temps-là, comme quelqu'un lui disoit qu'il couroit fortune, et qu'il avoit Dieu pour partie, il répondit: «Dieu n'a pas tant d'amis que moi dans le Parlement.» Quoiqu'il y eût bien des témoins, on ordonna pourtant qu'il seroit plus amplement informé, et cela peut-être pour lui donner le temps de faire évader les témoins; mais le chevalier trouva que le plus sûr, sans doute, étoit de s'évader lui-même. La femme du geôlier, nommé Du Mont, qui étoit une grande coquette, à qui souvent le prisonnier donnoit les violons, devint amoureuse de lui. Il se consoloit avec elle tout doucement; il la gagna, et elle fit faire un trou par lequel il se sauva au bout d'un an de prison. On dit qu'il jouoit au piquet avec le gros La Taulade, qui étoit là pour dettes, quand on lui vint dire à l'oreille que le trou étoit fait; il ne se le fit pas dire deux fois, et fit semblant d'aller dire un mot à quelqu'un. Le chevalier sort; La Taulade, las de l'attendre, alla voir pourquoi il étoit si long-temps; il trouva le trou; l'occasion lui sembla belle, il voulut en faire autant; mais il n'y put jamais passer: la mesure n'avoit pas été prise pour lui. Le lendemain de l'évasion du chevalier il arriva douze témoins contre lui; il en avoit eu peut-être avis, et c'est apparemment ce qui obligea son amante à ne pas différer davantage: on la prit avec son mari, et on la mena au Châtelet. Je pense qu'il n'y a pas eu de preuves contre elle; pour moi, je le lui aurois pardonné, à cause de sa générosité; car elle avoit mieux aimé se priver d'un homme qu'elle aimoit, que de le voir prisonnier. [226] Antoine de Roquelaure, chevalier de Malte. On dit dans Morery que ce chevalier mourut jeune. Les généalogies dans ce Dictionnaire ont été fournies par la famille. On verra par la suite de cet article que les Roquelaure avoient intérêt à dissimuler l'existence du chevalier. [227] Un jour qu'il jouoit et perdoit, il blasphéma tant, qu'un orage étant survenu, tout le monde eut peur et se retira; il demeura seul à dîner, et disoit en regardant le ciel: «Tonne, tonne, mordieu! tonne; tu penses me faire peur.» Un nommé Frissart, grand joueur de paume et grand blasphémateur, fit un jour venir un maçon pour lever un carreau d'un jeu de paume, où il y avoit, disoit-il, un diable dessous. Il fallut le lever, et il fit mille signes de croix avant qu'on le remît. (T.) [228] Ce brave fut tué en second par un bâtard de Montauron qu'il vouloit marquer, disoit-il, sur le nez. (T.) Il revint à un an de là, et on ne lui dit plus rien. C'est un assez plaisant _Robin_; il appelle son beau-frère cocu. On ne se fâche point de tout ce qu'il dit. On croit qu'il a été amoureux de madame la Princesse; il lui disoit tout ce qu'il lui plaisoit. Il la suivit à Bordeaux; mais il ne l'a pas suivie en Flandre. Il dit plaisamment, quand M. de Luynes, le janséniste, envoya demander dispense pour épouser sa tante, mademoiselle de Montbason: «Des gens de notre religion ne voudroient pas faire cela.» Il étoit tout mélancolique, disoit-il, de ce qu'on lui avoit défendu de chanter la messe. Une fois il disoit: «Je viens de ce bordel de la maréchale de Roquelaure.» Elle lui disoit: «Chevalier, je suis toute triste, faites-moi rire.» Il lui disoit cent extravagances. Un jour Romainville, illustre impie, son ami, étoit à l'extrémité; un Cordelier vint pour le confesser. Le chevalier prend un fusil, et couchant le Père en joue, lui dit: «Retirez-vous, mon père, ou je vous tue: il a vécu chien, il faut qu'il meure chien.» Cela fit tellement rire Romainville, qu'il en guérit. Cependant le chevalier se confessa à quelques années de là, et mourut comme un autre homme, en disant qu'il ne craignoit que de n'avoir pas assez de temps pour se bien repentir. Il avoit les jambes fort enflées, et il disoit: «Je les veux léguer à Laverdens.» C'est un gros frère qu'il avoit. BELESBAT. Belesbat[229] se nomme Hurault, et est de bonne maison. Cette maison a trois branches, celle de Vibraye, celle du chancelier de Cheverny, dont madame de Montglas est petite-fille, et celle de laquelle descendoit le père de M. de Belesbat. C'étoit un maître des requêtes, et il l'a aussi été, et ensuite conseiller d'Etat. Il est demeuré comme un amphibie entre la ville et la cour, quoi que dise ce couplet contre lui: Ah! que j'aime ce Belesbat, Quoiqu'il soit un peu fat. Barbe à coquille, Et long en ses discours, Galant de ville, Et non galant de cour. [229] Henri-Hurault de L'Hôpital, seigneur de Belesbat, fut reçu conseiller au Parlement en 1633. Il devint ensuite maître des requêtes, et mourut en 1684. Depuis, quoiqu'il fût marié, il ne laisse pas de faire furieusement le galant. Il avoit quarante ans qu'on l'appeloit en riant _le Beau Ténébreux_, car il a l'honneur d'être pour le moins aussi brun qu'un autre. Il cajoloit, il y a onze ans ou environ, la sœur de Du Gué Bagnols[230], femme d'un maître des comptes, nommé Moussy. Or, durant l'absence de Belesbat, qui, pour avoir dit quelque chose dont il se fût bien passé sur la perte d'Armentières, eut ordre de faire un petit voyage à Vannes, en Bretagne, la dame souffrit quelques autres galants qui effacèrent un peu _le Beau Ténébreux_ de sa mémoire. Au retour, il s'imagina de se maintenir par autorité; il lui défendoit tantôt d'aller au Cours, de voir tels et tels hommes, et ne lui vouloit pas donner la liberté de voir madame de Courcelles-Marguenat, sa bonne amie, aussi femme d'un maître des comptes. Non content de cela, il alla quereller cette madame de Courcelles, et, en présence de quelques personnes, il lui reprocha de l'avoir ruiné auprès de madame Moussy, qu'elle lui avoit donné un autre galant, et qu'elle vouloit que son amie l'imitât, et ne se contentât pas d'un à la fois, «car, ajouta-t-il, madame, on sait bien que tels et tels vous servent,» et les nomma. Comme cette femme se plaignoit hautement de cette insolence, Brancas, l'un des galants que Belesbat avoit nommés, entra; elle lui dit l'outrage qu'on lui venoit de faire. Brancas maltraita l'autre de paroles, et le menaça de le faire sortir s'il continuoit, et enfin Belesbat continuant toujours, il le prit par les épaules et le mit dehors, puis ferma la porte de la chambre. Belesbat ne s'en tint pas là, car il alla prier le prince d'Harcour, qui lui donnoit quelque ombrage, de ne plus voir cette madame de Moussy. «J'y suis engagé il y a long-temps, lui dit-il en présence de Laigues[231], et si elle vous voyoit, je lui ferois un affront.» Il lui en fit un en effet, car il fit avertir Moussy par un billet de se trouver à Saint-Gervais (c'est leur paroisse), où une personne lui diroit une chose qui lui importeroit extrêmement. On dit qu'il reçut ce billet en présence de sa femme, et qu'elle fut aussi à Saint-Gervais, sans dire rien, car elle se doutoit de quelque chose. Là, elle vit que madame de Belesbat[232] présentoit des lettres à Moussy. Cette femme, ravie de se venger, lui dit: «Monsieur, ce sont des lettres de votre femme à M. de Belesbat; où vous verrez _Pierre_, c'est vous.» Moussy, chose extraordinaire pour un maître des comptes, et qui passe pour une assez pauvre cervelle d'homme, et qui, d'ailleurs, étoit jaloux, car on dit que souvent il a fait faire des représentations à sa femme par toute la famille assemblée, et que là on vespérisoit[233] terriblement la pauvre chrétienne; Moussy prit les lettres, et répondit à madame de Belesbat que ce n'étoit pas là l'écriture de sa femme, et que c'étoit une imposture. Pour faire le conte bon, on ajoutoit qu'il lui avoit dit: «Madame, si vous étiez tant soit peu jolie, je pourrois me venger de votre mari; mais ma foi je me punirois plus que lui.» [230] Il est parlé de ce maître des requêtes dans l'Historiette de Roquelaure. (T.) [231] Ce Laigues est mêlé dans toutes les intrigues du temps. Il étoit fort lié avec Montrésor; le cardinal de Retz en parle fréquemment dans ses _Mémoires_. [232] Renée de Flexelles, fille de Jean de Flexelles, seigneur de Bregy. Elle se maria en 1637, et mourut en 1707. [233] _Vespériser_, réprimander. Cette expression, tout-à-fait hors d'usage, est dérivée du mot _vespérie_: on appeloit ainsi le dernier acte de théologie que devoit soutenir le licencié avant de prendre le bonnet de docteur; cet acte se faisoit la veille au soir du jour où devoit avoir lieu la réception; celui qui présidoit donnoit au répondant quelques avis, qui pouvoient bien quelquefois sentir la réprimande. (Voyez le _Dict. de Trévoux_.) La dame accusée a dit pour sa défense que Belesbat avoit ôté à un de ses laquais une lettre qu'elle écrivoit à une de ses amies, et que sur son écriture il en avoit fait contrefaire quantité; et assez de gens ont dit que cela étoit vrai, et que Belesbat étoit homme à se vanter sans fondement; mais cette femme a fait encore une galanterie depuis avec Fieubet, maître des requêtes. Cela n'a pas servi à contredire l'histoire de Belesbat. Le mari prit cela pour argent comptant, ou feignit de le prendre, et envoya prier l'abbé de Belesbat[234] de venir parler à lui chez M. de Saint-Gervais, et lui dit qu'il s'étoit voulu plaindre à lui de l'injure que son frère lui avoit faite, parce qu'il le croyoit homme d'honneur; qu'il lui déclaroit que si M. de Belesbat ne se dédisoit de ce qu'il avoit dit, il le tueroit partout où il le rencontreroit. On disoit qu'il étoit assez étourdi pour cela. Il est bien vrai qu'il fit un peu de peur au galant, et qu'il lui tira vingt coups de pistolet dans ses fenêtres; mais enfin la fureur martiale d'un maître des comptes ne peut pas durer long-temps. Il traita sa femme à l'ordinaire, et on les a vus en ce temps-là à la promenade ensemble. Belesbat, se voyant blâmé par tout le monde, dit que c'étoit sa femme qui avoit surpris ces lettres, et que c'étoit un tour de jalouse. Roquelaure dit là-dessus: «Ce galant de ville veut m'imiter, mais c'est un poltron; il désavoue tout, moi je ne désavoue rien.» Cela mit _le Beau Ténébreux_ en si méchante réputation, qu'ayant été proposé dans une compagnie, lequel il vaudroit mieux être de Belesbat ou de Saint-Germain-Beaupré, tout le monde conclut pour le dernier. [234] Paul-Hurault de L'Hôpital, prieur de Saint-Benoît-du-Sault, mort d'apoplexie le 7 mars 1691. Plus de quinze ans après, cette madame de Moussy et son mari se sont séparés; le jeu en est plus cause que la galanterie, car elle étoit bien passée. Elle jouoit quelquefois d'une telle fureur, qu'elle couchoit pour cela dehors deux et trois nuits. On dit d'elle que pour demeurer à coucher dans des maisons pour rejouer dès le matin, comme on lui refusoit de la retenir, elle subornoit une servante pour coucher avec elle. MADAME DE COURCELLES-MARGUENAT, ET MADAME DE CHAUVRY. Cette madame de Courcelles, que Belesbat ne vouloit pas que madame de Moussy vît, est fille d'un homme riche de Paris qui s'appeloit Passart: elle a un frère maître des comptes. On la maria à un maître des comptes, homme qui n'étoit point mal fait. Elle est petite et a les yeux petits, mais elle est fort jolie et fort coquette. Sa mère lui avoit tant fait entendre de messes, qu'elle n'en fut guère friande quand elle fut mariée. Elle souffrit bien avec son beau-père, un vieux fou, chez qui il falloit aller passer tous les ans six mois, en Champagne; mais en revanche elle en tiroit beaucoup. Le premier qui a fait galanterie avec elle est un conseiller au grand-conseil, nommé Gizaucour; il est de Champagne et étoit voisin du beau-père, et frère de la première femme de Courcelles. Ce Gizaucour se jeta dans la débauche; c'étoit avant que d'être conseiller, et négligea la dame, ou bien en fut négligé; mais il a eu la curiosité d'avoir toujours quelqu'un des gens de la belle à lui, qui lui conte tout ce qu'elle fait. Il dit que Brancas lui succéda, et que durant sa gueuserie, madame de Courcelles répondit pour lui aux marchands. Un soir que Courcelles vint par hasard, et contre sa coutume, dans la chambre de sa femme, il y trouva Brancas qui prenoit congé; il le conduisit en bas. Un valet, favori du mari, dit assez haut pour être entendu de la femme: «Mordieu, je ne saurois souffrir que monsieur fasse comme cela de l'honneur à un homme qui le fait cocu.» Elle le fit chasser; mais il fallut six mois pour cela. Ce bonhomme de mari, quand elle avoit fait bien des fredaines, se vouloit mêler quelquefois de l'admonester de son devoir. «Je vois bien, lui disoit-elle, que vous êtes en humeur de prêcher.» Elle lui apportoit un grand fauteuil. «Mettez-vous là, lui disoit-elle, et prêchez tout votre soûl.» Puis, quand il avoit bien harangué: «C'est là, lui disoit-elle, le plus court chemin que vous puissiez prendre pour vous faire bien haïr.» Enfin le mari se rebuta, et ne couchoit plus avec elle; mais elle couchoit avec Brancas, et elle se sentit grosse. Or, elle se prévalut de l'arrivée de leur fermier, appelé Fissier, qui étoit un paysan qui avoit bon sens et qu'ils aimoient assez; ils le faisoient toujours manger avec eux. Le soir, quand il fut temps de se coucher, le mari dit: «Je m'en vais, adieu.--Hé! où allez-vous? dit cet homme qui avoit le mot.--Dans mon appartement.--Par ma foi, je vous trouve bien de loisir de faire ainsi lit à part: il ne faut jamais user quatre draps, quand on peut n'en user que deux.» Tout en goguenardant, il les fit coucher ensemble. Une fois, en pareille rencontre, elle fit ôter toutes les vitres de sa chambre, et le soir, feignant que le vitrier lui avoit manqué de parole, elle dit à son mari: «Je m'enrhumerai bien cette nuit; si vous vouliez, je demeurerois ici.--Ce que vous voudrez.» Elle le caressa bien, et il adopta encore cette fois-là l'enfant d'un autre. Les coquetteries de cette femme firent tourner la cervelle à son mari. Quand elle eut lieu de le traiter un peu de fou, elle l'enferma dans une chambre sur le devant du logis, dont les fenêtres étoient grillées et même condamnées, de peur qu'il ne vît le beau monde qui alloit voir sa femme. On disoit qu'elle avoit Brancas[235] pour brave, le chevalier de Gramont[236] pour plaisant, Charleval[237] pour bel esprit, et le petit Barillon[238] pour payeur. Un jour elle et deux ou trois autres coquettes étoient au Cours avec le chevalier de Gramont et autres. Le petit Coulon, enfant gâté, y étoit; il est leur voisin; elles l'avoient pris en badinant dans leur carrosse. Ces jeunes gens prirent leurs manteaux, à cause d'un vent frais qui se leva, et après, par-dessous leurs manteaux, portèrent la main à ces femmes où vous savez. Ce sont là leurs belles façons de faire. Quelques jours après, cet enfant étoit chez madame la présidente de Pommereuil avec sa mère, et là, ayant froid, il prit son manteau, puis mit la main où vous savez à la présidente. Elle et sa mère le grondèrent. «Ouais! dit-il, je vis faire comme cela l'autre jour au Cours.» On approfondit l'affaire, et la Pommereuil disoit: «Mais ce sont donc des perdues! Il ne les faut plus voir.» Cela se sut, il y eut une querelle du diable. Enfin on les accommoda. [235] Brancas, le fameux distrait, le _Ménalque_ de La Bruyère. [236] Le chevalier de Gramont, le héros d'Hamilton, et l'ami de Saint-Évremont. [237] Jean-Louis Faucon de Ris, seigneur de Charleval, poète agréable et léger, dont les ouvrages, épars dans les Recueils du temps, ont été réunis en 1759 par Lefebvre de Saint-Marc, et publiées avec les _Œuvres de Saint-Pavin, de Lalanne et de Montplaisir_. [238] Il a été ambassadeur en Angleterre au moment de la révolution qui renversa les Stuarts. Il en est souvent parlé dans les _Lettres_ de madame de Sévigné. La maréchal d'Albret s'avisa, il y a quelques cinq ans, d'en conter à la Courcelles; elle étoit veuve alors; elle étoit éprise de Bachaumont[239], comme elle l'est encore. Le bruit court qu'ils sont mariés. Le maréchal n'y fit rien, et Roquelaure en faisoit une plaisanterie. «Ce brave Miossens[240], disoit-il, ce conquérant, à qui rien ne résistoit, a été trois mois devant une bicoque, une méchante place qu'on appelle _Marguenat_, et a levé le piquet honteusement.» Les goguenards disoient: «Il n'avoit garde de la prendre, il y a trop de gens dedans.» [239] François Le Coigneux de Bachaumont, auteur de quelques poésies légères; il n'est connu aujourd'hui que par le _Voyage_ qu'il publia conjointement avec Chapelle. [240] César Phœbus, maréchal d'Albret, porta le titre de comte de _Miossens_, ou _Miossans_, jusqu'au moment où il fut élevé à la dignité de maréchal de France. Son mari devint hébêté. Elle l'enferma fort bien dans une chambre. Cependant Bachaumont Le Coigneux s'en éprit, et, le mari étant mort, il vécut avec elle comme avec sa femme. Enfin, au bout de dix ou douze ans, ils firent jeter des bans, et se marièrent comme s'ils n'eussent jamais couché ensemble[241]. [241] Cet alinéa a été écrit par l'auteur à la marge du manuscrit plusieurs années après ce qui précède. C'est ce qui explique la différence qu'on remarque entre deux passages qui se suivent d'aussi près. Un nommé Cotignon, successeur de Chauvry, étoit conseiller au Parlement; depuis il a vendu sa charge, et vit de ses rentes. Il est fils d'un bonhomme Cotignon[242], qui étoit à la Reine-mère; il a épousé une jolie personne, petite et brune, mais qui a l'esprit fort vif[243]. Ménébrolles, fils de Roullier, homme d'affaires fort riche, fut le premier qui l'entreprit, mais en vain. Ce Ménébrolles est un étourdi qui se disoit le Roquelaure des bourgeois. [242] Gabriel Cotignon, seigneur de Chauvry, étoit secrétaire des commandements de la reine Marie de Médicis. Il devint, en 1613, généalogiste des ordres du Roi. Nicolas Cotignon, son fils, l'objet de l'article de Tallemant, succéda à son père dans cette charge. [243] Elle s'appeloit Marie Royer, dame Du Breuil. Depuis, cette madame de Chauvry eut la connoissance de madame de Courcelles; et le mari, qui n'y prenoit pas plaisir, et qui peut-être savoit que Rambouillet, blondin de réputation, qui étoit frère de sa femme, avoit été de quelques parties de madame de Courcelles, lui défendit absolument de la voir. Or, il y eut je ne sais quelle promenade, où elle alla en cachette; il le sut, chassa le cocher et les laquais, et donna, dit-on, le fouet à sa femme. En voici deux autres vaudevilles: Du temps de Ménébrolle, Petite Chauvry, Vous n'étiez pas sur le rôle Des coquettes de Paris. Dieu! quelle misère En ce siècle-ci: On donne des étrivières A madame de Chauvry! Jusqu'à cette heure[244] Tu n'es pas cocu; Mais tu le seras, je meure. Mon ... vengera mon ... [244] Elle parle au mari. (T.) Elle étoit tellement jalouse de lui, que durant six années elle ne voulut pas souffrir qu'il mît le pied chez sa sœur des Réaux, une des plus belles femmes de la ville, et il ne la voyoit plus que chez le père avec lequel il logeoit. Peu de gens s'en aperçurent. Peut-être avoit-elle remarqué que ce garçon parloit de sa sœur avec trop de tendresse. Lui, comme discret cavalier, a conté à son propre père que pour posséder cette femme il avoit loué une maison proche de la sienne (c'était en un quartier fort éloigné, près les Carmes déchaussés), et que là il avoit fait une ouverture au mur qui rendoit dans une grande armoire de bois de poirier noirci, où elle faisoit semblant de mettre des confitures; et cette armoire étoit scellée dans la muraille. Il passoit comme cela des nuits entières avec elle. SAINT-GERMAIN BEAUPRÉ, LE FEU PRÉSIDENT LE BAILLEUL ET SES FILS. Saint-Germain Beaupré, gouverneur de la Marche, est fils de feu Saint-Germain Beaupré, qui avoit fait sa fortune par le moyen de madame de Sourdis, tante de M. de Beaufort, car ce n'étoit ni un homme de cœur, ni un homme d'une maison fort illustre. Foucault est le nom de la famille. Il devint gouverneur de la Marche, et embellit fort sa maison de Saint-Germain Beaupré, qui est en ce pays-là. C'a été un fort grand tyran en toutes choses: quand un paysan ou un bourgeois avoit du bien, il le forçoit à donner sa fille à quelqu'un des gens de M. le gouverneur, et c'étoit ainsi qu'il récompensoit ses domestiques; grand voleur, grand emprunteur à ne jamais rendre, et grand distributeur de coups de bâton. Quelquefois il lui est arrivé de faire assassiner des gens. Enfin madame de Rambouillet, eu égard au pays montueux où il étoit, et à sa manière de vie, disoit que c'étoit un autre _Vieil de la Montagne_. Celui dont nous parlons, qui est son aîné, n'a pas eu meilleure réputation que son frère pour la bravoure, et n'est peut-être guère moins pillard. Il eut une querelle avec un gentilhomme de feu M. le Prince, nommé Villepréau, qu'il attaqua si bien à son avantage dans la rue Saint-Antoine, qu'un grand laquais qu'il avoit lui donna un coup d'épée dont il mourut. Saint-Germain voulut faire passer cela pour une rencontre; on demanda sa grâce au Roi, qui dit: «Ce n'est pas à lui qu'il la faut donner, c'est à son grand laquais.» Au siége de Hesdin, Le Drouet, capitaine aux gardes, lui donna un soufflet, et Saint-Germain se laissa accommoder avec ce soufflet par-devers lui. Tout cela le mit en si méchante réputation, qu'encore qu'il ne fût pas mal fait de sa personne, qu'il eût douze mille écus de rente, un gouvernement, de la plus petite province de France à la vérité, mais toujours un gouvernement de province, une belle maison et pour cent mille écus de meubles, le marquis de Rochefort ne lui voulut jamais donner sa fille, quoiqu'elle eût bien des frères et bien des sœurs, et qu'il ne lui donnât pas un gros mariage. Madame de Bouteville lui refusa sa fille, aujourd'hui madame de Châtillon; elle n'avoit pourtant que cinquante mille écus tout au plus. Enfin, voyant le feu président Le Bailleul, surintendant des finances, il épousa la plus jeune de ses trois filles, qui est une fort jolie personne; il n'en eut que cent mille francs; mais il espéroit tout de la faveur du surintendant. Il fut bien attrapé, car l'année ne passa point que d'Émery ne fût surintendant au lieu de Le Bailleul. Sa femme et lui ne furent pas long-temps bien ensemble: tous les jours ce n'étoit que gronderies. Enfin elle découvrit à son père ce que Saint-Germain vouloit exiger d'elle. Il falloit que l'accusation fût puissante, car Saint-Germain, tout avare qu'il est, se résolut à donner huit mille livres de pension à sa femme qui alla demeurer chez le président. Depuis cet impertinent s'avisa de dire que sa femme se divertissoit avec un valet-de-chambre qu'il avoit. Peut-être a-t-il trouvé plus à propos de passer pour cocu, que pour s........, et qu'il a voulu être du côté du plus grand nombre. Il dit que ce valet l'avoit trahi, et qu'il étoit cause de tout le désordre qui arriva entre lui et sa femme. Ce fut le bonhomme Perrochel, maître des comptes, qui négocia cette séparation. On disoit qu'il avoit séparé Saint-Germain pour le redonner à sa femme[245], car cette vieille étoit la seule bonne fortune que le cavalier avoit eue. [245] Cette madame Perrochel, une fois chez madame de Rohan, voyant des portraits, demanda de qui ils étoient. «Des princesses de Rohan, lui dit-on.--Jésus! vous m'étonnez, répondit-elle, ils sont blancs comme neige!» (T.) Au bout d'un an et demi, Saint-Germain et sa femme se remirent ensemble. En un voyage à Paris, comme il fut de retour au logis, un soir, il demanda où étoit sa femme. Elle a mandé, dit-on, qu'elle soupoit chez madame la Princesse, la jeune. Le soupçon le prend, il y va; elle n'y soupoit point. Elle revient à minuit. «D'où venez-vous? De chez madame la Princesse.--Ah! carogne!» Le voilà à coups de pied et à coups de poing. Le président Le Bailleul, quoiqu'il se dise d'une bonne maison de Normandie, qui s'appelle de Bailleul, n'en est point; car il seroit tout de même descendu des _Ballioli_, roi d'Écosse, si le nom y faisoit quelque chose. Son père étoit Normand, fort expert à remettre les os disloqués et rompus, et à panser les descentes de boyau: il épousa une bourgeoise. Il est vrai qu'il n'avoit point de boutique, car il n'étoit pas chirurgien, et qu'il se mit je ne sais quelle vision de noblesse dans la tête. On dit qu'il avoit toujours l'épée au côté. Le feu président avoit le talent de son père, et de leur nom on appelle tous les remetteurs des _Bailleuls_. Le feu Roi avoit quelque affection pour celui-ci, et le fit lieutenant civil, puis il devint président au mortier. Il s'attacha à la Reine, qui le fit surintendant des finances, métier auquel il n'étoit nullement bon, car c'étoit un assez pauvre homme. On faisoit un conte sur cela. On disoit qu'une de ses filles, ou son fils, voyant qu'il disoit en marchandant un cheval: «Je n'en veux point donner soixante écus; mais je vous en donnerai deux cents livres,» lui avoit dit: «Vous verrez qu'on vous fera surintendant des finances, tant vous comptez bien.» On le fit ministre d'État, en lui ôtant les finances. On lui dit que son gendre dépensoit trop, et qu'il s'incommoderoit. «Nous avons accoutumé, répondit-il, de faire comme cela dans notre maison.» L'aînée de ses filles, qui est une personne de bonne mine, fut mariée avec Girard, seigneur de Tillet, qui est une terre de trente mille livres de rente, à quatre lieues de Paris; c'étoit un des plus riches garçons de la ville. Il l'épousa pour l'estime qu'il faisoit de l'alliance, car il eut si peu de chose en mariage que cela ne valoit pas la peine d'en parler. C'étoit avant la surintendance. Elle commença de bonne heure à faire bien de la dépense, car de trois mille louis d'or qu'il lui envoya, il n'en trouva pas un sou le lendemain de ses noces: le reste alla à proportion. Un an ou deux après son mariage, elle souhaita d'avoir des lettres de recommandation d'une veuve d'un avocat-général de Grenoble, nommée madame de Revel, qui a beaucoup d'esprit et qui faisoit fort joliment des vers; c'étoit pour quelque affaire au parlement de Dauphiné. Madame de Revel les écrivit et les lui voulut porter elle-même. Madame de Tillet n'étoit pas habillée, et ne se voulut pas laisser voir; elle envoya sa suivante en sa place. Mais la Dauphinoise connut aussitôt la vérité. Quelques jours après, pour faire voir à l'autre qu'elle n'étoit pas trop aisée à duper, elle y retourne; mais madame de Tillet fit dire qu'elle n'y étoit pas, et cela arriva plus d'une fois. Enfin madame de Revel emprunte un carrosse et des laquais afin qu'on ne reconnût point son équipage, et y va à une heure précisément. On la fait monter; madame de Tillet la reçoit, ne sachant qui ce pouvoit être; car elle étoit montée en même temps que le laquais. Elle lui dit: «Madame, je demandois madame de Tillet.--Madame, on m'appelle ainsi.--Ce n'est pas vous pourtant que je demande.--Madame, il n'y a que moi céans de ce nom-là.--Mais, madame, j'ai vu céans même une autre madame de Tillet qui ne vous ressemble point du tout.» L'autre reconnoît ce que c'étoit, et se déferre. La Dauphinoise en eut pitié, et lui dit: «Madame, c'est assez joué; je ne voulois que vous faire voir que les provinciales ne sont pas plus bêtes que les autres.» Et après fit une visite comme si de rien n'eût été. Madame de Tillet, avec sa mère, l'alla visiter ensuite; mais elle étoit encore déferrée. Sa galanterie avec Lillebonne, cadet d'Elbeuf, a bien fait du bruit. Il y en a qui ont dit que La Cour des Bois, cadet de Tillet (il est président je ne sais où), devint amoureux d'elle, et que, pour se venger de ce qu'elle ne l'avoit pas voulu aimer, il fit avertir ou avertit lui-même le mari de tout ce qui se passoit. Tillet alla pour quelque temps au Tillet et envoya un petit laquais chez lui, à Paris, fort adroit, avec ordre de s'amuser, et de se laisser surprendre par le soir, afin d'avoir prétexte d'y demeurer à coucher. Ce petit garçon se met à jouer, après souper, avec un petit laquais de madame, et sur les onze heures et demie il entend bien du bruit. «Qu'est-ce que cela? dit-il. Ne seroient-ce point des voleurs?--Voire! dit l'autre, joue seulement.--Mais je meurs de peur.--Joue seulement, te dis-je; c'est M. de Lillebonne qui vient comme cela coucher tous les soirs avec madame, quand monsieur n'y est pas.» Le lendemain, Le Tillet enleva le Suisse, car la vanité de cette femme en avoit voulu avoir un, et la demoiselle, à qui La Cour des Bois donna fort vilainement des coups de plat d'épée. Le Suisse confessa tout, et le mari renvoya la dame au président Le Bailleul, son père. On dit que les Suisses, qui servent de portiers à Paris, allèrent au nombre de trois cents enlever leur camarade au Tillet; après ils allèrent demander les gages au président. «Paie-le, dirent-ils, il t'a servi et a servi ta fille selon son goût.» Il le fallut payer. Tout cela se fit, dit-on, à la campagne. J'en doute un peu. Madame Pilou alla comme les autres voir madame Le Bailleul dans cette affliction. Cette sotte femme lui dit: «Ah! madame, mes pauvres filles sont bien malheureuses! (On avoit aussi parlé terriblement de madame d'Uxelles, auparavant madame de Nangis[246].) Le monde est bien acharné sur elles. Mais on dira ce qu'on voudra; mes filles sont bien demoiselles. Celles qui ne sont point demoiselles peuvent bien tomber en ces fautes-là, mais non pas elles.--Ah! ah! madame, dit madame Pilou, me voilà donc bien _encarognée_, moi qui suis fille et femme de procureurs. Vraiment, vous me donnez là un beau _casse-museau_.» Le père parloit à peu près de même. Madame de Tillet prit huit mille livres de pension. Le mari est ferme et n'en veut point ouir parler; il dit: «Revenez si vous voulez; mais gare la tour.» Elle est chez sa mère depuis la mort du président Le Bailleul, le père, où elle a sa fille. Lillebonne continue toujours et fort scandaleusement. [246] Elle sortit de Paris au blocus à la tête d'une compagnie de chevau-légers qu'avoit un Chaumont, parent du bonhomme Chaumont, beau-frère du président Le Bailleul; elle étoit déguisée en homme. On disoit à Chaumont: «Vous avez là un joli cadet.» Ce garçon faisoit entrer les jeunes gens de la cour tous les jours à Paris. Meret, une fois, pour avoir mal contenté ses porteurs, fut en danger, car ils crièrent: «Au Mazarin!» (T.) MADAME DE CHOISY, CHAMPAGNE LE COIFFEUR. Madame de Choisy est sœur de Belesbat. Choisy, maître des requêtes, aujourd'hui chancelier de M. d'Orléans, l'épousa pour avoir de l'alliance; car pour lui c'est peu de chose; et la maltôte a enrichi son père. Elle a été jolie, a de l'esprit, et dit les choses plaisamment. Elle est gaie, et cherche toujours à se divertir: c'est un original en certaines choses. Elle plaisoit tellement au cardinal Mazarin, au commencement de la régence, qu'un jour il dit chez le maréchal d'Estrées: «Quoi! vous vous divertissez céans, et madame de Choisy n'en est pas! Comment se peut-on divertir sans elle[247]?» [247] Madame de Choisy faisoit le charme de la haute société par les agréments de son esprit. Mademoiselle de Montpensier, madame de Brégis, Segrais, dans _les Divertissements de la princesse Aurélie_, et Somaize, dans _le grand Dictionnaire des précieuses_, ont fait d'elle les portraits les plus flatteurs. On a parlé ailleurs de cette dame avec quelque détail. (Voyez la _Notice sur l'abbé de Choisy_, en tête de ses Mémoires, dans la deuxième série des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, t. 63, p. 123.) On dit que jamais elle n'a été déferrée qu'une fois. Elle n'étoit pas trop bien avec La Rivière[248]; or, il y avoit une partie de lui, de Goulas[249], de Tambonneau[250] et de sa femme, et de feue mademoiselle de Belesbat, pour aller chez Goulas. Madame de Choisy mouroit d'envie d'en être, et ne savoit comment s'en mettre. Enfin elle résolut de payer d'effronterie. Un jour, à dîner, quoi qu'on lui dît, elle ne déferra point. Cependant La Rivière la poussa de telle force, que mademoiselle de Belesbat en vint contre lui aux grosses paroles. Cela s'apaisa. Elle avoit alors une demoiselle qui n'étoit pas trop sage: cette fille s'avisa de lui dire qu'on ne lui rendoit pas assez d'honneur. «Tu verras, une telle, combien je me vais faire respecter.» La Rivière et les autres surent cela. Ils lui donnent un grand fauteuil, un cadenas, et laissent deux places entre elle et les autres. Elle reçoit tout cela sans s'étonner, comme une chose due. Au milieu du repas, après lui avoir rendu bien des déférences, tout d'un coup La Rivière et Goulas se lèvent, le verre à la main, et lui disent: «A toi, la Choisy.» Cela la déferra tout plat. [248] Louis Barbier, dit l'abbé de La Rivière, évêque de Langres. C'étoit le favori de Gaston, duc d'Orléans, quoique, dit le _Gallia christiana_, d'après tous les Mémoires du temps, il ne lui ait pas toujours tenu sa foi. C'étoit un véritable roué revêtu des habits d'un prélat. [249] Secrétaire des commandements de Gaston, duc d'Orléans, dont il est souvent parlé dans les Mémoires de mademoiselle de Montpensier. [250] Le président Tambonneau, il étoit à la chambre des comptes. On se souvient que Louis XIV fit, avec madame de Montespan, un couplet sur la présidente Tambonneau. (_Œuvres de Louis XIV_, tome 6, page 264.) La Rivière fit un jour un conte de maître Girard, le concierge des Petites Maisons, qui s'amusa une fois si fort à crosser[251], que les fous, qui n'étoient pas liés, se pensèrent tous sauver. Depuis, quand madame de Choisy disoit des folies, il lui crioit: «Madame, maître Girard crosse; madame, maître Girard crosse.» [251] _Crosser_; c'étoit un jeu qui consistoit à chasser une balle ou une pierre avec un bâton recourbé. (_Dict. de Trévoux._) Ce jeu devoit beaucoup ressembler à celui du mail. Elle appelle ses yeux _ses vainqueurs_. Un jour qu'elle étoit allée voir madame de Vendôme, une bonne idiote[252], elle lui dit pour excuses de ne lui avoir pas rendu plus souvent ses devoirs, que _ses vainqueurs_ avoient été malades. La bonne princesse crut qu'elle avoit dit ses chevaux, et lui demanda: «Qu'avoient-ils donc? Avoient-ils le farcin?» [252] On pourra juger de l'étendue de l'esprit de Françoise de Lorraine, duchesse de Vendôme, par ce passage d'une lettre écrite à Conrart, le 13 novembre 1665, par Marie-Éléonore de Rohan, abbesse de Malnoue. (Nous avons copié cette lettre sur l'original autographe qui fait partie du manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, no 151, in-4º, t. 2, p. 239) «Il faut encore vous dire que madame de Vendôme, en remerciant le Roi des honneurs qu'il a fait rendre à M. de Vendôme, lui dit:--Il ne manque rien à ma satisfaction, sinon que M. de Vendôme vît lui-même les honneurs que Votre Majesté lui rend après sa mort; il en auroit été bien content, et moi aussi.--Je n'ai rien vu d'elle de plus joli que ce compliment, non pas même quand elle prioit Dieu afin que la mer ne fût point débordée durant que son fils de Beaufort seroit dessus.» Elle disoit familièrement à M. de Candale: «Mais allez au moins faire un tour dans l'antichambre. «Croyez-vous qu'on n'ait point envie de pisser?» Un jour elle eut envie de manger d'une tourte; elle en fait faire une par son sommelier; on la lui apporte devant tout le monde; elle se met à la manger, sans en donner à personne, et puis quand elle en eut assez: «Tenez, leur dit-elle, en voilà encore; mangez si vous voulez.» Elle dit aux gens familièrement: «Vous ne m'accommodez pas; si je puis m'accoutumer à vous, je vous le ferai savoir;» et elle fait ce qu'elle dit. Quand elle voit trop de gens chez elle à la fois, elle leur dit: «En voilà trop; voyez qui de vous s'en ira.» Elle fit sortir une fois comme cela deux hommes à leur première visite. On trouve tout bon d'elle. Le comte de Roussy, homme grave, qu'elle avoit rencontré le jour de devant quelque part, heurtoit à sa porte: elle met la tête à la fenêtre. «Monsieur le comte, je vous vis hier, c'est assez; j'ai affaire à monsieur que voilà.» C'étoit un jeune homme de quinze ans. On n'en a pourtant jamais médit. Elle dit familièrement aux gens: «Combien y a-t-il que vous ne m'aviez vue? Vous venez un peu trop souvent.» Jerzé lui fit un jour une malice: il emporta une de ses lettres qu'il trouva sur la table de la princesse Marie[253], à qui elle étoit adressée. Il la fait imprimer et envoie crier devant sa porte: «_Voilà la lettre de madame de Choisy à madame la princesse Marie._» Jerzé la va trouver. Elle étoit dans une colère enragée: il lui dit qu'elle avoit grande raison, et qu'il ne falloit point souffrir de ces choses-là. Elle croyoit que la princesse Marie lui avoit fait le tour. Enfin on en sut la vérité; et, ravie de n'avoir point sujet de se plaindre de la princesse, elle pardonna de bon cœur à Jerzé. [253] Marie de Gonzague, qui devint reine de Pologne en épousant Wiesnovieski. «Ma mère, dit son fils, avoit un commerce réglé avec la reine de Pologne, Marie de Gonzague, avec madame royale de Savoie, Christine de France, avec la fameuse reine de Suède, et avec plusieurs princesses d'Allemagne.» (_Mémoires de l'abbé de Choisy_, deuxième série de la Collection des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, tome 63, page 153.) On écrit de Naples qu'une dame de fort bonne compagnie, et qui mettoit tout le monde en train, avoit été huée dans les désordres. «Ah! dit-elle, voilà la _Choisy_ de Naples morte.» Un jour, étant au bal auprès de madame d'Angoulême[254] la jeune, qui seroit bien sa fille, elle lui disoit: «Il faut avouer que les blondes éclatent plus ici; mais nous autres brunes, nous avons l'agrément.» Elle disoit cela du meilleur sérieux qu'elle eût. [254] Henriette de La Guiche, veuve de Jacques de Matignon, comte de Thorigny, femme de Louis de Valois, duc d'Angoulême. Elle fit une fois un vilain tour au curé de Saint-Germain de l'Auxerrois: elle avoit pris un remède; ce remède fut si long-temps à opérer, qu'elle se résolut à aller à la messe avant que de rendre. Mais à peine la messe fut-elle vers la fin, qu'elle se sentit pressée. Elle entre chez le curé, et trouve deux hommes dans sa salle qu'il avoit conviés à dîner; elle leur dit: «Messieurs, M. le curé vous demande.» Elle plante son paquet dans la cuvette où il y avoit du vin à la glace, puis se sauve. Elle loge là, auprès de l'hôtel de Blainville. Le curé la vouloit excommunier: elle répondit «qu'il valoit mieux qu'elle eût fait tout dans la cuvette que dans l'église; et qu'après tout, si elle n'eût été bien craignant Dieu, elle n'eût pas été à la messe en cet état-là.» Champagne le coiffeur contoit, il y a long-temps, une chose d'elle que personne n'a crue: il disoit qu'étant une fois allé trouver la princesse Marie à Notre-Dame-des-Vertus, où elle prenoit l'air chez Montelon, son avocat, il étoit entré dans la chambre de madame de Choisy, qui y étoit aussi, et que, l'ayant rencontrée au lit, il avoit été assez heureux pour trouver l'heure du berger; mais que ce n'étoit pas ce qu'on pensoit, et qu'elle avoit les cuisses fort maigres. Un des parents de la dame, qui m'a conté cela, dit qu'il chercha quelque temps Champagne pour le rouer de coups, mais que le coquin se cacha. Je ne sais comment, après une chose comme celle-là, la reine de Pologne a pu emmener Champagne avec elle. Ce faquin, par son adresse à coiffer et à se faire valoir, se faisoit rechercher et caresser de toutes les femmes. Leur foiblesse le rendit si insupportable qu'il leur disoit tous les jours cent insolences: il en a laissé telles à demi coiffées; à d'autres, après avoir fait un côté, il disoit qu'il n'achèveroit pas si elles ne le baisoient; quelquefois il s'en alloit, et disoit qu'il ne reviendroit pas si on ne faisoit retirer un tel qui lui déplaisoit, et qu'il ne pouvoit rien faire devant ce visage-là. J'ai ouï dire qu'il dit à une femme, qui avoit un gros nez: «Vois-tu, de quelque façon que je te coiffe, tu ne seras jamais bien tant que tu auras ce nez-là.» Avec tout cela elles le couroient, et il a gagné du bien passablement; car, comme il n'est pas sot, il n'a pas voulu prendre d'argent, de sorte que les présents qu'on lui faisoit lui valoient beaucoup. Lorsqu'il coiffoit une dame, il disoit ce que telle et telle lui avoit donné, et quand il n'étoit pas satisfait, il ajoutoit: «Elle a beau m'envoyer quérir, elle ne m'y tient plus.» L'idiote, qui entendoit cela, trembloit de peur qu'il ne lui en fît autant, et lui donnoit deux fois plus qu'elle n'eût fait. Avec cela il étoit médisant comme le diable: il n'y avoit personne à sa fantaisie. De Pologne il alla en Suède, et revint ici avec la reine Christine. M. ET MADAME DE BRÉGIS. Brégis est fils d'un président des comptes, qui s'appeloit Flesselles. Cet homme, par la vision de conserver de grandes pièces en terres, en charges et en maisons à Paris, payoit une si grande quantité de rentes constituées, qu'on payoit chez lui, à la lettre, comme on fait à l'Hôtel-de-Ville. Brégis étoit cadet[255], et se mit dans le régiment des gardes, où il acheta un drapeau; depuis il devint l'aîné. Son père l'obligea à quitter l'épée. Jamais on ne l'y put faire résoudre qu'en lui disant qu'un conseiller au parlement passoit devant un capitaine aux gardes. Il n'y a pas de difficultés pour des contrats de mariage, enterrements et autres choses semblables. Voilà donc Brégis de robe; mais il n'en fut pas long-temps. Il devint amoureux d'une femme-de-chambre de la reine, appelée mademoiselle de Charan[256], fille du premier lit de madame Hébert, autre femme-de-chambre de la Reine. Pour la lui faire épouser, on donna à cette fille, qui étoit jolie, quoique brune et petite, la qualité de fille de la Reine, de dehors. Le père ne consentit point au mariage; depuis il s'apaisa. On fit un couplet. Brégis s'est fait de la cour, Épousant Charan, la belle; Mais il sera quelque jour Aussi cocu que Courcelle[257]. [255] Madame de Belesbat est sa fille. [256] Ce passage de Tallemant donne le véritable nom de la comtesse de Brégis, ainsi c'est par erreur qu'elle a été appelée Charlotte de Saumaise dans une note des _Œuvres de Louis XIV_, t. 5, p. 19. [257] Un homme de qualité qui, par amour, avoit épousé une gourgandine. Depuis elle consentit à la dissolution du mariage, et il épousa madame d'Auriac, sœur du maréchal de Villeroy. (T.) On dit qu'il lui avoit fait présent de quelque galanterie pour laquelle il lui fallut subir une opération. Cela se sut, quoique secret, et on l'appela _le Petit Castillan_, à cause que les chevaux de ce pays-là ont le bout d'une oreille coupé. Brégis eut, par le crédit de sa femme, je ne sais quel emploi quand on parla d'envoyer à Munster, et de là il fut envoyé en Pologne, où après il eut qualité d'ambassadeur. Du temps du mariage de la reine de Pologne, il alla en Suède, où la Reine se laissa apparemment tromper à la hablerie du cavalier; car pour sa physionomie, quoiqu'il soit bien fait, il a furieusement de ganache. Sa femme cependant s'étoit bien mise dans l'esprit de la Reine, et y a gagné, dit-on, plus de quatre cent mille livres. Elle est coquette en diable; cependant on n'a jamais tranché le mot avec personne. Elle ne manque point d'esprit; mais c'est la plus grande façonnière et la plus vaine créature qui soit au monde. Elle dit une chose jolie quand les Polonois étoient ici. La Reine lui dit: «Mais entendez-vous ce qu'ils disent quand ils vous cajolent?--Hélas! madame, répondit-elle, en cette matière-là on entendroit des Topinamboux.» Or, la reine de Suède fit faire un compliment à madame de Brégis, et lui offrit une province entière, si elle y vouloit venir. Sur cela madame de Brégis lui écrivit la lettre que voici. Je l'ai gardée exprès, parce que le monde étoit si sot que de la trouver belle, et qu'on en a fait, plus de cent copies. «MADAME, «Il m'auroit été avantageux de garder le silence pour ne pas détruire la bonne impression que Votre Majesté a reçue en ma faveur, si je ne l'avois jugé trop contraire à la reconnoissance que je lui dois des bontés qu'elle me témoigne sans les avoir méritées, si ce n'est que son divin esprit ait pénétré qu'elle a en moi une personne qui est remplie d'un respect et d'une vénération toute particulière pour une reine, qui mériteroit le nom de la plus illustre qui ait jamais existé, si celle que je sers n'étoit d'un mérite qui ne peut être surpassé, et qui m'oblige de lui faire partager un cœur que je lui offrirois tout entier s'il n'étoit préoccupé par une rivale avec laquelle il est toujours heureux d'avoir quelque chose à contester, et si je n'avois cru qu'une infidélité est un sentiment indigne d'être offert à Votre Majesté, ni d'être pris par une personne qui ose désirer son amitié, que je regarde comme une chose qui ne peut être méritée, mais que je lui demande en faveur des sentiments respectueux que M. de Brégis a pour elle, qui sont tels qu'elle ne les peut attendre plus grands de pas un de ceux qui sont assez heureux de voir Votre Majesté en la présence de laquelle il me seroit doux de protester que je suis, etc.[258].» [258] Cette lettre, quoique multipliée par des copies, n'a pas été insérée dans les _Lettres et Poésies de madame la comtesse de B._ (Brégis); Leyde, Antoine Du Val, 1666, petit in-12, ou Jean Sambix, 1668. Cette pièce, en effet, ne méritoit pas la publication, et Tallemant l'a bien jugée en la présentant comme un exemple de ridicule et d'affectation. Sur cette lettre, Comminges, qui haïssoit madame de Brégis, avec laquelle il avoit eu prise jusqu'à se dire des injures, car elle l'appela _cocu_, et lui l'appela p....., écrivit à Benserade en ce sens: «Au reste, après avoir considéré de quelle importance est à l'État l'alliance des Suédois, je souhaiterais qu'on pensât à satisfaire la Reine. On voit bien qu'elle est rivale de la Reine, et qu'elles aiment toutes les deux madame de Brégis, et qu'après l'offre d'une province entière pour l'attirer en son pays, il n'y a point d'apparence qu'elle souffre qu'on lui refuse cette dame. Mon avis seroit donc de lui accorder madame de Brégis, attendu que toutes les inondations des Goths sont venues de ce pays-là, et que si, pour se venger, la reine de Suède en faisoit faire encore une, ils seroient bien plus à craindre maintenant qu'en un autre temps, à cause des frondeurs qui se joindraient à eux infailliblement.» A La Haye, au retour de Suède, Brégis disoit à la reine de Bohème, qu'il avoit fait à qui tireroit le mieux à coups de pistolet avec je ne sais quel prince d'Allemagne, dont il vantoit fort l'adresse. «Ce prince, madame, tire, et donne droit au milieu d'une _richedalle_[259]. Moi (dit-il, en montrant son chapeau, qu'il mit exprès pour cela, et avançant le bras), avec mes pistolets de Langen[260], madame, je donne dans le même trou.» Je vous laisse à penser si on se moqua de lui. Cette cour de La Haye n'étoit pas trop mal polie. [259] _Reichsthaler_, pièce de monnoie allemande. [260] Célèbre arquebusier. (T.) Il disoit au prince de Tarente: «J'ai vu une princesse en tel lieu (il nommoit le lieu et la princesse), monsieur, croyez-moi, il y a quelque chose à faire avec elle; ce n'est pas une chose à négliger.» Notez qu'il y avoit trois cents lieues de Hollande pour le moins. Il est en méchante réputation du côté du cœur: je l'ai vu une fois (en 1651) à un bal l'épée au côté; un garçon de la ville nommé Bigot, commissaire des guerres, dit à demi-haut: «De quoi diable s'avise cet homme de porter une épée au bal?» Brégis l'entendit, et quand il eut dansé: «Qui est-ce, dit-il, qui a parlé de mon épée?» Bigot répondit: «C'est moi.» Voilà Brégis surpris; il croyoit qu'on lui feroit des excuses. «Je porte une épée, dit-il, parce qu'étant à la Reine (c'est donc de par sa femme), on ne doit pas aller sans épée en un temps si peu tranquille que celui-ci.» Brégis avoit amené une belle fille qui avoit résolu, disoit-il, d'entrer aux Filles Repenties; mais elle n'y entroit point. Madame de Brégis, un beau jour, la prend et l'y mène; elle avoit fait promettre à son mari, avant qu'il arrivât, qu'ils feroient lit à part; elle avoit trop souvent des enfants. Au bout de quelque temps pourtant, il fallut coucher ensemble. Le lendemain elle faisoit comme une nouvelle mariée; elle devint grosse aussitôt, et a continué depuis, de sorte qu'elle s'est fort gâtée. Son mari se mit à cajoler la suivante: cette fille le dit à sa maîtresse, qui lui dit: «Donnez-lui rendez-vous au Calvaire, et là je l'irai trouver.» Il y va, et, comme il croyoit tenir la fille, il trouve sa femme et la parenté qui lui chantèrent sa gamme: il se met en colère, donne un soufflet à la fille, et puis s'en va. Il y a eu depuis bien des noises en ménage. Elle s'est fait séparer de biens. Pour sa gloire pourtant elle l'a fait faire lieutenant-général, et il a servi deux campagnes en Italie. Nous en parlerons ailleurs[261]. [261] On a attribué au comte de Brégy, ou Brégis, les _Mémoires de M. de ***, pour servir à l'histoire du dix-septième siècle_; Amsterdam, 1760; 3 vol, petit in-8º. Cette opinion ne repose sur rien de solide. _Voyez_ la Notice de M. Alexandre Petitot en tête de l'ouvrage, dans la deuxième série de la Collection des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, t. 58. CÉRISANTE[262] ET MARIGNY. Cérisante se nommoit Duncan, et étoit fils d'un Écossois huguenot, qui étoit médecin et principal du collége de Saumur; c'est celui qui disoit qu'un médecin étoit _une incombustibilité propter religionem_. Ce garçon avoit de l'esprit, et faisoit des vers latins aussi bien que personne; mais il avoit une vanité enragée. Il fit dessein de suivre la profession de son père, et fut reçu docteur en médecine à Montpellier. Au retour, on le donna pour précepteur et gouverneur tout ensemble au feu marquis de Fors, fils de M. du Vigean; ce fut ce qui le perdit, car, à l'Académie, il se mit à faire les exercices comme son pupille, et enfin il jeta le froc aux orties. Le marquis, en changeant de religion, acheta le régiment de Navarre, et donna à Cérisante[263] la lieutenance de mestre-de-camp. Le marquis de Fors fut tué à Arras, il avoit bien du cœur et bien de l'esprit; et notre homme fut obligé de se retirer, car on le traitoit de pédant. Par malheur, il étoit devenu amoureux de mademoiselle de Fors, depuis madame de Pons, et aujourd'hui madame la duchesse de Richelieu[264], et, comme la demoiselle n'étoit pas si persuadée du mérite du cavalier que le cavalier en étoit persuadé lui-même, par désespoir il résolut d'aller voir si la fortune lui seroit plus favorable chez les Ottomans que chez les François; mais il en revint sur des lettres de madame du Vigean, qui, par le moyen de madame d'Aiguillon, lui vouloit procurer quelque avancement. En effet, on lui voulut donner un vaisseau, mais il méprisa cela. [262] Marc Duncan de Cérisante, né vers 1600, mort en 1648. [263] Ce fut en prenant le parti des armes que Duncan adopta ce nom de roman. (T.) [264] Anne Poussart, fille de François Poussart, marquis de Fors, seigneur du Vigean, dame d'honneur de la Reine, et ensuite de madame la Dauphine, veuve en premières noces de François-Alexandre d'Albret, sire de Pons, comte de Marennes, mariée en secondes noces à Armand-Jean Du Plessis, duc de Richelieu. Elle est morte en 1684. Au retour, ayant touché trois ou quatre mille francs, que M. du Vigean lui devoit, il s'en alla en Suède. M. Grotius[265], ambassadeur de Suède en France, lui donna une lettre de recommandation au chancelier Oxenstiern[266], mais peu pressante. Chapelain, que Cérisante connoissoit, s'avisa que M. de Longueville avoit à faire réponse au maréchal Horn[267], qui l'avoit remercié par une lettre de ses civilités, et il lui parla de Cérisante, pour porter sa lettre, le priant de le lui recommander. Le maréchal reçut Cérisante à bras ouverts, le retint chez lui quelques jours, puis le présenta au chancelier, son beau-père, qui, tout puissant en ce temps-là, car la reine étoit encore mineure, lui fit donner un régiment de cavalerie en Allemagne; mais s'étant trouvé qu'on vouloit envoyer ambassadeur en France un homme qui est venu depuis en 1648, le chancelier, qui le haïssoit, l'empêcha, et dit qu'un gentilhomme suffiroit. Il jeta les yeux sur Cérisante, qui se faisoit tout blanc de son épée, et l'envoya ici résident pour agir conjointement avec Grotius que le chancelier vouloit débusquer. En effet, Grotius demanda bientôt son congé, et Cérisante demeura. Chapelain le recommanda à Lionne[268]. Il étoit payé des neuf mille livres qu'on lui donnoit sur l'argent que le Roi fournissoit aux Suédois, il le prenoit même par avance. [265] Hugues Grotius (ou de Groot), homme universel, poète, historien, diplomate. Il vint en France comme ambassadeur de Suède, en 1635, et il y remplit ces hautes fonctions pendant dix années. Né en 1583, il mourut en 1645. [266] Alexandre, comte d'Oxenstiern, chancelier de Suède, et l'un des premiers hommes d'État de son temps. Né en 1583, il mourut en 1654. [267] Gustave, comte de Horn, maréchal de Suède, et l'un des plus habiles généraux de Gustave Adolphe, mourut en 1657, à l'âge de soixante-cinq ans. [268] Hugues de Lionne, secrétaire d'État au département des affaires étrangères, mort en 1671. Le feu Roi mourut en ce temps-là; on lui demande à lui, qui ne parloit que de madame d'Aiguillon, qui seroit premier ministre. Il dit que ce seroit apparemment le cardinal Mazarin. Cela s'étant trouvé vrai, ils le prirent, pour un plus habile homme qu'il n'étoit. Voilà notre homme bien à son aise; il se met en équipage, il avoit quatre chevaux, un carrosse bien armoirié, et trois laquais. Il prend un secrétaire, et se fait porter à Charenton un carreau de velours avec de l'or. Il appeloit ce jour-là le jour de son triomphe. Partout il affectoit d'avoir un fauteuil, jusque-là que des dames firent, par malice, clouer tous les fauteuils de leur chambre, afin qu'il n'en pût prendre un, car il en alloit prendre lui-même en un besoin, et c'étoit chez M. du Vigean qu'il tenoit le plus de gravité. Une fois, à l'hôtel de Rambouillet, M. Chapelain, qui y soupoit avec Voiture et Arnauld, s'y fit mener par Cérisante, qu'on y retint aussi, et en causant avec ces messieurs durant que Cérisante étoit allé parler à quelqu'un, comme il vit que les autres s'en moquoient, il leur dit: «Voyez-vous, c'est un étrange perroquet, ne vous y jouez point.» Ils se mirent à rire, et tout le soir, dès que Chapelain disoit quelque chose, ils lui disoient sans cesse: «Ah! pour cela vous êtes un étrange perroquet;» et se moquèrent de Cérisante en la personne de son ami. Quand il fallut se retirer, Cérisante le remena, et, comme Chapelain est fort cérémonieux, et qu'il ne vouloit pas que l'autre passât le coin de la rue, Cérisante lui dit: «Mais, vraiment, je dirai donc comme les autres que vous êtes un étrange perroquet.» Chapelain se mit à rire, et le conta le lendemain à madame de Rambouillet. En ce temps-là Bertaut l'_Incommode_[269] revint de Suède, et rapporta que Marigny[270] étoit fort bien avec la reine de Suède. Par malice, un jour que Cérisante étoit avec elle, elle envoya chercher Bertaut, et lui fit conter cela en sa présence. Cérisante, qui étoit assez fou pour avoir quelque dessein de plaire à la Reine, à mesure que l'autre contoit les progrès de Marigny, se déferroit, et ne savoit ce qu'il vouloit dire. En effet, Marigny étoit assez bien pour avoir été prié par le comte Magnus de La Gardie de le tenir bien dans l'esprit de la Reine, pendant le voyage qu'il venoit faire ici. Marigny, qui a toujours été un fou, frondoit tout haut contre le chancelier Oxenstiern. Ce Marigny étoit fils d'un officier de Nevers, appelé Carpentier. Connoissant la princesse Marie, il alla à Mantoue, où il ne trouva rien à faire; de là il passa à Rome, où je l'ai vu misérable. De retour ici, il trouva moyen d'être secrétaire de M. Servien, qui s'en alloit à Munster; mais il le quitta en Hollande, à cause de quelque démêlé, et s'en alla en Suède. Il est bien fait, il parle facilement, sait fort bien l'espagnol et l'italien, et n'ignore pas un des bons contes qui se font en toutes les trois langues; fait des vers passablement: pour du jugement, il n'en a point; mais la Reine, à qui il avoit affaire, a bien fait voir qu'on n'avoit pas besoin de jugement pour réussir auprès d'elle. Cérisante, jaloux de Marigny, dépêche un de ses frères, nommé Montfort[271], pour tâcher de le détruire. Montfort en dit du mal; Marigny se défend; et, comme il avoit eu avis de toutes les folies de Cérisante, il en fit des contes à la Reine, et le rendit ridicule. Enfin Marigny fit tant de sottises qu'on le voulut assassiner: il se défendit; la Reine prit son parti, mais avec tout cela on lui conseilla de se retirer. On parlera de lui dans la _Fronderie_. [269] Voir pour l'origine de ce surnom, t. 3, p. 179. [270] Jacques Carpentier de Marigny, auteur d'une multitude de vaudevilles sur le temps de la Fronde. Son poème du _Pain-Bénit_, imprimé en 1673, est le plus connu de ses ouvrages. Marigny mourut en 1670. [271] Ce garçon, pour avoir fait quelque insolence dans une débauche, fut battu par le comte Jacques de La Gardie, cadet du comte Magnus, et à tel point qu'il en mourut de regret. (T.) Voici les folies que Cérisante avoit faites à Paris. Il devint amoureux, à Charenton, d'une belle-fille nommée Lolo: il songea à l'épouser, et fit consulter, disoit-on, si on pouvoit assigner un douaire sur les bienfaits qu'on espéroit recevoir; car il avoit de grandes prétentions sur l'ambassade de Suède en France, et disoit à tout bout de champ, qu'un tabouret siéroit bien à cette fille. On la maria quelque temps après[272]. Quand il sut que l'affaire étoit conclue, par galanterie, il se fit son épitaphe à lui-même. Il s'en fût fort bien passé, car c'étoient des vers françois pitoyables. Pour se moquer de lui, Sablière Rambouillet, comme on l'a su depuis, fit imprimer un billet d'enterrement que voici: «Vous êtes prié d'assister à l'enterrement de messire Marc Duncan, seigneur de Cérisante, conseiller d'État de la couronne de Suède, résident et prétendant à l'ambassade de France?» [272] Elle épousa Gondran, fils de l'avocat Galland. (_Voyez_ plus bas l'Historiette de madame Gondran.) On porta un de ces billets dans une maison où il étoit: il s'emporta, et dit mille extravagances. Cela ne servit qu'à rendre la chose plus plaisante. Il alla voir la belle deux ou trois jours après qu'elle eut été mariée; elle étoit encore chez son père; il lui voulut dire quelque chose tout bas: le mari ne le trouva pas bon, ils se querellèrent. Le mari le menaça de le jeter par les fenêtres. Cérisante lui répondit que sans le respect de madame, il lui donneroit cent coups d'éperon, et se retira après avoir dit adieu pour jamais à cette belle. Il jeta les yeux sur une autre jolie huguenotte, fille de La Rallière, qui a fait le parti des Aisés[273] et bien d'autres. A cause de lui et de Catalan, autrefois huguenot, on appela la maltôte de la Théologie de Charenton. Il envoya demander cette fille en mariage, et dit à celui qu'il chargea de cette belle commission: «Je pense que le bourgeois sera bien aise.» Il en fut si aise, qu'il répondit que sa fille n'avoit que douze ans, et que quand elle en auroit vingt, il penseroit à la marier. Cependant un an après il la maria avec le comte de Saint-Aignan, fils du marquis de Clermont-Gallerande, de la maison d'Amboise. [273] Ce partisan avoit pris à ferme la taxe établie sur les _gens aisés_. Mais voici la plus grande folie de toutes. Un jour qu'il étoit au Cours avec madame de Besançon et sa fille, dans un embarras, Jerzé, qui étoit à la portière du carrosse de M. de Candale qui étoit au fond, dit au cocher de madame de Besançon: «Hé! mon ami, recule un pas; si tu savois ce que tu nous ôtes et le peu que tu nous donnes, tu me ferois cette grâce.» Ce carrosse l'empêchoit de voir quelque belle. Mademoiselle de Besançon s'offensa de cela, et dit en se tournant vers Cérisante: «Vraiment, ces princes chimériques s'en font un peu bien accroire.» Cérisante pensa avoir trouvé une belle occasion de se signaler. Il envoya le lendemain de bonne heure son frère, nommé Sainte-Hélène, faire un appel à M. de Candale. Par bonheur pour ce frère, M. d'Épernon n'en sut rien, car je crois qu'il eût mal passé son temps. M. de Candale dormoit encore: on ne voulut point l'éveiller. Ce garçon attendit si long-temps qu'on se douta de quelque chose; toutefois on le fit parler enfin. M. de Candale, qui ne s'étoit jamais battu, et qui n'avoit point encore été à l'armée, crut que ce seroit mal enfourner que de refuser un appel; il lui demanda donc rendez-vous derrière les Minimes de la Place-Royale. Cependant cela s'évente; M. de Candale alla pourtant au lieu de l'assignation; mais Cérisante fut en grand'peine, et il fallut que le cardinal le prît en sa protection; car on craignoit d'offenser les Suédois. Si feu M. d'Épernon eût vécu, il ne s'en seroit pas sauvé, et les Simons[274] eussent eu là une bonne curée. Il fut si fou que de dire, pour s'excuser, qu'il venoit des rois d'Écosse, et qu'il y en avoit de son nom, et il porta je ne sais quels vieux parchemins à M. de Lionne, par lesquels il prétendoit prouver sa noblesse. [274] C'étoit apparemment le nom du bourreau de ce temps-là. A propos de noblesse, avant cela, il entreprit de se faire déclarer noble à la cour des aides; et, comme il fallut des témoins pour déposer comme son père avoit vécu noblement, il fait ajourner pour témoins le maréchal de Châtillon, le maréchal de La Meilleraye et le marquis de Montausier, et n'en avertit point le rapporteur, qui n'avoit point de greffier, et n'étoit pas seulement en état de les recevoir: il fallut remettre à une autre fois. Le maréchal de Châtillon dit que, sans Cérisante, Arras n'eût pas été pris. Les deux autres, qui avoient étudié à Saumur, dirent que feu M. Duncan avoit été visité et honoré de tous ceux qui venoient étudier à Saumur, quelques grands seigneurs qu'ils fussent. Cérisante prenoit tout cela pour argent comptant, et ne voyoit pas que l'on se moquoit de lui[275]. [275] Depuis peu, Sainte-Hélène n'a pu se faire déclarer noble. (T.)--Il ne faut pas confondre ce frère de Cérisante avec le Cormier de Sainte-Hélène, l'un des juges du surintendant Fouquet. M. de Metz écrivit en Suède l'extravagance de cet homme, et que, sans le respect de la Reine, on l'auroit traité comme il le méritoit. Au bout de quelque temps, endetté par-dessus les yeux, il fut contraint de s'en aller sans dire gare. Du présent qu'on lui fit en Suède, il envoya de quoi payer ce qu'il devoit ici; et, voyant qu'il n'y avoit guère rien à faire, de là il alla en Pologne, où quelques gentilshommes qu'il avoit connus dans ses voyages lui firent saluer la Reine: il n'y trouva point d'emploi; et il revint à Paris, où il fut quelques jours _incognito_, de peur de ses créanciers; après il alla à Venise. Là, le marquis de Clermont-Gallerande, aîné de Saint-Aignan, dont nous avons parlé ci-dessus, qui étoit au service de la république, lui conseilla de se faire Turc. Notre homme lui confessa que sans la circoncision cela seroit déjà fait, mais qu'un vieux renégat lui avoit dit que c'étoient de trop grandes douleurs. Il alla donc à Rome, où il se fit catholique; le pape lui donna pour cela six cents livres de pension. Il étoit sur le point de se faire prêtre. Mais M. de Guise allant à Naples, il lui fut donné par les ministres de France, M. de Saint-Nicolas (Arnauld) en étoit un, pour tenir les chiffres auprès de M. de Guise; car il disoit naïvement qu'il avoit bien voulu laisser le premier lieu à ce prince, et il juroit qu'il ne quitteroit pas ses prétentions pour la fortune du maréchal de Gassion. Il assembla, de son chef, le conseil chez Gennaro Annèse, en qualité d'ambassadeur de France, et fit demander la charge de mestre-de-camp général. Il fit mettre un jour un carreau avec de l'or à l'église, comme ambassadeur. M. de Guise, devant tout le monde, le menaça des Petites-Maisons. M. de Guise, ne trouvant pas bon qu'il donnât avis de tout à la cour, comme il faisoit, le fit mettre en prison. Ce fut Modène[276], qui, voyant qu'il les traversoit, le fit arrêter comme un homme suspect. Il y avoit trois semaines qu'il étoit en prison, quand un valet adroit qu'il avoit prit son temps de se jeter aux pieds de M. de Guise, devant le peuple, et fit si bien que son maître sortit. Gennaro Annèse, avec lequel il avoit quelque intrigue, le fit sortir. Il eut ensuite quelque commandement vers Salerne; enfin il revint à Naples. Après l'attaque des postes des Espagnols, M. de Guise, voyant que le colonel, qui commandoit à cette attaque, avoit été tué, dit à Cérisante, qui étoit auprès de lui: «Il n'y a plus personne là pour commander.» Cérisante pour cela ne s'offrit point, de peur que M. de Guise ne dît qu'il s'étoit fait de fête; ainsi le duc fut contraint de lui dire qu'il le prioit d'y aller. Il y fut et reçut un coup de mousquet dans le talon dont il mourut au bout de douze jours; il écrivoit à M. de Chapelain, ne croyant pas être blessé si dangereusement, «qu'au moins s'il mouroit, il mourroit comme Achille[277]» On dit que Modène fut cause de cela, et qu'il ne donna pas comme il avoit ordre; de sorte que tout fondit sur notre aventurier. Il fit un testament par lequel il ordonna qu'on l'enterrât à la _Madonna del Carmine_, et il fit une inscription latine pour mettre sur son tombeau, qui disoit qu'il s'étoit dévoué pour la liberté du peuple de Naples. Il donnoit à son hôte quelque peu d'argent qui lui restoit, avec son équipage qui étoit assez médiocre, et après il ajoutoit: «Quant à mes autres biens, villes, forteresses, châteaux, seigneuries, terres, et tous autres lieux, de quelque titre qu'ils soient titrés, mes héritiers les partageront selon la coutume des lieux où ils sont situés.» Ce testament a été apporté ici, et je le sais d'homme qui l'a vu[278]. [276] Esprit de Raimond de Mormoiron, comte de Modène, né en 1608, mort en 1673. On a de lui l'_Histoire des révolutions de Naples_, complément nécessaire des _Mémoires du duc de Guise_. Cet ouvrage, qui étoit devenu fort rare, a été réimprimé par les soins de M. le comte de Fortia-d'Urban, membre de l'Académie des inscriptions; Paris, Sautelet, 1826, ou Pellicier, 1827. Les exemplaires de cette dernière date sont de la même édition que ceux de 1826; mais, en réimprimant des titres, on a retranché la généalogie de la maison de Raimond-Modène. [277] M. de Guise dit qu'il fut blessé en mettant chausses bas, et que ce fut à la jambe. La vérité est que ce fut au gros orteil. Lui, pour se comparer en quelque chose à Achille, écrivit à M. Chapelain qu'il eût mieux aimé que c'eût été au talon pour mourir de la mort d'Achille. (T.) [278] Cet homme-là a tort; car moi j'ai eu curiosité à Saumur de lire ce testament; il y a dans le style du notaire, qui le prenoit pour un grand seigneur, quelques termes de châteaux et seigneuries; mais où il parle de lui, il n'y en a pas un mot. Son frère Sainte-Hélène, qui m'a montré ce testament, prétend qu'en 1641, qu'il fut à Constantinople, il y alla par ordre du cardinal de Richelieu. Il se peut faire qu'y voulant aller, il se fit donner quelque patente par la faveur de madame du Vigean auprès de madame d'Aiguillon. (T.) MADAME DE GONDRAN. Cette belle fille, cette Lolo[279], dont nous avons dit que Cérisante devint amoureux, est celle qu'on appela depuis madame de Gondran: elle est fille d'un nommé M. Bigot de La Honville, contrôleur-général des gabelles. La famille des Bigots est une assez bonne famille; mais il n'y a point de gens au monde qui s'estiment plus les uns les autres que ceux-là. Le frère de celui-ci avoit fait un arbre généalogique de leur famille, et écrivoit soigneusement la naissance de tous les enfants issus de Bigots ou de Bigottes; c'est pour cela que l'abbé Tallemant[280] appeloit cette famille _la maison d'Autriche_. Ils emploient toute la matinée leurs laquais à envoyer savoir des nouvelles les uns des autres. La Honville, comme l'aîné de tous, est aussi le plus grimacier; la première chose qu'il fait quand il est levé, c'est d'aller dans la chambre de sa fille aînée, avec laquelle il loge depuis qu'il est veuf[281], pour savoir comment elle a passé la nuit. Il fit une fois un voyage à Bourbon avec elle, et Louvigny, son mari, qui étoit devenu aveugle; d'Agamy, beau-frère de Louvigny, et sa femme, y étoient aussi. Tout le long du chemin, cet homme venoit dire à sa fille: «Ma fille, ne vous plaît-il pas qu'on mette les chevaux?» La fille, bien instruite, répondoit: «Ce qu'il vous plaira, mon papa, c'est à vous à ordonner.» Il en falloit autant pour déjeûner, autant pour monter en carrosse, autant à la dînée et à la couchée, pour savoir en quelle hôtellerie on iroit; et, sans d'Agamy, car, pour le gendre, il ne souffloit pas, je pense qu'il eût fallu retourner dès l'entrée d'Essone; peut-être même ne fussent-ils point partis, car un jour que cet homme devoit mener chez lui, à la campagne, une de ses sœurs, il fallut, avant que de se quitter, résoudre à quelle heure ils partiroient le lendemain; voilà donc le frère qui, d'un ton grave, dit à sa sœur: «Ma sœur, à quelle heure vous plaît-il que nous partions?--A quelle heure il vous plaira, mon frère.--Mais, ma sœur, c'est pour vous que je vais à La Honville.--Mais, mon frère, c'est vous qui me menez.» Ils furent comme cela un gros quart-d'heure. Moi, qui n'avois point là mon carrosse, et qui voulois que ce monsieur me menât quelque part, j'enrageois de cette cérémonie. Enfin je m'approchai, et leur dit: «Ne sait-on pas bien que pour faire huit ou neuf lieues (car il y en avoit autant de Paris à cette maison), il faut partir à onze heures?» Je terminai tous leurs compliments. [279] Diminutif de Charlotte. [280] François Tallemant Des Réaux, abbé du Val-Chrétien, membre de l'Académie françoise, oncle de l'auteur de ces _Mémoires_, mourut en 1693. [281] Sa femme étoit fille de Sarrau, secrétaire du Roi. (_Mémoires de Conrart_, dans la Collection des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, t. 48, p. 188). Or, La Honville est situé entre le chemin de Lyon et le chemin d'Orléans; de sorte que cet homme épie tous ceux de sa connoissance qui prennent l'une ou l'autre de ces deux routes, pour les prier de loger chez lui, non pas qu'il y prenne si grand plaisir, mais par vanité; car quand on lui a conseillé de se délivrer de cette servitude qui lui a coûté bon, il a répondu que ses pères en avoient usé ainsi, et qu'il ne vouloit pas dégénérer. Il y mène souvent ses sœurs et leur _mesgnie_[282], et quand il est dans la cour, il descend le premier, et leur fait un compliment avec autant de sérieux que s'il recevoit M. le chancelier. Ce cérémonieux pourtant fit une chose que les plus libres ne feroient pas; car, quand sa sœur de Mérouville maria sa fille, il lui offrit sa maison des champs; il n'y avoit qu'une carrossée de personnes. Cependant lui laissa faire toute la dépense, et ne leur donna que de l'eau. Il fit la même chose pour ma sœur de Ruvigny, et n'eut pas l'esprit de ne s'y pas trouver. Je m'en crevois de rire, et surtout quand il fallut se mettre à table; car, comme maître de la maison, il vouloit être au bas bout, et d'autre côté, ne donnant point à manger, il voyoit bien qu'il étoit comme un étranger chez lui-même; enfin on le fit mettre au milieu comme un amphibie. Un M. d'Harambure l'attrapa bien, car il lui écrivit: «Je vais moi-même me marier chez vous; je vous prie de nous traiter familièrement, et de retrancher quelque chose de votre ordinaire.» Effectivement il y fut. [282] Leur famille. Revenons à Lolo. J'ai connu cette personne dès sa plus tendre enfance, car mon frère aîné a épousé sa sœur, et j'ai vu de quelle manière elle a été élevée; je n'ai jamais vu une plus aimable enfant: elle étoit belle, mais elle étoit plus agréable que belle; un air, un enjouement, une vivacité, la plus charmante qu'on se puisse imaginer. Par malheur, sa mère lui manqua de trop bonne heure; car, quoique ce ne fût pas la plus habile personne du monde, elle avoit une sévérité qui étoit très-utile à ses enfants, et les deux filles qu'elle a nourries n'ont fait parler d'elles en façon quelconque: l'aînée même a fort bien vécu avec son mari aveugle; je veux croire qu'il y avoit bien autant de tempérament que de vertu, car elle a bien fait voir, à la nourriture qu'elle a faite de sa sœur Lolo, qu'elle ne voyoit guère plus clair que son mari; car elle souffrit insensiblement un si grand abord de jeunes gens, et même de cavaliers, auprès de cette jeune fille, que quelquefois on y en a compté jusqu'à quinze. Depuis, quand on lui a dit qu'elle avoit perdu sa sœur, elle a paru étonnée comme une personne qui n'y entendoit aucune finesse. Je disois en ce temps-là, de tous ces galants de Lolo: «Voilà les plus sottes gens du monde; ils s'amusent tous à une fille qui n'oseroit conclure avant qu'elle soit mariée, et voilà une femme de vingt-cinq ans, jolie, et dont le mari est aveugle, et au diable l'un, qui a l'esprit de lui en conter.» La bonne opinion qu'elle avoit de sa race est apparemment ce qui l'aveugloit, car elle et les autres de la famille sont naturellement curieux, et remarquent fort bien les défauts d'autrui. Elle et sa sœur mirent la vanité dans la tête de cet enfant; car elles la cajoloient sans cesse, et lui disoient qu'au Cours on n'avoit regardé qu'elle. Un gros frère qu'elle avoit, à qui on avoit donné le nom de Chaumont, et qu'on appeloit vulgairement le gros Lolo, lui disoit tous les jours qu'il n'y avoit rien de si beau que d'être galante. Les cajoleries des étrangers sont suspectes, mais celles des proches passent pour des vérités. Ainsi cette petite fille s'en faisoit un peu bien accroire. Tous les jours ses sœurs et ses frères racontoient à tout le monde combien de gens venoient voir leur Lolo, ce qu'avoit fait celui-ci, ce qu'avoit fait celui-là, et comme, en badinant, elle avoit été enfermée avec le comte de Pas[283] ou quelque autre; car la mode de leur famille, c'est de redire à tort et à travers tout ce que font et disent leurs jeunes gens. Elle fut cajolée par deux Rambouillet, mes cousins-germains, et depuis mes beaux-frères, mais l'un après l'autre. L'aîné, par mon avis, s'en retira de bonne heure; le second, qui s'appelle Sablière[284], ne me crut pas absolument, et s'engagea plus avant que l'autre; mais ayant trouvé moyen de savoir où il en étoit avec cette fille, je lui en dis mon sentiment. Elle l'aimoit, ne songeoit qu'à l'attraper. Il en avoit eu la petite oie[285]. Elle lui eût donné volontiers le reste; s'il eût eu du sens, il étoit aisé de la mitonner de façon qu'il en eût tout eu après qu'elle fut mariée, et elle le fut bientôt; mais il s'alla éprendre d'une autre fille. Masclary[286], secrétaire du Roi, et le meilleur parti qu'elle pouvoit espérer, l'eût épousée sans sa mère, qui ne voulut jamais consentir qu'il épousât une fille qui étoit si fort dans le monde. [283] Cadet de Feuquières. (T.) [284] Antoine Rambouillet de La Sablière, auteur de jolis madrigaux, publiés en 1680. M. Walkenaer, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, a donné, sur ce poète, des détails jusqu'alors inconnus, dans l'article de la _Biographie universelle_ qu'il lui a consacré, et dans la notice qu'il a placée à la tête de l'édition de ses _Poésies diverses_ (Paris, Nepveu, 1825). Il a puisé ces détails dans les Mémoires de Tallemant Des Réaux que nous publions. [285] Des privautés, de menues faveurs. (_Dict. de Trévoux._) [286] Gaspard Masclary, fils, secrétaire du Roi en 1636. (Voyez _l'Histoire de la chancellerie de France_, de P. Tessereau, t. 1, p. 403.) Enfin Gondran, fils de l'avocat Galland[287], dont il est fait si honorable mention dans les Mémoires de M. de Rohan, la fit demander; c'étoit pour la seconde fois. D'abord on la lui avoit refusée, en prenant excuse sur la trop grande jeunesse de la fille. Cette fois-ci, le père, qui, comme on a su depuis, n'avoit point d'argent (il avoit trop dépensé à sa maison[288], et son fils aîné lui avoit mangé vingt mille écus), ne fut pas fâché de trouver un amoureux qui ne songeât pas autrement à avoir le mariage avec la fille. [287] A l'enterrement de son père, il dit à un avocat: «Ferai-je porter le poêle par des avocats ou bien par des gens d'honneur?» (T.)--Ce mot prouve que Gondran, ce qui n'arrive que trop souvent, avoit la sottise de renier son origine, et de rougir de n'être pas né gentilhomme. [288] La maison de Rambouillet située à Reuilly. Il en reste encore quelques murailles, et la porte d'entrée, à l'extrémité de la rue de Charenton. (Voyez la _Vie de La Sablière_, par M. le baron Walckenaer, à la tête des Poésies de cet auteur, p. 9.) Ce Gondran étoit un brutal, mais il avoit du bien, car son aîné étoit mort sans enfants, et un autre frère s'étoit fait père de l'Oratoire. Une fois il jouoit au tric-trac avec Turcan[289]; ils furent en dispute sur un coup; Turcan lui dit qu'il faisoit bien le roi Gontran d'Orléans[290]. Gondran répliqua quelque sottise, et l'autre lui donna un beau soufflet. [289] Turcan, maître des requêtes, dont on verra plus bas l'historiette. [290] L'un des fils de Clotaire, qui eut pour sa part le royaume d'Orléans, en 562. Par vanité, Gondran fit mettre quarante mille livres dans le contrat, au lieu de dix mille écus, et il dit à Patru qu'on lui donnoit une pièce de quarante mille francs. Dans les annonces, il se fit conseiller d'État et point du tout avocat, quoiqu'il allât au Palais tous les jours. Son frère aîné avoit mis _monsieur maître_[291], n'osant pas mettre _messire_[292]; il étoit avocat avocassant: il est vrai qu'il avoit un brevet de conseiller d'État. Je ne sais si Gondran en avoit un. Le jour de ses noces, il avoit un habit long. Après dîner on s'alla promener au bois de Vincennes: là le marié ôta sa soutane, et fut tout le jour en habit court, bâti comme un cuistre et sans manteau. Le lendemain nous fûmes tous voir si la mariée étoit morte; elle n'étoit pas morte à la vérité, mais elle ne se portoit pas tout-à-fait bien. Elle fut plus de huit jours à se plaindre. Dès qu'elle aperçut son gros frère qui entra le premier dans la chambre: «Ah! lui dit-elle, mon pauvre Chaumont, ne crains pas que je sois jamais p......» Elle dit cent naïvetés que son père redisoit lui-même comme si c'eût été un enfant; elle avoit pourtant dix-sept à dix-huit ans; mais cette innocente... s'est dédite depuis de ce qu'elle avoit promis à son _gros Lolo_. [291] On appeloit un magistrat, _monsieur maître_; _monsieur_ étoit l'expression d'honneur, et _maître_ indiquoit le _gradué_. [292] _Messire_ n'appartenoit qu'aux nobles ou aux ecclésiastiques. Le mari, d'humeur jalouse, mais qui ne vouloit pas qu'on le crût, s'imagina qu'il couvriroit bien son jeu s'il donnoit à sa femme la même liberté qu'elle avoit eue: il menoit des jeunes gens déjeuner avec elle, et la faisoit saluer à quelques-uns. Cette jeune femme, naturellement étourdie, chez des gens qui ne savoient point vivre, car feu madame Galland n'étoit qu'une _happelourde_[293], fit bien des sottises en peu de temps. Je ne m'amuserai point à mille petites choses qui lui sont arrivées, je dirai seulement les principales. Quelque temps avant que d'être mariée, un gentilhomme de qualité de Bretagne, huguenot, nommé La Roche Giffard, jeune et bien fait de sa personne, grand parleur, grand vanteur, et tout propre pour réussir auprès d'une coquette de la ville[294], s'étoit mis à la cajoler, encore qu'il fût marié; mais sa femme étoit à la province, et il avoit été marié de si bonne heure, qu'il en étoit déjà las. Elle l'aimoit quand il fut marié, et au bout de huit jours elle avoua à Sablière et à un autre qu'elle ne pouvoit aimer son mari. Voyez le grand sens de la demoiselle. [293] C'est-à-dire qu'elle avoit du brillant, mais qu'en l'examinant avec attention, on ne lui reconnoissoit aucun mérite. (Voyez _le Dict. de Trévoux_.) [294] C'étoit un assez sot homme; il se fâchoit si un laquais disoit, La Roche Gifflard, au lieu de La Roche Giffard. Il fut tué au combat du faubourg Saint-Antoine. (T.) Quand elle fut chez son mari, La Roche Giffard fit des parties de promenade, car c'étoit l'été; les sœurs de la belle en étoient, et le Breton et elle les prenoient tous pour dupes. Voici comment on sut qu'il en avoit eu toute chose. Madame d'Agamy avoit une cuisinière catholique qui mouroit d'envie de donner sa fille à madame de Gondran: cette fille étoit jeune et jolie, mais elle étoit catholique. On lui dit qu'il falloit que Margot, c'étoit son nom, se fît huguenote. «Bien, dit-elle, il faut donc qu'elle soit de cette _chorre_-là[295], puisque vous le voulez.» La fille fait profession; la voilà avec madame de Gondran. Bientôt après on s'aperçut chez madame Galland que Margot avoit bien des louis d'or et de beaux bracelets, où il y avoit quelques rubis. On l'accuse d'avoir volé; elle se défend, et dit que si on la presse, elle dira tout. Elle va chez sa mère, et toutes deux ensemble vont trouver madame de Louvigny, à qui elles dirent que le jour du jeûne qui se célébra à Charenton pour le synode national[296], madame de Gondran fit semblant d'être indisposée, et que M. de La Roche Giffard la vint trouver, et que, pour se défaire de Margot, le cavalier avoit fait semblant d'avoir perdu une bague en entrant, et la pria de l'aller chercher; elle chercha long-temps, et La Roche Giffard lui donna bien de l'argent pour la peine qu'elle avoit prise. Depuis, cette Margot fut chassée, se refit catholique et épousa un potier d'étain; car elle avoit gagné honnêtement avec sa maîtresse. La Roche Giffard couchoit aussi avec elle; elle se vantoit qu'il l'alloit voir quelquefois et qu'il lui prêtoit son carrosse pour se promener avec ses voisines. Depuis, elle continua à se divertir; des jeunes gens de sa connoissance l'envoyèrent quérir en chaise: elle vint le plus secrètement qu'elle put; or, elle étoit prête d'accoucher; le mal la prit à table: on la remet vite dans la chaise; elle y accoucha. Les porteurs se déchargèrent de la vache et du veau dans sa boutique, et s'en allèrent le plus vite qu'ils purent. [295] Mot de jargon, terme de mépris, que nous n'avons vu nulle part. Peut-être faut-il prendre cette expression comme _chorea_, danse. Rabelais s'est servi du mot _chorée_ dans ce dernier sens. (_Voyez_ le Glossaire des _Œuvres de Rabelais_; Janet, 1823.) [296] En mai 1645. (T.) Une autre fois madame de Gondran fit bien pis. Un soir qu'elle avoit soupé chez son père, qui logeoit au quartier Montmartre, on lui donna un carrosse, une fille et un homme pour l'accompagner chez elle, auprès de Saint-André. Au lieu d'y aller, elle fait passer au faubourg Saint-Germain, à la Ville de Brissach dans la rue de Seine, où logeoit le cavalier de Bretagne. Elle entre seule et monte dans sa chambre sans que personne l'aperçût. En sortant, l'hôtesse la vit et se mit à faire un bruit de diable, que, merci Dieu! elle ne souffriroit point qu'on menât des g...... chez elle. Le galant lui dit qu'elle rêvoit, et que c'étoit une femme de condition. «Voire, reprit-elle, les honnêtes femmes viennent bien toutes seules trouver des hommes à onze heures du soir dans leur chambre.» Cela se sut, car les valets qui l'accompagnoient n'étoient point gagnés. L'hôte et l'hôtesse sont huguenots et étoient assez exacts; c'est une honnête auberge, et tout est plein de gens de la religion, là autour. En ce temps-là Gondran alla faire un voyage à une terre qu'il avoit en Picardie; il fit ce voyage fort à propos, car, pendant son absence, on empêcha sa femme d'être vache à lait. Elle logeoit chez son père; elle sentit de la cuisson, le dit à sa sœur, qui en parla au jeune Guenaut, leur médecin ordinaire. Lui, qui savoit que le mari étoit débauché, se douta de ce que ce pouvoit être. Le Large la traita et la guérit avant que le mari fût de retour. Nous la trouvions toute changée; mais on nous disoit qu'elle avoit la fièvre toutes les nuits. Il y a toutes les apparences du monde que c'étoit un présent de l'auberge. Le galant, qui ne voyoit pas la belle autant qu'il eût bien voulu, avoit sans doute été en lieu qui n'étoit pas sûr; c'étoit un grand étourdi. Pour le mari, il étoit amoureux et tenoit si grand ordinaire, qu'il n'avoit pas besoin d'aller ailleurs. Cela n'empêcha pas que La Roche Giffard ne retournât chez la belle. On l'a vue montrer à tout le monde les robes qu'elle faisoit faire pour les petites filles du Breton; et si Gondran n'y eût mis ordre, il eût pu habiller les enfants du cavalier en pensant habiller les siens propres; mais il le chassa avant que sa femme devînt grosse. Le mari fut une fois plus jaloux depuis le soupçon qu'il eut du Breton: il passoit des après-dînées entières dans la chambre de sa femme fait comme un clerc du Palais; car il ne portoit plus la soutane, et n'avoit autre emploi que de barbouiller quelquefois du papier en gardant sa femme. Un jour il lui dit sérieusement: «Que je suis malheureux de vous avoir épousée! Plût à Dieu que feu Louvigny[297] eût eu assez d'éloquence pour persuader à ton père, comme il en avoit envie, de me refuser!» Elle ne s'en offensa point, car elle est d'humeur douce et caressante et qui n'avoit besoin que d'être bien gouvernée; au contraire, elle lui sauta au cou. Quelque temps après, comme elle étoit prête à sortir, il lui demanda où elle alloit: «Je vais en tel lieu.--Je ne veux pas que vous y alliez, La Vespière y doit être.--Si vous craignez cela, venez avec moi; vous pouvez bien venir où je vais.--Non, non, reprit-il, vous n'irez pas.» Il fallut demeurer. Ce La Vespière étoit cadet d'un gentilhomme de Picardie nommé Liambrune; c'étoit un bon gros dada qu'elle n'aimoit point. Ce garçon vint à Paris du temps de feu M. le comte de Soissons; n'ayant pas encore tâté de l'adversité, il étoit assez fier. Il arriva que ce bon gentilhomme s'alla baigner devant l'Arsenal à un endroit où M. le comte jetoit de l'eau à tout le monde; il en jeta donc à La Vespière, qui, comme _Picouart_, avoit la tête _caude_, et dit que celui qui l'avoit mouillé étoit un sot. M. le comte se mit à rire, et disoit à ceux de sa troupe: «Ce garçon est nouveau-venu; je crois qu'en descendant du coche il est entré dans le bateau pour se venir baigner.» Le provincial s'échauffoit. Quelqu'un s'approcha de lui, et lui dit: «C'est M. le comte.--Quand ce seroit, répondit-il, M. le marquis, je suis fâché de ne lui avoir pas donné une tape.» Les gens de M. le comte le prirent, et en riant le firent boire. Sans Ruvigny, qui par bonheur se trouvoit là, il couroit quelque fortune. Depuis, au siége d'Arras, où M. d'Enghien fit sa première campagne, comme s'il lui eût été fatal de tomber entre les mains de jeunes princes, celui-ci trouva l'homme et le nom si ridicules, qu'il s'en moquoit sans cesse. [297] Il mourut d'apoplexie à Charenton. (T.) Ce jaloux pourtant a laissé aller sa femme tous les jours au bal la même année: elle cabaloit pour se faire prier partout. Je crois qu'ils étoient las l'un de l'autre; car souvent elle paroissoit fort chagrine, et ce n'étoit pas son ordinaire, car quoiqu'elle fût un peu inégale, elle étoit pourtant assez gaie. Le galant qui suit La Roche Giffard, car je ne mets que ceux qui ont eu de l'attachement, fut le feu marquis de La Case, frère de mademoiselle de Pons[298]: c'étoit un grand parleur et par conséquent un grand diseur de sottises; il étoit marié avec la veuve de Courtaumer, car les trois principaux galants de madame de Gondran étoient tous trois mariés. Cet homme faisoit le bel esprit; il reprenoit un endroit de l'Epitre de Voiture à M. de Coligny, où il y a: Ces dieux des fables Sont pesants comme tous les diables, parce que, disoit-il, les diables sont des esprits; et une autre fois que chacun disoit à quel âge il eût souhaité de demeurer sans vieillir, il dit que pour lui il eût voulu demeurer à trois mois, parce qu'on en étoit d'autant plus loin de la mort. Par cette raison, il devoit donc souhaiter de demeurer à un jour. Il disoit que madame de Gondran étoit la plus complaisante femme du monde; qu'à Charenton il n'avoit qu'à lui faire signe qu'il vouloit voir son bras et sa main, qu'elle ôtoit aussitôt son gant, si sa gorge, qu'elle faisoit semblant d'avoir à raccommoder un devant, si son visage, qu'elle levoit le masque comme si c'eût été pour se moucher. Il avoit trouvé moyen de faire société avec Gondran, et les deux femmes en étoient. Madame de La Case ou étoit bien stupide ou bien complaisante. Entre autres extravagances qu'ils firent, une fois La Case[299], en soupant, donna un coup à madame de Gondran sur la joue avec une éclanche rôtie, et le jus lui gâta tout son mouchoir; il crut faire une belle galanterie, et elle en rit de tout son cœur. Je crois pourtant qu'il n'y a rien eu entre eux, et en voici une preuve. Un jour Rambouillet l'alla voir, il y trouva une jolie huguenote qui avoit épousé un oncle de Gondran; elle s'appelle madame de L'Orme. Rambouillet se mit à causer avec la belle qui étoit au lit, et madame de L'Orme avec Saintot-Lardenay, qui y arriva en même temps: ils chuchotèrent si fort, que madame de Gondran ne put s'empêcher de leur en faire la guerre. «Sans doute ils nous vendent, dit-elle à Rambouillet.--Point, répondit Saintot, nous ne parlions point de vous; mais nous parlions d'une personne, que vous ne haïssez pas.--Vous pourriez vous tromper, reprit-elle, je ne me soucie de guère de gens.--Ah! madame, répliqua-t-il, nous parlions de M. le marquis de La Case; ne vous souciez-vous point de celui-là?--Pas plus que d'un autre,» dit-elle. Rambouillet, qui vit que Saintot avoit fait une impertinence, et qui craignoit que la dame n'en fît aussi quelqu'une, dit qu'il voyoit bien qu'on lui vouloit faire prendre le change, et qu'il voyoit que c'étoit à ses dépens qu'on avoit parlé tout bas. Madame de L'Orme, de l'autre côté, juroit qu'ils n'avoient pas dit un mot du marquis de La Case. Durant ce temps-là, la maîtresse du logis, qui avoit eu tout le loisir de songer à ce qu'elle avoit à faire, tout d'un coup se mit à pleurer, et dit en colère qu'elle ne trouvoit nullement plaisant qu'on se vînt moquer d'elle en sa propre maison; qu'elle savoit bien que depuis que M. le marquis de La Case venoit chez elle, on avoit dit mille sottises; qu'on avoit fait courir le bruit qu'il étoit amoureux d'elle. «Jésus, madame, disoit Saintot, vous m'apprenez là des choses que j'ignorois.» Ils dirent l'un et l'autre mille extravagances. Saintot et madame de L'Orme sortirent dans ce désordre, et Rambouillet les suivit, car il ne savoit que dire à cette femme. Ils allèrent tous trois prendre une sœur de madame de L'Orme, et se rendirent tous ensemble au Cours. Là, Saintot, comme s'il eût été enragé ce jour-là (il n'avoit guère fréquenté d'honnêtes femmes), voyant passer Turcan[300], dit à madame de L'Orme: «Madame, voilà Turcan; madame, c'est Turcan lui-même; regardez Turcan, madame.» Ce Turcan l'avoit fort cajolée autrefois. Elle ne faisoit pas semblant d'entendre. «Madame, reprit-il après, pourquoi me poussez-vous du genou (elle n'y avoit pas songé)? quelle finesse y entendez-vous?» Rambouillet ne savoit que dire; la dame étoit déferrée; tout ce qu'il put faire, ce fut de changer de discours. Il gronda ensuite Saintot, qui lui dit, pour excuse, une grande impertinence: «J'entendois, dit-il, par le marquis de La Case, le _patron de la case_, c'est-à-dire Gondran.» Cependant, dès qu'ils furent sortis de chez madame de Gondran, le marquis de La Case y vint. Elle lui dit qu'elle le prioit de ne la plus voir, que cela faisoit dire des sottises. La Case s'en alla en Saintonge quelques jours après. [298] Mademoiselle de Pons, qui épousa le marquis d'Heudicourt, et dont il est souvent question dans les livres du temps. Elle fut l'amie intime de madame de Maintenon. [299] Le père de La Case étoit un original sur sa noblesse. Pour ses enfants, quoiqu'il les appelât monsieur un tel et mademoiselle une telle, il les traitoit de sujets, toujours debout et tête nue devant lui à table: s'il ne disoit: «Monsieur un tel, mangez de cela,» ils n'eussent osé toucher à rien. On servoit chez lui des plats de vingt grandeurs et de vingt façons différentes, de même des assiettes et du reste. Il disoit que c'étoit aux maisons nouvelles à avoir de la vaisselle d'argent neuve. Cela me fait souvenir d'un avocat nommé Sevin, qui, ayant eu un brevet de conseiller d'État par la faveur de La Chambre, son beau-frère, acheta pour quatre mille livres de vaisselle d'argent, et toute la nuit ne fit que la rouler par les montées afin qu'elle se bosselât, et qu'on crût qu'elle n'étoit pas neuve. Une de ses filles, qui avoit trente ans, n'eût pas osé aller dans le parterre sans sa permission. Cet homme s'étoit fait faire chevalier de Saint-Michel. (T.) [300] _Voyez_ plus bas l'historiette de Turcan. En ce temps-là, il y eut grand désordre en Bretagne entre La Roche Giffard et sa femme. Elle se douta de quelque chose; et, ayant remarqué qu'il recevoit souvent des lettres sans lui dire de qui elles étoient, un jour qu'il étoit à la chasse, elle rompt la serrure de sa cassette, et trouve vingt lettres d'écriture de femme, et toutes d'une même main. Ces lettres parloient bon françois, et ne laissoient aucun sujet de douter. Elle les prend toutes, se retire chez sa mère, et sans perdre de temps en va prendre acte par-devant le procureur-général du Parlement de Rennes, où les lettres furent toutes lues. La Roche Giffard ne trouve ni ses lettres ni sa femme; il apprend qu'elle étoit chez sa mère; furieux, il assemble ses amis pour la ravoir de force, ou du moins ses lettres, car c'étoit ce qui lui tenoit le plus au cœur. La belle-mère se met en état de le recevoir. Cette première fureur passée, il fallut venir à composition; il promet de bien vivre avec sa femme, et de ne faire plus tant de voyages à Paris, pourvu qu'on lui rendît ses lettres. Cela fut exécuté. Or, on a su d'un ami commun[301] du gendre et de la belle-mère, qu'il y avoit, dans une de ces lettres: «Nous allons à la Honville, nous en partirons à telle heure, il y aura telles personnes; prenez vos mesures, etc.» En une autre: «Nous serons tant de temps à la Bretonnière (c'étoit chez sa belle-mère), tâchez de me voir, etc.» Mais le pis de tout, est une réponse à quelques reproches sur les bruits qui couroient de M. le marquis de La Case, où il y avoit: «Vous avez grand tort d'avoir soupçon de moi; je n'ai jamais aimé qu'un garçon qui est mort, et vous.» Je crois que c'est Du Livet[302], fils d'un président de Rouen. Il mourut d'une blessure qu'il reçut à la bataille de Sédan, et dont il fut long-temps malade. Elle le vit à Bourbon. Ensuite il y avoit: «Je n'ai jamais couché qu'avec mon mari et avec vous. Je souhaite si fort de vous voir, que si vous voulez, je vous suivrai en Catalogne.» Il parloit d'y aller en ce temps-là: il n'y fut pas pourtant. [301] Il l'a dit à feu Martin, intendant de M. de Rohan, de qui je le tiens. Ce Martin ne m'eût pas menti, il avoit été notre commis. (T.) [302] Il étoit enseigne des gendarmes de la Reine. (T.) A Paris, car il y vint ensuite, madame de L'Orme, qui avoit toujours été jalouse de madame de Gondran, aussi n'a-t-elle garde d'être si bien faite, entreprit de se faire aimer de La Roche Giffard: elle lui fit tant d'avances, que le cavalier n'y fut pas plus de temps qu'à l'autre. La sœur Charlotte d'Esgorry avoit aussi son galant; c'étoit Fercourt, son voisin, fils du président Perrot; tous quatre alloient faire des promenades sans aucune fille de chambre, et se divertissoient tout à leur aise. Elles avoient de qui tenir, car la mère a été de bonne composition: Gillot[303], conseiller-clerc de la grand'chambre, l'entretenoit; en ce temps-là, on fit ce vaudeville: La d'Esgorry, ta hantise Trop fréquente avec l'Église, Nous a fait croire de toi Que tu branles dans ta foi[304]. Gillot n'a pas été le seul; le maréchal de Saint-Luc en a aussi tâté depuis. [303] Jacques Gillot, conseiller-clerc au parlement de Paris, mort en 1619, l'un des auteurs de la _Satire Ménippée_. (_Voyez_ la Notice sur sa Vie et ses ouvrages, t. 49, p. 241 de la première série de la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_.) [304] Elle étoit huguenote. Les deux sœurs depuis se brouillèrent, et la cadette ayant été mariée à un jouvenceau de la campagne, nommé Montpinson, elle donna rendez-vous à Fercourt chez madame Du Tort, où ils dînèrent: c'est une veuve, cousine-germaine de Fercourt, qui est aussi une bonne dame. La dame sortit aussitôt qu'ils eurent dîné, et pour lui dire adieu, le galant la roncina fort bien; après elle jura qu'elle ne vouloit plus ouïr parler d'amourettes. Je ne sais ce qui en est, c'est à son mari à s'en informer. Madame de Gondran alors voyoit plus de monde que jamais. Il prit une vision au mari; il remplit d'eau les galoches de tous les galants de sa femme, et quand ils voulurent sortir, ils trouvèrent leurs galoches toutes trempées. Un soir qu'on dansoit chez elle, trouvant sa chemise un peu humide, car elle étoit déjà bien grosse, elle alla dans la ruelle du lit, changea de chemise, remit des taffetas à ses cheveux, se rhabilla, se reboucla et revint danser sur nouveaux frais. Elle se serroit tellement pour paroître de belle taille, qu'elle se blessa si fort au côté qu'il s'y fit un trou. Cela me fait ressouvenir de quelques filles de la Reine, qui, pour être chaussées mignonnement, se serrèrent une fois les pieds avec les bandelettes de leurs cheveux, et de douleur, s'évanouirent dans le cabinet de la Reine. Gondran, qui avoit toujours aimé la goinfrerie, se mit tout-à-fait dans le vin; il l'obligeoit à boire avec lui. Le vin pur qu'elle avaloit la maigrit, et elle devint de plus belle taille qu'elle n'avoit été il y avoit long-temps. Un jour qu'il revint ivre, il tira des bouchons de bouteille de sa poche, et les étalant sur la table: «Tiens, dit-il, voilà de quoi filer.» En ce temps-là, un des Rambouillet, nommé Chavanes, capitaine en Hollande, c'étoit le quatrième à qui madame de Gondran plaisoit fort, fut d'une partie dont elle étoit pour aller à la Honville. Il me dit qu'il l'avoit trouvée fort dévergondée, et que, jouant une farce à trois personnages où elle avoit son habit, elle juroit un _mordieu_ aussi sèchement que personne eût pu faire. A table, elle fit un couplet sur Cabou, cet avocat au conseil, qui danse aux ballets du Roi: c'est une espèce de coquin, qui tire du volant, qui joue, qui danse et qui boit, et qui est maltôtier parmi tout cela. Elle fit bien d'autres gaillardises, et tout cela ou la plupart à la barbe de son père. En ce voyage de La Honville, on donna du chicotin à Chavanes: c'est une sotte coutume bourgeoise qu'on a là-dedans. Madame Tallemant, la maîtresse des requêtes, en railla fort ce pauvre garçon, qui disoit que, par complaisance, il s'en étoit laissé donner trois jours durant, parce que cela divertissoit la belle; et, quelqu'un ayant appelé, en riant, La Honville _l'empire du Chicotin_, Sablière et Rambouillet firent deux triolets que voici: Dans l'empire du Chicotin[305] On vit d'une plaisante sorte; On y jeûne soir et matin Dans l'empire du Chicotin. On n'y dort non plus qu'un lutin[306], On s'y jette fenêtre et porte, Dans l'empire du Chicotin. Si vous mangez du chicotin, Vous passerez pour galant homme; Vous serez toujours le plus fin, Si vous mangez du chicotin, Et fussiez-vous le plus badin Qui soit de Paris jusqu'à Rome, Si vous mangez du chicotin. Le bonhomme, quelque mine qu'il fît, ne trouva point tout cela trop bon, et dit, comme on lui parloit de sa bonne chère: «Vous vous moquez, on n'y mange que du chicotin.» Ce pauvre Chavanes, qui étoit un garçon de grand cœur, fut tué depuis à Barcelonne, quand le maréchal de La Mothe fut blessé; il étoit si estimé, que le régiment de Piémont le retira de dessous les pieds des chevaux, et le porta dans la ville, où il mourut au bout de quelques jours. Je veux croire que le nom de Rambouillet, car on l'appeloit ainsi, servit à le faire considérer, car bien des gens croient qu'il étoit fils de M. le marquis de Rambouillet. Il avoit assez d'équipage et étoit fort libéral. [305] Celui-ci est de Sablière. (T.) [306] Ils se faisoient des malices toute la nuit. Un certain fou d'abbé de Romilly[307] s'étoit rendu insensiblement si familier chez la belle, qu'en visite, devant tout le monde, il se jetoit sur son lit, et mettoit même la main dedans, et elle ne faisoit qu'en rire. Elle disoit de Mandat, le conseiller, et d'un autre: «Avez-vous jamais vu de si sottes gens; je leur ai mandé qu'il n'y avoit céans ni mari ni belle-mère, et ils n'ont pas l'esprit d'y venir?» [307] Voyez les _Mémoires de Conrart_, dans la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, t. 48, p. 191. Conrart est d'accord avec Tallemant sur l'incroyable dévergondage de cette madame de Gondran, mais il entre dans beaucoup moins de détails. Cette femme a eu la triste célébrité d'avoir été la cause du duel dans lequel fut tué le marquis de Sévigné. La Case, qui étoit à M. d'Orléans, se rendit à Paris auprès de lui en 1652; il avoit envie, car il étoit toujours amoureux, de dîner avec la Gondran (on commençoit à l'appeler ainsi), et que le mari n'y fût point: il s'avise pour cela de convier Gondran à dîner, qui part à midi ou environ pour s'y rendre. La Case part en même temps de son logis et va chez madame de Gondran, où il se met à dîner avec elle: Gondran alla chercher à dîner où il put, et revint à deux heures, et trouve La Case chez lui, qui dit: «Je suis venu pour dîner avec vous, voyant que vous ne veniez point.--J'étois chez vous à midi et demi, dit Gondran.--Vous vous moquez, répliqua La Case, je vous ai attendu jusqu'à une heure.» Le carnaval suivant, madame de Gondran, qui buvoit comme un Templier, convia madame de Genlis, mademoiselle de Congis et madame de Boudarnault à souper: elles burent si bien, que mademoiselle de Congis, ne pouvant s'en retourner, fut mise au lit avec bien des singeries; elle y vomit si bien qu'elle gâta draps, couverture, carreaux et tapis d'alcôve; une autre en ayant envie, on lui apporta un bassin. En carrosse, la seule qui n'avoit pas vomi dégobilla sur la portière. Un homme qui avoit la fièvre quarte alla chez elle, c'étoit la première visite: «Je vous veux guérir, lui dit-elle, je vous veux donner de ma tisane, et tout-à-l'heure.» Aussitôt elle envoie quérir du vin d'Espagne et se met à boire avec lui. Il lui prit fantaisie en été de changer de chemise, elle en changea devant un homme qu'elle n'avoit jamais vu que cette fois-là. La première fois qu'elle alla chez madame d'Ombreval, elle donna un grand coup de cul dans le derrière au mari, qui est avocat-général de la cour des aides, disant qu'il falloit faire bientôt connoissance. Etant accouchée depuis trois jours, elle vit sa garde accroupie devant le feu; elle se lève, lui fait prendre un parterre, puis court vite se recoucher. Une fois La Case, Sablière et Hippolyte[308] se trouvèrent ensemble chez elle. «Or çà, dit Sablière, il n'y en a pas un qui n'en ait été fou; contons ce que nous en savons.» Hippolyte donne dans le panneau et conte son histoire. Elle n'y étoit pas. Sablière et La Case firent semblant de disputer à qui parleroit le premier, et ne dirent rien. [308] Sans doute un membre de la famille Rambouillet. Sur la mort de Sévigny on faisoit faire à Hippolyte de beaux compliments à Gondran: «Il étoit votre allié, disoit Hippolyte.--Mais bien plutôt le vôtre, répondoit Gondran, à cause du bonhomme.» Et Hippolyte répliquoit: «Les cornes d'un père ne touchent pas tant que celles qu'on porte soi-même.» L'abbé de Sainte-Croix, fils du premier président Molé, depuis garde-des-sceaux, fut ensuite le patron. On dit que le mari y consentoit, car il s'étoit incommodé à la débauche et aux braveries de sa femme. Gondran dit à sa femme: «Fais-toi jolie, il faut que ce garçon-là soit amoureux de toi.» Il lui donna, à ce qu'on dit, un collier de perles de sept mille livres. Voici comme cela se fit: un vieux garçon, ami de Sainte-Croix, lui montroit des raretés et ce collier entre autres: «Ah! qu'elles sont belles! dit la dame.--A votre service, répondit-il.--Vraiment, cela n'est pas de refus.» Et en badinant elle les emporta. On dit que pour une _discrétion_[309], il donna une toilette de cinq cents écus où tout est d'orfévrerie, et on parle de pendants de six mille livres. [309] Une _discrétion_ étoit une gageure indéterminée, dont l'importance étoit laissée à l'arbitrage de celui qui la perdoit. (_Dictionnaire de Trévoux._) Le commandeur de Saint-Simon lui fit une terrible malice; c'étoit quelque temps après le combat de Saint-Antoine. «Il n'y avoit rien plus pitoyable, disoit-il; vous eussiez vu apporter ce pauvre M. _de La Roche_....» Elle rougit. Il s'arrête, et puis ajoute: _Foucauld_[310]. Elle croyoit qu'il alloit dire _Giffard_. Il lui prit en ce temps-là une haine étrange pour La Case; elle lui défendit son logis. On ne sait pourquoi, si ce n'est que Sainte-Croix ne trouvoit pas bon qu'il y allât. [310] Il y fut fort blessé au visage. (T.) Gondran tomba malade au mois de mars 1653; il ne fut malade que douze jours: on lui fit venir un ministre, il l'écouta. Madame de Genlis alla dire au curé de Saint-André que Gondran étoit catholique. «J'y irai, dit le curé, quand on m'appellera.» Elle alla au premier président, qui lui demanda si cet homme vouloit des prêtres. «Il ne parle point, dit-elle.--Eh bien, répondit-il, ayez patience.» Elle fut enfin à la Reine, qui y envoya un exempt et des archers du grand-prevôt. Il y entra aussitôt des capucins, et le Père Vigner de l'Oratoire, fils d'un ministre; c'est un religieux fort impétueux et fort impertinent. Sa femme dit: «Il faudroit envoyer quérir M. de Sainte-Croix, c'est son meilleur ami. Il lui fera dire ce qu'il est.» Sainte-Croix apporte l'abjuration de Gondran, faite il y avoit près d'un an. La femme et Sainte-Croix parlent tout bas; Gondran déclare qu'il est catholique. Cependant il avoit été pendant l'été au prêche auprès de Pontoise avec son beau-père; il n'alloit ni à prêche ni à messe. Il appela toujours Sainte-Croix son bon ami. On disoit que Sainte-Croix damnoit la femme et sauvoit le mari. Gondran mourut comme une bête: il disoit à sa garde: «Ah! vieille m........., dès que je me porterai un peu mieux, je te ferai un enfant pour ta récompense.» Quand on lui parloit de mourir, il disoit mille sottises. Le curé de Saint-André conseilla à madame Galland de ne faire qu'un enterrement à la sourdine; cette sotte femme dit qu'il falloit faire les choses honorablement, et il lui en coûta cinq cents écus. Gondran dit à sa femme le soir de ses noces: «Tu m'as bien de l'obligation; ce n'est que pour t'épouser que je ne me suis pas fait catholique.» Dès qu'elle fut veuve, elle vécut régulièrement, et rendit à sa belle-mère tous les devoirs imaginables. On commençoit à dire que le mari avoit plus de torts qu'elle, et que c'étoit lui qui avoit voulu qu'elle fît galanterie; elle fut plus d'un an et demi à mener la plus triste vie du monde. Elle étoit garde-malade de sa belle-mère, qui puoit d'une façon épouvantable; il ne falloit pas faire semblant de s'en apercevoir et se tenir toujours là à entendre gronder; le meilleur temps qu'elle eût, c'étoit de lire des sermons; avec cela en même temps elle faisoit faire des habits magnifiques. Elle eut cette complaisance pour faire avantager ses enfants par sa belle-mère. A vingt-six ans, elle s'avisa de commencer à apprendre à jouer du grand et du petit luth; mais cela demeura là au bout de quelque temps. Je la fus voir peu après la mort de sa belle-mère (en 1655), je la trouvai qui parloit en personne détachée des choses du monde, qui n'aime que la solitude, les livres et l'ouvrage: «Car, disoit-elle, je ne comprends pas comment on peut s'ennuyer, quand on sait faire du point d'Espagne. J'aime sur toutes choses à rêver, j'y prends le plus grand plaisir du monde; j'aime ma liberté, non pour vivre dans le libertinage, mais pour pouvoir me coucher sur mon lit quand il me plaît. N'y a-t-il pas, ajouta-t-elle, bien du plaisir à pleurer tout son soûl quand on a été quinze jours sans pleurer?» Tantôt elle regrettoit son mari, parloit contre les seconds mariages. Quelque temps après elle se mit en tête de maigrir. Pour cela, elle étoit vingt-quatre heures sans manger, buvoit du vinaigre, mangeoit des citrons et autres vilainies. Elle se joua à se faire hydropique; elle maigrit, mais elle n'a quasi plus de santé; elle est un peu cruche; il lui prend des visions de faire fermer ses fenêtres en plein midi, et de lire sur son lit avec de la bougie. Elle ne voit plus tant d'hommes et est fort mélancolique. Il est vrai qu'elle a perdu assez de procès. On dit pourtant toujours que Sainte-Croix continue à la voir, et il y en a qui disent qu'ils sont mariés, mais qu'à cause des bénéfices on n'en déclare pas le mariage. Je sais bien que Sainte-Croix a vu les sœurs de madame de Gondran quand il y a eu quelque affliction dans la famille. Cette galanterie a cessé, aujourd'hui qu'elle est logée vers le Petit-Luxembourg. Villars de M. le prince de Conti, Villars, qu'on appelle vulgairement Villars _Orondate_, à cause de sa mine de héros[311], l'alla voir. Je dirai en passant que madame Pilou ne sachant ce que c'étoit qu'Orondate, l'appela Villars _La Rondache_; elle en a fait elle-même une plaisanterie, et on ne l'appelle quasi plus que Villars _La Rondache_. [311] _Orondate_, personnage du roman de Cyrus. Saint-Simon raconte, dans ses Mémoires, l'anecdote qui fit donner ce surnom au père du maréchal de Villars. (_Mémoires de Saint-Simon_; Sautelet, 1829, t. 2, p. 114.) La dame étoit ravie d'en être coquetée, quand madame de Gouville[312], dont il sera amplement parlé dans les _Mémoires de la Régence_, aussi bien que de ce Villars[313], enragée de ce qu'il s'attachoit plus à madame de Gondran qu'à elle, alla dire à madame de Villars[314] que son mari étoit épris de cette huguenote. La pauvre madame de Villars, qui étoit folle de son mari, fut trois jours sans manger; enfin il la pressa tant qu'elle lui dit ce que c'étoit. «Je ne la verrai plus,» lui dit-il. Ils se sont épousés par amour et par estime; elle est sœur de Bellefonds. Il fut quelque temps sans y aller. Elle, voyant cela, en usa fort bien, et maintenant elle s'est faite amie de madame de Gondran, et elles mangent quelquefois ensemble. [312] Lucie de Cotentin de Tourville, femme de Michel d'Argouges, marquis de Gouville. Bussy-Rabutin en a souvent parlé dans ses Lettres. [313] Le mépris semble percer dans cette expression de Tallemant. Il paroît bien que Villars, le père, ne dut sa fortune qu'à une infâme trahison. (Voyez les _Mémoires du P. Berthod_, dans la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, t. 48, p. 396 et suivantes.) [314] Marie Gigault de Bellefonds, marquise de Villars. C'étoit une femme de beaucoup d'esprit. Les lettres qu'elle écrivit à madame de Coulanges pendant qu'elle étoit ambassadrice en Espagne, l'ont mise au rang de nos épistolaires. On en a publié un petit volume en 1762, réimprimé depuis. Cette Gondran voudroit fort attraper le bonhomme d'Entragues-Chantemesle, qui est outré du mariage de son fils, qui, à l'âge de vingt-deux ans, en dépit de lui, a épousé une fille de trente ans qui n'a point de bien. A la vérité elle est de bonne maison: c'est la sœur de Sourdeac de Rieux, dont il est parlé au chapitre des extravagants. Madame de Gondran a joué au vert avec lui; ils sont assez voisins; il se laissoit prendre sans vert; mais j'ai peur, car ce n'est pas un sot, qu'il ne se laisse pas prendre d'une autre façon. Elle changeroit volontiers de religion pour lui; d'Avaux est aussi de ses galants. Il a quitté madame Dalesso. Madame de Gondran fut à Bourbon l'automne de 1659. Il y avoit là un vieux barbon de doyen des _Turlutains_[315] de M. le procureur-général, nommé Choppin. Cet homme, dans une compagnie où elle étoit, ayant ouï nommer madame de Gondran, dit: «Madame de Gondran?--Oui, madame de Gondran, répondit-on.--Quoi, cette belle madame de Gondran d'autrefois, dont on a tant parlé?» Quelqu'un ayant peur qu'il ne lui échappât quelque sottise, dit: «Oui, cette belle madame de Gondran elle-même, la voilà.» Ce rustre la regarde. «Ah! madame, on m'avoit dit que vous étiez si belle; je n'eusse jamais cru que c'eût été vous; mais l'âge change bien les gens.» Voilà cette femme déferrée qui ne put que lui dire: «Il est vrai, monsieur, l'âge change bien les gens.» On rompit les chiens par charité. En effet, elle n'est ni âgée ni trop changée. A Paris, comme elle vit qu'on en faisoit le conte, elle le fit elle-même, et s'en railloit la première. [315] Nous ignorons entièrement le motif de cette expression dérisoire de Tallemant à l'occasion des substituts du procureur-général du Parlement. Le mot se lit au manuscrit très-distinctement. Depuis, ses incommodités continuant, on lui conseilla de voir Le Large, parce que son mari avoit été bien débauché. Elle crut ce conseil et se renferma pour trois semaines; les servantes même, hors une, n'y entroient pas. Tout le monde veut que ce soit la v...... Ce dernier mois de mars 1660, elle se plaignoit fort des douleurs qu'elle sentoit dans les jointures; elle se plaignoit d'une jambe il y avoit long-temps. Au sortir de là, elle ne se pouvoit quasi soutenir; elle m'a dit: «Je ne sais si mes jambes reviendront; mais jusqu'ici je me trouve bien plus mal que je n'étois.» SÉVIGNY ET SA FEMME. Sévigny[316], qui par la faveur du coadjuteur, son parent, à qui l'abbé de Livry, Coulanges, fou de la mère, avoit voulu faire sa cour, avoit épousé cette jolie mademoiselle de Chantal, de la maison de Rabutin de Bourgogne, qui avoit cent mille écus en mariage, aujourd'hui cette madame de Sévigny dont nous avons parlé dans l'historiette de Ménage; ce Sévigny devint amoureux de madame de Gondran. Pour moi, j'eusse mieux aimé sa femme. Pour réussir en son dessein, il se met à faire la débauche avec le mari et à le mener promener. Il étoit une fois au Cours avec lui, et le chevalier de Guise se met avec eux; Gondran disoit qu'il n'y avoit point d'homme plus heureux que lui, qui étoit toujours en festin, et avec de grands seigneurs; que les gens de la cour étoient tout autrement agréables que les gens de la ville, et qu'il ne pouvoit plus souffrir les bourgeois. Le chevalier de Guise demanda à voir la belle madame de Gondran; le mari ne s'y opposa pas autrement, mais la belle-mère ne le voulut pas. M. d'Aumale, depuis M. de Reims, aujourd'hui M. de Nemours, y fut reçu: je pense que la soutane rassura la bonne femme. [316] Henri, marquis de Sévigny, ou Sévigné. Le vrai nom est Sévigny, mais dans l'usage on adopta la seconde terminaison. Ce Sévigny n'étoit point un honnête homme, et il ruinoit sa femme, qui est une des plus aimables et des plus honnêtes personnes de Paris[317]. Elle chante, elle danse, et a l'esprit fort vif et fort agréable; elle est brusque et ne peut se tenir de dire ce qu'elle croit joli, quoique assez souvent ce soient des choses un peu gaillardes; même elle en affecte et trouve moyen de les faire venir à propos. Quelqu'un lui avoit écrit un billet et l'avoit priée de ne le montrer à personne: elle laisse passer quelques jours, puis le montra et lui dit: «Si je l'eusse couvé plus long-temps, il fût devenu _poulet_.» [317] Tallemant est en général si avare d'éloges pour les femmes, que son témoignage en faveur de madame de Sévigné ne doit pas paroître suspect; il est d'ailleurs l'écho de tous les contemporains. Nous croyons devoir citer ici ce qu'en dit Conrart. «Sévigné avoit épousé la fille unique du baron de Chantal... Quoiqu'elle soit fort jolie et fort aimable, il ne vivoit pas bien avec elle, et avoit toujours des galanteries à Paris. Elle, de son côté, qui est d'humeur gaie et enjouée, se divertissoit autant qu'elle pouvoit, de sorte qu'il n'y avoit pas grande correspondance entre eux.... On dit qu'il disoit quelquefois à sa femme qu'il croyoit qu'elle eût été très-agréable pour un autre, mais que, pour lui, elle ne lui pouvoit plaire. On disoit aussi qu'il y avoit cette différence entre son mari et elle, qu'il l'estimoit et ne l'aimoit point, au lieu qu'elle l'aimoit et ne l'estimoit point. En effet, elle lui témoignoit de l'affection; mais comme elle a l'esprit vif et délicat, elle ne l'estimoit pas beaucoup, et elle avoit cela de commun avec la plupart des honnêtes gens, car bien qu'il eût quelque esprit, et qu'il fût assez bien fait de sa personne, on ne s'accommodoit point de lui, et il passoit presque partout pour fâcheux.» (_Mémoires de Conrart_, dans la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, tome 48, page 187.) Sévigny avoit fort peu de bien, il faisoit des marchés qu'après il rompoit. On fit séparer sa femme. Cependant, par amitié, elle s'engagea jusqu'à cinquante mille écus. Ces esprits de feu, pour l'ordinaire, n'ont pas grande cervelle. Elle disoit: «M. de Sévigny m'estime et ne m'aime point; moi je l'aime et ne l'estime point.» Ménage lui disoit: «Le plus grand malheur qui pouvoit arriver à M. de Sévigny, c'étoit de vous épouser; car tout le monde dit: _Quel homme pour cette femme!_» Elle baisoit un jour Ménage comme son frère; des galants s'en étonnoient. «On baisoit comme cela, leur dit-elle, dans la primitive Eglise.» Une fois qu'il lui disoit qu'elle avoit tort d'avoir mis tant de bien sur la tête de son mari: «Pourvu, dit-elle, que je ne lui mette que cela sur la tête; patience!» Elle faisoit confidence de tout à Ménage, et lui, qui en avoit été amoureux autrefois, lui disoit: «J'ai été votre _martyr_, je suis à cette heure votre _confesseur_.--Et moi, répondit-elle, votre _vierge_[318].» Vassé en a été amoureux; Ménage lui demanda comment cela étoit arrivé; elle se mit à chanter une chanson que Patris fit à Gravelines pour un provincial, où il y avoit: Il fut blessé comme là, Et moi j'étois comme ici. [318] Il étoit constant que la princesse d'Harcourt et elle étoient nées en même jour. «Madame, lui dit-elle une fois, tombons d'accord de nos faits; dites-moi, voyons quel âge nous voulons avoir?» (T.)--Anne d'Ornano, comtesse de Montlaur, avoit épousé, en 1645, François de Lorraine, comte d'Harcourt; elle mourut au mois de septembre 1695, quelques mois avant madame de Sévigné, laquelle étoit née, comme on l'a récemment découvert, le 5 février 1626. Voir son extrait baptistère, t. 4, p. 156 de la _Revue rétrospective_. Et en disant cela, elle lui montra l'endroit où ils étoient assis tous deux. Un Gascon, nommé Laeger, dont nous avons parlé dans l'historiette de la comtesse de La Suze[319], s'avisa de faire une fable qui fut crue par tout Paris; il alla débiter que l'abbé de Romilly, par jalousie, en un bal, avoit dit les plus étranges choses du monde à madame de Gondran, et avoit déchiré ses lettres en sa présence. A tout cela il n'y avoit rien de vrai; l'abbé seulement lui avoit dit chez elle qu'elle l'avoit mieux traité autrefois qu'elle ne faisoit[320]. Sévigny, pour venger la belle, vouloit donner des coups de bâton à Laeger dans une assemblée où il devoit être; mais on l'en fit avertir. Ce Laeger est un grand coquin; il fait l'homme à bonnes fortunes: il avoit une fois un portrait de la Desrulis[321], il le montroit assez volontiers, et disoit que c'étoit d'une dame de qualité. Il y eut une femme qui trouva moyen de mettre dans la boîte la reine de carreau au lieu du portrait, et en pleine table le comte de Roussy, chez qui ils étoient à la campagne, lui ayant demandé à voir ce portrait, on y trouva la reine de carreau. [319] Voir t. 3, p. 250. [320] Conrart a rapporté les propos que l'abbé de Romilly auroit tenus (Voyez les _Mémoires de Conrart_, audit lieu, p. 191.) [321] Une g..... et comédienne. (T.)--Le nom surchargé dans le manuscrit est incertain. Le carnaval, Sévigny emprunta les pendants d'oreille de mademoiselle de Chevreuse pour mademoiselle de La Vergne[322], et puis les porta à madame de Gondran. Deux jours après on demanda à mademoiselle de Chevreuse d'où venoit qu'elle avoit prêté ses pendants à madame de Gondran: la chose s'éclaircit, et mademoiselle de La Vergne fut obligée d'aller remercier mademoiselle de Chevreuse. [322] Qui fut depuis madame de Lafayette, l'auteur de _la Princesse de Clèves_. Le chevalier d'Albret, frère de Miossens, aujourd'hui le maréchal d'Albret, alloit aussi chez la belle, et lui en contoit; mais il n'avoit garde d'être si bien traité que Sévigny. Sévigny en fit des railleries dont le chevalier lui envoya faire éclaircissement par Saucour. Ils se battirent, et le chevalier le tua[323] aussi franc que Miossens avoit tué Villandry. Saint-Maigrin disoit: «Ma foi! ce chevalier d'Albret est un fort joli garçon, bien fait, bien spirituel, et qui tue fort bien le monde.» La pauvre amante disoit: «M. de Gondran et moi perdons notre meilleur ami.» Madame de Sévigny lui renvoya toutes ses lettres: on dit qu'elles parloient aussi bon françois que celles de La Roche Giffard. Pour faire le conte bon, on dit que madame de Sévigny n'ayant ni portrait ni cheveux de son mari, car il étoit enterré quand elle arriva de Bretagne[324], envoya incontinent en demander à madame de Gondran. [323] Ce duel eut lieu le 3 février 1651. Conrart a fait de cet événement un récit très-circonstancié. (Voyez les _Lettres de madame de Sévigné_; Paris, Blaise, 1818; pièces préliminaires, t. I, p. 57, ou les _Mémoires de Conrart_, au lieu déjà cité, p. 186.) [324] Madame de Sévigné revint à Paris au mois de novembre 1651, dix mois après la mort de son mari. On lit dans la _Muse historique_ de Loret, à la date du 19 novembre 1651: Sévigny, veuve jeune et belle, Comme une chaste tourterelle, Ayant d'un cœur triste et marri Lamenté monsieur son mari, Est de retour de la campagne, C'est-à-dire de la Bretagne, Et malgré ses sombres atours, Qui semblent ternir ses beaux jours, Vient augmenter dans nos ruelles. L'agréable nombre des Belles. On conte une chose fort étrange de ce combat. Sévigny reçut une lettre de sa femme quatre jours avant qu'il se battît, par laquelle elle lui faisoit des reproches de ce qu'elle avoit appris par d'autres qu'il s'étoit battu contre un tel, qu'elle lui nommoit, et qu'il y avoit reçu un coup d'épée. Madame de La Loupe, mère de madame d'Olonne et de la maréchale de La Ferté[325], dit que quelques mois avant la mort de son premier mari, un frère qu'elle avoit lui apparut (apparemment c'étoit un songe; elle dit que non, elle, et qu'elle ne dormoit point), et qu'il lui dit: «J'ai été tué, je suis en purgatoire; mais il n'est pas fait comme vous pensez; on souffre diversement; j'ai pour punition d'errer certain temps dans la forêt des loups ici proche: votre mari me viendra trouver dans cette année.» Elle, qui aimoit tendrement ce frère, s'est promenée vingt fois bien avant dans cette forêt toute seule, pour voir si ce frère ne lui apparoîtroit point. [325] Ces deux sœurs sont les véritables héroïnes des _Amours des Gaules_, de Bussy-Rabutin. Madame de Sévigny ayant rencontré Saucour deux ans après dans un bal, pensa s'évanouir; une autre fois elle s'évanouit à demi pour avoir vu le chevalier d'Albret. Le printemps suivant, comme elle s'étoit allée promener à Saint-Cloud, elle aperçut Laeger dans une allée proche de la source. «Ah! dit-elle à deux officiers aux gardes qui étoient avec elle, voilà l'homme du monde que je hais le plus.--Madame, lui dirent-ils, voulez-vous qu'on le pende, qu'on le noie, qu'on l'extermine?--Non, dit-elle, il suffit qu'on le jette dans la fontaine.» En ces entrefaites, la compagnie avec laquelle Laeger étoit venu parut; elle reconnut des gens et n'osa faire affront à ce garçon devant eux. «Arrêtez, dit-elle, voilà de mes parents avec lui.» C'eût été un beau tour à elle. TURCAN. Turcan est un maître des requêtes qui a été conseiller au grand conseil: cet homme a toujours été un diseur banal de fleurettes, et, à tout prendre, fort sot homme. Madame Des Etangs, sœur du président Perrot, fit autrefois ce vaudeville sur lui: Turcan ne sauroit vivre S'il ne fait le coquet; A l'une il donne un livre, Et à l'autre un bouquet. Il dit de belles choses, Ne parle que de roses, Que d'œillets et de lys; C'est un _Quand pour Philis_[326]. [326] Le commencement d'une chanson de Porchères, qui avoit eu grande vogue autrefois. (T.) Il se maria avec la fille d'un intendant de M. de Guise; ils furent quelques années ensemble sans qu'on ouît dire qu'il y eût noise en ménage; mais à la fin elle voulut savoir si les autres hommes......, car il étoit si décrié de ce côté-là, qu'on l'appeloit vulgairement _Turcan brin de vergette_. Elle trouva facilement un galant, quoique médiocrement belle, et comme Turcan étoit à la campagne vers Châtellerault (il est originaire de ce pays-là[327]), un de ses amis lui écrivit qu'un cavalier d'Auvergne, nommé Canillac, visitoit fort soigneusement sa femme, et qu'on commençoit à en murmurer. Turcan revint aussitôt à Paris, et, après avoir ôté le nom de celui qui lui avoit écrit, montre la lettre à sa femme, et lui dit qu'encore qu'il n'y ajoutât point foi, il la prioit pourtant, afin d'éviter scandale, de ne voir plus ce gentilhomme. «Il n'y a rien plus aisé, lui dit-elle, il ne faut qu'en avertir les gens de céans.» Cela n'ôta pas au mari tout le soupçon qu'il pouvoit avoir. Il donna à sa femme un petit laquais qu'il avoit reconnu fidèle en d'autres rencontres, afin qu'il fût l'espion de la donzelle. Or, un jour d'été qu'il revint au logis d'assez bonne heure, il trouva ce petit laquais sur la porte, qui lui dit que madame s'étoit défait de lui, et qu'il ne savoit où elle étoit. Cela mit notre homme de si mauvaise humeur, que, pour rêver à son aise, il prend le chemin du Luxembourg seul, en habit court et à pied; il logeoit au quartier des Cordeliers. Comme il sortoit par la porte Saint-Germain, il aperçut un carrosse dont on avoit ôté fraîchement les armoiries; cela lui donna du soupçon; il le laissa pourtant passer; mais après, venant à considérer qu'il y avoit vu des femmes, et qu'elles avoient tiré le rideau, il se confirma dans son soupçon, et se mit à le suivre de loin. Ce carrosse cherchoit à se décharger de sa marchandise dans quelque église; mais par malheur il n'y en avoit pas une d'ouverte; il fallut donc aller jusqu'à la rue des Deux-Portes. Là madame Turcan et sa suivante, car c'étoient elles-mêmes, furent contraintes de descendre à la porte d'une femme de leur connoissance. A peine furent-elles descendues, que le mari en furie demanda à sa femme d'où elle venoit, et lui dit même quelque injure. Elle lui soutint effrontément qu'elle ne descendoit point de carrosse et qu'il étoit jaloux. Lui, pour la convaincre, court après ce carrosse, et ne put pourtant l'attraper que vis-à-vis de Saint-Severin; il étoit déjà entre chien et loup, de sorte que, croyant n'être point connu, il prit prétexte, en un passage si sujet aux embarras, de quereller le cocher, en lui disant qu'il l'avoit pensé rouer. Sur cela, faisant semblant de s'en vouloir plaindre à son maître, il tire le rideau et vit que c'étoit Canillac. Il en fut tellement transporté, qu'il ne put s'empêcher de lui donner un coup de poing. L'autre sortit du carrosse, et avec ses laquais eût outragé ce pauvre homme en sa personne aussi bien qu'en celle de sa femme, sans que Turcan cria au secours, et que le bourgeois s'émut aussitôt en sa faveur. [327] Il avoit fait mettre sur la porte de sa maison: _In fundulo, sed avito_. Châtelet, l'académicien, l'interprétoit ainsi: «Je suis gueux, mais c'est de race.» (T.) Cette femme cependant se retira chez la mère de Turcan, avec qui elle étoit fort bien, parce qu'elles n'avoient rien, à ce qu'on dit, à se reprocher l'une à l'autre, et que le fils n'était pas en bonne intelligence avec sa mère[328]. On fit une chanson sur cette aventure, à l'imitation de la grande, qui commençoit: _Gérard est fort bon compagnon_, etc. CHANSON. Canillac fut bon compagnon De suborner dame _Prudence_[329], Qui se targuoit de haut renom, Faisant la femme d'importance. Elle blâmoit fort le déduit. Le passe-temps, le badina a a a a a age, Et cependant on la surprit En revenant de garoua a a a a a age[330]. Son mari la vit en passant Dans un carrosse sans livrée; Il la poursuit au même instant D'église en église fermée. La surprenant, elle jura Qu'elle venoit du voisinage; Mais en effet il la trouva Qu'elle venoit de garouage. Lui, plus ardent qu'un fier dragon, L'appela louve carnassière Et la chassa de sa maison. Hélas! qui eût dit que sa mère, J'entends la mère du cocu, La reçut sans mauvais visage; Si bien que l'on s'est aperçu Qu'elle approuvoit le garouage. Le beau-frère[331], trop prétendant A la faveur du codicile, Prenant en main le différend, La reçut en son domicile, Et fit rendre à ce mécontent Entièrement le mariage, Et consentit que le galant Continuât le garouage. [328] Le marquis de Royan, de La Trémouille, l'a depuis épousée. On fit un couplet contre d'Olonne, où il y avoit: Digne fils de ton père Royan, Et de ta mère Turcan, etc. (T.) [329] Elle faisoit fort la prude, et on l'appela ainsi pour se moquer d'elle. (T.) [330] _Garouage_, débauche. _Courir le garou_, _courir le guilledou_. (Voyez le _Dictionnaire de Trévoux_, et le _Dictionnaire comique_ de Leroux.) [331] Perrot de La Malmaison espéroit d'hériter de cette belle-sœur qui n'avoit point d'enfants. (T.) La femme, quelques années après, demanda à être démariée: il furent visités l'un et l'autre. Elle vouloit être masquée; Guenaut, qui étoit pour Turcan, l'obligea à se démasquer..... Cependant, sans en venir au congrès, ils furent démariés. Après, elle épousa Canillac, qui la bat comme il faut. Ainsi, Turcan a eu de son vivant le plaisir qu'un innocent disoit à sa femme qu'il auroit s'il étoit mort: «Car, lui disoit-il, si j'étois mort et que tu fusses remariée à un autre qui te battît, je rirois tant, je rirois tant....» Tout ce désordre n'empêcha point Turcan de faire le fat. Il alla une fois chez la sénéchale de Rennes, avec qui Montreuil[332] le fou couchoit. «Vous êtes tout chagrin, lui dit-elle.--Je le crois bien, dit-il, j'approche de quarante ans.--Allez, allez, reprit-elle, ne soyez point chagrin de cela, vous n'en approcherez jamais.» Il en avoit plus de quarante-cinq. [332] Mathieu de Montereul, le poète, celui duquel madame de Sévigné disoit qu'il étoit _douze fois plus étourdi qu'un hanneton_. (Lettre à Ménage, t. 1, p. 47 de l'édition de Blaise; Paris, 1818, in-8.) NINON DE LENCLOS. Ninon est fille de Lenclos, un suivant de M. d'Elbeuf, qui jouoit fort bien du luth[333]. Elle étoit encore bien petite quand son père fut obligé de sortir de France pour avoir tué Chaban[334], de façon que cela pouvoit passer pour un assassinat, car l'autre avoit encore le pied dans la portière quand Lenclos le perça d'un coup d'épée. [333] Lenclos étoit un gentilhomme de Touraine, qui avoit épousé une demoiselle de Raconis, d'une famille noble de l'Orléanais. Anne, leur fille, plus ordinairement appelée Ninon, née à Paris le 15 mai 1616 (d'autres disent 1615), y mourut en octobre 1706. [334] Il est parlé de ce Chaban dans l'historiette de la maréchale de Themines. Durant son absence, cette fille devint grandette. Elle n'eut jamais beaucoup de beauté, mais elle avoit dès-lors beaucoup d'agrémens; et comme elle avoit l'esprit vif, jouoit bien du luth et dansoit admirablement, surtout la sarabande, les dames du voisinage (c'étoit au Marais) l'avoient souvent avec elles. Saint-Etienne fut le premier qui lui en conta: il avoit de grandes libertés là-dedans. La mère croyoit qu'il épouseroit Ninon; mais enfin ce commerce finit, non, à ce qu'on dit, sans la mettre à mal. Le chevalier de Barai en fut amoureux ensuite. On dit qu'une fois qu'on ne vouloit point qu'elle lui parlât; l'ayant vu passer dans la rue, elle descend vite à la porte, et lui parle. Un gueux les incommodoit fort; elle n'avoit rien pour lui donner: «Tiens, dit-elle en lui donnant son mouchoir où il y avoit de la dentelle, laisse-nous en paix.» Cependant Coulon[335] poussoit sa fortune, car il lui en vouloit aussi. Je pense qu'il traita avec la mère au Mesnil-Cornuel. Madame Coulon découvrit tout le mystère; alors toutes les honnêtes femmes, ou soi-disant, abandonnèrent Ninon et cessèrent de la voir. Coulon leva le masque et l'entretint tout ouvertement; il lui donnoit cinq cents livres par mois, qu'il a, dit-on, continué de lui donner jusqu'en 1650, huit ou neuf ans durant, quoiqu'il fût bien arrivé des désordres entre eux[336]. Aubijoux, quelque temps après, fut associé à Coulon, et contribuoit aussi de son côté. [335] Coulon, conseiller au Parlement, qui a beaucoup marqué dans les troubles de la Fronde. (_Voyez_ plus haut l'Historiette de sa femme, où il est un peu question de lui.) [336] Ceci ébranleroit fort la réputation de désintéressement que la plupart des biographes de Ninon s'étoient accordés à lui faire. «Elle poussoit les scrupules du désintéressement, lit-on dans la _Biographie universelle_, jusque-là que ceux dont elle avoit satisfait les désirs, perdoient le droit de lui faire accepter les dons les plus légers.» Toutefois, sans crainte de se contredire, Tallemant n'en dit pas moins, quelques pages plus loin: «_Elle n'est point intéressée._» Le premier dont elle devint amoureuse fut feu M. de Châtillon, qui fut tué à Charenton; il n'étoit alors que d'Andelot. Elle lui écrivit, et lui donna rendez-vous. Il y va; mais comme c'étoit un inconstant, il la quitta bientôt. Elle qui, comme vous verrez par la suite, étoit plutôt d'humeur à quitter qu'à être quittée, ne trouva point ce traitement supportable, et s'en plaignit à La Moussaye, qui fit leur paix et lui ramena le fugitif. Ensuite elle eut des galants en assez bon nombre. Cependant la subvention de Coulon marchoit toujours. Sévigny[337], Rambouillet ont été de ses amants par quartier. Elle a eu un fils de Méré[338], et un de Miossens[339]. Un jour, au Cours, elle vit que le maréchal de Grammont obligea un homme bien fait, qui passoit à cheval, à se venir mettre dans son carrosse; c'étoit Navailles[340], qui n'étoit pas encore marié: il lui plut; elle lui envoie dire qu'elle seroit bien aise de lui parler à la sortie; bref, elle l'emmena chez elle. Ils soupèrent; après elle le conduit dans une chambre bien propre, lui dit qu'il se couche, et qu'il aura bientôt compagnie. Lui, qui étoit peut-être las, s'endort. Quand elle le vit ainsi, elle alla coucher dans une autre chambre, et emporta les habits de ce dormeur. Le lendemain elle s'en habille, et, l'épée au côté, entre dans la chambre d'assez bonne heure en jurant. Navailles se réveille; il voit un homme qui veut tout tuer: «Ah! monsieur, lui dit-il, je suis homme d'honneur; je vous satisferai; point de supercherie, au nom de Dieu!» Alors elle s'éclate de rire...... [337] Ninon captiva non-seulement Henri de Sévigné, mais Charles, son fils; le marquis de Grignan, petit-fils, se plaisoit aussi beaucoup dans la société de cette femme célèbre. (_Notice_ sur madame de Sévigné, par M. Saint-Surin, t. I, p. 59 de l'édition de Blaise, 1818.) [338] Georges Brossin, chevalier de Méré. On a de lui divers ouvrages écrits avec roideur et obscurité, mais avec une grande pureté de style. (Voyez ses _Œuvres_; Amsterdam, 1692, 2 vol. in-12.) [339] Miossens devint depuis le maréchal d'Albret. [340] Philippe de Montault-Benac, depuis duc de Navailles, et maréchal de France. Il épousa, en 1651, Suzanne de Baudean de Neuillan, qui devint gouvernante des filles d'honneur de la Reine, et eut, à cette occasion, quelques démêlés avec Louis XIV. Comme Charleval[341] la pressoit de lui accorder ce que vous savez, elle lui dit: «Attends mon caprice.» C'a été son premier martyr; jamais il n'en a pu avoir rien, non plus que Brancas[342]. Mais ce qui m'a le plus surpris, c'a été feu Moreau, fils du lieutenant civil: il étoit fort aimable. Elle l'a toujours bien voulu pour ami; mais il est mort sans en avoir reçu aucune faveur. On a distingué ses amants en trois classes: les _payeurs_, dont elle ne se soucioit guère et qu'elle n'a soufferts que jusqu'à ce qu'elle ait eu de quoi s'en passer; les _martyrs_, et les _favoris_. [341] Jean-Louis-Faucon de Ris, seigneur de Charleval, dont Lefèvre de Saint-Marc a réuni les poésies légères en 1759. [342] Le marquis de Brancas, le distrait, le Ménalque de La Bruyère. Elle disoit qu'elle aimoit bien les blonds, mais qu'ils n'étoient pas si amoureux que les bruns. En 1648 elle fit un voyage à Lyon: les uns disoient que c'étoit pour se faire traiter secrètement de quelque incommodité; je ne crois cependant pas qu'elle ait jamais eu de mal; les autres, par fantaisie. On a dit que ce fut pour Villars _Orondate_, depuis ambassadeur en Espagne, et qu'elle fit le voyage en poste comme un courrier, et point en chaise, comme on a fait depuis: elle étoit déguisée en homme. Elle disoit que c'étoit à dessein de se retirer. En effet, elle se mit dans un couvent. Là, le cardinal de Lyon[343] devint un peu amoureux de sa belle humeur, et fit quelques folies pour elle. [343] Le cardinal de Lyon étoit le frère du cardinal de Richelieu. Un frère de Perrachon[344] en fut transpercé de part en part; et, sans lui rien demander, la pria de trouver bon qu'il la vît quelquefois, et qu'il lui donnât une maison qui pouvoit bien valoir huit mille écus; mais comme après il en prétendit des choses qu'elle ne lui vouloit pas accorder, un beau matin, car elle n'est point intéressée, elle lui rendit sa donation. [344] Perrachon étoit un avocat de Lyon. (Voyez le _Faux Satirique puni_; Lyon, Claude Rey, 1696, in-8º.) De retour, elle se met dans la tête de ne s'abandonner absolument qu'à ceux qui lui donneroient dans la vue; elle alloit au-devant, le leur disoit ou le leur écrivoit. Elle eut Sévigny, tout marié qu'il étoit, trois mois ou environ, sans qu'il lui en ait rien coûté qu'une bague de peu de valeur. Quand elle en fut lasse, elle le lui dit, et mit Rambouillet en sa place pour trois autres mois. Elle lui écrivit en badinant: «Je crois que je t'aimerai trois mois; c'est l'infini pour moi.» Charleval y ayant trouvé ce jouvenceau, s'approcha de l'oreille de la belle et lui dit: «Ma chère, voilà qui a bien la mine d'être un de vos caprices.» Depuis on appelle ses passants ses _caprices_, et elle disoit: «Par exemple, j'en suis à mon vingtième caprice,» pour dire à mon vingtième galant. Durant sa passion, personne ne la voyoit que celui-là; il alloit bien d'autres gens chez elle; mais ce n'étoit que pour la conversation et quelquefois pour souper, car elle avoit un ordinaire assez raisonnable. Sa maison étoit passablement meublée, et elle avoit toujours une chaise fort propre. Vassé succéda à Rambouillet. Elle reçut de celui-là parce qu'il étoit fort riche: il ne laissa pas de payer encore quand son temps fut fait; mais comme Coulon et Aubijoux, il ne la touchoit que quand la fantaisie en prenoit à Ninon. Fourreau, gros gars, fils de madame Larcher, qui n'a qu'un talent, c'est de se connoître admirablement bien en viande, étoit comme son banquier; elle tiroit sur lui des lettres de change: _M. Fourreau paiera_, etc. On croit qu'il n'en a quasi rien eu. Charleval, un M. d'Elbène et Miossens ont fort contribué à la rendre libertine. Elle dit qu'il n'y a point de mal à faire ce qu'elle fait, fait profession de ne rien croire, se vante d'avoir été fort ferme en une maladie où elle se vit à l'extrémité, et de n'avoir que par bienséance reçu tous ses sacrements. Ils lui ont fait prendre un certain air de dire et de trancher les choses en philosophe; elle ne lit que Montaigne, et décide de tout à sa fantaisie. Dans ses lettres, il y a du feu, mais tout y est bien déréglé. Elle se fait porter respect par tous ceux qui vont chez elle, et ne souffriroit pas que le plus huppé de la cour s'y moquât de qui que ce soit qui y fût. Coulon et elle se brouillèrent (1650) parce qu'elle quitta le Marais pour le faubourg Saint-Germain, où logeoit Aubijoux. Feu le petit Moreau, fils de la lieutenante civile, en étoit alors furieusement amoureux; il étoit devant elle comme devant la Reine: il payoit, mais on ne sait s'il vivoit avec elle. J'ai ouï dire à des voisins que son laquais lisoit toujours le billet de son maître en entrant chez la demoiselle, et la réponse de la demoiselle après en sortant. Elle disoit un jour à Rambouillet: «Dites-moi, un tel est-il beau? car j'ai grand besoin de ragoût.» Elle faisoit cela assez en honnête personne, car elle n'en prenoit jamais trop et ne se hasardoit que rarement à devenir grosse. Le carême de 1651, des gens de la cour mangeoient gras chez elle assez souvent; par malheur on jeta un os par la fenêtre sur un prêtre de Saint-Sulpice qui passoit: ce prêtre alla faire un étrange vacarme au curé, et, par zèle, ajouta, comme une vétille, qu'on avoit tué deux hommes là-dedans, outre qu'on y mangeoit de la viande tout publiquement. Le curé s'en plaignit au bailli[345], qui étoit un fripon. Ninon, avertie de cela, envoie M. de Candale et M. de Mortemart parler au bailli, qui leur fit civilité. [345] Le faubourg Saint Germain étoit alors soumis à la juridiction de l'abbé de Saint-Germain-des-Prés. Un édit du mois de mars 1674 ayant réuni les justices particulières au Châtelet de Paris, celle de Saint-Germain fut réduite à l'enclos de l'abbaye. (Voyez _l'Histoire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés_, par D. Bouillart; Paris, 1724, in-folio, p. 269.) L'été suivant elle se trouva au sermon auprès d'une madame Paget, femme d'un maître des requêtes. Cette femme prit grand plaisir à causer avec elle, et demanda à Du Pin, trésorier des menus plaisirs, qui elle étoit. «C'est madame d'Argencourt de Bretagne qui vient plaider ici.» Il goguenardoit sur ce mot d'Argencourt; l'autre le crut, et dit à Ninon: «Madame, vous avez donc un procès? Je vous y servirai; j'aurois la plus grande joie du monde de solliciter pour une si agréable personne.» Ninon se mordoit les lèvres, de peur de rire. Bois-Robert en ce temps-là la salua. «D'où connoissez-vous cet homme? dit madame Paget.--Madame, je suis sa voisine; je loge au faubourg.--Ah! je ne lui pardonnerai jamais de nous avoir quittés pour une Ninon, pour une vilaine.--Ah! madame, dit Ninon un peu déferrée, il ne faut pas croire tout ce qu'on dit, c'est peut-être une honnête fille. On en peut peut-être autant dire de vous et de moi; la médisance n'épargne personne.» Au sortir, Bois-Robert aborde madame Paget[346], et lui dit: «Vous avez bien causé avec Ninon.» Voilà la dame en colère contre Du Pin et contre Ninon aussi; cependant elle l'avoit trouvée si agréable que Du Pin hasarda de mener Ninon dans le jardin de Thévenin l'oculiste, à la porte de Richelieu, où le voisinage alloit se promener. Madame Paget, qui est femme du neveu de madame Thévenin, s'y trouva, et elle causa encore avec Ninon[347]. [346] Cette madame Paget est galante. (T.) [347] La même anecdote a été racontée précédemment, avec quelques différences, par Tallemant, dans l'Historiette de Bois-Robert. Un jour qu'on faisoit la guerre à Bois-Robert en présence de Ninon, qu'il aimoit les beaux garçons: «Ah! vraiment, dit-il, il n'y a pas d'apparence de dire cela en présence de mademoiselle.--Moquez-vous de cela, dit-elle, je ne suis pas si femme que vous penseriez bien.» Villarceaux est le dernier galant qu'elle ait eu. Pour le voir plus facilement et n'être point à Paris (c'étoit en 1652), elle alla dans le Vexin, chez un gentilhomme de qualité nommé Varicarville, qui est riche et fait bonne chère aux gens; mais c'est un original, et surtout en mangeaille, car il ne tâte de rien qui ait eu vie, non point par aversion comme un gentilhomme de Beauce nommé d'Auteuil, qu'on n'a jamais pu tromper là-dessus, l'estomac lui soulève incontinent, mais par vision. Ce Varicarville ne croit pas grand'chose non plus qu'elle. Un jour ils s'enfermèrent tous deux pour raisonner; on leur demanda ce qu'ils faisoient là. «Nous tâchions, dit-elle, de réduire en articles notre créance; nous en avons fait quelque chose, une autre fois nous y travaillerons tout de bon.» Un jour, Villarceaux, dans sa grande passion, vit par sa fenêtre, car il logeoit exprès vis-à-vis, qu'elle avoit une bougie allumée; il lui envoya demander si elle se faisoit saigner; elle répondit que non: il conclut donc qu'elle écrivoit à quelque rival. La jalousie le prend, il veut aller lui parler; et, dans ce transport, croyant prendre son chapeau, il se met une aiguière d'argent sur la tête, et de telle force qu'on eut bien de la peine à l'arracher: elle ne le satisfit pas; il tombe malade dangereusement. Elle en fut si touchée qu'elle se coupa tous ses cheveux, qui étoient très-beaux, et les lui envoya pour lui faire voir qu'elle ne vouloit point sortir ni recevoir personne chez elle. Ce sacrifice fit cesser son mal; la fièvre le quitta aussitôt: elle l'apprend, va chez lui, se couche dans son lit, et ils demeurèrent couchés ensemble huit jours entiers. Elle a eu deux enfants de Villarceaux[348]. On disoit: «Elle vieillit, elle devient constante.» Elle pouvoit avoir trente ans. Deux ans après, un grand garçon fort bien fait, nommé Des Mousseaux, il est de Beauvais, au retour de Suède, où la Reine, sur sa bonne mine, l'avoit fait capitaine de ses gardes, depuis elle fut contrainte de lui ôter cet emploi, sur ce que d'autres François dirent qu'il n'étoit pas gentilhomme (avant cela il avoit été en Candie, où il avoit porté les armes quelque temps pour les Vénitiens); ce Des Mousseaux donc fit connoissance avec elle à la comédie, et l'alla voir; elle étoit au lit. «Qui êtes-vous, lui dit-elle, vous qui avez la hardiesse de me venir voir sans introducteur?--Je n'ai point de nom, répondit-il.--Et d'où êtes-vous?--Je suis Picard (elle hait les Picards).--Et où avez-vous été nourri?--En Candie.--Jésus! quel homme! Mais ne seriez-vous point un filou? Pierrot, prenez garde qu'il ne me vole. Je ne sais qui vous êtes, il me faudroit un répondant.--Je vous donnerai Bois-Robert.--Ce n'est pas ce qu'il me faut, ni à vous aussi.--Je vous donnerai donc Roquelaure.--Il est trop gascon (notez qu'il ne les connoissoit que de vue)--Mais quand j'aurois un répondant, qu'en seroit-il?--Nous verrions; vous passeriez quelque temps ici, car je suis changeante, Pierrot vous serviroit.--Mais je n'ai rien, dit-il, il me faut entretenir.--Combien voulez-vous?--Une pistole par jour.--Allez, dit-elle, je vous donne quarante sous.» Enfin il se coupa et nomma Rambouillet qu'il connoissoit. «Ah! dit-elle, je prends celui-là pour répondant.» Ils se séparèrent là-dessus. Depuis ce garçon s'est donné à M. de Noailles. [348] On assure que le fils que Ninon avoit eu de Villarceaux conçut une passion très-vive pour sa mère qu'il ne connoissoit pas, et qu'en apprenant le secret de sa naissance il se donna la mort. Ce fait ne nous semble pas être bien établi, mais Ninon est du nombre de ces personnages singuliers au sujet desquels on a souvent altéré la vérité. L'amourette de Villarceaux donna bien du chagrin à sa femme. Bois-Robert dit qu'un jour qu'il étoit allé à Villarceaux, car Villarceaux est son hôte à Paris, le précepteur de ses enfants fit voir à Bois-Robert comme ils étoient bien instruits: il demanda à l'un d'eux: «_Quis fuit primus monarcha?--Nembrod.--Quem virum habuit Semiramis?--Ninum[349]._» Madame de Villarceaux se mit en colère contre le pédagogue. «Vraiment, lui dit-elle, vous vous passeriez bien de leur apprendre des ordures;» et que c'étoit la mépriser que de prononcer ce nom-là chez elle. Villarceaux (1656) prit jalousie du maréchal d'Albret qui, n'ayant pu rien faire chez Guerchy[350], qui logeoit vis-à-vis de Ninon, passa le ruisseau, et en conta à Ninon pour la deuxième fois. Il se vantoit hautement qu'il en étoit défait pour toujours. On verra dans les Mémoires de la Régence la persécution que les dévots firent à la pauvre Ninon, et le reste de ses aventures. En 1671, elle s'éprit d'un garçon de ma connoissance. Un jour, comme ils étoient ensemble en carrosse, elle remarqua que ce jeune homme remarquoit toutes les femelles qui passoient. «Hé! vous lorgnez bien,» lui dit-elle; et en disant ceci, elle lui donne un grand soufflet: c'est qu'elle n'est plus jeune, et qu'elle se défie de ses forces. [349] Molière a mis cette scène dans sa comédie de _la Comtesse d'Escarbagnas_. [350] Mademoiselle de Guerchy, fille d'honneur de la reine Anne d'Autriche. Sa mort tragique donna lieu au sonnet de _l'Avorton_. (Voyez les _Délices de la poésie galante_, deuxième partie; Paris, Jean Ribou, 1667, in-12, p. 36) M. DE VILLARCEAUX ET MADAME DE CASTELNAU, AVEC M. ET MADAME DE NOUVEAU. Villarceaux[351] est fils d'un M. de Villarceaux, qui étoit un gentilhomme de qualité du Vexin françois; sa mère étoit de Leuville, grande joueuse, qui avoit de l'esprit, mais fort médiocrement de cervelle. Au retour de Hollande, où il avoit porté les armes, quoiqu'il fût tout jeune, on parla de le marier à la fille d'une madame d'Espinay, dont le mari, qui étoit Girard[352], avoit gagné du bien, durant les troubles, à être gouverneur de Saint-Denis. La mère est de Châteaudun: elle a bien chanté autrefois. Ils se prirent d'amour tous deux; et, moitié figue, moitié raisin, il en eut tout ce qu'il vouloit; le lendemain elle lui écrivit qu'elle étoit au désespoir de ce qu'elle avoit fait, qu'elle vouloit mourir, etc. Cependant le mariage se rompt, et Castelnau-Mauvissière l'épouse[353]. Villarceaux y retourne comme si de rien n'étoit; et, dès que le mari fut à l'armée, voilà le commerce établi entre eux. Cela dura assez long-temps, quoique Villarceaux fut marié; car il avoit épousé mademoiselle d'Esches[354], dont le frère étoit devenu fou d'amour pour mademoiselle de Gramont, aujourd'hui madame de Saint Chaumont[355]. Il fut dix ans sans vouloir sortir de son écurie; depuis le mariage de sa sœur, il est revenu en son bon sens, et a épousé mademoiselle de Clinchamp. Castelnau réussit à l'armée; il parvint à être lieutenant-général. Il étoit peint en général d'armée dans la ruelle du lit sur lequel on le faisoit cocu. Dans l'action même elle le voyoit, et...... elle disoit d'un ton entremêlé de soupirs et tremblotant: «Faut-il que je fa fa fasse cocu un si vaillant hom, homme,» et quelquefois elle s'écrioit: «Grand héros, me le pardonnerez-vous!» Avec cela il est bien fait; mais je crois qu'il n'a pas grande vivacité, et qu'il n'est bon qu'au métier qu'il fait. [351] Louis de Mornay, marquis de Villarceaux. Il est mort en 1691. [352] Je pense des Girard dont il y a eu un procureur-général de la chambre; il y en a encore un présentement. Le président de Tillet est de cette famille; c'est peu de chose dans l'origine. (T.) [353] Jacques de Castelnau, seigneur de Mauvissière, maréchal de France, épousa, au mois de mars 1640, Marie de Girard, fille d'un maître-d'hôtel ordinaire du Roi, et mourut eu 1658, à l'âge de trente-huit ans. [354] Denise de La Fontaine, demoiselle d'Esches et d'Orgerus, fille d'honneur de la Reine. [355] Suzanne-Charlotte de Gramont, femme de Henri Milte de Miolans, marquis de Saint-Chaumont. Enfin il vint un soupçon à Villarceaux; il crut que Nouveau, beau-frère de la dame, étoit trop bien avec elle; il interrogea une petite fille, et lui fit dire, en badinant avec elle, que Nouveau et sa maman se baisoient. Un jour qu'elle lui avoit fait finesse, et qu'il y avoit apparence qu'elle se vouloit défaire de lui, Nouveau arriva; la voilà embarrassée; il conclut que c'étoit un rendez-vous, et que c'étoit pour cela qu'on avoit fait tant de façons; il s'emporta furieusement, et dit à Nouveau: «Venez-vous-en, et celui qui en aura eu le moins la cèdera à son compagnon.» Il montra deux cents lettres, des portraits, des bracelets de cheveux. Nouveau lui avoua qu'il n'en avoit jamais eu que des baisers: «Mais si vous pouvez, lui dit-il, m'en faire avoir davantage, vous me ferez plaisir.» Dans cette fureur il lui donna je ne sais combien de lettres; et, après avoir traité la dame de carogne, il sema le reste par tout Paris. On croit que Nouveau lui succéda. Cette femme fait la cavalière, et tire un pistolet; elle a plus d'esprit que sa sœur, mais sa sœur est plus jolie; ce n'est pas grand chose pourtant. Ce Nouveau[356], un jour, au commencement qu'il eut équipage de chasse, courant un cerf, demanda à son veneur: «Dites-moi, ai-je bien plaisir à cette heure[357]?» Un jour il parut sur son balcon avec un Saint-Esprit à son juste-au-corps, le cordon et la croix par-dessus, et un autre Saint-Esprit à son manteau. Vineuil dit en riant: «De ce balcon je pense qu'on a fait un colombier; que de pigeons[358]!» [356] Jérôme de Nouveau, surintendant-général des postes, grand trésorier des ordres du Roi en 1654, mourut en 1665. [357] Ce propos ridicule étoit si connu, que La Bruyère, dont l'ouvrage n'a paru qu'en 1687, en a aussi fait mention. L'auteur des _Caractères_ désigne Nouveau sous le nom de _Ménalippe_. «Un autre (_le président Le Coigneux_), avec quelques mauvais chiens, auroit envie de dire, _ma meute_...... Il ne dit pas comme Ménalippe: _Ai-je du plaisir?_ Il croit en avoir, etc.» (La Bruyère, chap. _de la Ville_.) [358] Ce mot nous fait souvenir de ce grand seigneur (c'étoit, ce nous semble, un duc de Brissac) qui tenoit tant à son cordon bleu, qu'il en avoit fait imiter un avec du fer-blanc, afin de ne point s'en séparer quand il entroit dans le bain. Madame de Nouveau est la plus grande folle de France en braverie. Pour un deuil de six semaines, on lui a vu six habits; elle a eu des jupes de toutes les couleurs tout à la fois. Qu'on la prie de montrer celle qu'elle a: «Ah! dit-elle, c'est la moindre; ma verte est débordée, on met des points de soie à ma bleue, le brodeur refait quelque chose à ma jaune, la ceinture de mon incarnate est défaite.» Une jupe de toile d'or avec quatre grandes dentelles, ce n'est qu'une petite jupe: «Ne vous amusez pas à cela, disoit-elle, mais regardez mon velours, car il est divin.» Et tout le jour elle ne parlera d'autre chose. Une vanité la plus impertinente qu'on ait jamais vue: «Mademoiselle de Chevreuse et moi, disoit-elle, nous donnerons les violons tour à tour.» Elle dit une fois que la Reine lui avoit dit en amie qu'elle ne tînt plus table, qu'il n'y avoit plus qu'elle qui fît cette dépense: «Aussi ne la tiens-je plus. Pourtant Miossens (et quatre ou cinq autres qu'elle nommoit) ont dîné chez moi; mais je n'appelle pas cela du monde[359].» Etant grosse, on retint deux nourrices, de peur d'en manquer. Une fois elle ne voulut pas prendre un laquais parce qu'il étoit laid, et que si elle devenoit grosse, il y auroit du danger à le regarder. «Voire, répondit ce laquais, et ne voit-elle pas tous les jours son mari?» Ruvigny dit, quand cet homme eut le cordon bleu, que depuis cela ses coutures paroissoient une fois davantage. [359] C'étoit à la fin de l'année 1651. (T.) Ce n'est pas tout: elle prit une intendante de sa santé; c'étoit une madame Convers, femme d'un commis au grenier à sel de Châteaudun; on en a un peu médit autrefois. Cette femme lui dit ce qu'il faut qu'elle fasse pour se bien porter; peut-être la sert-elle aussi en ses amours. Elle s'éprit un peu de Jeannin[360], trésorier de l'épargne; mais Jeannin lui avoit fait un peu faux bond, et en contoit à Guerchy. La dame en inquiétude alla voir madame de Chalais[361]; et, l'ayant mise sur le discours de son frère: «A propos, dit-elle, on m'a dit qu'il en vouloit à mademoiselle de Guerchy.--Eh! vraiment il n'y songe pas; il est un peu rouillé; il n'a écrit il y a long-temps; puis à la cour on se moque tant de ces gens de la ville.--Ce n'est pas que je m'en tourmente; car quel intérêt y ai-je? Ma foi, je suis bien folle de vous parler de cela.» Jeannin eut sur ses doigts à son tour; car, comme il se rapprochoit, le comte Du Lude vint à la traverse qui l'emporta sur l'autre de grande hauteur; mais par malheur il laissa tomber un billet où, pour toutes jolies choses, elle lui mandoit qu'elle avoit une espèce de perte de sang. On en fit une telle guerre au galant qu'il ne savoit où se mettre. Jeannin remonta enfin sur sa bête; il se logea tout contre, et y mangeoit tous les jours, jusque là qu'elle faisoit attendre à servir qu'il fût venu; c'étoit le meilleur ami du mari. On tient toujours une table admirable là-dedans, mais on dit que Nouveau emprunte de tous côtés. Jeannin tient table aussi et a d'autres amourettes. [360] Nicolas Jeannin de Castille, marquis de Montjeu, mourut au mois de juillet 1691. [361] C'étoit la veuve de Henri de Talleyrand, comte de Chalais; elle étoit sœur de Jeannin de Castille. (_Voyez_ plus haut son article dans ces Mémoires, t. 2, p. 350.) MADEMOISELLE DE SALLENAUVE. Mademoiselle de Sallenauve étoit une demoiselle de Champagne qui n'avoit ni père ni mère, et rien qu'un frère; elle pouvoit avoir quarante mille écus de bien. Saint-Etienne, fils du gouverneur de Château-Renault, l'enleva de Reims, où elle étoit chez ses parents. Il prit le temps qu'elle alloit à la messe et l'heure qu'il n'y a guère de gens par les rues. Ce n'étoit point de son consentement; mais on dit que, dès qu'ils furent hors des faubourgs, elle s'apprivoisa avec lui. Il étoit assez adroit auprès des femmes; on dit qu'elle ne le trouva pas vigoureux. Il la mena à Château-Renault: il croyoit obliger son père à lui donner du bien en se mariant; mais le père ne le voulut jamais. Quand M. le Prince alla en Champagne pour mener des troupes au maréchal de Guebriant en Allemagne, Saint-Etienne lui demanda sa protection; Arnauld étoit son parent ou son ami. M. le Prince la lui accorda[362]. Elle fut assez long-temps entre ses mains: enfin elle s'en lassa. Cet homme ne manquoit pas d'esprit, mais il n'étoit pas trop sain, et n'étoit brave ni en guerre ni en amour. Il faut bien qu'elle y ait trouvé quelque chose à refaire, puisqu'après tout le bruit que cela a fait, elle n'a pu se résoudre à l'épouser. Saint-Etienne fut enfin obligé de la mettre en religion à Mézières; mais c'étoit chez une des tantes du cavalier. Là, M. le Prince lui parla; elle dit qu'elle vouloit bien M. de Saint-Etienne pour son mari. M. le Prince s'avance. Cependant les parents écrivent à feu M. Le Gras, secrétaire des commandements de la Reine, qui étoit leur allié, et, ayant fait entendre à Sa Majesté qu'il usoit de violence envers cette fille, obtint ordre de la rendre à ses parents. Un de ses oncles, nommé Tuisy, trésorier de France à Châlons, l'alla chercher et la mena aux Cordelières, à Reims. M. le Prince, qui n'étoit pas loin encore, averti de cela, et en colère de ce qu'on avoit fait entendre à la Reine qu'il y avoit eu de la violence, vouloit aller à Châlons se venger des parents de cette fille; il vouloit la faire enlever de Reims. Le lieutenant de ville, c'est comme le prévôt des marchands, qui avoit ordre d'empêcher les gens de M. le Prince de faire aucune violence, mit les bourgeois en armes. M. le Prince en a voulu un peu de mal à ceux de Reims. Là, mademoiselle de Sallenauve apprit que Saint-Etienne devoit beaucoup; cela augmenta l'aversion qu'elle avoit pour lui; mais il s'apaisa quand la Reine, qui n'avoit pas accoutumé de rien faire dans son gouvernement sans lui en donner avis, lui en eut fait quelque espèce de satisfaction, et que la fille eut déclaré qu'elle n'avoit osé dire son sentiment, étant entre les mains de la tante de Saint-Etienne. [362] Il a déjà été question de Saint-Étienne et de sa grâce sollicitée par M. le Prince dans l'article de M. de Laval. (_Voyez_ plus haut, p. 165.) Cuile, frère de la demoiselle, fit appeler en vain trois ou quatre fois Saint-Etienne en duel; enfin, ayant su qu'il étoit à Paris, il y vient. Un jour[363] il eut avis que Saint-Etienne n'alloit point sans trois ou quatre de ses amis; il prend donc aussi trois gentilshommes et rôde autour du logis de Saint-Etienne. Là, il apprit que son homme étoit sorti avec un Jésuite dans son carrosse; il le suit; l'autre quitte son Jésuite; Cuile fait arrêter à cinquante pas près, et, seul avec deux épées, va à Saint-Etienne et lui en présente une: Saint-Etienne prit deux pistolets qu'il avoit dans son carrosse; un des laquais de Cuile lui en ôte un, et Cuile lui ôte l'autre; Saint-Etienne crie qu'on l'assassine, et entre dans une maison. Des valets de pied de M. le Prince vinrent à passer par là: c'étoit au faubourg Saint-Germain; ils reconnoissent Saint-Etienne; ils prennent son parti. Cuile et ses amis sont contraints de se sauver à l'Arsenal. Le maréchal de La Meilleraie les reçut fort bien, et alla trouver M. le Prince, qui déclara qu'il ne prenoit nulle part en cette affaire. Aussi ne faisoit-il pas grand cas de Saint-Etienne. On informa, et Cuile ne s'étant point défendu, le bailli du faubourg[364] le condamna par contumace à avoir la tête coupée; Arnauld demanda sa confiscation. Depuis Cuile se défendit, et ne fut plus condamné par le même bailli qu'à cent pistoles; il fit appeler Arnauld, qui ne se voulut point battre. Depuis Saint-Etienne fit encore parler à la fille, qui, contre l'avis de ses parents et de son frère même, n'y voulut jamais entendre. [363] Au mois de janvier 1648. (T.) \ [364] Ceci se passoit dans l'étendue de la justice de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. (_Voyez_ plus haut la note, p. 316.) En ce temps-là M. d'Etoges, de la maison d'Anglure, qui a épousé une des parentes de mademoiselle de Sallenauve, voyant que cette fille s'ennuyoit dans ce couvent, la mène à Etoges. Elle y étoit depuis un an ou environ, quand un gentilhomme huguenot, peu accommodé, qui n'étoit alors qu'enseigne des gardes de M. de Turenne (il s'appelle aujourd'hui La Berge, et se nommait alors Chalnay), écrivit à Cuile et lui demanda sa sœur en mariage, avec promesse de changer de religion. Cuile répondit qu'il n'avoit point de réponse à faire. Quelque temps après, Chalnay, qui est aussi de Champagne, rencontra à Châtillon-sur-Marne un laquais de Cuile; il sut de lui que son maître devoit y dîner; il va l'attendre sur le chemin; Cuile étoit seul; ils se parlent, se querellent, et entrent dans un bois pour se battre. Comme ils s'alongeoient, une espèce de petite hermine, qu'on appelle _bavole_, leur passa trois ou quatre fois entre les jambes. «Voilà un mauvais présage pour l'un de nous deux, dit Cuile.--Cela ne signifie rien, répondit l'autre, bon courage, bon courage!» Cuile blessa le premier son homme d'un coup dans le ventre; Chalnay perdoit assez de sang, mais il ne perdoit point cœur, et en se moquant disoit à Cuile: «Ce n'est rien! bon courage, bon courage!» Cuile lui donna un second coup dans l'épaule, et son épée demeura engagée dans les os; cela l'obligea à en venir aux prises; il saisit l'épée de Chalnay à deux mains: Chalnay ne la lâcha point pourtant; il la tint toujours d'une main, et de l'autre s'arracha l'épée de Cuile qu'il avoit dans l'épaule, et l'ayant accourcie, le voulut faire parler. Cuile ne vouloit point demander la vie, et Chalnay lui donna un coup qui lui perça le cœur[365]. Quoique ce ne fût qu'une rencontre, cela passa pour un duel, et le chevalier de Baradas[366] eut la confiscation de Cuile. Quel désordre de n'attendre pas qu'un homme soit condamné! Le chevalier fit entendre qu'il n'avoit demandé la confiscation que pour épouser l'héritière, qui, par la mort de son frère, avoit plus de six-vingt mille écus de bien; il demanda à la voir. Le vicomte d'Etoges, chez qui elle étoit, lui fit dire qu'il seroit le bienvenu. Il y va donc; mais il trouve un corps-de-garde à la porte du château, et on le fit attendre une demi-heure, en hiver, dans une salle sans feu. Le vicomte n'y étoit pas; au bout de ce temps-là madame d'Etoges vint, qui le reçut très-froidement. Mademoiselle de Sallenauve ne vint qu'une demi-heure après, qui fit encore une plus grise mine que sa parente. Il voulut dire quelque chose d'obligeant à la fille, mais elle ne fit pas semblant de l'entendre. Il parla du brevet[367] qu'il lui avoit envoyé, mais sans sa démission. Elle lui dit qu'elle tenoit ce papier pour une chanson, et qu'elle ne savoit ce qu'il étoit devenu. En s'en allant, il lui dit en soupirant: «Mademoiselle, je vois bien que j'ai été trop hardi de vous saluer; mais pour réparer ma faute, je vous baiserai le bas de la robe.» Elle le laissa faire. Elle est fière comme un dragon; elle est petite, mais elle n'est point laide et a quelque chose de vif dans les yeux; elle se pique d'esprit. Baradas disoit que d'Etoges lui avoit joué ce tour-là. Il fallut pourtant renoncer à toutes les belles prétentions, et d'Etoges fit si bien, que le brevet fut révoqué. [365] La plupart du monde dit que ce fut le valet-de-chambre de Chalnay qui tua Cuile, et que Chalnay n'en pouvoit plus. En effet, il fut fort mal de ses blessures. Ce Cuile étoit fort incommode avec son humeur de gladiateur; avec cela c'étoit un petit tyranneau. (T.) [366] Le chevalier de Baradas avoit été le favori de Louis XIII pendant quelques mois, et durant ce peu de temps, il étoit devenu premier écuyer, premier gentilhomme de la chambre, etc. Disgracié en 1626, il sortit du royaume, où il rentra quand la Régente rappela les exilés. (Voyez les _Mémoires du cardinal de Richelieu_, deuxième série des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, t. 23, page 218 et suivantes, et l'_Histoire de Louis XIII_, par Le Vassor, t. 6, p. 680 de l'édition in-4; Amsterdam, 1757.) [367] Le brevet contenant le don de la confiscation des biens du frère de mademoiselle de Sallenauve. Après cela d'Etoges témoigna à la demoiselle qu'il souhaitoit qu'elle épousât son neveu, le fils du marquis de Bourbonne. La demoiselle reçut cette proposition très-froidement, et se retira ensuite dans un couvent à Châlons, où elle voyoit à la vérité tous les jours M. d'Etoges et son neveu de Bourbonne, mais d'une façon peu civile. Cependant elle avoit de grandes obligations à d'Etoges, qui l'avoit prise chez lui en un temps que personne ne se vouloit charger d'elle, et qui avoit pensé être assassiné à Paris par les gens de Baradas. Elle ne vouloit point ouïr parler de Bourbonne, et disoit pour ses raisons qu'il étoit cadet, qu'il falloit donc faire auparavant renoncer l'aîné, qui étoit abbé, à la succession, et qu'il se tînt à ses bénéfices, que M. de Bourbonne[368], le père, lui donnât sa lieutenance de roi de Bassigny, et douze mille livres de rente. Voilà ce qu'elle disoit devant ses parents; mais à ses bons amis elle leur avouoit qu'elle ne pouvoit aimer un homme qui n'avoit point songé à elle tandis que son frère avoit été en vie, quoiqu'elle l'eût vu deux mille fois, et elle donnoit assez à connoître qu'elle eût bien mieux aimé le vicomte de Saint-Souplet, frère de feu madame de Vaubecourt, à cause qu'il l'avoit toujours très considérée. [368] Il est chevalier de l'ordre. (T.) En ces entrefaites[369], le couvent où elle étoit tombe en nécessité par les désordres de la frontière, et l'abbesse est contrainte de renvoyer presque toutes ses filles chez leurs parents; mademoiselle de Sallenauve se retire donc chez Tuisy, son oncle et son tuteur, qui lui permet de voir M. d'Etoges et M. de Bourbonne une fois la semaine, sans recevoir aucune autre visite. Un jour M. d'Etoges va la voir dans un carrosse à quatre chevaux; et, étant entré dans la cuisine, où elle étoit par hasard, il lui dit, en lui présentant sa fille: «Voilà une parente que je vous amène; je la viens de tirer de religion.» Ensuite étant monté dans une chambre, et les gens s'étant retirés: «Sachez, lui dit-il, ma cousine, que nous sommes las de vos froideurs, et que je ne suis venu ici qu'à dessein de vous enlever.» En disant cela, il tire un coup d'un pistolet de poche qu'il avoit; c'étoit le signal; aussitôt Bourbonne entra avec cinq ou six hommes, qui l'enlèvent à demi évanouie. Mais ayant repris ses esprits sur l'escalier, elle commença à se débattre. On la presse; elle se défend. Enfin, comme la rumeur augmentoit, Tuisy, qui jouoit dans le voisinage, arrive, prend l'épée d'un laquais et en donne dans le ventre à un des chevaux du timon. Là-dessus M. d'Etoges lui porte le pistolet à la gorge, et lui dit qu'il ne l'épargne qu'à cause qu'il est allié. [369] Dans l'été de 1650. (T.) D'autre côté, de Vraux, frère de Tuisy, qui étoit accouru au bruit, faisoit ce qu'il pouvoit pour ôter sa nièce aux ravisseurs; mais voyant que le carrosse partoit, il jette un fauconnier de M. d'Étoges par terre, monte sur son cheval, et coupe chemin au carrosse; il avoit un pistolet; mais dans le temps qu'il l'appuie sur l'estomac du cocher, il est lui-même porté par terre d'un coup qu'on lui tire. A ce bruit le peuple arrête quatre ou cinq des furetiers[370] qui suivoient le carrosse, et prit un M. de Conigy prisonnier, qui étoit de la partie, et qui venoit de tuer de Vraux. D'Étoges avoit traversé toute la ville par l'endroit le plus peuplé, le pistolet et l'épée à la main, pour faire faire place au carrosse; et, étant à la poste, il y fit ferme pour donner temps d'atteler deux autres chevaux. A peine furent-ils hors du faubourg que le cheval blessé mourut: il fallut s'arrêter encore; mais on ne les poursuivoit point. La moindre charrette, car les rues sont fort étroites, ou deux hommes avec des hallebardes les eussent pu arrêter; et celui qui y a été tué et son frère y sont fort aimés. Bourbonne et le chevalier, son frère, tenoient cette fille de travers dans le carrosse, l'un par les jambes, l'autre par la tête. C'est un fort pauvre homme que Bourbonne; d'ailleurs il n'a point de bien. Elle le menaçoit sans cesse de le poursuivre, mais quand elle se vit un enfant, elle s'apaisa. Elle gouverne tout, elle va souvent à Reims, et donne quelques pistoles à son mari pour aller jouer à la paume. Elle est demeurée un peu boiteuse des deux côtés de sa première couche; elle a eu depuis d'autres enfants. Avec le temps son mari pourra avoir du bien de sa maison, car l'aîné est abbé. [370] Gens du furet, terme de chasse. PRIEZAC. Priezac[371], aujourd'hui conseiller d'Etat, et l'un des principaux de l'Académie, eut le bonheur de plaire à M. le chancelier, alors garde-des-sceaux, au dernier voyage que le feu Roi fit à Bordeaux. [371] Daniel de Priezac, membre de l'Académie françoise, mourut en 1662. Il le trouva savant homme et bonhomme. Il l'est en effet, mais il n'a guère de cervelle et est diablement inquiet; à la vérité il n'écrivoit point bien, mais il a appris; lui et La Chambre en ont l'obligation à l'Académie. Le garde-des-sceaux le fit venir à Paris avec toute sa famille; j'étois à Bordeaux en ce temps-là. On se moquoit un peu de ce voyage, et on disoit que sa fille avoit dit, en se vantant, que le moins qu'il lui pouvoit arriver, c'étoit d'épouser un conseiller au parlement. Il lui arriva mieux que cela, comme vous verrez par la suite. La femme de Priezac étoit une laide, vieille et sotte bête, de qui on avoit fort mal parlé. Je l'ai vue ici danser au bal, comme une jeune fille, parée comme Proserpine, avec de fausses dents, des boules de cire pour enfler ses joues, un doigt de plâtre sur le visage, et coiffée d'une passe de crapaudaille[372], attachée sur sa perruque avec des épingles de diamant. Sa fille n'étoit guère plus jolie, et toutefois un gentilhomme de l'ancienne chevalerie de Lorraine, nommé le marquis de Châtelet, riche et pas trop mal fait, malgré la réputation de la mère et le peu de bien du père, l'épousa et l'emmena en son pays. On fut huit ou neuf ans sans entendre parler d'eux, quand on sut que cette femme, jalouse d'une personne que son mari aimoit, la fit prendre et lui fit couper le nez. Le mari fit une chose trop raisonnable pour un homme qui s'étoit marié si sottement; car il écrivit à son beau-père que sa fille s'étoit emportée à quelques violences par un soupçon qu'elle avoit pris mal à propos; qu'il n'avoit point en cela voulu user de son autorité, et qu'il se remettoit de tout à lui. Priezac écrivit à sa fille qu'il vouloit qu'elle vécût bien avec son mari, et que si elle venoit ici, comme on lui avoit dit qu'elle faisoit état d'y venir, il la renverroit bien vite. [372] _Crapaudaille_, ou _crépaudaille_, crépon, espèce de crêpe de soie bouillie, dont on faisoit anciennement les coiffes des femmes. (Voyez le _Dictionnaire de Trévoux_.) Une madame de Montaigne, de la maison de Michel de Montaigne, femme d'un conseiller de Bordeaux, devint jalouse, sans aucune raison, d'une cliente de son mari, la fit prendre, lui coupa le nez, et l'alla mener en cet état à M. de Montaigne, en lui disant: «Voilà l'objet de votre affection.» On conta cette histoire quand on sut ce que je viens d'écrire de cette madame de Châtelet. Priezac avoit encore une fille, mais bien mieux faite que l'autre, qui fut mariée encore plus extraordinairement. Un seigneur de la Franche-Comté vit son portrait par hasard, et en devint amoureux; il la fit demander, et l'épousa. LE PRÉSIDENT AMELOT. Le premier président de la Cour des Aides se nomme Amelot-Beaulieu, pour le distinguer des autres Amelot, qui sont riches et en grand nombre à Paris. C'est une bonne famille de la robe; ils se piquent de bonne maison; et celui-ci, étant conseiller, disoit à ceux de sa chambre qu'il ne prenoit pas plaisir à coucher avec sa femme, parce qu'elle n'étoit pas demoiselle. Elle a pourtant un frère maître des requêtes, nommé Du Pré. Amelot traita de la charge de premier président de la Cour des Aides avec M. de Maisons, qui se faisoit président au mortier: il n'y fut pas long-temps sans se brouiller avec la plupart de sa compagnie. A la vérité, dans les commencements, ce ne fut qu'à cause qu'il ne vouloit pas souffrir les friponneries de quelques-uns. Les autres disoient que c'étoit par sa faute, et qu'il étoit si étourdi, qu'il découvroit tous les desseins de la compagnie, car ils l'accusoient d'avoir dit au chancelier, en 1647, quand on portoit tant d'édits, que la Cour des Aides avoit donné arrêt pour faire le procès à Catelan, qui traitoit de tous les retranchements de gages d'officiers, etc. Lui soutenoit qu'il avoit dit qu'il y avoit un arrêté seulement, ce qui étoit vrai; mais il avoit tort de le dire. Il fit encore une chose que je ne blâme pas pourtant, mais qui le mit mal avec la cour, c'est qu'il dit en grosses lettres au procureur-général Le Camus, beau-frère d'Emery, que c'étoit une chose honteuse qu'un procureur-général de la cour des aides eût intérêt dans les partis. Et il offrit de prouver ce qu'il disoit. A cette heure il ne seroit pas si hardi que de reprocher cela, car je sais gens qui ont vu des comptes par lesquels il paroît qu'il y est lui-même pour quelque chose; je crois que c'est pour peu et depuis peu. Sa principale folie, c'est l'amour, et on en a fait d'assez plaisants contes. On dit qu'il alla un jour au Marais chez madame de La Ferté, sœur de Charleval et femme d'un maître des requêtes; elle étoit avec bien d'autres femmes; et que là, après avoir dit d'assez méchantes choses, car il n'a point l'air du monde et n'a nulle vivacité, il voulut faire des insolences à l'une d'elles, et qu'elles le mirent dehors par les épaules. On ajoute que quelques jours après il revint au même quartier, et que, craignant de n'avoir pas l'entrée libre s'il se nommoit, il fit dire que c'étoit un président de Bretagne appelé le président Capon: car pour rien il n'eût rabattu de sa qualité de président. Le nom sembla plaisant aux dames, elles le firent monter: il y en avoit quelques-unes de celles qui l'avoient vu chez madame de La Ferté, qui pourtant ne firent pas semblant de le reconnoître. Il fut aussi bon que l'autre fois, et même passa bien plus avant. On lui dit qui il étoit, et il courut fortune d'être battu. J'ai ouï dire aussi qu'un jour qu'il étoit chez une demoiselle qui étoit une espèce de Marion de l'Orme, un gentilhomme de chez M. d'Orléans, nommé Vieux-Pont, s'y rencontra; le président n'entendit pas bien le nom, et le prit pour Du Pont l'opérateur. Vieux-Pont, qui vouloit rire, dit qu'il étoit venu pour voir les dents de mademoiselle d'Amy: il prit envie au président de lui montrer les siennes. Vieux-Pont lui regarde dans la bouche, et, s'écriant, lui dit qu'il avoit une dent toute pourrie, et qu'il la falloit ôter plus tôt que plus tard. Il dit qu'il le vouloit bien, et se met en posture pour cela. Le fin arracheur de dents la lui déracina avec ses pincettes à arracher le poil; et, après s'en être assez diverti, dit qu'il avoit oublié son pélican[373] et que ce seroit pour le premier jour, et le laissa avec la bouche tout en sang. Je crois qu'il y a quelque fondement à ces trois contes; mais on les a bien embellis. Mais voici une sottise qu'il a dite où il n'y a rien d'ajouté. Après que Des Landes Payen eut gagné le procès de la Charité contre le comte de Lyon, notre homme, en présence de cent personnes, dit à un de ses avocats: «J'ai donné à M. Des Landes vingt de ses juges, et je dis au président de Pommereuil qu'il regardât s'il aimoit mieux être des amis du cardinal de Lyon, qui ne lui pouvoit rendre aucun service, que de désobliger M. le premier président de la Cour des Aides qui s'en ressouviendroit cent ans durant.» [373] _Pélican_: on appelle ainsi une pince à l'usage des dentistes. (_Dict. de Trévoux_.) Patru le connoît de tout temps: il dit qu'il n'y a jamais eu un meilleur homme ni un moins judicieux. Un soir qu'il soupoit chez lui, le président fit venir trois ou quatre filles fort jolies et fort _mouchées_[374], qui dansoient, chantoient et jouoient du luth. C'étoit pourtant de la nourriture d'une dévote, de madame de Morangis, qui, n'ayant point d'enfants, se divertit à cela; son mari et elle font assez de charités. Notre homme s'amusoit à _pantalonner_ avec ces fillettes devant ses valets. Patru lui en fit honte, et aussi de ce qu'il dit à un laquais: «Laquais, faites-moi souvenir d'aller demain chez le marquis de Nesle; il a querelle.--Est-ce que vous lui voulez offrir votre épée? lui dit Patru. En la place où vous êtes, vous êtes exempt de faire des visites, ou du moins il en faut faire fort peu.» Il sut bien dire une fois à une femme qu'il pressoit: «Madame, voyez-vous, un président n'a point de temps à perdre.» Quelqu'un, peut-être pour se moquer de lui, l'envoya chez une jolie fille qu'on appeloit mademoiselle de La Forêt, qui logeoit avec sa sœur qui étoit veuve: il y va pensant trouver _chape-chute_; il fait tant qu'elle vint lui parler à la porte; il étoit en une chaise des rues _incognito_. «Je suis discret, mademoiselle, lui dit-il, je ne parlerai point; je vous prie, ne me faites point languir.» Cette fille, qui est fière (à la vérité on en disoit bien quelque chose avec Maupeou-Mallebranche, mais on ne tranchoit pas le mot; je crois qu'il l'a épousée depuis), se mit en une colère étrange, le quitte et remonte en haut, sanglotant comme si elle eût été au désespoir. Un homme qui étoit là s'offrit à aller désabuser le galant; il y va et attrape sa chaise comme il s'en retournoit. Le président lui cria, dès qu'il voulut parler: «Confusion! monsieur, confusion!» Et il se mettoit les mains devant le visage. «Confusion! confusion! tous hommes sont hommes! Confusion!» Notez qu'il avoit plus de quarante-cinq ans. [374] C'est-à-dire qu'elles avoient beaucoup de mouches, suivant l'usage d'alors. Quelque temps après, ayant su que madame de Gondran devoit aller voir la chaise de Villayer[375], faite comme celle du cardinal Mazarin, pour se faire porter du bas en haut du logis, et du haut en bas avec des contre-poids, et que l'abbé de Romilly[376], qui y devoit accompagner la belle, avoit emprunté la maison, notre président y fait secrètement préparer la collation. Elle entre et demande l'abbé. «Il est là-haut.» L'abbé vient au-devant d'elle. Ils voient en passant la porte de la salle ouverte, et une collation servie; voilà M. l'abbé tout honteux de voir que le président avoit été plus galant que lui. Notre _soutanier_ la prie; elle se met à table. Il ne l'avoit jamais vue; elle lui plut fort; il va chez elle: Gondran étoit dans le fauteuil et avoit son manteau; tantôt il tâtoit les bras de sa femme, et il mettoit quelquefois la main dans le lit; le président ne le connoissoit point; il crut donc que la dame n'étoit pas trop scrupuleuse, et s'adressant à Gondran: «Vous êtes bien heureux, monsieur, lui dit-il, d'être si bien avec une si belle dame. De grâce, faites-moi part de votre bonheur.--J'ai bien de la peine, dit l'autre, à en obtenir quelque chose pour moi, bien loin de presser pour les autres.» Il falloit que ce jaloux fût ce jour-là de bonne humeur; car, non content de cela, il se retira. Alors le président s'échauffa furieusement dans son harnois, et lui dit tout franc ce qui l'amenoit; il la pressoit, quand elle se mit à dire assez haut: «Monsieur, monsieur de Gondran, venez ici.» Voilà le président déferré qui se met à lui faire des réprimandes, et lui dit qu'elle se jouoit à faire bien du désordre, et puis la laissa là. Depuis il se mit tellement à garçailler qu'il alla avec des p...... dans son carrosse, sans changer de livrée, acheter de la marée à la halle, le propre jour de Notre-Dame de décembre. Les harangères disoient: «Ce n'est pas madame la présidente, elle n'achèteroit pas comme cela elle-même.» Enfin sa femme, enragée de cela, d'ailleurs c'est une assez aigre créature et assez laide, la petite-vérole l'a gâtée, se cabra tellement qu'ils ne mangeoient plus ensemble; elle avertissoit Patru de tout, qui en faisoit des remontrances au président; mais cela ne servoit de rien. Il avouoit bien qu'il avoit tort, et c'étoit tout. [375] Un maître des requêtes. (T.) [376] _Voyez_ sur cet abbé l'article de madame de Gondran, dans ce même volume, et les _Mémoires de Conrart_ qui y sont cités. Il n'y a que deux ans que madame de Gondran, qui étoit déjà veuve, s'étant trouvée un peu mal, il y alla avec trois médecins dans son carrosse; elle lui dit familièrement: «Allez-vous-en, vous m'importunez.» Un jour, elle et quelques-unes de ses voisines lui mirent une chaise le dossier tourné contre lui, et lui firent réciter la dernière harangue qu'il avoit faite au Roi. Il se mit à la dire; mais il s'aperçut qu'on se moquoit de lui et s'enfuit. A propos de ses harangues, le monde les trouve belles; pour moi, je n'approuve point ces discours qui n'ont ni pied ni tête; ce n'est pas qu'il n'y ait de belles choses et qu'elles ne soient meilleures, sans comparaison, que celles des autres. Les conseillers de la chambre, et surtout Sanguin, qui a du bon sens pour les affaires, croyoit que c'étoit Patru qui les lui faisoit, parce qu'il est son ami; mais il ne connoît guère le caractère de Patru. Nous avons été long-temps à découvrir de qui il se servoit; mais il y a apparence que c'est d'un nommé Saureau, avocat, car cet homme, quoique obscur, a de belles-lettres, et le président va chez lui; d'ailleurs ce n'est point un homme d'assez de réputation pour cela: on conclut donc que c'est pour ses harangues; car, disent les gens de la Cour des Aides, jamais il n'y eut un si pauvre homme que notre premier président: il prend toutes les affaires de travers, il opine ridiculement; il n'a qu'une chose, c'est que, comme il a de la mémoire, il prononce assez bien[377]. [377] Le récit de Tallemant est difficile à concilier avec la belle harangue attribuée par Conrart au président Amelot; d'autant que plusieurs passages de cette pièce ont dû être improvisés. (_Mémoires de Conrart_, deuxième série de la collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, t. 48, p. 33.) GOMBERVILLE[378]. Marin Le Roy, sieur de Gomberville et du Parc aux Chevaux, est d'honnête famille de Paris: il a été secrétaire du Roi; mais pour avoir fait un petit livre où il y avoit quelque chose qui n'avoit pas plu à la Reine, on l'obligea de se défaire de sa charge. Il a fait quelques vers: ils sont plus beaux que naturels; son principal attachement a été aux romans. Il avoit fait d'abord _Polexandre_ en deux volumes, avec le titre de _l'Exil de Polexandre_; depuis il a tout changé et a continué jusqu'à cinq volumes. Beaucoup de gens aimoient mieux les deux premiers. Pour moi, je trouve, outre que cet homme n'est point naturel, qu'il y a mille obscurités; il est presque partout embarrassé, et cherche midi à quatorze heures; il a même quelquefois de mauvais mots. Pour le corps du roman, je laisse à juger s'il est raisonnable d'avoir mis la scène en un lieu inconnu, et en un siècle si connu et si proche du nôtre. Il prétendoit ne s'être point servi de la particule _car_ dans tout ce roman, et prétendoit prouver par là qu'on s'en pouvoit fort bien passer. Malleville[379] dit cela au maréchal de Bassompierre, qui étoit alors dans la Bastille. Un valet-de-chambre du maréchal se mit en fantaisie de voir si cela étoit vrai; il lut les deux tomes et marqua grand nombre d'endroits où _car_ étoit employé. Je pense que c'est de là qu'est venu que l'Académie, car Gomberville en est, vouloit supprimer le _car_ dans le privilége de _Polexandre_[380]. Il fit mettre par M. Conrart que défenses étoient faites à tous faiseurs de comédies de prendre des argumens de pièces de théâtre dans son roman, sans sa permission. Il fit cela à cause que je ne sais quel misérable rimailleur ayant fait une méchante pièce qu'il appela _Ariane_, et qui étoit l'histoire d'Ariane de M. Des Marets, le peuple crut, quoiqu'elle eût été sifflée sur le théâtre, que M. Des Marets l'avoit faite. Personne, je ne sais si c'est de peur de l'amende, ou plutôt s'il n'y a guère d'histoires vraisemblables dans ce livre, n'en a tiré la moindre aventure. Je voudrois bien voir un procès sur cela. Quand il eut achevé _Polexandre_, feu madame de Lorraine lui dit qu'elle croyoit qu'il s'étoit épuisé en aventures, et qu'il ne pourroit pas faire après cela un petit roman d'une heure de lecture. Il voulut gager d'en faire, dans un certain temps, un de quatre volumes, et il fit _Cythérée_; ce sont petits volumes à la vérité. Ce second a moins réussi que le premier. En récompense, on ne trouvera guère d'auteur si riche que celui-ci; il a quinze mille livres de rente. Je pense qu'une bonne partie vient d'épargnes; car c'est un homme qui n'a jamais donné un verre d'eau à personne. Il a je ne sais quelle charge pour laquelle il fut taxé à quatre mille livres, du temps de M. d'Emery; il remua ciel et terre pour s'en faire décharger. Il fut parler au surintendant avec un crocheteur chargé des livres qu'il avoit mis en lumière, car il avoit fait encore d'autres livres et même d'autres romans avant ces deux dont j'ai parlé; mais on ne les connoît pas autrement. Feu M. de Schomberg, qui sollicita fort pour lui, lui représentoit que c'étoit un écrivain et non point un homme d'affaires. «Je vous promets, dit d'Émery, qu'il ne paiera point comme auteur, mais comme officier seulement.» [378] Né à Paris en 1600, mort à Paris en 1674. [379] Claude de Malleville, de l'Académie françoise, poète françois dont quelques pièces se lisent encore. Il étoit secrétaire du maréchal de Bassompierre. [380] Cette dispute sur la particule _car_ donna lieu à la 51e lettre de Voiture, adressée à mademoiselle de Rambouillet, madame de Montausier. Ce M. de Gomberville s'est toujours pris pour un autre. Je l'ai vu cesser d'aller chez le coadjuteur parce que le cardinal n'avoit pas été à l'enterrement de la mère de sa femme, dont il lui avoit envoyé un billet à l'ordinaire par un crieur de corps morts, et le coadjuteur ne savoit pas seulement qu'il fût marié. Je crois qu'il avoit prétendu à être précepteur du Roi, car il fit je ne sais quelle morale avec de grandes tailles douces qu'il trouva toutes faites. Cette pièce étoit fort bizarre; mais ce qu'il y avoit de plus extraordinaire étoit le portrait de l'auteur, vêtu comme un des sept sages de la Grèce, et au bas _Thalassius Basilides à Gombervillâ_; pour _Thalassius Basilides_, c'étoit _Marin Le Roy_ en masque, mais _à Gombervillâ_ passoit tout; il devoit ajouter _à Parco caballorum_[381]. [381] M. du Parc aux Chevaux. _Caballus_ se prend dans le sens de rosse, mauvais cheval. Il y a dix ans ou environ que Gomberville se laissa donner un coup de pied de crucifix. Courbé lui disoit: «Eh! monsieur, vous ne ferez plus de romans.--Que sais-tu, mon ami, lui dit-il, si je n'en ferai point de spirituels, qui vaudront mieux que les autres.» Je l'ai vu grand frondeur. Depuis (1650), ayant été fait marguillier de Saint-Louis dans l'île Notre-Dame[382], il pensa faire enrager les gens avec ses austérités, car il est janséniste. Il ne vouloit pas que les femmes allassent à la messe, ni au sermon avec des rubans de couleur à leurs coiffes. Il publia l'année suivante le premier volume d'un roman (il y en devoit avoir deux) intitulé: _la Jeune Alcidiane_; c'étoit la fille d'Alcidiane et de Polexandre. Ce livre, je ne sais pourquoi, fut un an imprimé sans être publié. Là, ceux qui sont morts dans _Polexandre_, comme Iphidamante, se portent bien. De peur de passer pour un homme qui n'a point été à la cour, il affecte tellement de faire dire à Alcidiane la mère, «le Roi mon seigneur,» en parlant de Polexandre, et autres choses semblables, qu'il n'y a rien de si ennuyeux. Au reste, c'est un roman de janséniste, car les héros, à tout bout de champ, y font des sermons et des prières chrétiennes. Cydane en un endroit détourne son fils d'aimer une femme mariée, et fait cela comme un confesseur; aussi le roman n'a-t-il pas été achevé d'imprimer[383]. [382] On appeloit ainsi alors l'île Saint-Louis. [383] Les _Mémoires du duc de Nevers_, en deux volumes in-folio, sont le seul ouvrage de Gomberville qui doive rester; ce n'est, au reste, qu'un grand recueil de pièces historiques. LA PRÉSIDENTE AUBRY, SON MARI, ORGEVAL ET SENAS. La présidente Aubry étoit de bonne maison de Normandie; c'étoit une veuve bien faite, mais elle n'avoit rien quand le président Aubry l'épousa par amour: ce fut une madame d'Olus qui fit ce mariage. Cependant la présidente n'a pas laissé de se brouiller avec elle, comme avec les autres gens, car c'étoit une étrange tête. Au commencement, le bruit courut que le fils aîné de son mari en étoit amoureux; mais si cela a été, cela n'a guère duré. Elle a toujours vécu fort mal avec les enfants du premier lit. Elle devint beaucoup plus insupportable quand elle se vit du bien; car par la mort de madame de Vatan, sa parente, elle devint riche, et le président Aubry eut cette belle terre de Vatan, de vingt mille livres de rente, en Berry, en s'accommodant avec les créanciers. Elle a eu quatre filles et deux fils; un d'eux étant mort, elle eut une grande querelle avec M. Aubry, conseiller d'Etat, frère aîné de son mari, pour un ais que ce bonhomme fit mettre dans leur chapelle pour se parer du vent. Je pense que cet ais empêchoit de voir la tombe de ce petit. Elle s'en met en colère, mène un menuisier, et fait ôter cette planche. Le bonhomme s'en plaint à son frère, qui dit qu'il ne savoit ce que c'étoit: on poursuit le menuisier; la présidente le défend. Ils en ont été brouillés jusqu'à la mort du bonhomme. Elle disoit une fois qu'elle avoit vu la comédie des _Deux Messies_, pour les _Deux Sosies_[384]. [384] C'étoit la comédie de Rotrou, imitée de Plaute, et intitulée _les Sosies_. Représentée en 1636, elle eut un grand succès. Molière n'a pas dédaigné d'en emprunter des vers pour son _Amphitryon_, représenté en 1668. Il y a quinze ou seize ans qu'elle se mit en quelque sorte sous la protection de Brancas, son parent. Un jour qu'elle l'avoit envoyé avertir qu'elle avoit besoin de son assistance, il s'y en alla avec quelques-uns de ses amis. Le secrétaire du président Aubry, qui gardoit la porte, ne voulut pas lui ouvrir: «Si tu n'ouvres, lui dit Brancas, nous sommes ici cinquante qui te donnerons chacun cent coups de bâton.--Comment, répondit cet homme froidement, cinq mille coups de bâton!» J'admire la présence d'esprit de cet homme, et il me semble qu'il falloit être le secrétaire d'un président des comptes pour faire ce calcul si prestement. Un jour son mari étant allé dîner chez madame d'Orgeval, qui est du premier lit, il envoya un des gens de son gendre quérir de l'eau de sa fontaine; la présidente lui en refuse. D'Orgeval y envoya un porteur d'eau; cette folle lui fait donner les étrivières par son cocher: d'Orgeval obtint prise de corps contre ce cocher. Le président en colère veut envoyer sa femme à la campagne; elle dit qu'elle n'y iroit point si ce cocher ne la menoit. Cependant elle fait emporter secrètement ce qu'elle avoit de meilleur hors du logis. Enfin il lui fallut donner ce cocher. On s'aperçoit qu'elle avoit fait emporter des meubles du garde-meuble; on les cherche; on en trouve en divers lieux. Elle dit après que c'étoit de peur des voleurs en s'en allant à la campagne. Chanvalon fit la paix et la ramena à son mari. Elle promit d'être la meilleure femme du monde à l'avenir; mais elle ne tint pas autrement ce qu'elle avoit promis. Elle s'aperçoit qu'il y avoit une porte dans le cabinet de son mari, qui répondoit au logis de ses enfants du premier lit. Pensez qu'on l'avoit faite en son absence. Elle prend son temps, un jour qu'il étoit allé à Brevanes, à quatre lieues de Paris, avec son fils aîné, qui porte le nom de cette terre, et se met à faire murer cette porte. On en donne avis à Coursy, le deuxième fils, qui, en robe de chambre, va menacer les maçons et leur fait quitter leur besogne. Elle ne se rebute point pour cela, et, avec des pièces de bois et du plâtre, elle bouche elle-même cette porte du mieux qu'elle peut; quelques heures après elle y remet les maçons, et amène avec elle un homme qui étoit garde de la Reine, et qui avoit été à M. Aubry; pour elle, elle s'étoit armée; elle tenoit d'une main une escoupette[385], et de l'autre un pistolet. Coursy retourne à la charge, et, ayant fait rondache d'un ais, lui ôte ses armes sans beaucoup de peine. Le garde lui fait ses excuses, et dit qu'il étoit venu croyant que M. le président avoit affaire de lui. En ces entrefaites, le secrétaire part et va avertir son maître de ce désordre; la fille aînée de la présidente se tient sur la porte et dit au président: «Mon papa, Coursy a voulu tuer maman.» Le président entre; Trillepert, troisième fils, voulut lui conter l'histoire; cette enragée se met entre deux et dit qu'elle ne souffriroit point qu'il approchât de son père. Le président entre dans le cabinet qui avoit été le champ de bataille; elle se met sur la porte pour en défendre l'entrée à Trillepert. Lui, qui étoit las des extravagances de cette femme, lui dit: «Ne pensez pas vous jouer à me frapper comme vous avez fait quelquefois, car je ne le veux plus souffrir.» Nonobstant cette remontrance, elle lui donna un soufflet comme il vouloit entrer: ce garçon lui en donne un autre, dont il la jette à ses pieds; elle se relève, et trouvant sous sa main Brevanes, qui sortoit de maladie, elle lui donne un si fort soufflet, qu'elle le fait tomber sur l'escalier. Elle étoit grande et puissante. Elle les appelle fils de p...... Information de leur part pour réparation d'injures: le mari la relègue derechef à la campagne. Voilà ce que j'ai appris de plus remarquable. [385] L'_escoupette_, ou _escopette_, étoit une petite arquebuse que la cavalerie françoise portoit en bandoulière sous Henri IV et sous Louis XIII. Cette arme à feu n'est plus en usage depuis fort long-temps. (_Dict. de Trévoux._) On appeloit le président Aubry _Robert le Diable_. Je n'en sais pas bien la raison, si ce n'est qu'ayant nom Robert, et étant brusque, on lui ait donné ce surnom: vous voyez qu'il ne l'a pas trop été pour sa femme qui étoit plus diablesse qu'il n'étoit diable. Elle le méprisoit, de sorte qu'elle a p... plus d'une fois dans les bouillons qu'elle lui faisoit prendre. Prévost-Biron, car il se disoit fils du maréchal de Biron, jouant un jour avec le président Aubry, qui étoit en caleçon de ratine, avec une barrette et des plumes (jugez de la sagesse de l'homme!) il vint un trésorier de France récipiendaire: le président le vouloit renvoyer. «Hé! dit Prévost, ce pauvre homme n'a peut-être pas de temps à perdre; par pitié, donnez-moi votre robe.» Il la lui donne, et va écouter. Prévost dit à cet homme: «Voyez-vous, dans votre harangue, ne vous amusez point à nous dire de belles choses, car nous sommes tous des ignorants.» Le président ne put se tenir, il sort sans songer comme il étoit fait, et dit au récipiendaire: «C'est moi qui suis le président Aubry, c'est un fou, ne vous amusez point à ce qu'il vous dit.» Il disoit qu'il y avoit tel père qu'on pouvoit battre sans battre son père. C'étoit un extravagant: il épousa enfin sa servante, et alla demeurer à la dernière maison du faubourg Saint-Germain, où il vivoit comme un ermite. On dit que les Aubry viennent d'un vinaigrier de la rue Montmartre, et cela leur fut une fois plaisamment reproché par un homme qui étoit de leurs parents contre lequel ils plaidoient: ils traitoient cet homme de haut en bas, et lui, en riant, dit en plein conseil: «Messieurs, MM. Aubry sont un peu aigres, et je ne m'en étonne pas; je me souviens d'avoir ouï dire à mon père qu'on disoit que leur père leur avoit donné plus de moutarde que de bouillie et plus de vinaigre que de lait.» C'est une espèce de proverbe. D'Orgeval se nomme Luillier: il est de bonne famille; mais il le porte plus haut que les tours Notre-Dame: sa femme n'est guère moins fière que lui. Elle avoit une grande fille demi-géante, avec un visage d'un arpent, pas mal faite toutefois; à la vérité tout aussi orgueilleuse que sa mère. Elles se mirent dans la tête, il y a sept ou huit ans, d'avoir tout l'hiver les violons. La fille croyoit que celui à qui elle donneroit le bouquet[386] le lui rendroit toujours; cela n'alla pas ainsi, dont elles pensèrent enrager. Il y eut pourtant quelques assemblées de suite chez elles; elles firent honnêtement d'incivilités. [386] Il sembleroit, d'après ce passage, que les dames qui recevoient chez elles engageoient les hommes à danser en leur présentant des bouquets. Madame de Pommereuil, leur amie, y voulant mener madame de Chauvry, envoya savoir de madame d'Orgeval si elle le trouverait bon. «Tout ce que madame de Pommereuil amènera, répondit-elle, sera toujours le bienvenu; mais ce n'est pas trop la coutume d'aller sans être priée.» Madame de Pommereuil n'y fut point. Une dame bien faite étant allée au bal chez elles, madame d'Orgeval disoit: «Il faut trouver place pour madame, quoique je ne sache d'où elle me vient.» Une autre dansoit un peu trop à sa fantaisie, car elle ne vouloit point qu'on dansât autant que sa fille: «Madame, lui dit-elle, si vous ne faites cesser vos cabales, je ferai jouer les branles[387].» [387] Le branle étoit une danse en rond, où tout le monde pouvoit danser à la fois. Le _Dictionnaire de Trévoux_ donne d'assez curieux détails sur les diverses espèces de branles. La mi-carême ensuivant, madame de Pommereuil voulut faire une assemblée; les dames d'Orgeval le surent, et elles envoyèrent des billets partout un peu devant que la présidente ne fît convier; toutes les principales promirent: la Pommereuil n'eut que le rebut. L'année d'après il y avoit bal trois fois la semaine chez elles: le mari s'amusoit à faire le maître des cérémonies. A tout bout de champ il livroit combat aux laquais qui vouloient entrer dans la salle. Un jour il en mit un tout en sang à coups de pommeau d'épée, et le traîna comme une victime au milieu de la salle. Il fit bien pis, car il fit faire une guérite, où, tantôt lui, tantôt son secrétaire, puis son valet-de-chambre, faisoient le guet tour-à-tour; et si les laquais vouloient faire quelque insolence, il faisoit tirer dessus. Le jour de mardi-gras, il donna un coup d'arquebuse dans la cuisse d'un laquais du marquis d'Aluye. Ce laquais étoit le plus sage de tous, et avec ses camarades entroit dans le carrosse de son maître. Le prince de Guemené, pour se divertir, fit accroire à d'Orgeval que ce laquais faisoit informer, et d'Orgeval en fit satisfaction au marquis. Le prince de Guemené faisoit ce conte de d'Orgeval: «Je fus, disoit-il, pour voir M. d'Orgeval un matin, il y avoit eu bal le soir; je trouvai trois corps morts dans sa cour. «Y a-t-il eu bataille céans?» dis-je. L'autre, sans s'émouvoir, dit à ses gens: «Qu'on ôte ces corps.» A ces bals sa fille s'éprit d'un beau danseur qui étoit aussi fort beau garçon; c'étoit un huguenot qu'on appeloit le marquis de Senas; il est de Provence; la mère en étoit aussi charmée. Il enleva la demoiselle, et madame d'Orgeval ne l'ignoroit pas: d'Orgeval fit bien le méchant. Au bout de quelques années, Senas ayant changé de religion, tout s'accommoda. Une fois qu'il y avoit du désordre chez M. et madame d'Orgeval, on leur rompit un fort beau miroir; M. d'Orgeval cria à sa dame, devant toute l'assemblée: «Notre grand miroir est cassé; nous en avons pour cinq cents écus dans les fesses.» GAUFFREDY[388]. Un jeune garçon de Provence, de la famille de ce prêtre, nommé Gauffredy, qu'on fit mourir pour sortiléges[389], étoit à Boulogne, où l'on dit qu'il servoit un médecin et suivoit sa mule. Je ne voudrois pas l'assurer; quoi que ce soit, il étoit en fort pauvre posture. Il fit connoissance avec l'Achillini[390], poète bolonois, car il avoit bien étudié. L'Achillini, à qui le duc de Parme[391] demanda un secrétaire pour la langue latine, lui envoya ce garçon: il avoit de l'esprit, écrivoit bien en latin, et a même fait un roman en cette langue. En peu de temps il empauma le duc, qui étoit un _bon gros mâcheux_. Après avoir mangé demi-cent de beccassines, sans le reste, il disoit: _Poco è bono_. C'étoit un écervelé: il sortit brusquement de son pays avec quatre mille teigneux contre le roi d'Espagne, après avoir pris pour devise une épée nue avec ces mots: _J'en ai brûlé le fourreau_[392]. [388] Jacques Gauffredy, ou Gauffridi, décapité en 1670. [389] Louis Gaufridy, ou Goffridi, curé d'une paroisse de Marseille, brûlé vif à Aix, le 30 avril 1611, comme sorcier. (Voyez l'_Histoire admirable de la possession et conversion d'une pénitente séduite par un magicien_, etc., par le révérend père Sébastien Michaélis; Paris, 1613, première partie, p. 458.) L'arrêt y est rapporté. Gaufridy avoua, par la crainte des tortures, comme il arrivoit presque toujours dans ces procédures extravagantes. [390] Claude Achillini, né à Bologne en 1574, mort en 1640. Ce poète a imité le _Marino_, dont il a l'enflure et le mauvais goût. [391] Odoardo, le dernier mort. (T.)--Il mourut le 12 septembre 1646. [392] Le manifeste qu'Odoard publia dans cette occasion étoit si rempli de hauteur et de fierté, que le grand-duc de Toscane s'écria, après l'avoir lu: «Le _roi de Parme_ déclare la guerre au _duc d'Espagne_.» (_Art de vérifier les dates._) On dit qu'il étoit vaillant, et qu'au siége de Valence M. de Créqui le voyant aller aux mousquetades comme un François, dit: «Quel Italien est-ce ci?» On dit même qu'il ne manquoit pas d'esprit: Gauffredy étoit à tel point dans sa confidence, que le duc lui disoit tout ce qui se passoit entre la duchesse et lui. Le feu Roi, à ce qu'on dit, jugea, quand le duc de Parme vint ici, que Gauffredy ne dureroit pas, qu'il étoit trop fier et s'en faisoit trop accroire: il n'étoit pas en ce temps-là au point où il a été depuis. Gauffredy se maria avantageusement; il épousa une fille de bon lieu, qui avoit cinquante mille écus en mariage (c'est beaucoup en ce pays-là); il acheta de belles terres, et son maître le fit marquis. Il étoit si chatouilleux sur sa naissance, qu'un pauvre garçon de son pays, ayant dit par hasard à Parme que Gauffredy étoit de la famille de ce sorcier, et nullement gentilhomme, car les François se détruisent toujours les uns les autres en pays étranger, notre homme le fit accuser d'avoir voulu escalader un couvent, et le fit mettre dans un cachot où il ne pouvoit s'étendre tout de son long, ni se tenir droit; il y fut neuf ans et en sortit tout hébêté; ce fut par le moyen de la maréchale d'Estrées, qu'on en avertit. Elle en parla à la Reine, qui dit au résident de Parme qu'elle prioit le duc de donner la liberté à ce pauvre garçon. Ce qui nuisit le plus à Gauffredy, ce fut d'entretenir noise entre le mari et la femme, qui est sœur du grand-duc, et de faire faire au duc de petits voyages à Venise pour se divertir; il fit encore une grande faute à la mort du duc, qui mourut à trente-six ans; car le duc lui ayant donné en mourant la clef d'un cabinet d'ébène[393], où il y avoit pour cinquante mille écus de bagatelles, et lui ayant dit en présence de tout le monde: «Tenez, Goffrido, c'est pour vous,» il eut l'imprudence de le faire enlever aussitôt que son maître eut rendu l'esprit. Sa belle-mère, qui n'étoit pas une sotte, lui dit qu'il avoit eu grand tort. Lui, croyant réparer sa faute, offrit le cabinet à la duchesse, qui lui répondit qu'elle ne vouloit pas enfreindre les ordres de son mari. [393] On appeloit _cabinet_ un meuble ordinairement en marqueterie, ayant un grand nombre de petits tiroirs, qui servoit à renfermer les bijoux et les raretés. Le duc mort, Gauffredy, aveuglé d'ambition, et s'imaginant qu'il gouverneroit le fils comme le père, presse pour faire la guerre contre le pape; il vouloit être général, lui qui n'entendoit point du tout la guerre. La duchesse s'y oppose. On écrit de Paris: «Gardez-vous-en bien, la France ne fera rien pour vous.» On donne avis de Rome que le pape[394] étoit fort. Gauffredy, à qui toutes les lettres s'adressoient, les cache toutes, les laisse sottement derrière un coffre dans son cabinet, et rapporte tout le contraire de ce qu'elles contenoient. Il se propose pour général, et prend tout sur lui. La duchesse, qui ne cherchoit qu'à le perdre, lui dit: «Eh bien! vous vous y soumettez donc?» A ces conditions, on lui donne le bâton de général publiquement, et il se met en campagne. Quelques troupes du pape, qui étoient dans le Bolonois, chargent l'avant-garde: celui qui la commandoit savoit son métier; il envoie avertir Gauffredy de venir à son secours; Gauffredy n'avance point, et le laisse défaire. Le jeune duc lui envoie ordre de revenir, et on l'arrête entre les deux postes; de là on le mène dans la citadelle de Plaisance; on lui produit les lettres qu'il avoit cachées; et, après l'avoir convaincu de quelque intelligence avec l'Espagnol, on lui fit couper le cou[395]. On rendit la dot à sa femme, et on laissa dix mille écus à chacune de ses filles; il n'avoit point de garçons. Pour le reste, qui montoit à cinq cent mille écus, il fut confisqué. [394] La querelle venoit de ce que le pape Innocent X avoit nommé Giarda évêque de Castro, malgré le duc Ranuce. Gauffredy fit assassiner le prélat, et le pape ayant fait marcher ses troupes sur Castro, le prit, en rasa le château, et en réunit le duché à la chambre apostolique. (_Art de vérifier les dates._) [395] 1670. Les détails contenus dans cette Historiette nous semblent, pour la plupart, être entièrement inconnus. MADEMOISELLE GARNIER, OU MADAME D'ORGÈRES, DEPUIS DAME DE CHAMPLATREUX. Garnier étoit un homme d'affaires qui avoit fait une fort grande fortune[396]; il avoit plusieurs enfants; il songea à s'appuyer de bonnes alliances; et sa fille aînée étant en âge d'être mariée, un jour il lui donna une boîte de portrait, et lui dit: «Voilà celui avec lequel je vous veux marier.» Elle répondit qu'elle feroit ce qu'il lui plairoit. C'étoit le portrait d'un M. Mangot, seigneur d'Orgères[397], qui étoit maître des requêtes et de bonne famille de la robe. Il y a eu un garde-des-sceaux de son nom, mais ce garde-des-sceaux n'étoit pas un grand personnage: on dit qu'il fut d'avis, une fois qu'il falloit envoyer promptement du secours quelque part, qu'on y envoyât une armée en poste[398]. Le père conclut donc l'affaire; mais quand ce fut à se voir, cet homme y alla sottement en grosses bottes et tout crotté, en arrivant de la campagne. Elle n'avoit garde de le trouver en cet état comme on l'avoit peint, outre que le peintre l'avoit un peu fardé; de sorte qu'elle ne l'épousa qu'à regret. [396] Il étoit trésorier des parties casuelles. [397] Jacques Mangot, seigneur d'Orgères, conseiller au grand conseil, puis maître des requêtes, fils du garde-des-sceaux. [398] Nous ayons vu se réaliser ce qui passoit alors pour une chose impossible. En 1805, l'armée de Boulogne ayant été transportée comme par enchantement sur les bords du Rhin, après une campagne de six semaines Napoléon fit son entrée à Vienne. Les cajoleries de Champlâtreux, fils du procureur-général Molé, depuis premier président, ne servirent pas à lui donner plus d'inclination pour son mari qu'elle n'en avoit. Enfin elle l'accusa d'impuissance. On dit qu'il se résolvoit à la quitter, quand son confesseur lui remontra qu'il y alloit de son salut, et que si c'étoit sa femme, il ne la pouvoit quitter en conscience; cela fut cause qu'il ne voulut jamais consentir à la dissolution, et il y a grande apparence que le mariage avoit été consommé, puisqu'elle lui donna vingt-mille écus pour être séparée de corps et de biens volontairement. Madame Pilou lui conseilla de demeurer avec son mari, et lui dit que Champlâtreux la tromperoit. Garnier cependant vint à mourir, et d'Orgères ensuite dont elle ne prit point le deuil; et, depuis, elle s'est fait toujours appeler mademoiselle Garnier, jusqu'à ce que Champlâtreux, dont elle avoit quatre enfants en cachette, l'ait reconnue pour sa femme[399]. [399] Madeleine Garnier, veuve d'Orgères, épousa Jean-Édouard Molé de Champlâtreux. Voyez la généalogie des Molé dans le _Dictionnaire de Moreri_. Les auteurs de ce livre demandoient aux familles des articles généalogiques; aussi n'y est-il fait aucune mention du premier mariage de Madeleine Garnier. A l'article _Mangot_, M. d'Orgères est indiqué comme mort sans alliance, effet évident de la complaisante vénalité des éditeurs du Moreri. Fauvelet du Toc, dans son _Histoire des secrétaires d'État_ (p. 234), dit que Jacques Mangot, seigneur d'Orgères, épousa Madeleine Garnier d'_avec laquelle il fut démarié_. Il paroît s'être trompé sur ce dernier point; d'après le récit de Tallemant, les deux époux furent tout au plus séparés de corps. Pour moi, une des choses du monde qui m'a le plus fait voir la légèreté des femmes, c'est l'estime qu'elles ont fait de Champlâtreux, un des plus vilains petits hommes qu'on puisse voir: elles ne pouvoient trouver rien de bien en lui que sa dépense. Cependant madame d'Alinville, sa parente, une des plus belles femmes de Paris, l'a aimé; madame de Charny, aussi une des plus belles, tout de même. Miossens, à propos de cela, disoit un jour devant la comtesse de Maure, que Marion avoit dit à madame de Charny: «Mais, ma chère, que trouves-tu d'aimable à ce Champlâtreux?» et que la Charny lui avoit répondu: «Tu ne demanderois pas cela si tu l'avois vu à cheval...» La comtesse de Maure se mordit les lèvres, et ne fit pas semblant d'entendre. Champlâtreux avoit, durant son intendance de Champagne (1648), cent chiens et cinquante coureurs: il faisoit si fort l'entendu, qu'il ne reconduisit pas le présidial de Vitry qui l'étoit allé voir en corps. Il étoit propre jusqu'à l'excès; si un de ses gens s'étoit présenté devant lui avec du linge sale, il le chassoit; il arrivoit quelquefois à ses laquais de changer par jour d'autant de collets que M. de La Rivière[400]. Mademoiselle Garnier, de son côté, ne faisoit pas moins de dépense que lui. Au carnaval de 1648, un maître des requêtes, nommé Foulé, sieur de Prunevaux, aujourd'hui intendant des finances, homme veuf, s'engagea à donner la comédie le soir à l'hôtel de Bourgogne, à une veuve qu'il recherchoit, et en même temps à mademoiselle Garnier, à madame Doradour, sa sœur, et à la L'Escossois, leur confidente. Madame Larcher, sœur de Prunevaux, y avoit, par l'ordre de son frère, ou autrement, convié encore d'autres femmes; et comme la chose n'étoit pas secrète, il y en vint qu'elle n'avoit pas conviées, et en assez bon nombre; de sorte que mademoiselle Garnier et sa troupe, venant un peu tard, trouvèrent bien du monde et point de places pour elles; car, quand c'est le soir, on se met dans le parterre avec des siéges. Les voilà en fureur, et mademoiselle Garnier, qui est une espèce de colosse, vint d'une démarche fière, et, sans se démasquer, tâcha de prendre une bougie à des plaques qui étoient au bas d'une loge, et, n'y ayant pu atteindre, dit assez mal gracieusement à un gentilhomme qui étoit là, qu'il lui en donnât une; c'étoit pour s'éclairer à descendre. Le cavalier la lui donna: elle la prend sans le remercier, et s'en va. Prunevaux et sa sœur courent après, lui offrent telle place qu'elle voudra, car toute la compagnie, de peur qu'on ne jouât pas, consentoit à les laisser mettre où elles voudroient. Elles répondirent qu'elles n'étoient pas assez ajustées pour se démasquer en un lieu où il y avoit tant de belles personnes parées, qu'elles avoient cru être seules, et non pas venir à une assemblée pour servir de lustre aux autres. Enfin, quoiqu'on leur pût dire, elles s'en allèrent. Prunevaux ordonna aux comédiens de jouer; mais comme on voulut commencer, il vint une si épaisse fumée de la porte, que tout le monde fut contraint de se ranger tout contre le théâtre. Il y a grande apparence que cette belle mademoiselle avoit fait mettre le feu, par dépit, à ce taudis de bois qui est en dehors. Ce furent des laquais qui l'y mirent, et qui, non contents de cela, portèrent sur les degrés des bottes de foin mouillé; il en venoit une puante fumée. Cela s'apaisa pour un temps, et on eut le loisir de jouer un acte; mais au second acte, la fumée recommença. Alors l'épouvante prit tout de bon, et tout le monde se pressa à qui sortiroit par la petite porte qui est à côté du théâtre. J'y étois avec des femmes, et je n'ai jamais été guère plus empêché. Si le feu se fût mis à un si vieux bâtiment, il eût été bien vite, et, en se pressant, on se fût étouffé. Ce M. de Prunevaux, outre que la bagarre des maîtres des requêtes[401], qui attira toute la fronderie, étoit déjà commencée, n'a point du tout une figure à donner la comédie aux dames. [400] La Rivière, quand il étoit en habit court, en changeoit trois et quatre fois par jour. (T.)--Il s'agit ici de l'abbé de La Rivière, favori de Monsieur, qui devint évêque de Langres. [401] Cette _bagarre_ étoit la protestation des maîtres des requêtes contre un édit de création de nouvelles charges que le surintendant d'Émery étoit sur le point de présenter à l'enregistrement du Parlement. Les maîtres des requêtes cessèrent de remplir leurs fonctions, ils protestèrent le 8 janvier 1648, furent mandés et tancés par la Reine, et l'édit n'en fut pas moins enregistré, mais en lit de justice, le 15 janvier 1648. (Voyez les _Mémoires d'Omer Talon_ dans la deuxième série des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, t. 61, p. 108.) Deux ans après, ou environ, comme le premier président étoit déjà parti pour Poitiers, car il étoit aussi garde-des-sceaux, mademoiselle Garnier, lasse de se laisser ruiner par Champlâtreux, qui ne vouloit point déclarer leur mariage, se mit en religion, et là, elle se plaignoit hautement de Champlâtreux, qui, non content de lui avoir mangé plus de quatre cent mille livres, et lui avoir fait quatre enfants, lui avoit volé toutes les pièces justificatives de leur mariage. Il avoit déchiré la feuille du registre du curé et la lui avoit donnée; elle la gardoit soigneusement, et la portoit sur elle. Il gagna la suivante, qui lui découvrit que sa maîtresse portoit ce papier dans son corps de jupe: il aposta des gens qui, à la promenade, les volèrent, et lui rompirent son corps de jupe, d'où, sans faire semblant de rien, ils ôtèrent ce papier, en les houspillant. On dit aussi qu'il fit acheter la pratique du notaire qui avoit passé le contrat de mariage, afin d'être maître de la minute, car il lui avoit déjà fait voler la grosse. Au bout de quelques mois, elle sortit de religion. Mais enfin, un an devant la mort du garde-des-sceaux, elle fut reconnue du père et du fils. LE PETIT GRAMMONT[402]. Le petit Grammont est frère d'un président de Toulouse[403]. Ce garçon se donna autrefois à Monsieur, aujourd'hui M. d'Orléans, à qui il est encore attaché. Il n'étoit pas en trop bonne réputation: il passoit un peu pour m........; il s'en railloit lui-même tout le premier. En un bal où il y avoit grande confusion, cette étourdie de madame Lescalopier[404], c'étoit avant qu'on eût tant parlé d'elle, à cause qu'il étoit en lieu pour se faire entendre aux violons, au lieu de le prier de leur dire qu'ils jouassent une courante parce qu'il n'y avoit plus moyen de danser _la figurée_, lui cria brusquement: «Grammont, la chabotte.--Je ne suis point violon, répondit-il; je suis m........ à votre service, madame[405].» Un jour qu'il entra chez madame de Choisy, avec un beau carrosse et des laquais bien vêtus: «Jésus, dit-elle, un m........ en si bon équipage! c'est donc un bon métier?» Il lui arriva une fois une aventure qui n'étoit point plaisante; ce fut chez Nouveau[406]. On vint à parler de La Rivière: Roquelaure, qui y dînoit avec lui, dit que s'il avoit été de la cour de Monsieur, il auroit bien _dequillé_[407] La Rivière. Et là-dessus il se mit à dire qu'il lui eût fait ceci et cela. «On vous en eût bien empêché, dit Grammont.--Et qui m'en eût empêché?--Moi.--Vous?» répliqua Roquelaure. Et en même temps il lui donne un soufflet. On se mit entre deux, et puis on les accommoda du mieux qu'on put. [402] Amans de Barthélemy, seigneur de Grammont, baron de Lanta, chambellan de Gaston, duc d'Orléans. [403] Gabriel de Barthélemy, seigneur de Grammont et de Montlaur, conseiller au grand conseil, puis président aux enquêtes du Parlement de Toulouse. Il a composé, en latin, une Histoire du règne de Louis XIII. [404] Voir son article précédemment, p. 17. [405] Comme il a de l'esprit, il s'en est raillé le premier. Peut-être avoit-il servi La Rivière en quelque amourette. (T.) [406] Le surintendant des postes. (_Voyez_ précédemment, page 323, note 1.) [407] Expression familière empruntée du jeu de quilles. Quelques années après, Grammont demanda la confiscation d'un gentilhomme de Languedoc, qui avoit été tué en duel; or, ce gentilhomme avoit une sœur. On lui avoit proposé, pour faire d'une pierre deux coups, d'épouser la sœur en même temps. Voici ce que c'étoit que cette sœur: la mère de ce gentilhomme et de cette fille étoit veuve; elle avoit un homme d'affaires nommé Bressieu, qui n'étoit pas bien fait, mais qui n'étoit pas un sot; la mère étant morte, amoureux de cette fille, il fit si bien qu'il en jouit; elle devint grosse. Le galant lui conseille de dire à une tante, chez qui elle étoit, qu'elle souhaitoit d'aller en religion dans une abbaye de la campagne, et qu'elle y vouloit demeurer un an pour voir si elle s'y accoutumeroit. Elle y va, et quand elle fut à terme, Bressieu contrefait une lettre de la tante, qui prioit l'abbesse de la laisser venir pour un mois. Durant ce mois, la fille écrivoit à sa tante comme du couvent, et à l'abbesse comme de chez sa tante. Elle accouche et retourne en religion, sans qu'on en découvrît rien. Bressieu[408], après cela, l'emmène et l'épouse secrètement à Blaye. Le galant trouva moyen de la marier ensuite avec un gentilhomme du pays nommé le comte d'Elbe, qui avoit du bien vers Chartres, car il avoit épousé en premières noces une vieille m......... de Paris, qui avoit été belle autrefois, nommée la Toinville: elle avoit quatre ou cinq mille livres de rente au pays Chartrain, qu'elle lui donna. Ce comte d'Elbe avoit tout mangé, et meurt pauvre; Bressieu épouse cette femme pour la seconde fois à Chartres. Elle vouloit, disoit-elle, mettre sa conscience à couvert. L'archidiacre les maria: il avouoit lui-même que ç'a été contre les formes, et qu'il ne sauroit soutenir en justice ce qu'il avoit fait; mais que c'étoit à bonne intention. Ces amants étoient réduits à faire de la fausse monnoie dans les montagnes vers Narbonne, quand de deux frères qu'elle avoit, l'un mourut, et l'autre fut tué en duel; aussitôt elle paroît, et on proposa de la marier avec Grammont. Elle étoit bien faite et avoit dix mille livres de rente en fonds de terre; elle épouse Grammont. Bressieu, qui n'osoit paroître à cause de la fausse monnoie, ayant eu avis du parti des rogneurs et faux monnoyeurs, et qu'on en étoit quitte pour de l'argent, va à Toulouse; il lui parle: elle lui dit: «Donnez-vous patience, nous vivrons bien avec celui-ci comme avec l'autre.» Ils concubinoient du vivant de ce comte d'Elbe, et on croit qu'ils s'en défirent. Bressieu intente action et soutient que c'est sa femme: on plaide; elle gagne son procès contre Grammont, qui vouloit avoir le bien et faire rompre le mariage, et elle ne voulut pas consentir à la dissolution par impuissance; il l'a laissée là. Il disoit, faisant le goguenard: «Me voilà cette fois «M......... et franc cocu[409].» [408] Grammont dit que c'étoit un gentilhomme, qui, amoureux de cette fille, se fit précepteur de ses frères, et qu'à la grille, à Chartres, pensant qu'elle voulût être religieuse, il se donna trois coups de poignard au travers du corps; il en a été guéri. (T.) [409] Couplet contre le petit de La Lande. (T.)--_Voyez_ précédemment, p. 185, note 1. Bataille, en plaidant pour lui contre elle, voulut réfuter une lettre de Grammont, où il y avoit: «Si vous n'y voulez consentir, je me servirai de mes amis;» et dit: «Aristote dit, messieurs, que l'amitié est une vertu, par conséquent des amis sont des gens vertueux.» Montelon, qui plaidoit pour Bressieu, dit qu'il avoit de grandes preuves, à savoir, un testament de cette femme fait à La Rochelle: «Mais on me l'a escroqué,» disoit-elle; et elle prouvoit, par un acte passé devant notaire, qu'elle étoit alors à Blaye. Montelon disoit que les témoins ont pris 1640 pour 1641. Il y a une célébration de mariage par l'archidiacre avec permission de l'évêque: on la lui a encore escroquée; une promesse de quatre mille livres d'argent prêté: on la lui a aussi escroquée. Pour prouver la noblesse de cet homme, il disoit qu'il avoit été condamné à avoir le cou coupé, quoiqu'on eût condamné ses complices à être pendus. C'étoit, je pense, pour la fausse monnoie; et sur le nom de cette femme, qui est _Lastou_, il dit qu'on la devroit nommer _Lasse de tout_. PROVENÇAUX ET PROVENÇALES[410]. Les conseillers de ce pays-là sont pour la plupart gentilshommes: avant que de prendre une charge, pour l'ordinaire, ils ont fait deux ou trois voyages sur les galères, et se sont battus en duel; il y en a même dont la soutane ne tient qu'à un bouton, et qui ne laissent pas de se battre, encore qu'ils soient sénateurs. Ils méprisent tout le reste du monde, et entre eux quelquefois ils se traitent d'une étrange sorte, comme vous allez voir par une querelle arrivée entre deux conseillers pour un paon. [410] Ils sont grands rimeurs. Pour se venger ils font des chansons: ils en firent d'atroces contre M. d'Épernon; ses gens l'excitoient à les châtier: «Hé! messieurs, leur disoit-il, laissez-les chanter pour leur argent.» (T.) Un conseiller du parlement d'Aix avoit un paon chez lui qu'il nourrissoit dans une assez grande cour pleine d'arbres; un autre conseiller, son voisin, avoit un jardin le plus propre de la ville. Ce jardin et cette cour se touchoient, de sorte que le paon y voloit assez souvent; et, comme cet oiseau gratte, il y gâtoit toujours quelque chose. Le maître du jardin s'en ennuya; mais au lieu d'en parler à l'autre bien civilement, et de lui proposer de lui ôter quelques principales plumes qui l'empêchassent de voler par-dessus le mur, il lui envoya dire par son secrétaire que, s'il n'empêchoit ce paon de voler dans son jardin, il tueroit le paon la première fois qu'il l'y trouveroit. Le secrétaire ne trouva qu'un des frères du conseiller, à qui il fit son message, mais non pas si crûment. Ce frère, qui étoit un jeune garçon, dit qu'il le diroit au conseiller; mais vraisemblablement il l'oublia. Le lendemain, le maître du jardin tue le paon sans s'informer si son secrétaire s'étoit acquitté de sa commission, oui ou non; il étoit fier, et traitoit l'autre de haut en bas, parce qu'il se prétendoit de meilleure maison, qu'il étoit plus riche, et qu'il avoit épousé depuis peu la fille du marquis d'Irville, de Dauphiné. Il tua le paon d'un coup de pistolet, et l'envoya par un laquais chez son confrère, qui étoit allé au Palais; il y va aussi, et de là à une maison des champs, dont il ne revint que le soir. Le conseiller trouve son paon mort dans sa cuisine; le voilà piqué au dernier point; il assemble ses amis qui, au nombre de cinquante, toutes choses mûrement délibérées, enfoncent une porte de derrière du jardin de l'agresseur, et, avec tous les ferrements qu'ils purent trouver, y font le dégât d'un bout à l'autre. La maîtresse du logis leur parla, mais au lieu de la respecter, ils lui dirent mille insolences. Le mari, de retour, assemble dès le soir même tous ses amis: les deux partis se grossissent, et on fut sur le point de voir donner bataille dans la ville. Il y eut cependant vingt appels de part et d'autre entre les jeunes gens des deux partis; voilà cent querelles pour une. Le comte d'Alais, gouverneur de la Provence, étoit assez empêché. M. le marquis d'Irville, averti du désordre, se met en chemin avec si grand nombre de noblesse du Dauphiné, que le gouverneur fut obligé de faire garder tous les passages de la Durance pour l'empêcher de venir. Enfin M. d'Irville vint seul, et quand l'affaire fut en train de s'accommoder, M. le comte d'Alais, qui le connoissoit pour un homme fort raisonnable, lui dit qu'il écrivît les satisfactions qu'il prétendoit qu'on dût faire à sa fille, et qu'il ajoutât toutes choses à sa fantaisie, qu'il s'en rapportoit à lui. Ce M. le marquis d'Irville démêla si bien tant de différentes querelles et tant de circonstances qu'il y avoit, et se mit si fort à la raison, que M. le comte d'Alais ne changea pas une syllabe de tout ce qu'il avoit écrit, et lui dit: «Monsieur, vous en avez demandé moins que je ne vous en eusse donné.» Ce paon me fait souvenir de trois oisons pour lesquels toute la noblesse de Béarn se pensa couper la gorge. Un gentilhomme, qui vouloit traiter M. de Grammont, avoit retenu d'un de ses voisins, dans le village, trois petits oisons que nourrissoit un paysan; car on ne mange guère de petits pieds en ce pays-là; et il n'y a pas long-temps qu'on n'y tuoit point de veau parce qu'il deviendroit bœuf. Le seigneur du village dit qu'il les vouloit pour lui; il ne les prit point pourtant, mais il défendit au paysan de les donner. L'autre les prend de force. Voilà toute la noblesse à cheval. M. de Grammont eut bien de la peine à mettre le holà. Un Marseillois, dont je n'ai pu savoir le nom, fut pris sur mer par un corsaire turc, et mis avec d'autres prisonniers, entre lesquels étoit une fille italienne bien faite dont il devint amoureux et en fut aimé; cette fille fut donnée à la sultane, et dit qu'il étoit son mari. En cette considération, car il plaisoit fort à sa maîtresse, on met ce Marseillois dans le sérail, au service du grand-seigneur; on les fit renier tous deux. Les capucins le leur permirent avec de certaines restrictions chimériques. Elle se fait riche et lui propose de se sauver avec leurs trésors et leurs enfants, car ils en avoient eu quelques-uns: ils se dérobent, mais comme ils étoient encore dans les terres des Mahométans, un beau matin il se sauve tout seul, emporte leurs richesses, et ne laisse à sa femme que leurs enfants. Elle retourne à Constantinople, fait entendre à la sultane que son mari l'avoit trompée, et que, comme elle avoit découvert que son intention étoit de s'enfuir en son pays, elle n'y avoit voulu consentir, et étoit revenue avec ses enfants, mais que le perfide l'avoit volée. La sultane lui fait encore du bien; de sorte qu'au bout de quelques années, comme on n'avoit garde de se défier d'elle, elle se sauva à Marseille avec son bien et ses enfants. Son mari ne la vouloit point reconnoître; enfin, voyant que tout le monde maudissoit son ingratitude, il fut contraint de la reconnoître et de l'épouser publiquement. Pour les dames de Provence, outre la médisance ordinaire aux petites villes, leur coutume de se dire toutes leurs vérités au carnaval fait qu'on n'y vit guère sans querelle: elles sont pour l'ordinaire hautes à la main; en voici un exemple. Le baron d'Allemagne a marié une de ses filles à un M. de Joucques. Ce M. de Joucques et l'archevêque d'Aix prétendent tous deux les droits honorifiques d'une paroisse à la campagne. Un jour que la dame y étoit, et M. l'archevêque aussi, ce prélat fait mettre sa chaise en la principale place: elle la fait ôter, y met la sienne et s'y assied. Quand l'archevêque vint il trouva sa place prise. Elle, non contente de cela, le querelle, et on dit qu'elle eut la main levée. C'étoit une petite femme, assez jolie et diablement fière. Je voudrois que c'eût été le cardinal de Sainte-Cécile[411], pour voir ce qu'eussent fait deux si sages têtes. [411] Michel Mazarin, frère du cardinal Mazarin, a été général de l'ordre des frères Prêcheurs, et archevêque d'Aix. Il fut fait cardinal du titre de Sainte-Cécile, en 1647, et en 1648 il fut nommé vice-roi de Catalogne. Ce cardinal est mort à Rome, au mois de septembre 1648. MADEMOISELLE DIODÉE. Mademoiselle Diodée est fille d'un M. Diodati, de Marseille (car _Diodée_ est un nom corrompu) originaire de Lucques et d'une famille noble. C'étoit une personne bien faite et qui avoit de l'esprit. En allant en Italie[412], je passai par là; je lui voulus dire quelques douceurs, elle me répondit qu'elle lisoit _le Miroir qui ne flatte point_[413]. Depuis elle continua à lire à tort et à travers, et se fit un esprit un peu pédant; elle ne parloit que de livres, et n'entretenoit le monde que de sa science. Un Jésuite, à ce qu'on dit, lui avoit montré le latin. On dit qu'un jour un pauvre chevalier de Malte l'étoit allé voir; elle lui cita Aristote, Platon, Zoroastre et Mercure-Trismégiste. Ce garçon ne s'y divertit pas trop bien; il prend congé d'elle; elle le veut reconduire, il fait ce qu'il peut pour l'en empêcher; enfin il se met à genoux: «Par Platon, par Aristote, par Zoroastre, mademoiselle, je vous conjure, ne me faites point cet affront.» Venoit-il quelque prince étranger à Marseille, elle faisoit si bien, qu'au bal elle avoit toujours une chaise auprès de lui. (On danse en ce pays-là l'été comme l'hiver.) Elle méprisoit tout le reste et croyoit qu'il n'appartenoit qu'à elle de l'entretenir: cela parut plus que jamais une fois qu'un prince de Danemarck passa à Marseille. Elle s'en laissa cajoler, souffrit de lui toutes les galanteries dont un _Danemarquois_ se peut aviser, et cet homme pourtant n'avoit rien de remarquable en lui que la naissance. On lui faisoit la guerre qu'elle avoit harangué le chevalier de Guise quand il revint de Florence. Voici la vérité de l'histoire: lorsqu'il arriva, madame Diodée et sa fille se promenoient par hasard sur le port: cette femme, de qui on a un peu médit avec feu M. de Guise, se mit étourdiment à lui faire des compliments en provençal; car les dames et demoiselles de Marseille ne parlent pas toutes françois: le chevalier n'y entendoit rien. La fille prit la parole et lui dit maintes belles choses auxquelles il n'entendit peut-être pas plus qu'au provençal, et ne leur répondit qu'avec des révérences. Quelques années après, Scudéry ayant eu le gouvernement de Notre-Dame de la Garde, s'alla établir à Marseille, et y mena sa sœur: notre demoiselle n'avoit garde de manquer à faire amitié avec des personnes de réputation. La conversation de mademoiselle de Scudéry la guérit un peu de cette conversation pédantesque, et, ne lui voyant point parler de Zoroastre, etc., elle n'en osoit plus parler. Une fois, il est vrai que c'étoit au commencement, elle lui dit: «Mais, mademoiselle, je n'ai point vu cela dans les Pères.» Elle ne pouvoit vivre sans cette nouvelle amie, et elles étoient presque tous les jours ensemble; enfin elle se brouilla avec elle au bout d'un an et demi, et c'étoit beaucoup pour elle d'avoir atteint un si long terme, car jusque là elle n'avoit jamais pu bien vivre avec personne pendant six mois entiers. Voici comment cela arriva: Un gentilhomme de Provence, nommé le baron de La Baume, qui étoit un homme d'esprit, mais un homme assez bizarre, avoit cajolé cette fille deux ans entiers, et avoit dit à mademoiselle de Scudéry que ce n'avoit été que par charité, et pour empêcher qu'elle n'achevât de se gâter si quelque autre l'entreprenoit; mais qu'ayant été obligé d'être éloigné de Marseille assez long-temps, à son retour il l'avoit trouvée toute déréglée. Or, ce baron ne la cajoloit plus, dont elle enrageoit dans son petit cœur: il vint le carnaval suivant à Marseille. Diodée et deux autres dames vinrent masquées à la turque le plus joliment du monde, car à Marseille on trouve de véritables habits de sultane. Le baron étoit dans l'assemblée où elles vinrent, et, par hasard, lorsqu'on les obligea de se démasquer, elle se trouva vis-à-vis de lui. Le lendemain, mademoiselle de Scudéry envoya par un masque, en plein bal, à Diodée et à ses compagnes un feint extrait d'une lettre écrite de Constantinople, qui portoit que trois sultanes s'étoient sauvées du sérail du grand-seigneur, et qu'il y en avoit une (on désignoit Diodée) qui étoit sortie pour rattraper un esclave chrétien qui lui étoit échappé; mais qu'on croyoit qu'elle perdroit ses pas, parce qu'il s'étoit mis sous la protection de la reine de Mauritanie: c'étoit une dame assez brune dont il étoit amoureux. Cette fille fut si folle que de se gendarmer de cela, elle qui avoit accoutumé comme les autres de s'entendre dire des choses assez sèches quelquefois, et elle ne vit plus mademoiselle de Scudéry[414]. [412] C'étoit en 1638. (T.)--Tallemant parle de son voyage d'Italie dans l'article qu'il a consacré au cardinal de Retz. [413] Volume de La Serre. (T.) Jean Puget de La Serre, écrivain ridicule dont Despréaux a fait justice. [414] Mademoiselle de Scudéry avoit laissé à Marseille des souvenirs et des regrets. «Madame de Pennes a été aimable comme un ange; mademoiselle de Scudéry l'adoroit; c'étoit la princesse Cléobuline: elle avoit un prince Thrasibule en ce temps-là; c'est la plus jolie histoire de _Cyrus_.» (_Lettre de madame de Sévigné à sa fille_, du 13 mai 1671.) Un garçon de Paris, fils de Scarron de Vaure, intéressé aux gabelles, et beau-frère de M. de Villequier, aujourd'hui le maréchal d'Aumont, commandoit la galère de la reine, et revint en ce temps-là à Marseille d'un petit voyage. Dès qu'il eut vu cette fille, le voilà amoureux, lui qui l'avoit vue mille fois en sa vie, et tout aussi belle qu'elle étoit alors; elle est bien faite, hors qu'elle est trop grosse. Sur l'heure il lui parle d'amour et de mariage tout ensemble: elle l'écoute et l'accepte, elle qui s'en étoit moquée deux mille fois et qui avoit été témoin qu'il n'avoit ni cœur ni esprit. Cela sembla d'autant plus étrange à mademoiselle de Scudéry, qu'elle lui avoit ouï dire qu'il faudroit qu'un homme qui ne seroit pas gentilhomme, eût furieusement de cœur pour lui plaire. Le père de Vaure (on appelle ainsi cet épouseur) en a avis; il envoie des défenses, car la demoiselle n'avoit point de bien. Nonobstant ces défenses, la mère et elle, car le père étoit mort, demandent permission d'épouser: on la leur refuse. Enfin, sous un faux donné-à-entendre, ils font aller leur curé chez M. d'Allemagne, qui loge de l'autre côté du port, et là, après qu'il leur eut refusé la bénédiction nuptiale qu'ils lui demandèrent à genoux, ils prirent acte par-devant un notaire, qui étoit présent, comme ils se prenoient l'un l'autre à mari et femme; et de là, ils furent, je ne sais par quelle raison, consommer le mariage à un méchant village dans une caverne. Elle vint à Paris quelque temps après. Les parents de son mari ne la voulurent point voir. Depuis, ayant pris habitude chez les filles de la Reine, elle fit si bien par leur moyen, que M. de Villequier la vit. Elle a été assez long-temps mal à son aise. Depuis le grand jubilé, Fleschet, le beau-père, qui est mort ensuite, leur a laissé du bien; elle s'est bien façonnée ici: c'est une personne qui a bien soin de son ménage et de ses affaires, et qui n'a point fait parler d'elle. CLINCHAMP. Clinchamp étoit fils d'un gentilhomme de Normandie fort accommodé: on le tenoit riche de quatorze ou quinze mille livres de rente. Cela fut cause que ce garçon fit beaucoup de dettes, car il trouva du crédit comme héritier d'un homme riche et qui n'avoit que lui de garçon: il se donna à Monsieur, depuis duc d'Orléans; il n'a jamais passé pour homme de cœur, et a fait en sa vie plus de cent tours de filou. On en conte un, entre autres, assez plaisant. Il voulut emprunter de l'argent à un vieil avaricieux de sa connoissance, qu'on appeloit Marsillac. Cet homme demanda caution. «Je vous donnerai un tel, cordonnier à Paris, un nommé Turpin.» Marsillac s'informa; on lui dit que le cordonnier étoit riche. Clinchamp va trouver ce Turpin, cordonnier, dont il se servoit de tout temps, et lui demande sa boutique pour un jour, et qu'il lui donneroit tant. Le jour venu, le valet de Clinchamp se met dans la boutique comme s'il eût été le maître; ce valet s'oblige. Il y eut procès pour cela: Turpin prouva qu'il étoit absent ce jour-là, et que quelque escroc s'étoit servi de son nom. Une autre fois, Clinchamp vola quelques pièces de ruban d'or et d'argent au palais, comme on lui en montroit de plusieurs façons; cela fit quelque bruit au palais. Un jour, comme un jeune avocat contoit cette filouterie de rubans dans un jeu de paume, le comte de Saint-Aignan, qui étoit sous la galerie, ouït que cet homme disoit que le comte de Saint-Aignan[415] étoit avec Clinchamp. Le comte s'entendant nommer, s'approche et dit: «Je vous assure que le comte de Saint-Aignan n'y étoit point.--Il y étoit, je vous en réponds,» réplique l'autre, et le soutint si effrontément, que le comte, ennuyé de cela, lui donna sur ses oreilles, en lui disant: «Avocat, apprenez une autre fois à connoître mieux les gens.» Ces rubans me font souvenir de M. d'Uxelles[416], le rousseau, qui étoit encore un bonhomme. Madame Coinard, marchande de dentelles de la rue Aubry-le-Boucher, avoit apporté plusieurs pièces de dentelles d'Amiens chez madame de La Vrillière où il étoit: elle en trouva une à dire et disoit, après l'avoir bien cherchée: «Je n'accuse personne; mais j'ai opinion que je n'aurois point perdu ma pièce de dentelles, si ce grand gentilhomme rousseau n'eût point été ici.» [415] Aujourd'hui premier gentilhomme de la chambre, brave homme. Il étoit alors à Monsieur. (T.) [416] Allié des Phélippeaux. (T.) Pour revenir à Clinchamp, il fut enfin réduit en si pitoyable état, qu'on disoit que le matin il appeloit un crieur d'eau-de-vie par qui il se faisoit allumer un misérable fagot pour se lever, et que le soir il appeloit l'oublieur pour se faire débotter; et il les y obligeoit, disoit-on, le pistolet à la main. Cet homme pourtant trouva à se marier, quoique son père ne fût point mort. Il n'étoit point mal, comme j'ai dit, avec cette Madame de La Forest Montgommery, que le bonhomme de La Force vouloit épouser. Il ne faisoit seulement que coucher avec elle. Il n'étoit pas le seul, si je ne me trompe, car elle dit une fois à des dames: «Je suis peureuse, et pour cela je fais coucher un petit page dans ma chambre.» Au même temps, l'unique page qu'elle avoit vint parler à elle; il paroissoit bien dix-sept ans, et n'étoit pas trop petit pour son âge: elles se mirent à rire et en firent le conte à tout le monde. Clinchamp, pour l'attraper, fit si bien, que M. d'Orléans lui écrivit souvent des lettres fort obligeantes, par lesquelles il lui donnoit lieu d'espérer quelque grande récompense. Cette pauvre femme fut ainsi dupée et l'épousa. Il la mangea autant qu'il put, et étoit ravi de dire: «Qu'on donne l'avoine à mes sept chevaux de carrosse.» Quand il venoit des ouvriers apporter des parties[417], elle vouloit les payer; car elle n'est pas friponne, mais elle est un peu folle: «Madame, lui disoit-il, ne vous amusez point à cela; vous irez prendre là de mauvaises habitudes.» Quillet m'en disoit autant, me voyant tirer de l'argent pour donner l'aumône. [417] Des mémoires. Cette madame de Clinchamp a les plus plaisants jurons du monde; elle dit: _Le diable fende en quatre la langue à Louise de Montgommery! Cent mille pipes de diables puissent-elles m'entrer dans le corps et y vivre trois mois à discrétion!_ MADAME DE LA ROCHE-GUYON. La comtesse de La Roche-Guyon[418] demeura veuve à vingt ans, et sans enfants, du frère de M. de Liancourt[419]. Son mari et elle firent le plus fou mariage qu'on ait jamais vu; car, bien qu'il eût de l'esprit, il ne laissoit pas d'être extravagant, et elle, comme vous verrez par la suite, l'étoit encore plus que lui. Elle ne fut pas plus tôt veuve qu'elle se mit à faire la duchesse: son mari, à la vérité, avoit eu un brevet de duc, car madame de Guercheville, sa mère, demanda cela pour récompense; mais en ce temps-là, si on n'avoit été reçu au parlement, on n'entroit point en carrosse dans le Louvre, comme on fait aujourd'hui, et les femmes n'avoient point le tabouret. Pour faire mieux la duchesse, elle augmenta de beaucoup sa dépense, et fit si bien qu'avec dix mille écus de rente qu'elle pouvoit avoir (M. de Liancourt lui devoit beaucoup; Matignon lui devoit quarante mille écus qu'elle quitta pour vingt-cinq; elle avoit l'hôtel de La Roche-Guyon et pour cent mille écus de bijoux), avec tout cela elle ne laissa pas de s'incommoder; cela l'obligea parfois à faire des éclipses de deux ou trois ans, et puis elle ressortoit, comme de dessous la terre, plus florissante que jamais, et toujours avec de nouvelles livrées et tout extraordinaires. On étoit si accoutumé à cela qu'on n'y prenoit plus garde; et enfin on fut très long-temps sans parler d'elle en aucune sorte. [418] Catherine-Gillone Guyon de Matignon, née en 1601, mariée à François de Silly, comte, puis duc de La Roche-Guyon. [419] Le comte de La Roche-Guyon (François de Silly) étoit frère utérin de Roger Du Plessis-Liancourt, duc de La Roche-Guyon, sa mère ayant épousé en deuxièmes noces Charles Du Plessis-Liancourt, marquis de Guercheville. (_Voyez_ les _Mémoires de l'abbé de Choisy_, dans la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, 2e série, t. 63, p. 515.) Il y a dix ans à cette heure que, m'étant trouvé à l'hôtel de Rambouillet, j'en ouïs conter une fort plaisante histoire. Un Italien, qui avoit succédé à Silésie[420], ayant ouï nommer madame de La Roche-Guyon, entra dans le cabinet de madame de Rambouillet, et dit: «Madame, j'en sais plus de nouvelles que personne. Il y a trois mois, ou environ, qu'un cordelier italien me dit que madame la comtesse de La Roche-Guyon l'avoit prié de lui adresser quelque gentilhomme italien qui connût fort bien toutes les bonnes maisons d'Italie, et qu'il me prioit de l'aller trouver: j'y fus. Elle me dit qu'elle avoit un million et demi de bien, qu'elle avoit été mariée et n'avoit pas été heureuse en mariage. J'ai dessein de me remarier; mais je me suis si mal trouvée des gens de mon pays, que je me suis résolue d'épouser un étranger. J'ai jeté les yeux sur toutes les nations chrétiennes: les Allemands me semblent trop grossiers; pour les Espagnols, il y a trop d'antipathie entre les François et eux; les Anglois sont hérétiques; je conclus pour les Italiens. Dans ce dessein, j'ai voulu vous voir pour savoir de vous quels sont les grands partis d'Italie; car, pour vous dire la vérité, je n'ai pas cru qu'il fût à propos qu'une personne de mon âge demeurât veuve.» (Notez qu'il y avoit vingt ans qu'elle l'étoit.) «Nommez-moi, ajouta-t-elle, les princes souverains d'Italie.--Madame, lui répondis-je, il y en a plusieurs; mais ils le portent bien haut, et ne veulent guère épouser que des souveraines ou des filles de souverains.--Ah! dit-elle en m'interrompant, ils ne se méprendront guère quand ils épouseront des personnes de ma naissance; je suis du sang royal de France[421].--Je le crois, repris-je, mais le grand-duc et le duc de Modène sont mariés, et le duc de Savoie, le duc de Mantoue et le duc de Parme sont bien jeunes.--N'y en a-t-il point d'autres, répliqua-t-elle?--Il y en a d'autres, dis-je, mais ils ne sont pas souverains, ni même de maison souveraine. Par exemple, à Rome, il y a tels et tels qui sont mariés: entre ceux qui ne sont point mariés, le plus riche est le prince Caïetan.--C'est celui que je veux, dit-elle; et, pour cela, il faut que j'aille en Italie; mais devant je serai obligée de faire un voyage en Normandie pour vendre mes terres et en faire de l'argent; cependant prenez la peine d'aller trouver M. le chevalier de La Valette; il doit retourner bientôt à Venise, demandez-lui escorte pour moi jusques au plus près de Lorette qu'il se pourra, car je feindrai d'y aller.»--«Moi qui voulois voir ce que deviendroit cette aventure, je fus trouver M. le chevalier de La Valette de la part de madame la duchesse de La Roche-Guyon.--«La duchesses de La Roche-Guyon? dit-il, je ne la connois point. Où demeure-t-elle?--Dans la rue des Bons-Enfants, à l'hôtel même de La Roche-Guyon.--Ah! je vous entends. Dites-lui que je suis à son service, et que si elle peut partir quand je partirai, car je ne dépends pas de moi, je l'accompagnerai très-volontiers.--Je me lassai de cette extravagante, et je ne l'ai pas vue depuis.» L'Italien finit ainsi son historiette. [420] Meneur de M. de Rambouillet. (T.) [421] Elle étoit fille du comte de Thorigny, fils du maréchal de Matignon, de la maison de Guyon de Normandie; La Moussaye en est une branche. Ce Thorigny avoit épousé une cadette de Longueville, sœur de la marquise de Belle-Isle. De quatre qu'elles étoient, les deux autres avoient mieux aimé être religieuses que de ne pas épouser des princes. La grand'mère de la comtesse Roche-Guyon, aussi grand'mère de M. de Longueville d'aujourd'hui, étoit de Bourbon. (T.)--C'était Marie de Bourbon-Vendôme, duchesse d'Estouteville, comtesse de Saint-Paul. J'ai su qu'effectivement elle avoit donné dix mille livres à un petit-père pour lui louer un palais à Rome, et lui retenir des estafiers. Le moine lui fit de belles parties, et elle ne retira rien de cet argent. Si le chevalier de La Valette n'eût point été arrêté à Paris durant le blocus, elle partoit avec lui à trois jours de là. Dans sa fantaisie d'épouser un prince, elle pensa épouser ce fou de Wirtemberg, dont il est parlé dans l'historiette de madame de Rohan-Chabot. Depuis, je n'ai point ouï dire qu'elle ait parlé de voyager, mais j'ai bien ouï dire qu'elle entretenoit Bensserade[422], et qu'elle prenoit le chemin de l'hôpital au lieu de celui d'Italie. Elle fit faire un meuble de dix mille écus qu'elle ne fit servir qu'un jour; après il fut toujours dans un grenier où il s'est gâté. On disoit qu'elle dépensoit horriblement en bains et en odeurs; peut-être étoit-ce pour baigner et pour parfumer Bensserade, qui est rousseau: ce garçon l'avoit cajolée avant qu'elle eût la vision de se marier. Il avoit besoin, et ne regardoit pas qu'elle étoit fort petite, et qu'il ne lui restoit rien de ce qu'elle avoit eu de joli en sa jeunesse: il avoit une maison à l'année auprès de l'hôtel de La Roche-Guyon, un carrosse à couronnes, trois laquais; il avoit de la vaisselle d'argent chez lui, et n'étoit pas trop mal meublé. Cependant, il étoit plus chagrin qu'il n'avoit été de sa vie; je pense qu'il s'ennuyoit de baiser la vieille. Il prit une vision à cette femme d'aller à Jérusalem; puis Bensserade et elle se brouillèrent, et insensiblement les trois laquais furent réduits à un, et le carrosse disparut; il roula jusqu'en 1651. Bensserade disoit que ses chevaux étoient malades. Madame de La Roche-Guyon se retira en ce temps-là à l'hôtel d'Angoulême. On disoit qu'un homme qui étoit à elle étoit accusé de fausse monnaie: elle parut après, et cet homme disoit qu'on avoit eu son abolition; mais le carrosse de Bensserade ne reparut plus. [422] Isaac de Bensserade, si connu par les poésies qu'il composa pour la cour de Louis XIV, naquit en 1612, et mourut en 1691. Paul Tallemant, de l'Académie françoise, parent de l'auteur de ces Mémoires, a été l'éditeur de ses _Œuvres_. _Le Discours sommaire touchant la Vie de M. de Bensserade_, qui est placé à la tête, est de cet abbé Tallemant. Quoiqu'il ait fait à l'éloge une part assez large, on voit qu'il a eu connoissance des Mémoires de son parent, auxquels il a emprunté plus d'un trait. Ce garçon est fils d'un hobereau[423] qui étoit, à ce qu'on m'a dit, un peu parent du cardinal de Richelieu: cependant jamais il n'en a eu que deux cents écus de pension. Pour sa mère, le cardinal ne l'a jamais voulu voir, à cause de sa mauvaise vie. Il étoit encore en philosophie, au collége de Navarre, quand il fit la _Cléopâtre_[424], car il a du génie; mais il ne sait rien: au sortir de là, il devint amoureux de la fille aînée de madame de Saintot; il n'étoit pas mai avec la demoiselle, mais la mère le chicanoit; et quand ils se trouvoient chez elle, le soir, l'un auprès de l'autre, pour les empêcher de chuchoter, elle mettait un siége entre deux avec un flambeau dessus. Chabot en conta aussi à cette fille, et ce fut contre lui que Bensserade fit cette pièce où il y a: Il est sot et me fait ombrage, Car elle est sotte comme lui. [423] _Hobereau_, ou _haubereau_, petit gentilhomme de campagne, apprentif, novice dans le monde. (_Dict. de Trévoux._) [424] Cette pièce, imprimée en 1636, est dédiée au cardinal de Richelieu. La mère en fut terriblement courroucée, et ne lui vouloit point pardonner. Enfin, il s'alla mettre à genoux auprès d'elle à l'église, et jura qu'il ne se lèveroit jamais si elle ne lui faisoit grâce. Elle en étoit peut-être à cet endroit du _Pater_: _Sicut et dimittimus debitoribus nostris_, et elle lui pardonna. Enfin, le duc de Brezé lui donnoit pension[425], et il le suivit une fois sur la mer; mais il démentit bien le sang des Abencerrages, dont il se disoit issu; car, dans un combat, on dit qu'il se mit à fond de cale, et que, comme quelqu'un lui eut dit que les coups de canon à fleur d'eau étoient les plus dangereux, «Hélas! s'écria-t-il, où est-ce donc que je me fourrerai?» Après, il se poussa le mieux qu'il put à la cour, et, par le moyen de Lyonne, qui se divertissoit à faire des bouts-rimés avec lui au cabaret, il eut quinze cents livres de pension de la Reine, et même il toucha quatre mille livres pour aller en Suède faire compliment à la Reine, qui avoit pensé être assassinée par un régent de collége hors du sens; on croyoit qu'il la tiendrait en belle humeur. Il n'y alla pas pourtant, mais l'argent lui demeura. Il a de la vivacité d'esprit, mais il a une présomption enragée, et souvent il lui est arrivé de dire des sottises en pensant dire de plaisantes choses[426]. Pour sa cervelle, vous en allez juger. Il fit des couplets de chansons sur toutes les filles de la Reine; il s'étoit acharné sur Saint-Michel; il en fit de même sur Ségur, qui fut la doyenne en sa place. En voici un: Quelle injustice pour Ségur! Elle est blanche, elle est blonde, Et trouve à tout le monde Le cœur un peu dur. Je la vois réduite En un étrange point; Ses amants sont en fuite, Et son embonpoint Ne les rappelle point[427]. [425] En allant à Orbitelle, il demanda une abbaye pour Bensserade; il l'auroit eue enfin s'il eût vécu. (T.) [426] Guerchy disoit à Bensserade: «Mandez-moi si les filles de la reine de Suède ont une aussi impertinente Dupuy que nous.» (T.)--Madame Dupuy étoit gouvernante des filles de la Reine. Bensserade lui a adressé une _très-humble Remontrance_. (Voyez les _Œuvres de Bensserade_, 1698, in-8º, première partie, p. 58.) Déjà il avoit dit dans l'_Adieu_ de Nucillan qui s'alloit marier: Ségur, excusez-moi, si je suis incivile De passer devant vous[428]. Et, en plein cercle, elle lui dit: «M. de Bensserade, vous avez fait des vers contre moi. Dans notre race il n'y a point de poètes pour vous rendre la pareille; mais il y a bien des gens qui vous traiteront en poète si vous y retournez plus.» Ce fut elle qui avertit M. de Châtillon que Bensserade avoit fait le couplet que voici: Châtillon, gardez vos appas Pour quelque autre conquête; Si vous êtes prête Le Roi ne l'est pas. Avecque vous il cause, Mais en vérité, Il faut quelque autre chose Pour votre beauté Qu'une minorité[429]. [427] Ces vers ne se trouvent pas dans les _Œuvres_ de Bensserade. [428] _Œuvres de Bensserade_, première partie, p. 56. On y lit: Pardonnez-moi, Ségur, si je suis incivile De passer devant vous. [429] Ce couplet, que Bensserade ne pouvoit pas avouer, n'est pas dans ses _Œuvres_, mais il se trouve dans les Recueils satiriques manuscrits du temps. Madame de Châtillon lui dit: «Vraiment, monsieur de Bensserade, je vous ai bien de l'obligation de faire comme cela des chansons sur moi.» Mais le mari lui dit: «Mon petit ami, s'il vous arrive jamais de parler de madame de Châtillon, je vous ferai rouer de coups de bâtons.» Il fut quelque temps après cela sans oser se montrer, car cette infortune lui arriva en un temps où il étoit mal avec Lyonne, et voici pourquoi. Le beau-père de Lambert tenoit alors cabaret à Bel-Air, près le Luxembourg; Bensserade lui devoit cinquante écus pour dépense de bouche, car il avoit été comme en prison là-dedans quelque temps. La femme pria de Lessins, neveu de Lyonne, car la voix d'Hilaire et celle de Lambert attiroient beaucoup d'honnêtes gens dans cette maison, de dire à Bensserade, qui alors avoit les quatre mille livres de son ambassade échouée, et quinze cents livres de sa pension, de lui payer les cinquante écus. Il le promit jusqu'à trois fois; enfin il dit qu'il l'avoit payée, et cela s'étant trouvé faux, Lessins le dit à Lyonne, qui, déjà en colère de ce que ce garçon avoit publié des bouts-rimés de sa façon, ce qu'il lui avoit défendu, ne le voulut plus voir. On fut contraint de céder ces cinquante écus à un valet de pied de M. d'Orléans, qui tourmenta tant Bensserade, qu'il le fit enfin payer. Scarron, qui n'aimoit pas Bensserade, après avoir daté une fois: L'an que le sieur de Bensserade N'alla point en son ambassade, data ainsi l'année suivante: L'an que le sieur de Bensserade Fut menacé de bastonnade. Depuis, il se rajusta peu à peu avec Lyonne, qui souffrit enfin qu'il allât chez lui. En ce temps-là Bensserade commença fort à décheoir; ses premières pièces sont bien plus raisonnables; il y a au moins presque toujours deux bons vers pour deux méchants. Il en fit alors une, où il disoit à une femme: Et vous avez cent choses Par-delà la beauté. Je lisois cette pièce devant une femme, et je m'arrêtai exprès après ce vers, Et vous avez cent choses. «Hélas! dit-elle, il n'en faut point tant: on est quelquefois bien empêchée d'un.» On fit un couplet contre lui sur l'air de _Grand Guenippe_: Bensserade, Bensserade, Pourquoi pus-tu tant? --J'ai le pied fin et le gousset friand, Et je n'ai point d'argent Pour avoir des chaussons blancs. On le faisoit enrager, en l'appelant _le poète Bensserade_, car les voleurs dirent dans leur déposition qu'ils avoient volé un soir le poète Bensserade. «Helas! dit-il, ils ne me prirent que deux quarts d'écu; mais ils m'ôtèrent mon manteau; pour ma montre, je la coulai dans mon caleçon, et trépignois des pieds de peur qu'ils n'entendissent le balancier. Le cocher de celui avec qui j'étais dit naïvement aux voleurs: Messieurs, avez-vous fait? irai-je?» La plus raisonnable action que Bensserade ait faite de sa vie, ce fut que M. de Châteauneuf ayant été fait garde-des-sceaux pour la seconde fois, en 1650, il fit en sorte que la pension que Gombauld avoit sur le sceau fût continuée: il étoit des amis de madame de Leuville, femme du neveu du garde-des-sceaux, et il la fit agir comme il falloit; après il écrivit un billet à Gombauld, sans signer, par lequel on l'avertissoit que l'affaire étoit faite, et qu'il en avoit l'obligation à madame de Leuville, à madame de Villarceaux sa belle-sœur, à madame de Chaulnes la vidame[430], à madame de.......[431], et au président de Bellièvre, et ne parloit point de lui. [430] Françoise de Neuville-Villeroy, femme de Henri-Louis d'Alberg d'Ailly, duc de Chaulnes, vidame d'Amiens. [431] Il y a ici un nom que l'on n'a pas pu lire. Il est dit, dans l'_Historiette_ de Gombauld, que sa pension fut rétablie à la prière de mesdames de Chaulnes-Villeroy, de Rhodes, de Bois-Dauphin et de Leuville. L'abbé Tallemant[432] dit que cela vient de ce qu'un jour il dit à Bensserade que Gombauld faisoit cas de sa poésie. A la vérité il avoit été prié de prendre cette peine par quelque ami de Gombauld, et ne s'en étoit pas avisé de son propre mouvement; aussi n'étoit-il pas tenu de savoir que l'autre fût en nécessité. Nous parlerons de lui dans les _Mémoires de la Régence_. [432] François Tallemant des Réaux, aumônier du Roi, membre de l'Académie françoise, frère consanguin de l'auteur de ces Mémoires. MADAME DE CASTELMORON[433]. Madame de Castelmoron étoit héritière de Vicose, une maison de gentilshommes de Gascogne, et avoit trente mille livres de rente. On la maria à un cadet de La Force, frère du duc d'aujourd'hui. Cet homme n'avoit pas vingt mille écus de partage, étoit et est encore un petit homme fort mal bâti et qui n'a rien de recommandable en lui que d'entendre bien la chasse. Elle n'étoit point mal faite, et ne manque nullement d'esprit. [433] Marguerite de Vicose, dame de Casenave, mariée à François de Caumont, marquis de Castelmoron. A la première guerre de Bordeaux (1650), il arriva à cette femme une assez étrange aventure. Saint-Geniez, aujourd'hui gouverneur de Brienne pour le cardinal Mazarin (c'est un cadet de Navailles), comme lieutenant-général, commandoit un quartier vers les landes de Bordeaux, où cette femme a une maison appelée Casenave; il fit connoissance avec elle: on avertit le mari qu'il y avoit de la galanterie entre eux. Cependant Saint-Geniez est un garçon qui a une jambe de bois, et, ce qui est de plus difforme, sa véritable jambe n'est point coupée, mais elle lui est inutile, et du pied il se touche quasi le derrière; avec cela il a un bras si fort collé contre le corps, qu'il ne s'en sert quasi point; il a peu d'esprit, mais beaucoup de cœur. Le mari, à ce qu'elle dit, avoit déjà été excité contre elle par ceux de sa famille: elle dit que le duc, alors le marquis de La Force, avoit été amoureux d'elle, qu'elle en avoit des lettres d'amour, et qu'il étoit enragé contre elle de ce qu'elle l'avoit rebuté. D'autres disent que c'est une coquette, et qu'on en avoit déjà médit à Bordeaux, avec je ne sais quel médecin. Un jour, durant les premiers troubles, Castelmoron vit un paysan qui, voulant entrer dans le château, se retira dès qu'il l'aperçut; il l'appelle; cet homme s'enfuit; il court après lui, et enfin le fait revenir. Ce paysan lui avoue qu'il apportoit des lettres, et qu'il avoit ordre de les donner secrètement au maître d'hôtel. Castelmoron les prend; il y en avoit deux, une à cet homme, par laquelle on le prioit de rendre l'autre à madame. Le mari ouvre celle de sa femme; il y voit des lignes en chiffres en deux ou trois endroits; le voilà en colère: il va brusquement demander à sa femme les clefs de sa cassette, de son cabinet et de tous ses coffres. Elle eut beau haranguer, il fallut enfin les donner. Il prend tout ce qu'il trouve de lettres, qui n'étoit pas un petit paquet, car cette femme se pique d'écrire à tous les beaux esprits de province, et reçoit une infinité de lettres; et avec cela il s'en va à Castelnau[434] trouver tous les MM. de La Force qui y étoient alors assemblés. Là on se met à déchiffrer cette lettre, et, après y avoir bien rêvé, ils crurent l'avoir déchiffrée, et qu'il y avoit en un endroit, _consolez-vous de la mort de votre petite, à la première vue nous réparerons cette perte_. Par l'avis de la parenté, le mari écrit à sa femme que le bien de leurs affaires l'obligeoit à demeurer à Castelnau, et qu'elle l'y vînt trouver aussitôt la présente reçue. Elle va consulter sa mère, remariée au comte de Cabrères; cette femme n'est point d'avis qu'elle y aille: «Tenez-vous chez vous, vous y êtes la maîtresse.» Celle-ci se dérobe et s'y en va avec sa fille aînée, un enfant de sept à huit ans: au même temps, on pratique un brave qui querelle Saint-Geniez; ils se battent; mais le pauvre brave ne se trouve pas bien du tour d'ami qu'il faisoit à MM. de La Force; car Saint-Geniez le tua. Madame de Castelmoron arrivée, on la fait mettre sur la sellette: elle se défend fort bien, car elle ne manque pas de courage, non plus que d'esprit. Le vieux duc étoit pour elle, et il en pleuroit de compassion: elle étoit toujours à table auprès de lui, et, pour plus grande sûreté, ne mangeoit que de ce qu'il mangeoit. [434] Madame de Castelmoron étoit fille de Henri, baron de Castelnau, et de Marie de Favart. (_Voyez_ le Père Anselme, t. 4, p. 472.) Le mari, au bout de quelque temps, fait semblant d'être satisfait, et parle de s'en retourner: on ne dit rien au bonhomme de ce qu'on avoit résolu. Ils partent; mais ils n'eurent pas fait deux lieues, que voilà des gens armés qui l'emmènent toute seule dans un vieux château à chats-huants. Ce coup-là elle crut être morte; mais pour ne pas leur donner lieu de pouvoir dire qu'elle étoit morte de sa mort naturelle, elle se résout à ne manger que des œufs en coque et à ne boire que de l'eau. Voyant sa résolution, ils firent une mine qui fit sauter tous les planchers du corps de logis où elle étoit, dans l'instant que, par bonheur, elle étoit entrée dans un petit cabinet qui étoit dans l'épaisseur du mur. Cette espèce de miracle touche le mari; il croit qu'elle est innocente, et que c'est pour cela que Dieu l'a sauvée, car c'est un bigot entre les Huguenots. La marquise de La Force en est de même, et, persuadée du crime de cette femme, elle croyoit qu'une adultère étoit digne de mille morts; il pouvoit aussi y avoir de la jalousie, à cause de son mari, si ce que dit madame de Castelmoron est véritable. Le mari se jette aux pieds de sa femme, lui demande pardon, et elle retourne avec lui. Comme j'ai déjà dit, elle est la maîtresse, gouverne tout; lui ne se mêle de rien: il y a quelque douceur à cela; d'ailleurs un mari est nécessaire à une galante. La mère avoit commencé un procès à Bordeaux; on jette les informations au feu. Elle a su depuis que la famille avoit mis dans la tête de Castelmoron le plus ridicule scrupule du monde: elle étoit grosse; on suppute combien il y avoit qu'il n'avoit couché avec elle, et on lui fait promettre d'en faire justice si elle n'accouche précisément dans les neuf mois. Par bonheur elle y accoucha. Quelques années après, Isar[435], garçon bien fait, qui a bien de l'esprit, et qui fait joliment des vers, fit connoissance avec elle à Toulouse; il avoit déjà été plusieurs fois à Paris; je ne doute pas qu'il n'en ait eu toutes choses. Il alla même avec elle à la campagne; et, à Paris, où il vint ensuite, elle lui écrivoit sans cesse; même il découvrit que son valet avoit été gagné et que la demoiselle de la dame avoit commerce avec lui pour savoir toutes les galanteries de son maître. Il trouva moyen de retirer toutes les lettres de la suivante que ce valet gardoit, et puis il le renvoya tout doucement. [435] Il s'appeloit Isarn. On a conservé de lui une jolie pièce en prose et en vers, intitulée: _le Louis d'or_; elle est adressée à mademoiselle de Scudéry. (Voyez le _Recueil de pièces choisies_, dit de La Monnoye; La Haye, 1714, in-8º, t. 2, p. 241.) Enfin la conduite de la dame a justifié le mari et la famille du mari. Elle a fait encore d'autres galanteries, et puis elle a changé de religion; même elle voulut faire accroire à la cour que ses filles, qui sont déjà assez grandes, vouloient en faire autant. Il fallut les faire venir et les mettre en sequestre: elles déclarèrent qu'elles vouloient être de la religion de leur père. RÉNEVILLIERS. Rénevilliers s'appelle Henri Barjot. Son père étoit maître des requêtes et s'appeloit M. de Marchefroid. Cet homme ne fut pas le meilleur ménager du monde; il ne laissa pas pourtant de conserver assez de bien pour pourvoir honnêtement ses enfants, et Rénevilliers, quoique cadet, a quatre mille livres de rente de partage. Il se fit d'épée; ils sont de bonne famille. Il acquit de la réputation, se battit en duel et eut avantage. Il quitta bientôt le service et se mit à faire une vie assez bizarre. Son frère aîné, nommé d'Auneuil, faisoit le gentilhomme, sans porter les armes; il n'étoit point marié. Rénevilliers, qui ne vouloit point qu'il se mariât, car il est terriblement avare, et il espéroit que ce frère, qui se portoit bien, et qui n'a qu'un an de plus que lui, mourroit, avoit soin de le remettre bien avec une certaine femme dont il étoit amoureux; car ils se brouilloient souvent cette femme et lui; et le jour qu'ils devoient se revoir, notre homme alloit à la chasse, et leur apportoit toujours quelque couple de perdrix. Mais malgré tous ses soins, ce frère se maria avec la sœur de Saint-Etienne, dont nous avons parlé, nièce du père Joseph. Cela mit notre cadet en si méchante humeur, et lui tenoit si fort à la tête, qu'il ne pensoit à autre chose ni nuit ni jour; et on m'a dit qu'une nuit qu'ils étoient couchés en même chambre dans une hôtellerie, je crois qu'ils avoient eu quelques différends sur leurs partages, Rénevilliers, tout en dormant, alla, l'épée à la main, pour tuer son frère, qui n'avoit point encore d'enfants; mais ce frère se réveilla fort à propos. Toute leur vie les deux frères ont eu maille à partir. Le commencement vint de ce que Rénevilliers fut forcé de tuer un gentilhomme de leurs voisins; et voici comment. Leur père avoit laissé perdre beaucoup de droits, de sorte qu'eux, les ayant voulu rétablir, eurent bien des démêlés avec leur voisinage. Un jour que notre homme étoit à l'affût dans un bois, où il prétendoit droit de chasse, celui à qui étoit le bois survint, et en l'appelant _Petite Ecritoire_, car Rénevilliers étoit fort jeune, va à lui l'épée à la main. Rénevilliers lui dit que s'il avançoit, il le tueroit: l'autre ne laissa, et Rénevilliers en fit comme il eût fait d'un lapin. Cette affaire leur coûta beaucoup, et, comme elle avoit eu lieu pour conserver les droits de leur terre, il prétendoit que toute la famille y contribuât. Il arriva aussi long-temps après que, des gens de guerre voulant loger à Auneuil, il contrefit l'aide-de-camp, et changeant leur route, les envoya chez un homme de robe de leurs voisins; mais cet homme, qui avoit du crédit, le fit condamner aux dépens. Je me souviens qu'on le faisoit enrager quand on l'appeloit _M. l'aide-de-camp_. Il prétendoit encore qu'on le remboursât de ces frais-là. Enfin ils s'accommodèrent. Rénevilliers a toujours aimé le sexe, mais à son profit. Il étoit grand et bien fait et baisoit une fruitière pour avoir du dessert, une bouchère pour de la viande, et une grènetière pour de l'avoine. Il est vrai qu'il paya une fois une pourpointière en la plus plaisante monnoie du monde. Une veille femme veuve, de la rue de la Pourpointerie[436], avoit long-temps habillé ses laquais, de sorte qu'il lui devoit une assez grosse somme: cette femme l'alloit voir souvent et lui présentoit toujours ses parties; Rénevilliers la remettoit de jour à autre, et cependant il cherchoit quelque invention pour ne point payer. Enfin il lui dit une fois: «Venez demain matin à dix heures, je vous donnerai contentement.» La vieille fut dès neuf heures dans sa chambre: il envoie chercher à déjeûner, la fait boire, la met en belle humeur, et tout d'un coup il la pousse sur le lit, où il la contenta si bien, qu'après cela elle prend ses parties, les jette au feu, et lui dit: «Allez, vous ne méprisez point vieillesse; il ne sera jamais dit que je demande rien à un si honnête homme que vous.» [436] C'étoit la rue des Lombards. Elle portoit, au XIIIe siècle, le nom de _rue de la Buffeterie_, comme on le voit dans le _Dit des rues de Paris_, publié par l'abbé Le Beuf: Lors ving en la _Buffeterie_, Tantost trouvai _la Lamperie_, Et puis la _rue de la Porte Saint-Mesri_, etc. Mais les Lombards, qui y exerçoient l'usure depuis des temps fort reculés, l'emportèrent sur ces deux noms (Voyez Sauval, _Antiquités de Paris_, t. 1, p. 174; et Jaillot, _Recherches sur Paris, quartier Saint-Jacques la Boucherie_.) Il chercha dix ans durant à tromper en mariage, comme il avoit fait en concubinage; mais il pensa bien être trompé lui-même. Une marieuse de gens, on appelle cela vulgairement une _apparieuse_, qui se nommoit, disoit-on, _dame Bricolleuse_, lui proposa un parti de conséquence, et lui dit qu'il se trouvât à Saint-Gervais un tel jour pour voir la dame. Elle lui conseilla, lui protestant qu'elle ne faisoit point de conscience de le servir au préjudice d'un autre, d'emprunter l'équipage de quelqu'un de ses amis. Rénevilliers emprunte donc l'habit et le train d'un seigneur de la cour qu'il connoissoit, et entre à Saint-Gervais suivi d'un page, qui lui portoit un carreau avec de l'or, et d'assez bon nombre de laquais: il n'y fut pas plus tôt que la _Bricolleuse_ l'accoste, et lui montre une femme de bonne mine, bien vêtue, et qui n'avoit pas moins de suite que lui; ils se regardent long-temps tous deux, et enfin le galant se retire après avoir su le logis de la dame. Il y alla le lendemain et reconnut bientôt que la _Bricolleuse_ les trompoit tous deux, et il coucha bientôt avec cette créature et sans grande peine. Il lui arriva une assez plaisante aventure au faubourg Saint-Germain. Il s'y promenoit dans un jardin avec une femme dont il étoit amoureux, et, ayant trouvé l'heure du berger, il étoit sur le point de mettre l'aventure à fin, quand un couvreur, qui les voyoit de dessus un toit, se mit à crier: «Allez...... plus loin.» Il arriva une chose toute pareille à Habert, secrétaire du Roi, frère aîné du commissaire de l'artillerie et de l'abbé de Cérisy; il alloit tout de même...... une suivante de La Bazinière, dans une hôtellerie des Ardillières à Saumur, quand une sentinelle du château menaça de leur tirer s'ils n'alloient...... plus loin. Quoiqu'il cherchât fortune en ville, il ne laissoit pas d'avoir un ordinaire chez lui; c'étoit une vieille servante, nommée Blanche. Cette femme avoit été long-temps dans un hôpital; elle y avoit appris cent recettes, et dans la Villeneuve-sur-Gravois[437], près la porte Saint-Denis, ou Rénevilliers demeuroit pour avoir une chambre à meilleur marché, elle servoit de chirurgien, saignoit, renouoit, etc. Elle y étoit connue de tout le monde, jusqu'aux petits enfants. Son maître ne l'étoit pas moins; et quand on disoit M. le baron, on entendoit Rénevilliers. Blanche le plus souvent composoit elle seule tout son train, car comme il vivoit un peu en bohême, la plupart du temps il n'avoit pas un pauvre laquais, et plusieurs fois il est arrivé à Blanche de l'aller quérir le soir en ville, montée sur son cheval, avec un flambeau à la main et une épée au côté. [437] Le quartier qui s'étendoit depuis le couvent des Filles-Dieu, de la rue Saint-Denis, où sont aujourd'hui le passage, la rue et la place du Caire, jusqu'à la rue Poissonnière et le boulevard de Bonne-Nouvelle, étoit désigné, dans le XVIe siècle, sous le nom de _la Villeneuve_. Pendant les guerres de la Ligue on ruina ce faubourg, et les maisons en furent abattues. Ces démolitions avoient rehaussé le terrain, et quand, sous Louis XIII, on commença à rebâtir, tout cet espace fut appelé _la Villeneuve-sur-Gravois_. Il ne reste pas aujourd'hui d'autre trace de ces dénominations que le nom de la rue _Bourbon-Villeneuve_. (_Voyez_ Jaillot, _Recherches sur Paris, quartier Saint-Denis_, t. 2, p. 8.) Au commencement de la régence, espérant attraper un bénéfice, il se mit à porter la soutane et à faire le dévôt; il disoit qu'en effet il sentoit quelque repentir, et qu'il n'étoit pas trop mal dans le chemin du paradis. Mais la dévotion cessa avec l'espérance du bénéfice, et aussi la soutane ne valoit plus rien. Nous avons su depuis que cette soutane n'étoit point à lui, et qu'un nommé Bouillon, qui avoit été aumônier de Montmoron, la lui avoit prêtée et ne l'avoit pu ravoir. Durant sa dévotion, il se fit donner l'intendance des enfans trouvés du diocèse de Beauvais, car Rénevilliers est en ces quartiers-là[438]. Les méchantes langues disoient que c'étoit pour avoir leurs langes et leurs couches. Enfin insensiblement il se défit de toute sa bigotterie, à une croix d'or près, qu'il portoit attachée à son pourpoint avec un ruban violet; encore s'en défit-il à la fin. Depuis il eut un procès contre M. de Beauvais, qui défendit au curé du village de Rénevilliers de le recevoir à la communion; je pense que c'étoit à cause de Blanche. Rénevilliers ne s'en prit point au curé; mais il alla s'en plaindre au bailli de Beauvais, vieux cavalier âgé de quatre-vingts ans, lui représenta qu'il étoit le père de la noblesse, et que c'étoit à lui à faire faire raison aux gentilshommes. Le bailli se moqua de lui. Quelqu'un qui s'y trouva dit après à cet homme qu'il avoit tort de traiter ainsi un homme de cœur et de condition qui s'en pourroit bien prendre à son fils. M. de Villeroi, qui le sut, envoya des gardes à Rénevilliers, qui déclara qu'il n'en vouloit point à ce vieux radoteur; mais lui, qui ne sait quasi pas lire, il accusa M. de Beauvais d'avoir fait un livre où il y a des choses contre la doctrine de l'Eglise. Cela s'accommoda avec le temps. Il y a quelques années qu'il envoya aux filles de madame d'Agamy, chez laquelle il est familier de tout temps, une souris dans une boîte pour leurs étrennes. Elles, pour s'en venger, lui envoyèrent, au nom de leur père, deux bouteilles, l'une de vin d'Espagne, et l'autre de décoction. Il se défioit de quelque malice, et, pour s'en assurer, il en fit boire au laquais. Le laquais, qui, averti de tout, savoit laquelle étoit la bonne bouteille, en but volontiers un grand verre: Blanche vient, qui ne le vouloit point croire; il gage un écu contre elle et le gagne. Aux Rois, il envoie l'autre bouteille à son procureur, qui en fit grande fête à ses voisins, et les convia d'en venir boire; mais ils pensèrent le gourmer, quand ils en eurent goûté. Voilà le procureur outré; il fait perdre le procès à Rénevilliers, et il fallut rendre à Blanche son écu, et lui en donner encore un autre. [438] C'est vraisemblablement la terre de Rainvillers, située à cinq quarts de lieue à l'ouest de Beauvais, à peu de distance de l'ancienne abbaye de Saint-Paul, dans un lieu humide et aquatique (_Ranarum villa_). La terre d'Auneuil, qui appartenoit au frère aîné, est fort près de là. Présentement il parle d'aller en Canada pour épouser la reine des Hurons, et il n'est pas plus sage qu'il étoit il y a vingt-cinq ans. MADAME ROGER. Madame Roger est fille d'un gentilhomme d'entre la Lorraine et le Liége, de bonne maison, mais pauvre; elle l'appeloit M. le comte de Fermont. Le nom de la fille, c'est d'Ueil. Sa mère n'étoit pas tout-à-fait si noble; elle étoit fille d'un chanoine de Toul qui lui avoit donné un assez gros mariage. Notre madame Roger, étant fille, demeura assez long-temps à Toul en attendant quelque bonne occasion. Enfin, au dernier voyage que le feu Roi fit en ce pays-là, un nommé Roger, fils d'un riche orfèvre de Paris, qui avoit quitté sa boutique et étoit mort quelque temps après, devint amoureux d'elle, l'épousa et l'emmena à Paris. Elle a dit depuis qu'elle avoit cru que Roger étoit gentilhomme, et qu'autrement elle n'eût eu garde de l'épouser. C'étoit une grande femme, assez bien faite, qui parloit sans cesse de sa maison; et surtout elle étoit insupportable au Cours, car elle ne faisoit que prôner sur les armoiries des carrosses; d'ailleurs elle avoit de l'esprit comme une Lorraine. Son mari, d'autre côté, ne faisoit que jouer, aller au b....., et ivrogner. J'ai ouï dire à la dame que plus de deux ans durant après leur mariage, il petunoit[439] tous les soirs dans le lit, elle y étant. Il lui arriva une fois une plaisante aventure: il avoit une guenon un soir qu'il prit quelque drogue; la guenon en but une partie: il la met coucher avec lui à son ordinaire; sa femme étoit aux champs. La drogue opère pour la guenon comme pour lui; mais elle n'alloit pas au bassin, et elle foira d'une si épouvantable manière, qu'elle chia sur le nez de Roger et remplit le lit d'ordure de l'un à l'autre bout. [439] Il fumoit du tabac. _Petun_ est le nom que les peuples de la Floride donnoient au tabac. (Voyez le _Dict. de Trévoux_.) Les Bas-Bretons se servent également, dans la même signification, du mot _betun_. Sans doute c'est une importation faite de l'Amérique en Bretagne par les nombreux marins de cette province; le mot aura seulement, dans la traversée, subi une légère altération. Cette femme faisoit fort la prude. Un de mes frères, nommé Lussac, grand garçon, bien fait et bien dansant, s'avisa de l'entreprendre, et nous déclara hautement qu'il y alloit planter le piquet et que s'il en venoit à bout, il l'en feroit bien marcher droit. Je le trouvois bien hardi de se jouer à une femme qui méprisoit terriblement les gens de la ville: aussi, quoiqu'il y tînt le siége fort longuement, n'y fit-il pas grand progrès, et les médisants disoient qu'il lui avoit prêté de l'argent sans coucher avec elle, et que, de cet argent, elle en avoit payé un autre galant. Ce galant étoit un gentilhomme lorrain, nommé Vinueilles[440], qui étoit, disoit-elle, son parent. Elle étoit notre voisine, et ayant été obligé de donner les violons, à mon tour, comme les autres jeunes gens du quartier à cause de sa fille, il fallut que ce fût à elle que je les donnasse. Je voyois bien à sa mine qu'elle avoit quelque honte qu'un bourgeois lui donnât les violons, et je disois: «Sur ma foi, je suis bien fâché qu'elle soit si sotte, car à une autre je lui ferois comprendre que c'est le roi Jugurtha qui lui donne les violons, car mon père les paie à cause de la traduction que je lui ai faite de la guerre de Jugurtha[441].» Il pensa arriver une étrange esclandre à ce bal. Le prince d'Harcourt, avec ses frères, heurta à la porte un moment après que les laquais et ceux qui la gardoient s'étoient battus. Le cuisinier d'un de mes beaux-frères, qui s'étoit mis du côté de nos portiers, avoit une estocade[442], dont la lame étoit fort étroite: croyant que ce fût encore ces laquais qui heurtassent, il passe son épée par la serrure de la porte, et larde le prince d'Harcourt, qui en eût eu un demi-pied dans le corps s'il ne se fut tourné pour parler à quelqu'un; mais effectivement le cuisinier, comme s'il eût piqué de la viande, ne prit que la peau. Aussitôt voilà un bruit du diable; je sors de la salle avec un de mes amis, nous voyons un valet-de-chambre qui, tout furieux, montoit en haut; nous le suivons; il alloit tirer un coup de fusil sur M. d'Elbeuf dans la cour; nous lui ôtons son arquebuse et l'attachons à la quenouille du lit, non sans lui donner quelque horion; nous descendons, et nous voyons tous les trois frères qui entrent dans la salle l'épée à la main. On n'entendoit autre chose que _monsieur mon frère est blessé_. Je me mis derrière, et ne me vantai pas autrement d'être le maître du bal; Pimpernelle vient, panse _monsieur mon frère_, qui dansa avant que de partir. Madame de Congis, qui fourre toujours son nez partout, me fit parler au prince d'Harcourt, et nous fûmes les meilleurs amis du monde. Il y avoit eu des coups rués à la porte, car un cocher, qui se sentoit innocent, fut si sot que d'ouvrir sans m'avertir, et en eut la tête cassée. Pour le cuisinier, il s'évada, et on ne l'a jamais vu depuis. Il fallut mener ce cocher au prince d'Harcourt, car il croyoit que c'étoit lui qui l'avoit blessé; j'en fus quitte pour cela; il ne le voulut pas voir, et me traita fort civilement. [440] Ne seroit-ce pas Vineuil, gentilhomme qui a été long-temps exilé? [441] Cette traduction n'a pas été imprimée. [442] L'estocade étoit une longue épée fort pointue. (_Dictionnaire de Trévoux._) Pour revenir à madame Roger, elle devoit tant à tous ceux qui la fournissoient, et elle avoit tant emprunté, qu'elle résolut de s'en aller: en ce dessein elle prend une chaise, se fait porter aux Jésuites de la rue Saint-Antoine, prend une autre chaise et va chez la mère Marguerite, auprès de Charonne. Vineuilles l'avoit ruinée plus que tout le reste. Le mari, qui avoit été si sot que de donner à sa femme une procuration générale, trouva après qu'elle lui avoit fait pour cinquante mille écus de dettes. Quelques jours après elle envoya dire qu'elle étoit chez la mère Marguerite; il l'y fut prendre et la mena à une maison qu'il avoit à Essone. Là, il tâcha, par toutes sortes de voies, de lui faire confesser ce qu'elle avoit fait de tout cet argent. On dit qu'il n'en put rien tirer, sinon qu'elle avoit donné à diverses fois vingt mille livres à son père: il est vrai qu'il venoit tous les ans faire la récolte; c'étoit un des plus sots hommes que j'aie vus de ma vie. Elle dit aussi qu'elle avoit donné huit mille livres à son cousin de Vineuilles. Le mari, pour passer son chagrin, alla un jour à la chasse: dans ce temps-là elle donna pour sept cents livres tout le bétail de la maison qui valoit bien mille écus, et se retira dans une religion à Corbeil; de là elle alla jusqu'à Gênes, parce qu'elle y avoit un de ses parents marié. Au retour, car elle ne trouva pas son compte à Gênes, elle se mit dans les filles de Saint-Nicolas de Lorraine au faubourg Saint-Germain. Enfin Roger l'a laissé et ne sait que lui donner par an. On fait un plaisant conte de ces filles de Saint-Nicolas. Les Cravates brûlèrent Saint-Nicolas quand on prit la Lorraine; plusieurs d'entre elles se retirèrent d'abord à Châlons: la plupart avoient été violées par ces brûleurs de maisons, et comme il n'y avoit pas moyen de le nier, elles appeloient cela _souffrir le martyre_. On dit que, comme elles faisoient le récit de leur infortune à l'évêque, il y en avoit telle qui disoit l'avoir souffert deux fois, qui trois, qui quatre: «Ah! ce n'est rien auprès de moi, dit une autre, je l'ai souffert jusqu'à huit fois.--Huit fois le martyre! s'écria l'évêque; ah! ma sœur, que vous avez de mérite!» MADAME DE VERVINS. Madame de Vervins, mère de Vervins qui a épousé depuis peu mademoiselle Fabert[443], est fille d'un maréchal de Lorraine, nommé de Braisne: c'étoit une grande dignité en ce pays-là; elle avoit épousé en secondes noces le feu marquis de Vervins, premier maître d'hôtel de la maison du Roi, qui étoit un des plus pauvres hommes de France. Cette femme étoit une enragée, s'il y en a jamais eu; elle battit tant de fois son mari, et lui fit tant de fois porter ses marques, que le feu Roi conseilla à Vervins de l'enfermer, et la Reine fut contrainte de lui faire dire qu'elle ne vînt plus au Louvre. Cette folle disoit: «C'est que la Reine est jalouse, et qu'elle voit bien que le Roi devient amoureux de moi.» [443] Anne-Dieu-Donnée Fabert, fille du maréchal, épousa, le 3 octobre 1657, Louis de Cominges, marquis de Vervins, premier maître d'hôtel du Roi. Durant l'amour du feu Roi (Louis XIII) pour Hautefort, elle enrageoit de ce qu'il ne s'adressoit point à elle. A Saint-Germain, pour aller voir ses amours, il falloit qu'il passât devant la porte de sa chambre; elle le faisoit toujours guetter, et se montroit à lui toujours fort parée: à la messe elle se mettoit toujours devant lui. Quelque belle qu'elle fût, cela n'y fit rien. Je crois, en effet, que madame de Vervins avoit été belle en sa jeunesse, mais alors elle étoit crevée de graisse, et, à bien parler, elle n'avoit plus rien de beau que les cheveux: ce n'étoit pas pourtant son opinion, car elle a cru encore depuis que M. d'Enghien seroit tout heureux de jouir de ses embrassements. Effectivement on a dit qu'au retour de Fribourg elle s'adressa à un chirurgien qui le venoit de traiter de quelque incommodité qu'il n'avoit pas gagnée à la guerre, pour moyenner un rendez-vous entre elle et cet Alexandre dont elle vouloit être la Thalestris, car elle se vantoit d'être la plus vaillante femme du monde; et c'est pour cela qu'elle vouloit coucher avec lui pour faire un héros. On verra ensuite quelques-uns de ses exploits. Sa maison étoit une espèce de conciergerie. Dès qu'une fille étoit entrée chez elle, elle n'en pouvoit plus sortir; elle les faisoit travailler et les châtioit fort rudement, car elle les faisoit fouetter. Une fois elle en mit une dehors après lui avoir fait donner les étrivières si rudement, qu'elle en mourut. Son suisse n'eût osé ouvrir la porte sans son ordre; et, pour l'avoir ouverte une fois, il fut fouetté quatre jours durant. Un chanoine de Saint-Thomas-du-Louvre, dont la maison répond dans la sienne, disoit que, le vendredi-saint de 1647, elle ne fit autre chose tout le jour que faire fesser un homme et une femme l'un après l'autre. Voiture disoit que c'étoit sans doute des Juifs sur lesquels elle vouloit venger la mort de Notre-Seigneur[444]. [444] Cette femme étoit apparemment de l'humeur de la _grand'dame_ dont parle Brantôme, qui prenoit tant de plaisir à fouetter les dames et filles qui étoient attachées à son service. (Voyez les _Œuvres de Brantôme_; Paris, Foucault, 1822, t. 7, p. 255.) Au reste, elle étoit si lubrique, que j'ai ouï dire que quand il y avoit quelqu'un qui lui plaisoit à souper chez eux, car son mari tenoit la table de premier maître d'hôtel, elle défendoit de lui ouvrir la porte, et il falloit qu'il couchât dans un petit lit qui étoit dans la même chambre où son mari et elle couchoient en deux différents lits. Le lendemain le mari sortoit, mais le galant ne sortoit pas; on tiroit la porte sur la dame et sur lui, et si quelqu'un eût été assez hardi pour entrer sans qu'elle eût appelé, elle l'eût fait assommer. Vinueilles, dont nous venons de parler[445], disoit qu'il en étoit si las, qu'il avoit juré de n'y plus retourner; et une fois qu'il n'y avoit pas voulu coucher, elle le battit; elle aimoit ce garçon et vouloit une fois que son mari troquât sa charge contre des terres que ce garçon avoit en Lorraine; elle étoit jalouse de madame Roger. Un jour que celle-ci avoit mené Vinueilles jouer chez mon père, elle fut chez elle et fureta depuis le grenier jusqu'à la cave. Du temps que la Montarbaut étoit réfugiée chez M. de Chevreuse, d'où elle ne sortoit que de nuit, un soir qu'elle étoit en chaise, elle trouve madame de Vervins à sa porte: elle envoya un laquais pour savoir qui étoit cette femme; on n'avoit garde de le lui dire. «Je le veux savoir.» Les gens de cette folle grossissent: la Montarbaut, qui avoit peut-être ouï parler d'elle, envoie vite à l'hôtel de Chevreuse, et, durant la contestation, les gens de l'hôtel de Chevreuse vinrent en si grand nombre, qu'ils en tuèrent trois ou quatre; depuis elle ne se frotta plus à eux. [445] Dans l'Historiette de madame Roger. Elle ne passa guère mieux le jour de Pâques de l'année suivante qu'elle avait fait le vendredi-saint de 1647. Madame de Brassac, qui logeoit auprès de cette extravagante, passoit en chaise devant son logis; les gens de madame de Vervins se mirent à dire: «Voilà dame Ragonde, voilà la _Martingalle_ qui passe.» Ceux de madame de Brassac répondirent quelque chose de plus fâcheux encore pour madame de Vervins; de sorte que cette femme, qui, oyant du bruit, s'étoit mise à la fenêtre, entendit ce qu'on avoit dit contre elle; la voilà en fureur; elle crie: «_Aux armes!_ tue! tue!» Madame de Brassac monte et lui fait satisfaction pour ses gens, offre de les chasser, et de ne les reprendre qu'à sa prière. Elle ne reçoit point cette satisfaction; au contraire, plus enragée qu'auparavant, elle jure qu'elle les fera tous tuer, et dit un million d'extravagances: madame de Brassac se retire. Le lendemain matin cette folle lui envoya dire bien sérieusement qu'elle fît confesser tous ses gens, parce qu'après dîner madame de Vervins avoit résolu de les faire tous tuer. Après dîner, elle arme tout son domestique, se met à leur tête, la hallebarde à la main, et va à la porte de madame de Brassac, où elle ne trouva pas autrement de gens à tuer, car ils étoient sortis avec leur maîtresse. Par bonheur un gentilhomme[446] qui la connoissoit s'y rencontra, qui aussitôt la saisit au corps et la mena chez elle. Par le chemin elle crioit: «Vous m'empêchez de montrer ma générosité,» et lui arracha une bonne partie des cheveux et de la barbe. Cet homme lui fit toutes les remontrances imaginables; mais il n'en put obtenir autre chose, sinon qu'elle faisoit trève pour ce jour-là et pour le lendemain avec madame de Brassac; mais que si madame de Brassac ne faisoit tuer ceux de qui elle avoit été offensée, qu'elle en feroit une vengeance exemplaire. Enfin, il en fallut avertir la Reine, qui fit dire à madame de Vervins qu'elle ne vouloit plus ouïr parler de semblables extravagances. [446] Un gentilhomme de M. de Parabère, beau-frère de Brassac. (T.) Une fois, elle donna le fouet à son mari, et elle en eut après un tel repentir, que, pour en faire pénitence, elle s'alla mettre jusqu'au cou dans un marais. Elle a des foiblesses de son pays, où l'on croit fort aux sorciers; elle dit que, quand elle a fait bien bouillir des broquettes[447], ses ennemis n'ont plus de force contre elle: pour cela, elle en a toujours une caque pleine. Elle se vante d'avoir rendu paralytique la main de madame de Moret, alors madame de Vardes, en lui donnant sa malédiction, parce qu'elle avoit écrit à M. de Vervins qu'il se devoit défaire de cette enragée. Depuis la mort de cet homme, les gens de guerre l'ayant prise, elle et je ne sais combien de filles qu'elle a toujours, ils la laissèrent aller; mais ses filles furent menées dans un bois; au retour, elle les visita toutes pour voir ce qui s'étoit passé. Le lieutenant-général de Soissons, où elle étoit allée demeurer, de peur de pareil accident, fut enfermé chez elle, je ne sais combien d'heures: elle l'avait querellé et ne le vouloit pas laisser sortir. Il cria par la fenêtre; le peuple s'émut et enfonça la porte. Elle croit présentement que le suisse qu'elle a est un seigneur de Suisse qui s'est déguisé pour avoir l'honneur de la servir. [447] Espèce de chou qu'on appeloit _broque_, ou _broccoli_. C'étoient des rejetons d'un chou d'êté. RUQUEVILLE. Ruqueville étoit un gentilhomme de Normandie, qui s'étoit donné à M. de Longueville. C'étoit un assez plaisant homme. Il avoit un frère de mère, nommé Boisdalmais[448]; c'est celui que Ruvigny tua[449]. Il n'étoit pas trop bien avec ce frère, et il disoit que c'étoit son _frère de loin_, comme on dit _parent de loin_. Ruqueville n'avoit pas été trop bon ménager, et il disoit: «Ah! si feu mon bien étoit encore au monde, on feroit bien plus cas de moi qu'on n'en fait.» [448] Voir précédemment, t. 3, p. 56, note 2. [449] Ce duel eut lieu à Venise, en 1627. _Mémoires manuscrits de Goulas_, cités dans le père Lelong. (_Bibliothèque historique de la France_, t. 2, page 449, no 21395.) Il s'étoit marié; mais sa femme et lui ne purent jamais s'accorder, et se séparèrent volontairement: ils avoient une fille qu'ils marièrent à un gentilhomme, nommé Le Mesnil-Leurry; elle devint amoureuse d'un garçon appelé Montrada: c'étoit un garçon bien fait et qui vivoit de ses rentes. Elle se résout, par son conseil et par celui de sa mère, d'empoisonner son mari: deux fois le poison n'opéra point. Enfin le galant lui écrit: «Je vous envoie du poison qui fera mieux son effet que les autres.» Elle prend le poison et jette la lettre dans le feu sans la déchirer; la fumée, poussée par l'air qui étoit assez grand dans la chambre, peut-être y avoit-il quelque porte ou quelque fenêtre ouverte, emporte cette lettre par le tuyau dans la cour, et elle tombe aux pieds du frère du mari qui s'y promenoit; il ramasse cette lettre, la lit, court trouver son frère, qui avoit avalé un bouillon et disoit: «Quel bouillon ai-je pris? sans doute je suis empoisonné.--Il n'y a rien de plus certain, dit le frère: tenez, voilà une lettre qui en est la preuve.» La femme accusa le cuisinier; mais il étoit constant qu'elle avoit voulu donner le bouillon elle-même à son mari, à qui elle avoit fait prendre médecine au retour d'un voyage. Je pense que le mari fut sauvé par du contre-poison: pour la mère et pour la fille, elles furent mises dans un couvent, où elles sont mortes. Ruqueville fit de cela une chanson pitoyable et lamentable, comme sur l'exécution de quelque insigne criminel. Ruqueville étant à l'extrémité, son tailleur, à qui il devoit beaucoup, le pria de lui donner une reconnoissance. «Bon, mon ami, lui dit-il, écrivez, je la signerai.» Il lui dicta: «Je soussigné, etc., promets à maître, etc., maître tailleur d'habits à Paris, demeurant rue Saint-Honoré, paroisse Saint-Eustache, etc.» Il lui en fait mettre tout le plus long qu'il peut, et, après l'avoir bien fait écrire, il ajoute _cent coups de bâton_, au lieu de la somme. Le tailleur le donne au diable, et s'en va. Je ne sais si le diable prit Ruqueville, mais il trépassa peu de temps après. Une fois il se rompit la jambe et en fut fort long-temps malade: enfin, un jour il se traîna à l'hôtel de Longueville. Quelqu'un lui dit: «Vous avez là une méchante jambe.--Méchante, dit-il, elle me coûta pourtant deux mille livres rendue ici.» Il avoit un neveu âgé de vingt ans, fort débauché. «Je ne veux point, disoit-il, fréquenter ce coquin, car je pourrois prendre de mauvaises habitudes avec lui.» Il avoit quarante ans de plus que ce garçon; il étoit brave. Une fois, se battant en duel, il reçut un grand coup d'épée au travers du corps, et pourtant désarma son homme; l'autre lui demanda la vie. «Attends,» dit-il froidement. En disant cela, il crache dans sa main, et voyant son crachat blanc: «Va, dit-il, je te la donne.» C'est qu'il avoit ouï dire qu'on étoit blessé à mort quand on crachoit le sang. Une autre fois, celui contre qui il se battoit lui donna un coup d'épée dans les cheveux. «Hé! lui dit-il en jetant son épée, vous pourriez bien m'éborgner: vous avez appris d'un mauvais maître; je ne me battrai jamais contre vous.» Et la chose en demeura là. A l'extrémité, il avoit du dépit de ce que ses camarades de chez M. de Longueville ne lui venoient point dire adieu; il ôte son bonnet, et parlant comme s'ils eussent été présents: «Adieu, dit-il, monsieur de Plenoches, adieu monsieur Farsau, adieu celui-ci, celui-là; vous êtes de braves gens de n'avoir pas manqué à rendre ce dernier devoir à votre pauvre camarade.» On dit que sa mine étoit fort plaisante, et qu'il ne rioit jamais. Un jour qu'on parloit de je ne sais quelle antiquaille, M. de Longueville lui dit: «Cela est tout autrement beau à voir à Rome; c'est une honte que vous ne l'ayez point vu.» On fut quatre mois sans entendre parler de Ruqueville. Enfin il revint. «Eh! d'où venez-vous?--Je viens de Rome, dit-il.--Et y avez-vous été long-temps?--J'y ai dîné, et, après avoir vu ce que vous m'aviez dit, je suis remonté à cheval.» A l'article de la mort, il envoya quérir l'argentier de M. de Longueville et lui dit: «Monsieur un tel, je vous lègue cinq cents écus.» L'autre le remercia. Mais quand ce vint après sa mort à lire le testament, on trouva l'article ainsi couché: «_Item_, je lègue à.... les cinq cents écus qu'il m'a volés sur les commissions qu'il a faites pour moi.» LE PAGE ET SES DEUX FEMMES. Le Page étoit un homme bien fait, mais de bas lieu: son père étoit sergent à Châlons. A son _avènement_ à Paris, il épousa une laide femme, parce qu'elle avoit quatre mille livres en mariage. Il fit fortune dans l'extraordinaire de la guerre, et, las de sa femme, qui étoit une vraie harangère et jalouse par-dessus tout cela, il couroit un peu l'aiguillette. Un jour qu'il dînoit en ville, elle voulut savoir du cocher où son maître étoit demeuré. Le cocher avoit peut-être bu, ou bien il n'en faisoit pas grand cas, à l'imitation de son maître, de sorte qu'elle lui ayant dit des injures, il lui donna des coups de fourche. Le cocher en eut le fouet par la main du bourreau. Je me souviens que le _peuple bariolé_[450] pensa faire désordre, et disoit tout haut que les valets n'avoient que faire de souffrir de la jalousie des femmes de leurs maîtres. Ces coups de fourche ne la rendirent pas plus sage. Une autre fois elle pensa surprendre son mari à Bagnolet avec des gourgandines, et il n'eut que le loisir de remonter en carrosse. Elle crioit: «Le voilà le _ruffien_[451] qui se sauve avec ses g.....! le voilà.» Un jour qu'il traitoit des gens chez lui, elle gronda tout le matin, puis ne voulut pas se mettre à table, c'étoit un jour maigre. On lui envoya une hure de saumon: elle jeta le plat par la fenêtre, qui, dit-on, alla coiffer un homme dans la rue. Enfin le bon Dieu l'en délivra; mais le pauvre homme ne se souvint pas du conseil de saint Paul, car il reprit une autre femme qui lui a bien fait voir du pays. [450] _Peuple bariolé._ Cette expression n'est expliquée ni dans Trévoux, ni dans Nicot, ni dans Richelet. On pense qu'elle signifie _le menu peuple_. Sous Henri IV, Louis XIII et la minorité de Louis XIV, tous les hommes étoient vêtus de noir ou de gris, il n'y avoit que le peuple qui portât des vêtements de toutes les couleurs. C'est vraisemblablement de cet usage qu'est empruntée cette expression pittoresque. [451] Le _débauché_, de l'italien _ruffiano_. Il devint amoureux de mademoiselle de La Roche-Posay, cadette de celle que le cardinal de Richelieu avoit fait épouser à Sabattier. D'Émery fit ce qu'il put pour empêcher Le Page d'épouser cette belle[452]; mais il lui dit: «Hé! monsieur, laissez-moi avoir un ange: n'ai-je pas eu assez long-temps un diable?» [452] Elle est petite, mais elle étoit jolie et vive. (T.) Or, vous allez voir quel ange c'étoit. Elle étoit un peu parente du feu cardinal, et on disoit même qu'il avoit couché autrefois avec la mère. A propos du cardinal, on dit qu'un jour qu'elle étoit conviée chez lui à une assemblée, elle prit un remède pour avoir le teint plus beau; mais ce remède opéra si tard qu'elle alla au Palais-Cardinal lorsque personne n'y entroit plus. Elle étoit engagée[453] jusqu'aux yeux, tant elle avoit fait de dépense. Celui dont on avoit le plus médit avec elle étoit un petit abbé de Sasilly qui avoit des rubans de couleur; on dit qu'ils furent une fois huit jours dans une hôtellerie, sur le chemin de Poitiers. Je vous laisse à penser ce qu'ils faisoient. Voilà l'ange de M. Le Page. Elle ne fut pas plus tôt mariée qu'elle lui fit prendre une maison de quatre mille cinq cents livres de loyer; le reste alloit à proportion: elle lui fit acheter une belle terre en Poitou appelée Saint-Loup: pensez que ce fut sous son nom. Tous les jours on demandoit au mari: «Où est madame de Saint-Loup?» M. de Schomberg s'y attacha. Bautru disoit: «Je ne m'étonne pas qu'il l'aime, son nom a des charmes pour lui; elle s'appelle madame Le Page.» On a un peu accusé M. de Schomberg d'aimer les ragoûts de delà les monts. Quand on traitoit le mariage de madame d'Hautefort et de lui, cette pauvre madame de Saint-Loup fut toute une après-dinée chez Maurice le parfumeur, d'où elle voyoit tout ce qui entroit et sortoit de l'hôtel de Schomberg, et elle appela l'un après l'autre, tant elle étoit en inquiétude, tous les gentilshommes du maréchal. [453] C'est-à-dire obérée. Elle s'éprit peu de temps après de M. de Candale, qui valoit bien pour le moins ce qu'elle perdoit, et, pour le voir plus facilement, elle fit changer de quartier à son mari, et s'approcha le plus qu'elle put de la rue Plâtrière, où est l'hôtel d'Epernon[454]. La veille de Pâques fleuries, elle, M. de Candale, la comtesse de Fiesque[455], le marquis de La Vieuville, mademoiselle d'Outrelaise[456], parente de Fiesque, et le marquis d'Alluye furent manger du jambon, un matin, aux Tuileries. On en fit un vaudeville appelé un _Pour et contre_. Comtesse, dans les Tuileries Vous avez mangé du jambon La veille de Pâques fleuries; Mais ce n'étoit pas la saison. Toutefois, dans cette rencontre, Le comte est pour, la mère contre[457]. [454] L'hôtel d'Épernon, acheté par d'Hervart, contrôleur-général des finances, fut par lui rebâti presque en entier. Acquis par M. d'Armenonville, il portoit son nom, quand il fut acheté, en 1757, pour y établir le bureau des postes. (Voyez les _Recherches sur Paris_, par Jaillot, t. 2, _Quartier Saint-Eustache_, p. 42.) [455] Gilonne d'Harcourt, femme de Charles-Léon, comte de Fiesque, amie de madame de Sévigné. On l'appeloit _la comtesse_. [456] Mademoiselle d'Outrelaise, l'amie de madame de Frontenac, demeuroit avec elle à l'Arsenal. On les appeloit _les Divines_; c'étoient des personnes qui donnoient le ton, et dont il falloit avoir l'approbation. (_Mémoires du duc de Saint-Simon_, t. 2, p. 209, édition de 1829.) [457] Le comte de Fiesque en rit, sa mère en gronda. (T.) Madame de Rohan-Chabot rompit avec madame de Saint-Loup, disant qu'elle menoit une vie trop scandaleuse. Cependant, tandis que le chevalier de Chabot vivoit, madame de Saint-Loup étoit l'amie du cœur; mais à cette heure on n'avoit plus besoin d'une femme qui lui donnât de quoi subsister. Elle donnoit au chevalier ce qu'elle tiroit du maréchal. Bien d'autres que M. de Candale en tâtoient; mais elle a fait bien de la vanité de l'avoir retenu près de six ans. Un jour qu'elle étoit avec Vardes, le bonhomme Sennectère la vint prendre, et dit: «Monsieur, avec votre permission, j'ai un mot à dire à madame;» et il la mène dans une garde-robe: à un quart-d'heure de là il la lui rend. Vardes eut envie de quelque chose: il trouva les pistes du bonhomme. Elle n'avoit pas eu le loisir d'y mettre ordre. «Ah! madame, lui dit-il, vous jouez donc de ces esteufs-là?» Il l'alla conter partout. Regardez si cela n'est pas honorable au bonhomme, il avoit soixante-douze ans, de venir à cet âge-là ôter une dame à un godulereau.... Depuis on lui dit, un peu avant qu'il se fût remarié: «Monsieur, ne voyez-vous plus madame de Saint-Loup?--Voulez-vous que je vous die, répondit-il, je suis trop vieux pour aller à la brèche.» C'est qu'elle étoit brèche-dent depuis quelque temps. Cependant regardez quel abus: la Reine souffrit que madame de Saint-Loup entrât dans son carrosse en allant de Saumur à Tours; c'étoit en 1652. Le Page a eu bien du désordre dans ses affaires; je crois que cela ne va pas trop bien. Sa femme, depuis qu'elle est dévote, car il faut bien se donner à Dieu quand le monde ne veut plus de nous, elle se fait appeler par humilité madame Le Page. Voici comme cela lui prit. Il y a deux ans qu'elle s'avisa de dire qu'elle se sentoit appelée à se convertir, et quelque temps après elle fit cette fable: «La nuit, disoit-elle, je sentis tirer mon rideau, je m'éveille, je n'entends plus rien; je crus qu'on avoit oublié de le fermer, je le ferme et me rendors une seconde fois: je l'entends encore tirer, je le referme et me rendors encore. (Voyez quel courage!) Quelque temps après la même chose arrive, et je sens une douleur effroyable; je m'écrie; on vient; je me fais apporter de la lumière, je regarde à ma main, j'y trouve une croix rouge la mieux empreinte du monde, auprès de laquelle il y a comme des marques de clous.» Elle montre cette croix à ses amis, et aux autres elle dit qu'elle a du mal à la main, et y porte un emplâtre. L'abbé de La Victoire dit que c'est la fleur de lys de paradis, et que si elle retourne à sa première vie, elle sera pendue. Ce qu'il dit a du brillant, mais il ne le faut pas examiner de trop près. Nonobstant cette sainte aventure, elle alla trois jours après à la comédie. Depuis quelque temps elle ne montre plus cette croix qu'on ne lui donne pour les pauvres[458]. [458] Ce prétendu miracle a bien l'air d'être une imitation des mots mystérieux que l'on assuroit avoir été miraculeusement gravés sur la main de la mère des Anges, supérieure des religieuses ursulines de Loudun. Avant Tallemant, le conte ridicule de la croix de madame de Saint-Loup avoit été rapporté par Gourville, dont nous empruntons le passage suivant: «A mon retour de Guyenne, dit-il, j'allai voir madame de Saint-Loup: je trouvai sa tapisserie couverte de petits cadres où il y avoit des sentences et des dictums pleins de dévotion, avec un assez gros chapelet qui pendoit sur son écran. Elle me dit qu'elle avoit bien prié Dieu pour moi, et qu'elle souhaitoit fort que je fisse mon profit de ce qui lui étoit arrivé, comme avoit fait M. de Langlade: je la remerciai de ses vœux et de ses prières, ne me trouvant pas encore touché; mais quand l'heure du dîner fut venue, je le fus encore moins, quand je vis servir deux potages, l'un à la viande pour eux, et un maigre pour moi, me disant qu'ils avoient été bien fâchés de rompre le carême à cause de leurs indispositions. On ôta les potages, et on servit une poularde devant eux, avec un petit morceau de morue pour moi. Madame de Saint-Loup, voyant que je la regardois, me dit qu'elle auroit mieux aimé manger ma morue que sa poularde; M. de Langlade citoit à tous propos saint Augustin: elle le faisoit souvenir des passages de ce saint, et tous deux me jetoient de temps en temps quelques propos de dévotion... Force gens étoient curieux d'aller voir cette croix. Souvent madame de Saint-Loup, la montrant, leur demandoit quelque chose pour les pauvres... Le temps qui s'étoit écoulé avoit effacé la croix; mais ce qu'on aura peine à croire, c'est qu'elle supposa que, par un autre miracle, la croix avoit été renouvelée. Elle disoit qu'étant aux Pères de l'Oratoire fort attentive, comme on levoit le Saint-Sacrement, elle avoit encore senti à sa main, qui étoit gantée, la même chose que la première fois, et qu'ayant ôté son gant, elle avoit trouvé la croix très-bien refaite. Mon étonnement augmenta beaucoup; mais M. de Langlade parut si persuadé de ce second miracle, qu'il l'attestoit avec des serments effroyables, etc.» (_Mémoires de Gourville_, 1782, t. 1, p. 184, et dans la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, t. 52, p. 305.) On m'a conté que je ne sais quelle prude disoit un jour, en présence de madame Le Page, qu'elle alloit retirer deux de ses filles de religion. «Ah! Jésus! lui dit-elle, madame, gardez-vous-en bien: le monde est plein de mauvais exemples. Pour moi, j'y laisserai les miennes.--Ah! madame, reprit l'autre, c'est selon l'éducation et les exemples qu'on leur donne.» LE VICOMTE DE LAVEDAN, DEPUIS LE MARQUIS DE MALAUSE. Le vicomte de Lavedan[459] se donna à Monsieur, aujourd'hui M. d'Orléans; il fut amoureux de madame de La Maisonfort, et il tint à peu qu'il ne la fît demander. Depuis il eut inclination pour une de ses cousines germaines, fille de madame la marquise de Kerveno, sa tante. Comme il étoit fils unique, on pensa à le marier de bonne heure: on lui proposa en Languedoc, son pays, plusieurs partis, entre autres l'héritière de Rieux, qui avoit de grandes et belles terres proches des siennes. Il la voulut voir, et alla incognito à Toulouse, ayant fait habiller un des siens en seigneur anglois; mais il fut bientôt reconnu. Il ne put se résoudre à l'aimer, et soupiroit toujours après sa Bretonne: c'est ainsi qu'il appeloit mademoiselle de Kerveno, qui effectivement étoit Bretonne. Son père et sa mère, voyant qu'il n'en vouloit point d'autre, consentirent qu'il la demandât en mariage. En ce temps-là le marquis d'Asserac la recherchoit, et l'affaire étoit fort avancée. Cette fille, qui connoissoit fort Le Pailleur[460], car la maréchale de Thémines étoit la bonne amie de sa mère, le pria de lui faire son horoscope. Le Pailleur feignit de faire sa figure, et, au plus loin de sa pensée, lui dit qu'elle épouseroit un homme brun, or Asserac étoit blond, et qu'un jour elle feroit galanterie avec un homme d'Eglise. On fait la proposition de Lavedan; voilà madame de Kerveno[461] bien empêchée; elle va à la maréchale: «Ma bonne, conseillez-moi.» Le Pailleur, qui s'y trouva, dit qu'il n'y avoit pas à hésiter, qu'Asserac étoit de religion et de même pays, et que leurs terres étoient voisines. Elle part résolue de la donner au blond, et le lendemain l'affaire étoit conclue avec le brun. La Chalais, qui étoit lors auprès d'elle, ayant été gagnée, lui avoit tourné l'esprit. On dit que madame de Kerveno, en bonne tante, lui avoit dit qu'elle ne lui conseilloit pas de prendre sa fille, que c'étoit un esprit altier et hardi qui lui donneroit bien de l'exercice: nonobstant cet avertissement, il passa outre[462]. [459] Louis de Bourbon, marquis de Malause, vicomte de Lavedan, mourut le 1er septembre 1667. [460] On a vu déjà l'Historiette de Le Pailleur. [461] Marie de Lannoy La Boissière, marquise de Kerveno. [462] Le vicomte de Lavedan épousa Charlotte de Kerveno, en l'église de Saint-Sulpice de Paris, le 22 avril 1638. (_Voyez_ le P. Anselme, t. 1, p. 371.) Ils passèrent un an ou deux dans la plus grande intelligence du monde; elle alloit à la chasse avec lui, et ils n'étoient jamais l'un sans l'autre. Au bout de ce temps elle commença à n'être pas bien avec sa belle-mère[463]; elles étoient toutes deux impérieuses; la belle-mère vouloit tout gouverner à l'ordinaire, et l'autre eût bien voulu être la maîtresse. Enfin la mère donna à entendre à son fils qu'il feroit bien de se retirer avec sa femme à Miramont, l'une des terres qu'on lui avoit données en mariage. Ce fut là que la désunion commença entre le mari et la femme: elle devint jalouse d'une de ses demoiselles; la fille fut renvoyée. Celle qu'on mit en sa place, et qui passoit pour une sainte, fut soupçonnée de grossesse, et on la congédia comme l'autre. [463] Marie de Chalon, dame de La Case, femme de Henri de Bourbon, marquis de Malause, filleul de Henri IV. Quelque temps après ils retournèrent chez le père, parce que madame de Malause étoit morte. Le comte parla de faire un voyage à Paris, et elle, qui ne demandoit pas mieux que d'aller à la cour, le voulut accompagner. Pour s'en défaire, il lui fit trouver bon de le laisser partir devant, et lui promit de l'envoyer quérir; mais il n'en fit rien, s'amusa à faire l'amour[464], et remettoit de mois en mois à revenir. Elle savoit toute chose et s'en plaignoit hautement. Enfin elle changea de langage, et commença à dire qu'elle étoit bien aise qu'il fût à Paris, puisqu'il s'y plaisoit tant: dès-lors on eut soupçon qu'elle se vengoit avec un nommé Mongé, un homme d'affaires qui étoit à son mari, mais qui n'avoit rien d'aimable. Il est constant que cet homme passoit des cinq et six heures avec elle, sous prétexte de parler d'affaires. Depuis, allant à quelqu'une de ses terres, elle passa par Alby et eut curiosité de voir l'église cathédrale, qui est une des plus belles de France, bâtie par le cardinal d'Amboise. M. d'Alby, de la maison Du Lude, prélat jeune et bien fait, la retint quelques jours et la traita magnifiquement. Je ne sais si ce fut la prophétie de Le Pailleur, car elle avoit été étonnée de ce qu'il lui avoit prédit, ou autre chose, mais elle écouta les cajoleries de l'évêque, et quand elle fut de retour chez elle, il lui alla rendre visite. Les domestiques remarquèrent qu'un peu auparavant elle avoit changé d'appartement, et s'étoit logée en un endroit d'où elle pouvoit, sans être aperçue, aller à l'appartement qu'elle fit donner à M. d'Alby. Ce ne fut pas la seule visite qu'il lui fit, et le bonhomme le recevoit d'aussi bon cœur que sa belle-fille; car de tout temps elle avoit fort dorloté le beau-père, jusqu'à se jeter à son cou, lui embrasser les genoux et lui baiser les mains. Avec ces caresses, elle l'avoit gagné entièrement, et elle étoit capable de lui persuader tout ce qu'elle eût voulu: il y avoit même des gens malpensants qui en médisoient, à cause que ce bonhomme avoit fort aimé les femmes; mais il avoit quatre-vingts ans. [464] Le marquis de Malause eut en effet, vers cette époque, un enfant naturel qui fut appelé Louis, bâtard de Bourbon-Malause, né de Françoise de Birgand, et qui fut baptisé à Saint-Sulpice de Paris le 17 février 1641. (_Voyez_ le P. Anselme.) Cependant les visites du prélat scandalisoient toute la maison, qui étoit tout huguenote. Le vicomte, qui s'amusoit à Paris, fut averti de ce qui se passoit, et revint bientôt chez lui: elle affecta de ne s'y point trouver, pour lui faire voir qu'elle ne se tourmentoit guère de lui: néanmoins, dès qu'elle sut son arrivée, elle partit en diligence de Castres, où elle étoit, pour le venir trouver; mais ils ne furent jamais bien ensemble. Elle, qui se sentoit peut-être coupable, fit d'abord dessein de se séparer d'avec lui, s'il se pouvoit. Pour en venir à bout, voici comme elle s'y prit. Elle écrit à la cour que le marquis de Malause avoit assez de pente à se faire catholique; qu'elle l'avoit presque gagné, mais que le vicomte, son fils, s'y opposoit fortement, jusqu'à la quereller sans cesse depuis qu'elle avoit fait un si louable dessein. Elle écrivit plusieurs lettres, par lesquelles elle faisoit toujours espérer la conversion de son beau-père. Elle s'imaginoit que soit qu'elle réussît ou non, si son mari venoit à la maltraiter tant soit peu, ce lui seroit un prétexte pour le quitter, et s'en aller à la cour, où elle croyoit qu'on la recevroit à bras ouverts. Quelque temps après le mari étant allé en Auvergne à quelqu'une de ses terres, elle persuada au bonhomme d'aller se promener à une maison qu'il avoit auprès d'Alby. Aussitôt voilà tout le pays d'alentour, qui étoit tout huguenot, fort alarmé, et il courut un bruit qu'elle vouloit enlever le marquis pour le faire changer de religion. Le jour qu'ils devoient partir, les gentilshommes et les ministres du voisinage se rendirent à La Case, séjour ordinaire du marquis, résolus d'empêcher ce voyage jusqu'au retour du vicomte. Elle tâcha de leur ôter le soupçon qu'ils avoient, et le bonhomme, qui étoit assez grossier, mais franc et résolu, et qui jusqu'alors avoit fait profession de dire tout ce qu'il pensoit, leur représenta en son patois, car il n'avoit pu parler autre langage que le gascon, que s'il avoit envie de changer de religion, personne ne l'en empêcheroit, et qu'il le pouvoit faire aussi bien et mieux chez lui qu'ailleurs, puisqu'il y étoit le maître; mais qu'il n'y avoit point d'apparence qu'il s'avisât de cela en sa vieillesse, sans nécessité et sans profit, lui qui ne l'avoit pas fait lorsqu'on lui faisoit espérer un bâton de maréchal[465]; qu'il lui importoit de faire ce voyage pour désabuser le monde; qu'autrement on alloit dire qu'il étoit tombé en enfance, quoiqu'il eût aussi bon sens que jamais. Il dupa ainsi les gentilshommes et les ministres. On remarqua pourtant qu'il pleura aux exhortations que lui fit un de ses plus anciens domestiques. Il part, et ne fut pas plus tôt à cette maison que l'évêque s'y rendit, et là il fit abjuration[466]; après cela il s'en alla à Malause, qui est en Guienne, et là il mourut quelque temps après de mort soudaine[467]. [465] Il est descendu d'un bâtard de Bourbon; c'étoit un fort grand seigneur. (T.)--Henri de Bourbon-Malause, descendu de Charles, bâtard de Bourbon, fils de Jean, deuxième du nom, duc de Bourbon et d'Auvergne, fait connétable le 23 octobre 1483, mort le 1er août 1488. (_Voyez_ le P. Anselme, t. 1, p. 311.) [466] Il abjura dans l'église de Las-Graisses, l'une de ses terres, à deux lieues d'Alby, le 3 octobre 1647. (_Voyez_ le P. Anselme, audit lieu.) [467] Suivant le Père Anselme, il seroit mort au château de Sanche-Marans, en Quercy, le 31 décembre 1647. Elle, l'ayant accompagné jusque là, prit le chemin de la cour; mais le marquis, de retour d'Auvergne, avoit informé la Reine, M. d'Orléans et les parents de sa femme, de la vérité. Sa mère ni le comte de Lannoy, son oncle, ne la voulurent point voir, et la Reine lui dit qu'elle étoit trop honnête femme pour vouloir vivre séparée de son mari ailleurs que dans un couvent, et que la bienséance ne permettoit pas qu'elle demeurât à la cour. Elle, qui n'avoit pas remué tant de choses pour s'enfermer dans une religion, et qui se voyoit rebutée de ses proches, par leur ordre, et ne sachant où se retirer, s'en alla à Miramont; mais celui qui étoit dans le château avoit ordre de lui en refuser l'entrée, et elle fut contrainte de se retirer chez un gentilhomme jusqu'à ce que, par les prières de madame de Kerveno, le mari se résolut à la voir. Il la vit donc, mais avec beaucoup de froideur, et, la laissant dans Miramont, il donna ordre qu'elle ne manquât de rien, mais qu'on ne souffrît pas que personne la vît. Aussi elle étoit comme prisonnière dans cette solitude, où elle se nourrissoit bien, et ne faisoit point d'exercice; elle devint prodigieusement grasse, et un homme prédit qu'elle crèveroit de santé. En effet, cela lui augmenta le mal de mère[468], auquel elle étoit sujette, et qui lui donnoit d'étranges convulsions. Comme ses accès étoient quelquefois très-violents, et qu'il sembloit qu'elle allât mourir, on le fit savoir à son mari, qui se rendit aussitôt à Miramont: elle le reçut avec toutes les caresses et toutes les cajoleries imaginables, mais il demeura toujours froid et insensible. Ils soupèrent ensemble, mais il ne voulut point coucher avec elle, de peur peut-être de la guérir; et la rage de se voir ainsi méprisée augmenta son mal de telle sorte, qu'elle en mourut la nuit même. [468] Des suffocations hystériques. (Voyez le _Dictionnaire de Trévoux_.) Quelques-uns ont voulu dire qu'elle avoit été empoisonnée; mais les moines mêmes qui l'ont assistée, et qui l'ont vue mourante et morte, justifièrent le mari; aussi madame de Kerveno ni les autres parents ne l'en ont jamais soupçonné, et ont vécu avec lui comme devant. Les enfants de cette femme moururent un peu après que la sœur de leur mère, qui étoit religieuse, eut fait profession; de sorte que tout le bien de madame de Kerveno va aux enfants de la princesse d'Harcourt. Le marquis de Malause épousa depuis une Duras[469], nièce de M. de Turenne. [469] Il épousa, en secondes noces, en 1653, Henriette de Durfort, fille de Guy-Aldonce de Durfort et d'Élisabeth de La Tour de Bouillon. DE NIERT, LAMBERT ET HILAIRE. De Niert, car c'est ainsi qu'il se nomme[470], quoique tout le monde die _Denière_ ou _Denièle_, est de Bayonne: il dit que son grand-père, étant maire du temps de la Saint-Barthélemy, empêcha qu'on ne fît le massacre dans Bayonne. Il s'adonna dès sa jeunesse à la musique: M. de Créquy le prit en qualité de suivant. Il a toujours chanté, de façon qu'on ne pouvoit pas dire qu'il fît le chanteur. M. de Créquy le traitoit fort bien, et ne lui disoit jamais _chantez_, ni le menoit en aucun lieu en lui disant que c'étoit pour chanter; mais De Niert lui disoit: «Monsieur, porterai-je mon théorbe[471]?--Ce que tu voudras,» répondoit M. de Créquy. [470] Il se nommoit Pierre Denyert, et il étoit premier valet-de-chambre du Roi. (_Quittance de deux cents livres tournois pour son habit de deuil, à cause de la mort de la duchesse de Parme, passée devant notaire le 29 août 1663._ Cabinet de M. Monmerqué.) [471] On disoit _téorbe_, _théorbe_ et _tuorbe_. Cet instrument avoit remplacé le luth. (_Dict. de Trévoux._) Je crois que De Niert fut amoureux autrefois de madame Aubry, qui chantoit fort bien; mais malgré tout cela, parce qu'elle avoit fait venir l'ambassadeur de Venise à un souper où il avoit promis de chanter devant le marquis de Pompéo Frangipani, il n'y voulut jamais aller, et elle eut bien de la peine à faire la paix. Quand M. de Créquy fut à Rome pour l'ambassade d'obédience[472] du feu Roi, De Niert prit ce que les Italiens avoient de bon dans leur manière de chanter, et le mêlant avec ce que notre manière avoit aussi de bon, il fit cette nouvelle méthode de chanter que Lambert pratique aujourd'hui, et à laquelle peut-être il a ajouté quelque chose. Avant eux on ne savoit guère ce que c'étoit que de prononcer bien les paroles. Au retour, le feu Roi le voulut voir; M. de Créquy ne laissa pas de lui continuer les mêmes appointements: le feu Roi lui donna la place de premier valet de garde-robe, à la charge de donner douze mille livres de récompense. Il n'avoit pas un sou; mais il étoit en bonne réputation, et on voyoit bien que le Roi l'affectionnoit: il trouva cent mille écus avant que de sortir de la chambre de Sa Majesté; de là il alla dans la chambre de la Reine, où il dit le don que le Roi lui venoit de faire: «Mais, ajouta-t-il, je suis bien empêché, car il me faut trouver quatre mille écus.» [472] Cette expression doit être prise uniquement dans le sens de la soumission à l'autorité spirituelle. Salvaing de Boissieu, lieutenant-général de Grenoble, accompagna M. de Créquy, en qualité d'_orateur de Sa Majesté très-chrétienne_. On lit un extrait de sa harangue dans l'Histoire de Louis XIII, par Levassor (t. 4, p. 332, édition de 1757, in-4º). Cette ambassade, dont le but étoit d'amener le pape à entrer dans une ligue contre la maison d'Autriche, eut lieu en 1633. Une jeune veuve, femme-de-chambre de la Reine, lui offrit de la meilleure grâce du monde de les lui prêter. Cela le charma, et dans ce moment il en devint amoureux. C'étoit la fille d'un ministre de Languedoc que l'on avoit convertie; je crois que ce fut elle qui appela la Reine _Siresse_. Il en fut amoureux douze ans. Cet amour a furieusement nui à De Niert, car le feu Roi, qui haïssoit la Reine, et qui ne vouloit pas qu'il y eût aucune correspondance entre ses gens et ceux de sa femme, n'approuvoit nullement cette affection, et il eût fait sans cela tout autre chose pour notre homme qu'il ne fît. Il lui disoit: «Vous n'attendez que ma mort pour vous marier.» Quand le cardinal de Richelieu, qui vouloit que les officiers qui approchoient le Roi de fort près ne lui voulussent point de mal, fit faire compliment à De Niert sur cette charge, De Niert le dit au Roi, et lui demanda s'il ne trouveroit pas bon qu'il en remerciât le cardinal; le Roi le lui permit. On ne sauroit croire combien il étoit chatouilleux pour les charges de sa maison; il ne vouloit pas souffrir que le cardinal s'en mêlât. Durant la grande faveur de M. le Grand, tous les premiers valets-de-chambre et tous les premiers valets de garde-robe étoient comme de petits favoris. Le feu Roi mort, De Niert épouse cette femme. Elle est adroite et même un peu _escroque_, s'il faut ainsi dire, car elle n'a jamais rien perdu faute de demander, et elle a obligé parfois telles gens à lui donner qui n'en avoient nullement envie; d'ailleurs elle est fort avare; lui est prodigue; elle l'appelle _Panier percé_, et le _ragote_[473] sans cesse sur sa dépense. Il dit qu'une fois elle voulut avoir un carrosse: la nuit elle entendoit du bruit dans l'écurie; elle réveille son mari. «Ce sont, lui dit-il, les chevaux qui mangent.--Quoi, reprit-elle, nourrir des animaux qui mangent la nuit! Dieu m'en garde!» Elle les vendit dès le lendemain. [473] _Ragoter_, gronder, grogner. Expression triviale et populaire. (_Dict. de Trévoux._) Lui et sa femme se tourmentèrent tant qu'ils obtinrent pour leur fils, qui est le seul qu'il aient, la survivance de cette charge de premier valet de garde-robe. Le Roi témoigna assez de bonté en cette rencontre, car il se mit à genoux afin que cet enfant, qui n'avoit que cinq ans, lui pût donner sa chemise pour entrer en possession. Le pauvre De Niert pleuroit de joie quand il racontoit cela: depuis il fut fait premier valet-de-chambre, et, l'année passée, comme sa femme poursuivoit chaudement la survivance, le Roi lui dit: «Qui te donneroit quatre doigts de parchemin te feroit bien aise?--En vérité, oui, Sire, dit-elle.--Eh bien, ajouta le Roi en riant, ce sera dans douze ans.» Le cardinal la trouva ensuite à la messe, et lui dit: «Que demandes-tu encore à Dieu? ta chienne[474] est retrouvée et ton fils a la survivance.» Elle lui sauta au cou tout devant la Reine, en lui disant: «Madame, excusez, s'il vous plaît, mon transport.» [474] Elle en avoit une qu'elle aimoit fort. (T.) Lambert[475] est de Champigny; il étoit enfant de chœur à Champigny même où il y a une sainte chapelle, quand Moulinié, qui étoit maître de la musique de Monsieur, le prit et le fit page de la musique de la chambre de Monsieur. Lambert, ayant quitté les couleurs, se trouva un tel génie pour la belle manière de chanter, que De Niert, en peu de temps, n'eut plus rien à lui montrer. Ni l'un ni l'autre ne sont de ces belles voix, mais la méthode fait tout. [475] Michel Lambert, suivant les biographes qui ont copié Titon Du Tillet (_Parnasse françois_; Paris, 1732, in-folio, p. 390), naquit en 1610 à Vivonne en Poitou. Il mourut en 1696. Tallemant le fait naître à Champigny en Touraine; il y avoit un beau château qui appartenoit à mademoiselle de Montpensier. La sainte chapelle, dont les vitraux représentoient la vie de saint Louis, étoit de l'architecture la plus élégante. Lambert étudia soigneusement et à composer et à exécuter, et encore présentement[476] il chante tous les matins pour lui-même, afin de se perfectionner d'autant plus. Un de ses chagrins, à ce qu'il dit, c'est de ne pouvoir laisser par écrit sa science, car tout cela dépend de la manière qu'on ne sauroit exprimer. [476] Tallemant écrivoit ceci vers 1660. Lambert commença à montrer et à chanter dans les compagnies: on l'appeloit le petit Michel, le petit Maître, Champigny[477] et Lambert; de sorte qu'une fois il y eut une plaisante dispute. Quatre femmes un jour se pensèrent prendre aux cheveux; l'une soutenoit que Lambert chantoit mieux que personne. «Voire, dit l'autre, c'est le _petit Michel_.--Vous vous trompez, dit une troisième, c'est le _petit Maître_.--Vraiment, vous vous y entendez toutes, dit la dernière, c'est _Champigny_ qui est le plus estimé de tous.» Ce n'est pas que Lambert ne grimace horriblement, et qu'il ne soit effroyable à voir en cet état, car même il est fort vilain quand il ne grimace pas. Il n'y a que lui qui montre bien, et les écolières des autres ne sont rien au prix des siennes. Si Dieu avoit voulu que c'eût été un homme plus régulier, il y auroit un grand nombre de personnes qui chanteroient bien; mais, quoiqu'il ne soit point débauché, il est si peu exact, que c'est quasi peine perdue que de s'y amuser. Il n'est point intéressé, et n'a jusqu'ici guère songé à sa fortune; s'il avoit voulu, il iroit à cette heure en carrosse. [477] Cette circonstance rend vraisemblable ce que dit Tallemant sur le lieu d'origine de Lambert. Il étoit toujours de çà et de là en parties où il ne gagnoit rien, et comme il promettoit à tout le monde, il manquoit aussi à tout le monde[478]. Une fois, je ne sais quel homme de la cour qui s'étoit vanté de le faire entendre à une dame, voyant que Lambert lui avoit manqué trois jours de suite, l'attendit long-temps dans le Luxembourg pour le battre; mais par bonheur, il ne le trouva pas. [478] Si Boileau n'avoit voulu, avant tout, donner à son amphitryon de la satire du Festin le caractère d'un hâbleur, on pourroit croire que c'est cette inexactitude de Lambert qui lui a fait dire: Molière avec Tartuffe y doit jouer son rôle, Et Lambert, qui plus est, m'a donné sa parole. C'est tout dire en un mot, et vous le connoissez. --Quoi! Lambert?--Oui, Lambert.--A demain. C'est assez. (_Satire_ IIIe.) Lambert fit connoissance avec la fille de Bel-Air[479] qui avoit la voix fort belle et qui étoit assez jolie: il se mit à lui montrer, et en lui montrant, il en devint amoureux, car il est d'assez amoureuse manière: il s'y engagea si avant qu'il lui promit de l'épouser, et en parla publiquement; ils furent même accordés, mais il ne concluoit point. Enfin la mère de la fille, comme voisine de madame d'Aiguillon, alla se plaindre à elle; madame d'Aiguillon en parle au cardinal, qui lui dit: «Laissez-moi faire.» Sur l'heure, il envoie chercher Desmarets, et lui dit de faire un dialogue sur telle chose; le dialogue fait, il l'envoie à Lambert pour y faire un air, car Lambert compose bien. On le fait apprendre à Lambert et à sa maîtresse, et après cela on les fit venir à Ruel, où madame d'Aiguillon se trouva. Voici le dialogue: TIRCIS. Philis, j'arrête enfin mon humeur vagabonde. PHILIS. Trop volage Tircis, pourquoi me fuyois-tu? TIRCIS. C'étoit pour dire à tout le monde Que rien n'égale ta vertu. PHILIS. Oh! l'excuse légère D'un esprit trop léger! TIRCIS. Pardonne, ma bergère, Pardonne à ton berger. TOUS DEUX. Aimons-nous désormais, Aimons-nous pour jamais. [479] A l'Historiette de Bensserade, il est parlé du père de cette fille. (T.) Le cardinal les fit marier; mais il ne leur donna rien: il perdit là une belle occasion; il n'a jamais rien fait pour eux. Tant pis pour lui[480]. [480] Cette anecdote peut servir de pendant à la dure _négation_ du cardinal de Richelieu, en réponse au beau sonnet que chacun sait par cœur, et qui commence par ces vers: Armand, l'âge affoiblit mes yeux, Et toute ma chaleur me quitte, etc. La femme de Lambert étoit assez enjouée. Je ne sais si cela lui déplut ou s'il crut avoir été attrapé; mais, quoi qu'il en soit, il ne la traita point bien. Elle s'en plaignit au bonhomme Le Pailleur, leur voisin, qui lui conseilla d'en parler à son père, à sa mère et à ses sœurs. «Dieu m'en garde! répondit-elle; ils se moqueroient de moi; car c'est moi toute seule qui l'ai voulu.» Le Pailleur en parla donc à Lambert, qui ne lui voulut jamais rien avouer. Le feu cardinal se divertissoit pourtant de Lambert. Un jour que notre Orphée s'étoit laissé entraîner dans une de ces caves de vin muscat, à la Croix du Tiroir[481], il en sortit la tête en compote, et en s'en retournant, il trouva Le Puis, son beau-père, qui lui dit qu'il le cherchoit, que le cardinal le demandoit, et qu'il y avoit un carrosse au logis qui attendoit il y avoit long-temps. Il fallut aller. Par bonheur pour lui, il y avoit ce jour-là deux comédies chez le cardinal, l'une françoise, l'autre italienne, durant lesquelles il dormit fort bien; on soupa: il n'avoit pas besoin de souper; il employa encore ce temps-là à dormir. Il étoit dix heures quand on le fit chanter: il n'eut jamais tant de voix. [481] C'est ce qu'on appelle _la Croix du Trahoir_; cette croix étoit placée au coin de la rue de l'Arbre-Sec et de la rue Saint-Honoré. L'orthographe de ce nom, de même que l'étymologie qui s'y rapporte, ont singulièrement varié. (Voyez les _Recherches sur Paris_, par Jaillot, t. 1, _quartier du Louvre_, p. 7.) Sa femme mourut de chagrin au bout de trois ou quatre ans de mariage: il en a eu une fille. Mademoiselle Lambert avoit une petite sœur: c'est Hilaire. De Niert, qui lui trouva beaucoup de dispositions, se mit à lui montrer, et elle réussît admirablement. Lambert, voyant cela, voulut avoir sa part de la gloire. De Niert se retira aussitôt: cela causa quelque petite froideur entre eux; depuis pourtant cela s'est raccommodé, et de Niert les va voir fort souvent: il prend grand plaisir à montrer quelque chose à cette fille. Comme la plupart des gens de musique sont bizarres, Lambert s'avisa de devenir amoureux de cette fille, parce que c'était la seule dont il ne le devoit pas être; sa beauté ne lui servoit point d'excuse, car elle n'est point jolie: il est vrai qu'elle ne fait pas peur; mais, ma foi, elle n'a rien de beau que la voix et les dents: c'est une fille fort raisonnable; et quand je considère les sottes gens avec qui elle a été nourrie, je m'étonne qu'elle ait l'esprit si bien fait. Cette amour l'a pensé faire enrager, car il a été un temps qu'il ne lui vouloit rien montrer qu'en particulier, et quand ils étoient tous deux tout seuls, il se mettoit à genoux, et lui disoit cent extravagances. Elle aimoit mieux ne rien apprendre; je dis _ne rien apprendre_, parce que ce n'est pas tout que d'avoir les airs notés, il faut que ce soit lui qui vous les montre, ou vous ne leur donnez pas la centième partie de l'agrément qu'il leur donne. Une fois il en vint jusqu'à faire détendre son lit pour quitter la maison du père d'Hilaire; après, il le fit retendre. Un jour il vouloit mettre sa fille en religion: «Vous ferez bien,» lui dit Hilaire. Aussitôt il ne le voulut plus. Quand il lui parloit de sa passion, elle lui disoit: «Que voulez-vous, vous êtes fou. Si j'étois capable de faire quelque sottise, vous m'en devriez empêcher.» Cela le mit en colère: il s'en va, et ni lui ni son valet ne venoient plus manger au logis. Cela l'ennuyoit furieusement, et il étoit bien embarrassé de sa colère; pour se raccrocher, il renvoya son valet prendre ses repas à l'ordinaire: il y revint lui-même bientôt après, et il disoit à tout le monde: «Ne croyez pas que j'en sois amoureux.» Et tout le monde le croyoit un peu plus fort. Lambert voulut penser à quelque charge de la musique: il se trouva si gueux qu'il en eut honte; cela lui servit à une chose. M. de Lisieux-Matignon aimoit fort à les entendre lui et Hilaire. Ils chantent des dialogues ensemble les plus agréables du monde. Il leur envoyoit tous les ans un carrosse pour aller le trouver à la campagne, et ne les renvoyoit point sans quelque présent. Un honnête homme, nommé M. Marchand, _custodi-nos_[482] du prince Eugène, car il a une sœur chez madame de Carignan, étoit aussi comme l'intendant de M. de Lisieux. [482] Le _custodi-nos_ étoit le titulaire d'un bénéfice; il prêtoit son nom à celui qui en étoit le véritable usufruitier. Cet homme s'affectionna à Hilaire; il aimoit aussi Lambert: il demanda si le père d'Hilaire le vouloit prendre en pension. On lui fait quitter le cabaret. Marchand est infirme, et passe une bonne partie de l'année au lit; il a fait du bien à toute la maison, car il fit donner une pension de mille livres à Lambert sur les bénéfices de M. de Lisieux. On eut bien de la peine à faire faire à notre homme ce qu'il falloit pour cela: c'est un petit esprit _de bois blanc_, comme disoit Le Pailleur. Il donna une prébende de Dreux de douze cents livres de rente au frère d'Hilaire, qui prit une des filles avec lui, et ils vivent là tous deux. Lambert avoit eu une pension de quatre cents écus du temps de M. d'Émery, à qui il en avoit l'obligation, et tout le monde est ravi de le faire payer de sa pension; aussi est-il assez reconnoissant. Marchand payoit gros, et faisoit valoir ce qu'Hilaire avoit pu amasser des présents qu'on lui faisoit et des ordonnances qu'elle avoit pour avoir chanté aux ballets du Roi. Hilaire avoit une sœur qu'elle a encore, qui est jalouse d'elle horriblement. Cette fille dit tant de sottises de Marchand et d'elle, que cet homme sortit de la maison. Enfin pourtant on l'y fit revenir, et Lambert, qui n'est plus amoureux, considérant que sa belle-sœur lui étoit nécessaire, qu'ils se faisoient valoir l'un l'autre, et aussi pour se délivrer des impertinences du père, de la mère et de cette belle-sœur, alla loger avec Hilaire, avec ce M. Marchand, auprès des Petits-Pères, où Hervault[483] les attira, et leur fait payer leurs pensions soigneusement, car Hilaire en a une aussi, si je ne me trompe: ils ont soin du bonhomme, de la bonne femme et de la sœur même; il est vrai que cette fille travaille. La fille de Lambert est assez jolie, danse bien, joue bien du clavecin, et Lambert dit qu'il lui trouve de la voix: elle aime sa tante tendrement, aussi lui a-t-elle bien de l'obligation[484]. M. de Langres a donné depuis peu un bénéfice de huit cents livres de rente à Lambert. [483] Ce nom est douteux. [484] Lulli épousa la fille de Lambert. (_Parnasse françois_ de Titon Du Tillet, p. 391 et 401.) LA GAILLONNET ET SA FILLE. Une lavandière de Paris avoit une jolie fille qu'elle vendit à un commandeur de Malte, qui l'entretint quelque temps; après, un nommé Gaillonnet[485], de l'extraordinaire des guerres, l'entretint et en eut une fille; et après, afin qu'il lui en coûtât moins, il y associa aussi un garçon de l'extraordinaire des guerres, appelé Marbault. Tous deux ensemble ils la marièrent à un nommé Chirat, qui avoit un frère procureur du roi du Châtelet. C'étoit un coquin que ce Chirat, qui n'ignoroit pas la vie de la demoiselle; cependant, comme il s'avisa de faire le fâcheux quelque temps après, sa femme et Gaillonnet le voulurent empoisonner. Il les accusa d'adultère et d'empoisonnement, et ils furent pris tous deux. L'affaire s'accommoda pour quinze mille livres, par l'avis du procureur du roi, et comme il n'y avoit point d'enfants, on les démaria par impuissance. Voilà Gaillonnet et Marbault en liberté; ils font une nouvelle société avec leur confrère Le Page[486], dont nous avons parlé ailleurs. Sa première femme, qui découvrit l'affaire, l'attendit une fois tout un jour dans une écurie pour le châtier, comme il alloit voir sa mignonne. Gaillonnet, qui avoit beaucoup donné à cette femme, et qui voyoit qu'elle avoit tiré de bonnes nippes de ses associés, pour jouir de ce bien-là, épousa la demoiselle. On mit sa fille sous le poêle, disant qu'il n'y avoit point eu de mariage avec Chirat. La fille étoit déjà grandette; on parle de la marier et de lui donner cinquante mille écus. Fourrilles, grand maréchal-des-logis, jeune homme à qui son père avoit laissé assez de dettes, voyant la fille jolie, le père de bon lieu et de quoi s'acquitter, n'eut point d'égard à tout le reste et l'épouse. Je ne sais à qui en est la faute; mais au bout de deux jours, les voilà aux couteaux tirés. Par une bizarrerie admirable, il hait sa femme et devient amoureux de sa belle-mère; il est vrai que cette femme est vive et a quelque chose de fort aimable. Un jour le chevalier, son frère, trouva la mère et la fille et une parente, l'une avec la pelle, l'autre avec les pincettes, et la troisième avec le balai, en haut, pour assommer le pauvre Fourrilles. «Comment, ce dit-il, à quoi songes-tu? Que ne jettes-tu toutes ces p......-là par la fenêtre?» Voilà encore plus de _grabuge_ que jamais, quoiqu'il n'y eût point de coups rués. Fourrilles avoit été si sot que d'épouser sans toucher l'argent[487]; c'étoit là le véritable sujet de tout ce qui s'ensuivit; car n'aimant point sa femme, et mal satisfait de n'avoir que du papier, il ne la traitoit nullement bien. Elle se mit à le haïr encore plus fort; enfin, il les fallut démarier. Voici une nouvelle bizarrerie. Dès qu'elle ne fut plus sa femme, il en devint amoureux, et fit, mais en vain, tout ce qu'il put pour coucher encore avec elle[488]. D'autres ne la trouvèrent pas si cruelle. Le père, voyant du scandale, la fait mettre dans un couvent; le père consent qu'elle en sorte quelque temps après, parce que Pâris, qui étoit à M. de Turenne, parloit de l'épouser; mais il l'entretint seulement. Or, Fourrilles avoit touché quelque chose de la dot: il demandoit à payer sûrement; un créancier huguenot fit aller l'affaire à l'édit[489]. [485] Vions, sieur de Gaillonnet. On dit qu'ils sont gentilshommes. (T.) [486] Voyez l'Historiette de Le Page. [487] Il dit que, pour ne le pas payer d'une partie qu'il devoit toucher d'eux dans quelque temps, ils prirent prétexte sur ce que la fille n'avoit pas encore douze ans quand on la maria. (T.) [488] M. de Cornusson de La Valette avoit épousé une femme qui se gouverna assez mal; elle n'eut qu'une fille; elle supposa un fils, puis, par colère, elle le tua. Accusée, elle prouve qu'il étoit à une meunière: on étouffe l'affaire. Sou mari et elle se séparent, font rompre le mariage. Il prend une seconde femme. Etant à Paris, il trouve sa première femme en chambre comme une gourgandine: il couche avec elle, se renflamme, et la reprenoit si la deuxième n'eût accouché tout à propos d'un garçon. (T.) [489] La chambre de l'édit étoit mi-partie de conseillers catholiques et de juges protestants. Elle avoit été créée par l'édit de Nantes. Après Pâris, un gentilhomme de Normandie, mais qui n'étoit pas un fin Normand, nommé Bressey, fils de madame de Clinchamp[490], l'entretint et en avoit même eu des enfants. Pour s'exempter de retourner jamais en religion, elle se met en tête de l'attraper, et lui dit, en sollicitant son procès, que s'il la traitoit de femme, cela serviroit à son affaire. Il le fit et dit à tous ses juges que c'étoit sa femme. Après elle lui dit: «Mais la chose seroit bien plus croyable si nous faisions un petit contrat de mariage.» Il en fit un tout niaisement, et même en badinant elle se fit épouser; il est vrai qu'il y avoit quelques nullités: elle gagne son procès, et sur l'heure[491], avant que de sortir de l'audience, elle présente requête, exposant que M. de Bressey, qui l'a toujours traitée de femme, comme tous ces messieurs en sont témoins, et qui l'avoit épousée après un contrat de mariage qu'elle produisoit, ne la vouloit pas reconnoître pour telle: il étoit présent et disoit pour ses raisons qu'il ne l'avoit épousée qu'à la cavalière, et pour lui faire gagner son procès; il fut ordonné sur l'heure qu'il iroit en bas[492], si mieux n'aimoit la reconnoître pour sa femme. Il la reconnut, et, pour plus grande sûreté, elle fit recélébrer le mariage. Fourrilles dit qu'il est fort des amis de la dame, et qu'ils s'écrivent assez souvent. [490] Louise de Montgommery, dame de Clinchamp; elle avoit épousé Clinchamp en secondes noces. (_Voyez_ l'article Clinchamp, p. 376.) [491] Vers la fin du Parlement, en 1657. (T.) [492] _En bas_, dans les prisons de la Conciergerie. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE QUATRIÈME VOLUME. Pages La présidente Perrot. 5 Perrot d'Ablancourt. 9 Le baron d'Auteuil. 13 Madame Coulon. 14 La présidente Lescalopier. 17 M. de Bernay. 23 M. de Vassé. 25 Le Saulnier. Le roi d'Éthiopie. 29 M. de Laffemas. 31 Haudessens. 37 Beaulieu-Picart. 39 L'Estoile et Saint-Thomas. 45 L'esprit de Montmartre et Raconis. 49 Madame de Montandre. 52 Madame de Champré et les autres dames de Noyon. 53 D'Amboise, père et fils. 66 L'abbé Du Landaye. 68 Du Burcq. 66 Madame Cornuel. 72 Lettre de madame Cornuel à la comtesse de Maure. 77 Boutard. 80 Madame d'Amet. 83 Costar. 84 Madame de Cavoye. 98 Le cardinal de Retz. 102 La présidente de Pommereuil. 115 Bezons. 116 Salomon-Virelade. 119 Madame de La Grille. 122 Menillet. 123 Ménage. 125 M. de Laval. 152 Esprit. 170 Sarrazin. 173 La marquise de Sy. 178 Souscarrière. 184 La Liquière. 193 M. de Guise, petit-fils du Balafré. 197 Madame Dalot. 207 M. de Roquelaure, Boissac, madame de Lesdiguières. 211 La Tour Roquelaure. 223 Le chevalier de Roquelaure. 226 Belesbat. 230 Madame de Courcelles-Marguenat, et madame de Chauvry. 234 Saint-Germain Beaupré, le feu président Le Bailleul et ses fils. 240 Madame de Choisy, Champagne le coiffeur. 247 M. et madame de Brégis. 253 Cérisante et Marigny. 259 Madame de Gondran. 270 Sévigny et sa femme. 298 Turcan. 305 Ninon de Lenclos. 310 M. de Villarceaux et madame de Castelnau, avec M. et madame de Nouveau. 321 Mademoiselle de Sallenauve. 326 Priezac. 334 Le président Amelot. 336 Gomberville. 343 La présidente Aubry, son mari, Orgeval et Senas. 347 Gauffredy. 354 Mademoiselle Garnier, ou madame d'Orgères, depuis dame de Champlâtreux. 358 Le petit Grammont. 363 Provençaux et provençales. 367 Mademoiselle Diodée. 372 Clinchamp. 376 Madame de La Roche-Guyon. 379 Madame de Castelmoron. 390 Rénevilliers. 395 Madame Roger. 401 Madame de Vervins. 406 Ruqueville. 411 Le Page et ses deux femmes. 414 Le vicomte de Lavedan. 421 De Niert, Lambert et Hilaire. 428 La Gaillonnet et sa fille. 439 FIN DU TOME QUATRIÈME. End of the Project Gutenberg EBook of Les historiettes de Tallemant des Réaux, Tome quatrième, by Various *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HIST. DE TALLEMANT DES REAUX *** ***** This file should be named 42497-0.txt or 42497-0.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/4/2/4/9/42497/ Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.